Émergence de la fantasy jeunesse au Québec - Sébastien Chartrand - Érudit

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Émergence de la fantasy jeunesse au Québec - Sébastien Chartrand - Érudit
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Lurelu

Émergence de la fantasy jeunesse au Québec
Sébastien Chartrand

Volume 39, Number 3, Winter 2017

URI: https://id.erudit.org/iderudit/84166ac

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Publisher(s)
Association Lurelu

ISSN
0705-6567 (print)
1923-2330 (digital)

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Chartrand, S. (2017). Émergence de la fantasy jeunesse au Québec. Lurelu, 39(3),
15–18.

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Émergence de la fantasy jeunesse au Québec - Sébastien Chartrand - Érudit
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                                     Émergence de la fantasy jeunesse au Québec
                                     Sébastien Chartrand

Il est impossible d’ignorer l’engouement           Narnia de C. S. Lewis (ami et collègue de Tol-   pure tradition de fantasy : une société d’in-
qu’a suscité la fantasy (ou fantastique            kien), paru six ans plus tard. C’est surement    fluence médiévale où se côtoient dragons
épique) dans la littérature jeunesse durant        pour cette raison que Thierry Vincent écrivait   et licornes autant que sorciers et chevaliers.
la première décennie des années 2000 : le          en 1996 dans Lurelu : «L’œuvre féérique de       Outre les divers royaumes humains, cet uni-
nombre de romans publiés au Québec appar-          Marie-Claire Daveluy apparaîtrait clairement     vers est peuplé d’êtres sylvains immortels,
tenant à ce genre s’élève désormais à quel-        comme de la fantasy au sens le plus strict du    de gnomes et de dryades. On sent, tout
ques centaines. Pourtant, en 1993, Daniel          terme» (vol. 18, n° 3, p. 13).                   au long du récit, l’influence de l’œuvre de
Coulombe écrivait dans Lurelu : «Malgré un                                                          Tolkien, spécialement dans la graphie des
nombre croissant de publications, le fan-          La première véritable fantasy jeunesse           mots imaginaires; Sernine ne cache pas
tastique épique, au Québec, n’a pas encore         québécoise                                       cette influence, allant jusqu’à faire parler un
atteint les dix volumes» (vol. 15, n° 3, p. 49).                                                    sorcier de son «maître Tolkiÿn, le plus grand
    Si l’on peut avoir l’impression que la         Il pourrait être tentant de faire débuter la     de tous les magiciens, [qui] a écrit dans Le
fantasy est apparue au Québec avec le              fantasy jeunesse québécoise avec En hom-         livre de l’Anneau…» (Ludovic, p. 301, 1992).
raz-de-marée des années 2000, il n’en est          mage aux araignées d’Esther Rochon, publié           «Que dire aussi sur l’érudition et le travail
rien : la fantasy québécoise a connu un lent       en 19741. L’univers étranger et la présence      de logique et de patience qu’il a fallu mettre
murissement au cours des années 80-90 et           de sorciers porteraient, de prime abord, à       en œuvre pour asseoir la crédibilité de ce
il est possible de la faire remonter jusqu’aux     pencher de ce côté; néanmoins, la plupart        roman et lui permettre de devenir un classi-
origines de notre littérature jeunesse.            des analystes s’entendent pour qualifier         que», note Angèle Delaunois dans sa préface
                                                   l’œuvre de Rochon d’inclassable. Comme il        de cette seconde édition – car, si Ludovic fut
L’ancêtre                                          est difficile de jouer le jeu des comparaisons   d’abord publié chez Pierre Tisseyre (avec une
                                                   sans amoindrir la portée de ses romans – son     illustration de Charles Vinh évoquant les
Généralement considérée comme l’auteure            présent éditeur lui ayant carrément créé         films de fantasy de l’époque), le roman sera
du premier roman jeunesse québécois (Les           une catégorie à part –, nous postulerons         réédité chez Héritage en 1992. À sa première
aventures de Perrine et Charlot, 1923), Marie-     qu’En hommage aux araignées est l’un des         parution, Ludovic aura été finaliste du Prix
Claire Daveluy a aussi publié ce que l’on          «parents» de la fantasy québécoise, consi-       du Conseil des Arts en littérature jeunesse.
