Épidémiologie du cancer de la prostate en Guyane franc aise - Données préliminaires

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Épidémiologie du cancer de la prostate en Guyane franc aise - Données préliminaires
Progrès en urologie (2020) 30, 456—462

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ARTICLE ORIGINAL

Épidémiologie du cancer de la prostate en
Guyane française — Données préliminaires
Epidemiology of prostate cancer (PCa) in French Guyana (FG) — Preliminary
results

                                       O. Tean a, C. Bras Da Silva a, P. Vega Toro a, P. Barre a,
                                       V. Molinie b, V. Ravery a,∗

                                       a
                                         Service d’urologie, centre hospitalier de Kourou, 97310, avenue Léopold-Héder, 97387
                                       Kourou, Guyane française
                                       b
                                         Service d’anatomopathologie, CHU Fort-de-France, Fort-de-France, Martinique

                                      Reçu le 3 novembre 2019 ; accepté le 12 mai 2020
                                      Disponible sur Internet le 31 mai 2020

     MOTS CLÉS                        Résumé
     Cancer ;                         Introduction. — L’épidémiologie du cancer de prostate (CaP) en Guyane française (GF) n’est
     Prostate ;                       pas bien documentée. Elle diffère de celle relevée aux Antilles en raison d’une population plus
     Épidémiologie ;                  jeune, moins exposée aux pesticides agricoles mais ayant une plus grande difficulté d’accès aux
     Diagnostic ;                     soins et à l’information médicale.
     Race                             Matériel. — Les taux d’incidence et de mortalité disponibles dans le registre des cancers du
                                      département sont étudiés et rapportés pour la période 2010—2014. Les caractéristiques des
                                      242 séries de biopsies prostatiques réalisées entre janvier 2017 et octobre 2019 à Kourou pour
                                      suspicion clinique et/ou biologique (PSA > 4 ng/mL) de CaP sont décrites.
                                      Résultats. — L’incidence du CaP en GF est de 94,4◦ /◦◦◦◦ et la mortalité spécifique de 16,9◦ /◦◦◦◦ .
                                      Parmi les biopsies, 77,7 % (188/242) sont positives avec un PSA moyen de 72,6 ng/mL (1—4000)
                                      à un âge moyen de 66 ans (50—89), 34 % (64/188) avec un TR anormal, 12,3 % (23/188) avec un
                                      PSA > 50 ng/mL et 28,2 % (53/188) avec un score de Gleason ≥ 8.
                                      Conclusion. — Malgré une population jeune, une exposition moins forte qu’aux Antilles aux
                                      facteurs de risque environnementaux et un taux de métissage important, le diagnostic précoce
                                      du CaP en GF est encore un défi à relever. Les taux d’incidence et de mortalité observés
                                      suggèrent à la fois une sous déclaration des cas et une prise en charge trop tardive ce qui est
                                      confirmé par les caractéristiques anatomopathologiques défavorables des cancers diagnostiqués
                                      et par les taux élevés de PSA au moment du diagnostic.
                                      Niveau de preuve.— 3.
                                      © 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

 ∗   Auteur correspondant.
     Adresse e-mail : raveryv@ch-kourou.fr (V. Ravery).

https://doi.org/10.1016/j.purol.2020.05.005
1166-7087/© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Épidémiologie du cancer de la prostate en Guyane franc aise - Données préliminaires
Cancer de prostate en Guyane française                                                                                        457

