E LA REVUE EUROPÉENNE - La revue européenne des médias et du ...
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printemps 2011 été n° 18-19 LA REVUE EUROPÉENNE des médias Twitter ou Facebook : nouveaux collecteurs d’infos ? Cyber-censure : le Net ne libère pas la presse Mobile : bataille pour les places de marché L’Internet des objets ou l’Internet des choses IRebs IREC Institut de Recherche de l’European Business School UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS PARIS 2
sommai g FOCUS En Europe p.4 l Economie 19 PQN : les banques, acteurs du marché l Droit 20 L’Europe ne fabrique plus de téléviseurs grand public 21 News Corp. peut racheter BSkyB 4 Exception culturelle française : la loi Lang s’applique en ligne 24 En prenant le contrôle de KBW, Liberty Global réunit les numéros 2 et 3 du câble en Allemagne 6 En Belgique et au Royaume-Uni, le foot se joue en clair 25 ProSiebenSat1 cède ses actifs belges et néerlandais, héritage de la fusion avec SBS 7 La responsabilité d’Internet : détermination des personnes responsables des contenus et des usages 26 Le poids d’Internet dans le PIB en France et la des services de communication au public en ligne valorisation des entreprises technologiques impres- sionnent 8 Espagne : droits de propriété intellectuelle et services de communication au public en ligne l Usages 10 Verdicts défavorables à Google 30 Réquisitoire, à coups d’enquêtes, contre la télévision 13 Les données personnelles et la publicité comporte- pour les plus jeunes mentale 32 Les Français « sous pression médiatique » 14 Les données personnelles et la lutte contre le terrorisme 33 Non pas un, mais trois fossés numériques en France l Techniques 39 Dans quelle langue surfez-vous ? 41 Les internautes européens fréquentent plus Facebook 16 Le graphène, une découverte fondamentale que Google Vitesse de transmission de données : record battu en Allemagne 17 L’Internet du futur ou la révolution des données Ailleurs p.43 Les équipements de téléphonie mobile se font discrets 43 AOL joue à plein la carte des contenus 18 Toujours pas de GPS européen 45 Aux Etats-Unis, Google modifie son algorithme en réponse aux webspams
re gg Les acteurs globaux p.48 48 La fusion Comcast-NBC Universal autorisée, Vivendi Google Démocratie, Laurent Alexandre et David Angevin, Editions Naïve, 399 p., février 2011 Tous connectés ? Enquête sur les nouvelles pratiques prend le contrôle total de SFR numériques, une exposition à la Cité des sciences de Paris 50 Musique : EMI et Warner Music changent de mains Immaterials: light painting Wi-Fi, yourban.no A retenir p.51 g 51 Curator / Curation ARTICLES & CHRONIQUES p.60 52 Digital Mum 60 l Twitter ou Facebook : nouveaux collecteurs d’infos ? 53 Silver-surfer vs Atawad Francis Balle 54 Mème internet 62 l Cyber-censure : le Net ne libère pas la presse Françoise Laugée 55 Un chiffre ou deux... 68 l Mobile : bataille pour les places de marché Alexandre Joux Vient de paraître p.56 76 l L’Internet des objets ou l’Internet des choses Jacques-André Fines Schlumberger 56 Technologies Clés 2015, ministère de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, industrie.gouv.fr/tc2015, 312 p. (TIC p.58-108), mars 2011. 58 L’avenir sera hybride, Point de vue de l’UER, Union européenne de radio-télévision, Genève, 8 p., ebu.ch, avril 2011. 59 Et aussi... The Rice of Generation C, How to prepare for the Connected Generation’s transformation of the consu- mer and business landscape, Roman Friedrich, Michael Peterson and Alex Koster, strategy+business, issue 62, Booz & Compagny Inc., strategy- business.com, 10 p. spring 2011
Conseil scientifique l Alberto ARONS DE CARVALHO, professeur, Université de Lisbonne (Portugal) l Roger de la GARDE, professeur, Université Laval (Canada) l Elihu KATZ, professeur, The Annenberg School of Communication, Université de Pennsylvanie (Etats-Unis) l Vincent KAUFMANN, professeur, Université St. Gallen (Suisse) l Soel-ah KIM, professeur, Université Korea (Corée du Sud) l Robin E. MANSELL, professeur, London School of Economics (Royaume-Uni) l Habil Wolfgang SCHULZ, professeur, Université de Hambourg (Allemagne) 3
En Europe l Droit Les éditeurs français garderont le contrôle de la gg valeur des fichiers numériques, quel que soit le lieu d’implantation du diffuseur. Le prix fixé par l’éditeur s’impose à tous les diffuseurs vendant des livres en France (la loi de finances 2011 fixe un taux de TVA Exception culturelle française : la loi Lang de 5,5 % à compter du 1er janvier 2012), y compris s’applique en ligne ceux qui sont installés à l’étranger : les distributeurs américains Amazon, Google et Apple sont donc La France a pris les devants en adoptant, la pre- concernés. Une disposition adoptée en connais- mière, une loi imposant à tous le prix unique du livre sance de cause par le législateur français qui s’op- numérique. En allant délibérément à l’encontre du pose donc ouvertement au principe juridique droit communautaire, elle espère avec le temps par- européen du pays d’origine : cette disposition est venir à convaincre les autres Etats membres du contraire à la législation européenne. bien-fondé de sa décision. Elle se lance à terme Cette clause d’extra-territorialité a été introduite par la dans une bataille juridique pour protéger la filière du volonté des sénateurs qui l’ont ajoutée à la première livre de l’effondrement économique dont celle de la version du texte voté par les députés en février musique a été victime. Bruxelles pourrait, dans le 2011, version selon laquelle le prix unique du livre même temps, ouvrir une enquête pour pratiques ne devait concerner que les éditeurs et distributeurs anticoncurrentielles. de livres numériques installés en France. Avant de changer d’avis à la suite du vote des sénateurs, le Le 17 mai 2011, le Parlement français a voté à la ministre de la culture lui-même y voyait un risque quasi-unanimité - fait rare - une loi sur le prix