PAR PASCAL SAFFACHE - Martinique 2030

La page est créée Nicolas Delaunay
 
CONTINUER À LIRE
PAR PASCAL SAFFACHE - Martinique 2030
PAR PASCAL SAFFACHE
PAR PASCAL SAFFACHE - Martinique 2030
DÉVELOPPEMENT DURABLE DÉFINITIONS!
PASCAL SAFFACHE

Qu’est-ce que le développement durable ?
Nombreux sont ceux qui pen-
sent que le « développement dura-
ble » est un concept qui est
apparu en 1987, dans le rap-
port Bruntland, et qui se défi-
nit par la formule suivante :
« un développement qui répond aux be-
soins du présent sans compromettre la
capacité des générations futures à répon-
dre aux leurs ».
Si on réduit souvent le déve-
loppement durable à cette
seule citation, il convient tou-
tefois de se poser quelques
questions :
d’où vient réellement ce

                                            A
concept ?                                             vant d’évoquer le « développement          Les inégalités de développement étant
Pourquoi l’associe t-on au                            durable », ses racines, sa portée,         nombreuses et surtout présentes à
concept d’utopie ?                                    son devenir, il convient d’effec-          toutes les échelles, le projet d’un « déve-
                                            tuer un focus sur la notion de dévelop-              loppement durable » ou d’un développe-
Aux trois piliers traditionnels             pement.         Qu’est-ce        que      le         ment qui profite à tous en s’inscrivant
qui le fondent (l’économique,               « développement » ? Qu’appelle t-on « déve-          dans la durée a donc germé. Est-ce uto-
le sociétal et l’environnemen-              loppement » ?                                        pique de parler de « développement du-
tal), ne faudrait-il pas en ajou-                                                                rable » ?
ter un ou plusieurs autres ?                La définition la plus commune sous-
Les réponses apportées à ces                tend que le développement est : « l’action           Dans le langage courant l’utopie est tou-
                                            de croître, de progresser, de donner de l’am-        jours associée à une impossibilité, à une
questions permettront d’ap-
                                            pleur ». Il s’agit aussi d’un « processus de di-     situation hors de portée. Pourtant, l’his-
préhender avec plus de finesse              versification et d’enrichissement des activités ».   toire regorge d’exemples prouvant que
la réalité de ce concept très an-           Partant de cela, le « développement écono-           l’homme a besoin de réver, de se proje-
cien, et bien plus complexe                 mique » est : « l’évolution positive des facteurs    ter, donc d’utopie, pour atteindre ses ob-
qu’on ne l’imagine.                         structurels (démographiques, industriels, sani-      jectifs. L’utopie est donc un concept qui
                                            taires, culturels, sociaux, etc.) d’une zone géo-    propose une rupture avec le système
                                            graphique ou d’une population ».                     existant, l’utopie ne prône pas le progrès,
                                            Ces changements sous-tendant l’enri-                 mais la révolution.
                                            chissement de la population et l’amélio-             Thomas More (juriste, historien, philo-
                                            ration de leurs conditions de vie.                   sophe, théologien et homme politique
                                            Le « développement » est donc une notion             britannique – 1478-1535) publia un
                                            qui sous-tend le progès et la croissance,            traité intitulé « Utopia », qui permit
                                            alors que le « développement économique »            l’émergence du vocable « utopie ». Té-
                                            n’est en réalité qu’une des composantes              moin des ravages sociaux du mouve-
                                            du développement.                                    ment des enclosures1, il imagina une

