Pour qui et à qui ce parc ? Gentrification et appropriation de l'espace public dans l'arrondissement du Sud-Ouest de Montréal (Canada) Whose Park ...
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Document generated on 07/14/2022 12:28 a.m. Lien social et Politiques III L’épreuve du logement Pour qui et à qui ce parc ? Gentrification et appropriation de l’espace public dans l’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal (Canada) Whose Park Is It Anyway? Gentrification and Appropriation of Public Space in Montreal’s Sud-Ouest Borough (Canada) Hélène Bélanger Number 63, printemps 2010 Article abstract Le logement et l’habitat : enjeux politiques et sociaux In this paper we present the results of an exploratory study conducted in Montreal’s Sud-Ouest borough into the effects of the revitalization of public URI: https://id.erudit.org/iderudit/044156ar spaces on physical and social changes in adjacent neighbourhoods. Even if the DOI: https://doi.org/10.7202/044156ar insertion of new upscale housing into the existing urban fabric may appear to be statistically marginal, traditional residents have seen, and are still seeing, changes to the environment in which they live. These changes have an impact See table of contents on their everyday territory. The results of our surveys, which used a mixed methodology, indicate that traditional residents of the area, excluding the Lachine Canal park, have redefined their sense of home territory. Publisher(s) Lien social et Politiques ISSN 1204-3206 (print) 1703-9665 (digital) Explore this journal Cite this article Bélanger, H. (2010). Pour qui et à qui ce parc ? Gentrification et appropriation de l’espace public dans l’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal (Canada). Lien social et Politiques, (63), 143–154. https://doi.org/10.7202/044156ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2010 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 143 Pour qui et à qui ce parc ? Gentrification et appropriation de l’espace public dans l’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal (Canada)1 Hélène Bélanger Les espaces publics, en tant lais sont témoins de transforma- mique d’un secteur de la ville, cer- qu’espaces physiques ouverts à tions physiques et sociales par tains craignent qu’elles induisent tous, sont le théâtre d’enjeux dont suite des investissements gouver- la gentrification des quartiers. la résultante peut affecter tant le nementaux importants sur des Avec l’arrivée d’une nouvelle quotidien des individus que le espaces publics, à l’intérieur des population au mode de vie diffé- développement des collectivités. espaces résidentiels ou contigus à rent, la cohabitation entre les Dans les espaces publics, les indivi- eux. C’est le cas du projet de revi- deux groupes de résidants pourra dus et les groupes s’engagent dans talisation d’un parc linéaire par le être difficile, voire conflictuelle, en des activités civiles, citoyennes ou gouvernement fédéral, le gouver- ce qui concerne les représenta- commerciales. Mais les espaces nement du Québec et la Ville de tions et les modes d’appropriation publics sont également des lieux Montréal, sur le lieu de naissance des espaces publics. de sociabilité et d’identité (Bas- de l’industrialisation canadienne. Le présent article expose les sand et coll., 2001). Ces enjeux qui La revitalisation du parc du premiers résultats d’une recher- se côtoient, s’entrecroisent et se Canal-de-Lachine a favorisé la che exploratoire sur les percep- confondent parfois font des espaces réhabilitation de la friche indus- tions et les modes d’appropriation publics des « lieux propices aux † trielle à des fins résidentielles de des espaces publics dans les quar- conflits » (Chaumard, 2001). Les † luxe. L’arrivée d’une nouvelle tiers en voie de gentrification. Des interventions publiques ou privées population dans des bâtiments nombreuses études sur la gentrifi- dans les espaces publics peuvent industriels ou sur des terrains cation, peu se sont attardées sur rarement être neutres. vacants a à son tour favorisé des les perceptions, les significations transformations majeures du La ville de Montréal constitue et l’appropriation des espaces cadre bâti environnant. un excellent laboratoire d’analyse publics des quartiers résidentiels. des modes d’appropriation et Même si certaines interventions C’est pourquoi, ce projet vise plus d’utilisation des espaces publics de revitalisation ont pour objectif spécifiquement à mieux com- dans les quartiers en gentrifica- de réduire la dégradation phy- prendre :1) les impacts des actions † tion. Plusieurs quartiers montréa- sique ou le déclin socioécono- de revitalisation des espaces publics Lien social et Politiques, 63, Le logement et l’habitat : enjeux politiques et sociaux. Printemps 2010, pages 143 à 154.