unique « d’insécurité juridique ». Mais, après l’adoption par du livre numérique. Avant d’être définitivement les députés, en seconde lecture, du compromis adopté, le texte a néanmoins été modifié trouvé par la commission mixte paritaire Assemblée- plusieurs fois à la faveur de navettes parlementaires. Sénat, Frédéric Mitterrand a considéré qu’il s’agis- Trente ans après la loi Lang de 1981 qui sait d’une « avancée historique » et « d’une loi impose aux éditeurs un prix unique pour les livres fondatrice pour la filière du livre et la régulation des imprimés, la France, pays précurseur dans ce industries culturelles à l’ère numérique ». domaine, a étendu cette mesure économique au Cette initiative parlementaire a été saluée par les commerce en ligne des livres en introduisant une représentants du secteur de l’édition tels que le clause d'extra-territorialité. syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC) et les éditeurs. Les auteurs se sont également La France anticipe le développement d’un oligopole déclarés satisfaits puisque la loi prévoit le dans la diffusion des livres. Elle entend soutenir principe « d’une rémunération juste et équitable » l’industrie du livre face à l’existence d’une compéti- dans le cadre de l’exploitation de leurs œuvres sur tion que les acteurs français du livre considèrent Internet et « une reddition des comptes explicite et déloyale, due à l’exemption de contribution fiscale et transparente » de la part des maisons d’édition. d’autres obligations de soutien à la culture dont bénéficient les acteurs étrangers. Le marché du livre La France défend ainsi l’idée d’une régulation du numérique émerge à peine en France, avec 1 % des marché du livre en ligne, identique à celle appliquée ventes, contre 10 % aux Etats-Unis, où la librairie en aux livres imprimés à la faveur de la loi de 1981 ligne Amazon domine le marché avec sa tablette qui a permis le maintien d’un réseau de librairies sur Kindle. son territoire, contrairement au Royaume-Uni ou aux En Europe 4
Etats-Unis, pays où le prix de vente des livres est à Paris, en mars 2011, une rumeur circulait, lais- établi par contrat entre un éditeur et un distributeur. sant entendre que ces enquêtes étaient le résultat de La loi française de mai 2011 devra être défendue la politique de lobbying menée par le géant améri- par le gouvernement face aux autorités européennes cain Amazon. La Commission européenne indique, comme le fut en son temps la loi Lang. A deux quant à elle, avoir été motivée dans sa démarche reprises déjà, en décembre 2010 et janvier 2011, la par des lettres de doléances reçues de consomma- Commission européenne a exprimé des réserves teurs et de parlementaires. dans des avis circonstanciés adressés aux autorités Premier pays à se lancer ouvertement dans la françaises, quant à la conformité de la clause bataille du commerce des biens culturels sur d’extra-territorialité aux principes communautaires Internet, la France, à l’origine du principe d’exception de « libre prestation de service » et de « libre éta- culturelle, pourrait être rejointe par d’autres pays blissement ». En outre, au regard de la Commission européens. L’Espagne et les Pays-Bas préparent eux européenne, la France devra justifier de l’impératif aussi une loi sur le prix unique du livre numérique. de l’objectif poursuivi, ainsi que de l’adéquation des Mais Bruxelles, devant le fait accompli, pourrait moyens employés pour y parvenir. ouvrir une procédure d’infraction. Dans un éditorial intitulé Résistance numérique dans le quotidien Les En mars 2011, alors que le texte de la future loi était Echos du 19 mai 2011, David Barroux conclut : encore en débat, la Commission européenne a « Mais tant sur un front technique que légal, cette loi demandé que soient effectuées des perquisitions par risque d’être impossible à faire respecter. […] Diffi- les inspecteurs de son service de la concurrence au cile politiquement en effet d’agir à la chinoise en sein du Syndicat national de l’édition (SNE) et de bloquant purement et simplement un site. Surtout plusieurs grandes maisons d’édition françaises que Bruxelles se retournerait contre la France si elle (Albin Michel, Flammarion, Hachette, Gallimard et attaquait des cybercommerçants qui ne respectent La Martinière), sans que leurs responsables en aient peut-être pas la loi française mais qui n’ont commis été préalablement informés. Bruxelles soupçonne les aucun délit aux yeux d’autres pays de l’Union. […] éditeurs d’entente illicite sur la fixation du prix des A l’heure où le e-commerce et l’économie immaté- livres numériques. L’enquête, qui n’est pas encore rielle tirent la croissance, les Etats dont les lois formellement ouverte, viserait notamment les restent prisonnières de leurs frontières doivent-ils ab- contrats de mandat passés entre, d’un côté, les diquer ? Non, car si agir ne garantit pas le succès, plates-formes iTunes d’Apple, FnacBook et, de ne rien faire mènera au pire ». l’autre, les éditeurs, contrats ayant permis à ces der- FL niers de garder la main sur la fixation des prix tout en reléguant les distributeurs dans un simple rôle Sources : d’agent. Aucun accord de cette nature n’a été trouvé - « Bruxelles soupçonne les éditeurs français d’entente sur les prix du avec Amazon. Fin 2009, l’Autorité de la concurrence livre numérique », Alexandre Counis avec Nathalie Silbert, Les Echos, 3 mars 2011. saisie par le ministère de la culture avait reconnu - « Suspicions sur les pratiques des éditeurs dans le numérique », dans un avis que ces contrats de mandat pouvaient Sandrine Cassini, La Tribune, 3 mars 2011. « faire l’objet de pratiques anticoncurrentielles ». La - « Les éditeurs français dans le viseur de l’Union européenne pour en- France n’est pas le seul pays concerné par cette tente sur le prix des livres numériques », Alain Beuve-Méry et Philippe démarche inquisitrice, étendue notamment à Ricard, Le Monde, 4 mars 