Note sur l'étude d'impact du mariage pour tous.
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Note sur l’étude d’impact du mariage pour tous. 1- Une question qui concerne l’ensemble de la société Si l’homosexualité est avant tout un aspect de la vie privée des personnes, la revendication au mariage concerne toute la société et il appartient donc à l’ensemble de celle-ci de se saisir de la question et donc… d’être informé et non pas désinformé. Là est bien le premier enjeu d’un débat et c’est pour cela que si les conditions de sa tenue semblent désormais remplies, celui-ci n’est pas réellement encore possible, tant il faut réinformer une population déformée par des années de désinformation, pour ne pas dire de mensonge. Le dossier d’INFOSELEC que nous donnons en annexe, ou les données des AFC ont le mérite de la clarté et de la synthèse quant aux chiffres et aux manipulations dont ils ont pu être l’objet. 2- Une revendication légitime Il faut toutefois reconnaitre que si le mariage pour tous concerne la société toute entière, il est normal et légitime que les personnes homosexuelles interpellent la société sur une situation qu’ils estiment les léser et les exclure. La question n’est pas tant la légitimité de la demande, que le trouble qu’elle traduit et l’adéquation de la réponse. Faisons cependant d’emblée la part des choses entre les idéologues de tous ordres que l’on sait plus que minoritaires et la demande sincère qu’exprime la revendication du mariage pour tous. Il est bien difficile de raisonner l’idéologie surtout lorsque celle- ci suit des buts totalement éloignés de ceux avoués. Pour qui le mariage gay n’est qu’un moyen de détruire la société traditionnelle, aucun argument de raison ne tiendra. Et de fait, les revendications homosexuelles sont largement récupérées par ces idéologues peu scrupuleux qui instrumentalisent la souffrance d’autrui. 3- Un désir de sécurité Quelle est donc cette revendication, apparemment légitime, qui interpelle la société. Ce n’est pas le droit de s’aimer librement, ni de pratiquer librement sa sexualité et moins encore de vivre ensemble. Cela est clairement acquis et l’homophobie est en très large perte de vitesse. Ce n’est pas non plus, en premier lieu de pouvoir avoir des enfants. Techniquement les couples homosexuels ont trouvé de nombreux moyens de contourner l’obstacle de la nature. Ce n’est pas davantage la reconnaissance sociale d’un amour. Le PACS le permet et de toute façon, de nos jours, la simple vie commune affichée est une reconnaissance, comme n’importe quel couple d’étudiants non mariés est reconnu par qui voit deux jeunes tourtereaux sur les bancs publics. Ce n’est pas non plus se prémunir de l’homophobie, dans la mesure où la loi intervient déjà contre toute agression ou discrimination physique comme verbale. Au demeurant, l’autorisation du mariage ne fera pas évoluer la mentalité de l’homophobe moyen, au contraire sans doute. La revendication de fond est la sécurité. Qu’advient-il du conjoint survivant après le décès d’un des deux partenaires ? Qu’advient-il de l’enfant au statut hybride ? Pour qui vit une telle situation, la question est d’une cuisante réalité. Or, si ce sont les règles de la société civile qui régissent ces problèmes concrets, il est normal que les personnes concernées se tournent vers cette société. Vers qui d’autre pourraient-elles se retourner ? 4- Le rôle de la société
Mais à ce stade de la réflexion, plusieurs éléments complexes sont à prendre en compte. Tout d’abord, la société n’a pas à palier les manquements aux droits des personnes privées. Clairement, la société n’a pas à modifier la loi pour sortir de situations inextricables des personnes qui se sont réduites à ces extrémités en se mettant elles-mêmes hors la loi. Qui est allé chercher une AMP (plus connue sous son ancienne appellation PMA) à l’étranger s’est mis de lui-même dans des conditions d’illégalité et doit pouvoir assumer les conséquences humaines et sociales qu’elles comportent. Cela étant dit, devons-nous pour autant, parquer et ignorer ces personnes, leurs souffrances et, dans le cas de notre exemple, la situation d’un enfant qui n’a rien demandé ? Il est évident qu’au nom du respect de la dignité humaine (qui concerne l’adulte comme l’enfant) nous ne pouvons laisser livrées à elles-mêmes des personnes en situation difficile, voire dramatique. Pour autant, il n’est pas pensable de mettre en péril l’équilibre de l’ensemble de la société pour porter une aide qui serait, du fait même du déséquilibre causé à la société, rendue vaine. En deux mots, si l’idée est de faire profiter aux personnes marginalisées des bienfaits de la société, ce n’est pas en la détruisant qu’ils en bénéficieront. Accompagner un phénomène social, ne revient pas à le normaliser. C’est au contraire un aveu d’impuissance qui consiste à supprimer le problème en le considérant comme une norme. Comme si au lieu de signer une grippe on décrétait que c’est un état de santé normal alternatif. 5- Considérer la demande et non la revendication Il convient donc, évidemment, de prendre en compte cette légitime demande d’une population en situation d’impasse sociale et parfois personnelle, sans compromettre l’ensemble de la société. Mais c’est la demande et la réalité qu’elle induit qu’il faut prendre en compte et non la revendication. Pour ce faire trois axes (non exclusifs) me semblent importants. Tout d’abord réaffirmer la norme et surtout l’adéquation de cette norme avec la vérité profonde de l’être humain. Ce qui suppose de la promouvoir, voire de la redécouvrir. Il faut deuxièmement que l’Etat ne laisse pas impunément s’installer des situations d’illégalité, véritables bombes à retardement. Ce fut le cas de l’avortement en son temps, c’est le chemin que prend aussi l’euthanasie. Personne, n’est dispensé d’obéir à la loi et moins encore des poursuites inhérentes à tout contrevenant. Ensuite, au cas par cas (et ils ne sont pas si nombreux qu’on ne puisse le faire) mettre en place une passerelle qui permettra à chacun de sortir de l’impasse. Pour certains il faudra tout simplement sortir de l’illégalité, pour d’autre il faudra peut-être le soutien d’association caritatives. Pourquoi d’associations plutôt que de l’Etat ? Parce qu’une aide de l’Etat pourrait-être assimilée à une caution. Tandis que l’aide privée relève d’avantage de l’initiative fraternelle et charitable. Or, seule la charité permet de dépasser le légalisme de la justice qui ici devrait s’appliquer fermement. 