Épidémiologie du cancer de la prostate en Guyane franc aise - Données préliminaires
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Progrès en urologie (2020) 30, 456—462 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ARTICLE ORIGINAL Épidémiologie du cancer de la prostate en Guyane française — Données préliminaires Epidemiology of prostate cancer (PCa) in French Guyana (FG) — Preliminary results O. Tean a, C. Bras Da Silva a, P. Vega Toro a, P. Barre a, V. Molinie b, V. Ravery a,∗ a Service d’urologie, centre hospitalier de Kourou, 97310, avenue Léopold-Héder, 97387 Kourou, Guyane française b Service d’anatomopathologie, CHU Fort-de-France, Fort-de-France, Martinique Reçu le 3 novembre 2019 ; accepté le 12 mai 2020 Disponible sur Internet le 31 mai 2020 MOTS CLÉS Résumé Cancer ; Introduction. — L’épidémiologie du cancer de prostate (CaP) en Guyane française (GF) n’est Prostate ; pas bien documentée. Elle diffère de celle relevée aux Antilles en raison d’une population plus Épidémiologie ; jeune, moins exposée aux pesticides agricoles mais ayant une plus grande difficulté d’accès aux Diagnostic ; soins et à l’information médicale. Race Matériel. — Les taux d’incidence et de mortalité disponibles dans le registre des cancers du département sont étudiés et rapportés pour la période 2010—2014. Les caractéristiques des 242 séries de biopsies prostatiques réalisées entre janvier 2017 et octobre 2019 à Kourou pour suspicion clinique et/ou biologique (PSA > 4 ng/mL) de CaP sont décrites. Résultats. — L’incidence du CaP en GF est de 94,4◦ /◦◦◦◦ et la mortalité spécifique de 16,9◦ /◦◦◦◦ . Parmi les biopsies, 77,7 % (188/242) sont positives avec un PSA moyen de 72,6 ng/mL (1—4000) à un âge moyen de 66 ans (50—89), 34 % (64/188) avec un TR anormal, 12,3 % (23/188) avec un PSA > 50 ng/mL et 28,2 % (53/188) avec un score de Gleason ≥ 8. Conclusion. — Malgré une population jeune, une exposition moins forte qu’aux Antilles aux facteurs de risque environnementaux et un taux de métissage important, le diagnostic précoce du CaP en GF est encore un défi à relever. Les taux d’incidence et de mortalité observés suggèrent à la fois une sous déclaration des cas et une prise en charge trop tardive ce qui est confirmé par les caractéristiques anatomopathologiques défavorables des cancers diagnostiqués et par les taux élevés de PSA au moment du diagnostic. Niveau de preuve.— 3. © 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : raveryv@ch-kourou.fr (V. Ravery). https://doi.org/10.1016/j.purol.2020.05.005 1166-7087/© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Cancer de prostate en Guyane française 457 KEYWORDS Summary Cancer; Introduction. — Epidemiology of prostate cancer (PCa) in French Guyana (FG) is not well docu- Prostate; mented yet. It differs from the reported one in French West Indies due to a younger population, Epidemiology; less exposed to agricultural pesticides with also much lower level of medical information and Diagnosis; care. Race Material. — The incidence and mortality rates available in the regional register of cancers are reported for the period 2010—2014. The characteristics of 242 consecutive prostate biopsy series performed between 2017 January and 2019 October for abnormal digital rectal examination (DRE) and/or PSA > 4 ng/mL are also described. Results. — PCa incidence in FG is 94.4◦ /◦◦◦◦ and specific mortality 16.9◦ /◦◦◦◦ . Among the biop- sies, 77.7% (188/242) are positive with a mean PSA of 72.6 ng/mL (1—4000) at a mean age of 66 years (50—89), 34% (64/188) with an abnormal DRE, 12.3% (23/188) with a PSA > 50 ng/mL and 28.2% (53/188) with a Gleason score ≥ 8. Conclusion. — In spite of young population, less exposure to environmental risk factors and high rate of racial mixing, the early PCa diagnosis is still a challenge in FG. The observed incidence and mortality rates suggest underestimation of PCa cases and too late specific care what is also suggested by adverse pathological and biological characteristics of the tumors at the time of diagnosis. Level of evidence.