2011. - « Amazon s’invite dans le débat français sur le prix du livre numé- l’Allemagne où le groupe Bertelsmann a également rique », Sandrine Bajos, La Tribune, 29 mars 2011. reçu la visite des enquêteurs. Les peines encourues - « Prix unique du livre électronique : le Sénat réintroduit la clause pour entente illégale peuvent atteindre jusqu’à 10 % d’extra-territorialité », ZDNet, zdnet.fr, 31 mars 2011. du chiffre d’affaires total des maisons d’édition. La - « Le prix du livre numérique définitivement voté », AFP, tv5.org, méthode employée par Bruxelles aurait-elle contri- 17 mai 2011. bué au revirement d’opinion du gouvernement - « Le prix unique du livre numérique s’imposera à tous », D.C., La Tribune, 19 mai 2011. français ? Au Royaume-Uni, l’Office of Fair Trading - « La France adopte le prix unique pour l’e-book malgré la menace de (OFT), instance de régulation de la concurrence, a Bruxelles », Nathalie Silbert et Alexandre Counis, Les Echos, annoncé en février 2011 l’ouverture d’une enquête 19 mai 2011. de même nature à l’encontre des éditeurs britan- - « Résistance numérique », David Barroux, Les Echos, 19 mai 2011. niques Penguin du groupe Pearson et Harper - Loi n°2011-590 du 26 mai 2011, publiée au Journal officiel le Collins de News Corp. Lors du dernier Salon du livre 28 mai 2011, legifrance.gouv.fr 5
Droit En Belgique et au Royaume-Uni, le foot commis d’erreur en autorisant la Belgique et le se joue en clair Royaume-Uni à considérer les compétitions comme des événements d’importance majeure pour la La justice européenne a confirmé le bien-fondé de société, rappelant que ces compétitions ont une l’autorisation donnée par la Commission euro- importance pour les citoyens et non pour les seuls péenne à la Belgique et au Royaume-Uni de consi- amateurs de football. Dans ce cas, « le droit à dérer l’Euro et la Coupe du monde de football l’information » et « la nécessité d’assurer un large comme des événements d’importance majeure pour accès du public aux retransmissions télévisées de la société. Cette décision implique que les compéti- ces événements » l’emportent sur la liberté de pres- tions doivent être retransmises à la télévision sans tation de services et la liberté d’établissement, c’est- exclusivité, c’est-à-dire en clair, ce que contestaient à-dire sur la liberté commerciale revendiquée par la l’UEFA et la FIFA, qui espéraient céder une partie de FIFA et l’UEFA. Ces dernières souhaitaient vendre leurs droits aux chaînes payantes de chacun de ces leurs droits également aux chaînes payantes, deux pays. lesquelles ont plus de moyens et sont prêtes à miser sur des exclusivités coûteuses pour fidéliser leurs Le 17 février 2011, le Tribunal de première instance abonnés. Avec cette décision, la vente des droits de de l’Union européenne a confirmé le droit, pour les diffusion des matchs de l’Euro et de la Coupe du pays de l’Union, d’interdire la retransmission monde risque probablement d’être moins lucrative, payante et exclusive des matchs pour la Coupe du d’autant que le Tribunal de première instance a éga- monde de football, organisée par la Fédération lement refusé la possibilité de « saucissonner » les internationale de football (FIFA), et pour la Coupe droits de diffusion, en laissant certains matchs en d’Europe de football, organisée par l’Union des clair quand d’autres pourraient être réservés aux associations européennes de football (UEFA). Cette chaînes payantes. décision de la justice européenne fait suite aux pour- suites engagées par la FIFA et l’UEFA contre deux Le Tribunal a considéré chaque compétition comme États membres, la Belgique et le Royaume-Uni, un tout en refusant de séparer de l’ensemble des lesquels ont considéré la Coupe du monde de foot- rencontres les matchs dits « prime » ou « gala » ball comme un événement d’importance majeure (demi-finale, finale, ouverture de la compétition, pour la société, donc devant être retransmis en clair matchs de l’équipe nationale), traditionnellement en à la télévision, la Belgique ayant par ailleurs inscrit clair. Pour le Tribunal, les autres rencontres peuvent également la Coupe d’Europe (Euro) parmi les avoir une incidence sur la valeur des matchs « prime » événements d’importance majeure. En vertu de la ou « gala » à l’issue de la compétition, par exemple directive du 3 octobre 1989 relative à l’exercice suivre en amont le parcours du pays qui affrontera d’activités de radiodiffusion télévisuelle, les États l’équipe nationale si celle-ci se qualifie pour la membres peuvent, en effet, interdire la retransmis- finale, et donc susciter de la même manière l’intérêt sion exclusive des événements revêtant une « im- du public. Comme « il ne peut être déterminé à portance majeure pour leur société », si cette l’avance, […] quels matchs seront vraiment décisifs retransmission exclusive prive une partie importante pour les étapes ultérieures de ces compétitions ou du public de l’accès aux images, ce qui est le cas ceux qui auront un impact sur le sort d’une équipe par exemple quand un événement est retransmis sur nationale donnée », l’inscription d’une compétition une chaîne payante. Pour éviter les abus, les États comme événement d’importance majeure impose membres communiquent pour validation à la Com- donc que celle-ci soit accessible sans exclusivité mission européenne la liste des événements jugés pour l’ensemble des matchs et non pour les seuls d’importance majeure ; la Belgique et le Royaume- matchs « prime » ou « gala ». Uni ayant inscrit la Coupe du monde et la Coupe AJ d’Europe de football parmi ces événements d’importance majeure, la Commission européenne a accepté cette décision que contestaient l’UEFA et la Sources : - « Foot : les télés payantes peuvent être privées de Mondial », AFP, FIFA. 17 février 2011. - « Un État peut interdire la retransmission exclusive des matchs de Dans son verdict, le Tribunal de première instance a Coupe du monde et de l’Euro par les payantes, selon la justice euro- considéré que la Commission européenne n’a pas péenne », La Correspondance de la presse, 18 février 2011. En Europe 6