pourrait considérer comme l’ancêtre de la          dérablement plus proche du genre que les                                •
littérature de fantasy au Québec.                  histoires de Marie-Claire Daveluy, mais sans     Néanmoins, toutes les œuvres pionnières de
    Ainsi, Sur les ailes de l’Oiseau-Bleu (1935)   en être totalement.                              fantasy québécoise ne deviendront pas des
et Une révolte au pays des fées (1944) for-            Ainsi, on admet en général que la pre-       classiques. En 1985, les Éditions Fides et le
ment une sorte de diptyque de proto-fantasy.       mière «vraie» fantasy québécoise est le          Salon du livre de Québec commanditèrent
Certes, Sur les ailes de l’Oiseau-Bleu tient       roman Ludovic de Daniel Sernine.                 un concours pour auteurs débutants : le
davantage du conte de fées : deux enfants,             À l’époque, Sernine est déjà bien connu      prix Paul-Aimé-Martin. En publiant Kadel, le
emmenés par l’Oiseau-Bleu, visitent le             pour ses récits fantastiques destinés aux        manuscrit du jeune Luc Ainsley, Fides met-
«pays des belles histoires», traversant le         adultes se déroulant dans l’univers de Neu-      tait sur le marché le second livre de fantasy
royaume de la comtesse de Ségur et celui           bourg et Granverger – d’ailleurs, l’univers      québécoise.
des Mille et Une Nuits. Toutefois, dans Une        de Ludovic en découle : le personnage de             Capturé alors qu’il arpentait la forêt
révolte au pays des fées, l’intrigue rappelle      Ludovic Bertin est le narrateur de la nou-       maudite, Ambar est interrogé par le roi
davantage la structure d’une épopée de             velle fantastique «Les ruines de Tirnewidd»      Roquéran au sujet de Féremsil, une épée
fantasy. On assiste au rassemblement orga-         (publiée pour la première fois en 1979 dans      magique qu’il convoite. Avec quelques
nisé des forces magiques du Bien et du Mal         Légendes du vieux manoir).                       compagnons, il entreprendra son évasion. Le
afin de s’affronter dans une guerre épique;            Lorsqu’on le retrouve en tant que héros      roman du jeune Ainsley rassemble ainsi les
les personnages ne font plus du tourisme           de roman, Ludovic se repose dans son salon.      éléments classiques de la fantasy. Toutefois,
merveilleux, ils prennent part à un combat         Subitement, les décors se modifient : du         au contraire de Ludovic qui fut plutôt bien
dont l’issue déterminera l’avenir d’un monde       coup, le jeune homme se retrouve à bord          reçu par la critique spécialisée, Kadel ne fut
magique. Par bien des aspects, Une révolte         d’un navire onirique qui l’entraine dans un      pas très bien accueilli. En 1993, Daniel Cou-
au pays des fées fait penser au Monde de           autre univers, un monde élaboré dans la plus     lombe écrivait dans Lurelu : «On retrouve
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     dans Kadel tous les défauts d’une personne         à l’origine dans le fanzine Faerie en 1987.         publiaient Le grand réveil ou Les aventures
     qui ne maîtrise pas l’écriture : personnages       Mieux connue pour sa science-fiction, Vonar-        du chevalier Aguéran de Guy Corriveau. Les
     éphémères, dialogues pompeux, fin heu-             burg reste fidèle à elle-même en rédigeant          cinq actes se déroulent dans quatre mondes
     reuse des romans-savons, magie qui sert            un texte féministe : l’héroïne refuse une           parallèles, dont le Royaume des Vents où
     de bouche-trou dans toute l’intrigue» (vol.        vie de «bonne princesse» et fuit sur le dos         vivent les Elfes et notre Europe en l’an 1359.
