Les passeurs de mémoire - Denys Lelièvre Québec français - Érudit

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Québec français

Les passeurs de mémoire
Denys Lelièvre

Littérature et peinture
Number 161, Spring 2011

URI: https://id.erudit.org/iderudit/63992ac

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Publisher(s)
Les Publications Québec français

ISSN
0316-2052 (print)
1923-5119 (digital)

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Lelièvre, D. (2011). Les passeurs de mémoire. Québec français, (161), 92–95.

Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2009                  This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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CHANSON

     Gabriel, comme elle se l’était promis,
     contre le gré de son père, laissant
     deviner sa révolte et son envie de vivre
     comme elle l’entend.
        La haine. Les villageois vouent une
     haine marquée à Thomas et, par lui, aux
     Anglais venus depuis leur île après la
     Conquête, les exploiter, voire les dépos-
     séder. Cette haine est encore plus forte
     aux yeux du lecteur après avoir pris
     connaissance de la confession finale
     de Catherine, qui doit payer pour la
     conduite des gens de sa race, de son
     père en particulier, devenant ainsi leur
     bouc émissaire. C’est aussi la haine des
     Anglais exploiteurs qui pousse Gabriel
     à accepter d’aider les corsaires améri-
     cains. Il venge ainsi la mort de son père.

        La portée du roman
        Avec ce premier roman, Rachel
     Leclerc a voulu, en s’inspirant de l’His-
     toire de son coin de pays, attirer l’at-
     tention sur les injustices dont ont été
     victimes les pêcheurs gaspésiens à une
     certaine époque, comme l’avaient fait
     avant elle Marie LeFranc, dans Pêcheurs            Les passeurs de mémoire
     de Gaspésie (1938) et Noël Audet, dans             PAR DENYS LELIÈVRE*
     L’ombre de l’épervier (1988). Si elle
     n’avait pas l’intention d’écrire une saga,
     comme l’ont fait Arlette Cousture ou               Depuis le début de l’an 2000, la chanson québécoise connaît une
     Chrystine Brouillet, par exemple, elle
                                                        belle effervescence et prend des formes de plus en plus éclatées. Le
     a voulu rendre hommage au courage
     des habitants de ce coin de pays, qui,             succès d’artistes aussi différents que Les Cowboys Fringants, Pierre
     contre vents et marées, sont parvenus              Lapointe, Loco Locass et Martha Wainwright illustre une diversité à la
     à exister dans la dignité et à se libérer.         fois culturelle, linguistique et musicale. Depuis quelques années, des
     C’est à la recherche de la vérité que              groupes tels que Arcade Fire, Karkwa et Malajube offrent au public
     Rachel Leclerc s’est livrée, tout en insis-        une chanson rock de calibre international. Et de nouveaux auteurs-
     tant dans cette délivrance sur l’apport
                                                        compositeurs-interprètes ne cessent de s’imposer. Il peut cependant être
     des femmes, qui ont su composer avec
     un destin souvent difficile. La fin du             intéressant de parler d’œuvres qui, pour différentes raisons, s’éloignent
     roman laisse deviner que la lutte des              de la convergence et jouissent d’une visibilité relative. Certains artistes
     pêcheurs et de leurs épouses n’a pas été           renouvellent le rapport que la chanson
     inutile : l’espoir renaît, qui avait déjà          d’ici peut entretenir avec la France
     été annoncé (p. 85), car Victor accepte            ou l’Amérique ou établissent un lien
     d’instruire les enfants du village, qui
                                                        énergique entre tradition et modernité.
     refuseront, grâce à leur instruction,
     d’être des dépossédés. Le mépris n’aura            D’autres explorent plus que jamais les
     eu qu’un temps.                                    rapports entre l’oralité et l’écriture par
                                                        l’adaptation à la scène de romans ou
     *   Professeur de littérature québécoise,          de textes de théâtre ou par l’addition
         Université Laval
                                                        d’un support sonore à la publication de
         Note
     1   Rachel Leclerc, Noces de sable, Montréal,      poèmes ou de contes.
         Boréal, 2011, 219[1] p. (« Boréal compact »,
         no 221) [1re édition : 1995]

