Nouveautés Québec français - Érudit
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Document généré le 12 mars 2021 16:36 Québec français Nouveautés Sport et littérature Numéro 157, printemps 2010 URI : https://id.erudit.org/iderudit/61496ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (imprimé) 1923-5119 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu (2010). Compte rendu de [Nouveautés]. Québec français, (157), 4–18. Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2010 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
ESSAI […] du “maghanage” », en passant par l’équivoque, la cacophonie et MARIE-ANDRÉE BEAUDET, l’érotisation de la langue (p. 114). ÉLISABETH HAGHEBAERT Le quatrième chapitre, intitulé et ÉLISABETH NARDOUT- « Maghanage générique et cano- LAFARGE [dir.] nique », explore « comment la Présences de Ducharme marginalité de Réjean Ducharme Nota bene, Québec se manifeste dans les formes qu’il 2009, 351 pages déforme et dans les genres qu’il Coll. « Convergences » parodie et chamboule pour leur redonner vie » (p. 173). La margina- P résences de Ducharme regroupe les actes du tout premier colloque consacré à lité ducharmienne, loin de confiner l’auteur au statut de créature asociale et recluse, donne para– l’œuvre de Réjean Ducharme qui doxalement lieu à une « poétique s’est tenu à Montréal au printemps de convivialité à la fois à l’égard de 2007. Des intervenants de tous les ses lecteurs […] et comme motif milieux (universitaire, éditorial, dans l’œuvre même » (p. 225). Cette archivistique, littéraire, théâtral, ment, la partie « Scènes » présente ÉLISABETH HAGHEBAERT convivialité « pudique […] [et] libre etc.) permettent d’illustrer le vaste « une série d’études portant sur la Réjean Ducharme : une de tout diktat » (p. 251) est ainsi champ culturel où résonnent et dimension extra-littéraire, et non la marginalité paradoxale étudiée dans le dernier chapitre rayonnent, depuis plus de quarante moindre, du travail de Ducharme » Éditions Nota bene, Québec de l’ouvrage, intitulé « Dérapages ans, Ducharme et son œuvre. (p. 8). Une discussion portant sur le 2009, 337 pages de la tendresse ». Haghebaert y Les interventions sont regrou- théâtre de Ducharme et les enjeux Coll. « Littérature(s) » sonde et exhibe les codes narra- pées selon cinq sections. D’abord, de sa mise en scène est repro- tifs, culturels et affectifs utilisés par « Profils perdus » « apporte un nouvel éclairage sur l’entrée en littérature de Ducharme à la fin duite en ouverture (on peut y lire les propos des metteurs en scène Lorraine Pintal et Martin Faucher U ne promenade jubilatoire dans l’œuvre ducharmienne, voilà ce qu’offre la lecture de l’écrivain pour « rendre le lecteur affectueusement captif » de son œuvre (p. 235). des années 1960 » (p. 6). On y ainsi que ceux du critique Robert Réjean Ducharme : une margina- L’ouvrage de Haghebaert est trouve entre autres le témoignage Lévesque). Claire Jaubert aborde lité paradoxale d’Élisabeth Haghe- convivial. Finement menée et de Roger Grenier, des éditions ensuite l’écriture cinématogra- baert. Par sa démarche éclectique jamais aride, cette étude agit Gallimard, et l’article de Monique phique de Ducharme alors que et maîtrisée, elle présente une à la fois comme une référence Ostiguy, de la Bibliothèque et Chantal Savoie et Serge Lacasse étude dense et accessible qui incontournable et comme un Archives Canada, qui traite de l’état s’intéressent au travail de paro- permet aux lecteurs « universitaires détonateur qui donne envie de et du contenu du « Fonds Réjean lier de l’auteur. Le « Ducharme- ou non, [de trouver] rassemblé lire (ou relire) Ducharme et de Ducharme ». Des reproductions plasticien » est présenté par et illustré […] l’essentiel de ce s’abandonner à ses multiples de manuscrits de L’hiver de force André Gervais qui interroge les qu’ils connaissent déjà en partie, marginalités. accompagnent son article. « trophoux », ces sculptures et mais agencé selon un itinéraire MARIE-HÉLÈNE VOYER Les rapports entre l’œuvre de tableaux que Ducharme créa sous destiné à mettre en valeur sous Ducharme et d’autres œuvres sont le pseudonyme de Roch Plante. un dénominateur commun – une CHRISTIANE LAHAIE sondés dans la section « Compli- Enfin, Rolf Puls « raconte l’éton- marginalité propre à la spécificité Ces mondes brefs. cités », qui s’ouvre sur la repro- nante aventure de deux carnets ducharméenne – les principaux Pour une géocritique duction d’une lettre manuscrite de dessins inédits de Ducharme aspects de l’œuvre et les diverses de la nouvelle québécoise de J.M.G. Le Clézio. Ce dernier […]. L’un de ces dessins illustre critiques dont elle a fait l’objet » contemporaine témoigne de l’impact qu’a eu la couverture de [Présences de (p. 14). L’Instant même, Québec Ducharme sur lui : « véritable Ducharme] et trois autres se trou- En cinq chapitres, l’ouvrage 2009, 457 pages âme sœur qui [l]’aidait à garder vent à l’intérieur » (p. 8). aborde la marginalité et la singu- Coll. « Essai » confiance dans l’acte d’écrire » Protéiformes et pluridiscipli- larité de l’auteur (chapitre 1) « qui (p. 66-67). Le volet « Langue et voix » réunit des contributions portant sur le travail du texte de naires, la vingtaine d’interven- tions regroupée dans Présences de Ducharme constituent une accomplit le paradoxe de mani- fester sa présence en la dérobant » (p. 39). Les « personnage(s) et lieux L a nouvelle, souvent considérée comme un genre mineur, profite certainement de ce Ducharme et permet entre autres mine d’information soutenue du marginal ducharméen » sont genre d’étude auxquelles nous de lire l’article d’Ivan Maffezzini qui par une volonté commune de mis en relief dans le deuxième convie Christiane Lahaie. Le titre explique les défis que lui a posés la mettre en lumière le potentiel sans chapitre avant d’aborder, dans l’indique clairement : il s’agit traduction de L’avalée des avalées cesse revisité de l’œuvre duchar- le troisième, les manifestations d’une monographie dont l’objectif en italien. La section « Lectures » mienne qui, pour notre plus grand du marginal langagier chez est de faire converger l’analyse offre à lire trois synthèses qui profi- bonheur, n’a pas fini de nous livrer Ducharme : « celui-ci proc[édant] de la nouvelle québécoise et lent de nouvelles pistes de saisie ses secrets. [à la fois] de la récupération ou la géocritique en une même de l’œuvre ducharmienne. Finale- MARIE-HÉLÈNE VOYER du recyclage, de la traduction ou enceinte afin de faire émerger les 4 Québec français 157 | P R I N T E M P S 2010
