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ANTHROPOS
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                            Sur quelques aspects de la royauté mossi
                              (Yatenga précolonial, Burkina Faso)
                                                               Émile Tsékénis

Abstract. – The article reconsiders parts of Michel Izard’s eth-               tains aspects de la relation entre les “gens du pou-
nographic data and analysis of the Mossi kingdom of Yatenga                    voir” et les “gens de la terre”. Nous nous propo-
(1985, 1986, 1987 and 1990) – under a “hierarchic” (in the Du-                 sons de revoir ces thèmes à partir du principe de
montian sense of the term) perspective. It deals with the follow-
ing issues: the idea of naam, the king’s death and the enthroniza-             l’“opposition hiérarchique” (Dumont 1966, 1983 et
tion of its successor, the collective rituals and, finally, some of the        1992)2 testant par la même occasion la valeur heu-
                                                                               1

aspects of the relation between “power holders” and “landlords.”               ristique du paradigme dumontien dans un domaine
The study of these issues from a “hierarchic” point of view not                où il a été très rarement appliqué : la construction
only reveals a higher degree of coherence and complexity of the
political-ritual organization of the kingdom of Yatenga but also
                                                                               symbolique des royautés/chefferies afri­caines.3
allows us to resolve certain contradictions in the political and               L’étude vise d’une part à de rendre compte de la
ritual organization of the Mossi mentioned by the author. Final-               complexité des thèmes que nous avons choisi et
ly, we suggest that this widely spread opposition may be better                traitons d’une manière différente (mais non op-
understood not as a binary opposition but as a “value hierarchy”               posée) de celle de l’auteur ; d’autre part, et c’est
featuring “reversal” as one of its fundamental properties. [Burki-
na Faso, Yatenga, Mossi, power, ritual, “hierarchy”, kingship]

Émile Tsékénis, Ph. D. en anthropologie sociale et ethnologie                      1 “Naam, pouvoir, invariable dans cette acception, forme du
(École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris) ; il en-                       plur. naaba, chef (sing.)” (Izard 1985 : ​20, note 1). Le naaam
seigne à l’Université de l’Égée (Mytilène Lesvos). – Terrains de                     se transmet de père en fils, de naaba à nabiiga (fils de chef).
recherche : Les Grassfields de l’ouest-Cameroun. – Thematiques                     2 Plutôt que d’esquisser en introduction une définition de la
de recherche : Relations entre le rituel, la politique et la parenté ;               “relation hiérarchique” qui serait inévitablement elliptique,
distinction de sexe, notion de personne dans les sociétés afri-                      nous la laisserons se dessiner à travers les thèmes et les
caines. – Publications : voir références citées.                                     exemples traités. Rappelons toutefois que Dumont définit la
                                                                                     hiérarchie comme : “principe de gradation des éléments d’un
                                                                                     ensemble par référence à l’ensemble” (Dumont 1992 : ​92)
                                                                                     et oppose la hiérarchie ainsi définie au commandement et au
                                                                                     pouvoir (Dumont 1983 : ​303). La gradation est généralement
Introduction                                                                         de nature religieuse comme en Inde mais il ne s’agit pas là
                                                                                     d’une nécessité.
La présente étude reconsidère certaines données et                                 3 L’étude de Serge Tcherkézoff sur la royauté Nyamwezi
                                                                                     (1981, 1983) constitue l’un des très rares exemples d’appli-
analyses ethnographiques concernant le royaume                                       cation de l’“opposition hiérarchique” à l’étude de la royauté.
mossi du Yatenga (Burkina Faso) telles qu’elles                                          Pour une application de l’ ‘opposition hiérarchique’ hors
ont été rapportées par Michel Izard. Le champ y                                      du monde indien où elle a son origine, voir en particulier les
est circonscrit à un domaine bien précis : celui de                                  travaux de l’équipe ERASME : Daniel de Coppet, Cécile
                                                                                     Barraud et André Itéanu ; pour une “exégèse” de la pensée
la royauté, et les thèmes traités sont les suivants :                                de Dumont (Houseman 1984, 1985 ; Parkin 2003) ; enfin,
la notion de naam,1 la mort du roi et l’intronisation                                pour une version plus élaborée du paradigme dumontien cf.
de son successeur, les rites collectifs et, enfin, cer-                              Tcherkézoff (1983, 1993, 1994a, 1994b, 1995).

