E LA REVUE EUROPÉENNE - La revue européenne des médias et du ...

La page est créée Claudine Vasseur
 
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printemps
 2011

                   été
  n° 18-19

LA REVUE EUROPÉENNE
                                                 des médias
                                                 Twitter ou Facebook :
                                                 nouveaux collecteurs d’infos ?

                                                 Cyber-censure :
                                                 le Net ne libère pas la presse
                                                 Mobile : bataille pour les places
                                                 de marché

                                                 L’Internet des objets ou l’Internet
                                                 des choses

IRebs                                                          IREC
Institut de Recherche de l’European Business School
                                                              UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS PARIS 2
sommai   g
     FOCUS
      En Europe                                     p.4
                                                              l Economie

                                                              19 PQN : les banques, acteurs du marché

     l Droit
                                                              20 L’Europe ne fabrique plus de téléviseurs grand public

                                                              21 News Corp. peut racheter BSkyB
 4 Exception culturelle française : la loi Lang s’applique
   en ligne
                                                              24 En prenant le contrôle de KBW, Liberty Global réunit
                                                                 les numéros 2 et 3 du câble en Allemagne
 6 En Belgique et au Royaume-Uni, le foot se joue en
   clair
                                                              25 ProSiebenSat1 cède ses actifs belges et néerlandais,
                                                                 héritage de la fusion avec SBS
 7 La responsabilité d’Internet : détermination des
   personnes responsables des contenus et des usages
                                                              26 Le poids d’Internet dans le PIB en France et la
   des services de communication au public en ligne
                                                                 valorisation des entreprises technologiques impres-
                                                                 sionnent
 8 Espagne : droits de propriété intellectuelle et services
   de communication au public en ligne
                                                              l Usages
10 Verdicts défavorables à Google
                                                              30 Réquisitoire, à coups d’enquêtes, contre la télévision
13 Les données personnelles et la publicité comporte-
                                                                 pour les plus jeunes
   mentale
                                                              32 Les Français « sous pression médiatique »
14 Les données personnelles et la lutte contre le
   terrorisme
                                                              33 Non pas un, mais trois fossés numériques en France

     l Techniques
                                                              39 Dans quelle langue surfez-vous ?

                                                              41 Les internautes européens fréquentent plus Facebook
16 Le graphène, une découverte fondamentale
                                                                 que Google
     Vitesse de transmission de données : record battu en
     Allemagne

17 L’Internet du futur ou la révolution des données                   Ailleurs                               p.43
     Les équipements de téléphonie mobile se font discrets    43 AOL joue à plein la carte des contenus

18 Toujours pas de GPS européen                               45 Aux Etats-Unis, Google modifie son algorithme en
                                                                 réponse aux webspams
re         gg
     Les acteurs globaux                        p.48
48 La fusion Comcast-NBC Universal autorisée, Vivendi
                                                                 Google Démocratie, Laurent Alexandre et David
                                                                 Angevin, Editions Naïve, 399 p., février 2011

                                                                 Tous connectés ? Enquête sur les nouvelles pratiques
   prend le contrôle total de SFR
                                                                 numériques, une exposition à la Cité des sciences de
                                                                 Paris
50    Musique : EMI et Warner Music changent de mains
                                                                 Immaterials: light painting Wi-Fi, yourban.no

     A retenir                                 p.51

                                                                                           g
51 Curator / Curation
                                                                ARTICLES
                                                                & CHRONIQUES                                     p.60
52 Digital Mum
                                                            60 l Twitter ou Facebook : nouveaux collecteurs d’infos ?
53 Silver-surfer vs Atawad                                     Francis Balle

54 Mème internet                                            62 l Cyber-censure : le Net ne libère pas la presse
                                                               Françoise Laugée
55 Un chiffre ou deux...
                                                            68 l Mobile : bataille pour les places de marché
                                                               Alexandre Joux
        Vient de paraître                      p.56         76 l L’Internet des objets ou l’Internet des choses
                                                               Jacques-André Fines Schlumberger
56 Technologies Clés 2015, ministère de l’industrie,
   de l’énergie et de l’économie numérique,
   industrie.gouv.fr/tc2015, 312 p. (TIC p.58-108),
   mars 2011.

58 L’avenir sera hybride, Point de vue de l’UER, Union
   européenne de radio-télévision, Genève, 8 p., ebu.ch,
   avril 2011.

59 Et aussi...

     The Rice of Generation C, How to prepare for the
     Connected Generation’s transformation of the consu-
     mer and business landscape, Roman Friedrich,
     Michael Peterson and Alex Koster, strategy+business,
     issue 62, Booz & Compagny Inc., strategy-
     business.com, 10 p. spring 2011
Conseil scientifique

    l Alberto ARONS DE CARVALHO, professeur, Université de Lisbonne (Portugal)

    l Roger de la GARDE, professeur, Université Laval (Canada)

    l Elihu KATZ, professeur, The Annenberg School of Communication, Université de Pennsylvanie (Etats-Unis)

    l Vincent KAUFMANN, professeur, Université St. Gallen (Suisse)

    l Soel-ah KIM, professeur, Université Korea (Corée du Sud)

    l Robin E. MANSELL, professeur, London School of Economics (Royaume-Uni)

    l Habil Wolfgang SCHULZ, professeur, Université de Hambourg (Allemagne)