NOUVEAUTÉS représentations spatio-temporelles essentiellement, de son caractère nouvelle. Incertitudes rassemble FRANCINE D’AMOUR qui affectent le rapport à la langue bref. La description n’étant pas en un recueil des textes brefs Pour de vrai, pour de faux des écrivains contemporains. Qui le propre de la nouvelle, les lieux qui, pour reprendre les mots Boréal, Montréal plus est, les travaux de Christiane sont davantage évoqués que de Musset, mettent l’accent sur 2009, 188 pages Lahaie sont couplés à d’autres détaillés : « La représentation l’inconstance, cette sœur de la folie. concernant la recherche-création. Ont donc été conviés Aude, Camille Deslauriers, Jean Pierre du lieu dans la nouvelle serait plutôt une non-représentation, s’apparentant du coup à un Onze histoires racontées par onze narratrices qui s’expriment avec un parti pris de « genre », en J ’ai été à nouveau séduit par le dernier recueil de nouvelles de Francine D’Amour, elle dont j’ai Girard, Louise Cotnoir, Carole condensé symbolique » (p. 17). esquivant sans grande méchanceté déjà vanté « l’indéniable talent ». David, Claude-Emmanuelle Yance, Un autre obstacle rencontré leurs vis-à-vis masculins. Maintes Ce qui fait l’originalité de Pour de Roland Bourneuf, Jean Désy, Sylvie lors de cette étude fut de faire fois à propos d’un certain « Gilles », vrai, pour de faux, c’est sa structure. Massicotte, Danielle Dussault, appel à une méthode critique dénominateur commun à la Plusieurs nouvelles se répondent, Hans-Jürgen Greif, Anne Legault, géographiquement localisée sur source de bien des tracas, elles car l’auteure a choisi de démêler Hugues Corriveau et Stanley le continent européen et de la spéculent sur le roulis émotionnel le vrai du faux en précisant, Péan, auxquels Lahaie a donné faire transiter vers un territoire qui perturbe le quotidien. dans ce qu’elle appelle tantôt une contrainte d’écriture : inscrire autre, celui de l’Amérique. Il Ces femmes sont de grandes préambule, tantôt apostille, à la dans leur intrigue un lieu (le pont semble, en bout de ligne, que la voyageuses, conséquemment, manière d’un prologue ou d’un Jacques-Cartier, une clairière, nouvelle ait un effet déréalisant les situations, les lieux et les épilogue, la genèse ou l’argument Atlantide, etc.). sur l’espace, une récurrence dans éléments du décor varient mais, qui a généré le texte inventé. C’est L’ouvrage se scinde en plusieurs la représentation qui origine, la plupart du temps, le moteur ainsi, par exemple, que, dans « Le chapitres qui s’intéressent tantôt selon Lahaie, de la nature concise du récit demeure la nécessité de bouchon », la nouvelliste raconte à cerner les stratégies d’écriture de la nouvelle. Et finalement, l’option. Or, comment savoir ce l’histoire pour le moins troublante pour transformer l’espace réel en c’est l’appréhension du réel, que l’on veut, quand l’idée même d’une femme, qui profite d’un espace textuel, tantôt à analyser plus largement, qui s’en voit de choisir nous désespère ? La ralentissement de la circulation les lieux investis par les diffé- nécessairement modifiée. perte d’une télécommande aura-t- causé par un énorme bouchon rents textes des nouvelliers, tantôt GENEVIÈVE DUFOUR elle raison d’un nouveau couple ? pour annoncer à son mari et à son aux commentaires des auteurs À moins que ce ne soit un voyage fils qu’elle a décidé de divorcer, quant à leur travail d’écriture sous NOUVELLE raté, la légèreté d’un conjoint peu ajoutant même qu’elle regrette contrainte et aux implications d’un raffiné ou le désir confus d’avoir de ne pas s’être fait avorter au lieu tel jeu. JOSÉE BILODEAU un bébé… de plaire à son mari. Il n’en faut Travailler à partir de la Incertitudes Les héroïnes de Bilodeau, pas plus pour que l’adolescent, géocritique comporte toutefois Québec Amérique, Montréal sensibles et impressionnables, se abasourdi, fruit de cette grossesse certains écueils. D’une part, cette 2010, 136 pages montent la tête en moins de deux, non désirée, se jette à corps approche théorique n’interroge tout en « recherchant la rassurante perdu et à perdre haleine dans la pas l’apport poétique d’une œuvre. Le roman est la voie généralement privilégiée et peu y dérogent. D es études en littérature et une carrière diversifiée dans le même domaine suscitent parfois impression d’être en totale maîtrise d’elle[s]-même[s] » (p. 54). Elles pleurent souvent, s’apitoient sur tempête de verglas qui sévit alors. Cette nouvelle, comme l’écrivaine l’avoue dans « Préambule au Lahaie souhaite donc adapter l’envie d’inventer sa propre fiction. leur sort et, quand elles ne sont pas Bouchon », elle l’a empruntée de l’étude de l’espace à la nouvelle Le désir d’écrire s’impose alors carrément la proie d’hallucinations, l’un de ses étudiants, dont elle dans la mesure où celle-ci propose comme un passage obligé. Ce frôlent la crise de nerfs. Pourtant, a oublié le nom, mais qu’elle a des représentations spatio- parcours a conduit Josée Bilodeau nous les comprenons tout à fait… baptisé Jérémie, qui a connu temporelles singulières du fait, vers le récit, le roman et enfin la Puisque cette incomplétude, « ce une expérience semblable alors manque trouble, lancinant comme qu’avec ses parents il se rendait en un mal de dents » (p. 22), chacun à vacances à Virginia Beach. Voilà le sa manière cherche à le combler. canevas de la nouvelle d’à peine Une récurrence des émotions, 500 mots de l’ado que Francine le retour cyclique de certains D’amour s’est approprié en y personnages et des situations ajoutant de la chair autour de l’os, vaguement entrelacées préservent tout en espérant que l’élève qui l’a l’unité du recueil. Le ton doux- nourrie et dont elle a perdu la trace amer laisse poindre un humour lira la nouvelle, que l’écrivaine plein de finesse. Quant à la qualité complète par une lettre, « Lettre de l’écriture, elle est indéniable. d’amour signée Gros-Jean », que Des phrases justes et bien pensées le père adresse à son fils Jérémie incitent d’ailleurs à « goûter » pour l’assurer de son aide en dépit plutôt qu’à « dévorer » ce petit de la séparation. livre attachant aux couleurs Les deux nouvelles suivantes d’aujourd’hui. témoignent de la passion GINETTE BERNATCHEZ qu’entretient l’écrivaine pour les P R I N T E M P S 2010 | Québec français 157 5
