Pamphlet contre le tribalisme au Congo - Odilon Obami - Edilivre
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Odilon Obami Pamphlet contre le tribalisme au Congo 2
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Avant-propos A ma fille, Jenny Obami, dont la curiosité intellectuelle est avide de comprendre l’histoire du Congo, pays d’origine de tes parents, pour en avoir une idée réelle afin de ne pas sombrer dans l’acculturation dont sont victimes la plupart de nos enfants nés et vivant en Occident. C’est en considération de cet aspect historico-culturel que je me suis évertué de creuser profondément le gisement de l’histoire du Congo et ceux d’autres pays, à chaque fois que cela semblait nécessaire, pour faire partager des pans historiques ignorés susceptibles d’éveiller les consciences enténébrées. Tel un réverbère qui jamais ne s’éteint, l’histoire de l’humanité, à travers ses pages glorieuses et sombres, éclaire le présent et permet de bien préparer l’avenir. Mes remerciements à mon frère Cyriaque Magloire Mongo Dzon, pour son apport personnel et livresque qui m’a permis d’accéder à la documentation idoine sur l’histoire politique du Congo. Aussi, à mon neveu Ray Okana pour sa virilité intellectuelle. 2 3
Mes remerciements ensuite à tous les intellectuels africains, en général, et congolais, en particulier, qui ne ménagent aucun effort pour éveiller les consciences à travers leurs écrits souvent négligés par leurs compatriotes, dont l’immense majorité préfère lire ce qui est écrit par les européens sur les mêmes sujets : « Nul n’est prophète en son pays », dit une maxime. Par complexe ou négligence, cette attitude est triste et erronée, car le talent n’a pas de continent, ni de nationalité, encore moins de race. Il est simplement humain. C’est en puisant dans le sous-sol local qu’on trouve parfois ce qu’on recherche loin de soi. Mes remerciements enfin, à tous ces vendeurs ambulants qui arpentent les différentes allées du centre- ville de Brazzaville, s’introduisent dans des cafés, bars et restaurants, jalonnent les bords des avenues de nos quartiers populaires et quelques espaces de nos marchés pour vendre le savoir à travers de vieux livres et documents le plus souvent dépareillés et dépenaillés, récupérés çà et là, qu’ils essaient de relier et d’écouler tant bien que mal. 42
Introduction Aux termes de l’article 15 de la Constitution congolaise du 06 Novembre 2015 : « Tous les citoyens congolais sont égaux devant la loi et ont droit à la protection de l’Etat. Nul ne peut être favorisé ou désavantagé en raison de son origine familiale, ethnique, de sa condition sociale, de ses convictions politiques, religieuses, philosophiques ou autres. » Pour lui conférer une véritable force ou une puissante onction, il aurait été souhaitable que le verbe « devoir » supplantât le verbe « pouvoir » dans la rédaction de l’alinéa 2 de cet article. Ainsi, aurait-on écrit : « Nul ne DOIT être favorisé ou désavantagé en raison de son origine… » et non : « Nul ne PEUT être favorisé ou désavantagé en raison de son origine… » Car, le verbe « devoir » induit ipso facto une obligation ferme à la charge de l’Etat, alors que le verbe « pouvoir » ne semble lui octroyer qu’une faculté. Hypothèse d’école, diraient les uns ou il ne faut pas se focaliser sur la lettre mais sur l’esprit du texte, diraient les autres. 2 5
Quoiqu’il en soit, il appert de cette disposition principielle qu’il incombe à l’Etat l’obligation de veiller à la protection de tous les citoyens et de leur garantir l’égalité réelle dans la quête du bonheur ou dans l’accomplissement des tâches qui sont les leurs. Comme on peut le constater, le principe d’égalité entre tous est un principe à valeur constitutionnelle qui milite en faveur de l’unité nationale et constitue l’une des bases solides qui fondent la République. Du latin « res » qui signifie chose et « publica » qui signifie peuple, la République est la chose du peuple, c’est- à-dire un bien commun et non un patrimoine personnel ou clanique. En conséquence, pour que la République trouve la plénitude de son sens exact, il faut que tous ses enfants soient protégés