ANTHROPOS - Nomos eLibrary
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
ANTHROPOS 106.2011: 135 – 148 Sur quelques aspects de la royauté mossi (Yatenga précolonial, Burkina Faso) Émile Tsékénis Abstract. – The article reconsiders parts of Michel Izard’s eth- tains aspects de la relation entre les “gens du pou- nographic data and analysis of the Mossi kingdom of Yatenga voir” et les “gens de la terre”. Nous nous propo- (1985, 1986, 1987 and 1990) – under a “hierarchic” (in the Du- sons de revoir ces thèmes à partir du principe de montian sense of the term) perspective. It deals with the follow- ing issues: the idea of naam, the king’s death and the enthroniza- l’“opposition hiérarchique” (Dumont 1966, 1983 et tion of its successor, the collective rituals and, finally, some of the 1992)2 testant par la même occasion la valeur heu- 1 aspects of the relation between “power holders” and “landlords.” ristique du paradigme dumontien dans un domaine The study of these issues from a “hierarchic” point of view not où il a été très rarement appliqué : la construction only reveals a higher degree of coherence and complexity of the political-ritual organization of the kingdom of Yatenga but also symbolique des royautés/chefferies africaines.3 allows us to resolve certain contradictions in the political and L’étude vise d’une part à de rendre compte de la ritual organization of the Mossi mentioned by the author. Final- complexité des thèmes que nous avons choisi et ly, we suggest that this widely spread opposition may be better traitons d’une manière différente (mais non op- understood not as a binary opposition but as a “value hierarchy” posée) de celle de l’auteur ; d’autre part, et c’est featuring “reversal” as one of its fundamental properties. [Burki- na Faso, Yatenga, Mossi, power, ritual, “hierarchy”, kingship] Émile Tsékénis, Ph. D. en anthropologie sociale et ethnologie 1 “Naam, pouvoir, invariable dans cette acception, forme du (École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris) ; il en- plur. naaba, chef (sing.)” (Izard 1985 : 20, note 1). Le naaam seigne à l’Université de l’Égée (Mytilène Lesvos). – Terrains de se transmet de père en fils, de naaba à nabiiga (fils de chef). recherche : Les Grassfields de l’ouest-Cameroun. – Thematiques 2 Plutôt que d’esquisser en introduction une définition de la de recherche : Relations entre le rituel, la politique et la parenté ; “relation hiérarchique” qui serait inévitablement elliptique, distinction de sexe, notion de personne dans les sociétés afri- nous la laisserons se dessiner à travers les thèmes et les caines. – Publications : voir références citées. exemples traités. Rappelons toutefois que Dumont définit la hiérarchie comme : “principe de gradation des éléments d’un ensemble par référence à l’ensemble” (Dumont 1992 : 92) et oppose la hiérarchie ainsi définie au commandement et au pouvoir (Dumont 1983 : 303). La gradation est généralement Introduction de nature religieuse comme en Inde mais il ne s’agit pas là d’une nécessité. La présente étude reconsidère certaines données et 3 L’étude de Serge Tcherkézoff sur la royauté Nyamwezi (1981, 1983) constitue l’un des très rares exemples d’appli- analyses ethnographiques concernant le royaume cation de l’“opposition hiérarchique” à l’étude de la royauté. mossi du Yatenga (Burkina Faso) telles qu’elles Pour une application de l’ ‘opposition hiérarchique’ hors ont été rapportées par Michel Izard. Le champ y du monde indien où elle a son origine, voir en particulier les est circonscrit à un domaine bien précis : celui de travaux de l’équipe ERASME : Daniel de Coppet, Cécile Barraud et André Itéanu ; pour une “exégèse” de la pensée la royauté, et les thèmes traités sont les suivants : de Dumont (Houseman 1984, 1985 ; Parkin 2003) ; enfin, la notion de naam,1 la mort du roi et l’intronisation pour une version plus élaborée du paradigme dumontien cf. de son successeur, les rites collectifs et, enfin, cer- Tcherkézoff (1983, 1993, 1994a, 1994b, 1995). https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135 Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47. Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
136 Émile Tsékénis une conséquence directe de notre choix théorique, leur interprétation.6 Ce dialogue constant entre mé- à lever certaines contradictions dans l’organisation thode et théorie a permis à l’auteur de poser de très politico-rituelle mossi relevées par Izard lui-même. bonne heure des questions méthodologiques fonda- Cette étude, enfin, se présente comme une occasion mentales (en particulier 1970 et 1976).7 Ces raisons de raviver un débat ancien des études africaines, et suffisent largement pour faire de l’œuvre une réfé- susceptible de recevoir des solutions sinon neuves rence incontournable, et justifient que l’on s’y at- du moins “insoupçonnées” : celui des rapports entre tarde. le rituel et le politique dans les royautés (et les chef- Le Yatenga est situé dans la partie nord-ouest feries) africaines précoloniales. Le choix des thèmes du Moogo, territoire comptant une vingtaine de traités peut, au premier abord, apparaître arbitraire ; royaumes et qui, à la fin du 19ème siècle, occupait et on ne perçoit pas très bien comment ils sont liés. la totalité du bassin de la Volta Blanche. Sa super- C’est leur traitement successif et leur mise en rela- ficie et son poids démographique en font le second tion consécutive qui fera apparaître leur cohérence. royaume mossi après Wogodogo (Ouagadougou). Il Le présent travail s’attache aux régularités de ce que s’étend sur une superficie de 12.300 km2 et comp- nous pouvons appeler le “modèle culturel mossi” tait dans les années 80 plus d’un demi-million d’ha- précolonial.4 Pour la présente étude nous nous ap- bitants. Le Yatenga est passé sous protectorat