chats, elle qui a déjà publié un L’année même de la publica- avec art, passion et sensibilité, faire preuve d’ouverture d’esprit recueil au titre révélateur à cet tion de son roman Retour d’Afrique, dans une langue de grande, de très même dans l’adversité. En effet : Écrire comme un chat (1994). en 2004, Francine D’Amour a été grande qualité, où perce, çà et là, exauçant le désir ultime d’une Dans « Apostille à Chats des Mille- finaliste au Prix littéraire du roman la délicieuse ironie dont l’auteur amie ou en célébrant la mémoire Îles », la narratrice présente Jonas, d’amour, organisé par le luxueux des Dimanches sont mortels a le d’une maîtresse avec panache. En un véritable « pacha[t] », qui a hôtel Prince Maurice, à l’Île Maurice. secret. Un seul reproche : la page déterrant un rituel issu de l’enfance connu « bien plus que sept vies » Lors d’une escale à Londres, sur le couverture n’est pas à la hauteur afin d’apaiser l’inquiétude d’un (p. 54) et qui a fait la vie dure à chemin du retour, elle croise une de la beauté des nouvelles. fils anxieux, ou en renonçant à la ses semblables à l’extérieur tout employée voilée de l’hôtel Tavis- AURÉLIEN BOIVIN vengeance dans le but de préserver en se révélant « doux comme un tock, à qui elle parle à peine, mais le caractère sacré d’un paysage. En agneau à l’intérieur de la maison » au sujet de laquelle elle invente CLAUDE VALLIÈRES s’inspirant de l’écrivain admiré pour (p. 55), jusqu’à ce qu’il disparaisse, une histoire. C’est « Fatouma », J’attendais que conduire sa vie ou en se glissant la vieillesse aidant, pour céder sa dans laquelle elle incorpore le texte tu oses un geste dans la peau d’une fillette enjouée place à Lola, une jeune princesse sur son séjour à l’Île Maurice que Gatineau, Vents d’ouest à la seule fin d’oublier ses erreurs… bâtarde, gourmande et boudeuse lui avait demandé le chef de l’hôtel 2009, 152 pages Des épiphanies intimes accueillies à souhait, qui aime que sa pour la revue Silence. Elle mêle (Coll. « Rafales ») comme une main tendue par maîtresse se plie à ses quatre encore le vrai au faux dans « Apos- l’autre. volontés. Dans « Un portait revu et corrigé », c’est Lola elle-même qui tille à Fatouma », dans laquelle elle raconte la genèse de cette belle aventure qui l’a conduite dans ce L a langue mélodieuse de Claude Vallières souligne sa relation d’appartenance au milieu Marquées d’un certain romantisme, ces nouvelles se signalent par leurs qualités prend la plume pour s’adresser lieu qu’elle rapproche de l’Éden. musical. Membre du quintette littéraires. Dans l’une d’elles, à sa maîtresse, qu’elle appelle sa Cette mini-série se termine par a capella La bande magnétik et avec une bienveillante ironie, « chère amie », pour tenter « de « Dear Geneviève », le nom d’em- auteur d’ouvrages pédagogiques un préposé aux bénéficiaires compléter le portrait », qu’elle juge prunt de la narratrice de l’apostille, associés à la musique, il démontre, mentionne que les livres de à peine esquissé et injuste. dans laquelle l’écrivaine rappelle en signant un second recueil de Jacques Poulin « sont travaillés, le souvenir de Fatouma, qui lui nouvelles remarquable, qu’il peut retravaillés, corrigés, peaufinés » écrit à l’insu de son mari, car la également nous faire entendre une (p. 111). Une observation qui femme musulmane ne jouit pas de voix riche et empreinte d’émotion fait sourire puisque d’évidence la liberté dans le couple. Aussi lui par le biais de la littérature. les histoires de Vallières sont annonce-t-elle qu’elle a finalement Les jours où je suis né, un premier également polies avec délicatesse. quitté mari, fils et emploi, pour livre publié en 2005, n’est pas Elles le sont sans affectation, entreprendre une nouvelle vie. resté sans écho, et la parution de en toute simplicité, parce que Dans les dernières nouvelles, la J’attendais que tu oses un geste l’écrivain artisan semble connaître nouvelliste évoque son désarroi témoigne de l’intérêt grandissant les vertus merveilleusement quand elle a appris qu’elle souffrait de Vallières pour l’écriture. Dans thérapeutiques d’un livre bien d’un cancer du sein, un cancer ce recueil, constitué de douze écrit. fulgurant, et ses peurs quand elle histoires, il s’exprime par le GINETTE BERNATCHEZ a dû se soumettre à une série truchement de narrateurs dotés de traitements chocs. C’est sans avant tout de bonne volonté. Ces aucun doute la partie la plus hommes secoués par la douleur émouvante, la plus émotive aussi physique ou morale – la leur ou de ce merveilleux recueil, écrit celle des autres – s’ingénient à 6 Québec français 157 | P R I N T E M P S 2010