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Une sorcière comme les autres                parlé d’autre chose. À l’homme qui se            arrangements pour voix et podorythmie.
    Jorane                                       nourrit de désirs, de rêves, d’espoirs et de     Le choix de chansons permet de mettre
    VEGA Musique, 2011.                          voyages, Suzanne suggère d’accepter le           en lumière les affinités qui existent entre
    Sorti au cœur des grands froids de           monde tel qu’il est, dans ses formes multi-      tous ceux qui sont opprimés par la diffé-
l’hiver, le nouveau disque de Jorane agit        ples, quoique souvent contradictoires, de        rence, raciale (les Autochtones, les Noirs)
comme un baume inattendu et nous garde           renouveler la vision qu’il en a : « Elle t’en-   ou linguistique (les Francophones hors
bien au chaud. Comme Nouvelles fréquen-          seigne de son regard à travers les ruines        Québec), entre tous ceux qui souffrent
tations, des Charbonniers de l’Enfer, il         et les fleurs º à voir les fantômes dans la       d’exclusion. Plusieurs d’entre elles expri-
s’agit d’un disque de reprises, de relectures.   brume à voir les enfants dans l’aurore ».        ment le sentiment de l’exil, le sentiment
L’interprète amène l’auditeur là où il ne s’y    L’une des chansons les plus séduisantes          d’être condamné à l’errance, comme « Le
attend pas. Le choix des pièces révèle que       de l’album est « Marilyn et John », écrite       wagon » (« Boxcar »), de Neil Young : « Je
Jorane aime et connaît la chanson. Chaque        par Franck Langloff et Étienne Roda-Gil          roule en wagon dans la nuit ». Mais, la
recueil reflète l’histoire que chacun             et popularisée par Vanessa Paradis à la fin      route peut aussi mener, droit devant, vers
d’entre nous entretient avec la musique.         des années quatre-vingt. Les auteurs ont su      un ailleurs meilleur. C’est « Le chant d’un
En quatrième de couverture, en signe de          cerner avec habileté ce célèbre amour clan-      patriote », de Félix Leclerc, qui, présentant
solidarité, des mots d’Anne Sylvestre, qui       destin entre Monroe et Kennedy : « Elle          un homme qui fonde un espoir dans la
en profite pour évoquer la mémoire de            s’invente des chansons º Sur le mariage          génération qui le suivra, montre le mieux
Pauline Julien. Jorane rassemble autant          d’une étoile et d’un lion ».                     un homme en marche vers demain. Daniel
des chansons québécoises aux textes plus             Femme à la voix de violoncelle ?             Lavoie, dans « Jours de plaine », va dans
littéraires (Cohen, Desjardins, Sylvestre,       Violoncelle comme prolongement de                le même sens : « J’ai toutes ces croyances
Vigneault) que des chansons françaises           la voix ? Les pièces en solo (« Départ »,        dans le sang ». Les chansons regroupées
d’artistes rock dont l’écriture rompt avec       de Gilles Vigneault, « Je te laisserai mes       par les Charbonniers ne s’en tiennent
la tradition (Indochine, Vanessa Paradis,        mots », de Patrick Watson) illustrent            pas qu’à un destin collectif. Par exemple,
Niagara). En reprenant les chansons de           à merveille à quel point la voix et le           les mots de Noir Désir, de Kate McGar-
Sylvestre, Jorane, comme les Charbon-            violoncelle ne font qu’un. Les arrange-          rigle et de Philippe Tatarcheff, ceux de
niers, rend ainsi hommage à une artiste          ments, signés conjointement par Jorane,          Roland Giguère mis en musique par
de la même génération que les Ferré, Brel,       Alexis McMahon, cet orfèvre des textures
Brassens, Barbara, du même calibre, l’une        sonores, et Éloi Painchaud, sont au service
des plus grandes voix de la chanson fran-        des textes. Ainsi, « En pleine face », de
çaise, et encore parmi nous (Il faut écouter     Serge Fiori, est véritablement transfigurée,
à tout prix deux albums réalisés au début        métamorphosée.
des années 2000 : Partage des eaux et Les
chemins du vent). Dans « Une sorcière                Nouvelles fréquentations
comme les autres », la narratrice repré-             Les Charbonniers de l’Enfer
sente toutes les femmes de l’Histoire :              La Tribu, 2010.
« Je vous ai portés vivants º Je vous ai             Les Charbonniers de l’Enfer nous
portés enfants º Dieu comme vous étiez           ont surpris en faisant paraître à la toute
lourds º Pesant votre poids d’amour ».           fin de l’automne leur septième album,
Créée au début des années soixante-dix,          Nouvelles fréquentations, qui s’est révélé
à l’aube des revendications féministes,          tout de suite comme l’un des albums les
cette chanson dénonce l’absurdité de la          plus riches de 2010. Un cadeau pavant la         Gilles Bélanger : « Je n’ai pas peur de la
guerre (« Quand vous mouriez sous les            voie à la nouvelle année ! La passion du         route º Faudrait voir, faut qu’on y goûte »
bombes º Je vous cherchais en hurlant º          groupe pour la musique traditionnelle a          (« Le vent nous portera »), « Je suivrai les
Me voilà comme une tombe º Et tout le            toujours été le reflet d’un fort sentiment        repères que j’ai semés » (« Cheminant à la
malheur dedans »), questionne les rôles          d’appartenance au Québec. Ce n’est pas           ville »), « À court d’haleine marcher à son
traditionnels (« Je vous en prie ne m’in-        la première fois que Les Charbonniers se         deuil » (« Faire terre »). Michel Faubert
ventez pas º Vous l’avez tant fait déjà ») et    laissent tenter par la chanson moderne.          a demandé à Josiane Hébert, du groupe
incite à un changement qui ne se fera pas        La sacrée rencontre, album réalisé en 2007       Galant, tu perds ton temps, de mettre
dans la violence (« Mais un jour la terre        avec Gilles Vigneault, ouvrait la porte          en musique un texte d’Anne Sylvestre
s’ouvre º Et le volcan n’en peut plus… º         à d’autres expériences. Avec Nouvelles           dénonçant avec ironie l’insolence et l’ar-
Me voilà comme une vague º Vous ne serez         fréquentations, Michel Bordeleau, Michel         rogance des hommes assoiffés de pouvoir,
pas noyés »). Une deuxième chanson de            Faubert, André Marchand, Jean-Claude             « Bienvenue chez les humains ». Avec des
Sylvestre, plus légère, nous invite à privi-     Mirandette et Normand Miron ont réuni            techniques propres à la musique tradi-
légier les chemins de traverse. « Suzanne »,     dix grandes chansons du répertoire               tionnelle (le chant a cappella, la percus-
de Leonard Cohen, n’a jamais vraiment            contemporain dont ils nous offrent des           sion produite par le tapement des pieds),