3
En Europe
l Droit
                                                           Les éditeurs français garderont le contrôle de la
                                                                                                            gg
                                                           valeur des fichiers numériques, quel que soit le lieu
                                                           d’implantation du diffuseur. Le prix fixé par l’éditeur
                                                           s’impose à tous les diffuseurs vendant des livres en
                                                           France (la loi de finances 2011 fixe un taux de TVA
Exception culturelle française : la loi Lang               de 5,5 % à compter du 1er janvier 2012), y compris
s’applique en ligne                                        ceux qui sont installés à l’étranger : les distributeurs
                                                           américains Amazon, Google et Apple sont donc
La France a pris les devants en adoptant, la pre-          concernés. Une disposition adoptée en connais-
mière, une loi imposant à tous le prix unique du livre     sance de cause par le législateur français qui s’op-
numérique. En allant délibérément à l’encontre du          pose donc ouvertement au principe juridique
droit communautaire, elle espère avec le temps par-        européen du pays d’origine : cette disposition est
venir à convaincre les autres Etats membres du             contraire à la législation européenne.
bien-fondé de sa décision. Elle se lance à terme           Cette clause d’extra-territorialité a été introduite par la
dans une bataille juridique pour protéger la filière du    volonté des sénateurs qui l’ont ajoutée à la première
livre de l’effondrement économique dont celle de la        version du texte voté par les députés en février
musique a été victime. Bruxelles pourrait, dans le         2011, version selon laquelle le prix unique du livre
même temps, ouvrir une enquête pour pratiques              ne devait concerner que les éditeurs et distributeurs
anticoncurrentielles.                                      de livres numériques installés en France. Avant de
                                                           changer d’avis à la suite du vote des sénateurs, le
Le 17 mai 2011, le Parlement français a voté à la          ministre de la culture lui-même y voyait un risque
quasi-unanimité - fait rare - une loi sur le prix unique   « d’insécurité juridique ». Mais, après l’adoption par
du livre numérique. Avant d’être définitivement            les députés, en seconde lecture, du compromis
adopté, le texte a néanmoins été modifié                   trouvé par la commission mixte paritaire Assemblée-
plusieurs fois à la faveur de navettes parlementaires.     Sénat, Frédéric Mitterrand a considéré qu’il s’agis-
Trente ans après la loi Lang de 1981 qui                   sait d’une « avancée historique » et « d’une loi
impose aux éditeurs un prix unique pour les livres         fondatrice pour la filière du livre et la régulation des
imprimés, la France, pays précurseur dans ce               industries culturelles à l’ère numérique ».
domaine, a étendu cette mesure économique au               Cette initiative parlementaire a été saluée par les
commerce en ligne des livres en introduisant une           représentants du secteur de l’édition tels que le
clause d'extra-territorialité.                             syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC)
                                                           et les éditeurs. Les auteurs se sont également
La France anticipe le développement d’un oligopole         déclarés satisfaits puisque la loi prévoit le
dans la diffusion des livres. Elle entend soutenir         principe « d’une rémunération juste et équitable »
l’industrie du livre face à l’existence d’une compéti-     dans le cadre de l’exploitation de leurs œuvres sur
tion que les acteurs français du livre considèrent         Internet et « une reddition des comptes explicite et
déloyale, due à l’exemption de contribution fiscale et     transparente » de la part des maisons d’édition.
d’autres obligations de soutien à la culture dont
bénéficient les acteurs étrangers. Le marché du livre      La France défend ainsi l’idée d’une régulation du
numérique émerge à peine en France, avec 1 % des           marché du livre en ligne, identique à celle appliquée
ventes, contre 10 % aux Etats-Unis, où la librairie en     aux livres imprimés à la faveur de la loi de 1981
ligne Amazon domine le marché avec sa tablette             qui a permis le maintien d’un réseau de librairies sur
Kindle.                                                    son territoire, contrairement au Royaume-Uni ou aux

                                                                                                          En Europe      4
Etats-Unis, pays où le prix de vente des livres est       à Paris, en mars 2011, une rumeur circulait, lais-
    établi par contrat entre un éditeur et un distributeur.   sant entendre que ces enquêtes étaient le résultat de
    La loi française de mai 2011 devra être défendue          la politique de lobbying menée par le géant améri-
    par le gouvernement face aux autorités européennes        cain Amazon. La Commission européenne indique,
    comme le fut en son temps la loi Lang. A deux             quant à elle, avoir été motivée dans sa démarche
    reprises déjà, en décembre 2010 et janvier 2011, la       par des lettres de doléances reçues de consomma-
    Commission européenne a exprimé des réserves              teurs et de parlementaires.
    dans des avis circonstanciés adressés aux autorités       Premier pays à se lancer ouvertement dans la
    françaises, quant à la conformité de la clause            bataille du commerce des biens culturels sur
    d’extra-territorialité aux principes communautaires       Internet, la France, à l’origine du principe d’exception
    de « libre prestation de service » et de « libre éta-     culturelle, pourrait être rejointe par d’autres pays
    blissement ». En outre, au regard de la Commission        européens. L’Espagne et les Pays-Bas préparent eux
    européenne, la France devra justifier de l’impératif      aussi une loi sur le prix unique du livre numérique.
    de l’objectif poursuivi, ainsi que de l’adéquation des    Mais Bruxelles, devant le fait accompli, pourrait
    moyens employés pour y parvenir.                          ouvrir une procédure d’infraction. Dans un éditorial
                                                              intitulé Résistance numérique dans le quotidien Les
    En mars 2011, alors que le texte de la future loi était   Echos du 19 mai 2011, David Barroux conclut :
    encore en débat, la Commission européenne a               « Mais tant sur un front technique que légal, cette loi
    demandé que soient effectuées des perquisitions par       risque d’être impossible à faire respecter. […] Diffi-
    les inspecteurs de son service de la concurrence au       cile politiquement en effet d’agir à la chinoise en
    sein du Syndicat national de l’édition (SNE) et de        bloquant purement et simplement un site. Surtout
    plusieurs grandes maisons d’édition françaises            que Bruxelles se retournerait contre la France si elle
    (Albin Michel, Flammarion, Hachette, Gallimard et         attaquait des cybercommerçants qui ne respectent
    La Martinière), sans que leurs responsables en aient      peut-être pas la loi française mais qui n’ont commis
    été préalablement informés. Bruxelles soupçonne les       aucun délit aux yeux d’autres pays de l’Union. […]
    éditeurs d’entente illicite sur la fixation du prix des   A l’heure où le e-commerce et l’économie immaté-
     livres numériques. L’enquête, qui n’est pas encore       rielle tirent la croissance, les Etats dont les lois
    formellement ouverte, viserait notamment les              restent prisonnières de leurs frontières doivent-ils ab-
    contrats de mandat passés entre, d’un côté, les           diquer ? Non, car si agir ne garantit pas le succès,
    plates-formes iTunes d’Apple, FnacBook et, de             ne rien faire mènera au pire ».
    l’autre, les éditeurs, contrats ayant permis à ces der-                                                         FL
    niers de garder la main sur la fixation des prix tout
    en reléguant les distributeurs dans un simple rôle        Sources :
    d’agent. Aucun accord de cette nature n’a été trouvé      - « Bruxelles soupçonne les éditeurs français d’entente sur les prix du
    avec Amazon. Fin 2009, l’Autorité de la concurrence       livre numérique », Alexandre Counis avec Nathalie Silbert, Les Echos,
                                                              3 mars 2011.
    saisie par le ministère de la culture avait reconnu
                                                              - « Suspicions sur les pratiques des éditeurs dans le numérique »,
    dans un avis que ces contrats de mandat pouvaient         Sandrine Cassini, La Tribune, 3 mars 2011.
    « faire l’objet de pratiques anticoncurrentielles ». La   - « Les éditeurs français dans le viseur de l’Union européenne pour en-
    France n’est pas le seul pays concerné par cette          tente sur le prix des livres numériques », Alain Beuve-Méry et Philippe
    démarche inquisitrice, étendue notamment à                Ricard, Le Monde, 4 mars 2011.
                                                              - « Amazon s’invite dans le débat français sur le prix du livre numé-
    l’Allemagne où le groupe Bertelsmann a également
                                                              rique », Sandrine Bajos, La Tribune, 29 mars 2011.
    reçu la visite des enquêteurs. Les peines encourues
                                                              - « Prix unique du livre électronique : le Sénat réintroduit la clause
    pour entente illégale peuvent atteindre jusqu’à 10 %      d’extra-territorialité », ZDNet, zdnet.fr, 31 mars 2011.
    du chiffre d’affaires total des maisons d’édition. La     - « Le prix du livre numérique définitivement voté », AFP, tv5.org,
    méthode employée par Bruxelles aurait-elle contri-        17 mai 2011.
    bué au revirement d’opinion du gouvernement               - « Le prix unique du livre numérique s’imposera à tous », D.C.,
                                                              La Tribune, 19 mai 2011.
    français ? Au Royaume-Uni, l’Office of Fair Trading
                                                              - « La France adopte le prix unique pour l’e-book malgré la menace de
    (OFT), instance de régulation de la concurrence, a        Bruxelles », Nathalie Silbert et Alexandre Counis, Les Echos,
    annoncé en février 2011 l’ouverture d’une enquête         19 mai 2011.
    de même nature à l’encontre des éditeurs britan-          - « Résistance numérique », David Barroux, Les Echos, 19 mai 2011.
    niques Penguin du groupe Pearson et Harper                - Loi n°2011-590 du 26 mai 2011, publiée au Journal officiel le
    Collins de News Corp. Lors du dernier Salon du livre      28 mai 2011, legifrance.gouv.fr

