Mémoire en science politique BR - Travail écrit : "L'espace, l'Europe et la Russie : Quelles relations spatiales entretiennent les Européens et ...

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    Mémoire en science politique[BR]- Travail écrit : "L'espace, l'Europe et la
    Russie : Quelles relations spatiales entretiennent les Européens et les Russes
    dans le contexte actuel ?"[BR]- Séminaire d'accompagnement à l'écriture

    Auteur : Dradin, Romain
    Promoteur(s) : Michel, Quentin
    Faculté : Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie
    Diplôme : Master en sciences politiques, orientation générale, à finalité spécialisée en relations internationales
    Année académique : 2019-2020
    URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/9341

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Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie
                                Département de Science Politique

                        L’espace, l’Europe et la Russie :
  Quelles relations spatiales entretiennent les Européens et les
                        Russes dans le contexte actuel ?

                                      Dradin Romain

 Mémoire présenté dans le cadre du Master en Science Politique, orientation générale, à finalité en
                                     Relations Internationales
                                  Année académique 2019-2020

Membres du jury
Pr. Dr. Quentin Michel, comme promoteur
Pr. Dr. André Dumoulin et Dr. Nina Bachkatov, comme lecteurs
2
Remerciements

    Ce travail de fin d’études est l’accomplissement d’un parcours académique de 5 ans au sein de
  l’université de Liège et d’un travail continu depuis le début de mon master. Je tiens à remercier le
département de Science Politique pour m’avoir formé, permis de me développer, fait rencontrer mes
 camarades de classe et de m’avoir offert la possibilité de faire ma mobilité à l’université d’État de
                                                                                             Moscou.
 Ce séjour m’a été particulièrement utile tant sur le plan personnel que pour mon travail car il m’a
 été possible d’effectuer des recherches et de faire des rencontres pertinentes. Parmi ces personnes,
       je veux souligner la contribution de Konstantin Sadov, camarade de classe qui m’a été d’une
                          grande aide pour mon travail sur place et dont je suis très reconnaissant.
     Ensuite, je tiens particulièrement à remercier le Professeur Quentin Michel pour avoir accepté
     d’être le promoteur de ce travail, pour son écoute et ses précieux conseils tout au long de mon
                                                          parcours pour la rédaction de ce mémoire.
         J’adresse aussi mes vifs remerciements à Madame Nina Bachkatov et au Professeur André
        Dumoulin pour avoir accepté d’être les lecteurs de ce travail, pour leur temps et pour leurs
                                                                              critiques constructives.
       Je remercie aussi toutes les personnes qui ont accepté de consacrer du temps à mon travail :
Monsieur Ivan Moïseev, Monsieur Vitalii Egorov, Monsieur René Pischel, Monsieur Karl Bergquist,
Monsieur Giulio Barbolani, Monsieur Sandro D’Angelo, Monsieur Pieter de Smet, Monsieur Jean-
                                             François Mayence et Madame Isabelle Sourbès-Verger.
 Enfin, je tiens à remercier ma famille pour leur soutien sans faille et leur aide précieuse durant les
 recherches et la rédaction de mon mémoire, point d’orgue de mes années d’études à l’université de
                                                                                                Liège.

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4
Вижу Землю!..Различаю складки местности, снег, лес…Наблюдаю облака…Красиво.
Красота!

Юрий Гагарин

Je vois la Terre ! Je distingue les plis du terrain, la neige, la forêt… je vois les nuages… C’est
beau. Quelle beauté !

Youry Gagarine.

     À notre appartement rue Gagarine, Kemerovo, Kouzbass, Russie et à ma grand-mère, Anna
                                                                     Vassilievna Konstantinova.

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6
Table des matières
1. Introduction......................................................................................................................................9
2. Cadre théorique..............................................................................................................................12
    2.1. Broniatowski et al., « A framework for evaluating international cooperation in space »......12
    2.2. Le constructivisme dans les relations internationales.............................................................14
3. Méthodologie et présentation du terrain.........................................................................................17
    3.1. Méthode de recherche.............................................................................................................17
    3.2. Présentation du terrain............................................................................................................18
4. Les relations russo-européennes : les éléments structurels............................................................21
    4.1. Le Traité sur l’espace, la Magna Carta des relations internationales spatiales......................21
    4.2. Les missions d’exploration civiles et scientifiques, élément central des relations.................25
    4.3. Le poids de l’interdépendance entre acteurs...........................................................................27
    4.4. Les spécificités propres aux coopérations spatiales internationales.......................................29
    4.5. Le contexte diplomatique des relations entre l’Europe et la Russie.......................................31
    4.6. La structure spatiale internationale : une réalité protéiforme.................................................34
5. Les acteurs des relations russo-européennes..................................................................................36
    5.1. L’Agence Spatiale Européenne/ E.S.A...................................................................................37
        5.1.1. Qu’est-ce que l’E.S.A. ?..................................................................................................37
        5.1.2. Quels sont les intérêts de l’E.S.A. ?................................................................................38
        5.1.3. Quelle est l’approche de l’E.S.A. vis-à-vis de la coopération spatiale ?........................40
    5.2. L’Union Européenne/ U.E......................................................................................................42
        5.2.1. Qu’est-ce que l’Union Européenne ?..............................................................................42
        5.2.2. Quels sont les intérêts et objectifs de l’Union Européenne ?..........................................43
        5.2.3. Quelle est l’approche de l’Union Européenne vis-à-vis de la coopération spatiale ?.....44
    5.3. Les États-membres..................................................................................................................46
        5.3.1. Qui sont les États-membres ?..........................................................................................46
        5.3.2. Quels sont les intérêts des États-membres ?...................................................................47
        5.3.3. Quelle est l’approche des États-membres vis-à-vis de la coopération spatiale ?............48
    5.4. La Russie.................................................................................................................................50
        5.4.1. Qui est la Russie ?...........................................................................................................50
        5.4.2. Quels sont les intérêts de la Russie ?..............................................................................51
        5.4.3. Quelle est l’approche de la Russie vis-à-vis de la coopération spatiale ?.......................52
    5.5. Une pluralité d’acteurs pour des approches multiples de la coopération...............................54
6. La Russie face au « mille-feuille » spatial européen......................................................................55