     15, n° 3, p. 48).                                  du dragon familial (qui s’avèrera être une          Le chevalier Aguéran conjure malgré lui un
                             •                          dragonne, et gravide par-dessus le marché).         Elfe qui lui propose diverses quêtes pour
     Il faudra attendre quatre ans pour qu’un troi-     Au terme de ses aventures, elle rencontrera         mettre son courage à l’épreuve : délivrer
     sième livre de fantasy soit publié au Québec.      un prince (en détresse!) qu’elle sauvera            une princesse d’une ogresse, affronter une
     En 1990, Philippe Gauthier publie L’Héritage       elle-même puis, lorsqu’elle aura décidé de          sorcière et – quête qu’Aguéran choisira
     de Qader, premier tome d’une trilogie.             l’épouser, elle reviendra chez elle pour pré-       – pourfendre un dragon. Sans connaitre
          Fils unique d’une mère brocanteuse,           senter à ses parents l’élu de son cœur.             un succès fracassant, Le grand réveil a
     Tétragrammaton – ou, en diminutif, Télem               On peut s’interroger pour savoir si le          joui d’une certaine popularité. La pièce
     – reçoit à la mort de celle-ci un mystérieux       roman de Vonarburg est vraiment de la fan-          fut montée à quelques reprises et, encore
     anneau en héritage. Apprenti forgeron pen-         tasy. Histoire de la princesse et du dragon est     aujourd’hui, sa lecture figure au programme
     dant quelque temps, il apprendra que de            présenté comme un conte. Non seulement              de certaines écoles secondaires.
     puissants sorciers convoitent son anneau et        commence-t-il par «Il était une fois», mais
     qu’il devra fuir avec Arista, une sympathique      le style narratif évoque la transcription des       L’arrivée des auteurs spécialisés
     magicienne. Au cours de son périple, Télem         propos d’un conteur.
     se découvrira un don inné pour la magie                Certes, si les clichés sexués sont renversés,   Au début, l’écriture de la fantasy aura
     et amorcera sa formation pour devenir lui-         il n’en reste pas moins que l’arrière-monde         consisté, notamment chez Sernine et Vonar-
     même magicien.                                     de ce roman est conforme aux classiques             burg (et, à moindre degré, Champetier) en
          Si le premier tome est d’une qualité          de la fantasy, un monde pseudomédiéval              des publications d’écrivains se rattachant
     plutôt acceptable (bien qu’affichant cer-          où l’on croisera dragonnes et magiciennes –         davantage à la science-fiction ou au fantas-
     tains défauts dans la narration), le second        mais n’est-ce pas aussi le cas des Contes des       tique – pour les deux premiers, le passage à
     et le troisième tomes ont beaucoup moins           frères Grimm? En définitive, ce qui permet          la fantasy jeunesse est occasionnel et, pour
     de saveur. La trilogie a reçu des accueils         vraiment de rattacher ce récit au genre est,        le troisième, il n’occupe que le quart de la
     aussi favorables que défavorables. Alors           outre sa structure en roman et son intrigue         bibliographie. Luc Ainsley n’a rien publié
     que certains applaudissaient qu’un auteur          en quête initiatrice si fréquente en fantasy, le    après Kadel; quant à Philippe Gauthier, s’il
     québécois se consacre à la fantasy, d’autres       concept que la magie est une chose normale          a publié exclusivement de la fantasy, sa
     reprochaient à l’intrigue de s’étioler dans des    dans cet univers. Le roman remportera en            carrière littéraire s’est achevée avec le cycle
     exposés sur l’éthique gouvernant la magie          1991 le prix Aurora.                                de Qader, en 1992.
     – peut-être une allégorie des conséquences                                    •                            L’essor des écrivains spécialisés en fan-
     qu’engendre dans notre monde une science           En 1991 paraitra chez Médiaspaul La requête         tasy jeunesse aurait encore tardé s’il n’avait
     exploitée de manière irresponsable.                de Barrad de Joël Champetier, premier tome          été de la collection «Jeunesse-Pop», aux
          En 1990, L’Héritage de Qader sera finaliste   d’une série de cinq romans. Cette œuvre             Éditions Médiaspaul, dont la ligne éditoriale
     du Prix du Gouverneur général en littérature       incontournable de la fantasy québécoise,            favorisait les genres de l’imaginaire. Le cycle
     jeunesse de langue française. Sa suite, Le         tout premier cycle de grande qualité, ayant         de Contremont, cité ci-dessus, est le premier
     Château de Fer (1991), sera finaliste pour le      été longuement présentée dans la chronique          cycle de fantasy publié chez cet éditeur.
