Marginalité, identité et diversité des " littératures francophones " : présentation du dossier

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Le Langage et l’Homme, vol. XXXXVI, n° 1 (juin 2011)

                 Marginalité, identité et diversité
               des « littératures francophones » :
                           présentation du dossier

                                                            Sophie CROISET
                             Université Libre de Bruxelles - Université Paris III

                                                       et Anne-Rosine DELBART
                                                         Université Libre de Bruxelles

1. La (les) littérature(s) francophone(s) et la marginalité
     Au singulier ou au pluriel, l'étiquette de « littérature francophone » a
mauvaise presse auprès du public de langue française qui ignore les « écrivains
francophones » ou ne leur témoigne pas beaucoup de crédit littéraire jusqu'à ce
qu'une consécration officielle – sur la place parisienne dans le meilleur des cas
– ne les sorte du lot. Par voie de conséquence, elle a mauvaise presse aussi
auprès des écrivains. Pour le Tchadien Nimrod, l'épithète francophone devrait
même être bannie de notre vocabulaire :

     Qu'il y ait une galaxie francophone est imputable aux malentendants; en tout cas l'écrivain
     francophone est une hérésie. (Le Bris & Rouaud, 2007, 234)

      Elle perpétue une ségrégation, un « ghetto », selon les termes d'Alain
Mabanckou. Le domaine des lettres francophones réunirait en effet dans un
ensemble aux contours assez mal définis tous les vassaux de la littérature
française, que la vassalité vienne d'un héritage colonial (les littératures du
Maghreb, d'Afrique Sub-saharienne et même des territoires français d'Outre-
Mer) ou d'une immigration de plus ou moins longue date (les littératures des
exilés de tous horizons et des jeunes français « beurs »), de l'existence de
frontières administratives voisines ou plus lointaines (les littératures belge,
suisse et québécoise).
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       La marginalisation de la francophonie littéraire s'accroît encore du fait de
son indéfinition même. L'univers des littératures francophones, on l'a dit, est
assurément disparate. Dans son acception originelle, il comprend les
littératures d’expression française sur des territoires où la langue française a
été importée par la colonisation. auquel on intègre avec mille précautions les
écrivains des départements français d’Outre-Mer. Appréciez, par exemple, la
prudence de Jack Corsani dans l’introduction du chapitre consacré aux Antilles
et à La Guyane pour le deuxième volume des Littératures francophones (1998,
89-90) :

     Il ne saurait y avoir de doute sur la francophonie des Antilles et de la Guyane (toute la
     population parlant français) mais il y a peut-être quelque incongruité à agréger sans
     précaution certains « départements » français au monde francophone, c’est-à-dire à un
     ensemble de pays ne relevant pas, ou ne relevant plus, de la « nation » française.
     Certes il y a des arguments plaidant en faveur de l’intégration au monde francophone. Ce
     sont des pays géographiquement éloignés du territoire métropolitain, des pays qui ont connu
     la colonisation, dont la population est en majorité d'origine africaine, à tout le moins
     métissée, bilingue (en situation classique de diglossie) et dont la culture populaire présente
     bien des particularités que mettent en avant à juste titre les intellectuels et les artistes en
     quête d'identité (négritude, indianité, antillanité, créolité, etc.). Mais il faut se méfier de tout
     amalgame et bien garder à l'esprit la spécificité du monde créole. (...)
     C’est par conséquent une situation étrange que celle de ces îles manifestement davantage
     intégrées à l’ensemble français, davantage pétrie de culture française que n’importe quel
     autre pays francophone mais néanmoins marquées par une spécificité ethnique et historique
     qui les distingue des autres départements métropolitains, de ces îles où le français trouve
     dans le créole, langue vernaculaire pour la majorité des gens, un écho qu’il ne saurait
     trouver dans l’arabe, le oulof ou l’éwé, des pays dont la danse, la musique, la gastronomie,
     bref la culture de comportement et pas seulement la culture savante, si marquées soient-elles
     par l’apport africain, sont depuis toujours inséparables des traditions françaises.

