Grippe A/H1N1 et antiviraux : quelle stratégie de santé publique ?
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Exercer_91_pages:Exercer_91_pages 23/03/10 9:57 Page 52 Soins Grippe A/H1N1 et antiviraux : quelle stratégie de santé publique ? Luc Martinez1, Denis Pouchain2, Vincent Renard2, Pascale Arnould1, Pierre-Louis Druais2 exercer 2010;91:52-7. l.martinez@sfmg.org Contexte. En décembre 2009, les autorités sanitaires françaises ont recommandé 1. Société française de médecine générale de prescrire systématiquement de l’oseltamivir à tous les patients ayant un tableau 2. Collège national des généralistes clinique de grippe, et aux personnes en contact étroit avec eux. enseignants Méthode. Pour évaluer la pertinence de cette recommandation, une revue des synthèses récentes de la littérature a été réalisée et les données publiées par l’Institut de veille sanitaire argumentant la recommandation ont été évaluées. Résultats. Sept synthèses de la littérature portant soit sur des essais contrôlés @iStockphoto.com_Dynasoar randomisés, soit sur des études observationnelles ont été évaluées. En cas d’épidémie saisonnière, les inhibiteurs de la neuraminidase (IN) ont une efficacité prophylactique sur la survenue de la grippe symptomatique virologiquement confirmée. Ils préviennent également la grippe postexposition avec un sujet infecté. Chez les patients grippés, les IN réduisent la durée de la maladie de 0,5 jour à 1,5 jour à condition d’être pris au plus tard 48 heures après l’apparition des symp- tômes de la maladie. En termes de tolérance, les données sont confuses et parcel- laires. Les effets indésirables neuropsychiatriques semblent rares, mais potentielle- ment graves. L’analyse économique n’a pas confirmé l’utilité d’un traitement systématique pour tous les patients ayant un tableau de grippe. Les données publiées par l’Institut de veille sanitaire pour recommander la prescription systé- matique d’oseltamivir aux patients grippés et à leur entourage sont entachées de trop nombreux biais pour que cette décision de « santé publique » soit valide. Conclusion. Il n’y a pas d’argument suffisamment convaincant pour recom- Mots-clés mander l’utilisation systématique des antiviraux pour tous les patients atteints de Grippe A/H1N1 grippe A/H1N1. Inhibiteurs de la neuraminidase Santé publique Introduction base de la répartition des cas graves tions et des décès, etc. Il faut ensuite (n = 724) et non graves (n = 513), et considérer l’efficacité populationnelle, Au cours des épidémies hivernales, le selon que ces patients avaient ou non c’est-à-dire la capacité du médicament à taux de syndromes grippaux en popula- pris des inhibiteurs de la neuraminidase prévenir la maladie dans toute la popula- tion générale est habituellement de 10 (IN) dans les 48 premières heures tion (prophylaxie) et chez les sujets en à 20 %1. Hors période épidémique, suivant le début de la maladie, les auto- contact étroit avec un sujet malade (trai- 25 % des syndromes grippaux sont viro- rités sanitaires ont recommandé de pres- tement préemptif). Cette efficacité doit logiquement confirmés au laboratoire crire systématiquement de l’oseltamivir à toujours être mise en perspective avec les alors que 60 à 80 % le sont en période tous les patients ayant un tableau effets indésirables connus. Enfin, le médi- épidémique2. clinique de grippe, et aux personnes en cament doit, si possible, alléger l’impact L’hiver dernier, la France métropolitaine contact étroit avec eux4. Cet article a socioéconomique de la maladie sur la a connu une épidémie de grippe pour objectif d’évaluer la pertinence de collectivité. Ces caractéristiques compo- A/H1N1. Au 6 décembre 2009, elle cette recommandation. sent « l’intérêt de santé publique » d’un aurait atteint entre 6 et 12,5 millions de Aborder le problème de l’efficacité des antiviral. personnes3. Entre début juillet et mi- antiviraux nécessite d’envisager plusieurs En termes d’évaluation d’un médicament, décembre, les autorités sanitaires fran- aspects. Il y a d’abord l’efficacité du son efficacité expérimentale se mesure au çaises ont recensé 1 237 patients hospi- médicament pour les patients, en termes cours des essais thérapeutiques et son talisés atteints de grippe virologique- de raccourcissement de l’évolution de la « efficacité pratique » se mesure dans ment confirmée (ou probable). Sur la maladie, de prévention des complica- l’exercice quotidien (encadré 1). 52 exer cer la r evue française de médecine générale Volume 21 N° 91