NOUVEAUTÉS Journaliste devenue romancière, ESSAI l’écriture est une tâche lourde à Anne-Marie Sicotte est passionnée supporter pour Gélinas ou à quel d’histoire, ce qu’illustrent ANNE-MARIE SICOTTE point il est soucieux de perfection, notamment son ouvrage historique Gratien Gélinas en c’est l’homme continuellement en Quartiers ouvriers d’autrefois (2004), images : Un p’tit comique représentation qui est au centre sa biographie Marie Gérin-Lajoie, à la stature de géant de l’ouvrage. L’auteure l’observe conquérante de la liberté (2005), VLB, Montréal d’ailleurs bien : « Dans une scène et son roman Les Accoucheuses 2009, 175 pages soigneusement préparée pour le (2006), qui s’inspire de l’histoire bénéfice du photographe, toute des sages-femmes au Québec. P etite-fille de Gratien Gélinas, Anne-Marie Sicotte ne s’est pas contentée de connaître son grand- la famille Gélinas se penche sur les plans de la future Comédie cana- dienne » (p. 135). D’une certaine Petite-fille de Gratien Gélinas, elle a publié à l’occasion du centième anniversaire de naissance de son père, elle a cherché à l’approfondir, manière, les images permettent L’auteure dans les bras grand-père Gratien Gélinas en de son grand-père. à voir ce qui a fait de lui le Roi des au propos de gagner en concision, images : un p’tit comique à la stature Amuseurs pendant les décennies mais du coup, celui-ci perd beau- de géant et réédité Gratien Gélinas : 1940 et 1950 au Québec. coup en nuances. Ainsi, les idylles la ferveur et le doute. Avec Gratien Gélinas en images : amoureuses, aussi secrètes soient- un p’tit comique à la stature de elles, que Gélinas a entretenues géant, elle propose un véritable pendant sa carrière malgré son condensé de la biographie qu’elle amour pour son épouse Simone, vient de rééditer, Gratien Gélinas : sont davantage mises en évidence, la ferveur et le doute. Présentant entre autres par la diffusion de au-delà de 175 photographies, illus- quelques lettres d’amour. trations et extraits de manuscrits ou Il faut néanmoins reconnaître le de journal, l’ouvrage est construit mérite de Gratien Gélinas en images en neuf chapitres, qu’elle nomme d’offrir au lecteur, en complément actes, précédés et suivis d’un à une biographie remarquable- prologue et d’un épilogue. Une ment étoffée, le portrait de cet telle forme permet à l’auteure de homme d’origines modestes qui, recenser en peu de mots les étapes en devenant un de ses premiers importantes de la vie de celui qui a créateurs professionnels, a pavé la fait de Tit-Coq la première pièce de voie à la dramaturgie québécoise. théâtre véritablement québécoise. SERGE BERGERON Après une brève mise en contexte, les photographies et autres illus- Gratien Gélinas : trations se succèdent, présentant la ferveur et le doute Gratien Gélinas autant sur scène, TYPO, Montréal en coulisses ou en salle de répé- 2009, 718 pages tition que dans son bureau ou dans sa vie privée. Les commen- taires sont généreux et donnent un aperçu de la passion qu’il avait R éédition en format poche de l’ouvrage paru en deux tomes en 1995 et 1996, Gratien Gélinas : la pour le théâtre, en particulier la ferveur et le doute est une biogra- comédie, dès son plus jeune âge : phie sérieuse, érudite. L’auteure « Cet humour que ses parents puise à même les archives de manient avec aisance, cette apti- Gélinas, qui a eu le souci de tude innée à tricoter un récit capti- conserver les manuscrits de ses vant, Gratien en fait l’acquisition sketches et de ses pièces, son très jeune. Dès lors, il n’aura de journal et ses correspondances. cesse de faire fructifier son talent ; Mais les traces de la romancière manquant d’estime de lui-même, il s’y révèlent déjà, ne serait-ce que se nourrira des rires suscités et des dans sa manière d’amorcer sa élans d’affection qui s’ensuivent. La biographie : « Gratien n’est même scène devient sa drogue, sa raison pas âgé d’un an lorsque, dans les de vivre, le soleil de son existence » bras de sa mère Genèva, il quitte (p. 15). sa Mauricie natale pour s’installer Au contraire de La ferveur et dans la métropole canadienne » le doute, cependant, Anne-Marie (p. 11). Elle revient ensuite sur les Sicotte a beau souligner combien rapports entre Genèva Davidson et P R I N T E M P S 2010 | Québec français 157 7
son mari, Mathias, si tendus qu’ils capacité à écrire, le plus impi- grand-père se manifeste en parti- une vingtaine d’années, à l’écriture marquent à jamais Gratien Gélinas. toyable survenant au bout de culier dans une conclusion émou- créative. Son œuvre a été étudiée Il n’y a qu’à voir l’ambivalence de deux représentations seulement vante qui dévoile les dernières ainsi que récompensée, entre l’homme, qui se dit profondément de Tit-Coq à New York en 1951. années de celui qu’elle appelle autres, par le prix du Gouverneur amoureux de Simone, la mère de Cela explique peut-être que la Gratien dans tout le livre et qu’elle général en 2004 pour son recueil ses six enfants, et qui demeure rigueur qu’il impose à ses collabo- a interviewé à huit reprises en de poésie Les jours à vif. Les Cahiers distant avec sa famille, refusant de rateurs, dont ses propres enfants, 1992 avant de s’apercevoir qu’il d’Icare s’ajoutent comme onzième se laisser aller aux témoignages se rend jusqu’à des colères exces- « confondait deux événements, ouvrage à son œuvre poétique. d’affection même devant la mort sives où il se montre intraitable. s’emmêlait dans les dates et Dès l’avant-propos, les cahiers de son épouse en 1967 ou de sa fille Quant à l’administrateur, surtout surtout, [qu’]il devenait de plus se présentent en tant qu’ailes aînée, Sylvie, en 1989. Il adopte un de la Comédie canadienne, Sicotte en plus ardu de le faire parler » fixées au dos du poète. Ce dernier comportement semblable avec la présente un homme entêté qui (p. 670). Après une présentation connaît déjà sa destinée : c’est comédienne Huguette Oligny, dont fonde l’espoir de mettre en valeur aussi minutieuse et réglée de la vie Icare qui chute, parce que l’humi- il s’est épris secrètement pendant la dramaturgie canadienne. C’est de Gélinas, le lecteur y découvre dité de la mer et la chaleur du soleil les tournées des Fridolinades dans pourtant là que Gélinas trouve alors à regret un homme dont la ont raison de l’appareil qui assure les années 1940 et qu’il épouse six un bon nombre de ses détrac- vivacité s’est affaiblie au point de les « vanités du planement ». Mais ans après la mort de Simone. teurs : « Les compagnies de théâtre ne plus être l’ombre de celui à qui cela ne suffit pas à écraser l’en- L’art de Sicotte est de montrer comme le TNM et le Théâtre-Club, l’on attribue d’emblée le titre de