      S'y sont incluses de leur propre initiative les périphériques littératures du
Québec, de Suisse ou de Belgique. Les appellations littérature québécoise ou
littérature belge d’expression française (complément nécessaire quand la
région retenue compte une diversité linguistique) se sont ralliées aux lettres
francophones en raison des vertus œcuméniques que certains prêtent à
l’épithète francophone. Paul Gorceix publiait en 2000 un petit ouvrage intitulé
Littérature francophone de Belgique et de Suisse. Jean-Pierre Bertrand, Michel
Biron, Benoît Denis, Rainier Grutman accréditent l'élargissement dans leur
nouvelle Histoire de la littérature belge (2003, 10) :

     L’affrontement de ces deux thèses — l’existence d’une littérature belge autonome contre
     son appartenance au champ français — est au cœur de l’histoire des lettres belges et se
     marque d’ailleurs dans le choix des dénominations utilisées pour qualifier l’ensemble
     considéré : “littérature belge de langue (ou d’expression) française”, “littérature française
     de Belgique” ou, aujourd’hui, l’œcuménique “littérature francophone de Belgique”.

       Gommer ou exacerber les différences avec les productions du centre,
c’est-à-dire parisiennes, sont deux attitudes récurrentes dans tout le champ
littéraire d’expression française hors de France. D’un côté, ceux qu’on pourrait
appeler les universalistes mettent en avant le critère de la langue d’écriture :
« Un écrivain français est un écrivain qui écrit en français » pour le Suisse
MARGINALITÉ, IDENTITÉ ET DIVERSITÉ…                                        3

Valère Novarina ; Charles Bertin, citoyen belge, concevait que la patrie d’un
écrivain, c’est sa langue et que sa langue est française :

     (…) si je suis un citoyen belge, je suis un écrivain de Picardie, et que la Picardie, au même
     titre que la Wallonie, et avec les nuances qui résultent de la géographie et des particularités
     locales, est une province des lettres françaises.

      Et même pour Senghor, chantre de la négritude et père de la francophonie
institutionnelle, la langue et la culture françaises doivent aider à développer les
langues et les cultures africaines qui viendront, en retour, enrichir la langue et
la culture françaises pour faire du français « la langue de culture de la
Civilisation de l’Universel » (Discours de 1982 à l’occasion de l’exposition
intitulée L’Orient de Provençaux).
      Les particularistes pointent, eux, l’accent sur la reconnaissance du lieu
d’écriture et des origines, créant au besoin des spécificités qu’ils ne sont
pourtant pas les seuls à pratiquer ou qu’ils ne pratiquent pas tous dans le lieu
dit. Ce sont les « irréguliers du langage » chers à l’écrivain belge Jean-Pierre
Verheggen. L’irrégularité, le surréalisme seraient les principales
caractéristiques de la « belgitude », on dirait peut-être aujourd’hui, les
références étant différentes, Césaire cédant sa place à la chanteuse Lorie, la
« Belge attitude ». C’est faire fi, entre autres, d’un auteur bien français comme
Raymond Queneau. Son penchant pour les littératures françaises hors de
France le marginalisait-il sans doute déjà quelque peu (c’est à l'initiative de
Queneau que le troisième volume de l’Histoire des littératures publiée en
1958, s’intéresse aux Littératures françaises, connexes et marginales, avec la
contribution d’Auguste Viatte, pionnier des études littéraires françaises hors de
France, sur « Littérature d’expression française dans la France d’Outre-mer et
à l’étranger »). C’est faire fi aussi des auteurs qui n’entrent pas dans le moule
de la marginalité. Voyez comment le Belge Jean-Pierre Verheggen est mal à
l’aise dans sa réponse à Lise Gauvin, qui s’étonnait que le catalogue Un pays
d’irréguliers (dont il est co-auteur avec Marc Quaghebeur) ne compte aucune
femme (1997, 167) :

     On dirait que les femmes sont plus mesurées de ce côté. Elles sont sans doute très
     délirantes, très intimement délirantes, très inconsciemment délirantes, mais elles n’alignent
     pas cette espèce d’expansion soit lexicale, soit grammaticale, soit phrasée, à la dérive. Il y a
     une retenue chez la femme. Enfin, on n’a pas trouvé de femmes…

