Nouveautés Québec français - Érudit

La page est créée Yannis Voisin
 
CONTINUER À LIRE
Document généré le 12 mars 2021 16:36

Québec français

Nouveautés

Sport et littérature
Numéro 157, printemps 2010

URI : https://id.erudit.org/iderudit/61496ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)
Les Publications Québec français

ISSN
0316-2052 (imprimé)
1923-5119 (numérique)

Découvrir la revue

Citer ce compte rendu
(2010). Compte rendu de [Nouveautés]. Québec français, (157), 4–18.

Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2010         Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
                                                                      services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
                                                                      d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.
                                                                      https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

                                                                      Cet article est diffusé et préservé par Érudit.
                                                                      Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de
                                                                      l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
                                                                      Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
                                                                      https://www.erudit.org/fr/
ESSAI                                                                                                                       […] du “maghanage” », en passant
                                                                                                                                   par l’équivoque, la cacophonie et
       MARIE-ANDRÉE BEAUDET,                                                                                                       l’érotisation de la langue (p. 114).
       ÉLISABETH HAGHEBAERT                                                                                                        Le quatrième chapitre, intitulé
       et ÉLISABETH NARDOUT-                                                                                                       « Maghanage générique et cano-
       LAFARGE [dir.]                                                                                                              nique », explore « comment la
       Présences de Ducharme                                                                                                       marginalité de Réjean Ducharme
       Nota bene, Québec                                                                                                           se manifeste dans les formes qu’il
       2009, 351 pages                                                                                                             déforme et dans les genres qu’il
       Coll. « Convergences »                                                                                                      parodie et chamboule pour leur
                                                                                                                                   redonner vie » (p. 173). La margina-

    P    résences de Ducharme
         regroupe les actes du tout
    premier colloque consacré à
                                                                                                                                   lité ducharmienne, loin de confiner
                                                                                                                                   l’auteur au statut de créature
                                                                                                                                   asociale et recluse, donne para–
    l’œuvre de Réjean Ducharme qui                                                                                                 doxalement lieu à une « poétique
    s’est tenu à Montréal au printemps                                                                                             de convivialité à la fois à l’égard de
    2007. Des intervenants de tous les                                                                                             ses lecteurs […] et comme motif
    milieux (universitaire, éditorial,                                                                                             dans l’œuvre même » (p. 225). Cette
    archivistique, littéraire, théâtral,           ment, la partie « Scènes » présente       ÉLISABETH HAGHEBAERT                  convivialité « pudique […] [et] libre
    etc.) permettent d’illustrer le vaste          « une série d’études portant sur la       Réjean Ducharme : une                 de tout diktat » (p. 251) est ainsi
    champ culturel où résonnent et                 dimension extra-littéraire, et non la     marginalité paradoxale                étudiée dans le dernier chapitre
    rayonnent, depuis plus de quarante             moindre, du travail de Ducharme »         Éditions Nota bene, Québec            de l’ouvrage, intitulé « Dérapages
    ans, Ducharme et son œuvre.                    (p. 8). Une discussion portant sur le     2009, 337 pages                       de la tendresse ». Haghebaert y
        Les interventions sont regrou-             théâtre de Ducharme et les enjeux         Coll. « Littérature(s) »              sonde et exhibe les codes narra-
    pées selon cinq sections. D’abord,             de sa mise en scène est repro-                                                  tifs, culturels et affectifs utilisés par
    « Profils perdus » « apporte un
    nouvel éclairage sur l’entrée en
    littérature de Ducharme à la fin
                                                   duite en ouverture (on peut y lire
                                                   les propos des metteurs en scène
                                                   Lorraine Pintal et Martin Faucher
                                                                                           U     ne promenade jubilatoire
                                                                                                 dans l’œuvre ducharmienne,
                                                                                           voilà ce qu’offre la lecture de
                                                                                                                                   l’écrivain pour « rendre le lecteur
                                                                                                                                   affectueusement captif » de son
                                                                                                                                   œuvre (p. 235).
    des années 1960 » (p. 6). On y                 ainsi que ceux du critique Robert       Réjean Ducharme : une margina-              L’ouvrage de Haghebaert est
    trouve entre autres le témoignage              Lévesque). Claire Jaubert aborde        lité paradoxale d’Élisabeth Haghe-      convivial. Finement menée et
    de Roger Grenier, des éditions                 ensuite l’écriture cinématogra-         baert. Par sa démarche éclectique       jamais aride, cette étude agit
    Gallimard, et l’article de Monique             phique de Ducharme alors que            et maîtrisée, elle présente une         à la fois comme une référence
    Ostiguy, de la Bibliothèque et                 Chantal Savoie et Serge Lacasse         étude dense et accessible qui           incontournable et comme un
    Archives Canada, qui traite de l’état          s’intéressent au travail de paro-       permet aux lecteurs « universitaires    détonateur qui donne envie de
    et du contenu du « Fonds Réjean                lier de l’auteur. Le « Ducharme-        ou non, [de trouver] rassemblé          lire (ou relire) Ducharme et de
    Ducharme ». Des reproductions                  plasticien » est présenté par           et illustré […] l’essentiel de ce       s’abandonner à ses multiples
    de manuscrits de L’hiver de force              André Gervais qui interroge les         qu’ils connaissent déjà en partie,      marginalités.
    accompagnent son article.                      « trophoux », ces sculptures et         mais agencé selon un itinéraire                             MARIE-HÉLÈNE VOYER
        Les rapports entre l’œuvre de              tableaux que Ducharme créa sous         destiné à mettre en valeur sous
    Ducharme et d’autres œuvres sont               le pseudonyme de Roch Plante.           un dénominateur commun – une               CHRISTIANE LAHAIE
    sondés dans la section « Compli-               Enfin, Rolf Puls « raconte l’éton-      marginalité propre à la spécificité        Ces mondes brefs.
    cités », qui s’ouvre sur la repro-             nante aventure de deux carnets          ducharméenne – les principaux              Pour une géocritique
    duction d’une lettre manuscrite                de dessins inédits de Ducharme          aspects de l’œuvre et les diverses         de la nouvelle québécoise
    de J.M.G. Le Clézio. Ce dernier                […]. L’un de ces dessins illustre       critiques dont elle a fait l’objet »       contemporaine
    témoigne de l’impact qu’a eu                   la couverture de [Présences de          (p. 14).                                   L’Instant même, Québec
    Ducharme sur lui : « véritable                 Ducharme] et trois autres se trou-          En cinq chapitres, l’ouvrage           2009, 457 pages
    âme sœur qui [l]’aidait à garder               vent à l’intérieur » (p. 8).            aborde la marginalité et la singu-         Coll. « Essai »
    confiance dans l’acte d’écrire »                   Protéiformes et pluridiscipli-      larité de l’auteur (chapitre 1) « qui
    (p. 66-67). Le volet « Langue et
    voix » réunit des contributions
    portant sur le travail du texte de
                                                   naires, la vingtaine d’interven-
                                                   tions regroupée dans Présences
                                                   de Ducharme constituent une
                                                                                           accomplit le paradoxe de mani-
                                                                                           fester sa présence en la dérobant »
                                                                                           (p. 39). Les « personnage(s) et lieux
                                                                                                                                   L   a nouvelle, souvent considérée
                                                                                                                                       comme un genre mineur,
                                                                                                                                   profite certainement de ce
    Ducharme et permet entre autres                mine d’information soutenue             du marginal ducharméen » sont           genre d’étude auxquelles nous
    de lire l’article d’Ivan Maffezzini qui        par une volonté commune de              mis en relief dans le deuxième          convie Christiane Lahaie. Le titre
    explique les défis que lui a posés la          mettre en lumière le potentiel sans     chapitre avant d’aborder, dans          l’indique clairement : il s’agit
    traduction de L’avalée des avalées             cesse revisité de l’œuvre duchar-       le troisième, les manifestations        d’une monographie dont l’objectif
    en italien. La section « Lectures »            mienne qui, pour notre plus grand       du marginal langagier chez              est de faire converger l’analyse
    offre à lire trois synthèses qui profi-        bonheur, n’a pas fini de nous livrer    Ducharme : « celui-ci proc[édant]       de la nouvelle québécoise et
    lent de nouvelles pistes de saisie             ses secrets.                            [à la fois] de la récupération ou       la géocritique en une même
    de l’œuvre ducharmienne. Finale-                                 MARIE-HÉLÈNE VOYER    du recyclage, de la traduction ou       enceinte afin de faire émerger les