6                                                                                                      ANTILLA SPÉCIAL - Novembre 2017
PAR PASCAL SAFFACHE - Martinique 2030
société idéale (Utopia) basée sur la
sagesse.
Ce projet de société idéale, plus
juste, permettant à tout un chacun
d’assurer ses besoins quotidiens,
mais surtout au sein de laquelle il
n’existe plus ou quasiment plus de
rapports de domination et d’asser-
vissement, a influencé Voltaire qui,
dans « Candide », dénonça les dys-
fonctionnements de la société du              L’homme a besoin de réver, de se projeter, donc
XVIIIe siècle. Ce traité influença
                                              d’utopie, pour atteindre ses objectifs.
aussi de nombreux penseurs socia-
listes du XIXe siècle : Saint Simon,       ces réflexions tombèrent dans           tellectuels influents (scientifiques,
Proudhon, Marx, Engels, etc.               progressivement l’oubli.                économistes, hauts fonctionnaires),
Pour saisir la portée de la pensée de                                              se réunit à Rome (d’où son nom,
Thomas More, il convient de la repla-      Il fallut attendre qu’en 1951 l’UICN    Club de Rome) et prôna la décrois-
cer dans son contexte historique :         (Union Internationale pour la           sance dans un rapport intitulé :
la fin du Moyen-âge et le début du         Conservation de la Nature) publie       « The limits to growth », traduit en
siècle des lumières, et pour oser dé-      son premier rapport sur l’état de       français par « Halte à la croissance ».
velopper ce type d’idées certains le       l’environnement dans le monde,          A en croire leurs analyses et conclu-
payaient de leur vie. Thomas More          pour que l’activité anthropique soit    sions, la croissance zéro serait le
sera d’ailleurs emprisonné, puis           clairement identifiée comme le fac-     meilleur moyen de ménager le mi-
exécuté.                                   teur de dégradation du milieu.          lieu, et de lui permettre de résister
                                           L’une des conclusions de ce rap-        aux pressions quotidiennes. Cette
Que cherchait Thomas More ? Que            port était de souligner la nécessaire   non-croissance ou décroissance de-
voulait-il mettre en exergue à tra-        mise en place d’instances interna-      vait permettre la régénérescence du
vers cette société idéale : Utopia ?       tionales de surveillance et/ou de ré-   milieu.
                                           gulation, et de tout faire pour         A la même époque fut créé le Pro-
Thomas More rêvait de trois choses :       sensibiliser le grand public face aux   gramme des Nations Unies pour
■  rompre avec l’obscurantisme             catastrophes environnementales          l’Environnement (PNUE), dont
moyen-âgeux ;                              annoncées.                              l’objectif était de coordonner les
■ permettre l’émergence du pro-
                                                                                   actions onusiennes en faveur de
grès technique ;                           En 1960, les premières observa-         l’environnement, et d’aider les pays
■ participer à l’émergence d’un
                                           tions de l’UICN furent confirmées       en voie de développement à initier
nouveau modèle sociétal.                   par un rapport qui démontra les im-     de vraies politiques environnemen-
                                           pacts nocifs que pouvait avoir une      tales. C’est à cette même époque
On entrevoit ainsi déjà deux des           croissance éffrénée sur le milieu       qu’émergea l’écologie moderne et la
principaux piliers du développe-           (déforestation, érosion, perte de       notion de « complexité » si bien dé-
ment durable :                             biodiversité…). C’est ainsi que na-     crite par Edgard Morin.
le pilier environnemental qui, à travers   quit le Programme des Nations
la mobilisation de nouvelles tech-         Unies pour le Développement             Au début des années 1980, ce long
niques, devait permettre l’émer-           (PNUD), dont la mission était d’ai-     processus de gestation aboutit à
gence des sciences de la nature            der les pays en développement en        une prise de conscience internatio-
(donc d’avoir un rapport plus res-         leur fournissant des conseils, mais     nale : l’environnement planétaire
pectueux de l’environnement) ;             surtout de plaider leurs causes pour    était en danger et des mesures
le pilier sociétal, car la théorie de T.   qu’ils obtiennent des dons et/ou        fortes devaient être prises. Il ne
More est basée prioritairement sur         des subventions, leur permettant        s’agissait plus de mettre en place ici
la réorganisation de la société.           ainsi d’exercer une pression plus li-   où là quelques « mesurettes » desti-
                                           mitée sur le milieu.                    nées à calmer les partisans de tel ou
En raison des guerres et des                                                       tel mouvement écologique, mais
deux révolutions industrielles,            En 1972, un lobby constitué d’in-       bien de changer de paradigme. Le

ANTILLA SPÉCIAL - Novembre 2017                                                                                         7
PAR PASCAL SAFFACHE - Martinique 2030
DÉVELOPPEMENT DURABLE DÉFINITIONS!