       La Belgique littéraire se ferait donc sans les femmes : Amélie Nothomb
et Jacqueline Harpmann apprécieront. Le Belge ne se décline pas au féminin
puisque le Belge est irrégulier (il est vrai que la langue n’offre pas à l’adjectif
belge de variations morphologiques pour le féminin, un signe sans doute qu’il
ne serait pas dans leur belgitude littéraire à elles de jouer avec la langue).
       L'union sacrée des littératures francophones construit un corps
suffisamment étendu pour faire résistance à l'impérieuse et arrogante littérature
française, circonscrite désormais aux limites hexagonales. Définie stricto
sensu, la littérature française cesserait donc de former un sous-ensemble des
littératures francophones. Situation gênante, notamment dans la confrontation
avec les autres ères littéraires (l’anglophonie, la lusophone, l’hispanophonie).
4                     MARGINALITÉ, IDENTITÉ ET DIVERSITÉ…

Situation curieuse au sein même de la francophonie: c’est comme si la France,
mutadis mutandis, s’excluait des organes de la Francophonie !
      On notera toutefois une brèche dans cette belle union. Les approches
sociologiques de la littérature amènent à identifier deux ensembles mûs par des
dynamiques différentes : une dynamique spatiale autour du concept
bourdieusien opposant le centre et ses périphéries et une dynamique temporelle
opposant les espaces colonisés aux espaces colonisateurs (Provenzano, 2010).
L'ensemble francophone se morcelle de nouveau en deux parties. Les
productions littéraires francophones belges, suisses, canadiennes se
rassemblent désormais - et se distinguent par le fait même des autres
productions francophones – sous le cardinal Nord. De quoi recréer une
hiérarchie – la francophonie Nord versus la francophonie Sud –, tout en
condamnant les hiérarchisations quand elles viennent du Centre...
      La francophonie nord, de plus en plus affranchie de son complexe
d'éloignement du centre, développe et affirme ses instances légitimantes, dont
l'investissement du système scolaire. Les écoliers, les étudiants lisent et
analysent des auteurs belges, suisses, québécois. La marginalité resterait le
Sésame de la francophonie littéraire... sud.

                 2. L'identité-monde et la diversité
      Dans l’espoir de donner une réelle légitimité à cet ensemble, pourtant
divisé et disparate, et pour réagir à cette marginalisation normative, des voix
s’étaient élevées et des auteurs s’étaient réunis en 2007, dans le désormais
célèbre manifeste : Pour une littérature-monde. Des écrivains du Sud
(Mabanckou, Waberi), du Nord (Polet, Godbout) mais aussi de pays non-
francophones (Svit, Dai) – dont certains figurent dans les pages de ce volume –
s’associaient alors dans un élan à la fois rassembleur et militant, souhaitant,
voire proclamant, la fin de l’existence des frontières intérieures de la littérature
de langue française en adéquation avec l’avènement d’une nouvelle géographie
mondiale.

     Un monde ouvert, foisonnant, bigarré, en mouvement, demandant qu’on s’intéresse à lui,
     qu’on ne l’abandonne pas à lui-même, un monde en quête de récit, un monde sachant que
     sans récit il n’y a pas d’intelligence du monde. (Le Bris & Rouaud, 2007, 21).

      Trois ans, de nombreux débats et bien des controverses plus tard, l’idée
s’est frayée un chemin et trouve aujourd’hui un écho dans l’ouvrage, tout
fraichement paru, Je est un autre. Pour une identité-monde. Centré non plus
sur la Lettre mais sur l’Homme, il rebondit sur la volonté d’ouverture et sur la
pluralité « […] en une époque de fantastiques télescopages culturels, tandis
que nait un monde nouveau, où chacun, au carrefour d’identités multiples, se
trouve mis en demeure d’inventer pour lui-même une « identité-monde » : le
récit personnel orchestrant cette multiplicité. » (Le Bris & Rouaud, 2010, 9). À
nouveau composé d’une vingtaine de contributions d’auteurs de langue
française venus des quatre coins du monde, le collectif remet l’accent sur la
nécessité de repenser les catégories, de casser les barrières, et de sortir des
carcans traditionnels qui ne collent plus à la réalité.
MARGINALITÉ, IDENTITÉ ET DIVERSITÉ…                                          5

     Nous pensons – ou l’on s’obstine à nous faire penser – en termes de catégories du stable,
     État-nation, territoires, frontières, opposition intérieur-extérieur, familles, communautés,
     identités, concepts. Il se pourrait bien, souligne le philosophe indien Arjun Appadurai, que
     le monde qui vient nous oblige très vite à penser en termes de flux et non plus de structures,
     à oser sortir du stable pour se risquer à une pensée du mouvant. (Le Bris & Rouaud, 2010,
     25).