  KEYWORDS                        Summary
  Cancer;                         Introduction. — Epidemiology of prostate cancer (PCa) in French Guyana (FG) is not well docu-
  Prostate;                       mented yet. It differs from the reported one in French West Indies due to a younger population,
  Epidemiology;                   less exposed to agricultural pesticides with also much lower level of medical information and
  Diagnosis;                      care.
  Race                            Material. — The incidence and mortality rates available in the regional register of cancers are
                                  reported for the period 2010—2014. The characteristics of 242 consecutive prostate biopsy series
                                  performed between 2017 January and 2019 October for abnormal digital rectal examination
                                  (DRE) and/or PSA > 4 ng/mL are also described.
                                  Results. — PCa incidence in FG is 94.4◦ /◦◦◦◦ and specific mortality 16.9◦ /◦◦◦◦ . Among the biop-
                                  sies, 77.7% (188/242) are positive with a mean PSA of 72.6 ng/mL (1—4000) at a mean age of
                                  66 years (50—89), 34% (64/188) with an abnormal DRE, 12.3% (23/188) with a PSA > 50 ng/mL
                                  and 28.2% (53/188) with a Gleason score ≥ 8.
                                  Conclusion. — In spite of young population, less exposure to environmental risk factors and high
                                  rate of racial mixing, the early PCa diagnosis is still a challenge in FG. The observed incidence
                                  and mortality rates suggest underestimation of PCa cases and too late specific care what is also
                                  suggested by adverse pathological and biological characteristics of the tumors at the time of
                                  diagnosis.
                                  Level of evidence.— 3.
                                  © 2020 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction                                                      contre, 4 appareils d’imagerie par résonance magnétique
                                                                  (IRM) sont accessibles.
La Guyane française (GF) est une région et un département           Si l’épidémiologie du cancer prostatique (CaP) aux
d’outre-mer français situé en Amérique du Sud à un peu plus      Antilles est bien connue (incidence standardisée de
de 7000 kilomètres de sa métropole. Elle est frontalière du       193◦ /◦◦◦◦ versus 98◦ /◦◦◦◦ en métropole), la situation en
Brésil au sud-est et du Suriname à l’ouest.                       Guyane française n’est pas encore bien documentée [3,4].
   C’est le plus grand département français avec 86 504 km2      Nous faisons une évaluation préliminaire de l’épidémiologie
(1/6◦ de la France) : l’activité du Centre spatial guya-          du cancer de prostate en Guyane en rapportant les éléments
nais représente 1/5e de son PIB et la forêt amazonienne           disponibles dans le registre déclaratif des cancers dans le
couvre encore environ 95 % du territoire. La population           département [5] et en étudiant les caractéristiques des
guyanaise comptait en 2015, 259 865 habitants dont 66 %           patients au moment du diagnostic de cancer prostatique.
de noirs et créoles (Fig. 1). Si les métropolitains repré-
sentent actuellement environ 12 % de la population, les
autres populations sont nombreuses et variées : Chinois,
Libanais, Brésiliens, Haïtiens, Surinamais, Guyaniens, Hin-
                                                                  Matériel et méthodes
dustanis, Javanais du Suriname, Laotiens, Saint-Luciens,
                                                                  Le premier temps de l’étude a consisté à examiner les
etc. [1]. Kourou est la 4e commune du département avec une
                                                                  données disponibles du registre des cancers de GF, colli-
population de 25 868 habitants en 2014. Elle est la quatrième
                                                                  geant les cas de la population du département et dont
commune la plus peuplée, derrière Cayenne, Saint-Laurent-
                                                                  les auteurs se font les rapporteurs, pour y isoler entre
du-Maroni et Matoury et abrite le seul service d’urologie
                                                                  2010 et 2014 (dernières données disponibles) les taux stan-
structuré du département. La situation sociale et sanitaire
                                                                  dardisés d’incidence et de mortalité dans le département.
en GF présente quelques particularités. Il y a une clandesti-
                                                                  Ces taux ont été calculés en utilisant la population mon-
nité importante : sur les 12 000 demandes d’asile déposées
                                                                  diale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de
en moins de 3 ans, dont 88 % proviennent de Haïtiens, moins
                                                                  1960 comme population de référence. Ils correspondent
de 3 % d’entre elles en 2016 ont été acceptées. Du coup,
                                                                  aux taux d’incidence et de mortalité que l’on observe-
les déboutés finissent leur course dans les bidonvilles de
                                                                  rait dans cette population type, si elle était soumise à
Cayenne, dans des abris de fortune sans eau potable et ni
                                                                  la force d’incidence et de mortalité observée. Ils sont
électricité [2]. De plus certains équipements médicaux de
                                                                  exprimés pour 100 000 personnes-années. Pour la Guyane,
base qui paraissent appartenir au prérequis nécessaire à la
                                                                  les données d’incidence proviennent des registres de can-
bonne qualité des soins manquent : pas de radiothérapie, ni
                                                                  cers, et couvrent la période 2010—2014. Les données de
de scintigraphie osseuse disponibles sur le département. Par
                                                                  mortalité proviennent du Centre d’épidémiologie sur les
Épidémiologie du cancer de la prostate en Guyane franc aise - Données préliminaires
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Figure 1.   Répartition de la population guyanaise sur le territoire et dans les communes (données personnelles 2017 — D’après Jacques
Leclerc).