et traités équitablement. C’est dire que les principes de la protection et d’égalité consacrés par l’acte fondamental de la République doivent concrètement profiter à tous les congolais, sans exclusive, afin qu’ils en jouissent harmonieusement, en participant à l’essor de la nation et en tirant profit de toutes ses ressources. Or, la jouissance du principe d’égalité républicaine n’est possible que si les pouvoirs publics mettent tout en œuvre pour lutter efficacement contre les discriminations et toutes les autres formes d’exclusion qui sapent les fondements de la République, entravent l’unité nationale et le développement intégral. Parmi ces maux, il en est un qui cause affreusement la désolation et affecte la cohésion nationale au préjudice de l’évolution de la société tout entière : LE TRIBALISME ! En effet, le tribalisme est si présent et profondément enraciné dans le continent africain qu’il constitue un énorme fléau qui y sévit ardemment depuis belle lurette et mine malencontreusement son développement. Tous les 62
systèmes de domination politique en Afrique s’abreuvent abondamment à la source de l’ethnisme pour manipuler les sentiments ethniques aux fins de conquête, d’exercice et de conservation du pouvoir. Comme l’écrit l’ethnologue Jean Pierre Chrétien : « L’ethnisme est, hélas, une forme de la modernité en Afrique. » C’est triste à dire, mais c’est malheureusement vrai car cette pratique délétère a tellement gangrené les mentalités de la majorité des acteurs sociaux, qu’elle pervertit les institutions sociales et trouve son apogée dans le domaine politique. Le CONGO-BRAZZAVILLE, pays auquel ce livre est particulièrement destiné, quand bien même il s’adresserait à toute l’Afrique en général, n’échappe pas à l’influence néfaste du tribalisme. En effet, bien avant les indépendances de 1960 et jusqu’à nos jours, tous les gouvernants successifs qui ont conduit et conduisent les affaires de la nation congolaise se sont servis et se servent à satiété de cette pratique perverse, à des degrés différents, certes, comme d’un fonds de commerce qu’ils exploitent avec cynisme, en opposant les uns aux autres afin de diviser pour mieux régner. Tel un virus dévastateur, le tribalisme sévit copieusement en Afrique, en général, et au Congo, en particulier, où il provoque des conséquences désastreuses. Des simples conflits sociaux à connotation inter-ethnique de moindre importance aux véritables guerres civiles avec leur cortège de malheur et de désolation, à l’aune de celles qui déchirèrent le Congo en 1959, 1993 et 1997 et surtout le Rwanda, en 1994, le tribalisme prouve à foison qu’il est comme une bombe atomique aux effets effroyablement apocalyptiques. 2 7
Non seulement il affecte la cohésion nationale et le développement des pays concernés, il provoque également le repli identitaire des différentes entités ethniques calfeutrées dans le communautarisme. Par conséquent, les conflits qui lui sont inhérents ou afférents génèrent un esprit vindicatif à l’endroit de ceux qui se sentent lésés. Ainsi, ces derniers n’hésitent point, tôt ou tard, à la moindre occasion et en vertu du rapport de forces factuel, de recourir aux mêmes procédés pour se venger des autres. A ce jeu de ping-pong inextinguible qui confine les protagonistes dans un cercle vicieux, aucun pays ne peut réellement évoluer. On ne saurait correctement étudier le tribalisme au Congo sans remonter à l’histoire de ce pays. Car, contrairement à ce que pense une orthodoxie congolaise obtuse, le tribalisme au Congo n’a pas commencé à partir de 1968 avec l’avènement de Marien Ngouabi au pouvoir. Cette affirmation tendancieuse, à l’analyse partielle et partiale, est complètement aberrante et scabreuse. Elle élude un pan essentiel de l’histoire du Congo en la saucissonnant maladroitement au gré de l’appétence négationniste de certains extrémistes et ignorants achevés. Ce qui ne permet pas de saisir les contours complets des faits historiques importants qui ont marqué notre pays. Historiquement, pour bien saisir les tenants et les aboutissants de ce fléau au Congo, il sied de remonter à l’époque coloniale. Or, un coup d’œil dans le rétroviseur de l’histoire du Congo nous montre que les graines du tribalisme furent concrètement semées avant l’indépendance et vraisemblablement en 1957, deux ans avant la première guerre civile qui opposa deux des grands leaders politiques de l’époque, l’abbé Fulbert Youlou, 82