La responsabilité d’Internet : détermina- sages de toute nature fournis par des destinataires tion des personnes responsables des de ces services ». Ces prestataires ou intermédiaires contenus et des usages des services de techniques n’effectuent aucun choix. Ils n’ont communication au public en ligne aucune maîtrise des contenus mis en ligne et ainsi rendus accessibles. Sinon, ils seraient (aussi) des A propos de l’arrêt de la Cour de cassation, du éditeurs de services. 17 février 2011, Sté Nord-Ouest production c. Sté Dans l’affaire qui opposait Nord-Ouest production, Dailymotion, relatif à la mise en ligne du film Joyeux titulaire des droits de propriété intellectuelle du film Noël. Joyeux Noël, à Dailymotion, c’est en considérant que cette dernière n’assure que des fonctions n’in- Prestataires techniques, éditeurs de services ou des- duisant « pas une capacité d’action du service sur tinataires de services ? Telle est l’interrogation pre- les contenus mis en ligne » que la Cour de cassa- mière à laquelle il convient de répondre pour tion, dans son arrêt du 17 février 2011, retient déterminer, en droit français, les personnes respon- qu’elle « était fondée à revendiquer la qualité sables des contenus et des usages des services de d’intermédiaire technique ». communication au public en ligne, tant du fait d’abus de la liberté d’expression que de violations Quant aux éditeurs de services, pour leur imposer des droits de propriété intellectuelle. Les raisons et des obligations distinctes, conditionnant la mise en les conditions de la mise en jeu de la responsabilité jeu de leur responsabilité, la loi du 21 juin 2004 fait des uns ou des autres diffèrent. Pour tenter d’y une différence entre les éditeurs selon qu’ils sont échapper, certains tentent de créer la confusion professionnels ou non professionnels. Les uns et les quant à la nature exacte de la fonction qu’ils exer- autres déterminent les contenus mis en ligne par l’in- cent. Les juges s’y sont parfois trompés. La solution termédiaire des prestataires techniques. Aux termes implique une claire identification des fonctions exer- de l’article 6.III.1 de la loi du 21 juin 2004 peuvent cées et l’exacte prise en compte des conditions de la ainsi être qualifiées « les personnes dont l’activité responsabilité telles qu’elles sont déterminées par est d’éditer un service de communication au public les textes (loi du 21 juin 2004, dite « pour la en ligne ». Les éditeurs amateurs ne sont pas autre- confiance dans l’économie numérique », ou les ment mentionnés, par l’article 6.III.2 de la loi du deux lois « Hadopi », des 12 juin et 28 octobre 21 juin 2004, que comme « les personnes éditant 2009, inscrites dans le code de la propriété intel- à titre non professionnel un service de communica- lectuelle). tion au public en ligne ». C’est parce qu’ils ont fait le choix des contenus rendus accessibles sur Inter- Identification des fonctions net que les éditeurs de services, professionnels ou amateurs, sont ainsi identifiés. En matière de détermination des personnes respon- sables des contenus qui circulent sur Internet ou de Les destinataires de services sont les internautes, l’utilisation qui en est faite, il en va différemment des titulaires ou utilisateurs d’accès à Internet qui, par prestataires techniques, des éditeurs de services ou l’intermédiaire des prestataires techniques, se des internautes, destinataires des services. connectent aux contenus déterminés ou élaborés par Parmi les prestataires techniques, il convient de les éditeurs de services. L’interactivité ou certains distinguer les fournisseurs d’accès et les fournis- usages conduisent quelques-uns d’entre eux à avoir seurs d’hébergement. Les fournisseurs d’accès sont également ce statut et, en conséquence, à en assu- définis par l’article 6.I.1 de la loi du 21 juin 2004, mer la responsabilité. comme étant « les personnes dont l’activité est d’of- frir », aux internautes, « un accès à des services de Conditions de la responsabilité communication au public en ligne ». Sans même employer cette dénomination, l’article 6.I.2 de la loi La mise en jeu de la responsabilité de ceux qui du 21 juin 2004 décrit les fournisseurs d’héberge- assument l’une ou l’autre des fonctions mentionnées ment comme les personnes qui assurent « pour est subordonnée à des conditions différentes, selon mise à disposition du public par des services de qu’il s’agit des prestataires techniques, des éditeurs communication au public en ligne, le stockage de de services ou des internautes, destinataires des signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de mes- services. 7
Droit Les prestataires techniques échappent normalement cas, faute de fixation préalable, c’est la responsabi- à la mise en jeu de leur responsabilité ou, tout au lité personnelle de l’internaute qui doit être mise en moins, s’agissant des fournisseurs d’hébergement, cause. celle-ci ne peut-elle être engagée qu’à certaines Outre cette cause de mise en jeu de la responsabi- conditions. En des termes légèrement différents lité des destinataires de services pour abus de la selon qu’il s’agit de responsabilité civile ou pénale, liberté d’expression, il convient d’envisager les faits l’article 6.I, en ses 2 et 3, de la loi du 21 juin 2004 d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle et, dispose que les fournisseurs d’hébergement « ne notamment, en application des lois dites « Hadopi » peuvent pas voir leur responsabilité […] engagée (12 juin et 28 octobre 2009), intégrées dans le du fait des activités ou des informations stockées à code de la propriété intellectuelle, à raison des pra- la demande d’un destinataire de ces services si (ils) tiques de téléchargement illégal. A cet égard, doit n’avaient pas effectivement