thousiasme qui vient avec l’écri- les conflits intérieurs qui rongent issues des Compagnons et bran- père de la dramaturgie québécoise. ture, « qui vous réconfort[e] Gratien Gélinas, lui qui « lutte chées vers Copeau et son école, SERGE BERGERON l’intime condition humaine tout en constamment contre un doute ne le considéraient pas comme vous propulsant vers des engage- destructeur en ses capacités » quelqu’un de la gang. Il était trop POÉSIE ments supérieurs ». La prose intro- (p. 189). De toute évidence, l’écri- populaire, apparenté au théâtre ductive installe donc, en quelques ture, comme les affaires, est pour des variétés » (p. 418), dit à son ANDRÉ BROCHU phrases et réflexions coulantes, lui un exercice difficile, où il ne sujet Jacques Languirand. En ce Cahiers d’Icare un appétit amusé qui motivera peut admettre que la perfection, sens, La ferveur et le doute est aussi Triptyque, Montréal les élans du poète, désireux de parce qu’il cherche constamment un panorama particulièrement 2009, 100 pages « s’éprouver total dans l’instant d’à l’amour de son public et craint éclairant qui illustre à quel point présent ». l’échec comme son pire ennemi. Si ses réussites avec Fridolin, Tit-Coq ou Bousille font de lui un homme Gratien Gélinas a vu, surtout entre les années 1940 et 1960, l’urgence pour le Canada français de se A ndré Brochu a abordé la litté- rature de diverses manières. Il a enseigné à l’Université de Le premier cahier du recueil raconte une envolée euphorique rendue possible par « les choses du de théâtre admiré et populaire créer une dramaturgie qui lui soit Montréal tout en menant une jour » qui exaltent le corps vivant, partout au Canada et aux États- propre. vie d’auteur ; il s’est essentielle- c’est-à-dire l’amour, la rencontre Unis, il n’en vit pas moins des La tendresse qu’éprouve Anne- ment consacré à la critique litté- de l’autre. La chair se dévoile échecs qui minent peu à peu sa Marie Sicotte pour son célèbre raire avant de se dédier, depuis sensible à outrance. Néanmoins, si ILLUSTRÉ œuvre d’art : imprimé en couleur sur papier glacé, il recèle des illustrations qui se situent souvent à mi-chemin entre CHRISTIAN QUESNEL [dir.] la bande dessinée moderne de qualité et la peinture, et La machine du Bonhomme Sept-Heures. cet art n’est pas sans rappeler le superbe travail de l’ar- Nouvelles fantastiques outaouaises tiste montréalais Dominique Desbiens. Nombre d’illus- Studio coopératif Premières lignes trations mettent mal à l’aise tellement elles synthétisent Gatineau, 2009, 111 pages, coll. « Souches » l’horreur qui suinte des textes de Bolduc. Des jeux de superposition confèrent à certains personnages des airs L e Studio coopératif Premières lignes offre ici une œuvre unique : l’illustration de quatre nouvelles fantastiques de Claude Bolduc, un auteur qui s’est de cadavres ambulants ou de squelettes qui s’ignorent. Dans cet ouvrage, une image vaut mille maux, et c’est pourquoi la portion narrative de chaque récit est mini- distingué tant en Belgique qu’au Québec et qui a fait maliste : les ambiances sont rendues à merveille par l’il- son créneau de la nouvelle fantastique d’inspiration lustration sombre de la majorité des histoires. On joue gothique – particulièrement de la glorieuse époque habilement sur le caractère à la fois vétuste de certains de la ghost story anglo-saxonne. Plusieurs artistes ont collaboré à cet personnages et de l’« emballage », pour ainsi dire – comme si le lecteur ouvrage, soit comme illustrateurs, soit comme scénaristes : Aline Bégin, avait accès à un grimoire ancien –, et sur la modernité de la mise en Anik Deslauriers, Danielle Grégoire, Guy Jean, Dominique Laurent, Marie- images des récits à proprement parler. Tout est léché, beau, inspirant. France Thibault et Stanley Wany. Plusieurs des illustrations qui prennent vie dans ce livre pourraient La machine du Bonhomme Sept-Heures illustre les nouvelles « De orner les murs des plus grandes galeries d’art… et de la salle de séjour l’amour dans l’air », « Œillades », « Regarde-moi » et « Il ne faut pas que du féru de fantastique que je suis ! je dorme ». Le résultat est splendide. Ce livre, en tant qu’objet, est une STEVE LAFLAMME 8 Québec français 157 | P R I N T E M P S 2010
NOUVEAUTÉS le poète ne cherche pas de détours cahier s’exprimait avec force, le bleu ° profond s’éteint avant métaphysiques soulevées par une pour en dire la sensualité, il accède on ne trouve aucune colère ou l’aube ». On sent cette poésie vieille femme (« Dis-moi, o est-ce souvent à des images touchantes, frustration pour lui répondre avec sous le pinceau de la peintre, que l’âme existe ? » [p. 21] ; « Y a-t-il empreintes d’un éros lyrique : « je la même intensité. L’euphorie a lumière de l’intime, grisaille du lit à quelque part quelque chose o qui suis tu es notre salve de joie º notre plutôt cédé la place à une sagesse quitter. D’ailleurs de magnifiques n’existe pas et qui soit vraie [sic] ? » baiser de chair et d’os comme qui atténue l’impact de la chute, le photographies en couleur de Jean- [p. 24]) et celles du chorégraphe, une averse de º ciel dur ». L’amour poète subit avec résignation son Pierre Malo embellissent les pages plus orientées vers l’activité du constitue le gage d’une félicité sort : « corps, prends mon souffle º centrales du recueil. danseur. Les réponses apparaissent cependant minée de l’intérieur et mon souci d’aimer ». ANDRÉ GAULIN dans l’esprit d’Ariel – et sur la parce qu’elle s’avère une « pléni- Cent pages ont réussi à page –, donnent un sens à ses tude º oublieuse », source d’un construire un Icare détendu, LARRY TREMBLAY mouvements et au spectacle qui aveuglement dans l’extase. Icare prêt à accepter sa nature finie, L’Arbre chorégraphe se joue, Sarabande et sarbacane : se découvre des « plumes frois- puisque « l’éternité […] enduit Le Noroît, Montréal « danser c’est à l’espace o donner sées » et commence à se méfier le moi mort de la plus tendre 2009, 46 pages l’occasion o de sortir de sa tristesse o des « lexiques º de [ses] plus chers