5
Droit
En Belgique et au Royaume-Uni, le foot                    commis d’erreur en autorisant la Belgique et le
se joue en clair                                          Royaume-Uni à considérer les compétitions comme
                                                          des événements d’importance majeure pour la
La justice européenne a confirmé le bien-fondé de         société, rappelant que ces compétitions ont une
l’autorisation donnée par la Commission euro-             importance pour les citoyens et non pour les seuls
péenne à la Belgique et au Royaume-Uni de consi-          amateurs de football. Dans ce cas, « le droit à
dérer l’Euro et la Coupe du monde de football             l’information » et « la nécessité d’assurer un large
comme des événements d’importance majeure pour            accès du public aux retransmissions télévisées de
la société. Cette décision implique que les compéti-      ces événements » l’emportent sur la liberté de pres-
tions doivent être retransmises à la télévision sans      tation de services et la liberté d’établissement, c’est-
exclusivité, c’est-à-dire en clair, ce que contestaient   à-dire sur la liberté commerciale revendiquée par la
l’UEFA et la FIFA, qui espéraient céder une partie de     FIFA et l’UEFA. Ces dernières souhaitaient vendre
leurs droits aux chaînes payantes de chacun de ces        leurs droits également aux chaînes payantes,
deux pays.                                                lesquelles ont plus de moyens et sont prêtes à miser
                                                          sur des exclusivités coûteuses pour fidéliser leurs
Le 17 février 2011, le Tribunal de première instance      abonnés. Avec cette décision, la vente des droits de
de l’Union européenne a confirmé le droit, pour les       diffusion des matchs de l’Euro et de la Coupe du
pays de l’Union, d’interdire la retransmission            monde risque probablement d’être moins lucrative,
payante et exclusive des matchs pour la Coupe du          d’autant que le Tribunal de première instance a éga-
monde de football, organisée par la Fédération            lement refusé la possibilité de « saucissonner » les
internationale de football (FIFA), et pour la Coupe       droits de diffusion, en laissant certains matchs en
d’Europe de football, organisée par l’Union des           clair quand d’autres pourraient être réservés aux
associations européennes de football (UEFA). Cette        chaînes payantes.
décision de la justice européenne fait suite aux pour-
suites engagées par la FIFA et l’UEFA contre deux         Le Tribunal a considéré chaque compétition comme
États membres, la Belgique et le Royaume-Uni,             un tout en refusant de séparer de l’ensemble des
lesquels ont considéré la Coupe du monde de foot-         rencontres les matchs dits « prime » ou « gala »
ball comme un événement d’importance majeure              (demi-finale, finale, ouverture de la compétition,
pour la société, donc devant être retransmis en clair     matchs de l’équipe nationale), traditionnellement en
à la télévision, la Belgique ayant par ailleurs inscrit   clair. Pour le Tribunal, les autres rencontres peuvent
également la Coupe d’Europe (Euro) parmi les              avoir une incidence sur la valeur des matchs « prime »
événements d’importance majeure. En vertu de la           ou « gala » à l’issue de la compétition, par exemple
directive du 3 octobre 1989 relative à l’exercice         suivre en amont le parcours du pays qui affrontera
d’activités de radiodiffusion télévisuelle, les États     l’équipe nationale si celle-ci se qualifie pour la
membres peuvent, en effet, interdire la retransmis-       finale, et donc susciter de la même manière l’intérêt
sion exclusive des événements revêtant une « im-          du public. Comme « il ne peut être déterminé à
portance majeure pour leur société », si cette            l’avance, […] quels matchs seront vraiment décisifs
retransmission exclusive prive une partie importante      pour les étapes ultérieures de ces compétitions ou
du public de l’accès aux images, ce qui est le cas        ceux qui auront un impact sur le sort d’une équipe
par exemple quand un événement est retransmis sur         nationale donnée », l’inscription d’une compétition
une chaîne payante. Pour éviter les abus, les États       comme événement d’importance majeure impose
membres communiquent pour validation à la Com-            donc que celle-ci soit accessible sans exclusivité
mission européenne la liste des événements jugés          pour l’ensemble des matchs et non pour les seuls
d’importance majeure ; la Belgique et le Royaume-         matchs « prime » ou « gala ».
Uni ayant inscrit la Coupe du monde et la Coupe                                                              AJ
d’Europe de football parmi ces événements
d’importance majeure, la Commission européenne a
accepté cette décision que contestaient l’UEFA et la      Sources :
                                                          - « Foot : les télés payantes peuvent être privées de Mondial », AFP,
FIFA.
                                                          17 février 2011.
                                                          - « Un État peut interdire la retransmission exclusive des matchs de
Dans son verdict, le Tribunal de première instance a      Coupe du monde et de l’Euro par les payantes, selon la justice euro-
considéré que la Commission européenne n’a pas            péenne », La Correspondance de la presse, 18 février 2011.