                                                                                                          P R I N T E M P S 2011 | Québec français 161   93
les C
         ­ harbonniers de l’Enfer parviennent à     est gris º si le temps est froid º joue de la    la forêt, l’on sent que c’est Émilie qui lui
     recréer ces chansons, à leur insuffler une      chaleur du bout de tes doigts º souffle le        permet d’accéder à la parole : « laisse-moi
     vie nouvelle. Un disque incontournable !       malheur au-delà de l’horizon ». Après trois      plonger dans ton mystère º la tête première
                                                    années derrière son pupitre d’élève, Ovila       le feu au corps je t’aime à faire trembler
         Les Filles de Caleb                        quitte la classe, mais non sans déclarer         la terre º à décrocher l’étoile du nord ».
         L’Opéra-Folk / Extraits                    son amour à Émilie. C’est un homme de            Les différents interprètes rendent justice
         Artistes variés                            peu de mots, mais très attentif aux sens.        aux chansons. Dans « Ne nous marions
         Tandem.mu, 2010.                           Daniel Boucher interprète bien « Elle            pas », Yves Soutière, un habitué de ces
         Le début des années 2010 laisse            a dit ‘ Nous deux’ » : « trois ans d’école       formes de spectacle (Nelligan), commu-
     présager d’un fort engouement pour la          juste pour la voir º bouger un peu º l’en-       nique avec une grande sensibilité l’abnéga-
     rencontre sur scène de la chanson, du          tendre rire º et lire mon avenir dans ses        tion de l’inspecteur Douville renonçant au
     théâtre et du roman, et ce, dans des formes    yeux ». Ovila s’enfuira rapidement dans          mariage mais, en même temps, son amour
     très variées : comédie musicale (Le Blues de   les bois. Dans la chanson « Dans mon             profond pour Émilie. Dans « Pourquoi
     la métropole, Starmania), théâtre musical      silence », l’une des plus émouvantes de          maman, pourquoi ? », Stéphanie Lapointe
     (Les Belles-Sœurs), opéra-folk (Les Filles     l’opéra, Rivard exprime à merveille à la         personnifie bien le personnage de Blanche
     de Caleb). Le roman d’Arlette Cousture         fois la solitude de Berthe, devenue carmé-       qui, à quinze ans, interroge sa mère sur
     constitue une saga qui raconte l’histoire      lite, et le message d’apaisement qu’elle         l’échec de son mariage. Enfin, « Voir
     d’une famille sur près de soixante-dix ans     tente de transmettre à son amie : « j’en-        grand, voir devant II », Caroline d’Astous
     (1890-1960). Micheline Lanctôt signe le        tends ton cœur hurler d’amour… º comme           Paquet et Luce Dufault unissent leurs
     livret de l’opéra, Michel Rivard a écrit les   la douleur trouve un écho º dans mon             voix pour évoquer la jeune Élise, qui est
     paroles et la musique de toutes les chan-      silence ». Dans « Ma belle brume », qui          prête à envisager l’avenir avec « fougue »
     sons. Ce choix d’une musique folk aux          renvoie à la lettre qu’Ovila écrit à Émilie      et « innocence ». Les arrangements servent
     accents par moments country, essentielle-      depuis le chantier où il travaille, Rivard       toujours bien le sens des textes. « C’est un
     ment acoustique, respecte ainsi l’époque       réussit, derrière les gestes du draveur, à       monsieur » donne la parole à Célina, la
     où se déroulent les événements du roman,       suggérer sa vie entière : « mais la drave voit   mère d’Émilie, qui voit dans l’inspecteur
     période de transition marquée par de           pas l’temps passer º et je danse sur les eaux    Douville le meilleur des partis. Une grande
