" Musique en dînant " Franz Xaver Kroetz - Érudit
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Document generated on 07/11/2022 7:42 a.m. Jeu Revue de théâtre « Musique en dînant » Franz Xaver Kroetz Diane Cotnoir Number 23 (2), 1982 URI: https://id.erudit.org/iderudit/29398ac See table of contents Publisher(s) Cahiers de théâtre Jeu inc. ISSN 0382-0335 (print) 1923-2578 (digital) Explore this journal Cite this review Cotnoir, D. (1982). Review of [« Musique en dînant » Franz Xaver Kroetz]. Jeu, (23), 142–145. Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 1982 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Angèle Coutu, dans la version québécoise de Concert à la carte de Kroetz: Musique en dînant, au Théâtre de la Grande Réplique. Photo: André Reeves. « musique en dînant » franz xaver kroetz Pièce de Franz Xaver Kroetz. Mise en scène de Jean- remplit la casserole d'eau et la meta bouil- Guy Sabourin. Avec Angèle Coutu. Décor de Luce lir sur la cuisinière. Elle va vers la desserte, Reeves. Accessoires de Thérèse Molini. Conseillers y prend une théière... (...). dramatiques: Madeleine Greffard, Dominique Beauregard et Michel Laporte. Assistance de Josée Dufour. Une production du Théâtre de la Grande Réplique, présentée au 200, rue Sherbrooke ouest, M u s i q u e en d î n a n t ressemble à cette du 28 janvier au 6 mars 1982. description de gestes exécutés par une personne dans son a p p a r t e m e n t . Mais (...) Elle va dans la pièce qui tient lieu de ce paragraphe ne concerne n u l l e m e n t le bureau. Sur la table de travail, beaucoup personnage de la pièce, m a d e m o i s e l l e de désordre; le désordre de ceux qui ne prennent pas le temps de ranger les objets R a s c h / m a d e m o i s e l l e Gauthier. Le jeu à leur place. Elle prend sur la table une était facile et l'envie ne me m a n q u a i t pas tablette de papier. D'un sac de cuir, posé de tenter d'inscrire mes allées et venues, au pied de la table, elle retire une plume. d ' o b s e r v e r les a c t i o n s q u e je faisais, Elle retourne à la cuisine. Elle pose sur la table à dîner, la tablette et la plume. Sur la seule chez m o i . L'épreuve que je faisais cuisinière, elle prend une petite casserole passer à la pièce était fort s i m p l e : p o u - qui était déjà posée là. Elle va vers l'évier, v i o n s - n o u s o b t e n i r le m ê m e résultat 142
avec une personne qui ne serait pas de la dont le trait principal serait d'être plus classe sociale du personnage, c'est-à- soignée que la moyenne, dans son ha- dire la classe ouvrière? L'expérience ne billement, dans l'entretien et la décora- fut pas longue et l'hypothèse de base de tion de son appartement. la pièce n'a pu résister longtemps à cette confrontation. Démontrer et/ou expli- Mademoiselle Rasch revient de son tra- quer l'impuissance et l'aliénation d'un vail (on l'imagine) et accomplit diffé- personnage par la position sociale qu'il rentes actions: préparer le souper, laver occupe n'est pas suffisant. L'absurdité la vaisselle, écouter la radio, changer de delà vie est la même, pour tous. On peut vêtements, aller aux toilettes, travailler ici me reprocher d'opposer à une vision sur un tapis à points noués, se démaquil- politique des choses, une vision philoso- ler, se coucher et... se suicider. phique de la vie, mais cette dernière pos- sède au moins la qualité de concerner Ce que l'auteur se proposait était de « re- chacun d'entre nous. présenter objectivement un fait(...). Dans beaucoup de cas, le suicide s'exé- Le travail accompli autour de la pièce cute avec un incroyable souci d'ordre. Le Musique en dînant, bien qu'il semble suicide)...) s'accomplit comme la vie qui rempli de bonne volonté, est somme l'a causé, avec le même amour de l'or- toute assez superficiel. Il n'est guère fa- dre; aussi propre et probe, aussi morne cile de lire à travers les différents aspects et muet