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7. Le domaine spatial, un domaine particulier ?.................................................................................57
8. Conclusion......................................................................................................................................60
9. Bibliographie..................................................................................................................................63
10. Annexes........................................................................................................................................72

                                                                                                                                                   8
1. Introduction

         L’élément déclencheur de la réflexion de ce travail fut l’annonce faite par l’agence spatiale
russe, Roscosmos, de sa participation au projet de la N.A.S.A., l’agence spatiale américaine, Deep
Space Gateway1. À l’époque, cette nouvelle intervient dans un contexte où les relations
internationales entre Russes et Américains, mais également entre Russes et Européens, sont
particulièrement tendues. En effet, les évènements qui se sont déroulés en Ukraine en 2013, la
question du statut de la Crimée et les nouvelles sanctions américaines prises contre la Russie, prises
en août 2017, marquent une forte tension voire une opposition nette entre les parties. L’intitulé du
texte américain promulguant les sanctions contre la Russie ne laisse que peu d’ambiguïté quant à la
nature des relations entre les pays : « Countering America's Adversaries Through Sanctions Act »2
que l’on pourrait traduire comme la « Loi pour la lutte contre les adversaires de l’Amérique au
moyen de sanctions ».

         Pourtant, c’est dans ce contexte qu’Américains, Japonais, Canadiens, Européens et Russes
décident d’unir leurs forces dans le projet d’une nouvelle Station Spatiale Internationale autour de la
Lune, actuellement appelée Lunar Orbital Platform-Gateway (L.O.P.-G.) 3. Cet accord porte sur le
long terme et est conséquent sur le plan financier et technologique alors que les parties ont pris des
sanctions et des contre-sanctions importantes les unes envers les autres. L’article de presse « ISS4 :
adversaires sur Terre, Américains et Russes coopèrent depuis 20 ans en orbite »5 semble assez bien
résumer la situation quand on considère le L.O.P.-G. comme le successeur de la Station Spatiale
Internationale.

         Ainsi, ce sont ces éléments qui ont lancé la rédaction de notre Travail Dirigé en Sciences
Politiques : « Comment la Russie, depuis la dislocation de l’U.R.S.S., a-t-elle utilisé son secteur
spatial comme outil dans ses relations diplomatiques ? », rendu en 2018. Le présent mémoire se

1   Agence France-Presse, « ISS : Adversaires sur Terre, Américains et Russes coopèrent depuis 20 ans en orbite », France 24, le 26
    janvier 2018, disponible à l’adresse suivante : https://www.france24.com/fr/20180126-iss-adversaires-terre-americains-russes-
    cooperent-depuis-20-ans-orbite (consulté le 1er avril 2020).
2   Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act du 2 août 2017, disponible à l’adresse suivante :
    https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Programs/Pages/ caatsa.aspx (consulté le 1 avril 2020).
3   N.A.S.A., « Gateway Memorandum for the Record », 2 mai 2018, disponible à l’adresse suivante :
    https://www.N.A.S.A..gov/sites/default/files/atoms/files/gateway_domestic_and_international_benefits-memo.pdf (consulté le 1
    avril 2020).
4   Est l’anagramme anglais International Space Station, en français Station Spatiale Internationale.
5   Agence France-Presse, « ISS : Adversaires sur Terre, Américains et Russes coopèrent depuis 20 ans en orbite », op. cit.

                                                                                                                                    9
veut être la continuité de cette réflexion et a pour objectif de répondre à la question de recherche :
« Comment sont mises en place les relations spatiales civiles entre l’Europe et la Fédération de
Russie dans le contexte actuel ? ».

         Il est nécessaire d’apporter quelques explications à cette question. Le choix du terme
« Europe » est intentionnel car il permet de refléter la pluralité des acteurs, le « mille-feuilles »
européen. En effet, de nombreux acteurs, institutionnels ou non, et à différents niveaux de pouvoir,
gèrent les programmes européens. Dans le cadre de ce travail, trois groupes d’acteurs institutionnels
européens, considérés comme les plus importants, vont être mis en avant. La compétence spatiale
est partagée entre l’Agence Spatiale Européenne (dont l’acronyme en anglais sera utilisé dans le
cadre de ce travail, E.S.A.), l’Union Européenne (U.E.), plus particulièrement la Commission
Européenne et, enfin, les États-membres des institutions susmentionnées 6. Chaque entité dispose
d’une autonomie d’action, bien qu’elle ait des interactions importantes avec les autres.

         Le terme « Europe », doit être compris comme une réalité plus politique et spatiale que
géographique. La Russie, par ses régions occidentales, fait partie de l’Europe continentale. Par
contre, le pays forme un bloc indépendant des autres acteurs européens étudiés dans le cadre de ce
travail, à savoir l’E.S.A., l’Union Européenne et leurs États-membres, alors qu’en 2004,
l’incorporation de la Russie à l’Agence Spatiale Européenne avait été envisagée7. C’est cette
proximité géographique et cette distance politique et spatiale qui rend la coopération entre ces
acteurs intéressante à étudier car ils partagent un même continent mais restent souverains en ce qui
concerne leurs programmes spatiaux.