Exercer_91_pages:Exercer_91_pages 23/03/10 9:57 Page 53 Soins Encadré 1 méta-analyse. Une nouvelle analyse Dans la langue française, le terme efficacité décrit les effets bénéfiques d’un médicament dans reprenant 4 de ces 7 études a confirmé deux situations différentes : l’essai thérapeutique et l’essai pragmatique (ou étude ces résultats5. épidémiologique). Les Anglais utilisent le mot « efficacy » lorsqu’ils se réfèrent aux essais d’intervention dans lesquels la maladie est clairement identifiée, et le mot « effectiveness » Prévention après exposition pour l’effet observé en pratique quotidienne. Cette différentiation n’est pas simplement Quatre études ont confirmé l’efficacité sémantique. Elle a des implications réelles dans la décision en santé publique. Dans cet article, les antiviraux à prévenir la grippe après l’expression « efficacité expérimentale » sera utilisée pour les résultats obtenus dans les essais thérapeutiques, et le vocable « efficacité pratique » pour les effets observés en pratique contact avec un sujet infecté5. Le risque quotidienne. Dans le concept de rapport coût/efficacité, le terme efficacité fait référence relatif était de 0,2 pour le zanamivir et à l’efficacité pratique. compris entre 0,16 et 0,42 pour l’oseltamivir. Thérapeutique Méthode Efficacité des IN Sur la durée de la maladie Revue de la littérature portant sur les Prophylaxie L’oseltamivir et le zanamivir ont réduit la données les plus récentes, en particulier Sept ECR versus placebo, d’une durée durée des symptômes5 de la maladie de les articles de synthèse publiés en 2009. supérieure ou égale à 4 semaines, 0,5 à 1,5 jour (sur 7), à condition d’être En l’absence de données nouvelles, les mesurant le taux de grippe virologique- pris au plus tard 48 heures après la auteurs ont repris les publications anté- ment confirmée chez des patients survenue des premiers signes cliniques. rieures. Tous les articles retenus répon- symptomatiques ou asymptomatiques Sur les complications graves daient aux critères de qualité tels que et/ou dénombrant les effets indésira- Les données publiées concernaient définis par la Cochrane Collaboration. bles (EI) des IN ont été inclus7. La méta- uniquement l’oseltamivir. En 2006, une Pour cette analyse, les synthèses quali- analyse a porté sur 7 021 patients âgés méta-analyse12 a démontré l’efficacité tatives ou quantitatives (avec méta- de 18 à 96 ans. Cinq études ont inclus clinique de ce médicament pour réduire analyses), qui portaient soit sur des des patients en bonne santé pour qui la les complications graves comme la essais comparatifs randomisés (ECR) soit vaccination antigrippale n’était pas pneumonie. Cependant, ce travail repo- sur des études observationnelles, ont recommandée. Une étude concernait sait sur une seule publication qui, elle- été colligées. Les données publiées par des patients pour qui la vaccination même, avait analysé 10 ECR dont l’Institut de veille sanitaire (InVS) sous- était recommandée, et une étude a 2 seulement avaient été publiés dans tendant la recommandation des auto- inclus des patients âgés, institutionna- des revues à comité de lecture. Cette rités sanitaires françaises4 ont aussi été lisés et à haut risque de complications. limite importante a entraîné de évaluées. La durée médiane d’exposition aux IN a nombreuses réactions2. En 2009, la été de 42 jours. Cette méta-analyse a méta-analyse du même auteur5 a tenu montré que les IN diminuaient la compte de ces critiques et la synthèse Résultats fréquence des grippes symptomatiques des 3 études publiées n’a pas montré de La recherche bibliographique a permis versus placebo (RR = 0,26 ; IC95 = diminution de la fréquence des infec- de rassembler sept études répondant 0,18-0,37). En revanche, le taux de tions respiratoires basses, du recours aux critères