causes médicales de décès (CépiDc) et couvrent la période            score de Gleason, le pourcentage d’envahissement du tissu
2007—2014. Trois indicateurs médico-administratifs ont été           biopsique et celui des biopsies positives sont rapportés. Une
testés, issus des affections de longue durée, des données            analyse des caractéristiques cliniques et anatomopatholo-
d’hospitalisations du PMSI ou du croisement individuel de            giques des 188 malades en fonction du taux de PSA a été
ces deux sources afin de déterminer celui fournissant les             faite.
meilleures prédictions d’incidence. Tous les cas sont donc               Sont également rapportés :
confirmés sur le plan anatomopathologique. Aucune infor-              • les données du bilan d’extension réalisé lorsque le PSA
mation épidémiologique se basant sur l’origine ethnique n’a             est ≥ 10 ng/mL et consistant en une IRM squelettique
été spécifiée.                                                           « corps entier » (la scintigraphie osseuse n’étant pas
    Le 2e temps de l’étude a consisté à étudier prospecti-              disponible en GF) et en un scanner thoraco-abdomino-
vement les 242 dernières séries de biopsies prostatiques                pelvien ;
réalisées entre janvier 2017 et octobre 2019 au centre               • le traitement réalisé tel que proposé en réunion de
hospitalier de Kourou pour suspicion clinique de CaP (tou-              concertation pluridisciplinaire (RCP) dans le programme
cher rectal anormal) et/ou pour PSA élevé > 4 ng/mL. Douze              personnalisé de soins (PPS).
biopsies ont été réalisées de principe à tous les patients.
Lorsqu’un patient avait une anomalie du TR ou sur l’IRM,
2 biopsies ciblées supplémentaires étaient effectuées. Les           Résultats
biopsies étaient effectuées par trois urologues seniors (VR,
CBS, PVT) par voie transrectale sous contrôle échographique          Selon le registre déclaratif des cancers en GF, le taux
à l’aide d’une aiguille 18 Gauge et après anesthésie locale          d’incidence standardisé sur la population mondiale (TSM)
par injection péri-prostatique de lidocaïne à 1 % et antibio-        est de 94,4◦ /◦◦◦◦ , soit en moyenne 78 nouveaux cas observés
prophylaxie. Les biopsies ont toutes été faites en externe.          chaque année sur la période 2010—2014. Ce cancer repré-
    Tous les prélèvements biopsiques ont été transmis au             sente 17 % des cas de cancers incidents en GF et 32 % chez
laboratoire d’anatomopathologie du CHU de Fort-de-France             l’homme.
en Martinique et relu par un uro-pathologiste (VM) expéri-              Sur la période 2007—2014, le nombre annuel de décès par
menté. L’âge des patients, le nombre de patients créoles,            CaP observé en GF est en moyenne de 12, ce qui correspond à
bushinengue, métropolitains . . ., les données du TR, le PSA         un taux de mortalité standardisé sur la population mondiale
au moment des biopsies, le résultat de celles-ci avec le             de 16,9◦ /◦◦◦◦ .
Cancer de prostate en Guyane française                                                                                             459

 Tableau 1 Cancer de prostate, la situation de la Guyane par rapport à la France hexagonale, à la Guadeloupe et à la
 Martinique : nombre annuel de nouveaux cas et de décès, taux d’incidence et de mortalité standardisés (TSM), rapports
 standardisés d’incidence et de mortalité (SIR, SMR), accompagnés des intervalles de confiance à 95 % (IC).
                   Incidencea                                                 Mortalité 2007—2014