ressortissant du sud, à Jacques Opangault, ressortissant du nord. Avant de continuer sur ce premier conflit fratricide qui ébranla la jeune république congolaise, il serait souhaitable, dans un souci de compréhension historique, de préciser qu’au-delà des causes lointaines qui avaient contribué à l’indépendance via l’enfantement de la République du Congo et qui se résument essentiellement à l’impact des mouvements de résistance nationale contre les abus du colonialisme, cette émancipation résulte surtout des circonstances politiques et historiques favorables à l’autodétermination des peuples colonisés à cette époque. En effet, la participation massive et importante des combattants africains, fédérés au sein des « Tirailleurs sénégalais » en faveur de la France pendant la deuxième guerre mondiale, conjuguée à la défaite des forces françaises dans la guerre d’Indochine le 07 Mai 1954 et le début de la guerre d’Algérie le 1er Novembre de la même année, avaient considérablement fait évoluer la posture politique des autorités colonialistes françaises. Ainsi, ne pouvant plus ouvrir d’autres fronts face aux velléités indépendantistes, elles s’engagèrent progressivement vers la décolonisation. Pour ce faire, deux actes majeurs marquèrent le fléchissement de leur politique colonialiste. D’une part, il y eut la loi cadre de 1956 de Gaston Deferre, ancien Ministre français d’Outre-mer, ayant pour but notamment de reconnaître une autonomie partielle aux Etats africains et de Madagascar. C’est l’africanisation des cadres et la création dans chaque territoire d’un Conseil de gouvernement. D’autre part, il y eut aussi la loi de 1958 par laquelle fut créée la « Communauté franco-africaine » proposée par 2 9
le général De Gaulle, afin d’accompagner progressivement les colonies françaises vers les indépendances. Comme on le voit, c’est dans cette perspective que le Congo proclama la République le 28 Novembre 1958, après avoir manifesté sa ferme volonté d’intégrer la nouvelle communauté franco-africaine. Cet acte de grande envergure aurait pu se faire sans heurts ni fracas et accompagner paisiblement la jeune République vers la souveraineté internationale. Mais, c’était sans compter sur l’influence néfaste des démons du tribalisme que « l’homme de Dieu », l’abbé Fulbert Youlou, n’avait pas pu exorciser en lui-même. En effet, avant la proclamation de la République et la conquête de la primature, l’abbé Fulbert Youlou usa du tribalisme pour arriver à ses fins comme en témoigne son discours sulfurique et irresponsable, rapporté par Médard Gauhy Dzingou, cité par Bernard Ngoyi Moudouhi dans DERIVES POLITIQUES AU CONGO-BRAZZAVILLE, de la page 41 à 42. Ce discours fut prononcé lors d’une tournée qu’il effectua dans la région du Niari au sud du Congo, et plus particulièrement dans la ville de Mossendjo, afin de capter son électorat et celui des contrées environnantes, dont était issu le député Georges Yambot qui appartenait au parti politique de son principal adversaire, Jacques Opangault. En voici la teneur : « Mes frères, mes sœurs, en tant que NSOUNDI, je suis chez moi, car je suis sur la terre des Nsoundis et mon frère Bayonne Mavoungou m’est témoin. Je suis aussi ici à Mossendjo, en tant que MIKALI et mon frère Gaston Bouma Biyoho m’est témoin. Mais surtout, je suis parmi vous ce jour en tant que MINGOMBE. Or, vous avez commencé une lutte avec 2 10