6- Le double objet du mariage La question du mariage à ce niveau pose deux problèmes. Celui du couple et celui de l’enfant. Comme des travaux universitaires récents l’ont montré, en droit français le mariage reçoit un double objet, conjugal et familial. Il s’agit donc d’assurer la sécurité et la stabilité des conjoints et des enfants. La revendication est bien là. On peut proposer une alternative pour le couple qu’il s’agisse de renforcer le PACS, ou comme certains, de proposer une alliance civile distincte du mariage et donc n’ouvrant pas à la filiation. Mais, pour ce qui est de sa sécurité juridique il n’y a pas d’alternative possible pour l’enfant. Que Madame Taubira déplore qu’un certain nombre soit en insécurité juridique, ne doit pas masquer la responsabilité capitale prise par des adultes qui ont placé ces enfants dans une telle situation. Notons au passage qu’un tel constat est excessif, car, outre le peu de cas concernés par la parentalité homosexuelle, il n’y a pas vraiment d’insécurité juridique (sauf de rares situations). 7- L’enfant et la parentalité
On brandit, en effet, nombre d’études, souvent fallacieuses et plus souvent encore jamais lues, s’évertuant à démontrer que l’enfant s’épanouit aussi bien entre deux pères ou deux mères qu’entre un père et une mère, mais on ne présente guère la situation la plus courante d’un enfant obligé de grandir entre deux pères et deux mères. C’est qu’avec le temps et l’usure des amalgames on a réussi à déconnecter la parenté de la parentalité, forgeant, au passage, un mot vide de sens à priori. La parenté comprend d’elle-même l’exercice de ce qu’elle est. Etre géniteur inclut la responsabilité de l’enfant, de son éducation, de son devenir (ce que voudrait recouvrir l’expression parentalité). Refuser la « parentalité » au profit d’un autre, (exception faite peut-être d’impossibilité majeur à tenir son rôle) cela s’est vu dans l’histoire et se voit encore, et s’apparente de près ou de loin à vendre son enfant, même si le prix est nul. C’est, ni plus ni moins qu’une forme de trafic d’enfant. Comment une société qui brandit les droits de l’Homme en permanence, parvient –elle à une telle aberration ?. L’enfant est réduit à un produit qui n’a pas son mot à dire. Ce qui est l’exacte définition qu’Aristote donne de l’esclave. Il appartient donc à la société et à l’Etat de condamner une telle pratique et certainement pas d’en ouvrir et d’en multiplier l’accès. Tout comme il appartient à l’Etat d’encadrer les adoptions afin de donner à l’enfant ce à quoi il a droit pour son épanouissement. Ainsi les Etats qui ont annoncé refuser les autorisations d’adoption à la France si cette loi passait, sont-ils parfaitement dans leur droit et dans leur rôle de protection du plus faible. 8- Ce que dit l’étude d’impact S’il convient d’entendre les difficultés d’une part de la société, c’est bien pour y répondre de façon adaptée. Mettre en péril cette société pour faciliter l’intégration des exclus est un leurre qu’il faut dénoncer. L’étude d’impact proposée par le gouvernement sur le mariage pour tous est donc un contresens absolu, car elle cherche à justifier la nécessité des changements, à partir de chiffres incomplets (par exemple on cite le nombre de mariages gays en Espagne sans donner le nombre de divorces), de données historiques erronées (comme la notion de mariage dans la Rome antique totalement ubuesque). Concrètement cette étude n’apporte rien qu’on ne savait. En soulignant le ras de marée qui secouera la société elle met en relief l’abus de pouvoir d’une majorité qui s’arroge le droit de décider seule d’un si grave bouleversement. L’étude qui consacre la plus grande part de son travail à une justification de la loi (dans des termes biaisés) ouvre en revanche sur un constat réel quant aux nombreux codes ou lois à modifier, mais ne répond pas (les rapporteurs non plus lors de leur audition d’une délégation des AFC ce mardi 20 novembre 2012), à certaines questions, comme le problème de l’Etat civil pour une GPA à l’étranger. 9- L’inconnue de la Gestion pour autrui A ce sujet, la question est la suivante : si la GPA reste interdite en France (Les rapporteurs ont affirmé que telle était la position officielle du parti socialiste), qu’en sera-t-il d’une reconnaissance par la France d’une filiation établie à l’étranger par ce biais ? Jusqu’à présent, la France refuse de retranscrire à l’état-civil une filiation par GPA. L’admettront-ils ? A cette question, les rapporteurs ont tout simplement booté en touche, en indiquant chercher un moyen, sans que cela constitue une porte ouverte à la GPA. 10- Place de l’Etat sur une question privée et de société L’étude d’impact oublie enfin de mettre en question la notion fondamentale qui veut que le mariage est la suite juridique que l’Etat donne à un engagement qu’il juge conforme à ses intérêts vitaux. L'État, au demeurant, ne serait pas légitime à réguler les sentiments humains. Il l'est en revanche à accepter de donner des effets de droit à telle ou telle situation objective. 11- Trois axes majeurs à promouvoir
Cette affaire du mariage pour tous, met, à mon sens deux urgences pour notre société. Mener et promouvoir une véritable réflexion de fond anthropologique d’une part et sur la nature et le rôle du droit. Sans cette double promotion, nous serons sans cesse confrontés à ces dérives qu’il faut donc traiter à la racine. 