                                                  https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135
                                           Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47.
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une conséquence directe de notre choix théorique,                         leur interprétation.6 Ce dialogue constant entre mé-
à lever certaines contradictions dans l’organisation                      thode et théorie a permis à l’auteur de poser de très
politico-rituelle mossi relevées par Izard lui-même.                      bonne heure des questions méthodologiques fonda-
Cette étude, enfin, se présente comme une occasion                        mentales (en particulier 1970 et 1976).7 Ces raisons
de raviver un débat ancien des études africaines, et                      suffisent largement pour faire de l’œuvre une réfé-
susceptible de recevoir des solutions sinon neuves                        rence incontournable, et justifient que l’on s’y at-
du moins “insoupçonnées” : celui des rapports entre                       tarde.
le rituel et le politique dans les royautés (et les chef-                     Le Yatenga est situé dans la partie nord-ouest
feries) africaines précoloniales. Le choix des thèmes                     du Moogo, territoire comptant une vingtaine de
traités peut, au premier abord, apparaître arbitraire ;                   royaumes et qui, à la fin du 19ème siècle, occupait
et on ne perçoit pas très bien comment ils sont liés.                     la totalité du bassin de la Volta Blanche. Sa super-
C’est leur traitement successif et leur mise en rela-                     ficie et son poids démographique en font le second
tion consécutive qui fera apparaître leur cohérence.                      royaume mossi après Wogodogo (Ouagadougou). Il
Le présent travail s’attache aux régularités de ce que                    s’étend sur une superficie de 12.300 km2 et comp-
nous pouvons appeler le “modèle culturel mossi”                           tait dans les années 80 plus d’un demi-million d’ha-
précolonial.4 Pour la présente étude nous nous ap-                        bitants. Le Yatenga est passé sous protectorat fran-
puyons essentiellement sur la monographie de 1985                         çais en 1895 et la totalité du Moogo a été intégrée
et sur certains articles publiés par Izard et choisis                     à l’empire colonial français en 1896. Le Yatenga
pour leur densité, leur clarté et les sujets dont ils                     précolonial correspond aujourd’hui (avec Busu et
traitent et qui entrent dans le cadre de notre problé-                    Nyesga) au département nord du Burkina Faso (ex
matique (1986, 1987, 1990).                                               République de Haute Volta) (Carte). Les Moose du
    Autant pour ceux qui travaillent sur les “sys-                        Yatenga s’appellent eux-mêmes “Moose” et dénom-
tèmes politiques africains” précoloniaux que ceux                         ment “Gurunse” les autres habitants du Moogo. La
qui réfléchissent sur des concepts aussi abstraits et                     plus grande proportion du territoire du Yatenga ap-
généraux que le pouvoir, la personne et l’individu,                       partient à la pénéplaine voltaïque. Izard distingue,
l’œuvre de Michel Izard constitue une référence.5                         parmi les habitants du Yatenga, deux groupes phé-
En premier lieu, en raison de la rigueur de la ré-                        notypiquement différents. Le premier – les “Moose”
flexion et la puissance de la démonstration sur des                       au sens large – comprend des agriculteurs séden-
problèmes d’aucun pourraient qualifier de quasi-                          taires mais ou l’on rencontre des commerçants pra-
philosophiques : le pouvoir, bien sur ; l’émergence                       tiquant le commerce caravanier ; il est composé de
de l’espace étatique – pour reprendre en partie, et                       Moose (au sens strict, conquérants venus du sud) ;
sous une forme légèrement modifiée, le sous-titre                         d’autochtones, en place à l’arrivée des Moose :
de son ouvrage le plus récent (Izard 2003) ; mais                         Fulbe, Kibse, Ninise et Kalamse ; enfin, d’“étran-
aussi : la notion de personne et celle, concomitante,                     gers” : artisans-commerçants Sonray (Marãse) et
d’individu ; enfin, la cosmologie dans laquelle pren-                     Sara­kolle (Yarse), anciens mercenaires, et anciens
nent place les notions précitées. Ainsi, comme écrit                      captifs. Le second groupe comprend des pasteurs,
Terray : “La Politique devient … un simple chapitre                       anciennement semi-nomades, en voie de sédentari-
dans une théorie générale qui comprend aussi une                          sation complète dans les années 80 (Izard 1985 : 5) :
image du monde et une description de la personne”                         Peuls ou Silmiise. Le premier groupe (plus de 88 %
(Terray 1996 : ​125). En second lieu, l’œuvre consti-                     de la population du Yatenga) constitue la société
tue un point de référence en raison du volume et de                       “mooga”, le second la société “silmiiga”. Les Sil-
la diversité du corpus historique et ethnographique à                     mimoose constituent une troisième catégorie qui,
partir duquel l’auteur mène ses réflexions, et du trai-                   comme sa dénomination l’indique, comprend les
tement des rapports complexes entre ces données et                        gens issus d’une union entre un Silmiiga et une
                                                                          femme mooga.

 4 Cela ne signifie pas que le modèle culturel est hors histoire.
   Les travaux de Michel Izard abordent autant les aspects struc-
   turaux du système politique mossi que son historicité (tout
   lecteur intéressé pourra consulter par exemple les monogra-
   phies de 1985 et en particulier de 2003 qui traitent des pro-            6 Tout en gardant bien sur à l’esprit les relations intimes entre
   blèmes de genèse et de croissance du système politique).                   la méthode et la théorie.
 5 Nos propres travaux (2000, 2010) portent sur les processus               7 Par exemple, il va au-delà de la perspective exclusivement
   d’ethnogenèse dans les Grassfields précoloniaux (Ouest-Ca-                 “dynastique” et aborde l’histoire du Yatenga par l’histoire de
   meroun) et font usage des données de la tradition orale, com-              son peuplement (Izard 1970/II : ​394 ; 1976 : ​81). Dans 1970
   binées avec des données archéologiques et les archives colo-               égale­ment, il aborde les questions de chronologie – entreprise
   niales. Voir en particulier Tsékénis 2010b.                                très rare à l’époque.

                                                                                                                       Anthropos  106.2011
                                                       https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135
                                                Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47.
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Sur quelques aspects de la royauté mossi (Yatenga précolonial, Burkina Faso)                                                       137

Carte : Burkina Faso, Moogo et
Yatenga (d’après Izard 1985).

Mort du roi et rituels d’intronisation                                    semaine suivant le décès du roi, celui-ci est censé
de son successeur                                                         continuer de régner. Ainsi, les serviteurs du roi (ne-
                                                                          somba) et les dignitaires de la cour viennent saluer
Nous nous proposons dans un premier temps, de re-                         le suzerain devant l’entrée de la chambre royale.
prendre les faits moose relatifs à l’intronisation. De                    Dans les faits, les affaires du palais et du royaume
la mort du roi à l’intronisation de son successeur                        sont prises en charge par les nesomba et particuliè-
s’écoulent deux semaines. Il existe une correspon-                        rement togo naaba, le premier d’entre eux.8 Durant
dance entre les rituels de l’intronisation et le calen-                   cette première semaine, la ville appartient aux ne-
drier rituel mossi, qui apparaîtra au fur et à mesure                     veux utérins du roi et aux captifs royaux qui se ré-
que nous avancerons dans notre exposé. Soulignons                         pandent dans les quartiers et se livrent à des exac-
déjà une correspondance chronologique : de la mort                        tions. Notons cependant que les captifs royaux sont
d’un roi à la célébration des fêtes de la première                        simultanément les principaux gardiens de l’ordre.
année de règne de son successeur, il y a en prin-                         Le rasam naaba, chef des captifs royaux, conserve
cipe une séquence temporelle continue : mort, funé-
railles, nomination, intronisation, première fête de                       8 “Le togo naaba est le porte-parole du chef et s’occupe de
filiga (nouvel an). Quels sont les effets de la mort                         l’ordonnancement des rituels personnels et domestiques liés
du suzerain ? Tout d’abord, pendant la première                              à sa personne” (Izard 1985 : ​30).