                   Nouveaux cas [IC]   TSM [IC]b         SIR [IC]c            Décès [IC]          TSM [IC]b          SMR [IC]c
 Guadeloupe        542 [525;560]       173,0             1,91                 99 [92;106]         23,1               2,28
                                       [167,4;178,9]     [1,85;1,97]                              [21,5;25,0]        [2,13;2,45]
 Martinique        530 [514;546]       164,5             1,79                 109 [102;117]       23,2               2,37
                                       [159,4;169,8]     [1,73;1,84]                              [21,5;25,2]        [2,20;2,54]
 Guyane            78 [70;86]          94,4              1,04                 12 [10;15]          16,9               1,70
                                       [85,0;104,6]      [0,94;1,15]                              [13,7;20,7]        [1,38;2,07]
 France            51 024              88,8                                   8787                10,0 [9,9;10,1]
 hexagonale        [50 387;51 672]     [87,7;90,0]                            [8723;8853]
 a Incidence France hexagonale : 2007—2016 ; Guadeloupe : 2008—2014 ; Martinique : 2007—2014 ; Guyane : 2010—2014.
 b Taux standardisé monde : les taux sont standardisés sur la structure d’âge de la population mondiale. Ils sont exprimés pour
 100 000 personnes-années.
 c Rapports standardisés sur la France hexagonale.

   La situation de la Guyane par rapport à la France hexago-
                                                                      Tableau 2 Caractéristiques des 188 cancers de prostate
nale, à la Guadeloupe et à la Martinique est présentée dans
                                                                      diagnostiqués.
le Tableau 1 concernant le nombre annuel de nouveaux cas
et de décès, le taux d’incidence et de mortalité standardisés                                      Nombre             %
(TSM), les rapports standardisés d’incidence et de mortalité
                                                                      TR
(SIR, SMR), accompagnés des intervalles de confiance à 95 %
                                                                        Normal                   115                  67,6
(IC).
                                                                        T2a                        4                  2,4
   Concernant les 242 hommes biopsiés pour PSA anormal
                                                                        T2b                       30                  17,6
et/ou TR anormal, leur moyenne d’âge était de 65,6 ans
                                                                        T2c                        8                  4,7
(42—89) et leur PSA moyen de 67,8 ng/mL (1—4000). Il y
                                                                        T3                        13                  7,7
avait parmi eux 149 créoles (61,6 %), 13 bushinengue (5,4 %),
                                                                      PSA (ng/mL)
25 brésiliens (10,3 %), 49 métropolitains (20,2 %), 5 asia-
                                                                        < 10                      77                  41
tiques (2,2 %) et 1 maghrébin (0,4 %).
                                                                        10—19                     60                  32
   Cent quatre-vingt-huit adénocarcinomes ont été diagnos-
                                                                        20—50                     28                  14,9
tiqués (77,7 %) avec un PSA moyen de 72,6 ng/mL (1—4000),
                                                                        > 50                      23                  12,1
un PSA médian à 11 ng/mL, à un âge moyen de 66 ans
                                                                      Score de Gleason
(50—89). Trente-quatre pour cent d’entre eux avaient un TR
                                                                        G6                        47                  25,6
anormal ; 12,3 % (23/188) avaient un PSA > 50 ng/mL dont
                                                                        G7                        84                  45,8
10 avec un PSA > 100 ng/mL ; 28,2 % (53/188) avaient un
                                                                        G8                        28                  15,3
score de Gleason supérieur ou égal à 8. Parmi les scores de
                                                                        G9                        24                  13,2
Gleason 7, 70 % avaient un grade 4 prédominant (Tableau 2).
                                                                        G 10                       1                  0,1
Aucun de ces cancers n’a été décrit comme ductal.
                                                                      % moyen Bx pos                                  46,6 (10—100)
   Le Tableau 3 expose les caractéristiques cliniques et
                                                                      % moyen TB pos                                  23,9 (1—100)
anatomopathologiques des 188 cancers de prostate diagnos-
tiqués en fonction du taux de PSA.                                    TR : toucher rectal (18 non faits) ; % moyen Bx pos : pourcentage
   Parmi les patients malades, 30 (16 %) étaient d’emblée             moyen de biopsies positives ; % moyen TB pos : pourcentage
métastatiques osseux et/ou viscéral soit 27 % des                     moyen de tissu biopsique tumoral.
111 malades ayant eu un bilan d’extension pour un
PSA > 10 ng/mL.
   Le Tableau 4 expose les différents traitements réalisés
ou proposés aux malades. Le traitement ou le programme               métropole), la situation en Guyane française n’est pas
personnalisé de soins (PPS) est connu pour 160 patients,             encore bien documentée. Il était donc urgent de donner les
10 étant perdus de vue et 18 étant encore en attente de              premiers éléments épidémiologiques permettant de juger
PPS.                                                                 de la pertinence de la politique de Santé Publique mise en
                                                                     place vis-à-vis de l’information aux populations et du diag-
                                                                     nostic [3,4]. En métropole, la couverture des registres des
Discussion                                                           cancers mis en place dans les années 1970 est d’environ 20 %
                                                                     de la population. Dans les territoires français ultramarins,
Si l’épidémiologie du CaP aux Antilles est bien connue               plusieurs registres existent, notamment en Guadeloupe,
(incidence standardisée de 193◦ /◦◦◦◦ versus 98◦ /◦◦◦◦ en            Guyane et Martinique. Pour cerner les attentes des agences
460                                                                                                                    O. Tean et al.