fran- puyons essentiellement sur la monographie de 1985 çais en 1895 et la totalité du Moogo a été intégrée et sur certains articles publiés par Izard et choisis à l’empire colonial français en 1896. Le Yatenga pour leur densité, leur clarté et les sujets dont ils précolonial correspond aujourd’hui (avec Busu et traitent et qui entrent dans le cadre de notre problé- Nyesga) au département nord du Burkina Faso (ex matique (1986, 1987, 1990). République de Haute Volta) (Carte). Les Moose du Autant pour ceux qui travaillent sur les “sys- Yatenga s’appellent eux-mêmes “Moose” et dénom- tèmes politiques africains” précoloniaux que ceux ment “Gurunse” les autres habitants du Moogo. La qui réfléchissent sur des concepts aussi abstraits et plus grande proportion du territoire du Yatenga ap- généraux que le pouvoir, la personne et l’individu, partient à la pénéplaine voltaïque. Izard distingue, l’œuvre de Michel Izard constitue une référence.5 parmi les habitants du Yatenga, deux groupes phé- En premier lieu, en raison de la rigueur de la ré- notypiquement différents. Le premier – les “Moose” flexion et la puissance de la démonstration sur des au sens large – comprend des agriculteurs séden- problèmes d’aucun pourraient qualifier de quasi- taires mais ou l’on rencontre des commerçants pra- philosophiques : le pouvoir, bien sur ; l’émergence tiquant le commerce caravanier ; il est composé de de l’espace étatique – pour reprendre en partie, et Moose (au sens strict, conquérants venus du sud) ; sous une forme légèrement modifiée, le sous-titre d’autochtones, en place à l’arrivée des Moose : de son ouvrage le plus récent (Izard 2003) ; mais Fulbe, Kibse, Ninise et Kalamse ; enfin, d’“étran- aussi : la notion de personne et celle, concomitante, gers” : artisans-commerçants Sonray (Marãse) et d’individu ; enfin, la cosmologie dans laquelle pren- Sarakolle (Yarse), anciens mercenaires, et anciens nent place les notions précitées. Ainsi, comme écrit captifs. Le second groupe comprend des pasteurs, Terray : “La Politique devient … un simple chapitre anciennement semi-nomades, en voie de sédentari- dans une théorie générale qui comprend aussi une sation complète dans les années 80 (Izard 1985 : 5) : image du monde et une description de la personne” Peuls ou Silmiise. Le premier groupe (plus de 88 % (Terray 1996 : 125). En second lieu, l’œuvre consti- de la population du Yatenga) constitue la société tue un point de référence en raison du volume et de “mooga”, le second la société “silmiiga”. Les Sil- la diversité du corpus historique et ethnographique à mimoose constituent une troisième catégorie qui, partir duquel l’auteur mène ses réflexions, et du trai- comme sa dénomination l’indique, comprend les tement des rapports complexes entre ces données et gens issus d’une union entre un Silmiiga et une femme mooga. 4 Cela ne signifie pas que le modèle culturel est hors histoire. Les travaux de Michel Izard abordent autant les aspects struc- turaux du système politique mossi que son historicité (tout lecteur intéressé pourra consulter par exemple les monogra- phies de 1985 et en particulier de 2003 qui traitent des pro- 6 Tout en gardant bien sur à l’esprit les relations intimes entre blèmes de genèse et de croissance du système politique). la méthode et la théorie. 5 Nos propres travaux (2000, 2010) portent sur les processus 7 Par exemple, il va au-delà de la perspective exclusivement d’ethnogenèse dans les Grassfields précoloniaux (Ouest-Ca- “dynastique” et aborde l’histoire du Yatenga par l’histoire de meroun) et font usage des données de la tradition orale, com- son peuplement (Izard 1970/II : 394 ; 1976 : 81). Dans 1970 binées avec des données archéologiques et les archives colo- également, il aborde les questions de chronologie – entreprise niales. Voir en particulier Tsékénis 2010b. très rare à l’époque. Anthropos 106.2011 https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135 Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47. Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
Sur quelques aspects de la royauté mossi (Yatenga précolonial, Burkina Faso) 137 Carte : Burkina Faso, Moogo et Yatenga (d’après Izard 1985). Mort du roi et rituels d’intronisation semaine suivant le décès du roi, celui-ci est censé de son successeur continuer de régner. Ainsi, les serviteurs du roi (ne- somba) et les dignitaires de la cour viennent saluer Nous nous proposons dans un premier temps, de re- le suzerain devant l’entrée de la chambre royale. prendre les faits moose relatifs à l’intronisation. De Dans les faits, les affaires du palais et du royaume la mort du roi à l’intronisation de son successeur sont prises en charge par les nesomba et particuliè- s’écoulent deux semaines. Il existe une correspon- rement togo naaba, le premier d’entre eux.8 Durant dance entre les rituels de l’intronisation et le calen- cette première semaine, la ville appartient aux ne- drier rituel mossi, qui apparaîtra au fur et à mesure veux utérins du roi et aux captifs royaux qui se ré- que nous avancerons dans notre exposé. Soulignons pandent dans les quartiers et se livrent à des exac- déjà une correspondance chronologique : de la mort tions. Notons cependant que les captifs royaux sont d’un roi à la célébration des fêtes de la première simultanément les principaux gardiens de l’ordre. année de règne de son successeur, il y a en prin- Le rasam naaba, chef des captifs royaux, conserve cipe une séquence temporelle continue : mort, funé- railles, nomination, intronisation, première fête de 8 “Le togo naaba est le porte-parole du chef et s’occupe de filiga (nouvel an). Quels sont les effets de la mort l’ordonnancement des rituels personnels et domestiques liés du suzerain ? Tout d’abord, pendant la première à sa personne” (Izard 1985 : 30). Anthropos 106.2011 https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135 Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47. Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