Anthropos  106.2011
                                             https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135
                                      Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47.
                               Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
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chez lui le naam wubri (l’un des trois emblèmes                          mobile l’autre mobile). Izard remarque qu’à travers
royaux) qui représente la permanence de l’institu-                       la figure de la napoko, la continuité du naam s’ins-
tion royale.                                                             crit dans l’espace comme immobilité. Le matin du
    La mort du roi est annoncée à la fin de la pre-                      jour de la nomination du futur roi en “chef” naa-
mière semaine. Suit l’inhumation. Selon Michel                           ba, le kurita quitte la résidence de rasam naaba et
Izard, celle-ci concerne la personne du suzerain en                      rentre dans son village (royaume ⇒ Est ⇒ perte de
tant qu’elle existe indépendamment de toute déter-                       force). Le tulubere weefo sera renvoyé par le rasam
mination singulière liée à la détention de la “royau-                    naaba au bin naaba de Tangazugu ;11 il sera mis à
té” (rinaam), de la “force” (panga) ou du “pouvoir”                      mort au moment de la cérémonie d’intronisation du
(naam). Il y aurait donc une distinction entre la per-                   nouveau roi. Vers le midi du même jour, on “desti-
sonne ordinaire du roi et la personne royale. La per-                    tue” la napoko.
sonne royale est la totalisation de deux principes :                         La cérémonie de nomination se déroule en trois
naam et panga, dont l’addition donne rinaam, quel­                       temps : 1) prise du tom ou tom yugri, 2) danse du
que chose de plus que la somme des parties naam et                       naam maare, 3) énonciation des devises.
panga.9 Ces trois composantes correspondent res-                             Au terme de ces trois étapes, le Yatenga Naaba
pectivement aux statuts de “chef” naaba, de “maître                      peut être salué au titre de “maître de la force” mais
de la force” pangsoba et de “roi” rima.                                  il n’est encore que Yatenga Naaba. Les rituels du
    Après l’inhumation, on nomme :                                       ringu vont en faire un “roi” (rima). Le rituel du rin-
1) la napoko (dont la nomination correspond au dé-                       gu (qui équivaut à l’intronisation) comprend deux
but de la deuxième semaine), fille aînée du roi dé-                      grands thèmes :
funt qui représente son père en tant que celui-ci était                  1) de Natenga à Gursi, le roi est naaba et participe
“chef” naaba ; en effet, le togo naaba dit à l’assis-                    à des rituels qui l’associent aux gens de la terre ; à
tance : “Le chef n’est pas mort, il va se présenter à                    Gursi, le roi devient rima,
vous” (Izard 1985 : ​137, souligné par nous) ; à par-                    2) de Gursi au Natenga, la quête du pouvoir est de-
tir de la nomination de la napoko, une vie normale                       venue exigence de soumission des diverses catégo-
reprend au palais;                                                       ries de détenteurs de naam, au roi.12
2) le kurita, fils cadet du défunt roi en tant que ce-                       La première période du ringu associe ainsi dans
lui-ci était “maître de la force” pangsoba ; la no-                      un premier temps le roi aux gens de la terre ; en se
mination du kurita est affirmation de la mort du roi                     subordonnant aux autochtones, le roi devient rima.
(kurita = mort régnant);                                                 On peut affirmer qu’il s’agit d’une subordination
3) enfin, il y a le cheval du défunt roi tulubere                        puisque le Yatenga Naaba donne des femmes en
weefo10 qui représente le défunt roi en tant que ce-                     mariage, offre (Izard 1985 : ​154) des cadeaux et sa-
lui-ci était “roi” rima.                                                 crifie aux autels de la terre, ce qui signifie bien qu’il
    Au cours d’un voyage qui le mène du palais à                         leur est redevable de quelque chose ou du moins
son lieu d’exil, le kurita est censé pouvoir s’emparer                   qu’il doit s’accorder leur faveur. Tout montre que le
de ce que bon lui semble, mais les captifs royaux qui                    but du ringu n’est pas seulement d’identifier le “roi
l’accompagnent veillent à ce que ce droit de préda-                      au territoire sur lequel s’exerce son autorité” (ibid.,
tion soit exercé avec parcimonie.                                        150) – ce qui réduirait le rituel à une affaire pure-
    Le soir avant la nomination du futur chef en                         ment politique – mais de l’insérer dans une totalité
“chef” naaba, le kurita, monté sur le tulubere                           sociologique et cosmologique à laquelle il contri-
weefo, arrive chez le chef des captifs royaux (ra-                       bue à la place qui est la sienne. Quels sont les faits
sam naaba), où il passera la nuit. En pénétrant dans                     à l’appui de notre thèse ? Nous savons que :
le natenga, le kurita perd tout droit de prédation.                      1) chez les Mossi, l’instance créatrice et ordonna-
Les vêtements royaux et le tulubere weefo lui sont                       trice du monde est une divinité masculine de nature
retirés. Izard oppose justement le pouvoir de la na-                     céleste (Naaba Wende) de sorte que ce dieu est envi-
poko sur les hommes (politique) au pouvoir du ku-                        sagé comme un “chef” dont “l’épouse” est Naapaga
rita sur les choses (“économie”). Napoko et kurita                       Tenga, la terre comme support de sacralité ;
s’opposent également du point de vue du sexe, de                         2) Naaba Wende dispose d’un naam dont procèdent
l’âge et de leur rapport à l’espace (l’une étant im-                     tous les autres naam ;
                                                                         3) le rituel du ringu associe le “roi” rima au ciel et
 9 Tout ceci deviendra beaucoup plus clair quand nous aurons
   vu comment le futur roi accède, grâce aux rituels de l’intro-         11 Tangazugu = résidence royale et première capitale du Ya­
   nisation, à ces trois statuts.                                           tenga.
10 Tulubere weefo : premier cheval du Yatenga Naaba, “chef du            12 Gursi : réunion de villages anciens et de hameaux de culture
   Yatenga”.                                                                autour de la première capitale du Yatenga, Tangazugu.