mon frère François Charles Gongaud D’Outremer et on nous l’a arraché. C’est pourquoi, je vous demande chers amis, de venir avec moi afin de continuer ce combat pour l’essor et le progrès de Mossendjo. » Ce discours très marqué du sceau du tribalisme et du régionalisme primaires, fut une bombe à retardement aux effets pervers. D’une part, il avait galvanisé les énergies des ressortissants du sud, plus particulièrement ceux de la région du Niari, afin de voter pour Fulbert Youlou. D’autre part, il influença sans doute le député Georges Yambot qui n’hésitera point à faire volteface au détriment de Jacques Opangault pour soutenir son adversaire, Fulbert Youlou. En effet, les élections subséquentes du 31 Mars 1957 donnèrent une infime majorité à la coalition dirigée par Jacques Opangault, avec seulement 23 sièges contre 22 pour Fulbert Youlou. Un gouvernement paritaire d’union nationale, fédérant l’UDDIA de Youlou et la coalition des partis menés par Jacques Opangault, fut ainsi formé et ce dernier en devint Premier Ministre le 14 Mai 1957. Mais, quelques mois après, le député Georges Yambot, inféodé à la coalition favorable au Premier Ministre, tourna sa veste et bascula en faveur de Youlou, conférant ainsi la majorité à ce dernier puisque l’UDDIA se retrouva avec 23 députés contre 22 pour la coalition favorable à Jacques Opangault. En conséquence, Fulbert Youlou réclama le poste de Premier Ministre tandis que le MSA d’Opangault exigea, en vain, la démission de Georges Yambot. Il sera même kidnappé le 24 Novembre 1957 pour l’empêcher de siéger à l’Assemblée. En dépit de la gravité de la situation, un compromis fut trouvé afin que Jacques Opangault conservât le poste de Premier Ministre. Cependant, le 28 Novembre 1958 cette crise atteignit 2 11
son point culminant. En effet, l’Assemblée territoriale se réunissait en session ordinaire pour voter des nouvelles lois constitutionnelles afin de doter le pays des nouvelles institutions. La tension était à son comble et les députés fédérés au sein de la coalition menée par Jacques Opangault décidèrent de quitter l’enceinte de l’Assemblée territoriale pour manifester leur indignation à l’extérieur. Sans leur présence, la majorité UDDIA conduite par l’abbé Fulbert Youlou procéda au vote des nouvelles lois constitutionnelles. C’est ainsi qu’à 11h30 la République du Congo fut proclamée à Pointe Noire. Ensuite, cette assemblée se mua en assemblée législative et les 23 députés de la nouvelle majorité votèrent à l’unanimité en faveur de l’abbé Fulbert Youlou qui devint officiellement Premier Ministre le 08 Décembre 1958, en remplacement de Jacques Opangault. En procédant de la sorte, l’abbé Fulbert Youlou et ses alliés commirent rien de moins qu’un coup d’Etat constitutionnel. En définitive, c’est par son acte politique que l’honorable, devenu déshonorable, député Georges Yambot inaugura à coup sûr une pratique politique obscène, encline à la corruption des consciences et à la trahison, ayant surtout comme support le tribalisme et le régionalisme. Cette trahison grotesque et enrobée de turpitude était considérée par certains comme une forfaiture ourdie par les cadres politiques du sud contre ceux du nord, pour évincer le premier Premier Ministre que le Congo ait connu, en la personne de Jacques Opangault, au profit du sudiste abbé Fulbert Youlou. C’est ainsi que la jeune République du Congo bascula, quelques mois après les premières échauffourées à Dolisie 2 12
et à Pointe Noire, dans une guerre civile entre les ressortissants du nord, fédérés autour de Jacques Opangault, et ceux du sud, rassemblés autour de l’abbé Fulbert Youlou. Cette guerre atroce inaugura l’ère de la violence politique au Congo et entraîna l’incarcération de Jacques Opangault. Elle ne dura que cinq jours, soit du 16 au 20 Février 1959, c’est-à-dire avant que le Congo ne devînt indépendant. Mais, nonobstant sa très courte durée, elle laissa des traces durables et surtout transmissibles dans la conscience collective comme les biens d’un patrimoine commun, plus lourd en passif qu’en actifs. Quoiqu’il en soit, le tribalisme étant l’un des freins à la construction de la démocratie et au développement mérite d’être cerné pour en juguler les effets pervers à défaut de l’éradiquer. C’est le but assigné à ce livre qui se propose de mettre modestement au service de l’Afrique, en général, et du Congo en particulier, une expertise qui vise notamment à apporter des solutions pour remédier à ce fléau, non sans en avoir d’abord établi un diagnostic objectif. Mais avant d’aller plus loin, comme dans tout travail pédagogique et épistémologique, il sied de définir ce qu’on entend par « Tribalisme ». Le tribalisme qui vient du mot « tribu » est un concept qui revêt plusieurs acceptions. Au sens propre, eu égard à la définition donnée par le dictionnaire, c’est un mode d’organisation social basé sur la tribu. Au sens figuré, c’est un mode d’organisation social basé sur le sentiment d’appartenance à un groupe comme fondement essentiel de la vie. C’est aussi un mode d’organisation politique basé sur la lutte entre les groupes au profit de leurs dirigeants. Que cette organisation soit sociale ou politique, elle 2 13
