Le tribunal communautaire de Vancouver : une juridiction de proximité
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Le tribunal communautaire de Vancouver : une juridiction de proximité 1 Claudine BANSEPT Chargée de mission Conseil National des Villes (CNV) Qu’est ce que ce tribunal « de proximité ou de centre ville », seul exemple existant actuellement au canada ? « Le Downtown Community Court » (DCC) a été crée en 2008, après une année de consultations conclues par un rapport final, assorti de recommandations. Cette concertation préalable a été menée afin de dépasser la résistance initiale des juges et des professionnels, ainsi que les rigidités des organigrammes. Le tribunal communautaire fait partie de la cour provinciale de Colombie Britannique et est installé dans les locaux d’une « ancienne » prison. Il s’agit d’une nouvelle approche du traitement de la criminalité initiée par la justice dans une société qui est décrite comme « gâchée » par la pauvreté, le chômage, la non traitance des maladies mentales, la criminalité, les addictions à l’alcool et aux drogues. L’action du tribunal couvre « Downtown Vancouver » et « Dowtown eastside ». Cette partie de la ville est l’une des plus denses démographiquement. Elle est ethniquement et linguistiquement très diverse. Prés de 50 % de la population parle l’anglais en seconde langue. Les actes de délinquance y sont nombreux : violences, consommations de produits illicites, atteintes aux biens (vols à l‘étalage, à la roulotte), agressions, nuisances, fraudes, non respect des injonctions judiciaires. Ce tribunal (qui développe un modèle de justice intégrée à l’origine de sa création s’est appuyé sur plusieurs analyses et a fait les paris suivants : - de nombreux délinquants sont engagés dans un cycle de délinquance lié à des causes comme l’alcoolisme, l’addiction aux drogues, la maladie mentale, l’absence de logis ou d’emploi et il faut s’attaquer à ces causes profondes pour réduire la criminalité. Le postulat de départ est que la réponse judiciaire seule – la détention notamment – n’empêche pas la récidive ni ne réduit les causes de la criminalité ; - en combinant les appuis de la justice, de la santé, des services sociaux, de la société civile dont les contrevenants ont besoin, en modifiant le fonctionnement judiciaire traditionnel, le tribunal s’assure qu’‘ils peuvent mieux assumer la responsabilité de leur acte (notamment à l’égard de l’indemnisation de leurs victimes) et qu’ils peuvent changer leur vie et améliorer leur conduite ; 1 Présentation appuyée pour partie sur la brochure de présentation en anglais et sur le rapport de mission du CNV à Vancouver et Montréal du 26 septembre au 6 octobre 2013 « Jeunesse et Prévention » .
Le tribunal communautaire de Vancouver, Délinquance, justice et autres questions de société, 31 juillet 2014 2 - le tribunal (DCC) répond plus vite et de façon plus juste qu’un tribunal traditionnel à la nécessité de poursuivre les faits commis car : * il a accès aux informations réunies par l’accusation ; * parce que des représentants de la justice, des services sociaux et de santé, de logement, d’insertion, sont réunis dans un même lieu et travaillent ensemble. CONCRETEMENT COMMENT LES CHOSES SE DEROULENT ELLES ? L’octroi d’un délai de 90 jours par le juge pour une prise en charge par les agents de probation et la mise en œuvre d’un modèle de travail collaboratif Si le délinquant reconnait ses actes et plaide coupable, accepte de réparer ses méfaits et d’indemniser sa ou ses victimes, le juge rend une ordonnance qui prévoit un délai de 90 jours pour une prise en charge du délinquant par les agents de probation. Le contrevenant, selon son profil et ses difficultés, est entouré par une équipe mobilisée avec lui, autour de sa situation. Equipe composée d’un officier de probation, d’un policier, d’un travailleur social, d’un travailleur en santé2 qui va lui donner accès non seulement à des droits et à de l’assistance mais qui va aussi l’orienter vers une prise en charge adaptée pour résoudre ses difficultés personnelles : programmes de gestion de la colère, de résolution de conflit, de lutte contre la violence conjugale, les addictions ; Tous les services de prévention (sociaux, de santé, de justice …) sont mobilisés et localisés dans un même bâtiment – mais distinct du tribunal - pour offrir au juge une enquête approfondie et globale sur la situation du délinquant et de sa famille avant le jugement. L’engagement de l’auteur et du DCC est contractualisé. Des réunions périodiques de suivi sont organisées avec tous les intervenants (juge, JAP, avocat, médecin…) par un agent de probation qui fait le lien entre tous et avec des points de situation devant le juge si nécessaire. Un protocole de partage des renseignements est établi à cette fin. Le DCC est une aide à la décision finale du juge, décision qui oscillera entre la détention et la « libération sous assistance ». La victime bénéficie parallèlement de services spécialisés : indemnisation, lettre d’excuse, information sur la sanction et transparence au niveau de la procédure dans son ensemble. Un tribunal qui se vit comme co-responsable de la non récidive, responsable de son efficience, de son insertion locale… développeur d’un modèle de justice intégré Enfin, d’une manière plus générale, il est important aussi de souligner que si l’objectif prioritaire est de responsabiliser l’auteur d’infraction pénale, – qui doit se sortir lui même de sa trajectoire délictuelle – le tribunal a le but d’apporter une réponse judiciaire3 rapide et juste. Il revendique sa propre responsabilité et son efficience. Efficience à l’égard de l’auteur de l’infraction, des victimes et des témoins de l’infraction, mais aussi de la société locale dans lequel il intervient (ce qui est inédit). 2 D’autres appuis peuvent s’ajouter. 3 La démarche se structure autour de la résolution de problèmes.