— 3. © 2020 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction contre, 4 appareils d’imagerie par résonance magnétique (IRM) sont accessibles. La Guyane française (GF) est une région et un département Si l’épidémiologie du cancer prostatique (CaP) aux d’outre-mer français situé en Amérique du Sud à un peu plus Antilles est bien connue (incidence standardisée de de 7000 kilomètres de sa métropole. Elle est frontalière du 193◦ /◦◦◦◦ versus 98◦ /◦◦◦◦ en métropole), la situation en Brésil au sud-est et du Suriname à l’ouest. Guyane française n’est pas encore bien documentée [3,4]. C’est le plus grand département français avec 86 504 km2 Nous faisons une évaluation préliminaire de l’épidémiologie (1/6◦ de la France) : l’activité du Centre spatial guya- du cancer de prostate en Guyane en rapportant les éléments nais représente 1/5e de son PIB et la forêt amazonienne disponibles dans le registre déclaratif des cancers dans le couvre encore environ 95 % du territoire. La population département [5] et en étudiant les caractéristiques des guyanaise comptait en 2015, 259 865 habitants dont 66 % patients au moment du diagnostic de cancer prostatique. de noirs et créoles (Fig. 1). Si les métropolitains repré- sentent actuellement environ 12 % de la population, les autres populations sont nombreuses et variées : Chinois, Libanais, Brésiliens, Haïtiens, Surinamais, Guyaniens, Hin- Matériel et méthodes dustanis, Javanais du Suriname, Laotiens, Saint-Luciens, Le premier temps de l’étude a consisté à examiner les etc. [1]. Kourou est la 4e commune du département avec une données disponibles du registre des cancers de GF, colli- population de 25 868 habitants en 2014. Elle est la quatrième geant les cas de la population du département et dont commune la plus peuplée, derrière Cayenne, Saint-Laurent- les auteurs se font les rapporteurs, pour y isoler entre du-Maroni et Matoury et abrite le seul service d’urologie 2010 et 2014 (dernières données disponibles) les taux stan- structuré du département. La situation sociale et sanitaire dardisés d’incidence et de mortalité dans le département. en GF présente quelques particularités. Il y a une clandesti- Ces taux ont été calculés en utilisant la population mon- nité importante : sur les 12 000 demandes d’asile déposées diale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de en moins de 3 ans, dont 88 % proviennent de Haïtiens, moins 1960 comme population de référence. Ils correspondent de 3 % d’entre elles en 2016 ont été acceptées. Du coup, aux taux d’incidence et de mortalité que l’on observe- les déboutés finissent leur course dans les bidonvilles de rait dans cette population type, si elle était soumise à Cayenne, dans des abris de fortune sans eau potable et ni la force d’incidence et de mortalité observée. Ils sont électricité [2]. De plus certains équipements médicaux de exprimés pour 100 000 personnes-années. Pour la Guyane, base qui paraissent appartenir au prérequis nécessaire à la les données d’incidence proviennent des registres de can- bonne qualité des soins manquent : pas de radiothérapie, ni cers, et couvrent la période 2010—2014. Les données de de scintigraphie osseuse disponibles sur le département. Par mortalité proviennent du Centre d’épidémiologie sur les