connaissance de leur être distinguée la situation des utilisateurs d’accès et caractère illicite ou de faits ou de circonstances fai- celle des titulaires d’accès. Téléchargeant illégale- sant apparaître ce caractère ou si, dès le moment ment, les utilisateurs d’accès à Internet pourront être où (ils) ont eu cette connaissance, (ils) ont agi retenus comme coupables de contrefaçon, promptement pour retirer ces données ou en rendre soumis à une répression particulière. S’agissant des l’accès impossible ». La « notification » des faits titulaires d’accès à un service de communication au litigieux doit satisfaire aux exigences contraignantes public en ligne, c’est pour « négligence caractérisée » de l’article 6.I.5 de la même loi. dans la surveillance de l’usage fait de sa connexion Dans l’arrêt cité, la Cour de cassation considère que Internet, dans des conditions portant atteinte aux la notification n’avait pas satisfait « à l’obligation de droits de propriété intellectuelle, que leur responsa- décrire et de localiser les faits litigieux ». Elle en bilité peut être engagée et que, en application de conclut « qu’aucun manquement à l’obligation de l’article L. 335-7-1 CPI, ils peuvent être l’objet de la promptitude à retirer le contenu illicite ou à en inter- peine complémentaire de suspension de leur accès, dire l’accès ne pouvait être reproché à la société pour une durée maximale d’un mois. Dailymotion ». La mise en jeu de la responsabilité du fait des conte- Ayant fait le choix des contenus, les éditeurs de ser- nus et des usages des services de communication vices en sont responsables. S’agissant des abus de au public en ligne oblige notamment à une claire la liberté d’expression, les éditeurs de services, pro- identification des fonctions exercées par les diffé- fessionnels ou amateurs, personnes physiques ou rents intervenants : prestataires techniques, éditeurs morales, en assument la responsabilité civile. de services et destinataires des services. Une grande S’agissant de la responsabilité pénale des infrac- confusion subsiste à cet égard. Elle est accentuée tions définies par la loi du 29 juillet 1881 et par par tous ceux qui, en jouant sur les mots, tentent de quelques autres textes, s’applique, du fait de la se soustraire ainsi à leurs responsabilités. fixation préalable, le régime de la responsabilité dite ED « en cascade » de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982. Le directeur de la publication est Sources : alors considéré comme auteur principal. « A défaut, - « Internet et responsabilité. Détermination des personnes responsables, éléments de jurisprudence récente », E. Derieux, Petites affiches, l’auteur et, à défaut de l’auteur, le producteur sera p. 6-19, 11 juillet 2008. poursuivi comme auteur principal ». - « Responsabilité des services de communication au public en ligne. Cependant, le même article pose désormais, en son Détermination des responsables », E. Derieux, RLDI/59, n° 1964, dernier alinéa, que « lorsque l’infraction résulte du p. 58-69, avril 2010. contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un Espagne : droits de propriété intellectuelle espace de contributions personnelles identifié et services de communication au public comme tel, le directeur ou le codirecteur de publica- en ligne tion ne peut pas voir sa responsabilité engagée […] s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connais- Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ? sance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi Par des dispositions additionnelles diverses promptement pour retirer ce message ». Dans ce (43e disposition finale) à la loi du 4 mars 2011 En Europe 8
relative à l’économie durable (texte de 200 pages, membres nommés par le ministre de la culture, sur aux multiples éléments), ont été introduites, dans proposition des ministères de l’économie, de la différents textes antérieurs du droit espagnol, des culture et de la justice) est chargée des fonctions de mesures concernant la « protection des droits de médiation et d’arbitrage ; la seconde (présidée par propriété intellectuelle » à l’égard des services de le sous-secrétaire d’Etat à la culture ou son repré- communication au public en ligne (loi du 11 juillet sentant, et d’un représentant du chef du gouverne- 2002 relative aux services de la société de l’infor- ment et des ministères de la culture, de l’industrie, et mation et de commerce électronique, décret-loi du de l’économie) assurera la protection des droits de 12 avril 1996 de réforme de la loi de la propriété propriété intellectuelle à l’égard des atteintes qui y intellectuelle, loi du 13 juillet 1998 relative à la sont portées dans le cadre des services de commu- juridiction administrative pour la protection de la pro- nication au public en ligne. Si ce n’est la nature priété intellectuelle dans le cadre de la société de juridique des institutions et leur composition ou l’information et du commerce électronique). Ces mo- mode de nomination, apparaissent ainsi certaines dalités de modification et d’adaptation partielle de des distinctions qui sont celles, en droit français, du textes divers et dispersés, causes d’une grande collège de la Hadopi et de sa Commission de instabilité et incertitude du droit, ne sont assurément protection des droits. pas satisfaisantes. Comme ne le sont sans doute Dans sa fonction de médiation, la première section pas davantage les mesures adoptées, en ce qu’elles de ladite commission espagnole interviendra, en introduisent des possibilités administratives particu- l’absence d’accords contractuels, dans les lières d’identification des personnes, d’interruption domaines de la gestion collective des droits de d’un service ou de retrait des contenus contrefai- propriété intellectuelle et pour l’octroi des autorisa- sants, même si celles-ci sont, comme en France, tions de diffusion par câble des programmes de subordonnées à une