         Autre précision : ce travail traite uniquement du secteur spatial civil, bien différent du
secteur spatial militaire au regard des acteurs impliqués ou des relations qui existent entre les
parties. Le secteur spatial militaire reste une compétence très largement étatique.

         Le contexte est celui qui a été présenté en ce début d’introduction : tensions diplomatiques,
sanctions et contre-sanctions prises entre les partenaires spatiaux. Bien que l’accent, dans les
premiers paragraphes, soit mis sur les relations entre Américains et Russes, les rapports de ces
derniers avec les Européens ont aussi été fortement impactés à la suite des évènements en Ukraine.
Des embargos sur différents secteurs ont été mis en place par les deux parties, ce qui a eu pour

6   Entretien avec Giulio Barbolani, voir annexe 14.
7   FACON Isabelle, SOURBÈS-VERGER Isabelle, « Le secteur spatial russe. Entre ouverture à l’international et souveraineté
    nationale », Le Courrier des pays de l’Est, 2007, Vol. 3, N°. 1061, p. 56.

                                                                                                                             10
conséquence d’affecter leurs relations. Nina Bachkatov considère que: « les chances de s’entendre
autour d’une nouvelle forme de coopération entre Moscou et Bruxelles s’éloignaient davantage »8 .

         Au travers de l’étude de cas qui touche à la coopération entre Russes et Européens dans le
secteur spatial civil, ce travail cherche aussi à voir si ces relations, en particulier, présentent des
différences au regard d’autres types de rapports que peuvent entretenir les États entre eux.
Autrement dit, ces mêmes relations présentent-elles des singularités par rapport à d’autres pans des
relations internationales ?

         Pour répondre à ces interrogations, un cadre théorique et une méthodologie ont été mis au
point ; ils sont développés à la suite de cette introduction. Ensuite, des éléments de la structure, au
sein de laquelle les acteurs russo-européens évoluent, sont mis en avant afin de déterminer dans
quel contexte ces relations spatiales se déroulent. La partie suivante étudie les acteurs eux-mêmes :
leur identité, leurs intérêts et leur approche vis-à-vis des relations spatiales. L’avant-dernière section
est consacrée à l’analyse des relations entre les parties en utilisant le cadre théorique développé.
Quant à la dernière section, elle traite des visions qu’ont les personnes interrogées sur les
potentielles spécificités des relations internationales lorsqu’elles traitent de sujets spatiaux.

8   Bachkatov Nina, « L’Union eurasiatique : projet collectif ou levier de puissance pour la Russie ? » dans SANTANDER
    Sebastian (dir.), Concurrences régionales dans un monde multipolaire émergent, Bruxelles, P.I.E. PETER LANG, 2016, p. 261.

                                                                                                                            11
2. Cadre théorique

          Dans un souci d’optimisation des recherches et d’analyse des résultats obtenus, les travaux
de Broniatowski et al., tout comme l’approche constructiviste des relations internationales, offrent
non seulement une structure, mais également un sens à la démarche entreprise dans cette étude. Une
présentation de ces deux éléments est faite dans les sections suivantes.

2.1. Broniatowski et al., « A framework for evaluating international
cooperation in space »

          Le schéma développé par le groupe d’auteurs spécialisés cherche à intégrer les approches
techniques et politiques de la coopération dans le secteur spatial en un seul cadre pour évaluer les
relations spatiales internationales9.

          Les auteurs ont développé trois paramètres techniques, deux politiques et six formes de
coopération internationale. En ce qui concerne la technique, les paramètres pris en compte sont le
coût, l’agenda et la performance alors que pour la politique, seules les préoccupations de politiques
internes et internationales de la coopération sont retenues 10. En ce qui concerne les formes de
coopération, elles sont développées ci-dessous.

          La démarche d’évaluation se divise en six étapes :

     1. Choisir les parties prenantes à étudier : la « primary nation » et la « partner nation ». Dans
          notre cas d’étude, la « primary nation » est la Russie, car elle est l’acteur qui a des relations
          avec l’Europe, ce « mille-feuilles » composé des acteurs étudiés, l’Agence Spatiale
          Européenne, l’Union Européenne et leurs États-membres. Cet ensemble forme les « partner
          nations » ou plutôt les « partner actors » car tous ne sont pas des Nations/États à proprement
          parler. C’est cette dénomination qui sera utilisée dans le reste de travail.

9   BRONIATOWSKI David André, CARDIN Michel-Alexandre, DONG Shuonan, HALE Matthew J, JORDAN Nicole C,
    LAUFER Deanna R, MATHIEU Charlotte, OWENS Brandon D, RICHARDS Matthew G, Weigel Annalisa L, « A framework
    for evaluating international cooperation in space exploration », Space Policy, 2008, Vol. 24, p. 181.
10 Cf. infra, partie 5 sur l’analyse des acteurs.

                                                                                                            12
2. Collecter les informations sur les capacités technologiques et les objectifs politiques des
         pays. Comme cela est mentionné ci-dessous, l’accent est mis sur les objectifs politiques et
         intérêts des pays dans le domaine spatial.