     profonds changements dans plusieurs            profondes º en roulant des billots sous mes      réalisation !
     domaines : la religion, l’éducation, l’in-     pieds ». L’un des moments les plus tendres
     dustrie, les rapports hommes-femmes.           du roman, la nuit de noces d’Émilie et               No parano
     Sous la forme de monologues et de dialo-       d’Ovila au Lac à la Perchaude, se trouve             Juliette
     gues, Rivard dessine des portraits, des        exprimé dans « À nous la nuit », l’une des           Polydor, 2011
     scènes de vie, toujours avec le souci de       chansons les plus fortes de l’opéra. C’est           Qui est donc Juliette ? Après vingt-
     nous faire sentir les émotions des person-     au cœur de la nature qu’ils se retrouvent.       sept ans de carrière, elle semble toujours
     nages. L’œuvre d’Arlette Cousture traite       Même si les mots d’Ovila sont rattachés à        un secret bien gardé, une artiste connue
     du destin tragique des femmes québécoises                                                       que par des cercles d’initiés tant en France
     dans la première moitié du XX e siècle.                                                         qu’ici. Et, pourtant, la reconnaissance est
     Mais ce destin n’est-il pas aussi celui des                                                     bel et bien au rendez-vous : deux prix de
     hommes (Ovila, Douville, Napoléon) ? Le                                                         l’Académie Charles-Cros, deux Victoires
     roman nous présente des êtres humains                                                           de la musique, Chevalier des Arts et des
     qui se font mal sans vraiment le vouloir,                                                       Lettres, Chevalier de l’Ordre du Mérite !
     coincés dans leur époque. Malgré son côté                                                       Rebelle, indomptable et souveraine-
     sauvage, la nature nourrit les hommes de                                                        ment libre, volontiers à contre-courant
     rêves fous, de désirs, d’espoirs.                                                               dans sa musique, Juliette Noureddine est
         L’Opéra-Folk s’ouvre sur une pièce                                                          l’exemple même de l’artiste qui refuse tout
     instrumentale, « Dans les bois ». La                                                            compromis, de la lignée des plus grands :
     nature est encore vierge, peu déboisée.                                                         Ferré, Brel, Brassens, Barbara, Sylvestre.
     Elle ouvre à tous les possibles. Malgré les                                                     De Baudelaire, elle retiendrait l’extrême
     chatoiements des feuilles, Émilie et Ovila                                                      lucidité, de Rimbaud, la rage latente,
     flairent l’« odeur du vent ». Dans « Voir       « L’Opéra-Folk s’ouvre sur une pièce             la subversion du « petit poète de sept
     grand, voir devant I », Rivard cerne bien      instrumentale, “Dans les bois”.                  ans ». Auteure-compositeure-interprète,
     la « fougue » et le « courage » de la jeune    La nature est encore vierge, peu                 pianiste, arrangeure, Juliette touche à tout.
     institutrice de seize ans : « J’écrivais à     déboisée. Elle ouvre à tous les                  Des albums à retenir : Rimes féminines –
     la craie º Les mots qui font la vie ». Suit    possibles. Malgré les chatoiements               œuvre de collaboration avec un parolier
     « Joue de l’accordéon », où Caleb transmet     des feuilles, Émilie et Ovila flairent            de génie, Pierre Philippe, ayant signé des
     à Émilie le plus bel héritage : « si le ciel   l’« odeur du vent. »                             textes admirables pour Jean Guidoni dans