      Une pensée dans l’air du temps, en accord avec la géopolitique planétaire
qui nous fait quitter le monolithique pour gagner le complexe et dépasser le
national en affirmant la primauté du mouvement. Toutefois, si le désir de
démarginaliser semble essentiel et la volonté d’égalité louable, il serait tant
dommageable qu’irréel de sombrer dans la dérive universalisante d’une
totalité-monde qui se présenterait comme un immense melting pot bien
heureux et bien rempli. Car si l’économie est mondiale, les cultures locales,
qui dialoguent et s’entrechoquent, dessinent dans toute sa variété ce « chaos-
monde » (Glissant) dont la diversité s’exprime et se ressent.

     J'appelle chaos-monde le choc actuel de tant de cultures qui s'embrasent, se repoussent,
     disparaissent, subsistent pourtant, s'endorment ou se transforment, lentement ou à vitesse
     foudroyante : ces éclats, ces éclatements dont nous n'avons pas commencé de saisir le
     principe ni l'économie et dont nous ne pouvons pas prévoir l'emportement. Le tout-monde,
     qui est totalisant, n'est pas (pour nous) total. Et j'appelle poétique de la relation ce possible
     de l'imaginaire d'un tel chaos-monde, en même temps qu'il nous permet d'en relever quelque
     détail, et en particulier de chanter notre lieu, insondable et irréversible. (Glissant, 1997, 22).

      La dynamique englobante qui donnerait la primauté à l’individu en même
temps qu’elle viserait à gommer les particularités culturelles relève davantage
de l’utopie totalitaire. Or le « divers » définit les contacts des cultures et sous-
tend les spécificités des identités collectives en mouvement qui composent le
monde.
      En s’intéressant aux oubliés, aux méconnus, aux originaux, on exposera
l’existence et les bénéfices de la différence. À travers l’approche de ces auteurs
en situation de contact des langues et des cultures, on montrera comment
s’articulent les tenants de leur « transidentité » (Croiset, 2009), et comment
leurs œuvres, en marge, esquissent la poétique de la relation glissantienne,
participant à un monde riche et véritablement divers.