indifférence ». D’ailleurs, le temps ou de son habitude d’être là o mensonges », l’entreprise d’écri- ture le menaçant par son pouvoir d’illusion. est une préoccupation qui traverse plusieurs des recueils de poésie de Brochu. Cela laisse croire que le L arry Tremblay est surtout connu pour son théâtre, bien qu’il ait écrit un bon nombre […] je danse o et je suis o cahier registre o compte rendu de la lumière o amuseur public o gourde besoin d’une parole à soi-même, d’essais, de récits et de poèmes. qui se vide o ironie du sort o avaleur confiante et harmonieuse, l’a Entre le pouce et l’index, L’Arbre de dés o traverse de chemins o emporté sur un discours voulu chorégraphe occupe peu d’espace ; jacassement o dans les prés roux o mythologique. pas exactement un recueil de je sarabande et tu sarbacanes o poèmes, mais un livre de poésie mais il n’y a rien à dire » (p. 32-33). AGNÈS RIVERIN tout de même. On dira, pour Est-ce là l’« expérience poétique » Une île près de l’œil être plus précis, qu’il s’agit d’une véritable, celle d’un corps empêché Planète rebelle, Montréal relation, celle d’une « expérience de parole (« Ariel est muet. Il s’est 2009, 56 pages poétique » (p. 11). coupé la langue » [p. 29]) qui trouve Divisé en trois parties pourtant le moyen de se dire dans T oujours accompagnée sobrement par un fond musical de France Andrée Sevillano, (« L’inconsolable soif », « La prière du danseur avant le spectacle » et « L’œil du soir »), le livre la mise en scène théâtrale ? L’œuvre se termine par une promenade dans la ville, rythmée la poésie d’Agnès Riverin est s’amorce sur une réflexion à par la succession des jours de la rendue par elle-même sur le CD propos de la rareté de la poésie semaine ; belle façon de boucler accompagnateur du livre, qui dit (dans son éclosion comme dans une expérience animée par la La lumière hyperbolique est le recueil tout entier, la musique sa fréquentation), qui se résume déambulation du corps et de disparue dans les « voies de nuits » en intermède marquant les sept dans une image : « La poésie l’âme. Un livre qui, comme le qui composent le second cahier : parties. C’est une austère récitation est un poisson d’or qui, une fois danseur, « fai[t] de l’espace » (p. 31). il faut « oublie[r] [l]es grands d’un texte que l’on devine être sur un milliard, lance un éclair » EMMANUEL BOUCHARD malheurs personnels º qui font une longue et belle prosopopée (p. 9). Cette rhétorique prépare pâlir les génocides ». Dans un lent de l’amour. Explorant le corps la suite : l’abandon volontaire du CHRISTIAN VÉZINA mouvement dysphorique, le poète de l’amant, qui semble parfois poète qui se défait de ses propres L’inventaire des miracles survole quelques fléaux humains lointain, la soupirante avance chaînes dans une rencontre Planète rebelle, Montréal assez convenus, que ce soit la dans la découverte cosmique du manifestement déterminante, celle 2009, 107 pages guerre, la pauvreté, la solitude territoire charnel, à coup d’images de l’Inde, qu’incarne la figure d’un ou la violence. La chute racontée n’est plus celle d’un individu mais celle d’une collectivité parcellaire, riches comme « Gris mes yeux où homme posté « sous la branche d’un banian » (p. 12) adressant ses conseils au voyageur : « plante R écitant professionnel connu, Christian Vézina est aussi poète. Sa poésie est faite de petits que l’on tente de saisir dans une aiguille dans ta pupille o laisse tableaux vifs de la vie quotidienne son unité en « parcour[ant] le couler o l’eau de mots salée o où et de la flânerie, « Un soir mince espace de la souffrance » s’use l’énigme de ta conscience o d’octobre » par exemple, toujours commune. Toutefois, ceci n’éclipse […] ne tente pas de te retrouver o à la frontière de la contemplation. pas le malheur partagé le plus le voyage t’efface o tu arriveras D’autres fois, le poète évoque fondamental, c’est-à-dire la mort. mais où et pourquoi o et l’espace te finement l’épaisseur du paysage Le corps tout feu tout flamme est manquera où glisser ta raison (p. 13, qui change par l’histoire, ce que ridiculisé par le temps qui passe : 17-18). À ces préceptes succède la rend bien Marcel Sabourin, diseur « vous annulez votre naissance º danse – celle d’une jeune femme du poème « Notre bon Saint- d’un seul acte gravé dans votre d’abord, puis celle d’Ariel dans Joseph ». Car c’est là l’originalité chair périssable ». Étrangement, la deuxième partie du livre –, de cette collection « Poésie » de si la vitalité naïve du premier qu’accompagnent les questions l’éditeur d’avoir intégré un CD au P R I N T E M P S 2010 | Québec français 157 9
recueil. Il faut dire que Vézina, qui de Boulerice dérange : il grafigne PÉRIODIQUE a fréquenté maints poètes, a pu un peu notre vision de l’enfance et compter aussi beaucoup d’amis nous indispose. C’est un livre qui COLLECTIF qui disent ses poèmes (notamment marque. Et c’est heureux. Jeu. Revue de théâtre, Michel Garneau, Janine Sutto, Le petit Jérémie tombe no 132 (octobre 2009) Robert Lalonde…), accompagnés éperdument amoureux d’Arthur, « Portraits d’une génération » sobrement mais richement par le un adolescent venu rôder le Montréal, 175 pages compositeur Yannick Plamondon. long de la clôture de son école Les trois dernières plages faites de sa seule musique nous permettent de prolonger l’extase tout en primaire. Il est d’abord séduit par la gentillesse d’Arthur, par l’importance qu’il lui accorde, lui L a revue Jeu, publication phare du monde théâtral québécois publiée depuis 1976, offre dans jonglant. Le lecteur-auditeur veut qui à la maison passe toujours son dernier numéro un dossier bien suivre le texte (ce que ne lui après sa grande sœur et, bien sûr, fort étoffé portant sur des auteurs, facilite pas le descriptif final du CD, par son assurance et son physique. comédiens, metteurs en scène et scénographes se distinguant depuis au qui aurait gagné à être plus précis) Après avoir échangé une poignée moins quinze ans sur nos scènes. Le rédacteur en chef, Christian Saint- si bien rendus par autant de