retenus. Trois synthèses de grippe asymptomatique était compa- aux antibiotiques et des hospitalisations. la littérature ont évalué l’efficacité et la rable entre les groupes traités et non tolérance des antiviraux. Une méta- traités. La fréquence de la grippe Efficacité pratique pour prévenir analyse a évalué les effets des IN en (symptomatique ou non) était compa- les complications prévention de la maladie, pour réduire rable chez les patients avec ou sans Contrairement aux ECR qui ne ses symptômes, éviter sa transmission et risque de complications. L’âge n’était montraient pas de réduction des ses complications chez des adultes en pas lié à une fréquence accrue de complications avec l’oseltamivir5, les bonne santé, et a évalué la fréquence grippe symptomatique ou non. études observationnelles ont montré des effets indésirables5. Une revue de la Quatre études ont reporté des EI sévères une tendance à la diminution de la littérature portant sur des études prag- ou sérieux, mais sans les définir. Il n’y a fréquence des pneumonies et un réel matiques a répondu aux mêmes objec- pas eu de différence entre 2 groupes bénéfice clinique chez les patients tifs6. Une méta-analyse a évalué pour les EI sévères (RR = 0,92 ; atteints de pathologie cardiaque6. l’efficacité et la tolérance des antiviraux IC95 = 0,51-1,65), dont la fréquence Cependant, aucune étude n’a envisagé en prophylaxie de la grippe saisonnière était comprise entre 0 et 4,3 %. les effets de l’oseltamivir chez les et des pandémies grippales7. Deux L’oseltamivir à 150 mg/j était associé à patients atteints de grippe A/H1N1. études ont plus particulièrement évalué un risque accru de nausées et de vomis- Sécurité de l’oseltamivir la tolérance de l’oseltamivir8,9. Enfin, sements : 14,6 % des patients versus deux études ont été retenues pour 6,9 % (RR = 2,29 ; IC95 = 1,34-3,92). Chez les patients grippés l’évaluation économique en technologie Aucun événement indésirable neuropsy- En 2007, une étude cas-témoins, de santé10,11. chiatrique n’a été reporté dans cette réalisée pour le laboratoire Roche, a Volume 21 N° 91 exer cer la r evue française de médecine générale 53
Exercer_91_pages:Exercer_91_pages 23/03/10 9:57 Page 54 Soins Encadré 2 littérature11 a inclus 23 ECR ayant Un score de propension désigne la probabilité, pour un patient ayant certaines caractéristiques, évalué l’effet prophylactique des IN de recevoir un traitement. La distribution du score entre les groupes comparés (quand le en termes d’apparition de grippe virolo- schéma est transversal et non pas randomisé comparatif) permet de savoir s’il y a un biais de giquement confirmée. Elle a authentifié recrutement (les patients exposés au traitement ont tendance à avoir des scores de propension la capacité des IN à diminuer le nombre plus élevés). Afin de neutraliser ce biais, un sous-échantillon de patients comparables entre les 2 groupes peut être élaboré par appariement sur les scores de propension, à condition que la de cas chez les patients traités en différence entre les 2 scores les plus proches ne soit pas trop grande. Il y a deux limites à cette prophylaxie saisonnière comme en méthode : la comparabilité est impossible sur les caractéristiques non observées et la nécessité prophylaxie postexposition. Ces deux d’exclure les valeurs extrêmes des scores du fait de différences trop importantes pour apparier. stratégies ont été bien tolérées avec peu Dans l’étude de Blumental et Song9, les variables d’appariement incluses dans les modèles de d’EI et peu de retraits en cours d’étude. régression logistique pour calculer les scores de propension ont été l’âge, le genre, le domicile, Les études ont apporté peu de rensei- la zone d’habitation (rurale ou urbaine), l’index de comorbidité de Charlson, un diagnostic ou gnements sur la capacité des deux stra- un traitement d’infection respiratoire associée et le statut vaccinal. tégies à prévenir les complications, les hospitalisations, la durée de la grippe ou comparé la fréquence déclarée des EI à Après exclusion des patients ayant un le délai de retour à une activité normale. type d’atteintes du système nerveux antécédent de pathologie