 Tableau 3 Caractéristiques cliniques et anatomopathologiques des 188 cancers de prostate diagnostiqués en fonction
 du taux de PSA.
                                       PSA (ng/mL)
                                       < 10                         10—19                      20—50                     > 50
 Nombre CaP (%)                        77/99 (82,8)                 60/81 (74,1)               28/37 (75,7)              23/25 (92)
 TR (%)
   Normal                              41 (53,2)                    32 (53,3)                  21 (75)                   21 (91,4)
   T2a                                 4 (5,2)                      0                          0                         0
   T2b                                 18 (23,4)                    10 (16,7)                  2 (7,1)                   0
   T2c                                 2 (2,6)                      5 (8,3)                    0                         1 (4,3)
   T3                                  4 (5,2)                      4 (6,7)                    4 (14,3)                  1 (4,3)
   NF                                  8 (10,4)                     9 (15)                     1 (3,6)                   0
 Score de Gleason (%)
   6                                   19 (24,7)                    18 (30)                    6 (21,4)                  4   (17,4)
   7                                   42 (54,5)                    24 (40)                    12 (42,8)                 6   (26,1)
   8                                   3 (3,9)                      12 (20)                    5 (17,9)                  8   (34,8)
   9                                   11 (14,3)                    5 (8,3)                    3 (10,7)                  5   (21,7)
   10                                  0                            1 (1,7)                    0                         0
   NC                                  2 (2,6)                      0                          2 (7,2)                   0
 CaP : cancer de prostate ; TR : toucher rectal ; NF : non fait ; NC : non connu.