4   Québec français 157 | P R I N T E M P S 2010
NOUVEAUTÉS

représentations spatio-temporelles     essentiellement, de son caractère       nouvelle. Incertitudes rassemble                 FRANCINE D’AMOUR
qui affectent le rapport à la langue   bref. La description n’étant pas        en un recueil des textes brefs                   Pour de vrai, pour de faux
des écrivains contemporains. Qui       le propre de la nouvelle, les lieux     qui, pour reprendre les mots                     Boréal, Montréal
plus est, les travaux de Christiane    sont davantage évoqués que              de Musset, mettent l’accent sur                  2009, 188 pages
Lahaie sont couplés à d’autres         détaillés : « La représentation         l’inconstance, cette sœur de la folie.
concernant la recherche-création.
Ont donc été conviés Aude,
Camille Deslauriers, Jean Pierre
                                       du lieu dans la nouvelle serait
                                       plutôt une non-représentation,
                                       s’apparentant du coup à un
                                                                                   Onze histoires racontées par
                                                                               onze narratrices qui s’expriment
                                                                               avec un parti pris de « genre », en
                                                                                                                            J   ’ai été à nouveau séduit par le
                                                                                                                                dernier recueil de nouvelles de
                                                                                                                            Francine D’Amour, elle dont j’ai
Girard, Louise Cotnoir, Carole         condensé symbolique » (p. 17).          esquivant sans grande méchanceté             déjà vanté « l’indéniable talent ».
David, Claude-Emmanuelle Yance,        Un autre obstacle rencontré             leurs vis-à-vis masculins. Maintes           Ce qui fait l’originalité de Pour de
Roland Bourneuf, Jean Désy, Sylvie     lors de cette étude fut de faire        fois à propos d’un certain « Gilles »,       vrai, pour de faux, c’est sa structure.
Massicotte, Danielle Dussault,         appel à une méthode critique            dénominateur commun à la                     Plusieurs nouvelles se répondent,
Hans-Jürgen Greif, Anne Legault,       géographiquement localisée sur          source de bien des tracas, elles             car l’auteure a choisi de démêler
Hugues Corriveau et Stanley            le continent européen et de la          spéculent sur le roulis émotionnel           le vrai du faux en précisant,
Péan, auxquels Lahaie a donné          faire transiter vers un territoire      qui perturbe le quotidien.                   dans ce qu’elle appelle tantôt
une contrainte d’écriture : inscrire   autre, celui de l’Amérique. Il          Ces femmes sont de grandes                   préambule, tantôt apostille, à la
dans leur intrigue un lieu (le pont    semble, en bout de ligne, que la        voyageuses, conséquemment,                   manière d’un prologue ou d’un
Jacques-Cartier, une clairière,        nouvelle ait un effet déréalisant       les situations, les lieux et les             épilogue, la genèse ou l’argument
Atlantide, etc.).                      sur l’espace, une récurrence dans       éléments du décor varient mais,              qui a généré le texte inventé. C’est
    L’ouvrage se scinde en plusieurs   la représentation qui origine,          la plupart du temps, le moteur               ainsi, par exemple, que, dans « Le
chapitres qui s’intéressent tantôt     selon Lahaie, de la nature concise      du récit demeure la nécessité de             bouchon », la nouvelliste raconte
à cerner les stratégies d’écriture     de la nouvelle. Et finalement,          l’option. Or, comment savoir ce              l’histoire pour le moins troublante
pour transformer l’espace réel en      c’est l’appréhension du réel,           que l’on veut, quand l’idée même             d’une femme, qui profite d’un
espace textuel, tantôt à analyser      plus largement, qui s’en voit           de choisir nous désespère ? La               ralentissement de la circulation
les lieux investis par les diffé-      nécessairement modifiée.                perte d’une télécommande aura-t-             causé par un énorme bouchon
rents textes des nouvelliers, tantôt                       GENEVIÈVE DUFOUR    elle raison d’un nouveau couple ?            pour annoncer à son mari et à son
aux commentaires des auteurs                                                   À moins que ce ne soit un voyage             fils qu’elle a décidé de divorcer,
quant à leur travail d’écriture sous     NOUVELLE                              raté, la légèreté d’un conjoint peu          ajoutant même qu’elle regrette
contrainte et aux implications d’un                                            raffiné ou le désir confus d’avoir           de ne pas s’être fait avorter au lieu
tel jeu.                                 JOSÉE BILODEAU                        un bébé…                                     de plaire à son mari. Il n’en faut
    Travailler à partir de la            Incertitudes                              Les héroïnes de Bilodeau,                pas plus pour que l’adolescent,
géocritique comporte toutefois           Québec Amérique, Montréal             sensibles et impressionnables, se            abasourdi, fruit de cette grossesse
certains écueils. D’une part, cette      2010, 136 pages                       montent la tête en moins de deux,            non désirée, se jette à corps
approche théorique n’interroge                                                 tout en « recherchant la rassurante          perdu et à perdre haleine dans la
pas l’apport poétique d’une œuvre.
Le roman est la voie généralement
privilégiée et peu y dérogent.
                                       D    es études en littérature et une
                                            carrière diversifiée dans le
                                       même domaine suscitent parfois
                                                                               impression d’être en totale maîtrise
                                                                               d’elle[s]-même[s] » (p. 54). Elles
                                                                               pleurent souvent, s’apitoient sur
                                                                                                                            tempête de verglas qui sévit alors.
                                                                                                                            Cette nouvelle, comme l’écrivaine
                                                                                                                            l’avoue dans « Préambule au
Lahaie souhaite donc adapter           l’envie d’inventer sa propre fiction.   leur sort et, quand elles ne sont pas        Bouchon », elle l’a empruntée de
l’étude de l’espace à la nouvelle      Le désir d’écrire s’impose alors        carrément la proie d’hallucinations,         l’un de ses étudiants, dont elle
dans la mesure où celle-ci propose     comme un passage obligé. Ce             frôlent la crise de nerfs. Pourtant,         a oublié le nom, mais qu’elle a
des représentations spatio-            parcours a conduit Josée Bilodeau       nous les comprenons tout à fait…             baptisé Jérémie, qui a connu
temporelles singulières du fait,       vers le récit, le roman et enfin la     Puisque cette incomplétude, « ce             une expérience semblable alors
                                                                               manque trouble, lancinant comme              qu’avec ses parents il se rendait en
                                                                               un mal de dents » (p. 22), chacun à          vacances à Virginia Beach. Voilà le
                                                                               sa manière cherche à le combler.             canevas de la nouvelle d’à peine
                                                                                   Une récurrence des émotions,             500 mots de l’ado que Francine
                                                                               le retour cyclique de certains               D’amour s’est approprié en y
                                                                               personnages et des situations                ajoutant de la chair autour de l’os,
                                                                               vaguement entrelacées préservent             tout en espérant que l’élève qui l’a
                                                                               l’unité du recueil. Le ton doux-             nourrie et dont elle a perdu la trace
                                                                               amer laisse poindre un humour                lira la nouvelle, que l’écrivaine
                                                                               plein de finesse. Quant à la qualité         complète par une lettre, « Lettre
                                                                               de l’écriture, elle est indéniable.          d’amour signée Gros-Jean », que
                                                                               Des phrases justes et bien pensées           le père adresse à son fils Jérémie
                                                                               incitent d’ailleurs à « goûter »             pour l’assurer de son aide en dépit
                                                                               plutôt qu’à « dévorer » ce petit             de la séparation.
                                                                               livre attachant aux couleurs                     Les deux nouvelles suivantes
                                                                               d’aujourd’hui.                               témoignent de la passion
                                                                                                 GINETTE BERNATCHEZ         qu’entretient l’écrivaine pour les