décision judiciaire. Dans la radiodiffusion. lutte contre les pratiques de téléchargement illégal, Dans sa fonction d’arbitrage, elle interviendra dans des similitudes apparaissent ainsi entre les sys- les conflits susceptibles de naître entre les titulaires tèmes espagnol et français. de droits de propriété intellectuelle et les organismes Par un nouveau paragraphe 2 de l’article 8 de la loi de gestion de droits ou entre ceux-ci et les exploi- du 11 juillet 2002, il est posé que l’identification des tants des œuvres. personnes (le texte n’établit aucune distinction entre Face aux atteintes aux droits de propriété intellec- les éditeurs de services ou les internautes qui ne font tuelle, du fait des services de la société de l’infor- l’objet d’aucune mention particulière) soupçonnées mation, la seconde section de la même commission de procéder, sur Internet, à des exploitations illégales pourra prendre les mesures ordonnant l’interruption d’œuvres et de prestations protégées pourra, sur au- du service ou le retrait des contenus contrefaisants. torisation de justice, être obtenue des prestataires de Avant l’adoption de pareilles mesures, un délai service. Ceux-ci y seront dès lors tenus. maximal de 48 heures devra être laissé au service Dans la loi relative à la propriété intellectuelle est in- pour qu’il procède, par lui-même, au retrait des troduite une disposition additionnelle aux termes de contenus litigieux ou qu’il justifie de ses droits. L’exé- laquelle le ministère de la culture « veillera à la pro- cution de la mesure administrative nécessitera tection de la propriété intellectuelle à l’encontre des cependant une autorisation judiciaire. Il est par atteintes qui y seraient portées par les responsables ailleurs précisé que tout cela sera sans préjudice de de services de la société de l’information ». Cela sera toute action civile ou pénale ordinaire. notamment assuré par une instance administrative En Espagne, d’une certaine façon comme en France, spéciale nouvelle. l’opposition aux modalités d’un contrôle adminis- Relatif à la « Commission de la propriété intellec- tratif spécifique (entraînant interruption du service ou tuelle », l’article 158 de la loi de la propriété intel- retrait des contenus litigieux) des atteintes aux droits lectuelle de 1996 est ainsi modifié : « 1. Est créée, de propriété intellectuelle du fait des services de au ministère de la culture, sous forme d’organisme communication au public en ligne a conduit, dans collégial de compétence nationale, la Commission des conditions différentes cependant, à moduler de la propriété intellectuelle, chargée des fonctions celui-ci par une nécessaire intervention judiciaire. de médiation, d’arbitrage et de sauvegarde des En dépit de cela, tout aussi inquiétant et contestable droits de propriété intellectuelle ». Elle comprend à l’égard du respect des libertés individuelles, un tel deux sections : la première (composée de trois système, finalement lourd et compliqué, y sera-t-il 9
Droit plus efficace dans la nécessaire protection des droits numérisées sans autorisation, et 45 millions pour de propriété intellectuelle ? Ou, malgré quelques couvrir les frais de justice. La création d’un Fonds variantes, le même constat critique pourra-t-il être des droits du livre était également prévu, fonds à tra- fait de part et d’autre des Pyrénées ? vers lequel Google s’engageait à partager les ED recettes émanant de la commercialisation des livres, réservant 63 % de cette somme aux éditeurs aux- quels il revenait a posteriori de se manifester pour Verdicts défavorables à Google dire s’ils acceptaient ou non que leurs ouvrages soient numérisés et vendus en ligne. Et c’est préci- La stratégie « googlelienne » du « ça passe ou ça sément cette méthode du opt-out selon laquelle la casse » a peut-être atteint ses limites. Sous le coup numérisation s’est faite de façon systématique, sans de nombreux procès ou d’enquêtes touchant à ses l’autorisation préalable des auteurs - c’est-à-dire multiples activités sur Internet aux Etats-Unis, en sans leur offrir le choix de s’en exclure a priori Europe et ailleurs (voir REM n°14-15, p.12 et n°16, (opt-in) - que le juge Denny Chin a également p.7), Google se voit contraint de respecter les légis- condamnée, interdisant ainsi à Google de pratiquer lations en vigueur. Face à des partenaires écono- la copie numérique d’ouvrages à grande échelle miques, pris par surprise, qui peinent à réagir, faute « sans permission ». Pour Google, l’opt-in rendait de trouver des solutions alternatives, les pratiques immédiatement inexploitables des dizaines de du géant américain sont en passe de devenir la millions de livres pour lesquels les ayants droit sont norme sur le Web. inconnus. La Guilde des auteurs et l’Association des éditeurs Face aux maisons d’édition et aux auteurs américains ont déclaré regretter que cette décision de justice mette ainsi fin à la constitution de « cette « Pas équitable, adéquat ou raisonnable » : ce sont Alexandrie des livres épuisés », qui aurait permis, les termes du verdict du juge fédéral de New York en ouvrant un large accès aux œuvres désormais attendu depuis plus d’un an. Denny Chin a rejeté le introuvables, de créer de nouveaux marchés. Google 22 mai 2011 l’accord conclu par Google avec les a, quant à lui, annoncé qu’il allait « réviser ses auteurs et les éditeurs américains en octobre 2008. options ». Pour ses concurrents directs que sont Il s’est rendu aux arguments du Département de la Amazon, Yahoo! et Microsoft, regroupés au sein du justice de février 2010, quant à une atteinte aux collectif Open Books Alliance et menant un projet de droits d’auteur et à un abus de position dominante. numérisation des livres avec des représentants d’au- L’affaire remonte à 2005, à la suite de la plainte teurs et des bibliothèques, l’objection du juge selon déposée par l’Authors Guild et l’Association of laquelle « l’accord donnerait