                                                                            Une surmortalité significative par cancer de la pros-
 Tableau 4 Traitements proposés ou effectués chez
                                                                        tate est en revanche observée en Guyane par rapport à
 160 patients (10 perdus de vue et 18 en attente de pro-
                                                                        l’Hexagone (SMR : 1,70 [1,38—2,07]) qui partage pourtant
 gramme personnalisé de soins).
                                                                        avec elle le même taux d’incidence standardisée (98◦ /◦◦◦◦ ).
 Traitements                                  Nombre        %           Sur la période 2007—2014, le nombre annuel de décès par
                                                                        cancer de la prostate observés en GF est en moyenne de
 Hormonothérapie                              23            14,4
                                                                        12. Mais ce taux est aussi plus faible que celui observé aux
 Hormonothérapie + chimiothérapie              7             4,4
                                                                        Antilles. Il aurait sans doute été particulièrement informa-
 Radiothérapie + hormonothérapie              25            15,6
                                                                        tif de proposer une analyse graphique des taux d’incidence
 Surveillance active                          10             6,2
                                                                        et de mortalité par tranche d’âge de façon comparative en
 Curiethérapie                                 1             0,6
                                                                        Guyane, aux Antilles et peut-être dans la région du Para au
 Prostatectomie totale                        38            23,8
                                                                        Brésil, proche géographiquement de la GF, mais ces données
 Radiothérapie radicale                        9             5,6
                                                                        par tranches d’âge ne sont pas encore disponibles en GF pour
 Prostatectomie totale + curage               47            29,4
                                                                        ce qui concerne le CaP. Cette analyse pourra être proposée
 ganglionnaire
                                                                        lorsque ces données seront disponibles. De plus, une pré-
                                                                        sentation plus détaillée des cas incidents en GF, incluant
                                                                        PSA et score de Gleason sera faite prochainement de façon
                                                                        prospective maintenant qu’un service d’urologie centrali-
régionales de santé (ARS) en matière d’informations épi-                sant tous ces paramètres est en train de se structurer pour
démiologiques sur le cancer, Santé publique France a                    apporter une offre de recherche clinique et épidémiologique
réalisé une enquête en 2015 [6] qui a révélé leur besoin                exhaustive de qualité. C’est tout l’objet de la deuxième
d’information pour principalement sept cancers, les plus                partie de notre étude qui jette les bases de cette évaluation.
fréquents, dont le CaP. Ce résultat, associé au contexte des                Il y a un décalage temporel entre les données du Registre
Projets régionaux de santé 2018—2022 des ARS, a incité le               des cancers et l’étude biopsique. Les données postérieures
partenariat Francim-HCL-SpFrance-INCa à proposer pour la                à 2014 ne sont pas encore accessibles dans le Registre et
première fois en France, des profils régionaux présentant                l’homogénéisation tardive de la lecture anatomopatholo-
l’incidence et la mortalité des cancers dans chaque région et           gique des biopsies prostatiques en Guyane n’a pas permis
département métropolitain ainsi qu’en Guadeloupe, Guyane                leur analyse exhaustive avant 2017.
et Martinique.                                                              La population noire guyanaise est de 66 % et répar-
    Avec une incidence standardisée sur la population mon-              tie en créoles guyanais et antillais, en noirs marrons
diale de 94,4◦ /◦◦◦◦ , le CaP apparaît moins fréquent en                dits bushinengue (Djukas, Saramacas, Bonis . . .) descen-
Guyane qu’aux Antilles et aussi fréquent qu’en France                   dants d’esclaves évadés du Surinam voisin et en nombreux
métropolitaine. Cela représente en moyenne 78 nouveaux                  métisses, mulâtres et issus de mariages mixtes avec amérin-
cas observés chaque année sur la période 2010—2014 [5].                 diens, brésiliens et hispaniques.
Ce cancer représente 17 % des cas de cancers incidents en                   Il n’y a, en première analyse, aucune raison expliquant
GF et 32 % chez l’homme.                                                que la population noire guyanaise soit différente à ce point
Cancer de prostate en Guyane française                                                                                      461