458 O. Tean et al. Figure 1. Répartition de la population guyanaise sur le territoire et dans les communes (données personnelles 2017 — D’après Jacques Leclerc). causes médicales de décès (CépiDc) et couvrent la période score de Gleason, le pourcentage d’envahissement du tissu 2007—2014. Trois indicateurs médico-administratifs ont été biopsique et celui des biopsies positives sont rapportés. Une testés, issus des affections de longue durée, des données analyse des caractéristiques cliniques et anatomopatholo- d’hospitalisations du PMSI ou du croisement individuel de giques des 188 malades en fonction du taux de PSA a été ces deux sources afin de déterminer celui fournissant les faite. meilleures prédictions d’incidence. Tous les cas sont donc Sont également rapportés : confirmés sur le plan anatomopathologique. Aucune infor- • les données du bilan d’extension réalisé lorsque le PSA mation épidémiologique se basant sur l’origine ethnique n’a est ≥ 10 ng/mL et consistant en une IRM squelettique été spécifiée. « corps entier » (la scintigraphie osseuse n’étant pas Le 2e temps de l’étude a consisté à étudier prospecti- disponible en GF) et en un scanner thoraco-abdomino- vement les 242 dernières séries de biopsies prostatiques pelvien ; réalisées entre janvier 2017 et octobre 2019 au centre • le traitement réalisé tel que proposé en réunion de hospitalier de Kourou pour suspicion clinique de CaP (tou- concertation pluridisciplinaire (RCP) dans le programme cher rectal anormal) et/ou pour PSA élevé > 4 ng/mL. Douze personnalisé de soins (PPS). biopsies ont été réalisées de principe à tous les patients. Lorsqu’un patient avait une anomalie du TR ou sur l’IRM, 2 biopsies ciblées supplémentaires étaient effectuées. Les Résultats biopsies étaient effectuées par trois urologues seniors (VR, CBS, PVT) par voie transrectale sous contrôle échographique Selon le registre déclaratif des cancers en GF, le taux à l’aide d’une aiguille 18 Gauge et après anesthésie locale d’incidence standardisé sur la population mondiale (TSM) par injection péri-prostatique de lidocaïne à 1 % et antibio- est de 94,4◦ /◦◦◦◦ , soit en moyenne 78 nouveaux cas observés prophylaxie. Les biopsies ont toutes été faites en externe. chaque année sur la période 2010—2014. Ce cancer repré- Tous les prélèvements biopsiques ont été transmis au sente 17 % des cas de cancers incidents en GF et 32 % chez laboratoire d’anatomopathologie du CHU de Fort-de-France l’homme. en Martinique et relu par un uro-pathologiste (VM) expéri- Sur la période 2007—2014, le nombre annuel de décès par menté. L’âge des patients, le nombre de patients créoles, CaP observé en GF est en moyenne de 12, ce qui correspond à bushinengue, métropolitains . . ., les données du TR, le PSA un taux de mortalité standardisé sur la population mondiale au moment des biopsies, le résultat de celles-ci avec le de 16,9◦ /◦◦◦◦ .
Cancer de prostate en Guyane française 459 Tableau 1 Cancer de prostate, la situation de la Guyane par rapport à la France hexagonale, à la Guadeloupe et à la Martinique : nombre annuel de nouveaux cas et de décès, taux d’incidence et de mortalité standardisés (TSM), rapports standardisés d’incidence et de mortalité (SIR, SMR), accompagnés des intervalles de confiance à 95 % (IC). Incidencea Mortalité 2007—2014 Nouveaux cas [IC] TSM [IC]b SIR [IC]c Décès [IC] TSM [IC]b SMR [IC]c Guadeloupe 542 [525;560] 173,0 1,91 99 [92;106] 23,1 2,28 [167,4;178,9] [1,85;1,97] [21,5;25,0] [2,13;2,45] Martinique 530 [514;546] 164,5 1,79 109 [102;117] 23,2 2,37 [159,4;169,8] [1,73;1,84] [21,5;25,2] [2,20;2,54] Guyane 78 [70;86] 94,4 1,04 12 [10;15] 16,9 1,70 [85,0;104,6] [0,94;1,15] [13,7;20,7] [1,38;2,07] France 