                                                                                                                 En Europe         6
La responsabilité d’Internet : détermina-                   sages de toute nature fournis par des destinataires
    tion des personnes responsables des                         de ces services ». Ces prestataires ou intermédiaires
    contenus et des usages des services de                      techniques n’effectuent aucun choix. Ils n’ont
    communication au public en ligne                            aucune maîtrise des contenus mis en ligne et ainsi
                                                                rendus accessibles. Sinon, ils seraient (aussi) des
    A propos de l’arrêt de la Cour de cassation, du             éditeurs de services.
    17 février 2011, Sté Nord-Ouest production c. Sté           Dans l’affaire qui opposait Nord-Ouest production,
    Dailymotion, relatif à la mise en ligne du film Joyeux      titulaire des droits de propriété intellectuelle du film
    Noël.                                                       Joyeux Noël, à Dailymotion, c’est en considérant
                                                                que cette dernière n’assure que des fonctions n’in-
    Prestataires techniques, éditeurs de services ou des-       duisant « pas une capacité d’action du service sur
    tinataires de services ? Telle est l’interrogation pre-     les contenus mis en ligne » que la Cour de cassa-
    mière à laquelle il convient de répondre pour               tion, dans son arrêt du 17 février 2011, retient
    déterminer, en droit français, les personnes respon-        qu’elle « était fondée à revendiquer la qualité
    sables des contenus et des usages des services de           d’intermédiaire technique ».
    communication au public en ligne, tant du fait
    d’abus de la liberté d’expression que de violations         Quant aux éditeurs de services, pour leur imposer
    des droits de propriété intellectuelle. Les raisons et      des obligations distinctes, conditionnant la mise en
    les conditions de la mise en jeu de la responsabilité       jeu de leur responsabilité, la loi du 21 juin 2004 fait
    des uns ou des autres diffèrent. Pour tenter d’y            une différence entre les éditeurs selon qu’ils sont
    échapper, certains tentent de créer la confusion            professionnels ou non professionnels. Les uns et les
    quant à la nature exacte de la fonction qu’ils exer-        autres déterminent les contenus mis en ligne par l’in-
    cent. Les juges s’y sont parfois trompés. La solution       termédiaire des prestataires techniques. Aux termes
    implique une claire identification des fonctions exer-      de l’article 6.III.1 de la loi du 21 juin 2004 peuvent
    cées et l’exacte prise en compte des conditions de la       ainsi être qualifiées « les personnes dont l’activité
    responsabilité telles qu’elles sont déterminées par         est d’éditer un service de communication au public
    les textes (loi du 21 juin 2004, dite « pour la             en ligne ». Les éditeurs amateurs ne sont pas autre-
    confiance dans l’économie numérique », ou les               ment mentionnés, par l’article 6.III.2 de la loi du
    deux lois « Hadopi », des 12 juin et 28 octobre             21 juin 2004, que comme « les personnes éditant
    2009, inscrites dans le code de la propriété intel-         à titre non professionnel un service de communica-
    lectuelle).                                                 tion au public en ligne ». C’est parce qu’ils ont fait
                                                                le choix des contenus rendus accessibles sur Inter-
    Identification des fonctions                                net que les éditeurs de services, professionnels ou
                                                                amateurs, sont ainsi identifiés.
    En matière de détermination des personnes respon-
    sables des contenus qui circulent sur Internet ou de        Les destinataires de services sont les internautes,
    l’utilisation qui en est faite, il en va différemment des   titulaires ou utilisateurs d’accès à Internet qui, par
    prestataires techniques, des éditeurs de services ou        l’intermédiaire des prestataires techniques, se
    des internautes, destinataires des services.                connectent aux contenus déterminés ou élaborés par
    Parmi les prestataires techniques, il convient de           les éditeurs de services. L’interactivité ou certains
    distinguer les fournisseurs d’accès et les fournis-         usages conduisent quelques-uns d’entre eux à avoir
    seurs d’hébergement. Les fournisseurs d’accès sont          également ce statut et, en conséquence, à en assu-
    définis par l’article 6.I.1 de la loi du 21 juin 2004,      mer la responsabilité.
    comme étant « les personnes dont l’activité est d’of-
    frir », aux internautes, « un accès à des services de       Conditions de la responsabilité
    communication au public en ligne ». Sans même
    employer cette dénomination, l’article 6.I.2 de la loi      La mise en jeu de la responsabilité de ceux qui
    du 21 juin 2004 décrit les fournisseurs d’héberge-          assument l’une ou l’autre des fonctions mentionnées
    ment comme les personnes qui assurent « pour                est subordonnée à des conditions différentes, selon
    mise à disposition du public par des services de            qu’il s’agit des prestataires techniques, des éditeurs
    communication au public en ligne, le stockage de            de services ou des internautes, destinataires des
    signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de mes-             services.