            3. La diversité, la marginalité et la classe
      L'idée qui préside à ce numéro est de mettre en lumière la marginalité au
sein d'une marginalité décriée par d'aucuns, revendiquée et transcendée par
d'autres, celle de la/des littérature(s) francophone(s). Nous souhaitons convier
le lecteur à un jeu de mise en abyme de la marginalité en quelque sorte.
      Au sein de l'édifice francophone à plusieurs étages plus ou moins bien
aménagés (relais éditoriaux, librairies, critiques littéraires et universitaires),
nous voulons exhiber des productions peu connues ou marginales.
      La gageure supplémentaire que nous avons imposée aux contributeurs du
volume est de proposer des pistes d'intégration de cette marginalité dans les
classes, qui sont, on le sait, une des preuves de la consécration littéraire.
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Pourquoi et comment approcher des auteurs peu connus ou marginaux à
l'université mais aussi à l'école ? Quels bénéfices l'enseignant et l'élève ou
l'étudiant peuvent-ils retirer de la lecture et de l’analyse de leurs œuvres ? De
quelle manière la marge peut-elle dès lors devenir le centre de discussions ? Et
de quelle(s) classe(s) parle-t-on ? Plusieurs contributions ont joué le jeu
pédagogique que nous leur avions proposé et offrent des exemples ou des
projets de pratiques scolaires.
       L'appel a reçu un accueil très favorable et nous n'avons pu, hélas, retenir
toutes les propositions dans les limites du présent numéro. Nous avons tenu à
donner la parole, dans l'espace de ces pages, à des chercheurs d'ici et d'ailleurs,
à des théoriciens et à des professeurs expérimentés mais aussi à des praticiens
et à de jeunes chercheurs, qui ont tous en commun de vouloir entretenir la
flamme de la littérature en français dans tous ses états (avec et sans
majuscule).
       Les treize textes proposés traiteront de la marginalité sous différents
angles : le lieu de publications (les productions littéraires en dehors des
grandes maisons d'éditions ou des productions francophones nationales
publiées dans les Pays du Maghreb, du Machrek et en Afrique noire, par
exemple), les genres littéraires (découverte d'autres genres que les traditionnels
romans, poésie et théâtre), l'appartenance non évidente à la francophonie
littéraire (on en revient à la question des étiquettes : quelle dénomination
donner à des auteurs venus d'autres lieux que ceux de la Francophonie
institutionnelle ?, où ranger les auteurs issus de l'immigration, les auteurs
transfuges de leur langue maternelle ?).
       Le numéro s'ouvre avec la contribution de Charles Bonn, qui pointe une
question théorique – l'essence de la littérarité – par le biais d'une réflexion sur
la marginalité de la francophonie Sud dans l'enseignement universitaire
français. Bonn démontre avec brio le bénéfice intellectuel et conceptuel du
rapprochement de deux disciplines minorisées et arbitrairement séparées : le
comparatisme et les littératures francophones.
       Le lecteur sera ensuite convié à un voyage de découvertes textuelles à
travers divers lieux de la francophonie en commençant par une production
littéraire bien peu connue : celle de la population innue du Québec. Françoise
Sule et Christophe Prémat nous font découvrir l'œuvre de Rita Mestokosho,
qui utilise le français pour affirmer et défendre, comme un patrimoine à la fois
environnemental et culturel, une identité autochtone menacée par les progrès
technologiques.
       Ce sont des démarches identitaires semblables que l'on retrouvera tant
dans les desseins des contributeurs que dans ceux des écrivains d'Afrique noire
qu'ils retiennent. Ainsi l'article de Babatunde Ayeleru se veut-il un plaidoyer
pour l'introduction des auteurs d'Afrique occidentale dans les classes au
Nigeria. Il illustre son propos à partir de récits de l'écrivaine béninoise
Adélaïde Fassinou. Delphine Japhet s'intéresse, elle, à des textes congolais au
statut générique mal défini et à la littérarité non immédiate qu'elle a joliment
rassemblés sous l'étiquette de « littérature des prophètes ». Il s'agit de textes
qui mettent en scène des personnages réels, et plus encore, mythifiés par la
parole populaire. Ils se présentent comme des témoignages, des
autobiographies ou même des textes fictionnels en prenant comme point
central la figure d’un leader messianique. Avec Georges Sawadogo, c'est à une
approche monographique de la marginalité que nous serons confrontés.
MARGINALITÉ, IDENTITÉ ET DIVERSITÉ…                          7