51 024 88,8 8787 10,0 [9,9;10,1] hexagonale [50 387;51 672] [87,7;90,0] [8723;8853] a Incidence France hexagonale : 2007—2016 ; Guadeloupe : 2008—2014 ; Martinique : 2007—2014 ; Guyane : 2010—2014. b Taux standardisé monde : les taux sont standardisés sur la structure d’âge de la population mondiale. Ils sont exprimés pour 100 000 personnes-années. c Rapports standardisés sur la France hexagonale. La situation de la Guyane par rapport à la France hexago- Tableau 2 Caractéristiques des 188 cancers de prostate nale, à la Guadeloupe et à la Martinique est présentée dans diagnostiqués. le Tableau 1 concernant le nombre annuel de nouveaux cas et de décès, le taux d’incidence et de mortalité standardisés Nombre % (TSM), les rapports standardisés d’incidence et de mortalité TR (SIR, SMR), accompagnés des intervalles de confiance à 95 % Normal 115 67,6 (IC). T2a 4 2,4 Concernant les 242 hommes biopsiés pour PSA anormal T2b 30 17,6 et/ou TR anormal, leur moyenne d’âge était de 65,6 ans T2c 8 4,7 (42—89) et leur PSA moyen de 67,8 ng/mL (1—4000). Il y T3 13 7,7 avait parmi eux 149 créoles (61,6 %), 13 bushinengue (5,4 %), PSA (ng/mL) 25 brésiliens (10,3 %), 49 métropolitains (20,2 %), 5 asia- < 10 77 41 tiques (2,2 %) et 1 maghrébin (0,4 %). 10—19 60 32 Cent quatre-vingt-huit adénocarcinomes ont été diagnos- 20—50 28 14,9 tiqués (77,7 %) avec un PSA moyen de 72,6 ng/mL (1—4000), > 50 23 12,1 un PSA médian à 11 ng/mL, à un âge moyen de 66 ans Score de Gleason (50—89). Trente-quatre pour cent d’entre eux avaient un TR G6 47 25,6 anormal ; 12,3 % (23/188) avaient un PSA > 50 ng/mL dont G7 84 45,8 10 avec un PSA > 100 ng/mL ; 28,2 % (53/188) avaient un G8 28 15,3 score de Gleason supérieur ou égal à 8. Parmi les scores de G9 24 13,2 Gleason 7, 70 % avaient un grade 4 prédominant (Tableau 2). G 10 1 0,1 Aucun de ces cancers n’a été décrit comme ductal. % moyen Bx pos 46,6 (10—100) Le Tableau 3 expose les caractéristiques cliniques et % moyen TB pos 23,9 (1—100) anatomopathologiques des 188 cancers de prostate diagnos- tiqués en fonction du taux de PSA. TR : toucher rectal (18 non faits) ; % moyen Bx pos : pourcentage Parmi les patients malades, 30 (16 %) étaient d’emblée moyen de biopsies positives ; % moyen TB pos : pourcentage métastatiques osseux et/ou viscéral soit 27 % des moyen de tissu biopsique tumoral. 111 malades ayant eu un bilan d’extension pour un PSA > 10 ng/mL. Le Tableau 4 expose les différents traitements réalisés ou proposés aux malades. Le traitement ou le programme métropole), la situation en Guyane française n’est pas personnalisé de soins (PPS) est connu pour 160 patients, encore bien documentée. Il était donc urgent de donner les 10 étant perdus de vue et 18 étant encore en attente de premiers éléments épidémiologiques permettant de juger PPS. de la pertinence de la politique de Santé Publique mise en place vis-à-vis de l’information aux populations et du diag- nostic [3,4]. En métropole, la couverture des registres des Discussion cancers mis en place dans les années 1970 est d’environ 20 % de la population. Dans les territoires français ultramarins, Si l’épidémiologie du CaP aux Antilles est bien connue plusieurs registres existent, notamment en Guadeloupe, (incidence standardisée de 193◦ /◦◦◦◦ versus 98◦ /◦◦◦◦ en Guyane et Martinique. Pour cerner les attentes des agences