7
Droit
Les prestataires techniques échappent normalement           cas, faute de fixation préalable, c’est la responsabi-
à la mise en jeu de leur responsabilité ou, tout au         lité personnelle de l’internaute qui doit être mise en
moins, s’agissant des fournisseurs d’hébergement,           cause.
celle-ci ne peut-elle être engagée qu’à certaines           Outre cette cause de mise en jeu de la responsabi-
conditions. En des termes légèrement différents             lité des destinataires de services pour abus de la
selon qu’il s’agit de responsabilité civile ou pénale,      liberté d’expression, il convient d’envisager les faits
l’article 6.I, en ses 2 et 3, de la loi du 21 juin 2004     d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle et,
dispose que les fournisseurs d’hébergement « ne             notamment, en application des lois dites « Hadopi »
peuvent pas voir leur responsabilité […] engagée            (12 juin et 28 octobre 2009), intégrées dans le
du fait des activités ou des informations stockées à        code de la propriété intellectuelle, à raison des pra-
la demande d’un destinataire de ces services si (ils)       tiques de téléchargement illégal. A cet égard, doit
n’avaient pas effectivement connaissance de leur            être distinguée la situation des utilisateurs d’accès et
caractère illicite ou de faits ou de circonstances fai-     celle des titulaires d’accès. Téléchargeant illégale-
sant apparaître ce caractère ou si, dès le moment           ment, les utilisateurs d’accès à Internet pourront être
où (ils) ont eu cette connaissance, (ils) ont agi           retenus comme coupables de contrefaçon,
promptement pour retirer ces données ou en rendre           soumis à une répression particulière. S’agissant des
l’accès impossible ». La « notification » des faits         titulaires d’accès à un service de communication au
litigieux doit satisfaire aux exigences contraignantes      public en ligne, c’est pour « négligence caractérisée »
de l’article 6.I.5 de la même loi.                          dans la surveillance de l’usage fait de sa connexion
Dans l’arrêt cité, la Cour de cassation considère que       Internet, dans des conditions portant atteinte aux
la notification n’avait pas satisfait « à l’obligation de   droits de propriété intellectuelle, que leur responsa-
décrire et de localiser les faits litigieux ». Elle en      bilité peut être engagée et que, en application de
conclut « qu’aucun manquement à l’obligation de             l’article L. 335-7-1 CPI, ils peuvent être l’objet de la
promptitude à retirer le contenu illicite ou à en inter-    peine complémentaire de suspension de leur accès,
dire l’accès ne pouvait être reproché à la société          pour une durée maximale d’un mois.
Dailymotion ».                                              La mise en jeu de la responsabilité du fait des conte-
Ayant fait le choix des contenus, les éditeurs de ser-      nus et des usages des services de communication
vices en sont responsables. S’agissant des abus de          au public en ligne oblige notamment à une claire
la liberté d’expression, les éditeurs de services, pro-     identification des fonctions exercées par les diffé-
fessionnels ou amateurs, personnes physiques ou             rents intervenants : prestataires techniques, éditeurs
morales, en assument la responsabilité civile.              de services et destinataires des services. Une grande
S’agissant de la responsabilité pénale des infrac-          confusion subsiste à cet égard. Elle est accentuée
tions définies par la loi du 29 juillet 1881 et par         par tous ceux qui, en jouant sur les mots, tentent de
quelques autres textes, s’applique, du fait de la           se soustraire ainsi à leurs responsabilités.
fixation préalable, le régime de la responsabilité dite                                                          ED
« en cascade » de l’article 93-3 de la loi du
29 juillet 1982. Le directeur de la publication est         Sources :
alors considéré comme auteur principal. « A défaut,         - « Internet et responsabilité. Détermination des personnes responsables,
                                                            éléments de jurisprudence récente », E. Derieux, Petites affiches,
l’auteur et, à défaut de l’auteur, le producteur sera
                                                            p. 6-19, 11 juillet 2008.
poursuivi comme auteur principal ».
                                                             - « Responsabilité des services de communication au public en ligne.
Cependant, le même article pose désormais, en son           Détermination des responsables », E. Derieux, RLDI/59, n° 1964,
dernier alinéa, que « lorsque l’infraction résulte du       p. 58-69, avril 2010.
contenu d’un message adressé par un internaute à
un service de communication au public en ligne et
mis par ce service à la disposition du public dans un       Espagne : droits de propriété intellectuelle
espace de contributions personnelles identifié              et services de communication au public
comme tel, le directeur ou le codirecteur de publica-       en ligne
tion ne peut pas voir sa responsabilité engagée […]
s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connais-    Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ?
sance du message avant sa mise en ligne ou si, dès
le moment où il en a eu connaissance, il a agi              Par des dispositions additionnelles diverses
promptement pour retirer ce message ». Dans ce              (43e disposition finale) à la loi du 4 mars 2011