Le tribunal communautaire de Vancouver, Délinquance, justice et autres questions de société, 31 juillet 2014 3 Il revendique aussi la réduction des coûts : cette réaction judiciaire rapide induit un meilleur usage des ressources financières et cette démarche « pro-active » peut changer la conduite criminelle. Autres originalités institutionnelles pour un tribunal : il revendique également dans son organisation et son fonctionnement deux principes qui ont de véritables traductions concrètes locales : être connecté et collaboratif afin de travailler avec la communauté, entendue au sens de société civile, autorités locales, entreprises. Connecté Le tribunal a été développé avec le concours des résidents du quartier, les propriétaires d’entreprises, les associations et beaucoup d’autres partenaires. Là encore, le tribunal fait le pari que c’est en nouant de nouvelles relations, tant à l’intérieur du système judiciaire qu’avec les services sociaux et de santé (notamment de santé mentale), les organisations communautaires, les résidents de la zone, les commerces, les écoles etc. … qu’un « collectif solidaire » se construit pour trouver des solutions aux problèmes de criminalité. Un «board » est constitué avec un délégué de la ville, un représentant des ministères sociaux, de la justice, de la santé, du gouvernement provincial pour le logement, du fédéral, de bénévoles … Les juges du DCC rencontrent une fois par mois les conseils consultatifs auprès des collectivités (conseils de quartiers en France) qui portent les attentes de la population locale qui y siège. Un rapport du tribunal est consultable en ligne ( www.communitycourt@gov.bc.ca) dans lequel il explicite sa démarche et propose : - un examen des types de délinquance au plan local et une compréhension de son impact, - les résultats de consultation du public et des délinquants, - une évaluation des besoins des organismes et des intervenants, - des sondages pour soutenir l’évaluation, - une valorisation de la plus value des actions et programmes menés. Un site web a été créée pour générer le lien avec le public. Collaboratif Enfin, le tribunal engage la communauté et les professionnels dans un modèle de justice intégrée qui s’adressent à la réduction des facteurs complexes qui conduisent une personne à commettre des délits. QUELS SONT LES PRINCIPAUX RESULTATS OBTENUS ? Un travail est également développé au sein du tribunal avec les victimes. La justice restauratrice et la médiation sont favorisées. Beaucoup de cas (une centaine par jour) sont résolus à ce niveau sans recours au procès. En conséquence, les délais d’audiencement du tribunal ont considérablement baissé, passant de 6 semaines à 3 mois, au lieu de 12 à 18 mois. Le système a prouvé son efficacité à travers la baisse du taux de récidive, une évaluation sera bientôt publiée. La délinquance est à son plus bas niveau depuis 40 ans. La clef du DCC est le
Le tribunal communautaire de Vancouver, Délinquance, justice et autres questions de société, 31 juillet 2014 4 lien avec la collectivité ; le DCC peut donc être situé dans un centre communautaire local ou ailleurs, selon les disponibilités et ressources locales. Sur le fond, la philosophie générale observée au DCC est de savoir comment mieux exercer les poursuites et de développer une action de politique pénale territorialisée avec une idée force : déconnecter la déclaration de culpabilité avec le prononcé de la peine consentie (CRPC) ou prononcée (par le TGI). Il y a un temps pour la culpabilité et un temps pour la peine que le contrevenant co-construit à l’aide de programmes spécifiques. Il faut profiter de ce temps particulier pour aménager les relations institutionnelles. La reconnaissance de culpabilité marque la responsabilisation et ensuite la personne doit prouver ce qu’elle vaut, ce qu’elle est capable de faire pour se réinsérer. Au Canada, le plaider coupable concerne 90% des poursuites, l’action du DCC permet une gestion des flux et une économie de temps et d’argent. Il évite aussi la surpopulation carcérale. DANS QUEL CADRE ET A QUELLES CONDITIONS CETTE