                                                                                                                   Anthropos  106.2011
                                                      https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135
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Sur quelques aspects de la royauté mossi (Yatenga précolonial, Burkina Faso)                                                              139

au soleil, alors que les gens de la terre sont associés                     rima que le roi subordonne tous les autres déten-
à la terre et à la lune;                                                    teurs de naam dans l’ordre politique. En d’autres
4) les autels de la terre sur lesquels sacrifie le futur                    termes, c’est la place du roi dans l’ordre socio-cos-
chef “représentent l’ensemble des autels de la terre                        mique (et ses fonctions rituelles) qui fonde sa su-
du royaume”.                                                                périorité dans l’ordre politique. Le naam que Mi-
    Autrement dit, sur le plan socio-cosmique, nous                         chel Izard traduit par “pouvoir” serait donc aussi un
avons les oppositions suivantes :                                           “principe”, une “énergie” mâle d’origine céleste qui
                                                                            s’associe à la terre – principe chthonien (lune) – par
Naaba Wende chef                épouse de            Naapaga                le truchement du roi pour la féconder et constituer
                                chef                 Tenga                  une totalité. Nous avons donc non pas un niveau,
                                                                            comme la simple opposition : (chef = dieu Soleil /
naam              masculin      féminin
                                                                            gens de la terre = déesse Terre), le suggère, mais
rima              ciel          terre                gens de la             deux niveaux hiérarchisés en valeur.15 Au niveau
                                                     terre                  de valeur supérieur, où il y a unification (Wende en
                  soleil        lune                                        tant que principe unitaire, englobant) correspond
                                                                            un “naam divin”, une “énergie” sans rapport direct
                                                                            avec le “pouvoir” ; au niveau de valeur inférieur il y
Cependant, pour être complet, et conformément à                             a une différenciation du naam qui peut s’actualiser
ce que rapporte Annie Bruyer,13 il faut reconnaître                         en “pouvoir”.16
l’existence de plusieurs niveaux de valeur ; un pre-
mier niveau (reconnu comme supérieur en valeur)
                                                                               bienveillants. Ils rendent compte du lien indissoluble qui unit
où : “Wende est unique, indifférencié et représente                            l’homme à la terre ; ils sont les garants de la pérennité du
une totalité” et un second (inférieur en valeur par                            groupe. Leur maîtrise s’exerce non seulement sur un terri-
rapport au premier) où : “le soleil s’oppose à la                              toire, et donc sur les êtres qui le peuplent, mais sur l’au-des-
terre, comme le masculin au féminin. Aussi la di-                              sus (vent, nuages, pluie) et l’au-dessous (sépultures) de ce
                                                                               territoire. A leur divinité, Tenga, les gens de la terre deman-
mension englobante, celle de la totalité, est Wende                            dent la pluie, c’est-à-dire la prospérité, et consacrent leurs
puis, au niveau inférieur, on distingue le dieu So-                            rituels à cette prière … Aux gens de la terre, les Moose de-
leil supérieur à la déesse Terre” (Bruyer 1987 : ​20) :                        mandent la légitimation de leur pouvoir, car, étrangers au ter-
                                                                               ritoire sur lequel ils exercent celui-ci, ils ne peuvent s’adres-
                                                                               ser à Tenga que médiatement. Le rituel royal du ringu, quête
niveau de valeur supérieur Wende (unique, indifféren-                          de légitimité faite par tout nouveau roi auprès des maîtres de
(englobant)                cié)                                                la terre, exprime exemplairement le type de relation qui lie les
                                                                               conquérants aux autochtones. Par le ringu, le roi des Moose
niveau de valeur inférieur Naaba Wende = soleil, mas-                          devient le roi du royaume et le seul prêtre de cette religion
(englobé)                  culin /                                             abstraite qui associe Tenga, divinité des gens de la terre, à
                           Naapaga Tenga = terre, lune,                        Wende, divinité des chefs, et en fait un couple : Naaba Wende
                           féminin                                             (naaba = chef) et Napaga Tenga (napaga = épouse de chef)”.
                                                                               Rappelons toutefois que cette association d’un dieu Soleil à
                                                                               une déesse Terre s’effectue à un niveau inférieur en valeur,
En d’autres termes, si le roi est effectivement asso-                          le niveau supérieur correspondant à une entité Wende homo-
cié au dieu Soleil, cette association se situe à un ni-                        gène, unifiante et englobante.
                                                                            15 Ce qui précède montre la difficulté qu’il y a à traduire le
veau de valeur inférieur. Cette hiérarchisation des                            terme naam. Comme Șaul (2007 : ​228) le souligne dans un
niveaux de valeur étant posée, quelles sont les rela-                          texte récent, Izard lui-même n’est pas totalement satisfait
tions entre le suzerain et les gens de la terre à travers                      d’avoir traduit le terme par “pouvoir”. Par exemple, Brown
le rituel de l’intronisation ?                                                 (cité par Șaul) propose en anglais les termes office “charge”
                                                                               ou “fonction” pour les Mamprusi (Brown 1975). Le terme est
    Alors que le premier thème du ringu débute                                 éminemment polysémique et sa signification change selon les
avec la subordination du Yatenga Naaba aux gens                                contextes et les niveaux idéologiques où il apparaît.
de la terre dans l’ordre socio-cosmique (et rituel),                        16 Cette idée d’une indifférenciation du principe Wende à l’ori-
il s’achève par la soumission des divers détenteurs                            gine, pouvant générer une différenciation à un niveau subor-
de naam dans l’ordre politique.14 C’est en tant que                            donné en valeur est mentionnée par Annie Bruyer dans sa
                                                                               thèse. Ainsi, “lorsqu’un ancêtre-fondateur arrive dans un lieu
                                                                               vierge et inoccupé, celui-ci relève uniquement de Wende …
13 Parce qu’elle constitue un exemple d’application de l’“op-                  A la fondation du village, l’idée de valeur contenue en Wen-
   position hiérarchique” à la région qui précisément nous inté-               de subie une sorte d’altération. Deux entités : Soleil et Terre,
   resse ici, nous nous sommes également aidés de la thèse de                  l’un temps, l’autre espace, l’un masculin, l’autre féminin
   Bruyer (1987) sur la région de Zorgho en pays mossi.                        sont immédiatement distinguées” (Bruyer 1987 : ​115). L’ar-
14 Michel Izard écrit (1985 : 19) : “Les gens de la terre trans-               rivée de l’ancêtre-fondateur implique une inversion des rap-
   forment la terre sauvage en terre cultivée, les éléments dan-               ports entre Wende et les êtres surnaturels que normalement
   gereux en éléments dociles, les morts turbulents en ancêtres                il subordonne (au niveau supérieur) : alors qu’au niveau su-