s’appuie sur des éléments objectifs qui gravitent autour de la tribu et subjectifs, qui se fondent sur le sentiment d’appartenir à un groupe spécifique. Si de prime à bord et en théorie, ce mot semble facile à définir, il n’en est pas toujours le cas en pratique comme le montre l’abondante littérature ethnologique à ce sujet. Telle une coque d’arachides qui renferme deux cacahuètes en son sein, le mot tribalisme renferme aussi deux notions clés qui en constituent la sève. Il s’agit des mots « tribu » et « ethnie ». De même que deux cacahuètes contenues dans une coque peuvent être semblables ou différentes, les mots « tribu » et « ethnie » qui composent le concept de tribalisme sont tantôt employés indistinctement, tantôt différemment ou confusément selon les approches ethnologiques variables dans l’espace et dans le temps. Ce qui a souvent conféré une connotation idéologique à l’ethnologie coloniale, en ce qu’elle qualifie parfois de tribu ou d’ethnie ce qui ne l’est pas à proprement parler. L’exemple par excellence de cette tendance colonialiste erronée est celui des « Mau-Mau » du Kenya qui sont en réalité un groupe de personnes disparates, composés en majorité des Kikuyus, certes, mais qui ne sont pas à proprement parler une ethnie. En effet, en 1952 ce groupe cosmopolite des kenyans avait déclenché un mouvement de grande envergure, appelé « la révolte Mau- Mau », pour protester contre les colons britanniques. Au cœur de leurs revendications il y avait la volonté de reprendre la possession des « terres volées », à la suite de la politique de modernisation agricole imposée par la force, le renouveau culturel, et la mauvaise gouvernance coloniale comme le témoigne un extrait du mémorandum 2 14
que les responsables de la KAU, principal parti kényan, adressèrent au Secrétaire d’Etat britannique : « Les troubles actuels sont dus en grande partie au fait que les Africains ne sont pas suffisamment associés à la machine gouvernementale pour avoir le sentiment d’être des éléments ou des partenaires véritables du gouvernement du pays. » Comme on peut le constater, l’ethnicité attribuée aux « Mau-Mau » relève d’une construction ethnologique coloniale erronée. Pire, les populations locales se sont ensuite réapproprié ce concept en l’imprégnant dans leurs mentalités comme une véritable entité ethnique. C’est pareil au Congo, à propos des « Nibolek » et des « Ngalas » que certaines personnes ont ethnicisé par mépris ethnocentriste ou simplement par ignorance de la structure sociologique du Congo. Alors que ni l’une ou l’autre de ses entités ne sont à proprement parler des ethnies. Par analogie, on peut transposer la même aberration intellectuelle à l’organisation administrative du Congo et préciser que la région des Plateaux, par exemple, n’est pas à vrai dire située au nord, mais au centre comme le montre la carte géographique de la République du Congo. Or, dans la conscience collective les ressortissants des Plateaux sont considérés comme des « nordistes ». En fait, la « nordisation » de la région des Plateaux relève plus d’une logomachie politique erronée que de la réalité géographique. Comme quoi, une erreur maintes fois répétée par un grand nombre d’individus finit par s’imposer malheureusement comme une vérité. Par conséquent, pour réparer cette imperfection qui emberlificote et confine dans l’amphigouri conceptuel, une frange des tenants de l’anthropologie dynamique, dite 2 15