12- Aspects juridiques L’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 prévoit que l’étude d’impact contient non seulement l’examen des conséquences juridiques, mais aussi économiques, financières, sociales et environnementales qu’un projet de texte comporte. L’étude d’impact pour le projet de loi ouvrant au mariage aux personnes de même sexe s’arrête aux éléments juridiques et néglige les autres questions. Au regard des enjeux de société que le projet de loi soulève, ce choix est étonnant. Il viole en tout cas les dispositions de la loi organique de 2009. Sur le plan de la méthode, plusieurs aspects posent problème. D’une part, il est affirmé que le législateur est guidé dans sa démarche par la nécessité de régler un certain nombre de problèmes pratiques liés à des situations de fait. On préférerait que ce soit par l’intérêt général. Pour justifier le recours à la loi, les rédacteurs de l’étude prennent en outre appui sur des sondages, choisis parmi beaucoup d’autres, et notamment sur une étude commandée par le magazine Têtu, dont on imagine sans peine qu’il cherche à encourager la possibilité du mariage homosexuel. L’indigence des références est patente. La sélection des sondages est douteuse. Quant aux consultations, on note la surreprésentation des associations de lobbying homosexuel, le nombre limité à quatre des personnalités qualifiées entendues, l’absence de commentaires sur les avis défavorables de la CNAVTS et de la CNAF, organismes sociaux dont l’importance dans ce débat semble pourtant manifeste. Bref, si l’on ne peut croire à la paresse des rédacteurs du texte, reste, hélas, la possibilité du parti pris. La possibilité d’un débat de fond est écartée derrière l’écran de fumée d’une concertation de façade. Sur le fond, l’introduction historique élude allègrement la distinction cardinale entre le fait de fonder une famille, socle de la société et lieu de garantie de la filiation, et la reconnaissance d’un lien affectif entre deux personnes, qui ne concerne que les personnes en cause. Le lien affectif est privé. Il peut aujourd’hui ouvrir à certains droits dans le cadre du PACS, droits qui peuvent être étendus, mais sans conséquences sur les questions d’adoption et de filiation. Le sérieux du propos voudrait aussi que l’on évite, dans un texte officiel, de recourir au slogan de l’égalité et de la non-discrimination, d’autant que le même document précise que les juridictions suprêmes nationales et européennes reconnaissent au législateur le droit de traiter de manière différente des situations différentes. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà repoussé l’argument de la discrimination comme devant ouvrir le droit au mariage des personnes du même sexe. Rappelons au passage et pour mémoire que si le mariage unit un homme et une femme, cela vient du fait qu’un homme et une femme sont nécessaires pour la génération naturelle des enfants. Ce fait est occulté dans l’étude d’impact, qui nage dans l’artifice. Il importe, semble-t-il, de rappeler au législateur, personne abstraite, comment on fait les bébés. Enfin, l’étude d’impact ne comporte aucun examen de la compétence du législateur à se saisir d’un pareil sujet. Or l’article 34 de la Constitution prévoit que celui-ci se prononce sur l’état des personnes et sur les régimes matrimoniaux, mais pas sur la définition du mariage. La légitimité même du projet de loi est ici en cause. Il est urgent de s’interroger sur ce point.
13- La question du mariage romain « Ce qui pour le droit est primordial, c’est la division des sexes en tant que telle1 » a- La division des sexes : une norme juridique Pour les Romains, la division des sexes et la reproduction sexuée ne sont pas seulement une évidence, un fait de nature, un présupposé naturel, mais une norme juridique obligatoire qui veut que tous les citoyens romains se divisent et se conjoignent en mares (sing. mas : mâle) et feminae (sing. femina : femelle, femme). La coniuctio ( ou coniugium ou congressio) maris et feminae fonde le lien social, c’est la norme fondatrice qui assure la reproduction de la société, la norme organisatrice de la différence et de la complémentarité du masculin et du féminin. Une situation asymétrique « L’union de l’homme et de la femme n’a pas d’appellation précise » (Aristote, Politique, 1253 b). Ceci n’est pas particulier à la Grèce, c’est un phénomène indo-européen2. Le vocabulaire indo-européen dénote que, dans la conjugalité, la situation de l’homme et de la femme diffère, de même que les termes désignant leur parenté respective : pour l’homme les termes sont verbaux, ils indiquent une action, pour la femme les termes sont nominaux, ils indiquent que l’intéressée subit un changement d’état : l’homme épouse, la femme est épousée. -L’homme épouse quand il s’agit du mari, l’homme donne une jeune fille quand il s’agit du père Vu sous cet angle le mariage est une affaire d’hommes, une transaction entre hommes qui unit deux familles, deux maisons, permet la circulation des femmes et des biens Pour dire que l’homme « prend femme », les langues indo-européennes emploient des verbes qui signifient « conduire » et de façon plus précise « conduire une femme dans sa maison » : ainsi en latin uxorem ducere . - La femme est épousée Il n’y a pas de verbe dénotant pour elle le fait de se marier. En latin le verbe nubere ne s’applique proprement qu’à la prise de voile (le flammeum) qui est un des rites de la cérémonie des noces ; en découle le participe nupta et la locution nuptam dare ; ce sont des formes du verbe nubere qui pose la femme comme objet et non comme sujet, même si à Rome le consensus de la femme est nécessaire. La femme n’épouse pas, elle est épousée ; elle n’accomplit pas un acte, elle change de condition. En latin, comme en indo-iranien par exemple, les termes dénotant l’état de femme mariée sont exclusivement nominaux. Du sens de matrimonium 1 Yan Thomas, « La division des sexes en droit romain », dans Histoire des femmes, t. 1 : L’Antiquité, Paris, Plon, 1991, p. 103-156 2 Voir É.Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, Éd. de Minuit, 1969