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 144 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 discussion sur les premiers résul- sus de gentrification » en deux † tats d’enquêtes, toujours en cours types de définitions. Le premier Pour qui et à qui ce parc ? Gentrification et appropriation de l’espace public dans dans l’arrondissement du Sud- type est davantage axé sur la pro- l’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal Ouest. duction de l’espace à travers la (Canada) promotion immobilière (voir entre Gentrification et revitalisation autres Smith, 1996), le second, sur des quartiers centraux la consommation de l’espace, c’est-à-dire à travers des actions On doit à Ruth Glass la mise en individuelles de réhabilitation du exergue d’une nouvelle dyna- bâti résidentiel (voir entre autres mique de « retour en ville » de gen- Ley, 1996 ; Rose, 1984). Mais, † † † tries dans les quartiers centraux de quelle que soit la définition choi- 144 Londres au début des années 1960 sie pour illustrer le processus de (Glass, 1989). Depuis, de nom- transformations à la fois physique breux cas similaires ont été rele- dans le processus de gentrifica- et sociale d’un quartier, on retrouve, vés ailleurs dans le monde et des tion ; et 2) les changements de dans la plupart des cas, cette idée † différences ont été observées signification des espaces publics à de déplacement d’une population, quant à l’ampleur du phénomène, d’une substitution d’une popula- travers les modes d’appropriation quant à la rapidité du processus et tion de classe ouvrière, en général et leur influence sur la satisfaction à ses répercussions physiques et moins fortunée, par une popula- résidentielle et le désir de mobi- sociales sur les quartiers touchés. tion plus fortunée ou à tout le lité. Certains travaux se sont particu- moins possédant un capital cultu- lièrement intéressés à l’impact de Il est difficile de juger a priori rel considéré plus important. projets de rénovation urbaine des impacts des opérations de comme créateur, accélérateur ou Ces ménages « gentrifieurs », au revitalisation des espaces publics † † facilitateur de gentrification (voir mode de vie davantage axé sur le sur la mobilité résidentielle. Nous par exemple Smith, 1996), ou, à travail et les loisirs que sur la vie avançons l’hypothèse que les rési- l’opposé, se sont intéressés à l’im- familiale comme en banlieue, dants traditionnels (définis sur la pact de certaines spécificités plus seraient attirés par la proximité base de leurs profils socioprofes- ou moins locales pouvant ralentir du centre des affaires et des infra- sionnels et non seulement sur la le processus, comme le contrôle structures culturelles et de loisir, durée de résidence dans le quar- des loyers (voir par exemple dans des quartiers possédant tier) se sentent envahis dans leur Rochefort, 1991). d’importantes qualités architectu- territoire du chez-soi par l’arrivée rales et urbanistiques (Podmore, d’une nouvelle population qui Force est de constater aujour- 1998 ; Ley, 1996 ; Dansereau et † † s’approprie les espaces publics. d’hui, après plus de 40 ans de L’Écuyer, 1987). En investissant Une réaction de repli dans la recherche sur la gentrification, que des quartiers traditionnellement sphère privée (une redéfinition du les chercheurs semblent davantage ouvriers, ils participeraient à leur territoire du chez-soi) pourrait en s’éloigner d’un consensus sur ce transformation sociale et physique. résulter, provoquant une augmen- qui caractérise ou définit ce ou ces tation du niveau d’insatisfaction processus que de s’en approcher. Revitalisation ou gentrification du milieu de vie. C’est cette ques- La gentrification semble peu à peu induite ? tion qui sera explorée dans les devenir un concept omnipotent pages qui suivent. Les deux pre- qui traduit toute dynamique d’élé- Comme l’ont souligné entre mières parties de l’article servi- vation du statut socioéconomique autres Atkinson et Wulff (2009), ront à explorer les concepts de ou socioprofessionnel dans les les administrations publiques peu- gentrification, de revitalisation, quartiers, et ce, quels qu’en soient vent voir de nombreux avantages d’espace public et leur articula- les origines, les acteurs ou les pro- à la gentrification des quartiers tion. Suivront la présentation de la cessus2. Bidou (2003 : 14) regroupe † centraux. Des quartiers aupara- stratégie méthodologique et une par ailleurs ces différents « proces- † vant délabrés et abandonnés par
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 145 de nombreuses activités écono- explique la mise en place de poli- Déplacements forcés ou miques, renaissent sous l’impul- tiques et de programmes de succession de résidants ? sion de nouveaux arrivants. Le déconcentration de la pauvreté, cadre bâti se refait une beauté, de L’insatisfaction des résidants de reconstruction de complexes nouvelles activités commerciales traditionnels quant aux transfor- résidentiels pour y inclure davan- ou de services s’installent afin de mations sociales est également tage de mixité, et d’insertion de répondre aux besoins de cette alimentée par la crainte des dépla- nouveaux logements dans le tissu nouvelle population. S’ensuit une cements forcés. Ces déplacements résidentiel existant, une « gentrifi- † peuvent être forcés par l’éviction augmentation des revenus de cation instantanée » dont parle taxation. Pour ces raisons, cer- † du logement, par les pressions du Rose (2004). marché immobilier, voire même taines administrations seront ten- tées de favoriser, de