460 O. Tean et al. Tableau 3 Caractéristiques cliniques et anatomopathologiques des 188 cancers de prostate diagnostiqués en fonction du taux de PSA. PSA (ng/mL) < 10 10—19 20—50 > 50 Nombre CaP (%) 77/99 (82,8) 60/81 (74,1) 28/37 (75,7) 23/25 (92) TR (%) Normal 41 (53,2) 32 (53,3) 21 (75) 21 (91,4) T2a 4 (5,2) 0 0 0 T2b 18 (23,4) 10 (16,7) 2 (7,1) 0 T2c 2 (2,6) 5 (8,3) 0 1 (4,3) T3 4 (5,2) 4 (6,7) 4 (14,3) 1 (4,3) NF 8 (10,4) 9 (15) 1 (3,6) 0 Score de Gleason (%) 6 19 (24,7) 18 (30) 6 (21,4) 4 (17,4) 7 42 (54,5) 24 (40) 12 (42,8) 6 (26,1) 8 3 (3,9) 12 (20) 5 (17,9) 8 (34,8) 9 11 (14,3) 5 (8,3) 3 (10,7) 5 (21,7) 10 0 1 (1,7) 0 0 NC 2 (2,6) 0 2 (7,2) 0 CaP : cancer de prostate ; TR : toucher rectal ; NF : non fait ; NC : non connu. Une surmortalité significative par cancer de la pros- Tableau 4 Traitements proposés ou effectués chez tate est en revanche observée en Guyane par rapport à 160 patients (10 perdus de vue et 18 en attente de pro- l’Hexagone (SMR : 1,70 [1,38—2,07]) qui partage pourtant gramme personnalisé de soins). avec elle le même taux d’incidence standardisée (98◦ /◦◦◦◦ ). Traitements Nombre % Sur la période 2007—2014, le nombre annuel de décès par cancer de la prostate observés en GF est en moyenne de Hormonothérapie 23 14,4 12. Mais ce taux est aussi plus faible que celui observé aux Hormonothérapie + chimiothérapie 7 4,4 Antilles. Il aurait sans doute été particulièrement informa- Radiothérapie + hormonothérapie 25 15,6 tif de proposer une analyse graphique des taux d’incidence Surveillance active 10 6,2 et de mortalité par tranche d’âge de façon comparative en Curiethérapie 1 0,6 Guyane, aux Antilles et peut-être dans la région du Para au Prostatectomie totale 38 23,8 Brésil, proche géographiquement de la GF, mais ces données Radiothérapie radicale 9 5,6 par tranches d’âge ne sont pas encore disponibles en GF pour Prostatectomie totale + curage 47 29,4 ce qui concerne le CaP. Cette analyse pourra être proposée ganglionnaire lorsque ces données seront disponibles. De plus, une pré- sentation plus détaillée des cas incidents en GF, incluant PSA et score de Gleason sera faite prochainement de façon prospective maintenant qu’un service d’urologie centrali- régionales de santé (ARS) en matière d’informations épi- sant tous ces paramètres est en train de se structurer pour démiologiques sur le cancer, Santé publique France a apporter une offre de recherche clinique et épidémiologique réalisé une enquête en 2015 [6] qui a révélé leur besoin exhaustive de qualité. C’est tout l’objet de la deuxième d’information pour principalement sept cancers, les plus partie de notre étude qui jette les bases de cette évaluation. fréquents, dont le CaP. Ce résultat, associé au contexte des Il y a un décalage temporel entre les données du Registre Projets régionaux de santé 2018—2022 des ARS, a incité le des cancers et l’étude biopsique. Les données postérieures partenariat Francim-HCL-SpFrance-INCa à proposer pour la à 2014 ne sont pas encore accessibles dans le Registre et première fois en France, des profils régionaux présentant l’homogénéisation tardive de la lecture anatomopatholo- l’incidence et la mortalité des cancers dans chaque région et gique des biopsies prostatiques en Guyane n’a pas permis département métropolitain ainsi qu’en Guadeloupe, Guyane leur analyse exhaustive avant 2017. et Martinique. La population noire guyanaise est de 66 % et répar- Avec une incidence standardisée sur la population mon- tie en créoles guyanais et antillais, en noirs marrons diale de 94,4◦ /◦◦◦◦ , le CaP apparaît moins fréquent en dits bushinengue (Djukas, Saramacas, Bonis . . .) descen- Guyane qu’aux Antilles et aussi fréquent qu’en France dants d’esclaves évadés du Surinam voisin et en nombreux métropolitaine. Cela représente en moyenne 78 nouveaux métisses, mulâtres et issus de mariages mixtes avec amérin- cas observés chaque année sur la période 2010—2014 [5]. diens, brésiliens et hispaniques. Ce cancer représente 17 % des cas de cancers incidents en Il n’y a, en première analyse, aucune raison expliquant GF et 32 % chez l’homme. que la population noire guyanaise soit différente à ce point