Le terme matrimonium, qui désigne le mariage à Rome, signifie littéralement la « condition légale de mater » à laquelle accède la jeune fille. Pour elle le mariage est une destination. Ainsi, du point de vue du père : dare filiam in matrimonium signifie « donner sa fille à un homme en vue qu’elle devienne une mater » ; du point de vue du mari : alienius filiam ducere in matrimonium signifie « conduire la fille de quelqu’un en vue qu’elle devienne une mater » ; du point de vue de la jeune fille : ire in matrimonium « entrer dans l’état qui l’accomplit comme mater ». Ces formules ont toutes dénoté d’abord la condition de la femme qui en devenant épouse va devenir une mater. Il n’y a pas de concept abstrait du mariage, ni de termes désignant spécifiquement l’homme en tant qu’époux : le latin emploie uir, être humain masculin, qui a d’autres usages ; maritus est le dérivé en -itus d’un radical *mari qui semble désigner la jeune fille d’âge nubile, le maritus est ainsi « celui qui est en possession d’une jeune femme ». De même il n’y a pas de terme fixe pour désigner de façon constante l’épouse légitime : mulier signifie femme de manière plus générale, uxor qui désigne toute femme matriée, n’a pas d’étymologie assurée. Paterfamilias / materfamilias : une question de statut La nature juridique de l’homme et de la femme se réalise dans leurs titres respectifs de paterfamilias et de materfamilas. On appelait paterfamilias, exclusivement, le citoyen qui n’était plus sous la puissance paternelle (patria potestas) d’aucun ascendant en ligne masculine. L’homme romain devient un pater à la mort de son propre père, et non à la naissance d’un enfant ; il est alors en position d’exercer sur sa descendance le pouvoir d’un père. La patria potestas est un lien juridique au cœur de la division juridique des sexes. Elle est ce lien de droit qui se substitue au lien de nature qui ne suffit pas à la paternité, au contraire de la maternité. C’est le lien nécessaire et suffisant pour ouvrir une succession légitime ; les « héritiers siens » (au sing. suus heres) sont les descendants sous puissance paternelle au moment de la mort du paterfamilias. Le titre de materfamilias est réservé par les juristes à l’épouse légitime d’un chef de famille (pater familias) passée sous l’autorité maritale (manus) ; il concerne l’épouse d’un citoyen pleinement capable juridiquement ; c’est au mariage qu’une femme doit ce statut et il n’y a qu’une materfamilas par famille. Aux IIe-IIIe siècle de notre ère, alors que le mariage sine manu s’est généralisé, on l’applique à toute femme honorable : épouse légitime hors manus, célibataire juridiquement autonome (sui iuris), veuve. Matrona, terme moins juridique, désigne une femme mariée honorable ; elle acquiert ce statut par le mariage même si elle n’a pas d’enfant. Ceci exclut la jeune fille (uirgo), l’épouse de statut inférieur (paelex), la concubina, la prostituée (meretrix) ou une épouse que sa profession déconsidère : actrice, aubergiste. Mais un homme prend femme pour en obtenir des enfants : liberorum procreandorum causa ; une femme est mariée pour devenir mère, mais le droit, en forgeant pour désigner l’épouse légitime, le nom de materfamilias fait de la maternité de la femme un statut qui présuppose réalisée par le mariage la fonction que la cité assigne aux femmes pubères : procurer une descendance aux citoyens en comblant leurs maris d’enfants. Mais ce terme de statut demeure indépendant de la maternité. Une mère n’a pas la patria potestas donc elle n’a pas d’ « héritiers siens » ; les enfants ne peuvent hériter de leur mère que si elle les a inscrits sur son testament.
b- Aspect juridique du mariage romain Le matrimonium (nuptiae) est un état de droit créé par un acte privé ; né de la volonté des époux (officiellement le pariage est fondé sur le libre consentement, affranchi de toute contrainte), il a des effets juridiques spécifiques. Acte privé, le mariage se forme sans intervention de l’autorité publique. Il est généralement précédé par un pacte de fiançailles : sponsio (dont sponsus, sponsa : fiancé(e) ; sponsalia :fiançailles), acte juridique conclu par les deux pères, concernant parfois des enfants de quelques années seulement ; c’est un pacte qui lie les familles mais n’engage pas les fiancés, une promesse pour autrui qui n’engage pas les enfants dont le mariage n’est pas possible sans leur volonté. Le mariage naît de la conjonction de deux volontés : matrimonium contrahere. Les rites nuptiaux sont d’usage : voile de l’épouse, cortège, sacrifices privés, introduction dans la communauté de vie et de culte de l’époux, lit conjugal dans l’atrium, aident à prouver le mariage et à en fixer les buts, mais ne sont pas une condition de sa formation. L’existence du mariage exige la réunion de certaines conditions, qualifiées de conubium, chez les deux époux : âge (12 pour la fille, 14 pour le garçon), capacité juridique (que n’ont pas les esclaves), statut civique (sauf privilège, pas de mariage possible avec un ressortissant d’une autre cité), non-consanguinité (tabou de l’inceste jusqu’au 6ème degré). A défaut de conubium le mariage ne peut se former. Les mœurs et le droit ont ajouté d’autres prescriptions : contre les mésalliances, le célibat, les mariages stériles, entraînant des déchéances (perte du statut civique, incapacité de recevoir un héritage …). Le mariage implique un consentement continu : dès que la convergence des deux volontés cesse, le mariage disparaît ipso facto : matrimonium distrahere. Le mariage est la source exclusive de la famille légitime. Il établit la filiation paternelle ; place les enfants sous la puissance du pater et dans la lignée agnatique, fonde leur vocation d’héritiers ab intestat. S’il n’est pas accompagné de l’établissement (accessoire) de la manus, le mariage n’introduit pas l’épouse dans la famille du mari, n’affecte pas sa capacité juridique, laisse intacts ses liens de parenté agnatique avec sa famille d’origine. Patrimonialement les époux les époux sont comme deux étrangers et il leur interdit de se faire des donations ; il ne peut donc y avoir entre eux aucune communauté de biens. L’isolement successoral de l’épouse et de la mère est radical jusqu’au IIème siècle ap. J.-C. Concubinatus Le concubinatus (à ne pas confondre avec le concubinage) est une sorte de mariage inférieur qui permet des unions quand le mariage n’est pas possible : membres de la classe sénatoriale et affranchi(e)s ; patron et affranchie ; militaires ; affranchi(e)s du même patron. L’épigraphie ne donne pas d’exemple de concubinat entre ingénus ou entre individus pouvant (donc devant) se marier. En conséquence, le concubinat implique la volonté des concubins de ne pas usurper au mariage ses effets essentiels, de respecter la disparité sociale, de refuser de rattacher aux pères comme « siens » les enfants nés de la concubine ; les naturales ont une mère mais pas de père. Mais le concubinat est une union durable, fidèle (sous menace de l’accusation d’adultère pour la femme), fondée, comme le mariage sur la seule volonté des concubins, monogame, elle ne peut coexister avec un mariage concurrent. Le concubinat est honorable.