     Prix du livre M. Christie. Le Destin de Qader      «Tourelu» à la suite du décès de son auteur         Néanmoins, Yves Meynard est selon toute
     complètera la trilogie en 1992.                    (vol. 38, n° 2), il serait superflu d’approfondir   vraisemblance le premier écrivain jeunesse
                             •                          le sujet dans le présent article.                   québécois qui se consacrera spécifiquement
     C’est aussi en 1990 que Québec Amérique                Finalement, le théâtre jeunesse qué-            à la fantasy. Paradoxalement, il s’agira aussi
     reprend le texte Histoire de la princesse          bécois fera, lui aussi, ses premiers pas            de l’un des auteurs de fantasy ayant le plus
     et du dragon d’Élisabeth Vonarburg, paru           en fantasy. En 1992, les Éditions Leméac            cherché à s’éloigner des clichés.
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    Son premier roman, Le mage des four-           McAllister qu’il partage avec Jean-Louis         La locomotive intouchable
mis (Médiaspaul, 1995) se déroule dans un          Trudel. Leur série «Les îles du Zodiaque»,
monde où la quasi-totalité des magiciens           admirablement écrite, s’éloignera égale-         C’est en automne 2000 que tout se met en
ont disparu à la suite d’une guerre. Deux          ment des clichés pour dépeindre un monde         place pour l’inondation du marché littéraire.
des sorciers restants décident alors de            rappelant la Renaissance, rempli de cités        Le quatrième tome de la série d’Harry Potter
ramener d’entre les morts un mage des              à la fois fantastiques et sinistres. En solo,    venait tout juste d’être publié et le battage
temps passés. Roman léger mais fort bien           Jean-Louis Trudel écrira la série de Nigelle,    médiatique allait lancer sa popularité au
écrit, il annonce déjà le style de Meynard : un    celle-ci située au Moyen Âge européen (en        Québec; l’année suivante, le premier opus
vocabulaire précis, une intrigue dense, une        1191, précise l’auteur).                         du Seigneur des Anneaux arrivait sur nos
narration faisant confiance à l’intelligence           Mais revenons en arrière pour aborder        écrans de cinéma.
du jeune lecteur.                                  l’œuvre d’une autre écrivaine spécialisée            L’homme d’affaires Michel Brûlé fut celui
    Meynard récidivera l’année suivante avec       dans la fantasy jeunesse, qui allait publier à   qui, le premier, décida de profiter de cet
Le vaisseau des tempêtes, premier tome du          peu près en même temps que Meynard, tou-         engouement. Ainsi, il passera la commande
diptyque «Les voyages du Dauphin». Dans            jours chez Médiaspaul. Julie Martel, après       à l’auteur mauricien Bryan Perro de produire
cet univers, un sorcier est parvenu à bannir       avoir écrit un roman d’aventures (Nadjal),       une série de fantasy, les célèbres aventures
dans la mer le Mal d’un territoire entier.         entreprend une œuvre monumentale se              d’Amos Daragon, qu’il publiera à sa maison
Depuis, la mer est source de crainte; cela         déroulant dans le monde d’Eghantik qui           d’édition Les Intouchables.
n’empêchera pas le jeune Lucas de monter à         débute avec La quête de la Crystale : une            Brûlé misera gros sur cette série, popu-
bord du Dauphin, nef ensorcelée sur laquelle       jeune magicienne, Szenia, revient d’un exil      larisant la stratégie du premier tome à bas
il vivra des aventures le faisant passer de        de trois ans dans notre monde avec deux          prix. L’éditeur remportera son pari et la série
l’enfance à la maturité.                           camarades de notre univers pour affronter        sera un énorme succès commercial (sur le
    Mais c’est dans Le fils du Margrave que        les maléfices de son oncle sorcier. La saga      plateau de Tout le monde en parle, Brûlé
Meynard montrera le meilleur de sa plume           se déploiera sur cinq tomes, puis Martel         affirma qu’au Québec, la série dépassa en
jeunesse. Plutôt que du Moyen Âge, ce mon-         entrainera de nouveau ses lecteurs dans le       chiffres de vente la saga d’Harry Potter).