voix de phrases, voilà qu’Arthur Pierre, dans la présentation de ce numéro, explique en partie ce choix par dont celle de Vézina lui-même, et il l’invite chez lui le soir même : le désir de compenser le fait que le tout récent Dictionnaire des artistes du a envie de lire plus attentivement « En lui donnant mon numéro théâtre québécois, lors de sa parution, avait été contraint, faute d’espace, tous ces autres textes qui sont de téléphone, je n’étais pas seul. de mettre de côté tout un pan de nouveaux visages devenus en peu de restés sans voix, hormis celle du J’avais un petit hamster à la place temps des figures de proue de la relève. Les gens du milieu et l’amateur lecteur lui-même, s’il veut bien du cœur. Ma bête hyperactive me de théâtre ne peuvent que saluer ce désir de « remédier à la situation », sonoriser cette poésie écrite dans grugeait les côtes. […] Pendant car les vingt portraits dans ce numéro, s’ils paraissent en effet constitués la marge des jours. les cours de l’après-midi, notre de créateurs dont le travail mérite d’être souligné, donnent l’occasion ANDRÉ GAULIN professeure Thérèse ne remarqua surtout d’en savoir un peu plus sur plusieurs jeunes artistes qui ne sont pas qu’un de ses élèves s’était fait pas nécessairement encore connus de tout un chacun. D’autant plus que ROMAN mordre le cœur par un adolescent le féru de théâtre, même le plus assidu, pour des raisons souvent géogra- roux. J’étais l’élève qui perdait phiques, ne sait pas toujours qui fait quoi et de quelle brillante façon sur SIMON BOULERICE la vie, le sourire aux lèvres. […] la scène québécoise. Et justement, ce qui apparaît, à mon avis, comme Les Jérémiades C’était le 5 septembre et ma vie le plus réjouissant dans cette série de vignettes, c’est l’excellent échan- Les Éditions Sémaphore, intime commençait. » (p. 16). Et la tillonnage dans la liste des portraits choisis qui permet autant au public Montréal, 2009, 152 pages maison de brique rouge où habite de Montréal de découvrir les créateurs qui s’illustrent à Québec que d’at- Arthur devient vite sa chapelle tirer l’attention des gens de la Vieille Capitale sur des artistes montréalais S imon Boulerice a écrit des pièces de théâtre et a remporté en 2009 le prix Piché de poésie ardente. Simon Boulerice dépeint Jérémie comme un enfant de grand talent… dont la bouille n’apparaît pas nécessairement dans le dernier épisode de Virginie. En constatant dans ce numéro de Jeu comment peut être foisonnant et prometteur le paysage en devenir de de l’Université du Québec à Trois- démesuré, entier, féru d’hyperbole nos créateurs de la scène, on souhaite en même temps que ceux-ci, tout Rivières pour son recueil Saigner et de romance extatique et bon en prenant solidement racine dans leurs milieux respectifs, deviennent des dents. Voici qu’il explore le marché : il est un téléspectateur suffisamment appréciés et « populaires » pour se voir offrir les occasions genre narratif : Les Jérémiades est assidu des soaps américains. d’exercer leur métier sous de multiples cieux. Tout le monde y gagnerait son premier roman, publié aux Jérémie est aussi, on l’aura deviné, alors, artistes comme spectateurs. excellentes Éditions Sémaphore, un enfant singulièrement seul : sa Les vingt portraits, que la revue qualifie de « vibrants », sont tous fondées en 2003. Il s’avère que famille l’élève avec indifférence et rédigés par des analystes emballés par leurs sujets, dont ils ont visible- l’univers romanesque lui réussit il n’a pas vraiment d’amis, hormis ment suivi avec attention l’évolution dès leurs premiers faits d’arme plutôt bien… cette fille avec qui il correspond. dans la faune théâtrale. Et ces élus sont : Magalie Amyot, Émilie Bibeau, Les Jérémiades raconte les Tout est donc en place pour Frédéric Blanchette, Étienne Boucher, Catherine Bourgeois, Alexia Bürger, amours peu orthodoxes de deux qu’Arthur devienne le centre de Sophie Cadieux, Maxime Denommée, Frédéric Dubois, Francis Ducharme, jeunes garçons, l’un ayant quinze son univers, pour que Jérémie se Hugues Frenette, Martin Genest, Johanne Haberlin, Olivier Kemeid, Chris- ans et l’autre… neuf ans. On coule dans leurs amours… et s’y tian Lapointe, Benoit McGennis, Francis Monthy, Olivier Morin, Marylin pourrait d’abord penser à des noie. Perrault, et Evelyne Rompré. St-Pierre tient à rappeler d’ailleurs, d’entrée amours innocentes, faites d’amitié Le style de Boulerice est de jeu, les choix déchirants qu’a dû faire l’équipe de rédaction qui n’a pu, et de jeux, où la camaraderie est remarquable : il sait créer des à l’instar du Dictionnaire…, mettre dans cette liste tous ceux qui auraient prise pour de l’amour. Mais il n’en images percutantes, il navigue bien mérité de s’y trouver. Comme à l’habitude, les articles de ce numéro est rien : il est question dans ce habilement entre les jeux enfantins sont accompagnés de superbes photos noir et blanc qui pourraient faire récit d’une histoire amoureuse et les gestes d’adulte, parle dans dire à certains de ses habitués – à l’inverse de ceux d’un célèbre mensuel non seulement homosexuelle, un même souffle de cigarettes américain – qu’ils consultent la revue encore plus pour ses photos que mais également pédophile, dans Popeye et de sexe. Il sait rendre pour les articles. Cela dit, sans rien enlever à la qualité des textes publiés. laquelle les étreintes physiques le personnage de Jérémie aussi JOCELYN DUPLAIN prennent une large part. Nul attachant que pitoyable, alors qu’il besoin de dire que le petit roman s’aventure dans des dérives que 10 Québec français 157 | P R I N T E M P S 2010