    3. Identifier les schémas de coopérations réalisables. Les auteurs ont développé six schémas
         numérotés de zéro à cinq. Le niveau zéro correspond à une absence de coopération entre les
         parties. Le premier et le second niveau sont des coopérations de niche à court et long terme.
         Le troisième concerne le « critical path », lorsque la participation de l’autre partie est
         nécessaire pour le bon déroulement du projet. Le quatrième correspond à une mission
         parallèle où la participation entraîne un bénéfice mutuel. Enfin, le dernier niveau est celui de
         l’institutionnalisation des relations comme c’est le cas pour l’Agence Spatiale Européenne 11.
         Ces différents schémas de coopération sont utilisés afin de définir les relations entre les
         parties et de situer à quel niveau de coopération elles se trouvent.

    4. Évaluer les schémas de coopération à l’aune des paramètres techniques et politiques pour la
         Russie et ses « partners actors ». Dans la continuité de ce qui a été mentionné ci-dessus,
         l’étude se concentre sur les aspects politiques.

    5. Déterminer les schémas de coopération optimums pour chaque partie étudiée dans le cadre
         du travail.

    6. Chercher à identifier ces schémas de coopérations gagnant-gagnant entre les partenaires tant
         sur le plan technique que politique12.

         Il est nécessaire de différencier la démarche des auteurs de celle utilisée dans le cadre de ce
travail. Broniatowski et al. développent leurs schémas et étapes pour analyser les propositions de
coopération internationale avant que celles-ci ne soient effectives13. Leur cadre est ex-ante, il met
l’accent sur les paramètres qui interviennent en amont de la coopération. À l’inverse, ce travail se
définit par une approche ex-post. L’accent est plutôt mis sur les relations telles qu’elles sont
actuellement et non comment elles pourraient être. De ce fait, il est nécessaire d’adapter quelque
peu la méthode au cas d’étude, chose que même les auteurs envisageaient : « These categories can
be further expanded or refined by the user of the framework as appropriate to the problem to which
it is being applied »14.

11 BRONIATOWSKI David André et al., « A framework for evaluating international cooperation in space exploration », op. cit.,
    p.183.
12 Ibid., pp. 182-184.
13 Ibid., p. 181.
14 Ibid., p. 182.

                                                                                                                               13
Ainsi, pour correspondre au mieux à la problématique de ce travail et à l’étude ex-post, les
paramètres techniques (coût, agenda et performance), ne sont pas étudiés en profondeur. En effet, si
leur importance est critique lors de la négociation, dès le début de la collaboration, ces éléments
sont assurés et perdent leur centralité. De plus, ces indicateurs ne rentrent pas dans le domaine
d’expertise de ce travail.

         De leur côté, les facteurs politiques sont mouvants et dépendent largement des priorités et
doctrines des pays et des institutions prenant part à la collaboration. Ce sont ces réalités politiques
complexes qui sont au cœur de l’étude entreprise. Dans le cadre développé par Broniatowski et al.,
les paramètres politiques sont ceux relatifs aux intérêts internes et internationaux des partenaires à
la coopération. Afin d’étudier au mieux ces indicateurs politiques, notre choix s’est porté sur le
courant du constructivisme dans les relations internationales qui est présenté dans la partie suivante.

2.2. Le constructivisme dans les relations internationales

         Le constructivisme dans les relations internationales nous a paru intéressant pour l’étude des
paramètres politiques du cadre de Broniatowski et al. et pour l’étude des rapports entre les acteurs
européens et la Russie.

         Cette partie ne cherche pas à être exhaustive en ce qui concerne le constructivisme car celui-
ci est vaste et loin d’être uniforme. En effet, il n’est pas stricto sensu une théorie des relations
internationales mais regroupe plutôt un ensemble d’approches, comme Mario Telò le décrit 15. Dans
cette partie, les éléments les plus pertinents et importants pour étudier au mieux la coopération
spatiale entre l’Europe et la Russie sont mis en évidence.

         La transposition du constructivisme sociologique à l’étude des relations internationales se
veut une alternative aux théories bien établies durant la Guerre froide et plus particulièrement au
réalisme. Cette approche part de deux postulats. Le premier concerne cet environnement au sein
duquel les acteurs évoluent et qui serait socialement déterminé. Le second, en lien avec le premier,
est que l’environnement fournirait aux acteurs un espace pour comprendre leurs intérêts mutuels et
constituer ceux-ci16. Pour les constructivistes, la réalité -dans notre cas, internationale- n’existe que

15 TELÒ Mario, Relations internationales, une perspective européenne, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, coll.
    « Études Européennes », 2013, p. 133.
16 CHECKEL Jeffrey, « The Constructivist Turn in International Relations Theory », World Politics, 1998, Vol. 50, N°. 2, p. 325.

                                                                                                                                14
si les acteurs, qui la constituent, croient qu’elle existe. Ce n’est qu’après qu’elle ait été formulée au
niveau de la pensée, de l’intentionnalité collective qu’elle prend forme. En d’autres termes, la
réalité n’existe pas matériellement mais seulement à travers la pensée des acteurs qui en partagent
aussi la compréhension, les normes et qui agissent en conséquence 17. De plus, la réalité est
intersubjective, elle dépend de la vision d’un acteur mais aussi de celle que les autres acteurs lui
renvoient. Par exemple, l’Union Européenne peut se considérer comme un acteur des relations
spatiales mais il faut également voir si les partenaires potentiels la considèrent comme tel. Cette
approche des relations internationales permet de questionner les représentations des acteurs des
rapports spatiaux tout en essayant de déterminer la réalité qui est la leur.