                                                                                                                        P R I N T E M P S 2010 | Québec français 157   5
chats, elle qui a déjà publié un                   L’année même de la publica-          avec art, passion et sensibilité,         faire preuve d’ouverture d’esprit
    recueil au titre révélateur à cet              tion de son roman Retour d’Afrique,      dans une langue de grande, de très        même dans l’adversité. En
    effet : Écrire comme un chat (1994).           en 2004, Francine D’Amour a été          grande qualité, où perce, çà et là,       exauçant le désir ultime d’une
    Dans « Apostille à Chats des Mille-            finaliste au Prix littéraire du roman    la délicieuse ironie dont l’auteur        amie ou en célébrant la mémoire
    Îles », la narratrice présente Jonas,          d’amour, organisé par le luxueux         des Dimanches sont mortels a le           d’une maîtresse avec panache. En
    un véritable « pacha[t] », qui a               hôtel Prince Maurice, à l’Île Maurice.   secret. Un seul reproche : la page        déterrant un rituel issu de l’enfance
    connu « bien plus que sept vies »              Lors d’une escale à Londres, sur le      couverture n’est pas à la hauteur         afin d’apaiser l’inquiétude d’un
    (p. 54) et qui a fait la vie dure à            chemin du retour, elle croise une        de la beauté des nouvelles.               fils anxieux, ou en renonçant à la
    ses semblables à l’extérieur tout              employée voilée de l’hôtel Tavis-                               AURÉLIEN BOIVIN    vengeance dans le but de préserver
    en se révélant « doux comme un                 tock, à qui elle parle à peine, mais                                               le caractère sacré d’un paysage. En
    agneau à l’intérieur de la maison »            au sujet de laquelle elle invente           CLAUDE VALLIÈRES                       s’inspirant de l’écrivain admiré pour
    (p. 55), jusqu’à ce qu’il disparaisse,         une histoire. C’est « Fatouma »,            J’attendais que                        conduire sa vie ou en se glissant
    la vieillesse aidant, pour céder sa            dans laquelle elle incorpore le texte       tu oses un geste                       dans la peau d’une fillette enjouée
    place à Lola, une jeune princesse              sur son séjour à l’Île Maurice que          Gatineau, Vents d’ouest                à la seule fin d’oublier ses erreurs…
    bâtarde, gourmande et boudeuse                 lui avait demandé le chef de l’hôtel        2009, 152 pages                        Des épiphanies intimes accueillies
    à souhait, qui aime que sa                     pour la revue Silence. Elle mêle            (Coll. « Rafales »)                    comme une main tendue par
    maîtresse se plie à ses quatre                 encore le vrai au faux dans « Apos-                                                l’autre.
    volontés.
        Dans « Un portait revu et
    corrigé », c’est Lola elle-même qui
                                                   tille à Fatouma », dans laquelle elle
                                                   raconte la genèse de cette belle
                                                   aventure qui l’a conduite dans ce
                                                                                            L    a langue mélodieuse de
                                                                                                 Claude Vallières souligne sa
                                                                                            relation d’appartenance au milieu
                                                                                                                                          Marquées d’un certain
                                                                                                                                      romantisme, ces nouvelles se
                                                                                                                                      signalent par leurs qualités
    prend la plume pour s’adresser                 lieu qu’elle rapproche de l’Éden.        musical. Membre du quintette              littéraires. Dans l’une d’elles,
    à sa maîtresse, qu’elle appelle sa             Cette mini-série se termine par          a capella La bande magnétik et            avec une bienveillante ironie,
    « chère amie », pour tenter « de               « Dear Geneviève », le nom d’em-         auteur d’ouvrages pédagogiques            un préposé aux bénéficiaires
    compléter le portrait », qu’elle juge          prunt de la narratrice de l’apostille,   associés à la musique, il démontre,       mentionne que les livres de
    à peine esquissé et injuste.                   dans laquelle l’écrivaine rappelle       en signant un second recueil de           Jacques Poulin « sont travaillés,
                                                   le souvenir de Fatouma, qui lui          nouvelles remarquable, qu’il peut         retravaillés, corrigés, peaufinés »
                                                   écrit à l’insu de son mari, car la       également nous faire entendre une         (p. 111). Une observation qui
                                                   femme musulmane ne jouit pas de          voix riche et empreinte d’émotion         fait sourire puisque d’évidence
                                                   la liberté dans le couple. Aussi lui     par le biais de la littérature.           les histoires de Vallières sont
                                                   annonce-t-elle qu’elle a finalement          Les jours où je suis né, un premier   également polies avec délicatesse.
                                                   quitté mari, fils et emploi, pour        livre publié en 2005, n’est pas           Elles le sont sans affectation,
                                                   entreprendre une nouvelle vie.           resté sans écho, et la parution de        en toute simplicité, parce que
                                                       Dans les dernières nouvelles, la     J’attendais que tu oses un geste          l’écrivain artisan semble connaître
                                                   nouvelliste évoque son désarroi          témoigne de l’intérêt grandissant         les vertus merveilleusement
                                                   quand elle a appris qu’elle souffrait    de Vallières pour l’écriture. Dans        thérapeutiques d’un livre bien
                                                   d’un cancer du sein, un cancer           ce recueil, constitué de douze            écrit.
                                                   fulgurant, et ses peurs quand elle       histoires, il s’exprime par le                              GINETTE BERNATCHEZ
                                                   a dû se soumettre à une série            truchement de narrateurs dotés
                                                   de traitements chocs. C’est sans         avant tout de bonne volonté. Ces
                                                   aucun doute la partie la plus            hommes secoués par la douleur
                                                   émouvante, la plus émotive aussi         physique ou morale – la leur ou
                                                   de ce merveilleux recueil, écrit         celle des autres – s’ingénient à