neurologique En prophylaxie postexposition, le rapport central (EISNC) ou de troubles neuropsy- ou neuropsychiatrique, l’analyse de coût/efficacité des IN a été estimé infé- chiatriques (EINP) chez des patients sensibilité a confirmé le plus faible rieur à 30 000 £ par année de vie grippés traités ou non par oseltamivir9. risque chez les patients du groupe osel- gagnée en bonne santé, valeur seuil 346 733 patients ont fait l’objet d’une tamivir. admise par le National Health Service déclaration de grippe auprès d’un des deux (NHS : système de santé du Royaume- assureurs états-uniens impliqués dans Effets neuropsychiatriques Uni) chez les enfants et les sujets âgés à cette étude. Tous les patients atteints de La revue exhaustive de la littérature8 risque ou en bonne santé. À l’exception pneumonie le jour du diagnostic de faite pour Roche a pris en compte les des enfants à risque, l’accroissement du grippe, ceux admis dans un établisse- données des essais menés par le labora- rapport coût/utilité des stratégies de ment de santé, les femmes enceintes, ou toire, les données de suivi après mise sur prophylaxie de la grippe saisonnière a ceux qui avaient reçu un antiviral autre le marché, et les données issues des été estimé entre 38 000 £ à 428 000 £, que l’oseltamivir durant la même période bases de divers organismes de santé. ce qui est très supérieur au seuil du hivernale ont été écartés de l’analyse. De Au total, 3 051 EINP ayant affecté NHS. même pour tous les patients du groupe 2 466 patients ayant reçu de l’oseltamivir L’analyse de l’efficacité pratique des IN intervention chez qui le délai de prise dans la période 1999-2007 ont été spon- pour traiter la grippe a inclus 29 études10. d’oseltamivir a été supérieur à 1 jour tanément déclarés. Sur la même période, Elle a démontré une réduction de la durée après le début de la maladie, et pour tous 48 millions de patients ont reçu de des symptômes, de 0,5 à 1 jour pour les patients du groupe témoin ayant reçu l’oseltamivir, ce qui aboutit à une le zanamivir, de 0,5 à 1,5 jour pour une prescription d’oseltamivir à une fréquence brute d’EINP de 5/100 000 l’oseltamivir. Cet effet était plus petit chez autre période de la saison grippale. Après patients traités. Dans les essais théra- les adultes sains. D’une manière générale, appariement sur les scores de propension peutiques, la fréquence des EINP a été les rapports coût/efficacité ont été plus (encadré 2), 40 704 patients ont été comparable dans les groupes traités et favorables dans les populations à risque. inclus dans chaque bras. placebo (0,5 % versus 0,6 %). Le registre L’analyse médicoéconomique a porté sur Après l’appariement et comparativement des cas déclarés d’EINP aux États-Unis n’a 22 études. Les estimations des rapports au groupe témoin, les patients du groupe pas identifié de différence entre les coût/efficacité selon différents scénarios oseltamivir avaient moins d’antécédents patients traités et les non traités. Toute- (modalités de contact avec le système de de pathologie pulmonaire, ils étaient fois, la base de données des généralistes soins, prise en compte de la mortalité, du plus souvent immunodéficients et avaient anglais a montré un risque accru de diagnostic virologique de grippe ou de sa plus souvent des antécédents neuropsy- 75 % chez les patients traités comparati- probabilité) ont montré un rapport plus chiatriques. Au cours des 2 périodes vement à la population générale. favorable dans les populations à risque d’évaluation (à 14 et 30 jours), les comparativement aux patients sans patients du groupe oseltamivir ont eu Évaluation médicoéconomique comorbidité, et plus favorable pour le moins d’EISNC et moins d’EINP que ceux Deux études, dites d’évaluation des zanamivir que pour l’oseltamivir. du groupe témoin. Après ajustement sur technologies de santé, réalisées pour le de très nombreuses variables, le risque National Institute for Health and Clinical Évaluation des données de l’InVS d’EISNC et d’EINP était significativement Excellence (NICE) ont évalué le rapport L’InVS a comparé le risque de forme plus faible dans le groupe oseltamivir au coût/efficacité de la prophylaxie de la grave ou de décès selon qu’il y avait eu, 14e jour : odds ratio (OR) = 0,76 ; grippe par les IN d’une part, et celui du ou non, prise d’antiviraux dans les IC95 = 0,68-0,87 et au 30e jour : traitement de la grippe d’autre part10,11. 48 heures après le début clinique de la OR = 0,80 ; IC95 = 0,74-0,87. La synthèse médicoéconomique de la maladie4. 1 237 patients atteints de 54 exer cer la r evue française de médecine générale Volume 21 N° 91