         Le courant constructiviste s’intéresse aux normes, significations, idées, valeurs qui jouent un
rôle important dans la définition des intérêts et des actions des acteurs au niveau international et qui,
en retour permettent de structurer les relations18. Le constructivisme considère que les acteurs et la
structure se co-constituent, qu’il n’y a pas de dominance de la structure dans laquelle les acteurs
évoluent sur ces deniers. Comme le soulignent A. Klotz et C. Lynch, « la nature même des acteurs
sur la scène mondiale dépend du contexte social dominant, et inversement, les normes sociales et
les institutions dominantes existent parce que les acteurs les reproduisent »19. La structure, qui est
faite de normes et d’institutions, dépend des acteurs qui existent en son sein. Ainsi, ce sont non
seulement les parties prenantes mais aussi le cadre de leurs relations qui sont au cœur de l’étude
entreprise, autrement dit , les acteurs institutionnels spatiaux européens et russes tout comme la
structure dans laquelle ils évoluent.

         Ceci illustre bien le premier postulat des constructivistes : l’environnement dans lequel les
acteurs évoluent est socialement formé. Ce sont bien les acteurs qui en déterminent les contours par
leur croyance dans le système, dans ses valeurs, dans ses normes, etc. De ce fait, lors de
bouleversements internationaux comme l’émergence de nouveaux acteurs ou des découvertes
scientifiques majeures, les parties prenantes modifient leurs comportements. Ceci entraîne une
modification de la structure au niveau des normes, pensées ou valeurs car ils agissent « en fonction
de ce qu’ils estiment approprié au vu des normes de comportements légitimes prévalant au sein des
structures sociales dans lesquelles ils sont enchâssés »20.

17 BATISTELLA Dario, Théories de relations internationales, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques,
    2015, 5e édition, p. 315-317.
18 KLOTZ Audie, LYNCH Cecelia, BOUYSSOU Rachel et SMOUT Marie-Claude, « Le constructivisme dans la théorie des
    relations internationales », Critique internationale, Vol. 2, 1999, p. 52.
19 Ibid., p. 53.
20 TELÒ Mario, Relations internationales, une perspective européenne, op. cit., p. 135.

                                                                                                                                15
En ce qui concerne le second postulat relatif aux intérêts des acteurs, les constructivistes
rejettent les théories du choix rationnel où l’État serait guidé par sa survie ou par l’efficacité. Les
intérêts seraient plutôt déterminés par l’identité des acteurs, qui serait elle-même déterminée par la
structure21. Alexander Wendt considère que « les intérêts se réfèrent à ce que les acteurs veulent ; ils
présupposent les identités parce qu’un acteur ne peut savoir ce qu’il veut avant de savoir qui il
est »22. L’étude conjointe de l’identité et des intérêts des acteurs est nécessaire afin de comprendre
leurs relations dans le secteur spatial. De plus, l’approche constructiviste ne considère pas qu’il y ait
une primauté entre les facteurs internes et les facteurs externes et ce, à l’inverse des théories
réalistes qui considèrent que ces derniers sont supérieurs aux premiers. Ainsi, la structure de niveau
international a une influence sur les acteurs, qui ont en retour une influence sur la structure. Par
ailleurs, en ce qui concerne l’identité des acteurs, celle-ci s’avère elle aussi intersubjective : la
représentation que l’acteur se fait de lui-même n’est pas suffisante pour le définir, il faut aussi
prendre en compte la représentation que les autres acteurs se font de lui. Ce dernier point est bien
illustré par l’exemple de l’Union européenne et les autres acteurs, comme énoncé ci-dessus.

         Enfin, le constructivisme semble être l’approche la plus intéressante pour aborder la
question de recherche, que ce soit sous l’angle des identités des acteurs ou de la structure dans
laquelle ils évoluent. En effet, il est permis de questionner : l’identité des acteurs de la coopération
russo-européenne, la structure spatiale internationale, l’engagement dans les relations entre les
parties prenantes. De plus, contrairement aux théories réalistes, cette approche permet de ne pas se
limiter aux acteurs étatiques au sein des relations internationales car, dans ce travail, l’E.S.A. et
l’Union Européenne ne sont pas des États mais ont des compétences qui leur permettent d’agir à ce
niveau. Pour toute ces raisons, le constructivisme est l’approche la plus pertinente pour l’étude des
paramètres politiques du schéma de Broniatowski et al.

21 BATISTELLA Dario, op. cit., p. 317 et 329.
22 WENDT Alexander, Social Theory of International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, Coll. Cambridge studies
    in international relations, 1999, p. 231.

                                                                                                                          16
3. Méthodologie et présentation du terrain

          Dans l’objectif de répondre à la question de recherche « Comment sont mises en place les
relations spatiales civiles entre l’Europe et la Fédération de Russie dans le contexte actuel ? », il est
nécessaire de présenter la méthodologie de recherche. Tout d’abord, nous détaillons ici la méthode
de recherche adoptée, puis nous justifions les entretiens réalisés.

3.1. Méthode de recherche

          Pour la rédaction de notre cadre théorique, des lectures d’ouvrages et d’articles ont été
nécessaires afin de mobiliser de la meilleure des manières l’approche constructiviste et le
« framework » de Broniatowski et al.