faciliter la Ces transformations sociales par les pressions (ou le harcèle- gentrification, voire d’en faire un peuvent être mal accueillies par ment) de certains propriétaires, 145 objectif plus ou moins avoué. Ils qui voient de nombreux intérêts à les résidants traditionnels comme investiront alors dans la création « mettre à niveau » les logements † † le prouvent les nombreux mouve- ou la revitalisation d’espaces pour une population plus fortunée ments anti-gentrification qui font publics, dans la fourniture de ser- (Smith, 1996 ; Atkinson et Wulff, † régulièrement les manchettes3. vices ou dans le design urbain. Ils 2009 ; Newman et Wyly, 2006 ; † † Elles peuvent aussi être à la base Freeman, 2005). Réalité difficile- tenteront de créer une nouvelle d’une structure sociale tectonique image du quartier et ainsi d’attirer ment mesurable, la question des (Robson et Butler, 2001 cités par déplacements forcés par des pro- de nouveaux investisseurs et de Slater, 2005), c’est-à-dire qu’on se cessus de gentrification n’en a pas nouvelles populations. trouve sans interaction ni conflits moins fait l’objet de plusieurs tra- Cette interprétation serait trop entre les groupes (voir aussi Lees, vaux et de débats tant sur l’am- simpliste selon certains (voir entre 2008 ; Rose, 2004). Il reste que le † pleur du phénomène que sur sa autres Bourdin, 2008). Toutes les vécu quotidien de cette mixité signification4. Pour certains auteurs, villes ne sont pas à la recherche de sociale, des tensions (ou absence dont Freeman (2005), le phéno- cette image de marque qui atti- d’interaction) qui existent entre mène serait statistiquement peu rera investisseurs et populations. les groupes aux modes de vie dif- important. La dynamique qu’il a Des pouvoirs publics peuvent sim- férents reste peu documenté observée s’apparenterait davan- plement tenter de répondre aux (Rose, 2004). Or, de nombreuses tage à une simple succession de besoins d’une population locale études ont démontré, dans un résidants et serait similaire à ce prisonnière d’un quartier en cycle contexte plus large, que la déci- que l’on retrouve ailleurs dans la de déclin démographique, écono- sion de déménager est motivée ville. D’autres facteurs explique- mique ou socioéconomique, et par l’insatisfaction quant à ses raient la mobilité résidentielle l’un des outils considérés pourra dans les quartiers en gentrifica- conditions de logement ou d’envi- être l’augmentation de la mixité tion ou gentrifiés. Sans mettre en ronnement physique et social, que sociale à l’échelle du quartier. Aux doute le nombre statistiquement cette insatisfaction résulte des yeux des autorités, en plus d’aug- faible présenté par Freeman, particularités ou des transforma- menter l’assiette fiscale, cette Newman et Wyly (2006) critiquent mixité sociale permettrait de com- tions du ménage (voir entre autres néanmoins ses conclusions sur la battre les « effets du milieu » chez † † Rossi, 1980 ; Dieleman, 2001) ou † « suprématie » statistique. Les rési- † † les populations moins fortunées et des transformations de l’environ- dants des secteurs touchés sont des projetterait une image de ville nement physique et social (voir victimes non consentantes d’une inclusive, caractéristiques essen- entre autres Brown et Moore, géographie d’opportunités, pour tielles pour attirer cette « classe † 1970). En quittant le quartier, les reprendre les mots d’Atkinson et créative », levier du développe- † résidants traditionnels peuvent Wulff (2009), dont ils sortent per- ment économique selon Florida ainsi faciliter ou accélérer les dants. À l’augmentation des coûts (2003 cité par Rose, 2004 ; voir † transformations sociales associées du logement s’ajoute la récupéra- aussi Lees, 2008). C’est ce qui à un processus de gentrification. tion de logements par des couches
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 146 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 de leur sentiment de chez-soi, ce exercées par les individus et les qui constituerait une forme de groupes dans et sur ces espaces. Pour qui et à qui ce parc ? Gentrification et appropriation de l’espace public dans déplacement forcé (Newman et l’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal Wyly, 2006 ; Atkinson et Wulff, † Les espaces publics : (Canada) de l’image de la ville à l’identité 2009). individuelle La dépossession du sentiment du chez-soi, ou la redéfinition du Ces espaces ouverts, accessibles territoire du chez-soi, chez les au public, font partie des représen- résidants traditionnels d’un quar- tations des résidants de leur milieu tier, reste peu documentée. Or de vie (Bassand et coll., 2001). Ils cette question est importante sont aussi des espaces de sociabilité 146 pour comprendre le processus de qui permettent la rencontre de décision de mobilité résidentielle, l’autre (Lofland, 1998 ; Lees, 2008), † qu’une décision de ce genre soit et la reconnaissance des similitudes plus fortunées qui « retirent » ces † † et des différences (Ghorra-Gobin, provoquée par un processus de logements du bassin de logements 2001). En ce sens, ils font partie du gentrification ou non. La création, abordables (Atkinson et Wulff processus de construction identi- la réhabilitation, la revitalisation 2009 ; Newman et Wyly, 2006). Ils † taire (Prochanski, 1978 ; voir aussi d’espaces publics, par leur effet † exacerbent ainsi les tensions dans Morin et coll. 2008). Différentes d’entraînement sur les transfor- la disponibilité de logements abor- dimensions structurent l’identité mations physiques et sociales