Anthropos  106.2011
                                               https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135
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    Le couple roi / gens de la terre ne renvoie pas                        du pouvoir (naam) au rima en tant que celui-ci par-
seulement à un ordre socio-cosmique : car le “roi”                         ticipe du pouvoir (il est “chef du Yatenga” Yaten-
rima est aussi “chef” naaba : il représente aussi les                      ga Naaba) et en même temps de l’ordre socio-cos-
gens du pouvoir face aux gens de la terre (ordre po-                       mique (à un niveau subordonné) – cette fonction
litique). Mais s’il est effectivement, comme le pré-                       fondant sa supériorité sur les gens du pouvoir, dans
cise Michel Izard, celui qui garantie l’alliance des                       l’ordre politique. Nous avons décomposition dans la
gens du pouvoir et des gens de la terre, c’est grâce                       mesure où les composantes de la personne royale se
à ce double statut qui lui permet de participer des                        disjoignent, ce qui provoque une irruption du dés­
deux mondes : celui du pouvoir et celui de la terre                        ordre exprimé par les exactions des gens de la force
(à ce dernier niveau en tant que promoteur, à une                          (les captifs royaux).
place subordonnée par rapport aux gens de la terre,                            Durant la deuxième période, après l’inhumation
de l’ordre socio-cosmique).                                                du défunt roi, les trois composantes de la personne
    La période qui s’étale de la fin de la première                        royale sont représentées par :
semaine à la fin de la deuxième semaine peut s’in-
terpréter comme une décomposition et une recom-                            Terme médiateur                Principe repré-     Composante
position des composantes de la personne royale et                          (personnes et che-             senté               de la personne
de l’ensemble des relations socio-cosmiques. En                            val)                                               royale
effet, tout le long de la période qui s’étend de la
                                                                           napoko                         naam                naaba
mort du roi à l’intronisation de son successeur, nous
sommes en présence de couples d’opposition que                             kurita                         panga               pangsoba
nous résumons dans le tableau ci-dessous :                                 tulubere weefo                 rinaam              rima

1ère période      1) défunt roi censé continuer de régner /
                     captifs royaux et neveux utérins du                   Rappelons que la composante rima est plus que
                     défunt roi                                            l’addition des composantes naaba et pangsoba. En
                                                                           effet, la première phase du ringu montre que le roi
2ème période 2) napoko/kurita
             3) Yatenga Naaba / kurita
                                                                           devient pangsoba et rima simultanément, en se sub­
                                                                           ordonnant aux génies et aux gens de la terre. Les
Nomination        4) Yatenga Naaba / gens de la terre ⇒                    composantes pangsoba et naaba s’opposent l’une
Intronisation     5) rima / gens de la terre ⇒                             à l’autre dans leur référence à la composante rima
                  6) rima-naaba / gens du pouvoir                          qui constitue la totalité et les englobe. La compo-
                                                                           sante pangsoba est supérieure à celle de naaba en
Le cinquième couple constitue une totalité socio-                          ce qu’elle résulte de la subordination du Yatenga
cosmique, comme nous l’avons montré précédem-                              Naaba aux gens de la terre : c’est ce qui lui confère
ment.                                                                      sa supériorité par rapport aux simples “chefs” (lo-
   Les couples qui correspondent aux rites de no-                          caux ou régionaux) détenteurs de naam. En d’autres
mination et d’intronisation représentent l’ensemble                        termes, pangsoba et naaba s’intègrent dans leur re-
des relations liant les gens du pouvoir et les gens                        lation à un tout représenté par la composante rima.
de la terre par le truchement du rima-naaba. Pas-                          Ceci éclaire mieux la relation symétrique et in-
sons en revue ces relations et les couples 4, 5 et 6.                      verse du kurita et du naaba par rapport à la force
Couple 4 : Yatenga Naaba / gens de la terre ⇒ sub­                         (couple 3). Comment ? Rappelons tout d’abord que
ordi­na­tion du principal représentant du pouvoir aux                      le kurita perd la force en partant du royaume pour
prêtres des entités chtoniennes, c’est-à-dire aux                          se diriger vers l’est alors que le futur roi accumule
principaux officiers du rituel. Couple 5 : rima / gens                     en se dirigeant du royaume vers l’ouest. Il y a dé-
de la terre ⇒ association de deux pôles (ciel/terre,                       perdition de force car ce qui fait la force n’est plus :
lune/soleil, masculin/féminin et épouse/chef) par la                       ceci est une façon de signifier que la décomposition
médiation du rima (associé au soleil). Couple 6 :                          de la totalité (rima) entraîne la déperdition de l’une
rima / gens du pouvoir ⇒ subordination des gens                            de ses composantes (panga) ou encore que la par-
                                                                           tie ne peut exister sans le tout. La disjonction des
   périeur Wende “règne” seul et omniprésent sur tous les êtres            composantes de la personne royale n’est rien moins
   surnaturels, au niveau inférieur les ancêtres et les esprits des        que la décomposition d’une totalité. La totalité rima
   morts sont supérieurs à Wende en tant que celui-ci est préci-           (représentée par le tulubere weefo) qui intègre celles
   sément le dieu Soleil s’opposant à la déesse Terre ; cette in-
   version s’explique par le fait qu’au niveau inférieur, celui du
                                                                           de naaba (représentée par la napoko) et de pangso-
   village comme espace social, les ancêtres et les esprits des            ba (représentée par le kurita) se sépare de celles-ci.
   morts sont à l’origine de l’ordre social et local.                      Les deux composantes originellement parties d’un

                                                                                                                            Anthropos  106.2011
                                                        https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135
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Sur quelques aspects de la royauté mossi (Yatenga précolonial, Burkina Faso)                                                              141