14- La proposition de loi sur l’alliance civile : une alternative heureuse au mariage pour tous ? La proposition du député Fasquel, visant à établir, comme une troisième voie, une alternative au mariage pour tous serait-elle un moindre mal ? Je parle volontairement d’un moindre mal et non d’un mieux possible. Celui-ci consisterait en effet à donner une alternative qui ne serait pas une troisième voie. Le risque d’une troisième serait effectivement de créer une nouvelle norme. Et de fait, selon Maître Paillot, l’alliance civile est un copié collé des dispositions concernant la conjugalité du mariage. Il peut donner l’impression d’institutionnaliser des couples homosexuels. Toutefois, il est vrai que ce n’est pas à l’Etat de déterminer ce que les gens font dans leur intimité. Aussi, force est de considérer, comme le fait le Droit, que cela relève de l’intimité des personnes, pourvu qu’elles soient consentantes. La question de l’éducation sexuelle relevant d’un débat connexe. Au contraire, ce projet alternatif semble donner une stabilité à des couples qui le recherchent, ce qui peut répondre à une certaine revendication, ainsi qu’une protection pour le conjoint survivant ce qui paraît également légitime. Par ailleurs, il interdit fermement les liens de filiation, ce que nous ne pouvons que soutenir. Enfin, le texte met l’accent sur les droits de l’enfant, en introduisant les dispositions de la Convention de New-York sur les droits de l’enfant. C’est également très appréciable. Par ailleurs deux questions, très pratiques se posent. Dans l'usage courant, comment les "alliés" (ainsi dénommés dans le texte) vont-ils se présenter, si ce n'est ni époux, ni épouse, ni concubin ? Sans doute pas "alliés". L'expression "compagnon, compagne", risque de ne pas les contenter et créer une gêne qu'il vaut peut-être mieux, le cas échéant, anticiper. Si les personnes de même sexe ne se sentent pas bien dans ce dispositif, elles en revendiqueront un autre à nouveau. En outre ne faut-il pas un travail, ou un projet complémentaire à celui-ci sur la protection des droits de l'enfant. Le risque, en effet, est que si un jour ces droits sont remis en cause, l'alliance civile sera à son tour caduque et n'aura été que provisoire. Avec la restriction de la « troisième voie », peut-être n’est-il pas inopportun de réfléchir à cette alternative ?Mais répondre à une telle question suppose de travailler à une proposition concrète qui ne paraisse pas revendiquer une troisième voie. Au fond cette proposition nous pose la question du tout ou rien. Est-ce un répit dans le combat ? Est-ce un mauvais compromis avec la morale et la vérité ? Si cette proposition a le mérite de proposer une solution concrète à une revendication légitime (celle de la sécurité des personnes), elle ne peut clore la question. Accompagner une difficulté juridique concrète, en marge de la société est un impératif que commande le respect de la dignité des personnes. Laisser s’installer ces personnes dans une certaine marginalité est une autre question qui relève, à mon sens, de l’éducation et de la santé. Aussi, soutenir une proposition comme l’alliance civile doit s’accompagner, non seulement d’un renforcement de la protection de l’enfant, mais également d’une prise en compte anthropologique de la problématique. Ce texte respecte en effet la dignité immédiate des personnes homosexuelles, leur donnant des sécurités légitimes pour tout être humain. Mais s’il ne s’accompagne pas d’une vision et d’une promotion anthropologique claire sur la nature humaine ni d’une éducation affective, il risque de tromper (précisément par l’institutionnalisation d’une troisième voie) sur la dignité humaine elle- même et l’intégrité qui lui est due.
Il convient donc de présenter ce texte comme l’accompagnement et la prise en compte de situations d’exception. Toutefois, le risque sémantique d’une telle présentation étant celui de la discrimination, cela suppose que la société reconnaisse, à nouveau, le mariage comme une norme qui la structure. Il y a donc parallèlement à cette reconnaissance d’exception, un large travail de promotion et de réhabilitation du mariage lui-même à mettre en mouvement. Si le mariage est attaqué, c’est bien parce qu’il a perdu la sacro sainteté qu’il avait jadis, non seulement pour les religions, mais aussi pour la société laïque de la Troisième République. Peut-être donc qu’une triple action serait à mener : Promotion de la protection de l’enfant, promotion du mariage, encadrement de situations d’exception.