africaniste, ont entendu déconstruire ces notions afin de restituer à ces concepts leur vrai sens. Pour appréhender de manière apodictique le sens du mot « tribu », il faut remonter à l’antiquité avant de choir dans l’époque contemporaine, en passant par la Bible, toujours à l’aune des acceptions lexicologiques et de la littérature anthropologique. En effet, dans l’antiquité gréco-romaine, la tribu désignait une division de la population vivant dans la cité. Dans la Bible, ce concept désigne chacun des douze groupes qui constituent le peuple d’Israël, issu des douze fils de Jacob. D’une façon générale, le terme « tribu » désigne un groupe présentant une unité politique, linguistique et culturelle dont les membres vivent le plus souvent sur un même territoire. Familièrement, cette notion désigne aussi des membres d’une famille étroitement unis par leurs centres d’intérêts. A la page 45 de son ouvrage intitulé BYZANCE NOIRE, Nadel considère « la tribu ou peuple » comme « un groupement unitaire dont les membres revendiquent leur appartenance à un tel groupement. » Enfin, du point de vue des sciences naturelles, la tribu s’entend comme la subdivision d’une famille d’animaux ou de végétaux. Tout compte fait, la tribu est un concept qui recèle des caractéristiques essentielles qui se résument d’abord en l’existence d’un groupe d’individus, d’animaux ou de végétaux. Détaché du domaine animal et végétal, qui ne nous intéresse pas dans le cadre de cette étude à vocation anthropologique, ce groupe d’individus peut, ensuite, être une division ou une subdivision d’un ensemble plus grand. Et puis ce groupe parle une langue commune, a la même 2 16
culture, est situé le plus souvent sur un territoire commun et a enfin, les mêmes ancêtres. Au-delà de ces aspects objectifs, ces individus sont aussi unis parce qu’ils partagent subjectivement les mêmes centres d’intérêts. Historiquement, ce concept qui a les mêmes caractéristiques que la nation, au stade primaire, revêt une connotation fortement idéologique. Car, mus par un complexe de supériorité, les colons ne voulaient pas reconnaître aux groupements d’humains colonisés la nature de nation. Ainsi, ils ont préféré les considérer comme faisant partie d’une tribu, concept conçu à connotation péjorative, réservant le concept de nation pour qualifier leur propre mode d’organisation social. Cette mégalomanie est d’autant plus misérabiliste qu’elle confine sciemment ces peuples dans la catégorie des êtres jugés inférieurs. Par ailleurs, le vocable « ethnie » usité indistinctement, différemment ou confusément par rapport à celui de « tribu » mérite aussi une attention particulière pour en préciser le sens, afin de définir, in fine, celui de tribalisme qui constitue la moelle de cette étude. Etymologiquement, le mot « ethnie » vient du grec « ethnos » qui signifie l’ensemble des peuples qui n’étaient pas organisés en cité, polis. C’est-à-dire ceux qui constituent un fragment de la société grecque, dont les modes d’organisation et de fonctionnement étaient différents des autres. On retrouve ici le même jugement péjoratif et misérabiliste utilisé à propos de la tribu. Plus généralement en science naturelle, ce mot désigne également, autant que celui de « tribu », un groupe d’êtres vivants, humains, végétaux et animaux qui vivent ensemble. Mais comme pour la tribu, nous ne nous 2 17
appesantirons que sur le sens anthropologique du terme « ethnie ». Ce qui évacue à dessein la conception animale et botanique de cette notion, qui n’intéresse pas cette étude quand bien même elle serait utile pour meubler notre culture générale. Si d’emblée le mot « ethnie », qui n’est apparu dans la langue française qu’à la fin du XIXe siècle, semble facile à définir du point de vue de la sémantique, il n’en est pas toujours le cas sur le plan anthropologique. En effet, du point de vue anthropologique, ce concept a fait couler beaucoup d’encre et de salive et continue à en faire couler davantage dans la littérature ethnologique. Ainsi, certains ethnologues la définissent en mettant l’accent sur les critères objectifs tandis que d’autres mettent en lumière les critères subjectifs. Les uns la définissent indistinctement comme synonyme du mot « tribu », d’autres différemment ou confusément comme un terme