138 Émile Tsékénis chez lui le naam wubri (l’un des trois emblèmes mobile l’autre mobile). Izard remarque qu’à travers royaux) qui représente la permanence de l’institu- la figure de la napoko, la continuité du naam s’ins- tion royale. crit dans l’espace comme immobilité. Le matin du La mort du roi est annoncée à la fin de la pre- jour de la nomination du futur roi en “chef” naa- mière semaine. Suit l’inhumation. Selon Michel ba, le kurita quitte la résidence de rasam naaba et Izard, celle-ci concerne la personne du suzerain en rentre dans son village (royaume ⇒ Est ⇒ perte de tant qu’elle existe indépendamment de toute déter- force). Le tulubere weefo sera renvoyé par le rasam mination singulière liée à la détention de la “royau- naaba au bin naaba de Tangazugu ;11 il sera mis à té” (rinaam), de la “force” (panga) ou du “pouvoir” mort au moment de la cérémonie d’intronisation du (naam). Il y aurait donc une distinction entre la per- nouveau roi. Vers le midi du même jour, on “desti- sonne ordinaire du roi et la personne royale. La per- tue” la napoko. sonne royale est la totalisation de deux principes : La cérémonie de nomination se déroule en trois naam et panga, dont l’addition donne rinaam, quel temps : 1) prise du tom ou tom yugri, 2) danse du que chose de plus que la somme des parties naam et naam maare, 3) énonciation des devises. panga.9 Ces trois composantes correspondent res- Au terme de ces trois étapes, le Yatenga Naaba pectivement aux statuts de “chef” naaba, de “maître peut être salué au titre de “maître de la force” mais de la force” pangsoba et de “roi” rima. il n’est encore que Yatenga Naaba. Les rituels du Après l’inhumation, on nomme : ringu vont en faire un “roi” (rima). Le rituel du rin- 1) la napoko (dont la nomination correspond au dé- gu (qui équivaut à l’intronisation) comprend deux but de la deuxième semaine), fille aînée du roi dé- grands thèmes : funt qui représente son père en tant que celui-ci était 1) de Natenga à Gursi, le roi est naaba et participe “chef” naaba ; en effet, le togo naaba dit à l’assis- à des rituels qui l’associent aux gens de la terre ; à tance : “Le chef n’est pas mort, il va se présenter à Gursi, le roi devient rima, vous” (Izard 1985 : 137, souligné par nous) ; à par- 2) de Gursi au Natenga, la quête du pouvoir est de- tir de la nomination de la napoko, une vie normale venue exigence de soumission des diverses catégo- reprend au palais; ries de détenteurs de naam, au roi.12 2) le kurita, fils cadet du défunt roi en tant que ce- La première période du ringu associe ainsi dans lui-ci était “maître de la force” pangsoba ; la no- un premier temps le roi aux gens de la terre ; en se mination du kurita est affirmation de la mort du roi subordonnant aux autochtones, le roi devient rima. (kurita = mort régnant); On peut affirmer qu’il s’agit d’une subordination 3) enfin, il y a le cheval du défunt roi tulubere puisque le Yatenga Naaba donne des femmes en weefo10 qui représente le défunt roi en tant que ce- mariage, offre (Izard 1985 : 154) des cadeaux et sa- lui-ci était “roi” rima. crifie aux autels de la terre, ce qui signifie bien qu’il Au cours d’un voyage qui le mène du palais à leur est redevable de quelque chose ou du moins son lieu d’exil, le kurita est censé pouvoir s’emparer qu’il doit s’accorder leur faveur. Tout montre que le de ce que bon lui semble, mais les captifs royaux qui but du ringu n’est pas seulement d’identifier le “roi l’accompagnent veillent à ce que ce droit de préda- au territoire sur lequel s’exerce son autorité” (ibid., tion soit exercé avec parcimonie. 150) – ce qui réduirait le rituel à une affaire pure- Le soir avant la nomination du futur chef en ment politique – mais de l’insérer dans une totalité “chef” naaba, le kurita, monté sur le tulubere sociologique et cosmologique à laquelle il contri- weefo, arrive chez le chef des captifs royaux (ra- bue à la place qui est la sienne. Quels sont les faits sam naaba), où il passera la nuit. En pénétrant dans à l’appui de notre thèse ? Nous savons que : le natenga, le kurita perd tout droit de prédation. 1) chez les Mossi, l’instance créatrice et ordonna- Les vêtements royaux et le tulubere weefo lui sont trice du monde est une divinité masculine de nature retirés. Izard oppose justement le pouvoir de la na- céleste (Naaba Wende) de sorte que ce dieu est envi- poko sur les hommes (politique) au pouvoir du ku- sagé comme un “chef” dont “l’épouse” est Naapaga rita sur les choses (“économie”). Napoko et kurita Tenga, la terre comme support de sacralité ; s’opposent également du point de vue du sexe, de 2) Naaba Wende dispose d’un naam dont procèdent l’âge et de leur rapport à l’espace (l’une étant im- tous les autres naam ; 3) le rituel du ringu associe le “roi” rima au ciel et 9 Tout ceci deviendra beaucoup plus clair quand nous aurons vu comment le futur roi accède, grâce aux rituels de l’intro- 11 Tangazugu = résidence royale et première capitale du Ya nisation, à ces trois statuts. tenga. 10 Tulubere weefo : premier cheval du Yatenga Naaba, “chef du 12 Gursi : réunion de villages anciens et de hameaux de culture Yatenga”. autour de la première capitale du Yatenga, Tangazugu. Anthropos 106.2011 https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135 Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47. Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