Cancer de prostate en Guyane française 461 de la même population aux Antilles ou même des populations campagnes d’informations médicales. Il existe 16 centres noires vivant en métropole. Une analyse plus fine permet délocalisés de dépistage et de santé (CDPS) répartis sur cependant d’ébaucher certaines explications qui pourront à le territoire guyanais et qui assurent un maillage médi- terme orienter les actions à mener pour améliorer la situa- cal certes imparfait mais servant de socle aux actions de tion sanitaire de ce territoire immense. Prospectivement, Santé Publique mises en place par l’ARS de GF et ce grâce les données de l’étude sur les diagnostics de CaP établis au dévouement de soignants motivés. à Kourou et rapportés dans l’étude s’ajouteront à la base de données du Registre des cancers guyanais dont la partie L’âge médian au diagnostic en métropole s’est abaissé accessible s’arrête en 2014. entre 1995 et 2002 de 72 ans à 65 ans alors que l’âge moyen D’autre part, les données cliniques des patients diag- au diagnostic se situe encore entre 71 et 72 ans et le PSA de nostiqués de cancer de prostate (CaP) à Kourou évoquent 18 ng/mL à 7 ng/mL (80 % stades localisés) [9,10]. la possibilité d’un diagnostic trop tardif et/ou d’une En Guyane française, en 2019 l’âge moyen au diagnos- prise en charge insuffisante ou tardive et/ou d’un défaut tic est de 66 ans et le PSA moyen au moment du diagnostic d’information à la population cible. est à 72,6 ng/mL dans notre étude prospective de 242 séries Les spécificités pouvant influer sur les données épidémio- de biopsies prostatiques réalisées entre 2017 et 2019. L’âge logiques observées du cancer de prostate (CaP) en GF sont au diagnostic est trop tardif compte tenu des données que les suivantes : l’on connaît chez les populations noires nord-américaines • la population de GF est jeune : l’indice de fécondité en et/ou européennes qui sont plus jeunes que les caucasiens Guyane est de 3,82 enfants/femme en 2016 [6]. L’âge au moment de la découverte du CaP [11—13]. En effet, médian des hommes est de 29,6 ans et celui des femmes plusieurs autres études récentes chez des afro-américains de 27,4 ans. Trente-quatre pour cent de la population confirment qu’en comparaison avec une population cauca- a moins de 14 ans, 44 % moins de 20 ans et les plus de sienne apparentée, l’âge, le PSA et l’agressivité tumorale 65 ans ne représentent que 5 % de la population. Sur ce (nombre de biopsies positives, données IRM et score de Glea- seul constat on pourrait dire que l’urgence n’est pas au son) sont significativement en défaveur des patients noirs diagnostic précoce du cancer de la prostate puisque la [14—18]. L’âge moyen au diagnostic (66 ans versus 71 ans en population cible n’est pas nombreuse ; métropole) dans notre étude semble indiquer que le CaP Pourtant, de nombreux problèmes plus spécifiques à la survient en GF à un âge plus précoce et que depuis au GF rendent cette problématique d’actualité. moins 2017, la politique volontariste que l’équipe d’urologie • les populations noires de GF sont hétérogènes, caractéri- de Kourou a mise en place et qui propose un diagnostic sées par un multiculturalisme qui gêne l’acceptation par systématisé aussi précoce et large que possible du CaP com- certains des conseils de prise en charge, des traitements mence à porter ses fruits. Néanmoins, ce satisfecit est à et a fortiori des déplacements hors département pour pondérer à l’aune du PSA moyen au diagnostic qui reste bénéficier de techniques absentes