Annexe : Mariage pour tous, Mariage gay et Homoparentalité en France Dossier de presse INFOSELEC3 I- Contre le mariage gay et l'homoparentalité - Pour les droits de l'enfant : des arguments forts portés par des personnalités de toutes tendances Dossier d'information et de réflexion basé sur une sélection d'extraits d'articles de presse : Une cause juste : de bonnes raisons de s'opposer au "mariage pour tous" et à l'homoparentalité : o Les psychanalystes contre l'homoparentalité : mise en garde contre le changement des lois de filiation pour les enfants o Pédiatres et psychologues : les enfants ont besoin d'avoir un papa et une maman o Milieu associatif de l'enfance et de l'adoption : l'intérêt de l'enfant est oublié ! o Des intellectuels de gauche s'engagent contre le mariage gay, comme la philosophe Sylviane Agacinski o Anthropologie du mariage et droit de l'enfant à avoir un père et une mère o La légalisation du mariage entre personnes de même sexe fragilisera l'adoption internationale pour les célibataires De faux arguments brandis par les partisans du mariage homosexuel : o "300 000 enfants vivent dans des familles homparentales" : FAUX, à peine 22 000 PACS homosexuels en vigueur o "des études statistiques prouvent que les familles homoparentales sont sans problème pour les enfants" : FAUX o "c'est une question d'égalité des droits : le mariage est la reconnaissance sociale d'un amour" : FAUX o "le mariage gay ne concerne que les homosexuels" : FAUX, toutes les familles en subiront des impacts o "les Français sont majoritairement pour cette loi" : FAUX, les sondages les plus récents montrent le contraire o un concept issu de la très controversée théorie du genre, combattue par les scientifiques Un sujet de division loin de faire l'unanimité : des opposants de toutes tendances et de toutes sensibilités : o Des homosexuels opposés ouvertement à l'homoparentalité o Des responsables politiques de gauche opposés au mariage homosexuel, comme Lionel Jospin o Des franges importantes de l'électorat de François Hollande opposées au mariage homosexuel o Fronde des maires contre la célébration du mariage gay en mairie o La position des grandes religions : catholiques, protestants réformés, évangéliques, orthodoxes, juifs, musulmans o Forte mobilisation contre le mariage homosexuel : 200 000 manifestants à Paris, 300 000 en France le 17 novembre 3 Disponible sur http://www.infoselec.net/politique/mariage-gay.html
Le risque d'ouvrir la boîte de Pandore ? Une nouvelle revendication émergente : polyamour et trouples ...pour en savoir plus (avant-projet de loi, sondage, pétitions) II- Les bonnes raisons de s'opposer au "mariage pour tous" et à l'adoption par des couples de même sexe Les dangers pour les enfants de l'homoparentalité et de l'adoption par les couples de même sexe : principe de précaution et impact psychologique du changement des lois de filiation Touche pas à "père-et-mère" Le Monde - 8 novembre 2012 - Chantal Delsol (philosophe, membre de l'Institut), Pierre Lévy- Soussan (psychiatre, psychanalyste), Sophie Marinopoulos (psychologue, psychanalyste), Christian Flavigny (pédopsychiatre, psychanalyste), Maurice Berger (chef de service de pédopsychiatrie), Jean- François Mattéi (philosophe), François Olivennes (gynécologue), Claire Squires (psychiatre, psychanalyste), Jean-Pierre Winter (psychanalyste), Michel Schneider (haut-fonctionnaire, psychanalyste), Claire Laporte (psychologue, psychanalyste), Maya Garboua (psychanalyste), Michel Grimbert (psychanalyste), Laure Gomel (psychologue en CECOS), Philippe d'Iribarne (sociologue), Pierre Delvolvé (juriste, membre de l'Institut) Suzanne Rameix (philosophe), Vanina Fonseca (psychologue en maternité), Sonia Gourgeault (psychologue en maternité), Sylvia Metra (sage-femme enmaternité) Le mariage pour tous, une lutte démocratique contre la discrimination et les inégalités ? Il s'agit plutôt d'annuler la différence des sexes dans les livrets de famille et dans le code civil. La naissance de tous les enfants s'en trouvera bouleversée. En lieu et place du mariage, c'est la question de l'enfant qui est posée, la suppression de sa naissance sexuée à la base de la filiation. Toutes les filiations du monde reposent sur la pensée de la naissance à partir d'un couple sexué permettant à l'enfant d'accréditer une origine raisonnable quel que soit son mode de procréation (naturelle, adoptive, procréatique). Au nom de quelle " modernité " le priverait-on de la moitié de sa construction identitaire, le projetterait-on dans une origine impossible car impensable – une imposture - ? Tous les enfants du monde ont droit aux différences parentales sexuées, leur conférant ainsi une origine psychique fondatrice de leur individualité. Accueillir la diversité des familles n'est pas une raison pour saper les bases mêmes de toute famille. Aucune loi ne pourrait nous affranchir de la logique des conditions sexuées de notre naissance. Adoption par les homos : pourquoi les disciples de Freud disent non Le Figaro - 2 octobre 2012 - Agnès Leclair Tuer le père, un «meurtre» banal dans les cabinets psys. Sur le plan légal, c'est une autre affaire. Dans le cadre du projet de loi sur l'ouverture du mariage et de l'adoption par les couples de même sexe, nombre de psychanalystes et pédopsychiatres frémissent à l'idée de voir disparaître les « pères » et « mères » du Code civil. Gommer deux figures centrales de l'inconscient au profit du terme asexué de « parent », c'en est trop pour les freudiens. Quelle place pour le complexe d'Œdipe dans un monde avec deux mamans ou deux papas ? Écoeurés de s'entendre répliquer que seul l'amour importe, ils comptent dans leurs rangs de féroces opposants à la promesse 31 de François Hollande. Homoparentalité : l'avenir des enfants en question