du dables pour la population plus individuelle, dont le genre, les quartier, pourraient être à l’ori- démunie financièrement, popula- caractéristiques socioprofession- gine de cette dépossession ou de tion qui n’aura pas la chance d’in- nelles, le profil ethnoculturel ainsi vestir le quartier. cette redéfinition du territoire du que l’identité du lieu. L’identité chez-soi, chez la population tradi- du lieu communique une identité, Il est vrai que tous les résidants tionnelle d’un quartier. mais cette dimension spatiale per- profitent de l’amélioration des met également de rassembler les services de proximité et appré- Espaces publics, territoire différentes dimensions dans l’es- cient sans aucun doute les inves- du chez-soi et satisfaction pace (Prochanski, 1978). En utili- tissements publics faits dans leur résidentielle sant, en modifiant ou en adaptant, quartier (Freeman, 2005 ; Newman † On retrouve deux catégories de en percevant et en se représentant et Wyly, 2006). Mais, en contrepar- définitions de l’espace public. La les espaces publics, les individus et tie, comme l’ont démontré les tra- première catégorie, dans la lignée les groupes montrent leurs capaci- vaux de Newman et Wyly (2006), des travaux d’Habermas (1992), tés d’usage et d’appropriation, et les résidants traditionnels crai- définit l’espace public comme communiquent leur appropriation gnent que ces transformations espace de débat parmi les mem- de l’espace ainsi que leur identité physiques provoquent des pres- bres d’une communauté ou d’une (Prochanski, 1978 ; Zukin, 1995). † sions immobilières importantes entraînant leur départ ou celui de société. La deuxième catégorie, Les espaces publics représen- voisins, d’amis ou de membres de liée à nos préoccupations, définit tent également des opportunités la famille. En quittant le quartier, l’espace public comme un espace de mise en scène de la ville auprès ils peuvent rompre le fragile équi- physique, ouvert au public (Bas- d’investisseurs, de touristes, de libre de support mutuel qui s’y est sand et coll., 2001). Le degré d’ou- travailleurs ou de résidants (Chau- construit au fil des ans (Newman verture et d’accessibilité au public mard, 2001 ; voir aussi Bassand et † et Wyly, 2006 ; voir aussi Lees, † tout comme la question de pro- coll., 2001). On assiste parfois à de 2008). Dans ces conditions, il est priété, sa « publicitude », peut † † véritables opérations de « net- † tentant de considérer que ces varier. L’intérêt ici se situe au toyage » des populations margi- † transformations dépossèdent les niveau des interactions sociales et nales considérées indésirables par résidants traditionnels du quartier des formes de contrôle qui sont les pouvoirs publics, par les inves-
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 147 tisseurs ainsi que par certains usa- les quartiers en revitalisation. Les illustré dans les travaux de gers. Bien documentés dans le cas acteurs privés et publics associent Schaller et Modan (2005). Ils peu- de la ville de Québec et de la ville ces pratiques à des transgressions vent même redéfinir symbolique- de Montréal par Morin et coll. de normes plutôt qu’à des pra- ment les limites territoriales d’un (2008), ces efforts plus ou moins tiques marginales. De son côté, quartier afin d’en exclure les sec- avoués de répondre à certaines l’étude de Schaller et Modan teurs indésirables (voir entre « sensibilités », vont aussi parfois † † (2005) montre bien comment les autres Simon 1997, cité par Rose, bien au-delà de la simple expul- usages et les formes d’appropria- 2004). sion d’itinérants ou de jeunes de la tion des espaces publics sont rue. On adopte des designs parti- influencés par les profils socioéco- Le cas de l’arrondissement culiers ou des programmes d’acti- nomiques et ethniques de leurs du sud-ouest à montréal vités attirant les uns, et repoussant usagers. Dans ce cas, c’est plutôt ce qui est considéré comme dési- Le quartier Pointe-Saint-Charles 147 les autres, ce qui conduit à une rable, comme adéquat, qui crée est localisé à proximité du centre certaine homogénéisation des des tensions entre les groupes. Les des affaires, dans l’arrondissement espaces publics et de leurs usagers gentrifieurs considèrent la rue du Sud-Ouest. Ce secteur est (Lofland, 1998 ; Vlez, 2004). † comme un espace de transit ou de enclavé par des autoroutes et des Les espaces publics consommation tandis que les voies ferrées, et par le canal de et l’environnement du chez-soi immigrants et les classes moins Lachine, berceau de l’industrialisa- fortunées l’associent à un lieu de tion canadienne. De nombreux Les espaces publics ne sont pas socialisation. quartiers ouvriers se sont formés à appropriés de la même façon par proximité des usines localisées sur les individus et les groupes aux Dans ce quartier en gentrifica- les berges du canal, dont le quartier positions sociales différentes (Bas- tion, les auteurs n’abordent pas de Pointe-Saint-Charles. Le canal étant sand et coll., 2001). Il en est de façon explicite le type de réac- fermé à la navigation depuis 1970, même dans les quartiers résiden- tions de défense territoriale des Parc Canada reprendra le site en tiels où les résidants, à travers différents groupes, réactions qui 1978 pour le transformer en parc leurs pratiques quotidiennes, leurs pourraient varier entre la lutte linéaire. usages et leurs représentations, pour conserver ses acquis et à la s’approprieront les espaces publics. redéfinition territoriale (Taylor et La relocalisation des industries Si leur sentiment de familiarité