6   Québec français 157 | P R I N T E M P S 2010
NOUVEAUTÉS

                                                                                    Journaliste devenue romancière,
  ESSAI                                  l’écriture est une tâche lourde à
                                                                                  Anne-Marie Sicotte est passionnée
                                         supporter pour Gélinas ou à quel
                                                                                             d’histoire, ce qu’illustrent
  ANNE-MARIE SICOTTE                     point il est soucieux de perfection,
                                                                                 notamment son ouvrage historique
  Gratien Gélinas en                     c’est l’homme continuellement en
                                                                                 Quartiers ouvriers d’autrefois (2004),
  images : Un p’tit comique              représentation qui est au centre
                                                                                    sa biographie Marie Gérin-Lajoie,
  à la stature de géant                  de l’ouvrage. L’auteure l’observe
                                                                                      conquérante de la liberté (2005),
  VLB, Montréal                          d’ailleurs bien : « Dans une scène
                                                                                      et son roman Les Accoucheuses
  2009, 175 pages                        soigneusement préparée pour le
                                                                                     (2006), qui s’inspire de l’histoire
                                         bénéfice du photographe, toute
                                                                                       des sages-femmes au Québec.
P    etite-fille de Gratien Gélinas,
     Anne-Marie Sicotte ne s’est pas
contentée de connaître son grand-
                                         la famille Gélinas se penche sur les
                                         plans de la future Comédie cana-
                                         dienne » (p. 135). D’une certaine
                                                                                   Petite-fille de Gratien Gélinas, elle
                                                                                   a publié à l’occasion du centième
                                                                                    anniversaire de naissance de son
père, elle a cherché à l’approfondir,    manière, les images permettent                                                                      L’auteure dans les bras
                                                                                        grand-père Gratien Gélinas en                            de son grand-père.
à voir ce qui a fait de lui le Roi des   au propos de gagner en concision,
                                                                                 images : un p’tit comique à la stature
Amuseurs pendant les décennies           mais du coup, celui-ci perd beau-
                                                                                  de géant et réédité Gratien Gélinas :
1940 et 1950 au Québec.                  coup en nuances. Ainsi, les idylles
                                                                                                   la ferveur et le doute.
    Avec Gratien Gélinas en images :     amoureuses, aussi secrètes soient-
un p’tit comique à la stature de         elles, que Gélinas a entretenues
géant, elle propose un véritable         pendant sa carrière malgré son
condensé de la biographie qu’elle        amour pour son épouse Simone,
vient de rééditer, Gratien Gélinas :     sont davantage mises en évidence,
la ferveur et le doute. Présentant       entre autres par la diffusion de
au-delà de 175 photographies, illus-     quelques lettres d’amour.
trations et extraits de manuscrits ou        Il faut néanmoins reconnaître le
de journal, l’ouvrage est construit      mérite de Gratien Gélinas en images
en neuf chapitres, qu’elle nomme         d’offrir au lecteur, en complément
actes, précédés et suivis d’un           à une biographie remarquable-
prologue et d’un épilogue. Une           ment étoffée, le portrait de cet
telle forme permet à l’auteure de        homme d’origines modestes qui,
recenser en peu de mots les étapes       en devenant un de ses premiers
importantes de la vie de celui qui a     créateurs professionnels, a pavé la
fait de Tit-Coq la première pièce de     voie à la dramaturgie québécoise.
théâtre véritablement québécoise.                              SERGE BERGERON
Après une brève mise en contexte,
les photographies et autres illus-         Gratien Gélinas :
trations se succèdent, présentant          la ferveur et le doute
Gratien Gélinas autant sur scène,          TYPO, Montréal
en coulisses ou en salle de répé-          2009, 718 pages
tition que dans son bureau ou
dans sa vie privée. Les commen-
taires sont généreux et donnent
un aperçu de la passion qu’il avait
                                         R    éédition en format poche de
                                              l’ouvrage paru en deux tomes
                                         en 1995 et 1996, Gratien Gélinas : la
pour le théâtre, en particulier la       ferveur et le doute est une biogra-
comédie, dès son plus jeune âge :        phie sérieuse, érudite. L’auteure
« Cet humour que ses parents             puise à même les archives de
manient avec aisance, cette apti-        Gélinas, qui a eu le souci de
tude innée à tricoter un récit capti-    conserver les manuscrits de ses
vant, Gratien en fait l’acquisition      sketches et de ses pièces, son
très jeune. Dès lors, il n’aura de       journal et ses correspondances.
cesse de faire fructifier son talent ;   Mais les traces de la romancière
manquant d’estime de lui-même, il        s’y révèlent déjà, ne serait-ce que
se nourrira des rires suscités et des    dans sa manière d’amorcer sa
élans d’affection qui s’ensuivent. La    biographie : « Gratien n’est même
scène devient sa drogue, sa raison       pas âgé d’un an lorsque, dans les
de vivre, le soleil de son existence »   bras de sa mère Genèva, il quitte
(p. 15).                                 sa Mauricie natale pour s’installer
    Au contraire de La ferveur et        dans la métropole canadienne »
le doute, cependant, Anne-Marie          (p. 11). Elle revient ensuite sur les
Sicotte a beau souligner combien         rapports entre Genèva Davidson et