                                                                                                                      En Europe          8
relative à l’économie durable (texte de 200 pages,           membres nommés par le ministre de la culture, sur
    aux multiples éléments), ont été introduites, dans           proposition des ministères de l’économie, de la
    différents textes antérieurs du droit espagnol, des          culture et de la justice) est chargée des fonctions de
    mesures concernant la « protection des droits de             médiation et d’arbitrage ; la seconde (présidée par
    propriété intellectuelle » à l’égard des services de         le sous-secrétaire d’Etat à la culture ou son repré-
    communication au public en ligne (loi du 11 juillet          sentant, et d’un représentant du chef du gouverne-
    2002 relative aux services de la société de l’infor-         ment et des ministères de la culture, de l’industrie, et
    mation et de commerce électronique, décret-loi du            de l’économie) assurera la protection des droits de
    12 avril 1996 de réforme de la loi de la propriété           propriété intellectuelle à l’égard des atteintes qui y
    intellectuelle, loi du 13 juillet 1998 relative à la         sont portées dans le cadre des services de commu-
    juridiction administrative pour la protection de la pro-     nication au public en ligne. Si ce n’est la nature
    priété intellectuelle dans le cadre de la société de         juridique des institutions et leur composition ou
    l’information et du commerce électronique). Ces mo-          mode de nomination, apparaissent ainsi certaines
    dalités de modification et d’adaptation partielle de         des distinctions qui sont celles, en droit français, du
    textes divers et dispersés, causes d’une grande              collège de la Hadopi et de sa Commission de
    instabilité et incertitude du droit, ne sont assurément      protection des droits.
    pas satisfaisantes. Comme ne le sont sans doute              Dans sa fonction de médiation, la première section
    pas davantage les mesures adoptées, en ce qu’elles           de ladite commission espagnole interviendra, en
    introduisent des possibilités administratives particu-       l’absence d’accords contractuels, dans les
    lières d’identification des personnes, d’interruption        domaines de la gestion collective des droits de
    d’un service ou de retrait des contenus contrefai-           propriété intellectuelle et pour l’octroi des autorisa-
    sants, même si celles-ci sont, comme en France,              tions de diffusion par câble des programmes de
    subordonnées à une décision judiciaire. Dans la              radiodiffusion.
    lutte contre les pratiques de téléchargement illégal,        Dans sa fonction d’arbitrage, elle interviendra dans
    des similitudes apparaissent ainsi entre les sys-            les conflits susceptibles de naître entre les titulaires
    tèmes espagnol et français.                                  de droits de propriété intellectuelle et les organismes
    Par un nouveau paragraphe 2 de l’article 8 de la loi         de gestion de droits ou entre ceux-ci et les exploi-
    du 11 juillet 2002, il est posé que l’identification des     tants des œuvres.
    personnes (le texte n’établit aucune distinction entre       Face aux atteintes aux droits de propriété intellec-
    les éditeurs de services ou les internautes qui ne font      tuelle, du fait des services de la société de l’infor-
    l’objet d’aucune mention particulière) soupçonnées           mation, la seconde section de la même commission
    de procéder, sur Internet, à des exploitations illégales     pourra prendre les mesures ordonnant l’interruption
    d’œuvres et de prestations protégées pourra, sur au-         du service ou le retrait des contenus contrefaisants.
    torisation de justice, être obtenue des prestataires de      Avant l’adoption de pareilles mesures, un délai
    service. Ceux-ci y seront dès lors tenus.                    maximal de 48 heures devra être laissé au service
    Dans la loi relative à la propriété intellectuelle est in-   pour qu’il procède, par lui-même, au retrait des
    troduite une disposition additionnelle aux termes de         contenus litigieux ou qu’il justifie de ses droits. L’exé-
    laquelle le ministère de la culture « veillera à la pro-     cution de la mesure administrative nécessitera
    tection de la propriété intellectuelle à l’encontre des      cependant une autorisation judiciaire. Il est par
    atteintes qui y seraient portées par les responsables        ailleurs précisé que tout cela sera sans préjudice de
    de services de la société de l’information ». Cela sera      toute action civile ou pénale ordinaire.
    notamment assuré par une instance administrative             En Espagne, d’une certaine façon comme en France,
    spéciale nouvelle.                                           l’opposition aux modalités d’un contrôle adminis-
    Relatif à la « Commission de la propriété intellec-          tratif spécifique (entraînant interruption du service ou
    tuelle », l’article 158 de la loi de la propriété intel-     retrait des contenus litigieux) des atteintes aux droits
    lectuelle de 1996 est ainsi modifié : « 1. Est créée,        de propriété intellectuelle du fait des services de
    au ministère de la culture, sous forme d’organisme           communication au public en ligne a conduit, dans
    collégial de compétence nationale, la Commission             des conditions différentes cependant, à moduler
    de la propriété intellectuelle, chargée des fonctions        celui-ci par une nécessaire intervention judiciaire.
    de médiation, d’arbitrage et de sauvegarde des               En dépit de cela, tout aussi inquiétant et contestable
    droits de propriété intellectuelle ». Elle comprend          à l’égard du respect des libertés individuelles, un tel
    deux sections : la première (composée de trois               système, finalement lourd et compliqué, y sera-t-il

9
Droit
plus efficace dans la nécessaire protection des droits   numérisées sans autorisation, et 45 millions pour
de propriété intellectuelle ? Ou, malgré quelques        couvrir les frais de justice. La création d’un Fonds
variantes, le même constat critique pourra-t-il être     des droits du livre était également prévu, fonds à tra-
fait de part et d’autre des Pyrénées ?                   vers lequel Google s’engageait à partager les
                                                   ED    recettes émanant de la commercialisation des livres,
                                                         réservant 63 % de cette somme aux éditeurs aux-
                                                         quels il revenait a posteriori de se manifester pour
Verdicts défavorables à Google                           dire s’ils acceptaient ou non que leurs ouvrages
                                                         soient numérisés et vendus en ligne. Et c’est préci-
La stratégie « googlelienne » du « ça passe ou ça        sément cette méthode du opt-out selon laquelle la
casse » a peut-être atteint ses limites. Sous le coup    numérisation s’est faite de façon systématique, sans
de nombreux procès ou d’enquêtes touchant à ses          l’autorisation préalable des auteurs - c’est-à-dire
multiples activités sur Internet aux Etats-Unis, en      sans leur offrir le choix de s’en exclure a priori
Europe et ailleurs (voir REM n°14-15, p.12 et n°16,      (opt-in) - que le juge Denny Chin a également
p.7), Google se voit contraint de respecter les légis-   condamnée, interdisant ainsi à Google de pratiquer
lations en vigueur. Face à des partenaires écono-        la copie numérique d’ouvrages à grande échelle
miques, pris par surprise, qui peinent à réagir, faute   « sans permission ». Pour Google, l’opt-in rendait
de trouver des solutions alternatives, les pratiques     immédiatement inexploitables des dizaines de
du géant américain sont en passe de devenir la           millions de livres pour lesquels les ayants droit sont
norme sur le Web.                                        inconnus.
                                                         La Guilde des auteurs et l’Association des éditeurs
Face aux maisons d’édition et aux auteurs                américains ont déclaré regretter que cette décision
                                                         de justice mette ainsi fin à la constitution de « cette
« Pas équitable, adéquat ou raisonnable » : ce sont      Alexandrie des livres épuisés », qui aurait permis,
les termes du verdict du juge fédéral de New York        en ouvrant un large accès aux œuvres désormais
attendu depuis plus d’un an. Denny Chin a rejeté le      introuvables, de créer de nouveaux marchés. Google
22 mai 2011 l’accord conclu par Google avec les          a, quant à lui, annoncé qu’il allait « réviser ses
auteurs et les éditeurs américains en octobre 2008.      options ». Pour ses concurrents directs que sont
Il s’est rendu aux arguments du Département de la        Amazon, Yahoo! et Microsoft, regroupés au sein du
justice de février 2010, quant à une atteinte aux        collectif Open Books Alliance et menant un projet de
droits d’auteur et à un abus de position dominante.      numérisation des livres avec des représentants d’au-
L’affaire remonte à 2005, à la suite de la plainte       teurs et des bibliothèques, l’objection du juge selon
déposée par l’Authors Guild et l’Association of          laquelle « l’accord donnerait à Google le contrôle du
American Publishers concernant Google Books. Ce          marché de la recherche » sonne comme un satisfe-
programme vise à créer une bibliothèque numérique        cit. Du côté des consommateurs, l’association de
universelle à partir des fonds des bibliothèques amé-    défense de leurs droits Consumer Watchdog y voit
ricaines, en numérisant des millions de livres           un avertissement sévère pour Google qui devra do-
épuisés, donc devenus indisponibles à la vente           rénavant demander l’autorisation avant de disposer
mais toujours protégés par le droit d’auteur, même       de la propriété intellectuelle.
si une grande partie d’entre eux sont des œuvres or-     Du côté français, le gouvernement et le Syndicat na-
phelines (voir REM n°13, p. 44). Sous la pression        tional de l’édition (SNE) se félicitent de cette déci-
des gouvernements français et allemand, l’accord         sion de justice qui met en avant la nécessité de
avait été révisé en novembre 2009 afin d’en limiter      conclure des partenariats entre les acteurs privés et
la portée aux ouvrages anglo-saxons, sachant que         publics, à l’instar du protocole d’accord conclu, en
plus de la moitié des ouvrages disponibles dans les      novembre 2010, entre le groupe Hachette et
bibliothèques américaines ont été publiés par des        Google, dans le respect du droit d’auteur (voir REM
éditeurs étrangers.                                      n°17, p.15).
Les protagonistes étaient finalement parvenus à un
accord en 2008 selon lequel Google s’engageait à         Le projet de grande bibliothèque numérique de Goo-
verser 125 millions de dollars (88 millions d’euros),    gle n’est pas enterré pour autant, il verra le jour à la
dont 45 millions pour dédommager les ayants droit        faveur d’un nouvel accord que les auteurs et les édi-
et rémunérer les auteurs dont les œuvres avaient été     teurs parviendront à négocier prochainement avec