du territoire, telle la dix fois plus élevé dans notre étude que la moyenne en radiothérapie. Si les créoles antillais sont bien informés métropole. Les 10 patients de la série rapportée dans le de leur risque intrinsèque de développer la maladie, les présent article et qui ont un PSA au-dessus de 100 ng/mL créoles guyanais pensent à tort et paradoxalement être (et jusqu’à 4000 ng/mL) font certes s’élever anormalement préservés de ce risque en raison de l’absence d’utilisation cette moyenne, mais paradoxalement jette un coup de pro- du chloredecone en Guyane : des actions d’information jecteur sur le diagnostic trop tardif du CaP chez les noirs vis-à-vis des facteurs de risque du CaP sont initiées. Enfin, marrons du Haut Maroni puisque ces 10 hommes sont issus le métissage très profond et ancien de la population guya- de cette communauté et de cette région. naise créole modifie indiscutablement le risque alors qu’a contrario, les noirs marrons bushinengue très peu métis- sés [2] car vivant dans les régions souvent les plus reculées Conclusion de GF ont sans doute, encore que ceci demande une confirmation par une étude spécifique, un risque de CaP À la lumière de ces observations, un vaste chantier de sen- se rapprochant de celui observé chez les noirs africains sibilisation de la population guyanaise à la problématique [7,8] ; du diagnostic précoce du CaP se met en place. Les actions • la GF est un territoire gigantesque qui comporte encore qui débutent ou sont envisagées pour améliorer la situation des zones très enclavées rendant l’organisation des soins sont les suivantes : particulièrement compliquée et gênant la transmission • sensibilisation au problème du diagnostic du CaP en des messages d’information vis-à-vis de la prévention et communes éloignées via le personnel soignant des CDPS : du diagnostic précoce. En outre, on suspecte, compte EPU organisés pour les médecins et infirmiers partant tenu de l’organisation du réseau de santé en Guyane, en communes et consultations d’urologie délocalisées en territoire vaste comme 1/6e du territoire métropolitain CDPS ; dont certaines régions ne sont accessibles que par voie • campagnes de communication par les médias institution- aérienne ou fluviale, que l’état déclaratif des cas inci- nels (chaîne télévisée d’informations locales : « Guyane dents de cancer de la prostate est imparfait et que la 1re ») pour mieux informer la population guyanaise l’organisation du diagnostic précoce est à optimiser au du littoral ayant accès aux médias d’information par des moins dans les communes de l’intérieur plus difficiles émissions de radio, de télévision ou d’articles de presse ; d’accès et habitées par des populations moins sensibles • organisation en réseau des soins urologiques urgents socialement, culturellement et ethnologiquement aux et programmés au sein du département selon un plan
462 O. Tean et al. présenté aux instances du groupement hospitalier de ter- [6] Indicateur conjoncturel de fécondité en 2018. ritoire (GHT) avec à partir d’un centre urologique de Comparaisons régionales et départementales. référence à Kourou, des consultations spécialisées, de la https://www.insee.fr/fr/statistiques/2012734. chirurgie ambulatoire et des actes diagnostiques, telles [7] Dewar M, Kaestner L, Zikhali Q, Jehle K, Sinha S, Lazarus J. Investigating racial differences in clinical and pathological fea- les biopsies prostatiques qui vont être organisées dans tures of prostate cancer in South African men. S Afr J Surg les deux plus grandes agglomérations du département, 2018;56(2):54—8. Cayenne et Saint-Laurent du Maroni. [8] Alexis O, Worsley A. An integrative review exploring black