                                                                                                                     P R I N T E M P S 2010 | Québec français 157      7
son mari, Mathias, si tendus qu’ils            capacité à écrire, le plus impi-         grand-père se manifeste en parti-        une vingtaine d’années, à l’écriture
    marquent à jamais Gratien Gélinas.             toyable survenant au bout de             culier dans une conclusion émou-         créative. Son œuvre a été étudiée
    Il n’y a qu’à voir l’ambivalence de            deux représentations seulement           vante qui dévoile les dernières          ainsi que récompensée, entre
    l’homme, qui se dit profondément               de Tit-Coq à New York en 1951.           années de celui qu’elle appelle          autres, par le prix du Gouverneur
    amoureux de Simone, la mère de                 Cela explique peut-être que la           Gratien dans tout le livre et qu’elle    général en 2004 pour son recueil
    ses six enfants, et qui demeure                rigueur qu’il impose à ses collabo-      a interviewé à huit reprises en          de poésie Les jours à vif. Les Cahiers
    distant avec sa famille, refusant de           rateurs, dont ses propres enfants,       1992 avant de s’apercevoir qu’il         d’Icare s’ajoutent comme onzième
    se laisser aller aux témoignages               se rend jusqu’à des colères exces-       « confondait deux événements,            ouvrage à son œuvre poétique.
    d’affection même devant la mort                sives où il se montre intraitable.       s’emmêlait dans les dates et                 Dès l’avant-propos, les cahiers
    de son épouse en 1967 ou de sa fille           Quant à l’administrateur, surtout        surtout, [qu’]il devenait de plus        se présentent en tant qu’ailes
    aînée, Sylvie, en 1989. Il adopte un           de la Comédie canadienne, Sicotte        en plus ardu de le faire parler »        fixées au dos du poète. Ce dernier
    comportement semblable avec la                 présente un homme entêté qui             (p. 670). Après une présentation         connaît déjà sa destinée : c’est
    comédienne Huguette Oligny, dont               fonde l’espoir de mettre en valeur       aussi minutieuse et réglée de la vie     Icare qui chute, parce que l’humi-
    il s’est épris secrètement pendant             la dramaturgie canadienne. C’est         de Gélinas, le lecteur y découvre        dité de la mer et la chaleur du soleil
    les tournées des Fridolinades dans             pourtant là que Gélinas trouve           alors à regret un homme dont la          ont raison de l’appareil qui assure
    les années 1940 et qu’il épouse six            un bon nombre de ses détrac-             vivacité s’est affaiblie au point de     les « vanités du planement ». Mais
    ans après la mort de Simone.                   teurs : « Les compagnies de théâtre      ne plus être l’ombre de celui à qui      cela ne suffit pas à écraser l’en-
        L’art de Sicotte est de montrer            comme le TNM et le Théâtre-Club,         l’on attribue d’emblée le titre de       thousiasme qui vient avec l’écri-
    les conflits intérieurs qui rongent            issues des Compagnons et bran-           père de la dramaturgie québécoise.       ture, « qui vous réconfort[e]
    Gratien Gélinas, lui qui « lutte               chées vers Copeau et son école,                                SERGE BERGERON     l’intime condition humaine tout en
    constamment contre un doute                    ne le considéraient pas comme                                                     vous propulsant vers des engage-
    destructeur en ses capacités »                 quelqu’un de la gang. Il était trop        POÉSIE                                 ments supérieurs ». La prose intro-
    (p. 189). De toute évidence, l’écri-           populaire, apparenté au théâtre                                                   ductive installe donc, en quelques
    ture, comme les affaires, est pour             des variétés » (p. 418), dit à son         ANDRÉ BROCHU                           phrases et réflexions coulantes,
    lui un exercice difficile, où il ne            sujet Jacques Languirand. En ce            Cahiers d’Icare                        un appétit amusé qui motivera
    peut admettre que la perfection,               sens, La ferveur et le doute est aussi     Triptyque, Montréal                    les élans du poète, désireux de
    parce qu’il cherche constamment                un panorama particulièrement               2009, 100 pages                        « s’éprouver total dans l’instant d’à
    l’amour de son public et craint                éclairant qui illustre à quel point                                               présent ».
    l’échec comme son pire ennemi. Si
    ses réussites avec Fridolin, Tit-Coq
    ou Bousille font de lui un homme
                                                   Gratien Gélinas a vu, surtout entre
                                                   les années 1940 et 1960, l’urgence
                                                   pour le Canada français de se
                                                                                            A     ndré Brochu a abordé la litté-
                                                                                                  rature de diverses manières.
                                                                                            Il a enseigné à l’Université de
                                                                                                                                         Le premier cahier du recueil
                                                                                                                                     raconte une envolée euphorique
                                                                                                                                     rendue possible par « les choses du
    de théâtre admiré et populaire                 créer une dramaturgie qui lui soit       Montréal tout en menant une              jour » qui exaltent le corps vivant,
    partout au Canada et aux États-                propre.                                  vie d’auteur ; il s’est essentielle-     c’est-à-dire l’amour, la rencontre
    Unis, il n’en vit pas moins des                   La tendresse qu’éprouve Anne-         ment consacré à la critique litté-       de l’autre. La chair se dévoile
    échecs qui minent peu à peu sa                 Marie Sicotte pour son célèbre           raire avant de se dédier, depuis         sensible à outrance. Néanmoins, si

           ILLUSTRÉ                                                                                         œuvre d’art : imprimé en couleur sur papier glacé, il recèle
                                                                                                            des illustrations qui se situent souvent à mi-chemin entre
           CHRISTIAN QUESNEL [dir.]                                                                         la bande dessinée moderne de qualité et la peinture, et
           La machine du Bonhomme Sept-Heures.                                                              cet art n’est pas sans rappeler le superbe travail de l’ar-
           Nouvelles fantastiques outaouaises                                                               tiste montréalais Dominique Desbiens. Nombre d’illus-
           Studio coopératif Premières lignes                                                               trations mettent mal à l’aise tellement elles synthétisent
           Gatineau, 2009, 111 pages, coll. « Souches »                                                     l’horreur qui suinte des textes de Bolduc. Des jeux de
                                                                                                            superposition confèrent à certains personnages des airs

        L   e Studio coopératif Premières lignes offre ici une
            œuvre unique : l’illustration de quatre nouvelles
        fantastiques de Claude Bolduc, un auteur qui s’est
                                                                                                            de cadavres ambulants ou de squelettes qui s’ignorent.
                                                                                                                Dans cet ouvrage, une image vaut mille maux, et c’est
                                                                                                            pourquoi la portion narrative de chaque récit est mini-
        distingué tant en Belgique qu’au Québec et qui a fait                                               maliste : les ambiances sont rendues à merveille par l’il-
        son créneau de la nouvelle fantastique d’inspiration                                                lustration sombre de la majorité des histoires. On joue
        gothique – particulièrement de la glorieuse époque                                                  habilement sur le caractère à la fois vétuste de certains
        de la ghost story anglo-saxonne. Plusieurs artistes ont collaboré à cet             personnages et de l’« emballage », pour ainsi dire – comme si le lecteur
        ouvrage, soit comme illustrateurs, soit comme scénaristes : Aline Bégin,            avait accès à un grimoire ancien –, et sur la modernité de la mise en
        Anik Deslauriers, Danielle Grégoire, Guy Jean, Dominique Laurent, Marie-            images des récits à proprement parler. Tout est léché, beau, inspirant.
        France Thibault et Stanley Wany.                                                      Plusieurs des illustrations qui prennent vie dans ce livre pourraient
           La machine du Bonhomme Sept-Heures illustre les nouvelles « De                   orner les murs des plus grandes galeries d’art… et de la salle de séjour
        l’amour dans l’air », « Œillades », « Regarde-moi » et « Il ne faut pas que         du féru de fantastique que je suis !
        je dorme ». Le résultat est splendide. Ce livre, en tant qu’objet, est une                                                                      STEVE LAFLAMME