Sur quelques aspects de la royauté mossi (Yatenga précolonial, Burkina Faso) 139 au soleil, alors que les gens de la terre sont associés rima que le roi subordonne tous les autres déten- à la terre et à la lune; teurs de naam dans l’ordre politique. En d’autres 4) les autels de la terre sur lesquels sacrifie le futur termes, c’est la place du roi dans l’ordre socio-cos- chef “représentent l’ensemble des autels de la terre mique (et ses fonctions rituelles) qui fonde sa su- du royaume”. périorité dans l’ordre politique. Le naam que Mi- Autrement dit, sur le plan socio-cosmique, nous chel Izard traduit par “pouvoir” serait donc aussi un avons les oppositions suivantes : “principe”, une “énergie” mâle d’origine céleste qui s’associe à la terre – principe chthonien (lune) – par Naaba Wende chef épouse de Naapaga le truchement du roi pour la féconder et constituer chef Tenga une totalité. Nous avons donc non pas un niveau, comme la simple opposition : (chef = dieu Soleil / naam masculin féminin gens de la terre = déesse Terre), le suggère, mais rima ciel terre gens de la deux niveaux hiérarchisés en valeur.15 Au niveau terre de valeur supérieur, où il y a unification (Wende en soleil lune tant que principe unitaire, englobant) correspond un “naam divin”, une “énergie” sans rapport direct avec le “pouvoir” ; au niveau de valeur inférieur il y Cependant, pour être complet, et conformément à a une différenciation du naam qui peut s’actualiser ce que rapporte Annie Bruyer,13 il faut reconnaître en “pouvoir”.16 l’existence de plusieurs niveaux de valeur ; un pre- mier niveau (reconnu comme supérieur en valeur) bienveillants. Ils rendent compte du lien indissoluble qui unit où : “Wende est unique, indifférencié et représente l’homme à la terre ; ils sont les garants de la pérennité du une totalité” et un second (inférieur en valeur par groupe. Leur maîtrise s’exerce non seulement sur un terri- rapport au premier) où : “le soleil s’oppose à la toire, et donc sur les êtres qui le peuplent, mais sur l’au-des- terre, comme le masculin au féminin. Aussi la di- sus (vent, nuages, pluie) et l’au-dessous (sépultures) de ce territoire. A leur divinité, Tenga, les gens de la terre deman- mension englobante, celle de la totalité, est Wende dent la pluie, c’est-à-dire la prospérité, et consacrent leurs puis, au niveau inférieur, on distingue le dieu So- rituels à cette prière … Aux gens de la terre, les Moose de- leil supérieur à la déesse Terre” (Bruyer 1987 : 20) : mandent la légitimation de leur pouvoir, car, étrangers au ter- ritoire sur lequel ils exercent celui-ci, ils ne peuvent s’adres- ser à Tenga que médiatement. Le rituel royal du ringu, quête niveau de valeur supérieur Wende (unique, indifféren- de légitimité faite par tout nouveau roi auprès des maîtres de (englobant) cié) la terre, exprime exemplairement le type de relation qui lie les conquérants aux autochtones. Par le ringu, le roi des Moose niveau de valeur inférieur Naaba Wende = soleil, mas- devient le roi du royaume et le seul prêtre de cette religion (englobé) culin / abstraite qui associe Tenga, divinité des gens de la terre, à Naapaga Tenga = terre, lune, Wende, divinité des chefs, et en fait un couple : Naaba Wende féminin (naaba = chef) et Napaga Tenga (napaga = épouse de chef)”. Rappelons toutefois que cette association d’un dieu Soleil à une déesse Terre s’effectue à un niveau inférieur en valeur, En d’autres termes, si le roi est effectivement asso- le niveau supérieur correspondant à une entité Wende homo- cié au dieu Soleil, cette association se situe à un ni- gène, unifiante et englobante. 15 Ce qui précède montre la difficulté qu’il y a à traduire le veau de valeur inférieur. Cette hiérarchisation des terme naam. Comme Șaul (2007 : 228) le souligne dans un niveaux de valeur étant posée, quelles sont les rela- texte récent, Izard lui-même n’est pas totalement satisfait tions entre le suzerain et les gens de la terre à travers d’avoir traduit le terme par “pouvoir”. Par exemple, Brown le rituel de l’intronisation ? (cité par Șaul) propose en anglais les termes office “charge” ou “fonction” pour les Mamprusi (Brown 1975). Le terme est Alors que le premier thème du ringu débute éminemment polysémique et sa signification change selon les avec la subordination du Yatenga Naaba aux gens contextes et les niveaux idéologiques où il apparaît. de la terre dans l’ordre socio-cosmique (et rituel), 16 Cette idée d’une indifférenciation du principe Wende à l’ori- il s’achève par la soumission des divers détenteurs gine, pouvant générer une différenciation à un niveau subor- de naam dans l’ordre politique.14 C’est en tant que donné en valeur est mentionnée par Annie Bruyer dans sa thèse. Ainsi, “lorsqu’un ancêtre-fondateur arrive dans un lieu vierge et inoccupé, celui-ci relève uniquement de Wende … 13 Parce qu’elle constitue un exemple d’application de l’“op- A la fondation du village, l’idée de valeur contenue en Wen- position hiérarchique” à la région qui précisément nous inté- de subie une sorte d’altération. Deux entités : Soleil et Terre, resse ici, nous nous sommes également aidés de la thèse de l’un temps, l’autre espace, l’un masculin, l’autre féminin Bruyer (1987) sur la région de Zorgho en pays mossi. sont immédiatement distinguées” (Bruyer 1987 : 115). L’ar- 14 Michel Izard écrit (1985 : 19) : “Les gens de la terre trans- rivée de l’ancêtre-fondateur implique une inversion des rap- forment la terre sauvage en terre cultivée, les éléments dan- ports entre Wende et les êtres surnaturels que normalement gereux en éléments dociles, les morts turbulents en ancêtres il subordonne (au niveau supérieur) : alors qu’au niveau su- Anthropos 106.2011 https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135 Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47. Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