qu'elle. »' Le suicide n'est pas ici de cette production théâtrale une ligne le privilège (sic) des gens tourmentés, directrice. Les intentions proposées par désordonnés, aux passions excessives, le texte de Kroetz et celles de la mise en mais devient le lot des gens résignés, scène et la mise en jeu réalisées par le exploités, esclaves de la production, et Théâtre de la Grande Réplique ont sans dont la vie s'écoule pareille à celle des doute souffert d'un manque d'analyse bêtes de somme. Kroetz croit que « si la rigoureuse. force explosive de cette exploitation et de cette oppression massives n'était pas D'abord le texte de F.X. Kroetz, traduit malheureusement dirigée contre les op- par Ruth Henry et Robert Valancay aux primés et les exploités eux-mêmes, Éditions de l'Arche, ne s'intitule pas Mu- nous aurions la situation sique en dînant mais bien Concert à la révolutionnaire. »2 Cependant, il faut carte (WunschKonzert). J'apporte cette avouer que la lecture du texte n'est pas précision pour ceux qui seraient inté- tout à fait convaincante et que théâtrale- ressés à lire le texte. Le personnage dans ment certaines théories ne fonctionnent le texte de Kroetz porte le nom de made- pas. Par exemple, Kroetz utilise le mu- moiselle Rasch. Dans la version de la tisme pour ses personnages parce qu'ils Grande Réplique, on lui a donné le nom n'ont plus de bonne volonté. Leurs pro- de mademoiselle Gauthier. Encore faut- blèmes sont si anciens et ont pris telle- il justifier ce souci du détail pour un texte ment d'ampleur qu'ils ne sont plus en qui ne contient aucune réplique théâ- mesure de les exprimer par des mots, ils trale. En effet, Musique en dînant se lit sont introvertis. Pour Musique en dî- ainsi: une suite de descriptions d'allées nant, cet aspect ne fonctionne pas théâ- et venues d'un personnage féminin tralement. Un personnage seul, chez lui, dans son appartement, une écriture de ne parle pas en principe. À l'exception mise en place, voire un texte de didasca- lies. Le personnage, mademoiselle Rasch est âgée de quarante/quarante- 1. Concert à la carte de F.X. Kroetz. Paris, l'Arche, « Scène ouverte, « 1976, p. 33. cinq ans, taille moyenne, pas très jolie et 2. Idem. 143
des soliloques que l'on se tient en fai- De plus, faut-il rappeler que la pièce doit sant la vaisselle ou les exclamations lan- son titre au tableau suivant: cées tout haut à une idée qui vient. Mais « (...)en Bavière, il y a le mercredi soir, à un personnage seul est aux prises avec 19h15, l'émission: « Vous désirez? », avec un discours intérieur qu'il se tient. Le Fred Rausch qui jouit surtout d'une faveur particulière quand elle diffuse spéciale- spectateur ne peut ressentir cette i m - ment de la musique légère et des refrains puissance à parler puisque la situation à la mode; alternativement: une fois des ne prête pas à une impossibilité de s'ex- refrains à la mode et de la musique légère, primer. une fois de l'opérette, une fois de l'opéra. Aussi est-il légitime qu'un programme de télévision inintéressant intéresse moins Le Théâtre de la Grande Réplique, quant mademoiselle Rasch que l'émission de ra- à lui, nous a présenté une transposition dio en vogue. Dans un autre pays que la québécoise du t e x t e ; décor, meubles et Bavière, il faudra trouver une émission accessoires étaient bien de chez nous. adéquate. »3 On aurait pu choisir de situer le person- nage dans un a p p a r t e m e n t d'une petite Dans la représentation de la Grande Ré- ville d ' A l l e m a g n e . (Le travail de recons- plique, le p r o b l è m e a été résolu facile- titution aurait pu être intéressant?) Ce ment: enregistrement d'une émission q u ' i l faut reprocher à ce choix est surtout quelconque sur le réseau A M . M a d e m o i - sa d é t e r m i n a t i o n à verser dans le misé- selle Gauthier en baisse d'ailleurs rapi- rabilisme: ce qui d o n n e au spectateur le dement le