                                                                                                     En Europe       10
le géant d’Internet qui a pris l’habitude d’innover      débuté en septembre 2006 par une première
     « tête baissée ». Une pratique que la firme de Moun-     condamnation de Google pour violation du droit
     tain View n’est d’ailleurs pas la seule à mettre en      d’auteur à la suite d’une plainte de Copiepresse,
     œuvre puisque le Web fonctionne couramment avec          société de gestion des droits des éditeurs de presse
     la participation implicite des internautes. Ces der-     francophones et germanophones. A l’époque, le
     niers peuvent apposer leur veto lorsqu’ils sont aver-    tribunal de grande instance de Bruxelles avait exigé
     tis, ce qui n’est pas toujours le cas, mais ils le       le retrait des titres d’articles et des liens vers les
     peuvent après coup. « Quel que soit le résultat, nous    journaux belges du site Google News, considérant
     continuerons à faire en sorte que plus d’ouvrages        que les internautes étaient ainsi amenés à contourner
     puissent être découverts en ligne », a déclaré Hilary    les messages publicitaires insérés dans les sites de
     Ware, directeur juridique de Google, le jour du          presse. Le réexamen en février 2007 de cette déci-
     procès.                                                  sion de justice à la demande de Google, absent lors
     Avant que son projet ne fût compromis, du moins          de la première audience, avait abouti au même ver-
     en l’état, Google avait déjà numérisé 15 millions de     dict (voir REM n°0, p.4 et n°2-3, p.6). Passible
     livres en provenance de 35 000 éditeurs et de            d’une astreinte journalière de 25 000 euros,
     40 bibliothèques dans le monde. Il souhaitait ven-       Google avait cessé les référencements et avait fait
     dre en ligne des millions d’œuvres orphelines deve-      appel de cette décision.
     nant ainsi le premier éditeur mondial.                   Le 10 mai 2011, la cour d’appel de Bruxelles a
     En France, Google est toujours en procès avec les        confirmé le précédent jugement, demandant que
     éditions La Martinière puisqu’il a fait appel du juge-   soient retirés des sites de Google tous les articles,
     ment l’ayant condamné en première instance pour          toutes les photographies et les représentations gra-
     contrefaçon de droits d’auteur en décembre 2009          phiques des journaux représentés par Copiepresse.
     (voir REM n°17, p. 15). Fortes de la décision juri-      Accusant Google de publier les contenus des jour-
     dique prise outre-Atlantique, les maisons d’édition      naux belges sans autorisation ni rémunération,
     Albin Michel et Gallimard, qui s’étaient associées un    l’association Copiepresse a déclaré « espérer que
     an auparavant afin d’assigner Google Books en            Google aura l’intelligence de rechercher une solu-
     justice, rejointes par Flammarion, ont finalement        tion équitable pour mettre fin à cette situation ». Le
     franchi le pas le 6 mai 2011. Les trois éditeurs         moteur de recherche américain estime, quant à lui,
     réclament à Google près de 10 millions d’euros de        que le référencement est au contraire une pratique
     dommages et intérêts pour la numérisation sans           qui encourage les internautes à lire les journaux en
     leur autorisation de 9 797 livres. Cette somme de        ligne. En outre, il met à la disposition des éditeurs
     1 000 euros par ouvrage correspond au dédom-             les outils leur permettant d’interdire ou de limiter
     magement obtenu par le groupe La Martinière, soit        l’accès des agrégateurs à leurs contenus. Il envisa-
     300 000 euros pour 300 ouvrages numérisés sans           gerait donc de se pourvoir en cassation.
     accord. Cette assignation adressée à la filiale de       Cette décision de justice pourrait coûter cher à
     Google en France sera suivie d’une autre visant la       Google, bien au-delà des frontières de la Belgique.
     maison-mère aux Etats-Unis.                              Si le groupe américain acceptait de négocier des
                                                              droits d’auteur avec les éditeurs de journaux belges,
     La création d’une bibliothèque numérique universelle     l’ensemble des titres de presse européens pourraient
     est une belle idée. Surtout si elle offre une seconde    faire valoir à leur tour cette jurisprudence présentée
     vie aux ouvrages oubliés par les maisons d’édition,      comme une première mondiale par les avocats des
     qui préfèrent batailler sur le marché des nouveau-       journaux belges. Rien n’est moins sûr cependant,
     tés, et si elle ressuscite les ouvrages perdus pour la   car le moteur de recherche offre une visibilité sans
     propriété intellectuelle, dont les éditeurs ne se        pareille sur le Web.
     soucient plus guère. Il faut rendre hommage à            En Italie, un compromis a été trouvé. Accusé d’abus
     Google. Mais le géant d’Internet a péché par ambi-       de position dominante par la Fédération italienne
     tion en franchissant les limites du droit.               des éditeurs de journaux (FIEG), l’agrégateur de
                                                              contenus d’actualités Google News Italie a fait
     Face aux éditeurs de journaux                            l’objet d’une enquête de l’autorité de concurrence,
                                                              l’Antitrust, en août 2009. Elle devait juger les termes
     En Belgique, la justice vient de donner une nouvelle     d’un contentieux assez semblables à ceux invoqués
     fois raison aux éditeurs de journaux. L’affaire a        par les éditeurs de journaux belges (voir REM n°12,