140 Émile Tsékénis Le couple roi / gens de la terre ne renvoie pas du pouvoir (naam) au rima en tant que celui-ci par- seulement à un ordre socio-cosmique : car le “roi” ticipe du pouvoir (il est “chef du Yatenga” Yaten- rima est aussi “chef” naaba : il représente aussi les ga Naaba) et en même temps de l’ordre socio-cos- gens du pouvoir face aux gens de la terre (ordre po- mique (à un niveau subordonné) – cette fonction litique). Mais s’il est effectivement, comme le pré- fondant sa supériorité sur les gens du pouvoir, dans cise Michel Izard, celui qui garantie l’alliance des l’ordre politique. Nous avons décomposition dans la gens du pouvoir et des gens de la terre, c’est grâce mesure où les composantes de la personne royale se à ce double statut qui lui permet de participer des disjoignent, ce qui provoque une irruption du dés deux mondes : celui du pouvoir et celui de la terre ordre exprimé par les exactions des gens de la force (à ce dernier niveau en tant que promoteur, à une (les captifs royaux). place subordonnée par rapport aux gens de la terre, Durant la deuxième période, après l’inhumation de l’ordre socio-cosmique). du défunt roi, les trois composantes de la personne La période qui s’étale de la fin de la première royale sont représentées par : semaine à la fin de la deuxième semaine peut s’in- terpréter comme une décomposition et une recom- Terme médiateur Principe repré- Composante position des composantes de la personne royale et (personnes et che- senté de la personne de l’ensemble des relations socio-cosmiques. En val) royale effet, tout le long de la période qui s’étend de la napoko naam naaba mort du roi à l’intronisation de son successeur, nous sommes en présence de couples d’opposition que kurita panga pangsoba nous résumons dans le tableau ci-dessous : tulubere weefo rinaam rima 1ère période 1) défunt roi censé continuer de régner / captifs royaux et neveux utérins du Rappelons que la composante rima est plus que défunt roi l’addition des composantes naaba et pangsoba. En effet, la première phase du ringu montre que le roi 2ème période 2) napoko/kurita 3) Yatenga Naaba / kurita devient pangsoba et rima simultanément, en se sub ordonnant aux génies et aux gens de la terre. Les Nomination 4) Yatenga Naaba / gens de la terre ⇒ composantes pangsoba et naaba s’opposent l’une Intronisation 5) rima / gens de la terre ⇒ à l’autre dans leur référence à la composante rima 6) rima-naaba / gens du pouvoir qui constitue la totalité et les englobe. La compo- sante pangsoba est supérieure à celle de naaba en Le cinquième couple constitue une totalité socio- ce qu’elle résulte de la subordination du Yatenga cosmique, comme nous l’avons montré précédem- Naaba aux gens de la terre : c’est ce qui lui confère ment. sa supériorité par rapport aux simples “chefs” (lo- Les couples qui correspondent aux rites de no- caux ou régionaux) détenteurs de naam. En d’autres mination et d’intronisation représentent l’ensemble termes, pangsoba et naaba s’intègrent dans leur re- des relations liant les gens du pouvoir et les gens lation à un tout représenté par la composante rima. de la terre par le truchement du rima-naaba. Pas- Ceci éclaire mieux la relation symétrique et in- sons en revue ces relations et les couples 4, 5 et 6. verse du kurita et du naaba par rapport à la force Couple 4 : Yatenga Naaba / gens de la terre ⇒ sub (couple 3). Comment ? Rappelons tout d’abord que ordination du principal représentant du pouvoir aux le kurita perd la force en partant du royaume pour prêtres des entités chtoniennes, c’est-à-dire aux se diriger vers l’est alors que le futur roi accumule principaux officiers du rituel. Couple 5 : rima / gens en se dirigeant du royaume vers l’ouest. Il y a dé- de la terre ⇒ association de deux pôles (ciel/terre, perdition de force car ce qui fait la force n’est plus : lune/soleil, masculin/féminin et épouse/chef) par la ceci est une façon de signifier que la décomposition médiation du rima (associé au soleil). Couple 6 : de la totalité (rima) entraîne la déperdition de l’une rima / gens du pouvoir ⇒ subordination des gens de ses composantes (panga) ou encore que la par- tie ne peut exister sans le tout. La disjonction des périeur Wende “règne” seul et omniprésent sur tous les êtres composantes de la personne royale n’est rien moins surnaturels, au niveau inférieur les ancêtres et les esprits des que la décomposition d’une totalité. La totalité rima morts sont supérieurs à Wende en tant que celui-ci est préci- (représentée par le tulubere weefo) qui intègre celles sément le dieu Soleil s’opposant à la déesse Terre ; cette in- version s’explique par le fait qu’au niveau inférieur, celui du de naaba (représentée par la napoko) et de pangso- village comme espace social, les ancêtres et les esprits des ba (représentée par le kurita) se sépare de celles-ci. morts sont à l’origine de l’ordre social et local. Les deux composantes originellement parties d’un Anthropos 106.2011 https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135 Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47. Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
Sur quelques aspects de la royauté mossi (Yatenga précolonial, Burkina Faso) 141 tout ne sont plus que des éléments épars. Parallè- simde. Le cycle cérémoniel de bega s’étend sur les lement, et dans un mouvement inverse, le parcours cinq premiers mois de l’année (Gambo, Womsom, du futur roi (et Yatenga Naaba) et sa subordination Bugure, Giblo et Kunduba désignent non seulement aux génies et aux gens de la terre produit une accu- ces mois mais également cinq villages du royaume mulation de force et entraîne la recomposition du du Yatenga). Il s’agit principalement d’“une fête de tout (au terme du ringu, le Yatenga Naaba accède fertilité dont les officiants sont des gens de la terre, au statut de rima). Dans les deux procès qui s’op- et qui prend effet à partir d’une impulsion venue posent, il est toujours question de la hiérarchie qui du Yatenga naaba” (Izard 1985 : 171 ; souligné par se dissous ou qui ordonne les parties en référence