v o l u m e . Ce poste de radio qui sentiment d'espionner un des person- diffuse une é m i s s i o n , qui devait « ac- nages de T r e m b l a y , dans son chez-soi. c o m p a g n e r », d i s t r a i r e m a d e m o i s e l l e Si nous retrouvons la c h a m b r e installée Rasch durant sa soirée, a surtout servi à avec une particulière propreté c o m m e le m a d e m o i s e l l e Gauthier d ' o b j e t à net- s o u l i g n e Kroetz, par contre l'honnête toyer. goût petit-bourgeois q u i aurait décoré avec a m o u r , a g r é m e n t et chaleur, le pe- Le tapis aux points noués que m a d e m o i - tit a p p a r t e m e n t en est absent. Le décor selle Rasch confectionne prête dans le serait p l u t ô t révélateur d ' u n m a u v a i s texte de Kroetz à un exercice de jeu pour goût certain, qui n'arrive pas à d i s s i m u - l'actrice; elle doit être d ' a b o r d absorbée ler la pauvreté. par son travail, elle le fait avec applica- tion et a m o u r , puis elle se sert une tasse La mise en scène mettait l'accent très de thé, f u m e une cigarette, semble fati- f o r t e m e n t sur le côté méticuleux et or- guée, l'intérêt pour son travail faiblit, donné du personnage. Alors que chez etc. Ce tableau a été joué r a p i d e m e n t , Kroetz, m a d e m o i s e l l e Rasch n e t t o i e avec des gestes brusques p o u r la m a n i - seulement deux taches: une sur le re- pulation du tapis, d o n n a n t l'impression bord de la fenêtre et l'autre, sur son tail- de q u e l q u ' u n qui a hâte de t e r m i n e r son leur, m a d e m o i s e l l e G a u t h i e r n'arrête travail. pas de frotter au point qu'elle en devient ridicule. Cette m a n i e p r o v o q u e finale- L'accent mis sur les objets électriques ment le rire chez le spectateur. Petits dont se sert le personnage a d o n n é droit rires qui s e m b l e n t avoir entraîné l'ac- à une interprétation de la part de D o m i - trice, qui (est-ce un effet v o u l u de la mise nique Beauregard, conseiller(ère?) pour en scène ou du cabotinage?) se met à en le Théâtre de la Grande Réplique. « Per- rajouter. Mastication exagérée des ali- sonnage qui s'abstrait t o u t entier dans ments, grimaces d'une personne qui « force sur le bol de toilette », etc. 3. Ibid., p. 37. 144
Mademoiselle Gauthier, accomplissant avec minutie un de ses gestes les plus quotidiens. Photo: André Reeves. son rapport aux objets. »4 II serait plus Deux moments dans la pièce ont été juste de ramener le jeu exécuté avec les tentés pour laisser passer que le person- accessoires électriques à une dimension nage réfléchissait: l'actrice regarde en plus réaliste: le personnage n'occupe l'air, un ange passe. Inquiète, je me de- pas un appartement confortable et fonc- mandais si elle cherchait une tache au tionnel. Elle doit utiliser sans cesse des plafond. Un moment sublime, le der- fils d'allonge pour accomplir ces tra- nier: l'actrice, après la représentation, vaux. Kroetz écrit sur ce sujet que made- avant d'aller saluer, prend le temps de moiselle Rasch est particulièrement vul- refermer le flacon de pilules que son per- nérable à la publicité, donc à la consom- sonnage vient d'avaler. Ah! si toute la mation. Mais peut-on juger comme un pièce avait été montée dans ce style... exemple flagrant de consommation abusive, l'usage d'appareils électriques, Finalement, nous pouvons reprocher à comme la bouilloire ou leferà repasser? l'ensemble de cette production de n'a- Le choix de ces objets n'était pas des voir pas montré d'assez près le person- plus pertinents et efficaces. Pourquoi ne nage, de ne pas avoir été « pornographi- pas avoir employé le moulin à café élec- que », d'avoir tenu à distance le person- trique, le séchoir à cheveux, etc.? nage, afin que tous se disent: « ceci n'est pas moi ». 4. Programme du Théâtre de la Grande Réplique. d i a n e COtnoir 145
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