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les années quatre-vingt –, Chansons et           pour mon cœur ». La présence d’une
                                      rimes, Ma vie, mon œuvre (vol.1), 20 ans,        chanson d’Adamo peut surprendre. Mais,
                                      20 chansons. À travers les histoires qu’elle     étonnamment, et cela depuis plusieurs
                                      raconte, elle donne la parole aux femmes.        années, la plupart des jeunes chanteurs
                                      Mais, ce qui plaît surtout chez elle, c’est      de la génération actuelle (Cali, Jeanne
« J’ai peur de la rencontre           son humour et sa présence en scène, très         Cherhal, Renan Luce, Raphaël) reprennent
                                      théâtrale.                                       des vieux succès d’Adamo ou créent de
avec le passé qui revient
                                          Regroupant cinq compositions et              nouvelles chansons avec lui. « Une chose
pour affronter ma vie                 autant de reprises ou d’adaptations de           pareille » raconte avec un humour noir
J’ai peur des nuits                   chansons, No parano est le ciquième              la relation stérile entre une femme et un
peuplées de souvenirs                 album de Juliette. Parmi les pièces écrites      homme enlisés dans la routine. Assiste-t-
qui enchaîneront ma rêverie           par elle, nous retrouvons dans « Rhum-           on à la vengeance de la femme ou l’homme
Mais le voyageur qui fuit             Pomme » la Juliette légère et coquine,           provoque-t-il lui-même sa fin ?
                                      dans « La lueur dans l’œil », la Juliette            Au fil des disques, les influences musi-
tôt ou tard arrête sa marche
                                      sensuelle (« Cette lueur dans mon œil qui        cales sont multiples : la chanson française,
et même si l’oubli qui détruit tout   te suit à la trace º Tous les sens aux aguets    le musette, la musique classique, le tango.
a tué mon rêve ancien                 et la griffe rapace º Fait patte de velours,     L’instrumentation sort du commun :
il recèle une espérance infinie       rejoue et puis se lasse º Mon œil dans ton       accordéon, violoncelle, clarinette basse,
une dernière chance pour mon cœur »   œil est un félin qui chasse »), dans « Rue       marimba et percussions. Sur No parano,
                         [Volver]     Roger Salengro », la nostalgique, fidèle à       les rythmes latino-américains sont multi-
                                      ses rêves d’enfance. D’autres chansons           ples : le tango bien sûr, mais aussi le bolero,
                                      témoignent de l’anticonformisme absolu           le calypso, le candombe, la rumba.
                                      de la chanteuse. Dans « The ‘Single’ », elle
                                      tourne en dérision le star system, les plans     *   Journaliste culturel et animateur de l’émission
                                      de carrière, le jeu de la convergence : « Les        Syracuse-Jazz, chansons et rythmes du
                                                                                           monde et de l’émission Univers francophone,
                                      Inrocks salueront tout au long de leurs              consacrée à la chanson francophone et à des
                                      pages º La diva du mainstream la pop star            entrevues en théâtre et en littérature, à CKRL,
                                      pas si sage ! º J’irai sur les plateaux parler       radio communautaire de Québec.
                                      de ma musique º De l’électro-pop chic à
                                      tendance acoustique ». Dans « Que tal ? »,
                                      elle se moque de la bourgeoisie et, un peu
                                      à la manière de Vian dans « J’voudrais pas
                                      crever », affirme son désir de vivre avant
                                      de mourir.
                                          Parmi les reprises, des chansons ou des
                                      textes de Salvatore Adamo, Serge Gains-
                                      bourg, Carlos Gardel et Jacques Prévert.
                                      Le moment le plus fort de l’album est sans
                                      doute l’interprétation de « Volver », pièce
                                      emblématique du tango des années trente,
                                      poème d’Alfredo Le Pera mis en musique
                                      par Gardel et offert ici dans la traduction
                                      de Nilda Fernandez, un autre personnage
                                      unique dans le paysage de la chanson
                                      française des trente dernières années.
                                      « Volver » exprime avec nostalgie la valse-
                                      hésitation entre le passé et le présent :
                                      « J’ai peur de la rencontre º avec le passé
                                      qui revient º pour affronter ma vie º J’ai
                                      peur des nuits º peuplées de souvenirs º
                                      qui enchaîneront ma rêverie º Mais le
                                      voyageur qui fuit º tôt ou tard arrête sa
                                      marche º et même si l’oubli qui détruit
                                      tout º a tué mon rêve ancien º il recèle une
                                      espérance infinie º une dernière chance

                                                                                                 P R I N T E M P S 2011 | Québec français 161   95
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