Le Figaro - 3 mars 2009 - Agnès Leclair Le psychanalyste Jean-Pierre Winter met ainsi en garde contre «un changement profond des lois de la filiation». «La vie prive parfois un enfant de père ou de mère par accident, commente-t-il, mais ce n'est pas à la loi d'organiser cette privation. Cela transforme les enfants en champ d'expérience car il n'existe pas d'études sérieuses sur le devenir des enfants des familles homoparentales.» «Il serait plus pertinent d'accorder des droits d' “ éducateurs” aux personnes qui les élèvent que de les reconnaître comme parents», poursuit-il. Il s’agit de réfléchir au fait qu’élever un enfant ne suffit pas à l’inscrire dans une parenté L'Humanité - 25 août 2012 - Jean-Pierre Winter (psychanalyste) J’aimerais être convaincu que la promesse de François Hollande est le fruit d’une réflexion approfondie et qu’il ne s’agit pas d’une simple adaptation à l’air du temps ! J’aurais aimé que François Hollande tienne compte des débats qui ont eu lieu lors de la révision des lois de bioéthique. Quelques arguments ont été alors avancés qui n’étaient pas seulement inspirés par une morale caduque ou des dogmes religieux. Cela étant, son embarras sur ces questions se trahit dans sa prise de position – que je partage – contre la grossesse pour autrui, qui aurait pour conséquence une inégalité de fait entre les couples lesbiens et les couples d’hommes?! Encore une fois, nul ne doute des capacités pédagogiques et de l’amour que des homosexuels sont à même de mettre au service d’enfants dont ils auraient la charge, ni ne prétend que les familles dites « traditionnelles » seraient a priori plus compétentes pour éduquer des enfants. Mais il s’agit de réfléchir au fait qu’élever un enfant ne suffit pas à l’inscrire dans une parenté. L’enjeu est celui des lois de la filiation pour tous. Comme psychanalystes nous ne sommes que trop avertis des conséquences anxiogènes à long terme des bricolages généalogiques commis au nom de la protection d’intérêts narcissiques, religieux, économiques ou autres. Jusqu’à présent ces manipulations, souvent secrètes, pouvaient être entendues comme des accidents historiques, des conséquences de troubles psychologiques, des effets d’aliénation, etc. Mais voilà que l’« accident » devrait devenir la loi. Voilà que François Hollande veut organiser légalement des arrangements qui priveraient a priori certains enfants de leur père ou de leur mère. Et il nous faudrait croire, simplement parce qu’on nous l’affirme, que cela serait sans effets préjudiciables alors que nous pouvons constater jour après jour la souffrance et l’angoisse de ceux que la vie s’est chargée de confronter à de tels manques. Certains, à droite comme à gauche, semblent convaincus qu’un enfant se portera bien du moment qu’il est aimé. Le grand mot amour est lâché ! Cet argument est dangereux. Il est culpabilisant pour tous les parents qui ont chéri leur enfant et qui néanmoins l’ont vu dériver et s’acharner contre eux dans la colère ou la haine. Au reste, qui peut dire avec certitude la différence entre amour et allégation d’amour ? Qu’on ne nous dise pas, sans rire, que nombre d’études américaines, canadiennes, finnoises ou autres démontrent que les enfants élevés avec des parents du même sexe vont, aujourd’hui, aussi bien que les autres. Jamais citées, au demeurant, elles ne sont pas plus pertinentes que la présence de cellules de crise psychologique lors de la moindre catastrophe car la psychanalyse nous a appris que les effets d’un trauma ne sont déchiffrables qu’après son refoulement, et donc dans l’après-coup. Il nous faudra du temps pour constater empiriquement ce que nous savons déjà. Mais dans l’intervalle combien d’enfants auront été l’objet d’une véritable emprise purement expérimentale ? Il faudra plusieurs générations pour apprécier les conséquences de telles modifications dans le système de la filiation surtout si par voie de conséquence logique on en vient, comme en Argentine récemment, à effacer purement et simplement la différence des sexes en laissant à chacun le droit de déclarer le genre qui lui sied par simple déclaration. [...] L’adoption par des couples homosexuels : et l’enfant dans tout ça?
Psychologies - 1 mai 1999 - Claude Halmos (psychanalyste) La possibilité d’adoption d’enfants par des couples homosexuels est une question sur laquelle un psychanalyste travaillant avec des enfants ne peut se taire. Mais l’aborder implique qu’il précise sa position sur un certain nombre de points. [...] Cette reconnaissance implique-t-elle qu’un couple homosexuel soit " la même chose " qu’un couple hétérosexuel ? A l’évidence, non. Beaucoup cependant opèrent ce glissement et, réclamant le " droit à l’indifférence " – entendu en fait comme droit à l’indifférenciation (sexuelle) –, demandent que les couples homosexuels aient le droit " comme les couples hétérosexuels " d’adopter des enfants. Cela me semble une erreur grave. [...] Pour les enfants qui ont besoin de parents de sexe différent pour se construire, et je vais essayer de l’expliquer en précisant que je parlerai du droit à l’adoption et non du cas des parents " devenus homosexuels " qui continuent – après un divorce par exemple – à élever leurs enfants. Un enfant absent du débat Le problème essentiel que pose l’adoption n’est pas, comme on voudrait nous le faire croire, de savoir si un homme ou une femme homosexuels sont " capables " d’élever un enfant. Ils le sont à l’évidence ni plus ni moins que n’importe qui. Il est que l’adoption est, pour un enfant que ses géniteurs n’ont pu élever, la possibilité d’avoir des parents équivalents à ses parents biologiques. Permettre son adoption par un couple homosexuel reviendrait donc à lui dire : - que ces parents adoptifs (homosexuels) peuvent être l’équivalent de ses " parents de naissance " (forcément hétérosexuels). - donc, que la différence des sexes n’existe pas. En tout cas, pas en tant que différence susceptible… de faire différence, qu’elle ne " compte pas ", qu’elle n’est – pour reprendre un mot de sinistre mémoire – qu’un " détail " de la vie. En quoi serait-ce grave de faire vivre cet enfant (et, avec lui, tous les autres) dans un monde où la différence des sexes serait conçue comme accessoire ? On ne peut le comprendre que si l’on se situe du point de vue de l’enfant. Or, il faut le constater, l’une des caractéristiques de ce débat est que l’enfant en tant que personne, en tant que " sujet " en est absent. On parle d’un enfant-objet. En atteste le livre-phare de la revendication pour le droit à l’adoption, Des parents du même sexe (Odile Jacob, 1998) d’Eric Dubreuil. Par exemple, on y lit (p. 80) : " Le désir d’enfant n’est pas moins fort chez un homosexuel que chez un hétérosexuel. De ce fait, l’homosexuel doit avoir les mêmes droits qu’un hétérosexuel, par rapport à cela […], un homosexuel doit pouvoir se marier s’il le veut et avoir le droit d’avoir des enfants s’il le désire. " Le propos a le mérite d’être clair : quiconque veut "l’enfant" a droit à "l’enfant". Il est donc exclu dans cette perspective que l’on se demande à quoi l’enfant, lui, pourrait avoir droit, de