à nous). Durant ces cinq premiers mois, sont associés une totalité. Cette opposition Yatenga Naaba / kurita dans tous les villages du royaume, un chef (naaba) est particulièrement éclairante en ce qu’elle signifie et un maître de la terre. Le roi inaugure le cycle bien que Yatenga Naaba augmente sa force en se de bega en remettant des condiments au maître de subordonnant là où le kurita la perd parce qu’à l’in- la terre de Gambo, qui les transmettra à son tour verse il n’y a pas d’instance qui le transcende (en au maître de la terre de Womsom, et ainsi de suite, tant qu’il est pangsoba, “maître de la force”) pour de maître de la terre à maître de la terre, jusqu’au le rendre fort. Si nous acceptons le point de vue dé- village de Kunduba. Izard remarque que les condi- veloppé ci-dessus, nous ne pouvons plus admettre la ments décrivent un mouvement centre ⇒ périphérie “rupture rituelle totale entre les accessions aux sta- et que ce mouvement est inversé lors des salutations tuts de naaba et de rima” (Izard 1990 : 77). Tout au des chefs (napusum), cérémonies qui concernent les contraire, le statut de naaba est consubstantiel à ce- gens du pouvoir (ceux qui détiennent des fonctions lui de rima ; le statut de rima est supérieur à celui de politiques) uniquement.18 A ce moment, le roi reçoit naaba en ce qu’il participe, avec les gens de la terre des bouquets d’épis de mil nouveau.19 Lorsque l’on (c’est-à-dire en tant que rima), d’un ordre supérieur considère ces deux mouvements, “[d]u roi donneur renvoyant à une totalité (rituel). Cette interprétation de condiments au roi receveur de mil, il y a un pas- a le mérite de rétablir une relation logiquement né- sage par les maîtres de la terre et par les chefs ; le cessaire entre les composantes de la personne royale travail des hommes s’insère entre l’intervention des sans pour autant remettre en cause “[l]a distinction gens de la terre et celle des gens du pouvoir” (Izard entre les statuts de naaba et de rima … qui [a] pour 1985 : 197). effet de circonscrire le monde des rois au sein de ce- Revenons-en à l’ordre chronologique du calen- lui des chefs” (Izard 1990 : 77).17 drier rituel. Après les fêtes de bega vient le départ en brousse du roi. Le début de la nouvelle année sera marqué par le sacrifice sur le naam wubri suivi Le calendrier des rites collectifs de sacrifices dédiés à chacun des anciens rois (an- cêtres). Viennent ensuite les napusum ou salutations Avant de procéder à une révision de certains as- au roi dont nous venons de parler pour l’opposer pects contradictoires ou ambigus de l’organisation au cycle de bega. Il est cependant nécessaire d’ap- politico-rituelle du royaume du Yatenga relevés par porter quelques précisions. Les napusum concer- M. Izard lui-même, nous devons résumer briève- nent “ceux qui ont le titre de naaba en vertu d’une ment les faits relatifs aux rituels collectifs (1985 : nomination royale … serviteurs royaux et maîtres 168 – 204) et les mettre en relation avec les aspects de la guerre” (Izard 1985 : 182 s.) – c’est-à-dire les développés ci-dessus. gens de la force. Le calendrier mossi comprend douze mois. L’an- née commence avec le cycle cérémoniel du bega, [L]es trois napusum sont envisagés comme une réactua- continue avec les “salutations au roi” napusum et lisation de l’allégeance de tous les détenteurs d’un naam se termine avec un hommage aux mânes du roi ou à celui de qui ils le tiennent : le roi …Après que le nou- vel an a été célébré dans tous les villages du Yatenga, les 17 Dans son introduction à l’ouvrage collectif “Chefs et rois sa- chefs locaux organisent leur napusum, qui consiste en une crés”, Luc de Heusch estime que Michel Izard a sous-évalué salutation de leurs nesomba et des chefs de quartier de la fonction rituelle du roi du Yatenga et semble embarrassé par la coexistence de deux statuts qui lui paraissent contradic- leur village (en principe, à l’exception des chefs des quar- toires (de Heusch 1987 : 22). Pour avoir une image complète de la personne royale (et des relations entre les composantes 18 Izard précise bien : “à l’exception des chefs des quartiers des qui la constituent), il faut, pour reprendre une expression gens de la terre” (1985 : 183). très imagée formulée par Louis Dumont à propos du sys- 19 D’un point de vue “hiérarchique” une inversion est haute- tème des castes et des positions de Bouglé et de Hocart sur ment significative en ce qu’elle signale un changement de ce sujet, “mettre Izard dans de Heusch” (Dumont 1992 : 100, niveau de valeur dans la configuration globale (voir la suite note 32h). de l’article). Anthropos 106.2011 https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135 Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47. Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
142 Émile Tsékénis Fig. 1 : Les échanges dans le cadre du cycle cérémoniel du Bega et des salutations au roi (napusum). tiers de gens de la terre), assortie d’une remise de présents mination et d’intronisation du roi mossi. En effet, (Izard 1985 : 183). a) on part d’une totalité pour aboutir à des parties et b) sont toujours à l’œuvre des couples qui s’oppo- Le soir du samedi de la première salutation au roi com- sent ou qui fusionnent à des niveaux hiérarchiques mence le siimde, fête nocturne dédiée aux kiimse des rois différents. Voyons comment. morts qui, rendus bienveillants par les sacrifices de filiga, Le cycle de bega revêt trois dimensions qui sont sont invités à venir boire et danser à l’extérieur du Nayiri intimement liées : (Izard 1985 : 186).20 1) cosmique, dans la mesure il associe le roi-rima (médiateur entre le ciel et la terre) et les gens de la “Les deux derniers mois de l’année voient se dérou- terre, prêtres des entités spirituelles chthoniennes ; ler deux fêtes comparables : le koom filiga [ou “tii- 