men La tâche reste immense et les actions mises en place ne of African and Caribbean backgrounds, their fears of prostate trouveront leur justification que dans la meilleure connais- cancer and their attitudes towards screening. Health Educ Res 2018;33(2):155—66. sance de l’épidémiologie du CaP en GF qui doit encore être [9] Ferlay J, Steliarova-Foucher E, Lortet-Tieulent J, Rosso S, Coe- affinée. Des résultats plus aboutis seront proposés lorsque bergh JW, Comber H, et al. Cancer incidence and mortality les données issues du Registre des cancers en Guyane seront patterns in Europe: estimates for 40 countries in 2012. Eur J plus étoffées et rendues disponibles et que l’interprétation Cancer 2013;49(6):1374—403. des IRM prostatiques multiparamétriques réalisées en GF [10] Rozet F, Hennequin C, Beauval JB, Beuzeboc P, Cor- sera optimisée afin d’inclure leur résultat dans un prochain mier L, Fromont-Hankard G, et al. French ccAFU gui- rapport. delines — Update 2018—2020: prostate cancer. Prog Urol 2018;28(Suppl. 1):R81—132. [11] Mahal BA, Berman RA, Taplin ME, Huang FW. Prostate cancer- Déclaration de liens d’intérêts specific mortality across Gleason scores in black vs nonblack men. JAMA 2018;320(23):2479—81. [12] McGinley KF, Tay KJ, Moul JW. Prostate cancer in men of African Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. origin. Nat Rev Urol 2016;13(2):99—107. [13] Preston MA, Gerke T, Carlsson SV, Signorello L, Sjoberg DD, Markt SC, et al. Baseline prostate specific antigen level in Références midlife and aggressive prostate cancer in black men. Eur Urol 2019;75(3):399—407. [1] Baert X. Poursuite de la transition démographique en [14] Kaur D, Ulloa-Pérez E, Gulati R, Etzioni R. Racial disparities Guyane — Légère inflexion de la natalité. Insee Analyses in prostate cancer survival in a screened population: reality Guyane no 12. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1908375. versus artifact. Cancer 2018;124(8):1752—9. [2] DROM-COM. Présentation de la Guyane française. Le portail [15] Ellis L, Canchola AJ, Spiegel D, Ladabaum U, Haile R, Gomez du droit Outre-Mer. https://www.drom-com.fr/categories/ SL. Racial and ethnic disparities in cancer survival: the presentation-generale-11314/articles/presentation-de-la- contribution of tumor, sociodemographic, institutional, and guyane-francaise-1.htm. neighborhood characteristics. J Clin Oncol 2018;36(1):25—33. [3] Multigner L, Brureau L, Blanchet P. Le cancer de la prostate aux [16] Xin H. Racial disparity in localized prostate cancer mortality. J Antilles françaises : état des lieux. BEH 2016;39—40:730—5. Natl Med Assoc 2017;109(2):86—92. [4] Ravery V, Javerliat I, Toublanc M, Boccon-Gibod L, Delmas [17] Tsodikov A, Gulati R, de Carvalho TM, Heijnsdijk EAM, Hunter- V, Boccon-Gibod L. Caractéristiques des cancers prosta- Merrill RA, Mariotto AB, et al. Is prostate cancer different in tiques chez les Français d’origine afro-antillaise. Prog Urol black men? Answers from 3 natural history models. Cancer 2000;10:231—6. 2017;123(12):2312—9. [5] Sophie Belliardo S, Carvalho L, Andrieu A, Cariou [18] Verges DP, Dani H, Sterling WA, Weedon J, Atallah W, Mehta M, Billot-Grasset A, Chatignoux E, et al. Estima- K, et al. The relationship of baseline prostate specific antigen tions régionales et départementales d’incidence and risk of future prostate cancer and its variance by race. J et de mortalité par cancers en France (Guyane), Natl Med Assoc 2017;109(1):49—54. 2007—2016. https://geodes.santepubliquefrance.fr, http://lesdonnees.e-cancer.fr/, http://www.santepublique france.fr/, https://www.e-cancer.fr/.
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