Modélisation du besoin en calcium de la truie reproductrice et variation du rapport phosphocalcique des aliments selon le niveau de performance

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Modélisation du besoin en calcium de la truie reproductrice et variation du rapport phosphocalcique des aliments selon le niveau de performance
Modélisation du besoin             INRAE Prod. Anim.,
                                        2021, 34 (1), 61-78

    en calcium de la truie
    reproductrice et variation du rapport
    phosphocalcique des aliments
    selon le niveau de performance
Nathalie QUINIOU1, Anne BOUDON2, Jean-Yves DOURMAD2, Maud MOINECOURT3, Nathalie PRIYMENKO3, Agnès NARCY4
1
 IFIP – Institut du Porc, 35651, Le Rheu, France
2
 PEGASE, INRAE, Institut Agro, 35590, Saint-Gilles, France
3
 TOXALIM, INRAE, ENVT, 31076, Toulouse, France
4
  BOA, INRAE, Université de Tours, 37380, Nouzilly, France
Courriel : nathalie.quiniou@ifip.asso.fr

„„ Actuellement le calcium est peu onéreux et sa teneur dans l’aliment n’est pas soumise à des contraintes
réglementaires. Cependant, en raison des interactions qui existent entre cet élément et le phosphore au niveau
digestif, une truie alimentée au besoin en phosphore peut basculer en situation de carence pour ce minéral si
l’apport en calcium est excessif. Par ailleurs, les apports en calcium sont parfois insuffisants. Cela incite donc à
mieux raisonner l’apport en calcium, notamment via la modélisation des besoins.1

Introduction                                               ­ oiteries (Suttle, 2010), un des indica-
                                                           b                                                    3 et 7 €/tonne selon le contexte de prix
                                                           teurs de santé retenus depuis 2009 dans              des sources de phosphates et carbo-
                                                           la démarche Welfare Quality (2009) et                nates (Note de Conjoncture IFIP men-
   L’étude des besoins en énergie et                       plus récemment dans l’outil pratique                 suelle, https://www.ifip.asso.fr/sites/
en acides aminés de la truie mobilise                      d’évaluation du bien-être en élevage                 default/files/pdf-documentations) ;
plusieurs équipes de recherche dans                        de porcs qu’elle a inspiré (Courboulay
le monde. Plus rares sont celles qui se                    et al., 2019).                                         ii) la raréfaction des réserves natu-
consacrent à l’étude des besoins en                                                                             relles en phosphore (phosphates) au
minéraux. Ces derniers sont pourtant                         L’alimentation minérale adéquate                   niveau mondial, dont celles utilisables
impliqués dans de nombreuses fonc-                         doit permettre de couvrir les besoins en             en alimentation animale, qui conduit
tions métaboliques et influencent le                       calcium et phosphore tout au long de                 à s’intéresser à des solutions de recy-
niveau de performance de reproduc-                         la vie de l’animal. Ceux-ci augmentent               clage pour économiser et prolonger la
tion (Pointillart, 1984). D’après van Riet                 avec le niveau de performance, mais les              disponibilité des ressources au-delà du
et al. (2013), les problèmes de boite-                     apports doivent rester parcimonieux                  xxiie siècle (Koppelaar et Weikard, 2013) ;
rie touchent 10 à 15 % des truies en                       pour plusieurs raisons qui incitent à
Europe ce qui pénalise leur longévité                      optimiser les apports au regard des                    iii) l’impact des rejets en minéraux
et accroît les taux de pertes de porcelets                 besoins de l’animal :                                dans l’environnement, en particulier
en maternité. Or, la qualité des apports                                                                        les rejets en phosphore qui altèrent la
en minéraux joue notamment un rôle                          i) le coût économique des sources                   qualité des eaux et favorisent l’eutrophi-
important dans la prévention des                           minérales dans l’aliment qui varie entre             sation lorsque les quantités épandues

1 Cet article a fait l’objet d’une présentation aux 51es Journées de la Recherche Porcine (Quiniou et al., 2019).

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2021.34.1.4723                                                    INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
62 / Nathalie quiniou et al.

excèdent l’exportation par les cultures                    2015) selon le stade physiologique,                   risquer une situation de carence. Une
(Dourmad et al., 2020) ;                                   notamment pour les aliments de ges-                   approche de modélisation permet de
                                                           tation et de lactation. L’alimentation de             prendre en compte l’incidence des
  iv) les interactions entre calcium                       précision en cours de développement                   facteurs d’élevage sur les différentes
et phosphore aux niveaux digestif et                       pour apporter chaque jour à chaque                    fonctions biologiques impliquées dans
métabolique (Létourneau-Montminy                           animal les nutriments dont il a besoin                la performance animale et le besoin
et al., 2014).                                             devrait permettre une épargne des res-                de ces deux minéraux, pour raisonner
                                                           sources, celles-ci étant alors utilisées de           ensuite les contraintes de formulation
  Concernant le phosphore, l’enjeu de                      façon optimisée tant d’un point de vue                des aliments utilisés pour nourrir les
la conduite alimentaire est de couvrir                     économique qu’environnemental. Dès                    truies pendant l’ensemble du cycle de
au mieux les besoins tout en respec-                       lors que les apports en phosphore sont                reproduction.
tant les contraintes de formulation                        réalisés au niveau du besoin pour ali-
maximales en phosphore total (Ptotal)                      menter la truie, il n’est plus possible de               Après un bref rappel de quelques
imposées en France depuis plusieurs                        raisonner indépendamment les recom-                   connaissances de bases sur l’utilisation
années (Corpen, 2003 ; Dourmad et al.,                     mandations de teneur en calcium sans                  du calcium et son rôle chez la truie, un
                                                                                                                 modèle de prédiction du besoin en cal-
Encadré 1. Le calcium et le phosphore dans l’os.                                                                 cium est présenté et utilisé pour évaluer
                                                                                                                 l’évolution des besoins selon le poten-
 Forme du Ca et du P dans l’os                                                                                   tiel de performance des truies. Adossé
 Le calcium et le phosphore sont déposés dans l’os majoritairement sous forme de cristaux d’hydroxyapatite       à un modèle d’estimation du besoin
 (Ca5(PO4)3(OH), phosphate de calcium) qui constituent 85 % des minéraux de l’os. Dans les 15 % de cristaux      en phosphore, il permet également
 restant, le calcium est présent sous forme de carbonate de calcium (CaCO3) et fluorure de calcium (CaF2).       d’estimer le rapport phospho-calcique
                                                                                                                 correspondant.
 Renouvellement de l’os : phase d’accrétion et de résorption
 L’os est un tissu renouvelé en permanence. Le dépôt minéral dans l’os (phase d’accrétion) et la destruction     1. Le calcium
 (résorption) du tissu osseux sont régulés par plusieurs hormones.
                                                                                                                 dans l’organisme
 Réserve et mobilisation du Ca
 Si le niveau de réserves est élevé à la mise bas, de 15 à 20 % du calcium osseux peuvent être mobilisés en
 situation de carence pendant la lactation (Jondreville et Dourmad, 2005), sinon la production de lait diminue      Chez le Porc, 99 % du calcium (Ca, masse
 (Nimmo et al., 1981).                                                                                           molaire 40,08 g/mol) et 75 % du phos-
                                                                                                                 phore (P, masse molaire 30,97 g/mol)
Figure 1. Représentation des différents compartiments de calcium (Ca) de l’or-                                   de l’organisme sont stockés dans l’os
ganisme et des principales voies de régulation hormonale des flux (processus                                     (encadré 1). La part de calcium non
homéostatiques).                                                                                                 stockée dans l’os circule dans l’orga-
                                                                                                                 nisme sous forme libre (50 %), liée à
                                                                                                                 des protéines (40 %) ou complexée à
   Ca ALIMENTAIRE                                Ca INTESTINAL                              Ca FECAL             d’autres ions (10 %) (Crenshaw, 2000).
                                                                                                                 Elle se répartit entre les tissus mous
                                                                                                                 (compartiment intracellulaire) et les
                                                                                                                 fluides extracellulaires (principalement
                                                cortisol      calcitriol                  PTH
                                                                                                                 le sang).
                           calcitonine
  Ca CORPOREL              calcitriol
                           PTH, PTHrP
                                                                                                                 „„1.1. Constituant
                                                                                            Ca                   essentiel de l’os
         Ca                                                                              CONTENUS
       OSSEUX                                                                             UTÉRINS                   L’hydroxyapatite, dont le rapport
                           cortisol                                                                              Ca/P massique est de 2,16 et le rapport
                                                    Ca-EXTRA
                           calcitonine                                                                           molaire de 1,67, constitue 85 % des cris-
                                                  CELLULAIRE                                 Ca LAIT             taux osseux (Crenshaw, 2000). Les hor-
                                                                                                                 mones qui modulent le renouvellement
         Ca
                                                                                                                 osseux sont impliquées dans la régula-
    TISSUS MOUS
                                                                                                                 tion de la calcémie (figure 1). L’accrétion
                                                                                                                 osseuse est régulée, d’une part, par la
                                                               calcitonine                                       calcitonine, hormone hypocalcémiante
                                                               calcitriol                                        qui favorise le dépôt de calcium dans
         stimulation
                                                               PTH, PTHrP                                        l’os et diminue la réabsorption rénale du
         inhibition
                                                                                                                 calcium (Suttle, 2010) et, d’autre part,
                                                   Ca URINAIRE                                                   par le cortisol qui stimule le catabolisme

INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
Modélisation du besoin en calcium de la truie reproductrice et variation du rapport phosphocalcique des aliments / 63

protéique et ralentit la formation de la       plasmatique en Ca2+ (Pointillart, 1984 ;      qui p ­ ermet le démarrage du dévelop-
trame organique de l’os (Weiler et al.,        Jongbloed et al., 1999 ; González-Vega        pement embryonnaire. Chez les mam-
2003). La résorption osseuse est régulée       et Stein, 2014). Ils reposent sur l’activa-   mifères, le « signal calcique » serait dû à
par plusieurs hormones (Moinecourt             tion ou non du transport actif impliqué       la libération de calcium par le réticulum
et Priymenko, 2006). La parathormone           dans l’absorption intestinale, sur l’excré-   après l’activation de canaux calciques
(PTH), une hormone hypercalcémiante            tion rénale et sur l’équilibre entre accré-   sensibles à l’adénosine di-phosphate ou
sécrétée par les parathyroïdes, ou son         tion et résorption osseuse (figure 1).        à l’inositol tri-phosphate. Néanmoins,
homologue (la PTH related protein,                                                           la contribution respective de ces deux
PTHrP) sécrétée par la glande mam-               Le calcium peut activer ou stabiliser       voies dans l’activation ovocytaire n’a
maire, augmente la résorption osseuse          de nombreuses enzymes, directement            pas été décrite chez la truie à ce jour.
ainsi que la réabsorption au niveau            ou après formation d’un complexe              L’hypothèse d’un transfert de calcium
rénal et, indirectement via l’activation       avec des protéines ou avec des acides         provenant du spermatozoïde ou du
de la vitamine D, l’absorption au niveau       organiques ou inorganiques. Il est            milieu extracellulaire est également
intestinal. Le calcitriol (dihydroxy-chole-    par exemple un des composants des             avancée par les mêmes auteurs.
califerol ou 1,25(OH)2D3) est une hor-         complexes activés dans les différentes
mone hyper-calcémiante issue de la             étapes de la coagulation sanguine.
phosphorylation de la vitamine D, qui          Seule la forme ionisée Ca2+ peut tra-
                                                                                             2. Absorption intestinale
stimule la résorption osseuse ainsi que        verser les membranes plasmiques. Son          du calcium
l’absorption intestinale (voir plus loin) et   entrée dans les neurones est favorisée
la réabsorption rénale du calcium. Enfin,      par l’arrivée d’un potentiel d’action
la calcitonine est une hormone hypo-           qui provoque l’ouverture des canaux              L’efficacité de l’utilisation digestive
calcémiante, qui inhibe la résorption          calciques potentiel-dépendants. Le            des minéraux dépend de leur solubilité,
osseuse via une baisse d’activité des          calcium provoque alors la libération de       qui dépend du pH des contenus diges-
ostéoclastes. De 15 à 20 % du calcium          neurotransmetteurs (Peschanski, 1994).        tifs, et de la régulation de l’absorption
osseux de la truie peuvent être mobi-                                                        intestinale, toutes deux confondues
lisés en situation de carence pendant            Au niveau des muscles striés, le cal-       dans la notion de digestibilité (Pérez,
une lactation qui dure de 3 à 4 semaines       cium contribue à la levée de l’inhibition     1978).
(Jondreville et Dourmad, 2005). Cette          de la liaison actine-myosine, ce qui
mobilisation est très rapide au regard         entraîne la contraction (Lefaucheur,          „„2.1. Mécanismes
de la vitesse de renouvellement de l’os        2010). Il interagit avec d’autres cations
en situation d’équilibre qui est éva-          pour modifier l’excitabilité neuromus-           Le calcium est absorbé par diffusion
luée à 10 % par an en moyenne chez             culaire. D’après Pérez (1978) et Suttle       passive et par transport actif à travers
l’Homme adulte (Kenkre et Bassett,             (2010), la séquence d’apparition des          la muqueuse intestinale (De Barboza
2018) avec des différences importantes         signes cliniques provoqués par une            et al., 2015). La diffusion passive est
selon le type d’os (os cortical : 4 % vs.      carence aigüe en calcium chez la truie        observée tout au long de l’intestin grêle.
os spongieux : 25 % ; Lefèvre, 2016). La       peut être comparée à celle observée           Le transport actif intervient essentiel-
résorption de l’os s’accentue pendant la       chez la vache qui déclare une fièvre          lement dans le duodénum et le jéju-
lactation (van Riet et al., 2016), dès lors    après la mise bas, appelée « fièvre de        num, selon un mécanisme en 3 étapes
que la capacité maximale d’ingestion de        lait », à cause d’une carence en cal-         (canaux d’absorption du calcium de
la truie est atteinte plus tôt que le pic de   cium, et dont les signes sont aggravés        la muqueuse intestinale, transport du
lactation. Quand elle est provoquée par        par une carence en magnésium jusqu’à          calcium dans la cellule, libération dans
un déficit en calcium ou en phosphore,         une crise de tétanie.                         la circulation sanguine). Chez l’Homme,
il s’ensuit inexorablement la libération                                                     il peut contribuer jusqu’à 60 % de l’ab-
de l’autre élément.                               Au niveau du muscle lisse de l’utérus,     sorption intestinale du calcium en
                                               le complexe que forment le calcium et         situation d’apport conforme aux recom-
„„1.2. Rôle physiologique                      la calmoduline phosphoryle la myosine,        mandations (Fleet et Schoch, 2010).
                                               qui peut alors interagir avec l’actine
   Le calcium ionisé (Ca2+) est la forme       pour provoquer la contraction (Inserm,        „„2.2. Régulation
physiologiquement active du calcium.           1997). L’injection de prostaglandine
Cette forme libre du Ca2+ ne représente        induit le démarrage de la mise bas,              La diffusion passive est une voie
que 0,5 % de la totalité du calcium de         notamment via l’augmentation de la            paracellulaire non saturable qui inter-
l’organisme. La fraction de calcium ioni-      concentration en calcium intracellulaire      vient même en situation d’apports éle-
sée ou liée aux protéines (notamment           (Inserm, 1997).                               vés en calcium (figure 2). Elle dépend
l’albumine) dépend du pH sanguin,                                                            du gradient de concentration en cal-
le Ca2+ se liant aux sites des protéines         Au niveau ovocytaire, De Nadai et al.       cium entre la lumière intestinale et le
portant une charge négative, en com-           (1999) rapportent qu’une augmenta-            plasma (Valdiguié, 2000). L’essentiel
pétition avec les ions H+. De nombreux         tion rapide et transitoire de la teneur       de la régulation de l’absorption liée à
mécanismes sont impliqués dans la              en Ca2+ est observée après la féconda-        la couverture du besoin est attribué à
régulation (homéostasie) de la teneur          tion chez de nombreuses espèces, ce           la voie active. Celle-ci est un processus