    Cependant, une question s’imposa très vite : le développement peut-il être durable ?
    «Développement» et «durable», ne sont-ce pas deux vocables antinomiques ?
              développement durable dans son              ■ un texte fondateur de 27 prin-        l’homme, et surtout de reconnaître
              acception moderne était né. En              cipes, intitulé « Déclaration de Rio    des droits aux groupes humains les
              1987, il fut vulgarisé par la com-          sur l’environnement et le dévelop-      plus fragilisés : droit des peuples
              mission mondiale sur l’environne-           pement » ;                              indigènes, droit des minorités, etc.
              ment, grâce à la formule désormais          ■ un programme d’action pour le
              célèbre : « développement qui répond        XXIe siècle (qui donna par la suite     Enfin, du 6 au 12 mars 1995,
              aux besoins du présent sans compromet-      ce que nous connaissons au-             le sommet de Copenhague -
              tre la capacité des générations futures à   jourd’hui sous le nom d’agenda 21)      auquel participa 118 chefs d’états
              répondre aux leurs ».                       comprenant 2500 recommanda-             et de gouvernements - s’engagea à
                                                          tions dans des domaines aussi di-       combattre la pauvreté, à créer des
              Cette nouvelle vision du monde, et          vers que la santé, le logement, la      emplois, à bâtir une vraie solidarité
              des relations que les hommes de-            pollution de l’air, la gestion des      entre les hommes, et à faire émer-
              vaient entretenir entre eux ainsi           mers, la gestion de l’eau, l’agricul-   ger ou consolider la sécurité et la
              qu’avec leur milieu, fut confortée          ture, les forêts, etc. ;                justice pour tous.
              par trois sommets que certains              ■ l’adoption d’une convention sur
              qualifièrent de fondateurs : Rio            le climat, qui aboutit en 1997 à la     Ces trois sommets servirent d’an-
              (1992), Viennes (1993) et Copen-            signature du protocole de Kyoto.        crage au nouveau projet de société
              hague (995).                                                                        dénommé « développement durable » :
                                                          Du 15 au 25 juin 1993 se déroula        un projet prônant l’efficacité éco-
              Le sommet de Rio, plus connu                la conférence de Viennes, qui fut       nomique, l’équité sociale et la sou-
              sous le nom de sommet de la terre,          la première manifestation interna-      tenabilité environnementale.
              se déroula du 3 au 14 juin 1992.            tionale relative aux droits de
              110 chefs d’états et de gouverne-           l’homme, depuis la fin de la guerre     Cependant, une question s’imposa
              ments et 2400 ONG y participè-              froide. 171 nations, 800 ONG et         très vite : le développement peut-il
              rent. Trois éléments majeurs et/ou          7000 personnes y participèrent ;        être durable ? « Développement »
              principes furent adoptés à cette oc-        l’objectf était de développer une       et « durable », ne sont-ce pas deux
              casion :                                    vision expansive des droits de          vocables antinomiques ?

8                                                                                                 ANTILLA SPÉCIAL - Novembre 2017
Par définition, toutes actions de dé-       Certains vont encore plus loin et es-       non pas de façon isolées, mais de
veloppement s’inscrit dans une fluc-        timent que la gouvernance (qui est          façon globale, frontale, pour per-
tuation permanente et sa durée est          un élément totalement transversal)          mettre l’émergence d’une société
par essence limitée. En réalité, le vo-     doit aussi être prise en compte…            nouvelle.
cable « durable » est une mauvaise tra-                                                 Beaucoup estimeront ces propos
duction française du terme anglais          En définitive, le développement du-         utopiques, mais l’utopie étant fonda-
« sustainable » ; certains pensent d’ail-   rable est un concept évolutif, en           trice, replaçons l’homme au centre
leurs qu’il faudrait abandonner la          construction constante, dont les ra-        du système.
formule « développement durable »           cines sont à rechercher au début du
pour en revenir à la formule anglo-         XVIe siècle (à partir des travaux vi-                           Pascal Saffache
saxonne initiale : « sustainable develop-   sionnaires de Thomas More). L’émer-
ment », ou adopter des formules du          gence de ce vocable en 1987, n’est
type : « développement soutenable »,        que le résultat d’un long processus
ou « développement raisonné », bien         de gestation, dont l’objectif est de
que ces formules ne traduisent              placer ou replacer l’homme au cen-          Les références bibliographiques
qu’imparfaitement le sens profond           tre du système sociétal. Contraire-            qui pourraient intéresser
de « sustainable development ».             ment à ce que beaucoup ont cru, le           les lecteurs sont disponibles
                                            développement durable ne cible pas            dans le même article publié
Au-delà des polémiques qui naqui-           seulement la protection de l’envi-               sur les sites internet :
rent et perdurèrent autour de cette         ronnement, mais l’avènement d’une            www.antilla-martinique.com
formule anglo-saxonne, ce qu’il faut        société nouvelle. Indira Gandhi di-            www.martinique2030.com
retenir c’est que ce concept est fon-       sait : « la pauvreté est la forme la plus
damentalement anthropocentrique,            grave de pollution » ; prenons donc acte
c’est-à-dire basé sur l’homme, sa re-       que les dégradations quelles que
connaissance, sa protection et son          soient leurs natures (environnemen-
bien-être. Bien que cette approche          tales, sociétales, économiques, cultu-
soit souvent passée sous silence, elle      relles, etc.) doivent être combattues,
s’avère fondamentale car l’homme
est enfin reconnu comme l’élément
central, comme l’élément à protéger,
alors que jusqu’alors les modèles
économiques s’en servaient, l’asser-
vissaient, sans jamais lui reconnaître
la moindre prééminence.

    UNE AUTRE QUESTION
    SE POSE AUJOURD’HUI :

■  le développement durable
peut-il se résumer uniquement
aux aspects économiques, socié-
taux et environnementaux ?

■ La culture ne serait-elle pas une
composante indispensable de la
construction humaine ?

L’homme étant par nature empreint
de culture (un américain n’a pas le
même filtre culturel qu’un indoné-
sien, ou qu’un éthiopien, et ce filtre
conditionne sa vision du monde), on
adjoint aujourd’hui un pilier culturel
au concept de développement dura-
ble.

ANTILLA SPÉCIAL - Novembre 2017
Vous pouvez aussi lire