L'enseignant-chercheur étudie minutieusement la démarche poétique
hermétique du poète burkinabé, Jacques Boureima Guégané, et son apparent
éloignement du devoir d'engagement assigné à l'écrivain africain. On quittera
l'Afrique sub-saharienne avec la contribution de Fatima Chnane-Davin
consacrée à la littérature djiboutienne. Celle-ci abordera l’évolution et les
spécificités de cette jeune littérature avant d’évoquer son intégration en classe
et ses apports dans la formation de citoyens plurilingues et pluriculturels.
      Jacques Lefèbvre introduit la question de la marginalité sous l'angle de la
contestation et s'intéresse à des écrivains tunisiens publiés dans des maisons
d’éditions locales, confidentielles, vivant les problèmes du Maghreb comme
entre autres la censure. Il présente sept ouvrages qu'il a découverts au hasard
de ses pérégrinations dans les librairies lors de ses missions pédagogiques au
Maghreb et au salon du livre de Tunis. Sanaa Hoteit montre les bénéfices de la
nouvelle politique éducative au Liban, introduite par la réforme de 1997, qui
impose aux programmes de français de s'adapter à la spécificité plurilingue et
pluriculturelle des apprenants libanais. L'introduction de la littérature
francophone libanaise dans les classes a un impact sur la motivation des élèves
à apprendre la langue française, et elle les aide à mieux cerner leur identité
notamment quand elle renvoie à des images, des valeurs, des croyances, des
héros ou à des mythes qu’ils reconnaissent et acceptent dans leur vie
quotidienne, sociale et professionnelle.
      La contribution de Marie-Hélène Estéoule-Exel veut renouveler
l'approche des textes de la francophonie pour la classe en déplaçant le propos
des préoccupations traditionnellement sociopolitiques vers des questions
linguistiques – le changement de langue - que peuvent partager bien des
étudiants dans le monde d'aujourd'hui. L'œuvre de l'écrivaine slovène Brina
Svit a servi de point de départ à une séquence pédagogique d'écriture qui nous
est rapportée.
      L'intérêt se porte ensuite sur des écrivains chinois d'expression française.
Ileana Daniela Chirila propose des pistes pour endiguer le retard pris par les
États-Unis dans la reconnaissance de cette littérature célébrée en France par
l’intermédiaire de prix littéraires, de promotion dans les médias et d'inclusion
dans les manuels scolaires. Sophie Croiset se concentre, elle, sur l'utilité et les
bénéfices en classe de français de la lecture d'Une fille Zhuang, roman
autobiographique de Wei Wei, une écrivaine chinoise relativement méconnue
à côté des Shan Sa, François Cheng, Dai Sijie ou Gao Xingjian.
      Les deux dernières contributions du volume nous ramènent en Europe et
plus précisément en France et dans une Belgique réelle ou en creux. Elles
conduisent la réflexion sur les marges francophones à une marginalité du
dedans. En parcourant pour nous le roman de Malika Madi, Nuit d'encre pour
Farah, Luc Collès montre que la thématique de la marginalité est bien présente
à différents niveaux : dans le style utilisé et le choix des thèmes ou encore dans
les conditions même de production de ce roman (écrit par une femme arabe).
C'est une autre terre de l'entre-deux que propose l'article de Jose Domingues de
Almeida avec le mythe de la Lotharingie qu'il exhume des œuvres de Jean-
Claude Pirotte et Michel Louyot. L’arrière-plan médiéval de cette contrée
demeure intact dans les imaginaires et expliquerait la présence d’une littérature
francophone marginale « intérieure » à l’espace français, dont les repères
historiques et mythiques pointent une réalité autre que l’Histoire de France et
sa configuration nationale.
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                                            *
      Du Grand Nord inuit aux couleurs chaudes de l'Afrique, de l'Est chinois à
l'Ouest américain, du dehors et du dedans de nos frontières européennes, nous
proposons ici des visions curieuses de la marginalité mettant en œuvre des
démarches militant pour son intégration dans les classes et les cursus
universitaires.
      En tout domaine, l'avenir se construit sur l'héritage qu'acceptent de se
transmettre les unes aux autres les générations qui se succèdent. Les langues et
les lettres n'échappent pas à cette loi. Donnons à l'école les moyens d'assurer le
passage du témoin.

                                     Bibliographie
Bertin Charles (1991), Je suis un écrivain français. La revue des deux mondes, 11, 195-202.
Bertrand Jean-Pierre, Biron Michel, Denis Benoît, Grutman Rainier (2003), Histoire de la
    littérature belge, 1830-2000. Paris : Fayard.
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    II. Les Amériques (Haïti, Antilles-Guyane, Québec). Paris : Belin.
Croiset Sophie (2009), Passeurs de langues de frontières et de cultures : la transidentité de Dai
    Sijie et Shan Sa, écrivains chinois d’expression française. Revue Trans-, 8, http://trans.univ-
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Glissant Edouard (1997), Traité du Tout-Monde. Paris : Gallimard.
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Le Bris Michel, Rouaud Jean (2010), Je est un autre. Pour une identité-monde. Paris : Gallimard.
Provenzano François (2010), La théorisation des littératures de la francophonie Nord : retour sur
    deux changements de paradigme. In Bainbrigge Susanne, Charnley Joy, Verdier Caroline,
    Francographies : identité et altérité dans les espaces francophones européens. Edimbourg :
    Peter Lang, 37-54.
Quaghebeur Marc, Verheggen Jean-Pierre (1990), Un pays d’irréguliers. Bruxelles : Labor.
Viatte Auguste (1985), Littérature d’expression française dans la France d’Outre-mer et à
    l’étranger. In Queneau Raymond, Histoire des littératures, Littératures françaises connexes et
    marginales. Paris : Gallimard, Encyclopédie de la Pléiade, 1367-1413.
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