de la même population aux Antilles ou même des populations           campagnes d’informations médicales. Il existe 16 centres
noires vivant en métropole. Une analyse plus fine permet              délocalisés de dépistage et de santé (CDPS) répartis sur
cependant d’ébaucher certaines explications qui pourront à           le territoire guyanais et qui assurent un maillage médi-
terme orienter les actions à mener pour améliorer la situa-          cal certes imparfait mais servant de socle aux actions de
tion sanitaire de ce territoire immense. Prospectivement,            Santé Publique mises en place par l’ARS de GF et ce grâce
les données de l’étude sur les diagnostics de CaP établis            au dévouement de soignants motivés.
à Kourou et rapportés dans l’étude s’ajouteront à la base
de données du Registre des cancers guyanais dont la partie             L’âge médian au diagnostic en métropole s’est abaissé
accessible s’arrête en 2014.                                       entre 1995 et 2002 de 72 ans à 65 ans alors que l’âge moyen
    D’autre part, les données cliniques des patients diag-         au diagnostic se situe encore entre 71 et 72 ans et le PSA de
nostiqués de cancer de prostate (CaP) à Kourou évoquent            18 ng/mL à 7 ng/mL (80 % stades localisés) [9,10].
la possibilité d’un diagnostic trop tardif et/ou d’une                 En Guyane française, en 2019 l’âge moyen au diagnos-
prise en charge insuffisante ou tardive et/ou d’un défaut           tic est de 66 ans et le PSA moyen au moment du diagnostic
d’information à la population cible.                               est à 72,6 ng/mL dans notre étude prospective de 242 séries
    Les spécificités pouvant influer sur les données épidémio-       de biopsies prostatiques réalisées entre 2017 et 2019. L’âge
logiques observées du cancer de prostate (CaP) en GF sont          au diagnostic est trop tardif compte tenu des données que
les suivantes :                                                    l’on connaît chez les populations noires nord-américaines
• la population de GF est jeune : l’indice de fécondité en         et/ou européennes qui sont plus jeunes que les caucasiens
   Guyane est de 3,82 enfants/femme en 2016 [6]. L’âge             au moment de la découverte du CaP [11—13]. En effet,
   médian des hommes est de 29,6 ans et celui des femmes           plusieurs autres études récentes chez des afro-américains
   de 27,4 ans. Trente-quatre pour cent de la population           confirment qu’en comparaison avec une population cauca-
   a moins de 14 ans, 44 % moins de 20 ans et les plus de          sienne apparentée, l’âge, le PSA et l’agressivité tumorale
   65 ans ne représentent que 5 % de la population. Sur ce         (nombre de biopsies positives, données IRM et score de Glea-
   seul constat on pourrait dire que l’urgence n’est pas au        son) sont significativement en défaveur des patients noirs
   diagnostic précoce du cancer de la prostate puisque la          [14—18]. L’âge moyen au diagnostic (66 ans versus 71 ans en
   population cible n’est pas nombreuse ;                          métropole) dans notre étude semble indiquer que le CaP
      Pourtant, de nombreux problèmes plus spécifiques à la         survient en GF à un âge plus précoce et que depuis au
   GF rendent cette problématique d’actualité.                     moins 2017, la politique volontariste que l’équipe d’urologie
• les populations noires de GF sont hétérogènes, caractéri-        de Kourou a mise en place et qui propose un diagnostic
   sées par un multiculturalisme qui gêne l’acceptation par        systématisé aussi précoce et large que possible du CaP com-
   certains des conseils de prise en charge, des traitements       mence à porter ses fruits. Néanmoins, ce satisfecit est à
   et a fortiori des déplacements hors département pour            pondérer à l’aune du PSA moyen au diagnostic qui reste
   bénéficier de techniques absentes du territoire, telle la        dix fois plus élevé dans notre étude que la moyenne en
   radiothérapie. Si les créoles antillais sont bien informés      métropole. Les 10 patients de la série rapportée dans le
   de leur risque intrinsèque de développer la maladie, les        présent article et qui ont un PSA au-dessus de 100 ng/mL
   créoles guyanais pensent à tort et paradoxalement être          (et jusqu’à 4000 ng/mL) font certes s’élever anormalement
   préservés de ce risque en raison de l’absence d’utilisation     cette moyenne, mais paradoxalement jette un coup de pro-
   du chloredecone en Guyane : des actions d’information           jecteur sur le diagnostic trop tardif du CaP chez les noirs
   vis-à-vis des facteurs de risque du CaP sont initiées. Enfin,    marrons du Haut Maroni puisque ces 10 hommes sont issus
   le métissage très profond et ancien de la population guya-      de cette communauté et de cette région.
   naise créole modifie indiscutablement le risque alors qu’a
   contrario, les noirs marrons bushinengue très peu métis-
   sés [2] car vivant dans les régions souvent les plus reculées   Conclusion
   de GF ont sans doute, encore que ceci demande une
   confirmation par une étude spécifique, un risque de CaP           À la lumière de ces observations, un vaste chantier de sen-
   se rapprochant de celui observé chez les noirs africains        sibilisation de la population guyanaise à la problématique
   [7,8] ;                                                         du diagnostic précoce du CaP se met en place. Les actions
• la GF est un territoire gigantesque qui comporte encore          qui débutent ou sont envisagées pour améliorer la situation
   des zones très enclavées rendant l’organisation des soins       sont les suivantes :
   particulièrement compliquée et gênant la transmission           • sensibilisation au problème du diagnostic du CaP en
   des messages d’information vis-à-vis de la prévention et           communes éloignées via le personnel soignant des CDPS :
   du diagnostic précoce. En outre, on suspecte, compte               EPU organisés pour les médecins et infirmiers partant
   tenu de l’organisation du réseau de santé en Guyane,               en communes et consultations d’urologie délocalisées en
   territoire vaste comme 1/6e du territoire métropolitain            CDPS ;
   dont certaines régions ne sont accessibles que par voie         • campagnes de communication par les médias institution-
   aérienne ou fluviale, que l’état déclaratif des cas inci-           nels (chaîne télévisée d’informations locales : « Guyane
   dents de cancer de la prostate est imparfait et que                la 1re ») pour mieux informer la population guyanaise
   l’organisation du diagnostic précoce est à optimiser au            du littoral ayant accès aux médias d’information par des
   moins dans les communes de l’intérieur plus difficiles              émissions de radio, de télévision ou d’articles de presse ;
   d’accès et habitées par des populations moins sensibles         • organisation en réseau des soins urologiques urgents
   socialement, culturellement et ethnologiquement aux                et programmés au sein du département selon un plan
462                                                                                                                          O. Tean et al.