tout ne sont plus que des éléments épars. Parallè-       simde. Le cycle cérémoniel de bega s’étend sur les
lement, et dans un mouvement inverse, le parcours        cinq premiers mois de l’année (Gambo, Womsom,
du futur roi (et Yatenga Naaba) et sa subordination      Bugure, Giblo et Kunduba désignent non seulement
aux génies et aux gens de la terre produit une accu-     ces mois mais également cinq villages du royaume
mulation de force et entraîne la recomposition du        du Yatenga). Il s’agit principalement d’“une fête de
tout (au terme du ringu, le Yatenga Naaba accède         fertilité dont les officiants sont des gens de la terre,
au statut de rima). Dans les deux procès qui s’op-       et qui prend effet à partir d’une impulsion venue
posent, il est toujours question de la hiérarchie qui    du Yatenga naaba” (Izard 1985 : ​171 ; souligné par
se dissous ou qui ordonne les parties en référence à     nous). Durant ces cinq premiers mois, sont associés
une totalité. Cette opposition Yatenga Naaba / kurita    dans tous les villages du royaume, un chef (naaba)
est particulièrement éclairante en ce qu’elle signifie   et un maître de la terre. Le roi inaugure le cycle
bien que Yatenga Naaba augmente sa force en se           de bega en remettant des condiments au maître de
subordonnant là où le kurita la perd parce qu’à l’in-    la terre de Gambo, qui les transmettra à son tour
verse il n’y a pas d’instance qui le transcende (en      au maître de la terre de Womsom, et ainsi de suite,
tant qu’il est pangsoba, “maître de la force”) pour      de maître de la terre à maître de la terre, jusqu’au
le rendre fort. Si nous acceptons le point de vue dé-    village de Kunduba. Izard remarque que les condi-
veloppé ci-dessus, nous ne pouvons plus admettre la      ments décrivent un mouvement centre ⇒ périphérie
“rupture rituelle totale entre les accessions aux sta-   et que ce mouvement est inversé lors des salutations
tuts de naaba et de rima” (Izard 1990 : ​77). Tout au    des chefs (napusum), cérémonies qui concernent les
contraire, le statut de naaba est consubstantiel à ce-   gens du pouvoir (ceux qui détiennent des fonctions
lui de rima ; le statut de rima est supérieur à celui de politiques) uniquement.18 A ce moment, le roi reçoit
naaba en ce qu’il participe, avec les gens de la terre   des bouquets d’épis de mil nouveau.19 Lorsque l’on
(c’est-à-dire en tant que rima), d’un ordre supérieur    considère ces deux mouvements, “[d]u roi donneur
renvoyant à une totalité (rituel). Cette interprétation  de condiments au roi receveur de mil, il y a un pas-
a le mérite de rétablir une relation logiquement né-     sage par les maîtres de la terre et par les chefs ; le
cessaire entre les composantes de la personne royale     travail des hommes s’insère entre l’intervention des
sans pour autant remettre en cause “[l]a distinction     gens de la terre et celle des gens du pouvoir” (Izard
entre les statuts de naaba et de rima … qui [a] pour     1985 : ​197).
effet de circonscrire le monde des rois au sein de ce-       Revenons-en à l’ordre chronologique du calen-
lui des chefs” (Izard 1990 : ​77).17                     drier rituel. Après les fêtes de bega vient le départ
                                                         en brousse du roi. Le début de la nouvelle année
                                                         sera marqué par le sacrifice sur le naam wubri suivi
Le calendrier des rites collectifs                       de sacrifices dédiés à chacun des anciens rois (an-
                                                         cêtres). Viennent ensuite les napusum ou salutations
Avant de procéder à une révision de certains as- au roi dont nous venons de parler pour l’opposer
pects contradictoires ou ambigus de l’organisation au cycle de bega. Il est cependant nécessaire d’ap-
politico-rituelle du royaume du Yatenga relevés par porter quelques précisions. Les napusum concer-
M. Izard lui-même, nous devons résumer briève- nent “ceux qui ont le titre de naaba en vertu d’une
ment les faits relatifs aux rituels collectifs (1985 : ​ nomination royale … serviteurs royaux et maîtres
168 – ​204) et les mettre en relation avec les aspects de la guerre” (Izard 1985 : ​182 s.) – c’est-à-dire les
développés ci-dessus.                                    gens de la force.
   Le calendrier mossi comprend douze mois. L’an-
née commence avec le cycle cérémoniel du bega, [L]es trois napusum sont envisagés comme une réactua-
continue avec les “salutations au roi” napusum et lisation de l’allégeance de tous les détenteurs d’un naam
se termine avec un hommage aux mânes du roi ou à celui de qui ils le tiennent : le roi …Après que le nou-
                                                                             vel an a été célébré dans tous les villages du Yatenga, les
17 Dans son introduction à l’ouvrage collectif “Chefs et rois sa-            chefs locaux organisent leur napusum, qui consiste en une
   crés”, Luc de Heusch estime que Michel Izard a sous-évalué
                                                                             salutation de leurs nesomba et des chefs de quartier de
   la fonction rituelle du roi du Yatenga et semble embarrassé
   par la coexistence de deux statuts qui lui paraissent contradic-          leur village (en principe, à l’exception des chefs des quar-
   toires (de Heusch 1987 : ​22). Pour avoir une image complète
   de la personne royale (et des relations entre les composantes             18 Izard précise bien : “à l’exception des chefs des quartiers des
   qui la constituent), il faut, pour reprendre une expression                  gens de la terre” (1985 : ​183).
   très imagée formulée par Louis Dumont à propos du sys-                    19 D’un point de vue “hiérarchique” une inversion est haute-
   tème des castes et des positions de Bouglé et de Hocart sur                  ment significative en ce qu’elle signale un changement de
   ce sujet, “mettre Izard dans de Heusch” (Dumont 1992 : ​100,                 niveau de valeur dans la configuration globale (voir la suite
   note 32h).                                                                   de l’article).

Anthropos  106.2011
                                                https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135
                                         Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47.
                                  Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
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                                                                                                               Fig. 1 : Les échanges dans le cadre
                                                                                                               du cycle cérémoniel du Bega et
                                                                                                               des salutations au roi (napusum).