à Google le contrôle du American Publishers concernant Google Books. Ce marché de la recherche » sonne comme un satisfe- programme vise à créer une bibliothèque numérique cit. Du côté des consommateurs, l’association de universelle à partir des fonds des bibliothèques amé- défense de leurs droits Consumer Watchdog y voit ricaines, en numérisant des millions de livres un avertissement sévère pour Google qui devra do- épuisés, donc devenus indisponibles à la vente rénavant demander l’autorisation avant de disposer mais toujours protégés par le droit d’auteur, même de la propriété intellectuelle. si une grande partie d’entre eux sont des œuvres or- Du côté français, le gouvernement et le Syndicat na- phelines (voir REM n°13, p. 44). Sous la pression tional de l’édition (SNE) se félicitent de cette déci- des gouvernements français et allemand, l’accord sion de justice qui met en avant la nécessité de avait été révisé en novembre 2009 afin d’en limiter conclure des partenariats entre les acteurs privés et la portée aux ouvrages anglo-saxons, sachant que publics, à l’instar du protocole d’accord conclu, en plus de la moitié des ouvrages disponibles dans les novembre 2010, entre le groupe Hachette et bibliothèques américaines ont été publiés par des Google, dans le respect du droit d’auteur (voir REM éditeurs étrangers. n°17, p.15). Les protagonistes étaient finalement parvenus à un accord en 2008 selon lequel Google s’engageait à Le projet de grande bibliothèque numérique de Goo- verser 125 millions de dollars (88 millions d’euros), gle n’est pas enterré pour autant, il verra le jour à la dont 45 millions pour dédommager les ayants droit faveur d’un nouvel accord que les auteurs et les édi- et rémunérer les auteurs dont les œuvres avaient été teurs parviendront à négocier prochainement avec En Europe 10
le géant d’Internet qui a pris l’habitude d’innover débuté en septembre 2006 par une première « tête baissée ». Une pratique que la firme de Moun- condamnation de Google pour violation du droit tain View n’est d’ailleurs pas la seule à mettre en d’auteur à la suite d’une plainte de Copiepresse, œuvre puisque le Web fonctionne couramment avec société de gestion des droits des éditeurs de presse la participation implicite des internautes. Ces der- francophones et germanophones. A l’époque, le niers peuvent apposer leur veto lorsqu’ils sont aver- tribunal de grande instance de Bruxelles avait exigé tis, ce qui n’est pas toujours le cas, mais ils le le retrait des titres d’articles et des liens vers les peuvent après coup. « Quel que soit le résultat, nous journaux belges du site Google News, considérant continuerons à faire en sorte que plus d’ouvrages que les internautes étaient ainsi amenés à contourner puissent être découverts en ligne », a déclaré Hilary les messages publicitaires insérés dans les sites de Ware, directeur juridique de Google, le jour du presse. Le réexamen en février 2007 de cette déci- procès. sion de justice à la demande de Google, absent lors Avant que son projet ne fût compromis, du moins de la première audience, avait abouti au même ver- en l’état, Google avait déjà numérisé 15 millions de dict (voir REM n°0, p.4 et n°2-3, p.6). Passible livres en provenance de 35 000 éditeurs et de d’une astreinte journalière de 25 000 euros, 40 bibliothèques dans le monde. Il souhaitait ven- Google avait cessé les référencements et avait fait dre en ligne des millions d’œuvres orphelines deve- appel de cette décision. nant ainsi le premier éditeur mondial. Le 10 mai 2011, la cour d’appel de Bruxelles a En France, Google est toujours en procès avec les confirmé le précédent jugement, demandant que éditions La Martinière puisqu’il a fait appel du juge- soient retirés des sites de Google tous les articles, ment l’ayant condamné en première instance pour toutes les photographies et les représentations gra- contrefaçon de droits d’auteur en décembre 2009 phiques des journaux représentés par Copiepresse. (voir REM n°17, p. 15). Fortes de la décision juri- Accusant Google de publier les contenus des jour- dique prise outre-Atlantique, les maisons d’édition naux belges sans autorisation ni rémunération, Albin Michel et Gallimard, qui s’étaient associées un l’association Copiepresse a déclaré « espérer que an auparavant afin d’assigner Google Books en Google aura l’intelligence de rechercher une solu- justice, rejointes par Flammarion, ont finalement tion équitable pour mettre fin à cette situation ». Le franchi le pas le 6 mai 2011. Les trois éditeurs moteur de recherche américain estime, quant à lui, réclament à Google près de 10 millions d’euros de que le référencement est au contraire une pratique dommages et intérêts pour la numérisation sans qui encourage les internautes à lire les journaux en leur autorisation de 9 797 livres. Cette somme de ligne. En outre, il met à la disposition des éditeurs 1 000 euros par ouvrage correspond au dédom- les outils leur permettant d’interdire ou de limiter magement obtenu par le groupe La Martinière, soit l’accès des agrégateurs à leurs contenus. Il envisa- 300 000 euros pour 300 ouvrages numérisés sans gerait donc de se pourvoir en cassation. accord. Cette assignation adressée à la filiale de Cette décision de justice pourrait coûter cher à Google en France sera suivie d’une autre visant la Google, bien au-delà des frontières de la Belgique. maison-mère aux Etats-Unis. Si le groupe américain acceptait de négocier des droits d’auteur avec les éditeurs de journaux belges, La création d’une bibliothèque numérique universelle l’ensemble des titres de presse européens pourraient est une belle idée. Surtout si elle offre une seconde faire valoir à leur tour cette jurisprudence présentée vie aux ouvrages oubliés par les maisons d’édition, comme une première mondiale par les avocats des qui préfèrent batailler sur le marché des nouveau- journaux belges. Rien n’est moins sûr cependant, tés, et si elle ressuscite les ouvrages perdus pour la car le moteur de recherche offre une visibilité sans propriété intellectuelle, dont les éditeurs ne se pareille sur le Web. soucient plus guère. Il faut rendre hommage à En Italie, un compromis a été trouvé. Accusé d’abus Google. Mais le géant d’Internet a péché par ambi- de position dominante par la Fédération italienne tion en franchissant les limites du droit. des éditeurs de journaux (FIEG), l’agrégateur de contenus d’actualités Google News Italie a fait Face aux éditeurs de journaux l’objet d’une enquête de l’autorité de concurrence, l’Antitrust, en août 2009. Elle devait juger les termes En Belgique, la justice vient de donner une nouvelle d’un contentieux assez semblables à ceux invoqués fois raison aux éditeurs de journaux. L’affaire a par les éditeurs de journaux belges (voir REM n°12, 11