de s’inspire de la fin de la Renaissance ainsi     monde d’Eghantik pour un second cycle,           Les aventures d’Amos Daragon s’étireront
que de la révolution industrielle : la magie       celui de la «Guerre des Cousins», non sans       sur douze tomes, un manga et une foule
a été supplantée par la machine à vapeur           produire deux romans de fantasy isolés : La      de produits dérivés (jeux, pièce de théâtre,
et on croise dans le récit des allusions aux       lettre de la reine et À dos de dragon.           exposition, etc.).
locomotives, aux canons et ainsi de suite.             Chez Martel, contrairement à Meynard,            Fort de ce succès, Brûlé imitera alors la
Dans ce roman, le jeune Sébastien découvre         on voit se profiler un arrière-monde dans        stratégie employée par l’éditeur français
un passage vers la Lune, où vit un peuple          la plus pure tradition du genre. Julie Martel    Fleuve Noir pour la publication des séries de
de magiciennes – le talent de Meynard              dépeint un monde de type médiéval euro-          fantasy dérivée des jeux de rôles Wizards of
s’exprime de manière magistrale lorsque            péen, à la magie courante et aux fréquentes      the Coast (LanceDragon, Royaumes oubliés
vient le temps de décrire le choc culturel qui     présences surnaturelles – une tendance qui       et compagnie). Une ribambelle de séries
en découlera. Suivi de deux autres tomes           se modifiera au fil de son œuvre, partant        verront le jour chez Les Intouchables, parmi
(L’Héritier de Lorann, L’Enfant de la Terre), la   d’un univers à la Tolkien pour peu à peu se      lesquelles on retrouve «Leonis» puis «Kryal-
série se termine par un «À suivre» qui allait      mouvoir dans les grandes épopées à la Kay2.      nar» de Mario Francis, «Celtina» de Corinne
mettre un point d’orgue d’une décennie,                Champetier, Meynard, Martel, McAllister,     de Vailly, «Tila» de Patricia Juste Amédée,
jusqu’à ce que l’éditeur pour adultes Alire        Trudel : ces auteurs feront passer, durant       «Dahran» de Sylvain Hotte, «Pakkal» de
publie en un seul volume les trois premiers        la fin des années 90, le nombre de romans        Maxime Roussy et «Braven Oc» d’Alain Ruiz
tomes de la série et deux autres, inédits mais     québécois jeunesse de fantasy de moins de        – chacune disposant d’un titre de série mis
prévus dès le début par Meynard.                   dix (en 1993) à une vingtaine (en 2000).         en évidence par un lettrage-logo attrayant,
    Yves Meynard continuera de publier                 C’est à peu près à ce moment qu’allait       des illustrations de couvertures dépeignant
de la fantasy jeunesse chez Médiaspaul,            déferler sur le marché le raz-de-marée qu’ont    les personnages principaux dans le style
cette fois sous le pseudonyme de Laurent           connu les années 2000.                           classique des illustrateurs américains, le
lurelu volume 39 • no 3 • hiver 2017

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     tout trônant en librairie dans un présentoir     étant probablement Y a-t-il un héros dans         Notes
     où chaque premier tome sera, bien entendu,       la salle? de Pierre-Luc Lafrance, publié chez
     offert à prix réduit.                            Soulières éditeur, roman où les clichés de        1. L’édition d’origine (Éd. L’actuelle) n’était pas
                                                      la fantasy sont parodiés avec un humour              spécifiquement destinée aux jeunes lecteurs, mais
     La flambée des années 2000                       rafraichissant et un sens critique exemplaire.       le roman fut réédité en 1986, chez Paulines, dans
                                                          Avec le nouveau millénaire, les romans           la collection «Jeunesse-Pop» (sous le titre L’étranger
     La table était mise pour la flambée de popu-     de fantasy poussèrent comme des champi-              sous la ville).
     larité que connut la fantasy jeunesse. Face à    gnons (magiques, bien entendu), connais-          2. Guy Gavriel Kay, célèbre auteur canadien de fantasy
     l’afflux de manuscrits de romans de fantasy,     sant un succès variable pour une qualité             historique. Il a été, pendant ses études universi-
     désireux de satisfaire la demande des jeunes     d’écriture tout aussi variable. Chez certains        taires, l’assistant de Christopher Tolkien, le fils de
     lecteurs et de réclamer leur part d’un marché    éditeurs (dont la ligne éditoriale se rappro-        J.R.R., sur la rédaction finale du Silmarillion.