8   Québec français 157 | P R I N T E M P S 2010
NOUVEAUTÉS

le poète ne cherche pas de détours       cahier s’exprimait avec force,          le bleu ° profond s’éteint avant              métaphysiques soulevées par une
pour en dire la sensualité, il accède    on ne trouve aucune colère ou           l’aube ». On sent cette poésie                vieille femme (« Dis-moi, o est-ce
souvent à des images touchantes,         frustration pour lui répondre avec      sous le pinceau de la peintre,                que l’âme existe ? » [p. 21] ; « Y a-t-il
empreintes d’un éros lyrique : « je      la même intensité. L’euphorie a         lumière de l’intime, grisaille du lit à       quelque part quelque chose o qui
suis tu es notre salve de joie º notre   plutôt cédé la place à une sagesse      quitter. D’ailleurs de magnifiques            n’existe pas et qui soit vraie [sic] ? »
baiser de chair et d’os comme            qui atténue l’impact de la chute, le    photographies en couleur de Jean-             [p. 24]) et celles du chorégraphe,
une averse de º ciel dur ». L’amour      poète subit avec résignation son        Pierre Malo embellissent les pages            plus orientées vers l’activité du
constitue le gage d’une félicité         sort : « corps, prends mon souffle º    centrales du recueil.                         danseur. Les réponses apparaissent
cependant minée de l’intérieur           et mon souci d’aimer ».                                          ANDRÉ GAULIN         dans l’esprit d’Ariel – et sur la
parce qu’elle s’avère une « pléni-          Cent pages ont réussi à                                                            page –, donnent un sens à ses
tude º oublieuse », source d’un          construire un Icare détendu,               LARRY TREMBLAY                             mouvements et au spectacle qui
aveuglement dans l’extase. Icare         prêt à accepter sa nature finie,           L’Arbre chorégraphe                        se joue, Sarabande et sarbacane :
se découvre des « plumes frois-          puisque « l’éternité […] enduit            Le Noroît, Montréal                        « danser c’est à l’espace o donner
sées » et commence à se méfier           le moi mort de la plus tendre              2009, 46 pages                             l’occasion o de sortir de sa tristesse o
des « lexiques º de [ses] plus chers     indifférence ». D’ailleurs, le temps                                                  ou de son habitude d’être là o
mensonges », l’entreprise d’écri-
ture le menaçant par son pouvoir
d’illusion.
                                         est une préoccupation qui traverse
                                         plusieurs des recueils de poésie
                                         de Brochu. Cela laisse croire que le
                                                                                 L   arry Tremblay est surtout
                                                                                     connu pour son théâtre, bien
                                                                                 qu’il ait écrit un bon nombre
                                                                                                                               […] je danse o et je suis o cahier
                                                                                                                               registre o compte rendu de la
                                                                                                                               lumière o amuseur public o gourde
                                         besoin d’une parole à soi-même,         d’essais, de récits et de poèmes.             qui se vide o ironie du sort o avaleur
                                         confiante et harmonieuse, l’a           Entre le pouce et l’index, L’Arbre            de dés o traverse de chemins o
                                         emporté sur un discours voulu           chorégraphe occupe peu d’espace ;             jacassement o dans les prés roux o
                                         mythologique.                           pas exactement un recueil de                  je sarabande et tu sarbacanes o
                                                                                 poèmes, mais un livre de poésie               mais il n’y a rien à dire » (p. 32-33).
                                           AGNÈS RIVERIN                         tout de même. On dira, pour                   Est-ce là l’« expérience poétique »
                                           Une île près de l’œil                 être plus précis, qu’il s’agit d’une          véritable, celle d’un corps empêché
                                           Planète rebelle, Montréal             relation, celle d’une « expérience            de parole (« Ariel est muet. Il s’est
                                           2009, 56 pages                        poétique » (p. 11).                           coupé la langue » [p. 29]) qui trouve
                                                                                     Divisé en trois parties                   pourtant le moyen de se dire dans

                                         T   oujours accompagnée
                                             sobrement par un fond musical
                                         de France Andrée Sevillano,
                                                                                 (« L’inconsolable soif », « La prière
                                                                                 du danseur avant le spectacle »
                                                                                 et « L’œil du soir »), le livre
                                                                                                                               la mise en scène théâtrale ?
                                                                                                                                   L’œuvre se termine par une
                                                                                                                               promenade dans la ville, rythmée
                                         la poésie d’Agnès Riverin est           s’amorce sur une réflexion à                  par la succession des jours de la
                                         rendue par elle-même sur le CD          propos de la rareté de la poésie              semaine ; belle façon de boucler
                                         accompagnateur du livre, qui dit        (dans son éclosion comme dans                 une expérience animée par la
    La lumière hyperbolique est          le recueil tout entier, la musique      sa fréquentation), qui se résume              déambulation du corps et de
disparue dans les « voies de nuits »     en intermède marquant les sept          dans une image : « La poésie                  l’âme. Un livre qui, comme le
qui composent le second cahier :         parties. C’est une austère récitation   est un poisson d’or qui, une fois             danseur, « fai[t] de l’espace » (p. 31).
il faut « oublie[r] [l]es grands         d’un texte que l’on devine être         sur un milliard, lance un éclair »                              EMMANUEL BOUCHARD
malheurs personnels º qui font           une longue et belle prosopopée          (p. 9). Cette rhétorique prépare
pâlir les génocides ». Dans un lent      de l’amour. Explorant le corps          la suite : l’abandon volontaire du               CHRISTIAN VÉZINA
mouvement dysphorique, le poète          de l’amant, qui semble parfois          poète qui se défait de ses propres               L’inventaire des miracles
survole quelques fléaux humains          lointain, la soupirante avance          chaînes dans une rencontre                       Planète rebelle, Montréal
assez convenus, que ce soit la           dans la découverte cosmique du          manifestement déterminante, celle                2009, 107 pages
guerre, la pauvreté, la solitude         territoire charnel, à coup d’images     de l’Inde, qu’incarne la figure d’un
ou la violence. La chute racontée
n’est plus celle d’un individu mais
celle d’une collectivité parcellaire,
                                         riches comme « Gris mes yeux où         homme posté « sous la branche
                                                                                 d’un banian » (p. 12) adressant ses
                                                                                 conseils au voyageur : « plante
                                                                                                                               R    écitant professionnel connu,
                                                                                                                                    Christian Vézina est aussi
                                                                                                                               poète. Sa poésie est faite de petits
que l’on tente de saisir dans                                                    une aiguille dans ta pupille o laisse         tableaux vifs de la vie quotidienne
son unité en « parcour[ant] le                                                   couler o l’eau de mots salée o où             et de la flânerie, « Un soir
mince espace de la souffrance »                                                  s’use l’énigme de ta conscience o             d’octobre » par exemple, toujours
commune. Toutefois, ceci n’éclipse                                               […] ne tente pas de te retrouver o            à la frontière de la contemplation.
pas le malheur partagé le plus                                                   le voyage t’efface o tu arriveras             D’autres fois, le poète évoque
fondamental, c’est-à-dire la mort.                                               mais où et pourquoi o et l’espace te          finement l’épaisseur du paysage
Le corps tout feu tout flamme est                                                manquera où glisser ta raison (p. 13,         qui change par l’histoire, ce que
ridiculisé par le temps qui passe :                                              17-18). À ces préceptes succède la            rend bien Marcel Sabourin, diseur
« vous annulez votre naissance º                                                 danse – celle d’une jeune femme               du poème « Notre bon Saint-
d’un seul acte gravé dans votre                                                  d’abord, puis celle d’Ariel dans              Joseph ». Car c’est là l’originalité
chair périssable ». Étrangement,                                                 la deuxième partie du livre –,                de cette collection « Poésie » de
si la vitalité naïve du premier                                                  qu’accompagnent les questions                 l’éditeur d’avoir intégré un CD au