se Brower, 1985). Cette lutte peut à partir du milieu des années 1940 transforme en sentiment d’atta- prendre la forme d’un mouve- pour des raisons stratégiques ou chement, ils pourront considérer ment d’opposition à l’arrivée techniques a eu un impact négatif ces espaces comme leur apparte- d’une nouvelle population, comme sur la vitalité économique des nant, comme une extension de on le voit dans les mouvements quartiers avoisinants. Les données leur logement, comme leur chez- anti-gentrification. Mais les rési- compilées par Deverteuil (2004 : 78 † dants peuvent aussi tenter de – notre traduction) sont éloquentes : soi (voir Rapoport, 1985). † défendre leur territoire en l’inves- « entre 1959 et 1970, le Sud-Ouest a † Dans leur chez-soi, les individus tissant, en s’appropriant les espa- perdu 38 % de ses emplois manu- † et les groupes tenteront d’exercer ces publics laissant ainsi peu de facturiers ». Cependant, les orga- † une forme de contrôle, anticipe- place à « l’autre ». Les résidants † † nismes communautaires ont été et ront certains types d’usages et de peuvent également abandonner la sont toujours très actifs dans cet comportements, et accepteront lutte en se repliant dans la sphère arrondissement qui concentre la plus ou moins les « dérogations » à † † privée, c’est-à-dire le logement. plus grande densité de logement ce qui est anticipé. Morin et coll. Des réactions face aux tensions social et communautaire au Canada (2008) ont montré cette tension sont aussi à prévoir chez les nou- (près de 30 %). La conversion des † dans l’acceptabilité des formes veaux résidants qui peuvent inves- abords du canal en parc linéaire et d’appropriation et de socialisation tir l’espace public, et faire pression sa réouverture pour la navigation dans les espaces publics par les pour en exclure usagers et usages de plaisance en 2002 ont rendu le populations marginalisées dans considérés inadéquats, ce qui est secteur attrayant pour les ménages
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 148 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 semblent s’accélérer. Après 30 ans sélectionnée pour cette recherche de déclin démographique et éco- (figure 1). L’intérêt de cet espace Pour qui et à qui ce parc ? Gentrification et appropriation de l’espace public dans nomique, l’arrondissement est particulier plutôt qu’un autre du l’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal maintenant en phase de crois- quartier s’explique ainsi : 1) le † (Canada) sance démographique (Ville de canal étant à l’origine de la fonda- Montréal, 2007). tion du quartier, il a, à notre avis, une charge identitaire forte chez Témoin des transformations les résidants traditionnels ; 2) l’in- † physiques et sociales en cours, les vestissement public récent et résidants traditionnels du secteur important a entraîné une accélé- craignent d’être déplacés de leur ration des investissements privés quartier traditionnellement ouvrier dans le secteur et l’arrivée de 148 par un processus de gentrifica- nouveaux résidants ; 3) jusqu’à † tion5. Mais la gentrification de récemment, Pointe-Saint-Charles Pointe-Saint-Charles semble, encore semblait épargnée par les proces- plus fortunés. Mais la régénéres- aujourd’hui, moins avancée que sus de gentrification. cence sociorésidentielle de cer- dans les autres quartiers, ce qui en tains secteurs du Sud-Ouest avait fait un cas intéressant d’étude des La portion du parc étudié com- commencé avant la récente reva- transformations du quartier et des prend des espaces programmés lorisation du canal (Deverteuil, modes d’appropriation des espaces (une place publique avec un 2004). C’est le cas du quartier de la publics. La revitalisation du parc du kiosque d’information, des espaces Petite-Bourgogne qui a été témoin Canal-de-Lachine et la conversion pour expositions temporaires, etc.) d’opérations de rénovation urbaine de la friche industrielle en secteur du côté de Saint-Henri et de la durant les années 1960 et 1970. résidentiel luxueux qui a suivi Petite-Bourgone, espace lié par un D’un quartier traditionnellement influence-t-elle la (re)définition du pont à des espaces ouverts non ouvrier, la Petite-Bourgogne a vu territoire du chez-soi pour les rési- programmés (espaces verts) tra- son tissu résidentiel se polariser par dants traditionnels de Pointe-Saint- versé par une piste cyclable du la construction de logements Charles ? L’arrivée d’une nouvelle † côté de Pointe-Saint-Charles. sociaux et de logements en copro- population au mode de vie diffé- Au total, pas moins de 55 heures priété pour classes moyennes et rent crée-t-elle des tensions dans d’observation participative (inco- moyennes supérieures. Le déve- l’espace public et un sentiment gnito, mais ouverte), à différents loppement immobilier s’est pour- d’exclusion chez les résidants tradi- moments de la journée et de la suivi durant les années 1980 à tionnels ? Afin de répondre à ces † semaine, ont été faites durant l’été proximité du marché public questions, un ensemble d’outils 2008, en utilisant des cartes index Atwater, dans le quartier Saint- méthodologiques complémentaires (et une typologie prédéterminée), Henri. De l’autre côté du canal, ont été utilisés dans cette recherche des plans, appareils photos, dicta- Pointe-Saint-Charles n’a pas connu exploratoire qui aborde deux phones, etc. Pour répertorier les les opérations de rénovation thèmes : 1) les usagers et les usages ; † † activités et la façon dont les usagers urbaine de la Petite-Bourgogne et 2) la satisfaction résidentielle et le se