tiers de gens de la terre), assortie d’une remise de présents             mination et d’intronisation du roi mossi. En effet,
(Izard 1985 : ​183).                                                      a) on part d’une totalité pour aboutir à des parties et
                                                                          b) sont toujours à l’œuvre des couples qui s’oppo-
Le soir du samedi de la première salutation au roi com-                   sent ou qui fusionnent à des niveaux hiérarchiques
mence le siimde, fête nocturne dédiée aux kiimse des rois                 différents. Voyons comment.
morts qui, rendus bienveillants par les sacrifices de filiga,                 Le cycle de bega revêt trois dimensions qui sont
sont invités à venir boire et danser à l’extérieur du Nayiri              intimement liées :
(Izard 1985 : ​186).20                                                    1) cosmique, dans la mesure il associe le roi-rima
                                                                          (médiateur entre le ciel et la terre) et les gens de la
“Les deux derniers mois de l’année voient se dérou-                       terre, prêtres des entités spirituelles chthoniennes ;
ler deux fêtes comparables : le koom filiga [ou “tii-                     2) statutaire, il oppose le roi-chef (rima-naaba) et
do du rima”] et le tiido … La première … concerne                         les chefs (naaba) aux maîtres de la terre faisant du
le roi, la seconde est propre aux prêtres de la ferti-                    roi-chef un médiateur entre les gens du pouvoir et
lité, les buguba …”. M. Izard précise qu’“entre le                        les gens de la terre ;
souverain et les buguba … il existe de nombreuses                         3) territoriale (dans le sens “sacré” du terme), les
affinités, notamment du point de vue des interdits                        con­di­ments circulent du roi vers un maître de la terre
[alimentaires] qui pèsent sur eux … Ces deux fêtes                        et de celui-ci à un autre maître de la terre, et ainsi
marquent la fin d’une année agraire et le début                           de suite de maître de la terre à maître de la terre ;
d’une nouvelle année, le passage de la consomma-                          roi-rima-naaba et gens de la terre sont associés à
tion du mil ancien à celle du mil nouveau” (Izard                         la terre en tant que celle-ci abrite les entités spiri-
1985 : ​200).                                                             tuelles chthoniennes : la médiation entre le roi et les
                                                                          entités spirituelles est prise en charge par les gens
La fête de koom filiga est une salutation au roi avec remise              de la terre.
de cadeaux réservée aux serviteurs royaux et aux maîtres                      Avec le koom filiga (ou tiido du rima) sont asso-
de la guerre : c’est … l’exacte réplique des deux premiers                ciés le roi et les maîtres de la guerre. Le “roi” en tant
napusum, avec un rôle prépondérant des premiers maîtres                   que rima (c’est-à-dire participant de la totalité so-
de la guerre moose, les chefs de Gursi, Lago, Ula et Ko-                  cio-cosmique à un niveau subordonné) et les maîtres
suka. Les cadeaux offerts au roi sont également les mêmes                 de la guerre en tant qu’opposés aux nakombse (gens
que ceux donnés lors des napusum (Izard 1985 : ​202).                     du pouvoir) sur le plan politique. Le tiido est ré-
                                                                          servé aux seuls prêtres de la fertilité (buguba). Mi-
En étudiant les différentes étapes des fêtes du ca-                       chel Izard note bien qu’entre le roi et les buguba
lendrier cérémoniel, on remarque un schème iden-                          il y a des affinités sur le plan des interdits alimen-
tique à celui qui est à l’œuvre dans les rites de no-                     taires. Ceci indique que dans le cadre du koom fili-
                                                                          ga, c’est bien de la composante rima (c’est-à-dire la
20 Nayiri : habitation du chef de village.                                “personne rituelle” du roi) dont il est question. Ceci

                                                                                                                            Anthropos  106.2011
                                                       https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135
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Sur quelques aspects de la royauté mossi (Yatenga précolonial, Burkina Faso)                                                              143

                                                              Mois           1) Roi + chefs
                                                                             	  Serviteurs royaux                 GDF
                                                                             	  Maîtres de la guerre                         Gens du pou-
                                                                                                                             voir
                                                                             2) chefs locaux + nesomba des chefs             (niveau poli-
                                                              Filiga            locaux                                       tique inférieur
                  Condiments                                 Gambo           	  Chefs de quartier                            en valeur)

GDP/GDT                                                     Womsom           ⇒ maîtres de la terre exclus de 1) et 2)
(niveau rituel    ⇒
supérieur en      Roi/maîtres de la terre                    Bugure
valeur)                                                       Giblo
                                    ⇐
                                    Mil nouveau             Kunduba
                                                            Kizagolo
                                                             Buduro
                                                              Warga
                                                              Banka
                  1) Tiido rinam : roi + MDG                 Yaalum
                  2) Tiido : buguba (prêtres                  Tiido
                     de la fertilité)
GDF = gens de la force ; GDP = gens du pouvoir ; GDT = gens de la terre ; MDG = maîtres de la guerre.

Tableau : Tableau récapitulatif des fêtes mossi

nous est suggéré par la dénomination même de cette                           tique, c’est-à-dire à un niveau hiérarchique inférieur
fête : le tiido du rima (roi). Le passage suivant ma-                        en valeur. C’est ce qui explique le “faible marquage
nifeste bien l’envergure de koom filiga qui mobilise                         des maîtres de la guerre” dans les napusum : dans
les prêtres de la fertilité et entraîne la totalité des es-                  ce con­texte, ils sont envisagés dans leur relation à
prits et des hommes du royaume :                                             la force (ordre politique). Aussi, bien que la nature
                                                                             des prestations soit la même pour les deux fêtes, les
A la même époque que la fête royale de koom filiga ont                       con­textes et les niveaux de valeurs correspondants
lieu dans tout le royaume des sacrifices faits par les gens                  sont différents : les statuts des donneurs et des do-
de la terre : les maîtres de la terre, sur les tẽse, célèbrent               nataires changent d’une fête à l’autre.
ainsi le basga, les buguba, sur leurs propres autels, célè-                      La deuxième étape des napusum nous fait des-
brent le wamyulunga ; des sacrifices sont également faits                    cendre au niveau le plus bas de la hiérarchie poli-
par les chefs de famille dans les sanctuaires ou sur les au-                 tique puisqu’elle associe les chefs locaux aux chefs
tels des ancêtres : tous ces rituels commandent la consom-                   de quartier et aux nesomba des chefs locaux. Elle
mation du mil nouveau (Izard 1985 : ​203 s.).21                              exclue logiquement les maîtres de la terre.

Le koom filiga (ou tiido du rima) n’est donc pas
“l’exacte réplique des deux premiers napusum”                                Le pouvoir et la terre
(Izard 1985 : ​202). Car dans le cadre du tiido du
rima (ou koom filiga), c’est la composante rima                              Le roi, les maîtres de la terre et les gens de la force
du roi qui est associée aux maîtres de la guerre,
alors que les deux premiers napusum associent le                             D’autres faits se laissent mieux comprendre lors­
roi-naaba aux gens de la force (chefs, serviteurs                            qu’on on distingue des niveaux de valeurs hiérar-
royaux et maîtres de la guerre) dans l’ordre poli-                           chisés.22 Essayons d’étayer notre argument en re-
21 En notes de bas de page, nous lisons : “Basga vien[t] de                  22 Pour une étude monographique exhaustive, rigoureuse et
   base, faire une libation, d’eau, d’eau de farine ou de bière de              stimulante des rapports entre le territoire, le religieux et la
   mil ; la fête de bagsa est célébrée dans tout le Moogo” (Izard               parenté chez les Kasena – une région proche (géographi-
   1985 : ​203, note 1) et wamyuluga signifie littéralement “tam-               quement) et “lointaine” (du point de vu de la langue et de
   bour (lunga) de la fécondité” (204, note 1).                                 l’organisation politique) du pays Mossi qui ici nous intéresse,