qui lui est voisin. Cette difficulté d’approche fait dire à Jean-Pierre Chrétien que « l’ethnie est le fantôme de référence de l’ethnologie. » En effet, selon Paul Mercier « l’ethnie est un groupe fermé descendant d’un ancêtre commun ou plus généralement ayant une même origine, possédant une culture homogène et parlant une langue commune. C’est également une unité d’ordre politique. » Pour G. Nicolas « une ethnie, à l’origine, c’est avant tout un ensemble social relativement clos et durable, enraciné dans un passé plus ou moins mythique. Ce groupe a un nom, des coutumes, des valeurs, une langue propres et s’affirme comme différent de ses voisins. L’univers ethnique est une mosaïque de lignages. » Ensuite, 2 18
dans la même trajectoire, il considère qu’une « ethnie peut aussi correspondre à une ou plusieurs tribus ou nations, comme une culture ou une civilisation. » Enfin, cet auteur estime également qu’une ethnie n’est ni une culture, ni une société, mais un composé spécifique. Selon Barth, le terme groupe ethnique désigne une population qui a plusieurs caractéristiques : « une grande autonomie de reproduction biologique, un partage des valeurs culturelles, un champ de communication et d’interaction, un mode d’appartenance qui le distingue lui- même et qui est distingué par les autres en tant qu’il constitue une catégorie distincte d’autres catégories de même sorte. » Comme le résument si bien Marie-Odile Géraud, Olivier Leservoisier et Richard Pottier dans leur ouvrage commun intitulé LES NOTIONS CLES DE L’ETHNOLOGIE : « Au sens anthropologique courant, l’ethnie est un groupe humain caractérisé par une culture et une langue communes, formant un ensemble relativement homogène se référant à une histoire et un territoire partagés. » Ainsi défini, il appert de la combinaison des éléments composant ces deux concepts que l’ethnie autant que la tribu ont les mêmes caractéristiques qui s’articulent autour de l’existence d’un groupement d’individus, d’une langue et d’une culture communes, d’un espace géographique, d’une descendance d’ancêtres communs, d’une histoire partagée ou des intérêts communs. Cependant, la tribu étant une division ou une subdivision d’un groupe humain beaucoup plus large qu’on appelle groupe ethnique, en constitue donc un segment, c’est-à-dire une infime partie. A cet effet, l’ethnie est une 2 19
entité englobante qui contient en son sein une ou plusieurs tribus en tant qu’éléments englobés. Par conséquent, transposée à l’espace sociologique congolais, cette définition conduit à la déduction que le groupe ethnique Téké recèle donc une mosaïque de tribus que sont notamment les Tékés proprement dits, éparpillés à travers tout le territoire congolais autant au nord, au centre, qu’au sud, les Koukouyas, les Babomas, les Dzindzios, les Gangoulous, les Mbétis, les Lalis, les Yakas… Le groupe ethnique Mbochi est donc un ensemble très vaste qui renferme les Mbochis proprement dits, les Kouyous et les Makouas. De même que le groupe ethnique Kongo est un conglomérat de tribus qui sont les kongos proprement dits, les Laris, les Soundis… Enfin, le groupe ethnique Loango est composé des tribus multiples que sont les Vilis, les Kougnis, les Yombés, les Pounous… En définitive, il ressort de la synthèse de toutes ces acceptions lexicologiques et anthropologiques, ainsi que du vécu réel, que le Tribalisme peut être défini comme une pratique qui implique un mode d’organisation et de fonctionnement socio-politique basé sur la tribu. Dans son expression la plus usitée, le tribalisme est une idéologie promue par les esprits intolérants dans le but de favoriser les personnes appartenant à leur tribu au détriment des autres. De ce point de vue, le tribalisme est une forme de discrimination et d’exclusion basée sur l’appartenance à une tribu. Après avoir défini cette notion, force est constater qu’en tant qu’idéologie qui prône l’exclusion et la discrimination des uns par rapport aux autres, le tribalisme est un vrai fléau qui mine l’unité nationale et, par-delà tout, le développement de notre pays autant que d’autres à 2 20
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