          En ce qui concerne la partie analytique, nous avons eu recours à une variété de sources.
Premièrement, des entretiens ont été réalisés sur une période d’un an. La sélection des personnes
interviewées s’est faite sur base qualitative afin de rencontrer des personnes expertes du secteur
spatial et des acteurs des relations spatiales au sein des différentes parties prenantes aux relations.
Les entretiens furent tous semi-directifs, offrant la possibilité de contrôler le déroulé de l’interview
tout en accordant aux personnes interrogées une liberté de parole et la possibilité de faire, dans une
certaine mesure, des digressions23. Avant chaque interview, un guide d’entretien a été réalisé pour
permettre d’aborder tous les sujets désirés mais aussi d’assurer une continuité de questions au fil
des interviews24. Les lectures formaient le second pilier des recherches effectuées. Elles étaient le
socle des informations récoltées, nous ont permis d’acquérir les connaissances nécessaires sur les
différents aspects de l’étude entreprise25 tout en permettant de compléter les informations récoltées
lors des interviews. Ces lectures étaient majoritairement constituées d’ouvrages, d’articles de revues
scientifiques, de publications officielles pertinentes, de discours officiels ou encore d’articles de
presse. L’objectif recherché était la fusion aussi intime que possible de ces deux types de sources

23 GRANDJEAN Geoffrey, Guide de la rédaction du mémoire, Université de Liège, Département de Sciences Politiques, 2014, p.
    72.
24 Ces fiches sont disponibles aux annexes 2-9.
25 GRANDJEAN Geoffrey, Guide de la rédaction du mémoire, op. cit., p. 54.

                                                                                                                         17
afin d’analyser avec un maximum de finesse les identités et les intérêts des parties prenantes aux
relations entre l’Europe et la Russie.

         Les premières recherches ont débuté à la fin de l’année 2018 pour se poursuivre jusqu’à la
finalisation de ce travail. Les entretiens ont, eux, été effectués entre fin mai 2019 et fin avril 2020 à
Moscou, Paris et Bruxelles. En raison de la situation sanitaire générale liée à la propagation du
COVID-19, les deux dernières interviews ont été réalisées via visioconférence pour Jean-François
Mayence et par appel téléphonique pour Isabelle Sourbès-Verger. Nous avons utilisé tant pour les
interviews que pour les lectures : le français, l’anglais et le russe. Le choix était à chaque fois laissé
à la meilleure convenance des personnes interrogées. L’utilisation de ces trois langues s’est révélée
essentielle pour atteindre des informations ou des personnes-ressources qui auraient été sans cela
indisponibles ou injoignables. Il est aussi à noter que, à la demande expresse des intervenants,
l’interview auprès de la Commission Européenne n’a pu être ni enregistrée, ni retranscrite dans sa
totalité. Les informations recueillies l’ont été de manière manuscrite. Toutefois, le nom des
personnes rencontrées a toutefois pu être mobilisé.

3.2. Présentation du terrain

         Ces interviews complétaient bien utilement les lectures pour se rendre compte avec justesse
des points de vue, des sensibilités, des valeurs des acteurs qui prennent part aux relations spatiales.
Comme le soulignait très justement René Pischel à la fin de notre entretien, « cooperation is driven
by sort of pragmatic projects, of course. It is also driven by people, you have to have the right
people »26. Les interviews permettaient aux personnes interrogées de s’exprimer plus librement sur
certains aspects spécifiques mais également d’aborder des éléments nouveaux, d’ouvrir l’étude à de
nouveaux pans non envisagés auparavant.

         Pas moins de huit entretiens ont été réalisés ; ils se divisent en deux catégories au regard de
la qualité de la personne interrogée. Les uns ont été menés avec des représentants d’institutions
impliqués dans les relations spatiales, précisément l’Agence Spatiale Européenne, l’Union
Européenne (au travers de la Commission Européenne) et un État-membre, ici la Belgique (au

26 Entretien réalisé avec René Pischel, voir annexe 11.

                                                                                                       18
travers de BELSPO27). Les autres nous ont permis de rencontrer des experts du secteur et de la
géopolitique spatiale, à savoir Vitalii Egorov, Ivan M. Moïseev et Isabelle Sourbès-Verger.

         Notre premier intervenant a été Ivan M. Moïseev28. Cet entretien se voulait exploratoire
malgré une réelle volonté d’obtenir des informations sur le secteur spatial russe et sur l’approche du
pays quant à la coopération avec l’Europe. Le choix s’est porté sur Ivan M. Moïseev au regard de
ses connaissances du programme spatial russe et sa qualité de Directeur de l’Institut de la politique
spatiale et Membre du conseil d’experts du Conseil de la Fédération de Russie. L’interview s’est
faite en russe à Moscou.

         Nous avons ensuite rencontré René Pischel, Directeur du bureau de l’Agence Spatiale
Européenne à Moscou29. René Pische est une personne-ressource de premier ordre quant à la
problématique qui est nous occupe. L’échange s’est déroulé en anglais à Moscou.

         La troisième entrevue, elle s’est déroulée avec Vitalii Egorov, vulgarisateur, auteur, analyste
indépendant du secteur spatial russe et journaliste30. Bien qu’il ne soit pas un expert académique ou
un acteur de terrain des relations entre l’Europe et la Russie, le fait que Vitalii Egorov ne dépend
d’aucun organisme d’État russe est particulièrement intéressant car cela lui permet d’avoir une plus
grande liberté de parole par rapport à d’autres acteurs institutionnels et une vision propre. Cette
interview s’est faite en russe à Moscou.

         Le quatrième entretien a été effectuée avec Karl Bergquist31, Administrateur des relations
internationales à l’Agence Spatiale Européenne. La position qu’occupe Karl Bergquist au sein de
l’E.S.A. lui donne une perspective particulièrement intéressante vis-à-vis de l’institution, de ses
relations internationales, de son identité et de ses rapports avec la Russie. Cet entretien a été conduit
en français à Paris, au sein des locaux de l’Agence.