partageaient l’espace, les obser- peu de projets d’insertion impor- territoire du chez-soi. vateurs ont été postés à différents tants. C’est à la fin des années endroits du site afin de le couvrir en 1980 que l’on a assisté aux pre- Approche méthodologique entier. À l’été 2009, de nouvelles miers projets de conversion de séances d’observation ont permis bâtiments industriels en loge- Le parc du Canal-de-Lachine, de valider les résultats obtenus ments luxueux et à la construction d’une longueur de 14,5 km, l’année précédente. de nouveaux bâtiments sur des s’étend du vieux port de Montréal terrains vacants au cours de la jusqu’au lac Saint-Louis. Seule la À ces périodes d’observation décennie suivante (Poitras, 2009). partie localisée aux limites de s’est ajoutée la passation d’un Ce n’est que récemment que les Pointe-Saint-Charles, secteur en court questionnaire auprès de transformations du cadre bâti développement intensif, a été 20 % des usagers en déplacement †
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 149 Figure 1. Site à l’étude 149 à pied dans le secteur d’étude6. Ce précisions à cette recherche à la satisfaction résidentielle et à questionnaire visait principale- exploratoire. son environnement physique et ment à connaître la provenance social et aux pratiques quoti- L’enquête par entretien, qui est diennes sur les espaces publics géographique des usagers (ce qui toujours en cours, s’adresse aux pouvait difficilement être fait à seront présentées. résidants traditionnels et gentri- partir des observations), leur per- fieurs de Pointe-Saint-Charles7 Usagers et usages du parc ception concernant la qualité du provenant de différents types de du Canal-de-Lachine site, le partage de l’espace avec les ménages. Les entretiens durent de autres usagers et l’intégration des 60 à 90 minutes et sont enregis- Tous les résidants interviewés nouveaux développements rési- trés. Les informateurs ont été ont mentionné utiliser le parc du dentiels aux abords du canal. Près sélectionnés à partir de la Canal-de-Lachine. Les résultats d’une cinquantaine de passants méthode de proche en proche et du questionnaire indiquent par ont répondu à l’appel, sur une les contacts de départ sont des ailleurs que les résidants forment connaissances personnelles ou une partie importante des usagers période de douze heures d’en- sont faits à l’aide de groupes com- (35 sur les 49, dont 21 de Pointe- quête sur le terrain, ce qui repré- munautaires. L’enquête est tou- Saint-Charles). Ils ont utilisé le sente un taux de réponse de 60 %. † jours en cours, ce qui ne permet parc comme lieu de transit (57 % † Malgré le fait que le nombre de pas de présenter une analyse com- des répondants, réponses mul- questionnaires reste peu élevé, les plète et approfondie des résultats. tiples) ; pour y pratiquer une acti- † résultats obtenus apportent un Cependant, les grandes tendances vité sportive (55 %) ou encore s’y † éclairage intéressant et quelques chez les onze répondants touchant promener ou relaxer (67 %). À †
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 150 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 gers et les usages de l’espace, (cités par Slater, 2005), ce que dynamique différente du côté laisse aussi entrevoir les entretiens. Pour qui et à qui ce parc ? Gentrification et appropriation de l’espace public dans nord et du côté sud du canal. Sans l’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal détailler les dynamiques quoti- Le milieu de vie (Canada) diennes (voir à ce sujet Bélanger, 2008), mentionnons que ces diffé- Niveau de satisfaction chez les rences nord-sud sont attribuées, à résidants ce stade de l’étude, aux diffé- Parmi les onze résidants inter- rences d’aménagement ainsi qu’à viewés, six sont des résidants tra- la présence du marché Atwater et ditionnels, dont certains semblent à la plus forte présence de lieux en ascension sociale, si on en juge d’emploi du côté nord. De ce côté, par leur niveau de scolarité. Le 150 les usagers plus âgés ou apparem- profil des gentrifieurs est varié : du † ment plus pauvres semblent utili- jeune travailleur dans le secteur l’exception de quatre usagers, tous ser les espaces plus périphériques, du multimédia, en passant par considèrent que le partage de l’es- c’est-à-dire les tables et bancs à l’artiste établi, la bénévole (une pace avec les autres usagers est proximité du stationnement du gentrifieuse marginale au sens de convivial, malgré le manque de marché. Ils tendront à quitter les Rose, 1984) impliquée dans les civisme chez les cyclistes (29 % † lieux durant les pauses-midi pour groupes communautaires, pour des répondants). laisser la place à des usagers d’ap- finir avec la jeune retraitée vivant parence plus fortunée, dont cer- dans un logement luxueux face au Peu d’usagers observés sem- tains pourraient être des employés blent faire partie des classes plus canal. des environs. Ils reviendront sur pauvres. En l’absence de données les lieux vers la fin de la journée. Les discussions ont révélé que socioéconomiques, nous avons dû dans l’ensemble, les résidants sont Du côté sud, un groupe d’habi- nous rabattre sur un indicateur conscients des aspects positifs et tués, qui semblent provenir de très imparfait : l’apparence phy- † des aspects négatifs de leur milieu Pointe-Saint-Charles (information sique et vestimentaire des usagers. de vie, mais sont satisfaits. Ils basée sur le point d’entrée de ces Ainsi, le port de vêtements peu apprécient particulièrement le fait usagers sur le site), s’installent seyants et défraîchis