Anthropos  106.2011
                                                https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135
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prenant les oppositions principales dégagées par                        de la génération des petits-fils.23 Nakombga signifie
Michel Izard, et qui renvoient au couple gens du                        littéralement “celui qui n’a pas (ou n’a pas encore)
pouvoir / gens de la terre. Quelles sont ces oppo-                      réussi à accéder au naam”. Cependant, les choses ne
sitions ?                                                               sont pas aussi simples car Izard relève, pour le terme
                                                                        nakombga, trois sens (qui peuvent être ramenés,
1) Gens du pouvoir (moose) / gens de la force (cap-                     pour l’essentiel, à deux) selon le point de vue adop-
tifs royaux ou encore “gens de Bingo”) s’opposent :                     té : 1) tous les descendants de chef sont, en tant que
    a) au titre d’une “division du travail” : en ef-                    tels, des nakombse ; 2) du point de vue du pouvoir
fet, “les tâches qu’assument les captifs royaux …                       central, dès qu’il n’y a plus de possibilité d’accès au
ne sauraient être accomplies par des Moose, pour                        naam, tout descendant de chef est talga (plur. talse)
des raisons autant éthiques que techniques, qu’elles                    “homme du commun” ; 3) pour les autres groupes
aient trait à la manipulation des sacra les plus se-                    de descendance, les descendants de chef qui ne peu-
crets et les plus puissants du pouvoir ou à l’exer-                     vent plus accéder au naam sont talse. En d’autres
cice coercitif de la force” (1987 : ​90 ; voir égale-                   termes, les descendants de chef à partir de la géné-
ment 1985 : 55).                                                        ration des petits-fils sont soit nakombse (perspec-
    b) au titre de l’affinité ; puisque les gens de Bin-                tive 1) soit talse (perspectives 2 et 3) selon le point
go entretiennent “avec le roi et avec les princes de                    de vue envisagé. On ne peut cependant pas s’en te-
sang, et plus généralement avec les nakombse de                         nir à cette simple opposition équistatutaire. Et An-
souche récente d’intenses relations matrimoniales”                      nie Bruyer montre bien que ces statuts renvoient à
(1987 : ​90 ; 1985 : ​46).                                              des niveaux de valeur différents. Le statut de talga
                                                                        résulte d’une distinction opérée par le pouvoir cen-
2) nakombse / “maîtres de la guerre” (tengsobnam-                       tral (accès au naam, point de vue particulier) alors
ba) s’opposent :                                                        que du point de vue du village et de la généalogie,
   a) dans l’ordre politique, en ce que la relation                     tout descendant de chef est nakombga ; ce niveau
des maîtres de la guerre au naam “pouvoir” est                          de référence est global, unifiant ; il fait de tous les
“apaisée” alors que celle des nakombse est conflic-                     Moose des nakombse. Soulignons en passant un fait
tuelle,                                                                 très important : mises à part les autres acceptions du
   b) au titre de l’affinité ; puisque : “Les membres                   terme, nakomse désigne également les Moose en gé-
des familles de maîtres de la guerre sont, au double                    néral. Il n’y a donc aucune contradiction écrit An-
sens du terme, des ‘alliés’ en quelque sorte naturels                   nie Bruyer quand un villageois (de Digré, région
du roi … [et du] groupe de descendance royal [en                        de Zorgho) affirme être à la fois nakomse et talga.
général]” (1987 : ​86, 77).                                             Dans le premier cas il valorise son appartenance li-
                                                                        gnagère unique doublée d’une patrilocalité ;24 dans
3) gens de la terre / nakombse s’opposent :                             le second, il oppose le terme nakomse à celui de
    a) dans leur rapport à l’espace car les premiers                    talse en faisant référence aux ordres sociaux, se si-
sont sédentaires alors que les seconds sont concep-                     tuant par rapport au statut. Le terme nakomse dé-
tuellement des “nomades sédentarisés”,                                  finit donc à la fois l’unifiliation et l’ordre auquel
    b) au titre de l’affinité puisque les gens de la terre              on appartient. Au niveau supérieur tous, nakomse
et les membres de leur famille sont dans une posi-                      ou talse, sont nakomse dans la mesure où il est fait
tion d’affins potentiels par rapport aux nakombse
(ils sont extérieurs au groupe de descendance moose                     23 Parmi les nakombse on fait une distinction : les petits-fils de
ou moos buudu).                                                            chef sont des nakombse mais aussi des yarase : fils ou des-
                                                                           cendant de nabiise en position généalogique d’élu suscep-
                                                                           tible de participer un jour à la compétition pour le pouvoir.
   Avant d’analyser les couples ci-dessus, il nous                      24 A cette communauté lignagère et territoriale, nous devons
faut d’abord préciser le statut de nakombga (plur.                         ajouter la dimension du mariage. Le quartier constitue l’uni-
nakombse). Nous savons que le naam “pouvoir” se                            té exogame et cérémonielle : “Tout mariage est fondé sur …
transmet de père en fils, de “chef” naaba à “fils de                       un échange d’enfants entre deux quartiers de deux villages
chef” nabiiga. Un nabiiga qui ne devient pas naaba                         différents” (Bruyer 1987 : ​176). Et ailleurs : “Les villageois
                                                                           s’accordent volontiers pour dire qu’ils ne font qu’un buudu
exclut sa descendance de toute possibilité d’accès                         (patrilignage exogame dont la plus large division est le saka
au naam de son père : c’est là que s’insère le statut                      (plur. sakse) avec tous les nakombse” (150). Et Izard : “Les
de nakombga, descendant agnatique du chef à partir                         sakse sont généralement regroupés en ensembles villageois,
                                                                           dont ils constituent les ‘quartiers’. Le ‘village’ (tenga, plur.
                                                                           tẽse) est ainsi, dans sa forme générale, pluri-lignager, tandis
                                                                           que le patri-lignage est pluri-villageois” (Izard 1985 : 6). Le
   cf. Liberski-Bagnoud (2002). Seules les différences susmen-             mariage est donc étroitement lié à la localité et, de fait, au ni-
   tionnées nous empêchent d’utiliser cette remarquable étude.             veau de valeur supérieur.

                                                                                                                      Anthropos  106.2011
                                                     https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135
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