2) statutaire, il oppose le roi-chef (rima-naaba) et do du rima”] et le tiido … La première … concerne les chefs (naaba) aux maîtres de la terre faisant du le roi, la seconde est propre aux prêtres de la ferti- roi-chef un médiateur entre les gens du pouvoir et lité, les buguba …”. M. Izard précise qu’“entre le les gens de la terre ; souverain et les buguba … il existe de nombreuses 3) territoriale (dans le sens “sacré” du terme), les affinités, notamment du point de vue des interdits condiments circulent du roi vers un maître de la terre [alimentaires] qui pèsent sur eux … Ces deux fêtes et de celui-ci à un autre maître de la terre, et ainsi marquent la fin d’une année agraire et le début de suite de maître de la terre à maître de la terre ; d’une nouvelle année, le passage de la consomma- roi-rima-naaba et gens de la terre sont associés à tion du mil ancien à celle du mil nouveau” (Izard la terre en tant que celle-ci abrite les entités spiri- 1985 : 200). tuelles chthoniennes : la médiation entre le roi et les entités spirituelles est prise en charge par les gens La fête de koom filiga est une salutation au roi avec remise de la terre. de cadeaux réservée aux serviteurs royaux et aux maîtres Avec le koom filiga (ou tiido du rima) sont asso- de la guerre : c’est … l’exacte réplique des deux premiers ciés le roi et les maîtres de la guerre. Le “roi” en tant napusum, avec un rôle prépondérant des premiers maîtres que rima (c’est-à-dire participant de la totalité so- de la guerre moose, les chefs de Gursi, Lago, Ula et Ko- cio-cosmique à un niveau subordonné) et les maîtres suka. Les cadeaux offerts au roi sont également les mêmes de la guerre en tant qu’opposés aux nakombse (gens que ceux donnés lors des napusum (Izard 1985 : 202). du pouvoir) sur le plan politique. Le tiido est ré- servé aux seuls prêtres de la fertilité (buguba). Mi- En étudiant les différentes étapes des fêtes du ca- chel Izard note bien qu’entre le roi et les buguba lendrier cérémoniel, on remarque un schème iden- il y a des affinités sur le plan des interdits alimen- tique à celui qui est à l’œuvre dans les rites de no- taires. Ceci indique que dans le cadre du koom fili- ga, c’est bien de la composante rima (c’est-à-dire la 20 Nayiri : habitation du chef de village. “personne rituelle” du roi) dont il est question. Ceci Anthropos 106.2011 https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135 Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47. Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
Sur quelques aspects de la royauté mossi (Yatenga précolonial, Burkina Faso) 143 Mois 1) Roi + chefs Serviteurs royaux GDF Maîtres de la guerre Gens du pou- voir 2) chefs locaux + nesomba des chefs (niveau poli- Filiga locaux tique inférieur Condiments Gambo Chefs de quartier en valeur) GDP/GDT Womsom ⇒ maîtres de la terre exclus de 1) et 2) (niveau rituel ⇒ supérieur en Roi/maîtres de la terre Bugure valeur) Giblo ⇐ Mil nouveau Kunduba Kizagolo Buduro Warga Banka 1) Tiido rinam : roi + MDG Yaalum 2) Tiido : buguba (prêtres Tiido de la fertilité) GDF = gens de la force ; GDP = gens du pouvoir ; GDT = gens de la terre ; MDG = maîtres de la guerre. Tableau : Tableau récapitulatif des fêtes mossi nous est suggéré par la dénomination même de cette tique, c’est-à-dire à un niveau hiérarchique inférieur fête : le tiido du rima (roi). Le passage suivant ma- en valeur. C’est ce qui explique le “faible marquage nifeste bien l’envergure de koom filiga qui mobilise des maîtres de la guerre” dans les napusum : dans les prêtres de la fertilité et entraîne la totalité des es- ce contexte, ils sont envisagés dans leur relation à prits et des hommes du royaume : la force (ordre politique). Aussi, bien que la nature des prestations soit la même pour les deux fêtes, les A la même époque que la fête royale de koom filiga ont contextes et les niveaux de valeurs correspondants lieu dans tout le royaume des sacrifices faits par les gens sont différents : les statuts des donneurs et des do- de la terre : les maîtres de la terre, sur les tẽse, célèbrent nataires changent d’une fête à l’autre. ainsi le basga, les buguba, sur leurs propres autels, célè- La deuxième étape des napusum nous fait des- brent le wamyulunga ; des sacrifices sont également faits cendre au niveau le plus bas de la hiérarchie poli- par les chefs de famille dans les sanctuaires ou sur les au- tique puisqu’elle associe les chefs locaux aux chefs tels des ancêtres : tous ces rituels commandent la consom- de quartier et aux nesomba des chefs locaux. Elle mation du mil nouveau (Izard 1985 : 203 s.).21 exclue logiquement les maîtres de la terre. Le koom filiga (ou tiido du rima) n’est donc pas “l’exacte réplique des deux premiers napusum” Le pouvoir et la terre (Izard 1985 : 202). Car dans le cadre du tiido du rima (ou koom filiga), c’est la composante rima Le roi, les maîtres de la terre et les gens de la force du roi qui est associée aux maîtres de la guerre, alors que les deux premiers napusum associent le D’autres faits se laissent mieux comprendre lors roi-naaba aux gens de la force (chefs, serviteurs qu’on on distingue des niveaux de valeurs hiérar- royaux et maîtres de la guerre) dans l’ordre poli- chisés.22 Essayons d’étayer notre argument en re- 21 En notes de bas de page, nous lisons : “Basga vien[t] de 22 Pour une étude monographique exhaustive, rigoureuse et base, faire une libation, d’eau, d’eau de farine ou de bière de stimulante des rapports entre le territoire, le religieux et la mil ; la fête de bagsa est célébrée dans tout le Moogo” (Izard parenté chez les Kasena – une région proche (géographi- 1985 : 203, note 1) et wamyuluga signifie littéralement “tam- quement) et “lointaine” (du point de vu de la langue et de bour (lunga) de la fécondité” (204, note 1). l’organisation politique) du pays Mossi qui ici nous intéresse, Anthropos 106.2011 https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135 Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47. Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