         Cinquièmement, nous avons interviewé Giulio Barbolani, Membre du cabinet de la
Direction Générale de l’E.S.A. et Représentant de l’Agence auprès des institutions européennes 32.
L’objectif recherché était de comprendre les relations entre l’U.E. et l’E.S.A. et la possible
corrélation que pouvait avoir ces liens et les rapports avec la Russie. Cette interview s’est faite en
français à Bruxelles.
27 Acronyme anglais de BELgian Science Policy Office, en français, Politique scientifique fédérale ou le Service Publique de
    Programmation de la Politique scientifique (S.P.P. Politique scientifique).
28 Entretien réalisé avec Ivan Moïseev, annexe 10.
29 Entretien réalisé avec René Pischel, annexe 11.
30 Entretien réalisé avec Vitalii Egorov, annexe 12.
31 Entretien réalisé avec Karl Bergquist, annexe 13.
32 Entretien réalisé avec Giulio Barbolani, annexe 14.

                                                                                                                               19
Nous avons, comme sixième entretien, rencontré Sandro d’Angelo, Chargé de mission
(Policy officer) au sein de la Commission Européenne, direction générale DEFIS (DEFence
Industry and Space) en lien avec les questions spatiales et les relations internationales et son
collègue Pieter de Smet33. Cette entrevue avait pour objectif de saisir l’identité de la Commission,
son approche du secteur spatial et les relations qu’elle entretient avec la Russie Elle a été menée en
anglais à Bruxelles.

         La septième entrevue s’est faite avec Jean-François Mayence, Juriste au sein du Service
public fédéral de programmation politique scientifique (BELSPO), en charge des relations
internationales, y compris dans le domaine spatial34. BELSPO étant l’organisme chargé des
missions scientifiques belges, notre rencontre visait à comprendre les intérêts, approches et relations
de la Belgique avec la Russie mais également avec les autres institutions européennes. Cette
interview s’est déroulée en français par visioconférence.

         Le huitième entretien s’est fait avec Isabelle Sourbès-Verger, Directrice de recherche au sein
du Centre Alexandre-Koyré et spécialiste dans les questions de géopolitique et de politiques
spatiales35. Cette dernière entrevue avait pour but d’obtenir un point de vue expert et extérieur par
rapport aux informations collectées jusque-là et jouer, d’une certaine manière, le rôle d’entretien
confirmatoire à la fin du processus de recherche. Cette interview s’est faite en français par appel
téléphonique.

         Il est important de noter qu’une catégorie d’acteurs ne figure pas parmi les personnes
rencontrées dans le cadre de ce travail. En effet, aucun officiel russe n’a répondu favorablement à
nos demandes et ce malgré de nombreuses requêtes et relances auprès des Affaires étrangères russes
et de Roscosmos. Obtenir l’avis de représentants d’État nous aurait apporté plus de précisions sur
l’approche russe des relations avec l’Europe mais aurait, en outre, permis d’effectuer une
comparaison avec les déclarations des acteurs européens. Toutefois, cette faiblesse reste relative, le
point de vue russe peut être de toute façon étudié par le biais des entretiens réalisés auprès     des
experts rencontrés mais également en analysant les documents publiés par les autorités du pays et
de Roscomos.

33 Entretien réalisé avec Sandro d’Angelo et Pieter de Smet, annexe 15.
34 Entretien réalisé avec Jean-François Mayence, annexe 16.
35 Entretien avec Isabelle Sourbès-Verger, annexe 17.

                                                                                                     20
4. Les relations russo-européennes : les éléments structurels

         La structure dans laquelle les acteurs sont enchâssés est déterminante pour comprendre les
relations qu’ils entretiennent entre eux. Il est dès lors nécessaire de s’appliquer à l’étude de cette
structure, de cet ensemble de représentations, de valeurs, de traités, ce tout auquel les parties
prenantes croient et qu’elles reproduisent, comme cela a été présenté dans la section dédiée au cadre
théorique et plus particulièrement au constructivisme36. Nous voulons ici mettre en évidence
certains éléments perçus comme les plus importants au sein de la structure dans laquelle les acteurs
évoluent. La première sous-section présente les traités relatifs à l’espace mais aussi l’importance de
l’Organisation des Nations Unies (O.N.U.) dans le domaine. La seconde se concentre sur le
caractère scientifique et civil de l’exploration spatiale, alors que la troisième développe
l’interdépendance des parties prenantes quant à certaines de leurs missions spatiales. La quatrième
sous-section évoque l’historique, la temporalité et le caractère de l’engagement dans des relations.
Enfin, la cinquième met en avant le contexte politique entre l’Europe et la Russie. Les éléments
présentés au travers des différentes sous-sections sont ceux qui ont émergé lors des lectures et des
entretiens réalisés dans le cadre de cette étude. Cette liste ne se veut pas exhaustive mais, comme
mentionné précédemment, cherche à souligner les facteurs les plus marquants.

4.1. Le Traité sur l’espace, la Magna Carta des relations internationales
spatiales

         Le cadre légal relatif à un domaine, quel qu’il soit, est un passage obligé dans la prise en
compte de la structure dans laquelle les acteurs évoluent. Le secteur spatial ne fait pas exception. En
effet, l’exploration, l’exploitation ou toute autre activité qui peuvent être menées dans l’espace sont
réglementées par différents traités internationaux, dont le plus important est le Traité de l’espace ou
de son appellation officielle, le « Traité sur les principes régissant les activités des États en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps

36 Cf. supra, partie 2.2.

                                                                                                      21
célestes »37. Ce traité est, comme He Qizhi le décrit, la Magna Carta du droit spatial38, tant il est
central pour le secteur spatial et les relations internationales y ayant trait.