                                                                                                                           P R I N T E M P S 2010 | Québec français 157    9
recueil. Il faut dire que Vézina, qui          de Boulerice dérange : il grafigne        PÉRIODIQUE
     a fréquenté maints poètes, a pu                un peu notre vision de l’enfance et
     compter aussi beaucoup d’amis                  nous indispose. C’est un livre qui        COLLECTIF
     qui disent ses poèmes (notamment               marque. Et c’est heureux.                 Jeu. Revue de théâtre,
     Michel Garneau, Janine Sutto,                      Le petit Jérémie tombe                no 132 (octobre 2009)
     Robert Lalonde…), accompagnés                  éperdument amoureux d’Arthur,             « Portraits d’une génération »
     sobrement mais richement par le                un adolescent venu rôder le               Montréal, 175 pages
     compositeur Yannick Plamondon.                 long de la clôture de son école
     Les trois dernières plages faites de
     sa seule musique nous permettent
     de prolonger l’extase tout en
                                                    primaire. Il est d’abord séduit
                                                    par la gentillesse d’Arthur, par
                                                    l’importance qu’il lui accorde, lui
                                                                                           L    a revue Jeu, publication phare
                                                                                                du monde théâtral québécois
                                                                                           publiée depuis 1976, offre dans
     jonglant. Le lecteur-auditeur veut             qui à la maison passe toujours         son dernier numéro un dossier
     bien suivre le texte (ce que ne lui            après sa grande sœur et, bien sûr,     fort étoffé portant sur des auteurs,
     facilite pas le descriptif final du CD,        par son assurance et son physique.     comédiens, metteurs en scène et scénographes se distinguant depuis au
     qui aurait gagné à être plus précis)           Après avoir échangé une poignée        moins quinze ans sur nos scènes. Le rédacteur en chef, Christian Saint-
     si bien rendus par autant de voix              de phrases, voilà qu’Arthur            Pierre, dans la présentation de ce numéro, explique en partie ce choix par
     dont celle de Vézina lui-même, et il           l’invite chez lui le soir même :       le désir de compenser le fait que le tout récent Dictionnaire des artistes du
     a envie de lire plus attentivement             « En lui donnant mon numéro            théâtre québécois, lors de sa parution, avait été contraint, faute d’espace,
     tous ces autres textes qui sont                de téléphone, je n’étais pas seul.     de mettre de côté tout un pan de nouveaux visages devenus en peu de
     restés sans voix, hormis celle du              J’avais un petit hamster à la place    temps des figures de proue de la relève. Les gens du milieu et l’amateur
     lecteur lui-même, s’il veut bien               du cœur. Ma bête hyperactive me        de théâtre ne peuvent que saluer ce désir de « remédier à la situation »,
     sonoriser cette poésie écrite dans             grugeait les côtes. […] Pendant        car les vingt portraits dans ce numéro, s’ils paraissent en effet constitués
     la marge des jours.                            les cours de l’après-midi, notre       de créateurs dont le travail mérite d’être souligné, donnent l’occasion
                               ANDRÉ GAULIN         professeure Thérèse ne remarqua        surtout d’en savoir un peu plus sur plusieurs jeunes artistes qui ne sont
                                                    pas qu’un de ses élèves s’était fait   pas nécessairement encore connus de tout un chacun. D’autant plus que
        ROMAN                                       mordre le cœur par un adolescent       le féru de théâtre, même le plus assidu, pour des raisons souvent géogra-
                                                    roux. J’étais l’élève qui perdait      phiques, ne sait pas toujours qui fait quoi et de quelle brillante façon sur
        SIMON BOULERICE                             la vie, le sourire aux lèvres. […]     la scène québécoise. Et justement, ce qui apparaît, à mon avis, comme
        Les Jérémiades                              C’était le 5 septembre et ma vie       le plus réjouissant dans cette série de vignettes, c’est l’excellent échan-
        Les Éditions Sémaphore,                     intime commençait. » (p. 16). Et la    tillonnage dans la liste des portraits choisis qui permet autant au public
        Montréal, 2009, 152 pages                   maison de brique rouge où habite       de Montréal de découvrir les créateurs qui s’illustrent à Québec que d’at-
                                                    Arthur devient vite sa chapelle        tirer l’attention des gens de la Vieille Capitale sur des artistes montréalais

     S   imon Boulerice a écrit des
         pièces de théâtre et a remporté
     en 2009 le prix Piché de poésie
                                                    ardente.
                                                        Simon Boulerice dépeint
                                                    Jérémie comme un enfant
                                                                                           de grand talent… dont la bouille n’apparaît pas nécessairement dans
                                                                                           le dernier épisode de Virginie. En constatant dans ce numéro de Jeu
                                                                                           comment peut être foisonnant et prometteur le paysage en devenir de
     de l’Université du Québec à Trois-             démesuré, entier, féru d’hyperbole     nos créateurs de la scène, on souhaite en même temps que ceux-ci, tout
     Rivières pour son recueil Saigner              et de romance extatique et bon         en prenant solidement racine dans leurs milieux respectifs, deviennent
     des dents. Voici qu’il explore le              marché : il est un téléspectateur      suffisamment appréciés et « populaires » pour se voir offrir les occasions
     genre narratif : Les Jérémiades est            assidu des soaps américains.           d’exercer leur métier sous de multiples cieux. Tout le monde y gagnerait
     son premier roman, publié aux                  Jérémie est aussi, on l’aura deviné,   alors, artistes comme spectateurs.
     excellentes Éditions Sémaphore,                un enfant singulièrement seul : sa         Les vingt portraits, que la revue qualifie de « vibrants », sont tous
     fondées en 2003. Il s’avère que                famille l’élève avec indifférence et   rédigés par des analystes emballés par leurs sujets, dont ils ont visible-
     l’univers romanesque lui réussit               il n’a pas vraiment d’amis, hormis     ment suivi avec attention l’évolution dès leurs premiers faits d’arme
     plutôt bien…                                   cette fille avec qui il correspond.    dans la faune théâtrale. Et ces élus sont : Magalie Amyot, Émilie Bibeau,
        Les Jérémiades raconte les                  Tout est donc en place pour            Frédéric Blanchette, Étienne Boucher, Catherine Bourgeois, Alexia Bürger,
     amours peu orthodoxes de deux                  qu’Arthur devienne le centre de        Sophie Cadieux, Maxime Denommée, Frédéric Dubois, Francis Ducharme,
     jeunes garçons, l’un ayant quinze              son univers, pour que Jérémie se       Hugues Frenette, Martin Genest, Johanne Haberlin, Olivier Kemeid, Chris-
     ans et l’autre… neuf ans. On                   coule dans leurs amours… et s’y        tian Lapointe, Benoit McGennis, Francis Monthy, Olivier Morin, Marylin
     pourrait d’abord penser à des                  noie.                                  Perrault, et Evelyne Rompré. St-Pierre tient à rappeler d’ailleurs, d’entrée
     amours innocentes, faites d’amitié                 Le style de Boulerice est          de jeu, les choix déchirants qu’a dû faire l’équipe de rédaction qui n’a pu,
     et de jeux, où la camaraderie est              remarquable : il sait créer des        à l’instar du Dictionnaire…, mettre dans cette liste tous ceux qui auraient
     prise pour de l’amour. Mais il n’en            images percutantes, il navigue         bien mérité de s’y trouver. Comme à l’habitude, les articles de ce numéro
     est rien : il est question dans ce             habilement entre les jeux enfantins    sont accompagnés de superbes photos noir et blanc qui pourraient faire
     récit d’une histoire amoureuse                 et les gestes d’adulte, parle dans     dire à certains de ses habitués – à l’inverse de ceux d’un célèbre mensuel
     non seulement homosexuelle,                    un même souffle de cigarettes          américain – qu’ils consultent la revue encore plus pour ses photos que
     mais également pédophile, dans                 Popeye et de sexe. Il sait rendre      pour les articles. Cela dit, sans rien enlever à la qualité des textes publiés.
     laquelle les étreintes physiques               le personnage de Jérémie aussi                                                                       JOCELYN DUPLAIN
     prennent une large part. Nul                   attachant que pitoyable, alors qu’il
     besoin de dire que le petit roman              s’aventure dans des dérives que