EXPERIENCE POURRAIT ETRE DEVELOPPEE EN FRANCE ? Il convient tout d'abord de rappeler que les politiques publiques les plus récentes mises en œuvre par les ministères de la Justice et de l'Intérieur s'attachent à prendre en compte la dimension territoriale du traitement de la délinquance et des actions de prévention (circulaires de politiques pénales territoriales, zone de sécurité prioritaire). La procureure de la république prés le TGI de Bobigny, Mme Sylvie Moisson, qui était membre d’une délégation du Conseil National des Villes qui s’est rendue récemment à Vancouver, avec l’appui de l’Ambassade du Canada Paris, s’est déclarée très intéressée pour une expérimentation et a esquissé un début de proposition sur les moyens de décliner, à droit constant, une expérimentation qu’elle appelle « politique pénale territorialisée ». Le vecteur privilégié de cette expérimentation pourrait être la décision d'ajournement du prononcé d'une peine prévu par les articles 132-59 à 132-70 du code pénal. En effet, la faculté laissée à l'appréciation des juges du fond – de prononcer l'ajournement du prononcé de la peine (article 469-1 du code de procédure pénale) – repose sur un double mouvement : d'une part, la déclaration de culpabilité du prévenu d'autre part, le renvoi, pour le prononcé de la peine, à une date ultérieure qui ne peut excéder un an. Cet ajournement, dont bénéficie le prévenu, suppose soit qu'il est en voie de reclassement (ajournement simple), soit qu'il doit faire l'objet, dans le cadre de l'ajournement, d'une mesure de contrôle et d'aides destinées à favoriser son reclassement social (ajournement avec mise à l'épreuve). Ce dispositif pourrait constituer le moyen approprié d'une prise en charge complète et diversifiée du prévenu avec un double objectif de reclassement social et de réparation, et ce, dans le cadre d'un contrôle par la juridiction.
Le tribunal communautaire de Vancouver, Délinquance, justice et autres questions de société, 31 juillet 2014 5 En effet, le prévenu a l'obligation de prouver au tribunal, à l'issue du délai qui lui a été accordé avant la décision sur la peine, qu'il s'est conformé aux obligations mises à sa charge et a satisfait en particulier à celles de réparation et/ou de reclassement. De plus, cette expérimentation dans ce cadre préexistant juridique, sanctionnée par une décision d'une juridiction de jugement par le prononcé d'une peine, pourra faire l'objet d'une évaluation aisée tant sur le nombre des mesures que sur leur portée (par l'examen de la nature de la décision sur la peine). Souple et d'une durée utile, ce dispositif permettrait de conduire une action réparatrice, mais également préventive. Cette expérience judiciaire nouvelle pourrait aussi ensuite, mettre en œuvre la future peine dite de « contrainte pénale », actuellement proposée par la Garde des Sceaux, Ministre de la justice, et en cours d’examen devant les assemblées. Cette initiative judiciaire nouvelle demanderait cependant de clarifier un certain nombre de questions et de préciser son mode d’organisation et de financement : Quelle serait la typologie des actes de délinquance sur lesquels cette expérimentation pourrait porter ? Quelle zone géographique choisir pour la mise en œuvre de l'expérimentation ? Comment constituer une plateforme collective composée d’une équipe pluri-professionnelle – intégrant avec des agents de probation volontaires, la santé, les services sociaux, la police – pour que l’assistance requise aux auteurs, leur orientation vers des programmes spécialisés soient complètes et effectives , l’aide aux victimes réalisée ? Comment identifier les programmes spécialisés, les valider et les réunir ? Ici se pose la question des opérateurs … Sensibiliser les magistrats du siège à cette expérimentation, étant rappelé que l'ajournement est une simple faculté laissée à leur appréciation. - Comment développer cette expérience novatrice, dés l’amont, avec le concours des collectivités et avec la volonté d’une relation nouvelle de la justice dans et avec la ville ?
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