          Au regard des motivations qui se trouvent dans le préambule du traité, certains grands
principes peuvent être déduits39. Ainsi, les États signataires du Traité reconnaissent les perceptives
positives que représente l’exploration spatiale, non seulement pour les pays et peuples assez
avancés sur le plan économique et scientifique pour développer de tels programmes mais également
pour l’Humanité dans son entièreté40. L’idée que l’espace extra-atmosphérique ne soit pas l’apanage
de certaines puissances étatiques est intéressante car à la date de la signature de ce Traité, peu de
pays étaient capables d’avoir un programme spatial complet (comme c’est le cas actuellement).
Selon Isabelle Sourbès-Verger, « la communauté spatiale c’est beaucoup de gens qui se connaissent,
ça reste une petite communauté au niveau des décisions des programmes, des coopérations etc. et
donc il y a une vraie forme de solidarité »41. Ce dernier élément de la citation recoupe le second
principe saillant de ce préambule qui est qu’en plus de fournir un bénéfice à l’Humanité,
l’exploration et l’utilisation de l’espace doivent se faire à des fins pacifiques et contribuer à la
coopération internationale scientifique et même juridique42.

          L’article premier du Traité reprend un des principes développés en dans le préambule, à
savoir le caractère résolument humain de l’exploration spatiale. Cette dernière ne pouvant se
réaliser que « pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays, quel que soit le stade de leur
développement économique ou scientifique ; [elle est] l’apanage de l’Humanité tout entière »43.
L’article V va plus loin en prenant même une tournure symbolique puisqu’il déclare que « Les États
parties au Traité considéreront les astronautes comme des envoyés de l’Humanité dans l’espace
extra-atmosphérique »44. Ainsi, les rédacteurs du Traité semblent fortement insister sur cet aspect
qui transcende l’idée d’États, de peuples, etc. pour regrouper l’Humanité dans cette sorte de
destinée commune que serait l’exploration spatiale. Ce principe se retrouve dans la désormais

37 Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique,
    y compris la Lune et les autres corps célestes, signé à Londres, Moscou et Washington le 27 janvier 1967, disponible à l’annexe
    1.
38 QIZHI He, « The Outer Space Treaty in Perspective », Journal of Space Law, Vol. 25, N°. 2, 1997, p. 93.
39 Préambule du Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-
    atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, op. cit., disponible à l’annexe 1.
40 Loc. cit.
41 Entretien avec Isabelle Sourbès-Verger, voir annexe 17.
42 Préambule du Traité sur l’espace, op. cit., disponible à l’annexe 1.
43 Article premier du Traité, op. cit., disponible à l’annexe 1.
44 Ibid., Article V.

                                                                                                                                      22
célèbre phrase de l’astronaute américain Neil Armstrong en posant, pour la première fois, le pied
sur la Lune « C’est un petit pas pour un homme, mais un bond de géant pour l’Humanité ».

          L’article II du Traité dicte un autre principe central de l’exploration et de l’utilisation de
l’espace extra-atmosphérique, en stipulant qu’il « ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par
proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre
moyen »45. Ainsi, aucun État ne peut prendre possession de l’entièreté ou d’une partie de l’espace,
de la Lune ou de tout autre corps céleste et y exercer son autorité suprême 46. Dans la lignée du
principe développé à l’article premier du Traité, l’interdiction de l’appropriation sanctuarise
l’espace en tant que domaine différent des autres, placé sous l’autorité d’un ou de plusieurs États.
Ce concept est remarquable car il donne à l’espace un statut particulier par rapport à ceux des terres
émergées, des mers ou des espaces aériens47 qui peuvent en partie ou totalement se trouver sous
souveraineté des États. L’intelligence humaine a permis de fantastiques avancées tant sur le plan
technique que social. Cependant, l’idée de pouvoir s’accaparer, au nom d’un État, un astre, une
partie d’astre ou au tout autre partie de l’espace, ne semble être qu’arrogance ou simple construction
sociale car, s’il est possible d’établir les contours d’un État sur Terre, comment serait-il possible de
le faire dans l’espace ?

          Il est aussi intéressant de placer l’article II sous l’angle des théories de relations
internationales et plus particulièrement les réalistes. En effet, un élément central de ces approches
consiste à considérer les relations entre les acteurs comme un « jeu à somme nulle » ou « zero sum
game »48 pour Kenneth Waltz. Ce principe peut se comprendre comme étant le partage d’un gâteau :
si l’un des acteurs obtient une partie plus grande qu’auparavant, cela ne peut se faire qu’au
détriment des autres acteurs. L’interdiction de s’approprier l’espace rend impossible ce « jeu à
somme nulle » : aucun État ne peut obtenir de « partie » de l’espace, de la Lune ou d’autres astres
au regard du Traité. De plus, pour reprendre l’image du gâteau, ce dernier ne peut s’appliquer au
domaine extra-atmosphérique car l’espace, par définition, n’est pas fini et donc un hypothétique
gain, ne serait pas obligatoirement au détriment d’un autre acteur.

          Si la carte individuelle étatique ne peut être jouée dans l’espace, seule la coopération reste
possible. Ainsi, les articles IX, X et XI49 dressent la coopération dans le domaine spatial comme

45 Article II du Traité sur l’espace, op. cit., disponible à l’annexe 1.
46 GOROVE Stephen. « Interpreting Article II of the Outer Space Treaty », Fordham Law Review, Vol. 37, N°. 3, mars 1969, pp.
    352-353.
47 Entretien avec Isabelle Sourbès-Verger, voir annexe 17.
48 WALTZ Kenneth, Man, the State and War: a theoretical analysis, New York, Columbia University Press, 3ème éd., 2001, p. 203.
49 Articles IX, X, XI du Traité sur l’espace, op. cit., disponibles à l’annexe 1.

                                                                                                                               23
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