                                                                                             INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
64 / Nathalie quiniou et al.

    Figure 2. Contribution des voies d’ab-                              l­’absorption marginale (quantité de        car elle inhibe alors leur réabsorption
    sorption passive ou active à l’efficacité                            Ca absorbée par unité de Ca supplé-        rénale. En cas d’augmentation de la
    totale de l’absorption du calcium (sur
                                                                         mentaire ingérée) est élevée, et la pro-   concentration circulante en phos-
    la base d’une digestibilité maximale
    du calcium ingéré supposée à 50 %),                                  portion totale de calcium absorbée         phates, le « fibroblast growth factor 23 »
    d’après Fleet et Schoch (2010)                                       diminue. Du fait de ces régulations,       est également stimulé. Il intervient en
                                                                         la digestibilité apparente du calcium      synergie avec la PTH dans l’augmenta-
                              60
                                                                         dépend du niveau d’apport relative-        tion de l’excrétion rénale du phosphore
                                   Digestibilité maximale                ment au besoin.                            et diminue son absorption intestinale
Efficacité d'absorption (%)

                              50
                                                                                                                    via une réduction de la synthèse du cal-
                              40                                        „„2.3. Statut physiologique                 citriol (Bergwitz et Jüppner, 2010). Cela
                                                                        et hormones                                 se répercute donc aussi sur les capacités
                              30                                                                                    d’absorption du calcium.
                                    Contribution de la voie active
                                                                           Outre la PTH, les œstrogènes, la
                              20                                        prolactine (chez la brebis) et l’hor-          Quand les apports en calcium sont
                                                                        mone de croissance stimulent indi-          réduits afin d’accroître la digestibilité
                              10   Contribution de la voie passive      rectement l’absorption du calcium en        du phosphore et réduire les rejets de
                                                                        augmentant la sensibilité intestinale       cet élément, ils peuvent ainsi s’avé-
                              0
                                                                        au calcitriol (Fleet et Schoch, 2010).      rer insuffisants pour la minéralisation
                                                                        L’augmentation des concentrations cir-      osseuse. En effet, l’équilibre phos-
                              Teneur en Ca dans la lumière intestinal
                                                                        culantes en œstrogènes vers la fin du       pho-calcique est déterminant pour
                                                                        premier mois de gestation et à la fin de    l’accrétion osseuse puisque le dépôt
                                                                        la gestation contribue à une meilleure      osseux se fait avec le respect strict de
    saturable dont la contribution à l’ab-                              absorption intestinale du calcium.          l’équilibre Ca/P de la trame osseuse.
    sorption totale est majeure en situation                            Après la mise bas, la prolactine prend le   Une carence en calcium entraîne alors
    d’apports alimentaires faibles ou modé-                             relais comme cela a été mis en évidence     une augmentation des rejets en phos-
    rés, relativement au besoin. À l’inverse,                           chez la femme (Kovacs, 2005) et la rate     phore par la voie urinaire en raison de
    en situation d’apports élevés, la voie                              (Fleet et Schoch, 2010). À l’inverse, le    son implication moindre dans l’accré-
    passive devient prépondérante dans                                  cortisol inhibe l’absorption intestinale    tion osseuse (Létourneau-Montminy
    l’absorption du calcium supplémentaire                              du calcium (Weiler et al., 2003). Le rôle   et al., 2012).
    ingéré (Fleet et Schoch, 2010).                                     potentiel d’autres hormones telles que
                                                                        la leptine n’est pas encore confirmé
       Différents mécanismes d’absorp-                                  (Breves et al., 2010).
                                                                                                                    3. Système nutritionnel
    tion active du calcium sont proposés                                                                            utilisé en formulation
    (Fleet et Schoch, 2010), dont le plus                               „„2.4. Interaction                          des aliments
    fréquemment décrit est celui de la dif-                             avec le phosphore
    fusion facilitée sous l’action du calcitriol.
    Une diminution de la teneur en Ca2+                                    L’équilibre entre les apports en cal-       Les tables INRA-CIRAD-AFZ (2017)
    dans le liquide extracellulaire stimule                             cium et en phosphore est détermi-           de valeurs chimiques et nutritionnelles
    la sécrétion de la PTH par la glande                                nant pour leur absorption respective,       des différentes matières premières uti-
    parathyroïde. La PTH stimule alors l’hy-                            un excès de l’un pouvant diminuer           lisées pour formuler les aliments des
    droxylation de la vitamine D3 (cholecal-                            l’absorption de l’autre (Létourneau-        porcs permettent de raisonner l’apport
    ciférol) en 25-(OH)D3 dans le foie, puis                            Montminy et al., 2012). En effet, l’excès   en phosphore sur la base de la diges-
    en 1,25-(OH2)D3 (dihydroxy-cholecalci-                              de calcium dans le tube digestif conduit    tibilité fécale apparente, décrite par
    ferol ou calcitriol) dans les reins mais                            à la formation de complexes chélatés        le Coefficient d’Utilisation Digestive
    également dans la moelle, la peau et les                            avec les phosphates et/ou les phytates      (CUD). L’expression du besoin sur la
    muqueuses intestinales (Suttle, 2010).                              (ou phosphore phytique). De même, un        base de la teneur en élément digestible
    Le calcitriol ouvre les canaux d’ab-                                excès de phosphore dans le tube diges-      apparent implique que les pertes endo-
    sorption du calcium de la muqueuse                                  tif conduit à la formation de complexes     gènes fécales doivent être considérées
    intestinale en activant une protéine                                phospho-calciques.                          comme une composante du besoin
    de transport du calcium (Ca-binding                                                                             d’entretien (Jondreville et Dourmad,
    protein ou calbindin). Le calcium est                                  Outre le piégeage du calcium, l’excès    2005). Une autre approche est utili-
    ensuite libéré dans la circulation san-                             de phosphore inhibe les mécanismes          sée dans les tables NRC (2012) et CVB
    guine par l’intermédiaire d’une ATPase                              impliqués dans l’activation de la vita-     (2018), à savoir la digestibilité fécale
    calcium et magnésium dépendante et                                  mine D en calcitriol au niveau rénal. En    standardisée qui est obtenue après
    d’échangeurs Na+/Ca2+.                                              effet, bien que la synthèse de PTH soit     avoir pris en compte les pertes endo-
                                                                        principalement déclenchée lors d’un         gènes basales liées à l’ingestion de
      De même que pour le phosphore,                                    risque d’hypocalcémie, elle peut être       matière sèche mais pas les pertes endo-
    plus les apports alimentaires augmen-                               stimulée par une augmentation de la         gènes spécifiques (liées aux matières
    tent et approchent du besoin, moins                                 concentration circulante en phosphates      premières) en raison d’un manque de

    INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
Modélisation du besoin en calcium de la truie reproductrice et variation du rapport phosphocalcique des aliments / 65

données disponibles actuellement et           pas p ­ ossible d’envisager de raisonner                   pour établir le statut de l’animal. D’une
de problèmes ­d’additivité. Les pertes        ­l’apport en calcium sur une base diges-                   façon générale, l’approche empirique
endogènes basales fécales étant prises         tible actuellement.                                       des besoins par des essais dose-­réponse
en compte dans l’évaluation du phos-                                                                     présente l’inconvénient d’aboutir à des
phore apporté par les matières pre-                                                                      conclusions qui dépendent des critères
mières, elles ne doivent alors pas être
                                              4. Critères d’évaluation                                   étudiés (gain de poids, efficacité ali-
considérées comme une composante              du besoin en calcium                                       mentaire, minéralisation osseuse maxi-
du besoin d’entretien. L’utilisation de                                                                  male…), des contraintes de formulation
l’un ou de l’autre mode d’expression                                                                     de l’aliment (encadré 3), voire d’inte-
du phosphore digestible modifie peu              Pendant l’engraissement, indépen-                       ractions avec d’autres composants de
le classement des principales matières        damment des conditions d’ambiance                          l’aliment. Chez le porc en croissance,
premières mais les deux approches ne          ou de statut sanitaire, une chute d’ap-                    la quantification du besoin minéral
peuvent pas être combinées, aussi la          pétit des porcs peut parfois conduire                      fondée sur un degré de minéralisation
formulation doit-elle être réalisée avec      à suspecter rapidement une carence                         osseuse maximale peut conduire à
l’une ou l’autre. Les valeurs de phos-        en phosphore (Gonzalo et al., 2014),                       des niveaux d’apports très élevés que
phore digestible considérées dans cet         même si ce n’est pas systématique                          certains auteurs considèrent même
article sont celles issues des tables         (Misiura et al., 2020). Ce critère ne peut                 extravagants (Suttle, 2010). Chez la
INRA-CIRAD-AFZ (2017). En supposant           cependant pas être utilisé pendant la                      truie, en revanche, atteindre cet objec-
que l’activité phytasique endogène            gestation puisque les animaux sont ali-                    tif de minéralisation maximale (10 %,
des matières premières est inactivée          mentés de façon rationnée (encadré 2).                     Frandson et al., 2009) en début de
(par exemple lors de la granulation), il      L’étude du besoin en minéraux de la                        carrière reproductrice est d’un intérêt
est possible de raisonner les apports en      truie implique la mise en place d’es-                      majeur (Nimmo et al., 1981). Il s’agit de
phosphore digestible (Pdig) dans la for-      sais de longue durée. Or, si la période                    préparer un squelette solide en début
mule de façon additive avec les valeurs       de carence se prolonge, les problèmes                      de carrière, qui puisse contribuer à
des tables INRA-CIRAD-AFZ (2017).             de reproduction ou de locomotion                           la longévité dans le troupeau. Chez
                                              peuvent être d’une gravité telle que                       la truie gravide, il s’agit de reconsti-
    Pour le calcium, seules des teneurs       le rétablissement de l’équilibre ali-                      tuer les réserves après des phases de
moyennes en calcium total (Catotal) sont      mentaire ne permet pas d’y remédier                        mobilisation.
présentées dans les tables. Les sources       (Pointillart, 1984).
de calcaire sont les principales pour-                                                                     La densité osseuse peut être carac-
voyeuses de calcium dans l’aliment.             Étant donné l’ensemble des méca-                         térisée de façon non invasive par
Cependant les tables ne distinguent           nismes mis en œuvre dans l’homéos-                         tomographie (Monziols et al., 2014)
pas le gisement d’origine. Or la com-         tasie calcique, l’étude de la teneur en                    ou par absorptiométrie biphoto-
paraison de différentes sources de cal-       calcium circulant n’est pas ­suffisante                    nique à rayons X (Kipper et al., 2015).
caires (oolithique, à rudiste, calcitique,
dolomitique…) met en évidence des             Encadré 2. L’alimentation des truies gravides.
différences non seulement sur la teneur
en calcium mais également sur la dispo-        Gestation de la truie
nibilité de ce dernier (Ross et al., 1984 ;    Après une gestation d’environ 115 jours, les truies dites « hyperprolifiques » (i.e. issues de schémas de sélec-
Samson et al., 2013). Des travaux sont         tion génétique très prolifiques) mettent bas des portées de 16 porcelets en moyenne (vs. 11 il y a 30 ans,
conduits aux États-Unis (Université de         données GTTT IFIP https://www.ifip.asso.fr/fr/resultats-economiques-gttt-graphique.html).
l’Illinois et de Purdue) pour développer
un système de digestibilité standardi-         Rationnement de la truie gestante
sée du calcium permettant de mieux             La truie gestante est alimentée de façon rationnée pour éviter qu’un état de réserve excessif à la fin de la
caractériser les apports des différentes       gestation complique le déroulement de la mise bas et limite l’appétit pendant la lactation.
matières premières (Zhang et al.,
2016 ; González-Vega et Stein, 2016 ;          Alimentation suivant un plan dit « en U »
Lee et Stein, 2020). Il se rapproche de        Le développement de la portée intervient principalement pendant le dernier tiers de la gestation. Pendant
la démarche mise en œuvre sur les              cette période, l’augmentation des besoins est exponentielle et ceux-ci sont d’autant plus importants que
acides aminés au niveau iléal (Stein           la prolificité est élevée (Tokach et al., 2019). Aujourd’hui, avec 16 porcelets par portée voire plus, presque
et al., 2007). Cependant, l’influence du       toutes les truies sont alimentées suivant un plan dit « en U » avec des apports nutritionnels élevés pendant
niveau de couverture du besoin sur la          les 2-3 dernières semaines de gestation, et des apports pendant le premier mois de gestation d’autant plus
régulation de l’absorption et par consé-       élevés que la quantité de réserves à (re)constituer est importante après la lactation précédente.
quent sur les valeurs de digestibilité
reste un problème à formaliser. Par
                                               Élevage en individuel ou en groupe, et individualisation de l’alimentation
ailleurs, les connaissances disponibles        Une alimentation à la carte est facilitée par un élevage en stalle individuelle pendant le premier mois de
sur la caractérisation des pertes endo-        gestation. En revanche, à partir du début du deuxième mois de gestation jusqu’à l’entrée en maternité,
gènes sont insuffisantes. Du fait de ces       environ une semaine avant la date de mise bas prévue, les truies sont élevées en groupe et, selon le système
différentes limites, en pratique il n’est      d’alimentation utilisé, l’individualisation de la ration peut être plus compliquée à mettre en œuvre.