Droit p.4). Les éditeurs italiens accusaient Google News, l’intégralité des informations récupérées. Google d’une part, d’avoir un impact négatif sur leur capa- avait obtempéré en arrêtant son service Street View cité à attirer les internautes et les annonceurs sur et effacé de ses serveurs les informations captées leur propre site et, d’autre part, de renforcer le rôle de « par erreur sur des réseaux Wi-Fi non sécurisés » Google sur le marché de la publicité en ligne. Dés- (voir REM n°16, p.7). activer le référencement à Google News revenait en effet pour eux à s’exclure en même temps de Goo- Mais la CNIL accuse Google de continuer à utiliser gle Italie. L’Antitrust a annoncé le dénouement de les données identifiant les points d’accès Wi-Fi des l’enquête, en janvier 2011, à la suite des engage- internautes, sans les en informer, par le biais des ments pris par Google. Pour une durée de trois ans, terminaux mobiles des utilisateurs de son service de l’application Google News est désormais indépen- géolocalisation Google Latitude. Lancée en 2009, dante de celle du moteur de recherche Google Italie. cette application permet à un mobinaute, grâce aux Les éditeurs italiens peuvent donc utiliser un mar- données collectées par Street View, de se repérer sur queur afin de désactiver le référencement de leurs Google Maps et de localiser ses contacts. En outre, pages par l’agrégateur de contenus sans se priver Google n’avait pas respecté l’obligation de déclara- de la visibilité que leur offre le moteur de recherche tion imposée aux services de géolocalisation avant de Google. La firme américaine s’est également que la CNIL ne lui en fasse la demande. « Compte engagée à plus de transparence dans le partage des tenu des manquements constatés et de leur gravité, revenus publicitaires. L’autorité italienne de concur- ainsi que des avantages économiques que retire la rence a néanmoins indiqué qu’une loi devrait définir société Google de ces manquements », la CNIL a les conditions d’une « rémunération adéquate » pour sanctionné Google pour atteinte à la vie privée. Pour l’utilisation en ligne des contenus produits par les sa défense, Google a indiqué qu’il n’avait pas entreprises de presse dans le respect des droits de nécessairement l’obligation de déclarer l’existence la propriété intellectuelle. d’un service qui repose sur l’adhésion de ses utili- Selon « l’Agenda numérique de l’UE », la Commis- sateurs et le respect des règles de la confidentialité. sion européenne doit très prochainement faire des En outre, il considère que la loi française « Informa- propositions afin de mettre à jour la directive sur les tique et Libertés » ne s’applique pas à Google droits de propriété intellectuelle Latitude, le traitement des données étant effectué aux Etats-Unis. Google a deux mois pour déposer un Face à la CNIL recours devant le Conseil d’Etat. Présent dans plus d’une vingtaine de pays, Google C’est la plus grosse amende infligée par la Com- Street View fait également l’objet d’enquêtes appro- mission nationale de l’informatique et des libertés fondies ou de contentieux portant sur l’obligation de (CNIL) depuis qu’elle a été autorisée à attribuer des flouter certaines images ou sur la violation de la sanctions financières en 2004. La CNIL a prononcé protection des données personnelles, en Allemagne à l’encontre de Google une sanction pécuniaire de (premier pays à avoir dévoilé la captation illicite de 100 000 euros pour « collecte déloyale » d’infor- données personnelles), en Suisse, aux Pays-Bas, mations à caractère personnel en mars 2011. en Espagne, en Belgique, en Grande-Bretagne, aux Depuis son lancement en 2007, le service de Etats-Unis, en Australie, en Corée du Sud et à visualisation des rues Google Street View, obtenue à Singapour. Avec le développement des services de partir de photographies prises par les voitures de géolocalisation, Google n’est pas le seul géant Google, a permis de collecter à leur insu des infor- d’Internet à se retrouver dans le collimateur de la mations personnelles d’internautes identifiables, justice ou des instances nationales de protection des utilisateurs de réseaux Wi-Fi : données de connexion données personnelles. Le groupe Apple fait déjà à des sites web, adresses et courriers électroniques, l’objet d’une enquête concernant les applications de mots de passe de messagerie, historiques de navi- géolocalisation sur iPhone et iPad en matière de res- gation. Des visites d’internautes sur des sites de pect de la vie privée aux Etats-Unis et en Corée du rencontres, des conversations privées, ou encore Sud. Le succès des smartphones couplé à l’usage des échanges entre des patients et leur médecin, ont généralisé des réseaux sociaux offre un bel avenir à pu être ainsi très précisément localisés. En mai la géolocalisation, sésame du marché prometteur 2010, la CNIL avait mis en demeure Google de ces- de la publicité locale que visent les Google, Apple et ser cette collecte de données et de lui transmettre Facebook. En Europe 12
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