était signe d’être à proximité du centre-ville, tous les après-midi à proximité du que l’usager pouvait faire partie du marché Atwater et du parc du kiosque de location de kayaks. Ils d’une classe socioéconomique Canal-de-Lachine, qualité souli- moins fortunée tandis qu’à l’op- ont choisi un endroit légèrement en retrait, mais au cœur de l’action gnée particulièrement chez les posé, les vêtements griffés et l’uti- gentrifieurs, qui l’ont mentionné lisation d’équipements de sport pour discuter entre eux et boire de la bière à partir du moment de treize fois durant les entretiens haut de gamme étaient signe que contre seulement quatre fois chez l’usager pouvait faire partie d’une leur arrivée (en après-midi) jus- qu’en soirée. Contrairement à la les résidants traditionnels. « Pis † classe socioéconomique plus for- dynamique du côté nord, ces der- l’emplacement, pour moi était de tunée. Cet indicateur très impar- niers ne laisseront pas la place à choix. […] Je suis un peu en fait a été utilisé avec beaucoup de d’autres usagers. retrait, mais en même temps je ne prudence pour identifier de suis pas loin de rien » (Marie, gen- † grandes tendances parmi les usa- Les observations n’ont pas trifieuse). Le prix du logement gers sans chercher à identifier montré de tensions entre les (achat ou location) a aussi été un avec précision le groupe auquel groupes. L’interaction est mini- argument pour la moitié des faisait partie chacun d’eux. male, ce qui est moins propice à répondants dans le choix du quar- Partage convivial ou conflit l’émergence de conflits. On semble tier. Tous les interviewés s’enten- d’appropriation ? La réalité semble † se trouver dans une structure dent pour dire qu’ils n’ont pas de être à mi-chemin. Il y a une frac- sociale tectonique pour reprendre problèmes avec leurs voisins mal- ture claire entre les types d’usa- l’expression de Robson et Butler gré quelques petits désaccords
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 151 qu’ils ont pu surmonter. Ils vivent certaine réticence […] nous on est canal qui agirait comme une bar- dans un quartier où ils se sentent de notre bord, que eux restent du rière. « Une sorte de barrière psy- † en sécurité malgré quelques pro- leur, qu’ils viennent pas nous enva- chologique parce qu’en fait, on blèmes de vandalisme et le man- hir (Maude, résidante tradition- † peut y aller. J’y vais et je connais nelle). que d’entretien général dans le plein de gens qui le font. Mais une quartier. Ils sont dans l’ensemble grande partie des gens trouvent Le parc du Canal-de-Lachine assez satisfaits des parcs et des que c’est pas à eux » (Pierre, rési- et les nouveaux développements † espaces verts, et, malgré certaines dant traditionnel). « C’est comme † critiques, de la desserte en trans- résidentiels une grosse façade, il y a le canal port public. Les informateurs gentrifieurs pis en arrière-plan… pis en arrière apprécient le parc du Canal-de- du canal on voit juste des gros Tous les résidants interviewés Lachine et considèrent qu’il fait buildings pis là, tout à coup, ça s’entendent également pour dire 151 partie des avantages de leur redevient vieux » (Sylvie, rési- † que la mixité ethnique est une milieu de vie (5 répondants sur 6). dante traditionnelle). qualité de leur quartier, mais s’en- tendent moins sur la mixité Lors des entretiens, nous avons Les résidants traditionnels sont socioéconomique, les mentions constaté que les résidants tradi- assez critiques lorsqu’ils s’expri- étant à la fois positives et néga- tionnels ne mentionnaient pas le ment sur les transformations de tives tant chez les gentrifieurs que parc du Canal-de-Lachine sans y leur quartier. Ils critiquent surtout chez les résidants traditionnels. être expressément invités, sauf le manque d’intégration architec- Les premiers considèrent que l’ar- peut-être pour indiquer que le turale, les pressions du marché rivée d’une population plus fortu- canal représentait une limite au immobilier que les projets causent née permettra d’atteindre un quartier. À notre avis, cette omis- dans le quartier et le fait que ces certain équilibre et d’améliorer la sion pourrait être interprétée projets ne répondent pas aux desserte en services. En cela, ils comme si le parc ne représentait besoins de la population locale en reproduisent le discours domi- pas un élément important de leur ce qui concerne le logement. nant. Les résidants traditionnels milieu de vie. Mais une fois le sujet « L’immobilier devient inacces- † de leur côté, ne sont pas opposés à du parc clairement abordé, les sible et ça engendre un phéno- l’arrivée de ménages plus fortu- résidants traditionnels du secteur mène de transformation, de nés. « J’ai déjà entendu “moi je ont mentionné qu’ils appréciaient † changement de la population dans veux pas de riches dans mon quar- son aménagement et plusieurs ont les quartiers avoisinants. C’est ce tier”, et je trouve ça dangereux par ailleurs manifesté qu’ils en qui est en train de se passer ici. parce qu’on crée des ghettos de étaient des utilisateurs bien avant (Stéphane, résidant traditionnel et pauvreté » (Pierre, résidant tradi- le dernier projet de revitalisation. † activiste). « Je discutais avec des † tionnel). Cependant, ils reprochent Certains résidants traditionnels gens du quartier et je leur disais, à ces gentrifieurs leur manque avouent toutefois ne pas s’y sentir oui, ça a des inconvénients, mais il d’implication dans la vie sociale et particulièrement à leur place sans y a des avantages… Mais pour eux culturelle du quartier, ce à quoi les toutefois