                                                                                                         INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
66 / Nathalie quiniou et al.

Encadré 3. Formulation des aliments.                                                                                  5. Modélisation
                                                                                                                      des besoins quotidiens
 Alimentation biphase des truies : aliment de gestation et aliment de lactation                                       en calcium
 Dans la plupart des élevages, deux aliments sont utilisés pour nourrir les truies. L’aliment de gestation est
 distribué à partir du sevrage des porcelets jusqu’à l’entrée en maternité ou la mise bas suivante selon le nombre
 de silos disponibles. L’aliment de lactation est distribué ensuite jusqu’au sevrage qui intervient après 3 ou           Le modèle proposé pour l’estimation
 4 semaines de lactation. Ces deux aliments doivent être formulés de façon à couvrir les différents besoins des       du besoin en calcium total est associé
 animaux à chaque stade, selon le niveau de performance observé dans l’élevage.                                       à celui de l’estimation du besoin en
                                                                                                                      phosphore sur la base de sa teneur
 Contraintes de formulation des aliments                                                                              digestible fécale apparente. Tant que les
 Un ensemble de contraintes successives est appliqué pour optimiser les formules d’aliment, c’est-à-dire              apports ne dépassent pas les besoins,
 ajuster les taux d’incorporation des matières premières au moindre coût tout en respectant les caractéristiques      l’efficacité d’absorption des minéraux
 nutritionnelles attendues. Ainsi, outre les limites d’incorporation fixées pour certains ingrédients de la formule   est supposée maximale (figure 2). Les
 (tables de valeurs des aliments IFIP-Arvalis-Unip-Cetiom, 2002), des valeurs minimales et/ou maximales               besoins sont estimés par une approche
 sont renseignées successivement pour les critères nutritionnels suivants :                                           factorielle (encadré 4) qui consiste,
 – teneur en énergie nette (EN),                                                                                      d’une part, à distinguer pour chaque
 – teneur en lysine digestible (LYSdig), acide aminé limitant primaire dont la teneur est raisonnée sur la base       stade physiologique (i.e., gestation ou
 d’un rapport avec l’EN,                                                                                              lactation) les composantes du besoin
 – teneurs minimales des autres acides aminés essentiels qui dépendent de la teneur en LYSdig sur la base du          et, d’autre part, à prendre en compte
 concept de la protéine idéale,                                                                                       des facteurs de variation de ces com-
 – teneur maximale en Ptotal pour respecter les contraintes environnementales (Dourmad et al., 2015),                 posantes. Selon le compartiment
 – teneur minimale en Pdig en intégrant le mode de présentation, i.e. sous forme de farine (avec des phytases         considéré, des hypothèses de relations
 endogènes actives) ou après un traitement thermique (granulation) qui provoque leur inactivation,                    étroites entre les masses protéiques et
 – teneurs minimales et maximales en Catotal qui dépendent de la plage de valeurs du rapport Catotal/Pdig.            minérales déposées, ou entre miné-
                                                                                                                      raux, sont utilisées. Ce modèle intègre
 D’autres critères tels que la teneur en parois végétales ou le bilan électrolytique sont également pris en           les approches développées antérieu-
 compte. Les valeurs nutritionnelles moyennes des matières premières utilisées dans les aliments des truies           rement pour le calcul des besoins en
 sont disponibles dans les tables INRA-CIRAD-AFZ (2017) ; elles peuvent être ajustées aux caractéristiques            phosphore par Jondreville et Dourmad
 chimiques des lots rendus à l’usine ou à l’élevage avec le logiciel Evapig® (https://fr.evapig.com/).                (2005), intégré dans le modèle InraPorc,
                                                                                                                      et en calcium par Pérez (1978), puis
                                                                                                                      Moinecourt et Priymenko (2006).
 Ces méthodes sont utilisées dans les                       CaCO3 ou 42Ca sous forme de CaCl)
­travaux conduits in vivo chez le porc                      et nécessitant une quantification par                     „„5.1. Besoin d’entretien
 en croissance. Chez la truie, plusieurs                    spectrométrie de masse (Guéguen
 difficultés se présentent en relation                      et Rérat, 1967) sont aujourd’hui dif-                        Le besoin d’entretien représente les
 i) avec le gabarit de l’animal qui impose                  ficiles à mettre en œuvre du fait de                      pertes endogènes non productives iné-
 l’utilisation d’un équipement ad hoc,                      l’évolution de la réglementation. Des                     vitables, c’est-à-dire les pertes urinaires
 ii) avec l’utilisation d’anesthésiants                     méthodes alternatives d’analyse du                        liées au métabolisme de base, ainsi
 pour la sédation lors de la mesure in                      statut minéral sont développées, fon-                     que les pertes endogènes digestives
 vivo (Kaliszewski, 2019) ainsi iii) qu’avec                dées sur l’étude de biomarqueurs san-                     (basales et spécifiques). Il est supposé
 les effets potentiellement tératogènes                     guins (Narcy, 2013). À défaut d’évaluer                   être proportionnel au poids ainsi que
 des rayons X sur les fœtus notamment                       le degré de minéralisation osseuse, ces                   proposé initialement par Pérez (1978).
 lorsque les doses reçues s’accumulent                      biomarqueurs, qui sont des molécules                      Dans notre modèle, le besoin d’en-
 au cours de la carrière reproductive                       discriminantes du statut minéral de                       tretien est supposé proportionnel au
 (Yoon et Slesinger, 2020). Toutefois, si                   l’animal, permettent d’évaluer l’inten-                   poids vif total de la truie, i.e. poids du
 des mesures étaient réalisées dans un                      sité de l’accrétion osseuse (phospha-                     conceptus (placenta, liquides placen-
 cadre expérimental chez des truies pré-                    tase alcaline osseuse, ostéocalcine,                      taires et fœtus) inclus pendant la ges-
 vues pour être réformées du troupeau,                      propeptide C- ou N-terminal du col-                       tation (tableau 1, équations 6 et 7) car,
 un travail méthodologique devrait être                     lagène de type I) ou de la résorption                     en pratique, il n’est pas possible de les
 entrepris afin de pouvoir mettre en rela-                  osseuse (télopeptide N- ou C- terminal                    distinguer lors d’une pesée réalisée
 tion la densité de l’os et le statut minéral               du collagène de type I, pyridinoline,                     au cours de cette période. Le poids vif
 de la truie lors de phases successives de                  désoxypyridinoline, hydroxyproline).                      total de la truie est minoré de 4 % pour
 mobilisation et de récupération.                           Ces marqueurs présentent cepen-                           tenir compte des contenus digestifs.
                                                            dant une grande variabilité à l’envi-                     Ce facteur est un peu plus élevé que
  Les méthodes de marquage                                  ronnement et une grande variabilité                       les 3 et 2 % qui peuvent être calculés
radio-isotopique utilisées pendant de                       inter-individuelle (Shetty et al., 2016).                 avec l’équation de Dourmad et al. (1997)
nombreuses années avec des isotopes                         À ce jour, ils ne sont encore considérés                  chez des truies qui pèsent, respective-
radioactifs (32P et 45Ca) ou des isotopes                   que comme des indicateurs qualitatifs                     ment, 150 et 300 kg, mais est à mettre
stables (44Ca apporté sous forme de                         du statut minéral.                                        en relation avec l’évolution vers des

INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
Modélisation du besoin en calcium de la truie reproductrice et variation du rapport phosphocalcique des aliments / 67

Encadré 4. Modèles de calcul factoriel des besoins nutritionnels.                                                    auteurs concluent cependant à une
                                                                                                                     répartition différente entre les pertes au
 Modèles de calcul factoriel des besoins nutritionnels                                                               niveau fécal et au niveau urinaire (majo-
 Ces modèles sont utilisés pour déterminer les besoins en énergie, acides aminés et minéraux des animaux             ritaires), répartition très variable selon
 en fonction d’objectifs de performance, en tenant compte des effets du milieu d’élevage. Il s’agit de modèles       les conditions expérimentales. Or, une
 factoriels fonctionnant de manière dynamique.                                                                       part seulement de cette variabilité est
                                                                                                                     attribuée au niveau d’apport en phos-
 Cette approche factorielle consiste, d’une part, à distinguer pour chaque stade physiologique (i.e., gestation
                                                                                                                     phore, ce qui incite à poursuivre l’acqui-
 ou lactation) des composantes de besoin d’entretien et de besoin de production et, d’autre part, à prendre          sition de connaissances sur le sujet.
 en compte des facteurs de variation de ces composantes.
 Ces modèles de flux à compartiments fonctionnent de manière dynamique c’est-à-dire en tenant compte                 „„5.2. Besoin de production
 du temps, avec un pas de temps journalier.                                                                          pendant la gestation