  présenté aux instances du groupement hospitalier de ter-              [6] Indicateur     conjoncturel      de     fécondité    en     2018.
  ritoire (GHT) avec à partir d’un centre urologique de                     Comparaisons         régionales        et       départementales.
  référence à Kourou, des consultations spécialisées, de la                 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2012734.
  chirurgie ambulatoire et des actes diagnostiques, telles              [7] Dewar M, Kaestner L, Zikhali Q, Jehle K, Sinha S, Lazarus J.
                                                                            Investigating racial differences in clinical and pathological fea-
  les biopsies prostatiques qui vont être organisées dans
                                                                            tures of prostate cancer in South African men. S Afr J Surg
  les deux plus grandes agglomérations du département,
                                                                            2018;56(2):54—8.
  Cayenne et Saint-Laurent du Maroni.                                   [8] Alexis O, Worsley A. An integrative review exploring black men
   La tâche reste immense et les actions mises en place ne                  of African and Caribbean backgrounds, their fears of prostate
trouveront leur justification que dans la meilleure connais-                 cancer and their attitudes towards screening. Health Educ Res
                                                                            2018;33(2):155—66.
sance de l’épidémiologie du CaP en GF qui doit encore être
                                                                        [9] Ferlay J, Steliarova-Foucher E, Lortet-Tieulent J, Rosso S, Coe-
affinée. Des résultats plus aboutis seront proposés lorsque                  bergh JW, Comber H, et al. Cancer incidence and mortality
les données issues du Registre des cancers en Guyane seront                 patterns in Europe: estimates for 40 countries in 2012. Eur J
plus étoffées et rendues disponibles et que l’interprétation                Cancer 2013;49(6):1374—403.
des IRM prostatiques multiparamétriques réalisées en GF                [10] Rozet F, Hennequin C, Beauval JB, Beuzeboc P, Cor-
sera optimisée afin d’inclure leur résultat dans un prochain                 mier L, Fromont-Hankard G, et al. French ccAFU gui-
rapport.                                                                    delines — Update 2018—2020: prostate cancer. Prog Urol
                                                                            2018;28(Suppl. 1):R81—132.
                                                                       [11] Mahal BA, Berman RA, Taplin ME, Huang FW. Prostate cancer-
Déclaration de liens d’intérêts                                             specific mortality across Gleason scores in black vs nonblack
                                                                            men. JAMA 2018;320(23):2479—81.
                                                                       [12] McGinley KF, Tay KJ, Moul JW. Prostate cancer in men of African
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
                                                                            origin. Nat Rev Urol 2016;13(2):99—107.
                                                                       [13] Preston MA, Gerke T, Carlsson SV, Signorello L, Sjoberg DD,
                                                                            Markt SC, et al. Baseline prostate specific antigen level in
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                                                                            2019;75(3):399—407.
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