quoi il pourrait avoir besoin. Et cette désinvolture confine parfois au cynisme. Une interviewée d’Eric Dubreuil, dont on nous précise – sans doute pour avoir une caution du côté du "savoir" – qu’elle exerce la profession de "travailleur social", déclare ainsi (p. 48) : "On est dans une société où l’enfant est au centre de tout. Or l’enfant ne sera ni bien ni mal. Simplement l’enfant aura son histoire et il fera quelque chose avec cela. Nous-mêmes n’est-ce pas à partir de ce qui a déconné dans notre histoire que nous grandissons et que nous devenons plus costauds ? Le risque est de vouloir rendre les choses trop parfaites pour l’enfant. Renonçons à cette perfection et misons sur le fait que les enfants pourront se construire à partir de leur histoire. Dans les merdes qu’ils auront vécues, ils sauront puiser les choses les meilleures qu’ils auront plus tard !" Quid de la construction psychique ? A vrai dire, l’idée qu’il y aurait une construction psychique de l’enfant – donc des conditions nécessaires à cette construction – semble ne venir à personne. L’enfant dont on nous parle est un enfant préfreudien. Un enfant d’avant la découverte de l’inconscient, d’avant la psychanalyse, d’avant que l’on ait été "y voir" ou plutôt "y entendre de l’intérieur" pour comprendre comment se construit l’adulte à travers le "petit d’homme". - Faisant fi d’un siècle de recherches, d’interrogations et de découvertes, les tenants de l’adoption s’appuient sur un discours lénifiant sur " l’amour ", conçu comme l’alfa et l’oméga de ce dont un enfant aurait besoin. (Alors même que l’on sait que l’on peut détruire un enfant en " l’aimant ", simplement parce qu’à l’instar, par exemple, des mères que l’on dit " abusives " on
l’aime d’un amour qui l’emprisonne.) Ecoutons encore un interviewé d’Eric Dubreuil : " Ce dont un enfant a besoin, c’est d’amour, que ce soit deux hommes, deux femmes, un homme, peut importe. " - Quand ils n’invoquent pas l’amour, les tenants de l’adoption s’appuient sur des déclarations qui frappent par leur manque de rigueur. Et l’on reste stupéfait devant le " flou artistique conceptuel " qui entoure les déclarations de gens dont on ne peut par ailleurs nier les compétences. Dans un article (publié dans “la Croix” du 8-9/11/1998), Françoise Héritier rappelait que la différence des sexes permet de penser. C’est sans doute du côté de son annulation qu’il faut chercher l’origine du florilège d’approximations théoriques auquel on assiste. On s’étonne, ainsi, de lire (dans l’Evénement du jeudi du 18-24/6/1998), sous la plume d’Anne Cadoret, ethnologue et chercheuse au CNRS : " Comme dans les familles hétéro recomposées, un des problèmes majeurs concernant les familles monoparentales est le statut du compagnon ou de la compagne. Qui l’enfant doit-il appeler “papa” ou “maman” ? Chaque famille trouve sa solution. L’enfant reconstruit, plus ou moins symboliquement, sa généalogie. " Qui dira jamais ce que peut être pour un enfant une reconstruction "plus ou moins symbolique" de sa généalogie ? Et comment peut-on sérieusement mettre sur le même plan les difficultés d’un enfant qui, dans une famille "recomposée", ne sait pas s’il doit appeler "papa" le nouveau compagnon de sa mère, ou "maman" la nouvelle compagne de son père, et les problèmes de celui qui, face à un couple homosexuel, ne sait pas quelle femme il doit appeler " papa " ou quel homme il doit appeler " maman " ? Le danger du “Tout est possible” Si l’on revient à l’enfant et à sa problématique (telle que révélée à ceux dont le travail est d’écouter leur souffrance psychique), on peut dire deux choses : d’abord qu’un enfant se construit et que, comme pour toute architecture, il y a des règles à respecter si l’on veut qu’il " tienne debout ". Ensuite, que la différence des sexes est un élément essentiel de sa construction. Elle est pour lui un repère symbolique majeur et ce, pour deux raisons. • Parce qu’elle est (avec la compréhension de sa place dans sa généalogie et celle de l’interdit de l’inceste) ce qui lui permet de construire son identité. Nanti de ces éléments il peut " conjuguer " sa vie à la fois : - au présent : " Je suis un garçon " ou " Je suis une fille " ; - au passé : "Je suis le descendant (ou la descendante) de tels hommes (ou de telles femmes) de mes lignées paternelle et maternelle" ; - et au futur : " Plus tard je serai… un homme comme mon père, mon grand-père…, une femme comme ma mère… " Sachant qui il est et d’où il vient, l’enfant peut savoir où il va : on constate ainsi souvent, en consultation, que le seul énoncé des divers éléments de leur identité permet à bien des enfants de "" se réveiller "" et de "" démarrer • La différence des sexes est aussi l’une des premières limites que l’enfant rencontre. Essentielle et incontournable – car elle est inscrite dans le corps –, elle est aussi difficile à accepter pour les garçons que pour les filles, mais devient souvent, de ce fait, le modèle de toutes les autres limites : si je suis un garçon, je ne peux pas être une fille. Si je suis une fille, je ne peux pas être un garçon. Donc je ne peux pas être " tout ". Donc je ne peux pas avoir " tout ". Remettre en cause la différence des sexes reviendrait ainsi à faire vivre l’enfant dans un monde où " tout " serait possible : que les hommes soient des " papas " et aussi des " mamans ", les femmes des " mamans " et aussi des " papas ". Un monde comme celui de la toute- puissance magique où chacun, armé de sa baguette magique, pourrait abolir les limites. Dans la préface qu’elle a écrite pour le livre d’Eric Dubreuil, la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, tenante de l’adoption, écrit ainsi : " Dans les familles homoparentales, l’enfant devrait en ce sens pouvoir fantasmer de façon positive sur le coparent, l’autre personne qui a participé à sa naissance, comme un personnage “en plus” à la manière d’un “oncle d’Amérique” ou d’une “bonne fée Morgane”. " Le coparent ("mère porteuse" grâce auquel un homme peut devenir "mère" de l’enfant de son compagnon ou "père donneur de sperme" grâce auquel une femme peut devenir "père" de l’enfant de sa compagne) est donc clairement situé comme la fée de la toute-puissance. Etrange déclaration quand on sait à quel point la toute-puissance est invalidante pour les enfants et à quel point elle les empêche d’accéder à une " vraie puissance ". Pourquoi se fatiguerait-on à écouter la
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