s’en sentir exclus. « Dans autres, c’est que ça les poussait † gentrifieurs répondent en repro- les faits, il y a peu de gens du hors de leur territoire parce que chant aux résidants traditionnels quartier qui l’utilisent [le parc] ça devenait inabordable. On ne leur manque d’ouverture aux car ils ne s’y sentent pas à l’aise » pense pas à ça, mais c’est vrai † changements. (Simon, résidant traditionnel). pareil. » (Marie, gentrifieuse). † Sauf un répondant, tous ont men- Les gens qui y habitent depuis tionné que le parc attirait un type longtemps ont pas envie que ça Structure tectonique ou tensions spécifique d’usagers, tout en res- sociales ? change et ont pas nécessairement tant très flous, pour la majorité envie de changer d’endroit non plus. C’est sur que quand tu vois un d’entre eux, sur ce que cela signi- Mais même si les résidants tra- gros projet qui va amener une fiait. Ce sentiment d’isolement ditionnels du secteur ont mani- population riche, qui va changer serait alimenté par le type de festé une certaine ouverture à la complètement le quartier, il y a une développements aux abords du mixité sociale, ils ont critiqué à
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 152 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 conflits donc, mais des tensions lation locale, comme s’il ne faisait basées sur des modes de vie et des aucun effort pour faire partie de la Pour qui et à qui ce parc ? Gentrification et appropriation de l’espace public dans intérêts divergents. communauté. Il semble invisible, l’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal sauf dans le parc. Il n’y aurait pas (Canada) En concluant sur ces entretiens, de conflits apparents, ce qui nous on peut noter que les nouveaux ramène à l’image des plaques tec- résidants semblent s’être appro- toniques de Robson et Butler prié le parc qui constitue une (2001, cités par Slater, 2005). Mais caractéristique positive de leur cette tranquillité apparente cache milieu de vie. Les résidants tradi- peut-être des conflits sous-jacents tionnels du secteur, de leur côté, qui ne cherchent qu’à s’exprimer. ont été témoins de transforma- 152 tions physiques et sociales de leur Les espaces publics, en tant environnement résidentiel. Même qu’extension du logement, font s’ils fréquentent toujours le parc, partie du territoire du chez-soi quelques reprises le manque d’in- leur sentiment d’appartenance (Rapoport, 1985). L’arrivée d’une tégration sociale de la nouvelle semble se diluer à l’ombre des nouvelle population au mode de population. Les nouveaux rési- nouveaux développements le long vie différent, qui s’approprie les dants seraient invisibles dans l’es- du canal. espaces publics, a un impact sur le pace public et peu intéressés à la quotidien des résidants tradition- vie culturelle et sociale du quar- Conclusion nels du secteur. Ces résidants peu- tier. Or, les résidants traditionnels vent ressentir une insatisfaction considèrent qu’une caractéris- Depuis la revitalisation du parc en ce qui a trait aux modes de tique importante du quartier est du Canal-de-Lachine, de nom- cohabitation et aux nouvelles son esprit communautaire qui breux investisseurs privés ont règles dans les espaces publics. s’est maintenu jusqu’à aujour- investi dans la conversion de la C’est avec beaucoup de prudence d’hui, même si certains pensent friche industrielle en secteur rési- que nous avançons que les don- que cet esprit s’est quelque peu dentiel luxueux, attirant une nou- nées d’enquête indiquent, à ce dégradé ces dernières années. velle population au mode de vie jour, qu’il semble y avoir (re)défi- Certains semblent craindre que différent. Les résidants tradition- nition du territoire du chez-soi cet équilibre de support mutuel nels du secteur sont témoins de chez les résidants traditionnels qui dont font mention Newman et transformations physiques et excluent le parc du Canal-de- Wyly (2006) ne se fragilise. « Les † sociales de leur milieu de vie. Les Lachine. Mais de nombreux entre- gens qui habitent sur le bord du résultats obtenus jusqu’à aujour- tiens sont encore à prévoir avant canal de Lachine, ils nous tour- d’hui montrent que ces transfor- de pouvoir tirer de véritables nent le dos, physiquement déjà pis mations ont un impact sur le conclusions sur cette question. le reste aussi. Ils viennent des fois, territoire quotidien des résidants c’est l’fun, mais c’est pas ça, c’est enquêtés. Le parc du Canal-de- Hélène BÉLANGER pas leur vie. » (Alice, gentrifieuse † Lachine est considéré comme un Département d’études urbaines et bénévole). « Peut-être, dans le † avantage du quartier chez les gen- et touristiques fond, que je les rencontre à tous trifieurs, mais les résidants tradi- École des sciences de la gestion les jours pis que je les reconnais tionnels du secteur ne s’y sentent Université du Québec à Montréal pas. Mais en même temps, j’ai pas à leur place même s’ils le fré- quand même l’impression qu’ils quentent assez régulièrement. Ils viennent pas se mélanger aux sentent la barrière psychologique autres, aux gens de la rue. » que les nouveaux développements Notes † (Simon, résidant traditionnel). « Il † immobiliers ont créée. Cette per- n’y a pas de conflits parce qu’on ception semble renforcée par le 1 Ce projet a été rendu possible grâce à ne se rencontre jamais » (Alice, † fait que « l’autre », le gentrifieur, † † l’appui financier du Programme gentrifieuse et bénévole). Pas de ne semble pas se mêler à la popu- d’aide financière à la recherche et à
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