10   Québec français 157 | P R I N T E M P S 2010
NOUVEAUTÉS

l’enfance ne peut comprendre, ne        Mais, hélas !, la même vieille             JEAN-FRANÇOIS CHASSAY                       avec son fils le tue à petit feu et
peut surmonter. Ses jérémiades          et sombre histoire se répète :             Sous pression. Tragédie                     est l’une des causes de la fracture
rappellent en un sens les               un chirurgien séduit l’objet               potentielle annoncée en                     qui s’est produite en lui. Au cours
débordements de la Bérénice de          d’adoration du petit être pour             neuf tableaux, un prélude                   de cette journée qui sera proba-
Ducharme : Jérémie est aussi un de      suivre ses penchants de sadique,           et une fin de journée.                      blement la dernière, le protago-
ceux qui se fait avaler.                aidé en cela d’un des serveurs de          Boréal, Montréal                            niste du roman rencontre tour à
                    CHANTALE GINGRAS    l’hôtel. Le lutin se venge d’une           2010, 224 pages                             tour des personnes importantes
                                        manière on ne peut plus terrible :                                                     de son entourage qui tenteront
    NICOLAS CHALIFOUR
    Vu d’ici tout est petit
    Héliotrope, Montréal
                                        sans révéler la fin de l’histoire,
                                        soyez assuré que le dénouement
                                        n’a rien à envier à Stephen King.
                                                                                P   rofesseur au Département
                                                                                    d’études littéraires de l’Uni-
                                                                                versité du Québec à Montréal et
                                                                                                                               bien souvent maladroitement de
                                                                                                                               le dissuader de commettre l’irré-
                                                                                                                               parable. Étant eux-mêmes englués
    2009, 214 pages                         Sans la langue de la voix           auteur de plusieurs romans et                  dans leurs problèmes person-
                                        narrative et les raisonnements,         essais, Jean-François Chassay nous             nels et leurs souffrances, ces indi-

I  l ne faut pas se laisser leurrer
   par le ton et le vocabulaire de
ce premier roman de Nicolas
                                        tout comme les tours que joue le
                                        lutin aux clients et au personnel
                                        du manoir, il s’agirait simplement
                                                                                offre, dans Sous pression, le récit
                                                                                des vingt-quatre dernières heures
                                                                                de la vie d’un homme qui a prévu
                                                                                                                               vidus s’avèrent incapables de
                                                                                                                               le supporter et d’éprouver de la
                                                                                                                               compassion pour un homme qui,
Chalifour : écrit comme un conte        d’une sorte de thriller déguisé en      mettre fin à ses jours le soir même            à leurs yeux, possède tout pour
pour enfants, il n’a rien à voir avec   conte de fées. Un exemple : le petit    à minuit. L’homme aux idées                    être heureux, soit la santé, l’ar-
le genre. C’est plutôt le contraire.    bonhomme assiste en catimini à          suicidaires est un physicien de                gent, l’intelligence et le succès
La tension entre contenu et forme       un mariage où il se rend compte         quarante-sept ans, séparé depuis               professionnel. Malgré l’apparente
vient justement de la légèreté          qu’une vieille et grosse femme          environ vingt ans et qui a le senti-           abondance dans laquelle il vit, cet
frisant parfois l’incongru et les       s’est affalée dans un fauteuil. Pour    ment de se fondre à la grisaille et            homme a l’impression que l’es-
horreurs auxquelles nous assistons.     être plus confortable, elle a enlevé    au néant de son existence, une                 poir s’est broyé en lui et qu’il ne
     L’histoire est ingénieuse et, à    ses dentiers. Le lutin – il est âgé     existence de grande solitude                   pourra plus renaître. À la fin de la
nouveau, il faut féliciter la jeune     d’au moins deux siècles et demi –       dans un monde où tout va trop                  journée, après les neuf entretiens
maison d’édition montréalaise           a perdu ses dents depuis belle          vite et où les véritables relations            d’une heure durant lesquels il a été
d’avoir détecté un auteur               lurette. Alors il vole les prothèses.   humaines sont rares. Afin de ne pas            en grande partie muet et a plutôt
hautement prometteur. Quelque           Vous imaginez la suite ?                sombrer totalement dans l’apathie              écouté les confidences de ses amis,
part au Québec se dresse un                 Cet équilibre entre taquineries,    et pour se prouver qu’il n’est pas             maintenant qu’il est à nouveau
vieux manoir, brûlé lors de la          espièglerie, méchanceté enfantine       un mort parmi les vivants, matin et            seul, il devra choisir s’il continue à
Conquête. Un major s’y établit          et la vengeance sans merci de           soir il se marque le ventre à l’aide           vivre ou non.
avec sa femme et sa fille. Il ne sait   l’être qui souffre comme un adulte      d’un couteau. La douleur physique                  S’intéressant aux rapports entre
pas que les lieux sont occupés par      des trahisons dont il est la victime,   ne parvient pas à égaler l’une de              science et littérature et notam-
ce qui semble être un lutin dont la     séduisent le lecteur. Bref, avec ce     ses plus vives déceptions, le désin-           ment à la figure du savant dans la
passion principale est d’épier les      premier roman d’un jeune écrivain,      térêt de son fils pour ce qu’il fait et        fiction, l’auteur, tant par ses
occupants de la maison. Narrant         une nouvelle voix s’ajoute à la         ce qu’il est. Tout semble concourir            œuvres romanesques que par ses
l’histoire du manoir dans une           littérature québécoise, une voix        à les éloigner l’un de l’autre, le fils,       travaux théoriques, tient à souli-
langue proche de celle des enfants,     fraîche, intelligente à souhait,        indifférent à l’étude des particules           gner l’importance de la science
cet être infiniment petit assiste à     au registre parfaitement posé.          élémentaires de la matière, est                et de son savoir dans la culture.
des scènes troublantes (du viol en      Écoutez-la, vous en redemanderez        devenu mécanicien alors que son                Les références à la littérature, à
série) entre le propriétaire et une     d’autres arias.                         père déteste les voitures. La rela-            la science, à la peinture et à la
servante dont s’est épris le lutin.                        HANS-JÜRGEN GREIF    tion quasi inexistante du physicien            musique foisonnent dans cette
Coup de théâtre : un matin, on                                                                                                 œuvre où il dénonce entre autres
trouve l’ancien militaire pendu à                                                                                              un certain manque de culture de
une branche d’un vieux pommier.                                                                                                la société québécoise. Sur le plan
Soit dit en passant, les pommes,                                                                                               humain, ce roman témoigne des
qui sont souvent piquées des                                                                                                   difficultés de communication qu’il
vers, sont une métaphore filée                                                                                                 y a fréquemment entre les êtres,
tout au long du livre. Le manoir                                                                                               mais aussi d’un malaise ainsi que
est abandonné, tombe en ruines,                                                                                                d’un sentiment d’impuissance
jusqu’à ce qu’un promoteur le                                                                                                  face à la détresse d’autrui et, parti-
transforme, après plus de deux                                                                                                 culièrement, face au suicide. Le
siècles, en hôtel de luxe, « mag-ni-                                                                                           récit de Jean-François Chassay
fi-que », avec tout le confort                                                                                                 nous rappelle que la souffrance
moderne.                                                                                                                       psychologique n’a pas de visage,
     Le lutin tombe amoureux à                                                                                                 elle peut toucher tous les indi-
nouveau, cette fois d’une superbe                                                                                              vidus peu importe leur parcours
femme de chambre, belle comme                                                                                                  de vie, leur classe sociale ou leur
une pomme prête à être cueillie.                                                                                               profession. L’écriture de Chassay

                                                                                                                           P R I N T E M P S 2010 | Québec français 157   11
Vous pouvez aussi lire