     en apparence illimité, la plupart des éditeurs   che davantage du sens qu’on donne au              3. Prétendre à l’exhaustivité serait, ici, une visée
     jeunesse se lanceront dans l’aventure3.          mot publisher chez les Anglo-Saxons), des            aussi vaine qu’inatteignable. Aussi ne faudra-t-il pas
         Les Éditions Michel Quintin, pour prendre    romans ne seront en vente qu’une seule               prendre ombrage de l’absence de certaines séries ou
     un exemple, n’allaient pas être en reste :       saison, pour ensuite être pilonnés et oubliés.       même de certains éditeurs dans les paragraphes qui
     «Gaïg», «Luna», «Aïnako», «Kimo», «Zâa»          À peu près à la même époque, les Éditions            suivent.
     venaient gonfler une population héroïque4        Médiaspaul, s’étant toujours distinguées par      4. Au sens d’heroic fantasy, le nom complet de ce genre
     déjà cosmopolite, sans compter «Les messa-       la qualité des textes publiés dans les collec-       littéraire dans sa langue d’origine.
     gers de Gaïa», «Les pions de l’Apocalypse»       tions «Jeunesse-Pop» et «Jeunesse-Plus»,
     et autres «Maîtres du Pentacle». On a perçu      accuseront une nette perte de vitesse.            Quelques lectures de plus
     le même mouvement, plus modeste en                   En quelques années, blasé par un genre
     termes quantitatifs, du côté des Éditions        surreprésenté, le lectorat commencera à se        La chronique Tourelu : «Joël Champetier, retour à
     Hurtubise, avec, entre autres, «Les premières    détourner de la fantasy, quitte à passer à côté      Contremont» (vol. 39, n° 2, automne 2015, p.
     magiciennes» et «Les fées-du-Phénix».            de petits chefs-d’œuvre.                             91-92).
         Pour certains, ce ne seront que des publi-                                                     L’entrevue «Corinne De Vailly : au fil de l’histoire»
     cations occasionnelles, comme pour La cour-      Un genre destiné à l’épuisement?                     (vol. 35, n : 1, printemps-été 2012, p. 5-6).
     te échelle, chez qui il n’y aura longtemps eu                                                      L’entrevue «Hervé Gagnon : voyager dans le temps»
     que les volets de La forêt aux mille périls de   Le marché affiche pour la fantasy, comme             (vol. 32, n° 2, automne 2009, p. 11-12).
     Denis Côté (relevant de la série «Maxime»),      pour d’autres filons trop exploités (les nom-     L’entrevue «Julie Martel : la petite fille qui cuisinait des
     jusqu’à l’apparition de Victor Cordi, la série   breuses dystopies futuristes à la Hunger             mondes» (vol. 30, n° 2, automne 2007, p. 86-87).
     d’Annie Bacon scindée en deux cycles et –        Games ou le vampirisme estudiantin à la
     en plus – coupée par l’hiatus qu’a connu La      Twilight, par exemple), des signes évidents
     courte échelle en 2014-2015. Dans un cas         de saturation. La fantasy jeunesse québécoi-
     comme dans l’autre, on pourrait discuter de      se est-elle destinée à s’éteindre? Le temps le
     leur appartenance au genre fantastique ou        dira et le marché en décidera; pour l’instant,
     au genre fantasy – mais ne nous aventurons       répétons seulement la mise en garde avec
     pas dans ces eaux.                               laquelle Daniel Coulombe concluait son
          D’autres éditeurs s’étant jadis consacrés   article : «C’est peu pour porter un jugement
     à des publications d’autres genres (comme        sur l’avenir du genre.»
     de Mortagne ou AdA) inonderont le marché
     du livre pour adolescents, profitant de cet
     engouement (on pense notamment à la série
     «Les Chevaliers d’Émeraude», par Anne
     Robillard). D’autres encore publieront de la
     fantasy lorsque celle-ci s’accordera avec le
     «ton» de la maison – le meilleur exemple
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