NOUVEAUTÉS l’enfance ne peut comprendre, ne Mais, hélas !, la même vieille JEAN-FRANÇOIS CHASSAY avec son fils le tue à petit feu et peut surmonter. Ses jérémiades et sombre histoire se répète : Sous pression. Tragédie est l’une des causes de la fracture rappellent en un sens les un chirurgien séduit l’objet potentielle annoncée en qui s’est produite en lui. Au cours débordements de la Bérénice de d’adoration du petit être pour neuf tableaux, un prélude de cette journée qui sera proba- Ducharme : Jérémie est aussi un de suivre ses penchants de sadique, et une fin de journée. blement la dernière, le protago- ceux qui se fait avaler. aidé en cela d’un des serveurs de Boréal, Montréal niste du roman rencontre tour à CHANTALE GINGRAS l’hôtel. Le lutin se venge d’une 2010, 224 pages tour des personnes importantes manière on ne peut plus terrible : de son entourage qui tenteront NICOLAS CHALIFOUR Vu d’ici tout est petit Héliotrope, Montréal sans révéler la fin de l’histoire, soyez assuré que le dénouement n’a rien à envier à Stephen King. P rofesseur au Département d’études littéraires de l’Uni- versité du Québec à Montréal et bien souvent maladroitement de le dissuader de commettre l’irré- parable. Étant eux-mêmes englués 2009, 214 pages Sans la langue de la voix auteur de plusieurs romans et dans leurs problèmes person- narrative et les raisonnements, essais, Jean-François Chassay nous nels et leurs souffrances, ces indi- I l ne faut pas se laisser leurrer par le ton et le vocabulaire de ce premier roman de Nicolas tout comme les tours que joue le lutin aux clients et au personnel du manoir, il s’agirait simplement offre, dans Sous pression, le récit des vingt-quatre dernières heures de la vie d’un homme qui a prévu vidus s’avèrent incapables de le supporter et d’éprouver de la compassion pour un homme qui, Chalifour : écrit comme un conte d’une sorte de thriller déguisé en mettre fin à ses jours le soir même à leurs yeux, possède tout pour pour enfants, il n’a rien à voir avec conte de fées. Un exemple : le petit à minuit. L’homme aux idées être heureux, soit la santé, l’ar- le genre. C’est plutôt le contraire. bonhomme assiste en catimini à suicidaires est un physicien de gent, l’intelligence et le succès La tension entre contenu et forme un mariage où il se rend compte quarante-sept ans, séparé depuis professionnel. Malgré l’apparente vient justement de la légèreté qu’une vieille et grosse femme environ vingt ans et qui a le senti- abondance dans laquelle il vit, cet frisant parfois l’incongru et les s’est affalée dans un fauteuil. Pour ment de se fondre à la grisaille et homme a l’impression que l’es- horreurs auxquelles nous assistons. être plus confortable, elle a enlevé au néant de son existence, une poir s’est broyé en lui et qu’il ne L’histoire est ingénieuse et, à ses dentiers. Le lutin – il est âgé existence de grande solitude pourra plus renaître. À la fin de la nouveau, il faut féliciter la jeune d’au moins deux siècles et demi – dans un monde où tout va trop journée, après les neuf entretiens maison d’édition montréalaise a perdu ses dents depuis belle vite et où les véritables relations d’une heure durant lesquels il a été d’avoir détecté un auteur lurette. Alors il vole les prothèses. humaines sont rares. Afin de ne pas en grande partie muet et a plutôt hautement prometteur. Quelque Vous imaginez la suite ? sombrer totalement dans l’apathie écouté les confidences de ses amis, part au Québec se dresse un Cet équilibre entre taquineries, et pour se prouver qu’il n’est pas maintenant qu’il est à nouveau vieux manoir, brûlé lors de la espièglerie, méchanceté enfantine un mort parmi les vivants, matin et seul, il devra choisir s’il continue à Conquête. Un major s’y établit et la vengeance sans merci de soir il se marque le ventre à l’aide vivre ou non. avec sa femme et sa fille. Il ne sait l’être qui souffre comme un adulte d’un couteau. La douleur physique S’intéressant aux rapports entre pas que les lieux sont occupés par des trahisons dont il est la victime, ne parvient pas à égaler l’une de science et littérature et notam- ce qui semble être un lutin dont la séduisent le lecteur. Bref, avec ce ses plus vives déceptions, le désin- ment à la figure du savant dans la passion principale est d’épier les premier roman d’un jeune écrivain, térêt de son fils pour ce qu’il fait et fiction, l’auteur, tant par ses occupants de la maison. Narrant une nouvelle voix s’ajoute à la ce qu’il est. Tout semble concourir œuvres romanesques que par ses l’histoire du manoir dans une littérature québécoise, une voix à les éloigner l’un de l’autre, le fils, travaux théoriques, tient à souli- langue proche de celle des enfants, fraîche, intelligente à souhait, indifférent à l’étude des particules gner l’importance de la science cet être infiniment petit assiste à au registre parfaitement posé. élémentaires de la matière, est et de son savoir dans la culture. des scènes troublantes (du viol en Écoutez-la, vous en redemanderez devenu mécanicien alors que son Les références à la littérature, à série) entre le propriétaire et une d’autres arias. père déteste les voitures. La rela- la science, à la peinture et à la servante dont s’est épris le lutin. HANS-JÜRGEN GREIF tion quasi inexistante du physicien musique foisonnent dans cette Coup de théâtre : un matin, on œuvre où il dénonce entre autres trouve l’ancien militaire pendu à un certain manque de culture de une branche d’un vieux pommier. la société québécoise. Sur le plan Soit dit en passant, les pommes, humain, ce roman témoigne des qui sont souvent piquées des difficultés de communication qu’il vers, sont une métaphore filée y a fréquemment entre les êtres, tout au long du livre. Le manoir mais aussi d’un malaise ainsi que est abandonné, tombe en ruines, d’un sentiment d’impuissance jusqu’à ce qu’un promoteur le face à la détresse d’autrui et, parti- transforme, après plus de deux culièrement, face au suicide. Le siècles, en hôtel de luxe, « mag-ni- récit de Jean-François Chassay fi-que », avec tout le confort nous rappelle que la souffrance moderne. psychologique n’a pas de visage, Le lutin tombe amoureux à elle peut toucher tous les indi- nouveau, cette fois d’une superbe vidus peu importe leur parcours femme de chambre, belle comme de vie, leur classe sociale ou leur une pomme prête à être cueillie. profession. L’écriture de Chassay P R I N T E M P S 2010 | Québec français 157 11
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