11
Droit
p.4). Les éditeurs italiens accusaient Google News,          l’intégralité des informations récupérées. Google
d’une part, d’avoir un impact négatif sur leur capa-         avait obtempéré en arrêtant son service Street View
cité à attirer les internautes et les annonceurs sur         et effacé de ses serveurs les informations captées
leur propre site et, d’autre part, de renforcer le rôle de   « par erreur sur des réseaux Wi-Fi non sécurisés »
Google sur le marché de la publicité en ligne. Dés-          (voir REM n°16, p.7).
activer le référencement à Google News revenait en
effet pour eux à s’exclure en même temps de Goo-             Mais la CNIL accuse Google de continuer à utiliser
gle Italie. L’Antitrust a annoncé le dénouement de           les données identifiant les points d’accès Wi-Fi des
l’enquête, en janvier 2011, à la suite des engage-           internautes, sans les en informer, par le biais des
ments pris par Google. Pour une durée de trois ans,          terminaux mobiles des utilisateurs de son service de
l’application Google News est désormais indépen-             géolocalisation Google Latitude. Lancée en 2009,
dante de celle du moteur de recherche Google Italie.         cette application permet à un mobinaute, grâce aux
Les éditeurs italiens peuvent donc utiliser un mar-          données collectées par Street View, de se repérer sur
queur afin de désactiver le référencement de leurs           Google Maps et de localiser ses contacts. En outre,
pages par l’agrégateur de contenus sans se priver            Google n’avait pas respecté l’obligation de déclara-
de la visibilité que leur offre le moteur de recherche       tion imposée aux services de géolocalisation avant
de Google. La firme américaine s’est également               que la CNIL ne lui en fasse la demande. « Compte
engagée à plus de transparence dans le partage des           tenu des manquements constatés et de leur gravité,
revenus publicitaires. L’autorité italienne de concur-       ainsi que des avantages économiques que retire la
rence a néanmoins indiqué qu’une loi devrait définir         société Google de ces manquements », la CNIL a
les conditions d’une « rémunération adéquate » pour          sanctionné Google pour atteinte à la vie privée. Pour
l’utilisation en ligne des contenus produits par les         sa défense, Google a indiqué qu’il n’avait pas
entreprises de presse dans le respect des droits de          nécessairement l’obligation de déclarer l’existence
la propriété intellectuelle.                                 d’un service qui repose sur l’adhésion de ses utili-
Selon « l’Agenda numérique de l’UE », la Commis-             sateurs et le respect des règles de la confidentialité.
sion européenne doit très prochainement faire des            En outre, il considère que la loi française « Informa-
propositions afin de mettre à jour la directive sur les      tique et Libertés » ne s’applique pas à Google
droits de propriété intellectuelle                           Latitude, le traitement des données étant effectué aux
                                                             Etats-Unis. Google a deux mois pour déposer un
Face à la CNIL                                               recours devant le Conseil d’Etat.
                                                             Présent dans plus d’une vingtaine de pays, Google
C’est la plus grosse amende infligée par la Com-             Street View fait également l’objet d’enquêtes appro-
mission nationale de l’informatique et des libertés          fondies ou de contentieux portant sur l’obligation de
(CNIL) depuis qu’elle a été autorisée à attribuer des        flouter certaines images ou sur la violation de la
sanctions financières en 2004. La CNIL a prononcé            protection des données personnelles, en Allemagne
à l’encontre de Google une sanction pécuniaire de            (premier pays à avoir dévoilé la captation illicite de
100 000 euros pour « collecte déloyale » d’infor-            données personnelles), en Suisse, aux Pays-Bas,
mations à caractère personnel en mars 2011.                  en Espagne, en Belgique, en Grande-Bretagne, aux
Depuis son lancement en 2007, le service de                  Etats-Unis, en Australie, en Corée du Sud et à
visualisation des rues Google Street View, obtenue à         Singapour. Avec le développement des services de
partir de photographies prises par les voitures de           géolocalisation, Google n’est pas le seul géant
Google, a permis de collecter à leur insu des infor-         d’Internet à se retrouver dans le collimateur de la
mations personnelles d’internautes identifiables,            justice ou des instances nationales de protection des
utilisateurs de réseaux Wi-Fi : données de connexion         données personnelles. Le groupe Apple fait déjà
à des sites web, adresses et courriers électroniques,        l’objet d’une enquête concernant les applications de
mots de passe de messagerie, historiques de navi-            géolocalisation sur iPhone et iPad en matière de res-
gation. Des visites d’internautes sur des sites de           pect de la vie privée aux Etats-Unis et en Corée du
rencontres, des conversations privées, ou encore             Sud. Le succès des smartphones couplé à l’usage
des échanges entre des patients et leur médecin, ont         généralisé des réseaux sociaux offre un bel avenir à
pu être ainsi très précisément localisés. En mai             la géolocalisation, sésame du marché prometteur
2010, la CNIL avait mis en demeure Google de ces-            de la publicité locale que visent les Google, Apple et
ser cette collecte de données et de lui transmettre          Facebook.

                                                                                                         En Europe      12
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