144 Émile Tsékénis prenant les oppositions principales dégagées par de la génération des petits-fils.23 Nakombga signifie Michel Izard, et qui renvoient au couple gens du littéralement “celui qui n’a pas (ou n’a pas encore) pouvoir / gens de la terre. Quelles sont ces oppo- réussi à accéder au naam”. Cependant, les choses ne sitions ? sont pas aussi simples car Izard relève, pour le terme nakombga, trois sens (qui peuvent être ramenés, 1) Gens du pouvoir (moose) / gens de la force (cap- pour l’essentiel, à deux) selon le point de vue adop- tifs royaux ou encore “gens de Bingo”) s’opposent : té : 1) tous les descendants de chef sont, en tant que a) au titre d’une “division du travail” : en ef- tels, des nakombse ; 2) du point de vue du pouvoir fet, “les tâches qu’assument les captifs royaux … central, dès qu’il n’y a plus de possibilité d’accès au ne sauraient être accomplies par des Moose, pour naam, tout descendant de chef est talga (plur. talse) des raisons autant éthiques que techniques, qu’elles “homme du commun” ; 3) pour les autres groupes aient trait à la manipulation des sacra les plus se- de descendance, les descendants de chef qui ne peu- crets et les plus puissants du pouvoir ou à l’exer- vent plus accéder au naam sont talse. En d’autres cice coercitif de la force” (1987 : 90 ; voir égale- termes, les descendants de chef à partir de la géné- ment 1985 : 55). ration des petits-fils sont soit nakombse (perspec- b) au titre de l’affinité ; puisque les gens de Bin- tive 1) soit talse (perspectives 2 et 3) selon le point go entretiennent “avec le roi et avec les princes de de vue envisagé. On ne peut cependant pas s’en te- sang, et plus généralement avec les nakombse de nir à cette simple opposition équistatutaire. Et An- souche récente d’intenses relations matrimoniales” nie Bruyer montre bien que ces statuts renvoient à (1987 : 90 ; 1985 : 46). des niveaux de valeur différents. Le statut de talga résulte d’une distinction opérée par le pouvoir cen- 2) nakombse / “maîtres de la guerre” (tengsobnam- tral (accès au naam, point de vue particulier) alors ba) s’opposent : que du point de vue du village et de la généalogie, a) dans l’ordre politique, en ce que la relation tout descendant de chef est nakombga ; ce niveau des maîtres de la guerre au naam “pouvoir” est de référence est global, unifiant ; il fait de tous les “apaisée” alors que celle des nakombse est conflic- Moose des nakombse. Soulignons en passant un fait tuelle, très important : mises à part les autres acceptions du b) au titre de l’affinité ; puisque : “Les membres terme, nakomse désigne également les Moose en gé- des familles de maîtres de la guerre sont, au double néral. Il n’y a donc aucune contradiction écrit An- sens du terme, des ‘alliés’ en quelque sorte naturels nie Bruyer quand un villageois (de Digré, région du roi … [et du] groupe de descendance royal [en de Zorgho) affirme être à la fois nakomse et talga. général]” (1987 : 86, 77). Dans le premier cas il valorise son appartenance li- gnagère unique doublée d’une patrilocalité ;24 dans 3) gens de la terre / nakombse s’opposent : le second, il oppose le terme nakomse à celui de a) dans leur rapport à l’espace car les premiers talse en faisant référence aux ordres sociaux, se si- sont sédentaires alors que les seconds sont concep- tuant par rapport au statut. Le terme nakomse dé- tuellement des “nomades sédentarisés”, finit donc à la fois l’unifiliation et l’ordre auquel b) au titre de l’affinité puisque les gens de la terre on appartient. Au niveau supérieur tous, nakomse et les membres de leur famille sont dans une posi- ou talse, sont nakomse dans la mesure où il est fait tion d’affins potentiels par rapport aux nakombse (ils sont extérieurs au groupe de descendance moose 23 Parmi les nakombse on fait une distinction : les petits-fils de ou moos buudu). chef sont des nakombse mais aussi des yarase : fils ou des- cendant de nabiise en position généalogique d’élu suscep- tible de participer un jour à la compétition pour le pouvoir. Avant d’analyser les couples ci-dessus, il nous 24 A cette communauté lignagère et territoriale, nous devons faut d’abord préciser le statut de nakombga (plur. ajouter la dimension du mariage. Le quartier constitue l’uni- nakombse). Nous savons que le naam “pouvoir” se té exogame et cérémonielle : “Tout mariage est fondé sur … transmet de père en fils, de “chef” naaba à “fils de un échange d’enfants entre deux quartiers de deux villages chef” nabiiga. Un nabiiga qui ne devient pas naaba différents” (Bruyer 1987 : 176). Et ailleurs : “Les villageois s’accordent volontiers pour dire qu’ils ne font qu’un buudu exclut sa descendance de toute possibilité d’accès (patrilignage exogame dont la plus large division est le saka au naam de son père : c’est là que s’insère le statut (plur. sakse) avec tous les nakombse” (150). Et Izard : “Les de nakombga, descendant agnatique du chef à partir sakse sont généralement regroupés en ensembles villageois, dont ils constituent les ‘quartiers’. Le ‘village’ (tenga, plur. tẽse) est ainsi, dans sa forme générale, pluri-lignager, tandis que le patri-lignage est pluri-villageois” (Izard 1985 : 6). Le cf. Liberski-Bagnoud (2002). Seules les différences susmen- mariage est donc étroitement lié à la localité et, de fait, au ni- tionnées nous empêchent d’utiliser cette remarquable étude. veau de valeur supérieur. Anthropos 106.2011 https://doi.org/10.5771/0257-9774-2011-1-135 Generiert durch IP '46.4.80.155', am 22.10.2021, 07:49:47. Das Erstellen und Weitergeben von Kopien dieses PDFs ist nicht zulässig.
Vous pouvez aussi lire