 Dans le cas du phosphore et du calcium, les flux sont généralement exprimés en éléments digestibles.                  Pendant la gestation, le besoin de
                                                                                                                     production dépend du dépôt dans les
 Les flux considérés concernent :                                                                                    réserves maternelles tout au long de la
 i) les dépenses d’entretien ; ii) les dépenses de production, à savoir, selon le stade physiologique, le déve-      période, et dans les fœtus et le placenta
 loppement des contenus utérins et la production de lait ; iii) les dépenses associées à la constitution de          pendant les deux derniers tiers. Ces
 réserves corporelles.                                                                                               différents compartiments sont repré-
 Les forces motrices du modèle sont :                                                                                sentés dans la figure 3 pour estimer
 i) l’évolution des réserves corporelles, généralement prédites en fonction du poids vif ou des protéines            les flux de besoins en phosphore et
 corporelles (compartiment maternel) ; ii) la rétention dans les contenus utérins (compartiment utérin) ;            en calcium. Le dépôt dans les fluides
                                                                                                                     placentaires n’est pas pris en compte
 iii) l’excrétion dans le lait.
                                                                                                                     car très faible, à savoir 1,43 mmol/L de
                                                                                                                     calcium (0,057 g/L) et 1,09 mmol/L de
formules d’aliments de gestation plus                     le besoin d
                                                                    ­ ’entretien est calculé sur la                  phosphate (0,034 g de phosphore/L)
dilués en énergie qu’il y a une trentaine                 base du poids de la truie après la mise                    (Campbell et al., 1992).
d’années, notamment par l’incorpora-                      bas (tableau 2, équations 16 et 17),
tion de sources de fibres qui conduisent                  sans a priori sur l’intensité de la perte                     a. Dépôt maternel
à des poids de contenus digestifs plus                    de poids à venir, selon la quantité de                        La cinétique d’évolution du poids
importants (Serena et al., 2008).                         réserves mobilisées dans un contexte                       net de la truie dépend des caractéris-
                                                          où les quantités d’énergie ou d’acides                     tiques initiales de la truie (âge, poids,
   À court terme, l’acquisition automa-                   aminés ingérées sont inférieures aux                       épaisseur de lard) et de la quantité
tique du poids vif peut être envisagée                    besoins (encadré 5).                                       d’énergie apportée quotidiennement
pour modéliser individuellement et                                                                                   au-delà du besoin pour l’entretien, l’ac-
quotidiennement les besoins et mettre                        Le besoin d’entretien en calcium est                    tivité physique, la thermorégulation et
en œuvre l’alimentation de précision.                     fixé à 35 mg/kg de poids vif par jour                      le développement de la portée in utero
En l’absence de suivi dynamique des                       par Guéguen et Pérez (1981) avec, res-                     (Dourmad et al., 2005). La couverture
caractéristiques des truies, l’évolution                  pectivement, 32 et 3 mg/kg de pertes                       des besoins en acides aminés peut
du poids vif pendant la gestation est                     endogènes fécales et urinaires. Cette                      également intervenir sur la cinétique
modélisée en tenant compte du poids                       valeur, quoiqu’ancienne, reste proche                      de prise de poids de la truie.
initial (à l’insémination), du gain de                    de celles estimées plus récemment par
poids maternel escompté pendant                           Misiura et al. (2018) avec une approche                       En l’absence de données sur la lac-
la gestation pour atteindre l’objectif                    par méta-analyse fondée sur des études                     tation précédente, en particulier sur
d’état à la mise bas, qui dépend du                       conduites sur le porc en croissance. Ces                   l’évolution du degré de minéralisation
type génétique de la truie, de son âge
(Quiniou, 2019), du niveau de rationne-
ment pendant la gestation (Dourmad                        Encadré 5. L’alimentation des truies allaitantes.
et al., 1996 ; encadré 5) et de l’évolution
du poids du conceptus. La cinétique                        Plan d’alimentation après la mise bas
d’évolution du poids net de la truie                       La truie est encore rationnée les jours qui suivent la mise bas. La ration augmente cependant rapidement
(poids vif de la truie sans le poids du                    sur 10-15 jours afin que la truie puisse rapidement être alimentée de façon libérale ou à volonté. L’objectif
conceptus) dépend du plan d’alimen-                        est de limiter ainsi le déficit nutritionnel observé pendant la lactation du fait de besoins nutritionnels très
tation (Quiniou, 2005), principalement                     élevés pour la production de lait. Celle-ci permet à la portée qui pèse environ 25 kg à la naissance d’atteindre
de la cinétique des apports en énergie                     110 kg 4 semaines plus tard.
si l’aliment couvre les besoins en acides
aminés, tandis que celle du conceptus                      Risque d’une mobilisation excessive des réserves au cours de la lactation
dépend de la taille et du poids de por-                    La lactation dure de 3 à 4 semaines. Une mobilisation excessive des réserves détériore les performances de
tée (voir plus loin). Pendant la lactation,                reproduction après le sevrage et peut compromettre la longévité de la truie.

                                                                                                                     INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
68 / Nathalie quiniou et al.

Figure 3. Modèle1 dynamique d’estimation du besoin quotidien en phosphore digestible (en bleu) (Pdig) et en calcium total
(en rose) (Catotal) de la truie gestante.

                      Poids de la truie (au jour J)                                           Poids du conceptus (au jour J)
                                                                                                                                            Eq.1

                                                                                    Placenta (J)                            Fœtus (J)
                                                                                                     Eq.3                                    Eq.2

                                                                                                                       Teneur P fœtus (J)
                                               Gain de poids                     Dépôt protéines
                                                                                                                                      Eq.4
                                               maternel (J)                      placentaires (J)
                                                                                                               Teneur Ca fœtus (J)          = besoin
                       ˣ 0,010                          ˣ 5,5                              ˣ 0,016                           Eq.5            en Pdig
                                                                                                                                        = besoin en
               Entretien P (J)  Dépôt P maternel (J)  Dépôt P placenta (J)                                         Dépôt P fœtal (J)
                                                                                                                                        P (J)
                          Eq.6                  Eq.12                   Eq.10                                                      Eq.8 dig    Eq.14
             ˣ 0,035                      1,75                   ˣ 0,80
                                                                                                                                         = besoin
       Entretien Ca (J)               Dépôt Ca maternel (J)              Dépôt Ca placenta (J)                Dépôt Ca fœtal (J)      en Ca total (J)
                   Eq.7                     /digestibilité      Eq.13           /digestibilité     Eq.11             /digestibilité Eq.9          Eq.15

1
    Le détail des équations (Eq.) utilisées est présenté dans le tableau 1. Le calcul du besoin est effectué sur la base de la digestibilité (CUD/100) fécale apparente.

osseuse, le besoin en minéraux pour                          et Blok (2017) (tableau 1, équations 4                l­ actation. Une fois absorbés, les miné-
les dépôts maternels est calculé sans                        et 5). À la naissance, elles atteignent,               raux peuvent être stockés dans diffé-
distinguer le dépôt pour la croissance                       respectivement, 6,2 et 11,0 g/kg d’après               rents compartiments ou complexés
et le dépôt pour la reconstitution des                       Jongbloed et al. (2003).                               sous différentes formes mais pas rema-
réserves mobilisées. La rétention de                                                                                niés, à l’inverse des nutriments orga-
phosphore est fixée à 5,5 g par kg de                        „„5.3. Besoin de production                            niques. Les composantes du besoin
gain de poids de la truie, pour un ratio                     pendant la lactation                                   utilisées pour le phosphore peuvent
Ca/P de 1,75 (Jongbloed et al., 2003 ;                                                                              être additionnées directement pour
tableau 1, équations 12 et 13).                                 Deux versions du modèle d’estima-                   estimer le besoin sur la base de la
                                                             tion du besoin pendant la lactation sont               teneur en phosphore digestible appa-
   b. Dépôt placentaire                                      développées ici, statique ou dynamique                 rent de l’aliment (Pdig, Jondreville et
   Le développement du compartiment                          selon le mode adopté pour estimer la                   Dourmad, 2005) que ce soit pendant
protéique placentaire est représenté à                       quantité de lait produite par la truie                 la gestation (tableau 1, équation 14)
l’aide de l’équation proposée par Noblet                     à partir de la croissance de la portée                 ou la lactation (tableau 2, équations 20
et al. (1985, tableau 1, équation 3). La                     (figure 4). L’exportation de phosphore                 et 24). Le besoin en calcium est plus
quantité de minéraux associée est cal-                       dans le lait est calculée en supposant un              difficile à traduire dans un système
culée sur la base de 16 mg de phos-                          ratio phosphore/azote de 0,196 (NRC,                   commun à celui utilisé pour formu-
phore par g de protéines placentaires                        2012 ; tableau 2, équations 18 et 22).                 ler l’aliment en raison du manque de
et un ratio Ca/P de 0,80 (Bikker et Blok,                    L’exportation de calcium est ensuite                   connaissances sur l’utilisation diges-
2017, tableau 1, équations 10 et 11).                        estimée à partir de l’exportation de                   tive du calcium des matières pre-
                                                             phosphore. La revue de la littérature                  mières. L’aliment étant formulé sur la
   c. Dépôt fœtal                                            réalisée par Hurley (2015) indique que                 base d’un apport en Catotal, une hypo-
   Le dépôt de minéraux dans les fœtus                       la teneur en phosphore dans le lait peut              thèse de valeur de digestibilité (CUD)
est calculé en combinant les cinétiques                      être comprise entre 0,87 et 1,87 g/kg                 doit être appliquée aux composantes
d’évolution des teneurs en minéraux et                       et la teneur en calcium entre 1,51 et                 de production du besoin pendant la
la cinétique d’augmentation du poids                         2,54 g/kg. Les teneurs moyennes rete-                 gestation (tableau 1, équation 15) et
de portée in utero, modélisée à partir                       nues par Hurley (2015) sont utilisées                 la lactation (tableau 2, équations 21 et
de l’équation proposée par Noblet et al.                     dans le modèle, à savoir 1,42 g/kg lait               25), précisée dans la partie suivante.
(1985) et corrigée du poids de portée                        pour le phosphore et 2,0 g/kg pour le
observé à la mise bas en moyenne dans                        calcium (tableau 2, équations 19 et 23).
le troupeau (tableau 1, équation 2). Les
                                                                                                                   6. Facteurs de variation
teneurs en phosphore et en calcium des                       „„5.4. Besoin total                                   du besoin en calcium
fœtus augmentent progressivement au
cours de la gestation, i.e. à partir de 10 j                   Le besoin total est calculé à partir du
de gestation pour le phosphore et à par-                     cumul des différentes composantes                       Le modèle décrit dans le chapitre 5
tir de 33 j pour le calcium d’après Bikker                   du besoin pendant la gestation ou la                  est utilisé pour étudier l’évolution des

INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
Modélisation du besoin en calcium de la truie reproductrice et variation du rapport phosphocalcique des aliments / 69

Tableau 1. Équations de prédiction du besoin en phosphore digestible (Pdig) et en calcium total (Catotal) pendant la gestation
en fonction du stade de gestation1.

              Critère                                                                       Équation

    Poids de la truie,                     PVtruie J = poids vif de la truie au jour J selon le poids à l’insémination, l’objectif
    au jour J (kg)2,3                      à la mise bas en fonction de l’âge et les apports énergétiques

                                           PVconceptus J = (PVportée x 1,329 + 0,3) x
    Poids du conceptus
                                           exp [ 8,74519 – 1,59844 x exp (– 0,05407 (J – 45)) + 0,00006 x EM x J + 0,09745 x N ] /
    (placenta, liquides
                                    (1)    exp [ 8,74519 – 1,59844 x exp (– 0,05407 (115 – 45)) + 0,00006 x EM x 115 + 0,09745 x N ]
    placentaires et fœtus)
                                           où PVportée est le poids de portée moyen observé à la naissance (kg), N est le nombre
    au jour J (kg)3,4
                                           de porcelets nés, EM la quantité d’énergie métabolisable ingérée (MJ/j)

                                           PVfœtus J = PVportée x
    Poids des fœtus
                                    (2)    exp [ 8,72962 – 4,07466 x exp (– 0,03318 (J – 45)) + 0,00154 x EM x J + 0,06774 x N ] /
    au jour J (kg)4
                                           exp [ 8,72962 – 4,07466 x exp (– 0,03318 (115 – 45)) + 0,00154 x EM x 115 + 0,06774 x N ]

    Quantité de protéines
                                           PROTplacenta J =
    placentaires au jour J          (3)
                                           exp [ 7,34264 – 1,40598 x exp (– 0,0625 x (J – 45)) + 0,00759 x J + 0,06339 x N ] / 23,8
    (kg)4

                                    (4)    (J ≥ 10) tPfœtus J = (0,0565 x J – 0,736) / (0,0565 x 115 – 0,736) x 6,2
    Teneur au jour J
    (g/kg fœtus)5,6
                                    (5)    (J ≥ 33) tCafœtus J = (0,1244 x J – 4,039) / (0,1244 x 115 – 4,039) x 11,0

    Besoin quotidien

                                    (6)    Pentretien J = 0,010 x (PVtruie J + PVconceptus J) x 0,96
    Entretien (g/j)7
                                    (7)    Caentretien J = 0,035 x (PVtruie J + PVconceptus J) x 0,96

                                    (8)    dPfœtal J = (PVfœtus J x tPfœtus J) – (PVfœtus J – 1 x tPfœtus J – 1)
    Dépôt fœtal (g/j)
                                    (9)    dCafœtal J = (PVfœtus J x tCafœtus J) – (PVfœtus J – 1 x tCafœtus J – 1)

                                   (10)    dPplacenta J = (PROTPlacenta J – PROTplacenta J – 1) x 0,016
    Dépôt placentaire (g/j)5
                                   (11)    dCaplacenta J = dPplacenta J x 0,80

                                   (12)    dPtruie J = 5,5 x (PVtruie J – PVtruie J – 1)
    Dépôt maternel (g/j)6
                                   (13)    dCatruie J = dPtruie J x 1,75

                                   (14)    Pdig J = Pentretien J + dPfœtus J + dPplacenta J + dPtruie J
    Besoin (g/j)
                                           Catotal J = Caentretien J + (dCafœtus J + dCaplacenta J + dCatruie J) / (CUD/100)
                                   (15)
                                           où CUD est la digestibilité fécale apparente du Ca (%)

Pour une gestation supposée durer 115 j ; 2Quiniou (2019) ; 3Dourmad et al. (2015) ; 4Noblet et al. (1985) ; 5Bikker et Blok (2017) ; 6Jongbloed et al. (2003) ;
1

Guéguen et Pérez (1981). Le jour J correspond au stade de gestation.
7

besoins en calcium selon différents                   ­ erformance des truies, le CUD du cal-
                                                      p                                                            „„6.1. Selon l’utilisation
­facteurs de variation. L’absorption intes-           cium est fixé à 50 % dans le modèle,                         digestive du calcium
 tinale du calcium est supposée maxi-                 à défaut de disposer d’informations
 male tant que les apports ne dépassent               précises sur ce critère. Cette hypothèse                       Le niveau de besoin global dépend
 pas les besoins (figure 2).                          correspond à celle précédemment                              du CUD appliqué aux composantes de
                                                      retenue par Guéguen et Pérez (1981)                          production du besoin en calcium. Un
  L’influence de différentes hypo-                    et Jongbloed et al. (1999) pour évaluer                      changement d’hypothèse sur ce critère
thèses de CUD est explorée dans le                    le besoin en Catotal et à la médiane des                     impacte notamment les composantes
chapitre 6.1. Puis, pour étudier l’effet              valeurs rapportées par González-Vega                         du besoin liées aux dépôts mater-
d’autres facteurs liés au niveau de                   et Stein (2014).                                             no-fœtaux pendant la gestation et à la

                                                                                                                   INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
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