Exercer_91_pages:Exercer_91_pages 23/03/10 9:57 Page 55 Soins grippe probable ou confirmée et hospi- s’assurer que la différence observée pour la confirmer, et il est peu probable talisés ont été sélectionnés, 127 d’entre entre deux groupes est due à l’effet de qu’un comité d’éthique accepte un eux sont décédés. Pour déterminer le l’intervention ou à celui du hasard essai comparatif versus placebo chez de risque de complication grave ou de (p > 0,05). Cependant, l’ECR a aussi ses tels patients5. décès associé à la consommation propres limites. Lorsqu’il est construit Une autre limite des ECR concerne le précoce d’antiviraux, les auteurs ont dans le but d’obtenir une autorisation profil virologique des patients. Dans les retenu les patients pour qui la date de de mise sur le marché, les patients avec essais de prophylaxie, l’analyse n’a porté début du traitement antiviral était comorbidités ne sont généralement pas que sur les grippes confirmées en labo- connue, soit 639 patients (51,7 % des inclus. La première raison est que, du ratoire. En conséquence, elles ne éligibles). L’analyse a montré une fait des comorbidités, l’accroissement permettent pas de trancher sur augmentation mineure du risque de de la variabilité de la réponse des l’efficacité des IN en termes de survenue complication grave (OR = 2,1 ; IC95 = patients peut diminuer la puissance de des syndromes grippaux, situation à 1,5-2,9) chez les patients ayant débuté l’étude. L’autre raison est que les événe- laquelle est confronté le clinicien. De un traitement par antiviral plus de leur côté, les essais d’efficacité pratique 48 heures après le début de la maladie n’étaient pas vraiment pragmatiques. et chez ceux n’ayant pas reçu d’antiviral Les taux de grippe virologiquement du tout. confirmée étaient très élevés (80 %) et ne correspondaient pas à la prévalence habituelle en soins primaires. Discussion Les preuves de l’efficacité des IN pour réduire les complications sont limitées L’évaluation des synthèses de la littéra- par le petit nombre d’études et donc la ture publiées récemment montre que les qualité de leurs synthèses. La première IN ont une efficacité prophylactique sur méta-analyse12 ne reposait que sur une la survenue de la grippe symptomatique seule publication qui, elle-même, avait virologiquement confirmée lors d’une analysé 10 essais thérapeutiques dont épidémie saisonnière. Ils préviennent 2 seulement avaient été publiés dans également la grippe postexposition. des revues à comité de lecture. La Chez les patients grippés, les IN rédui- récente méta-analyse du même auteur5 sent la durée de la maladie de 0,5 jour à a tenu compte de ces faiblesses et la @iStockphoto.com_Eraxion 1,5 jour, selon le profil du patient et l’IN synthèse des 3 seules études publiées utilisé à condition d’être pris précoce- n’a pas permis de montrer une diminu- ment. Il est possible, mais pas ferme- tion des complications. ment établi, que les IN réduisent les Les études observationnelles ont complications graves comme la pneu- l’avantage théorique d’évaluer les médi- monie. caments en pratique réelle. Cet avan- En termes de tolérance, les données ments indésirables liés aux comorbidités tage est contrebalancé par l’impact sont confuses et parcellaires. Le risque risquent de pénaliser la tolérance. C’est d’éventuels facteurs confondants sur les d’effets indésirables neuropsychia- ce qui a été observé dans les études résultats. Cela est particulièrement triques est réel, semble rare, mais ayant évalué l’intérêt des IN pour fâcheux quand les caractéristiques potentiellement grave. protéger les patients de la grippe7. Elles cliniques des patients sont des facteurs L’analyse économique n’a pas confirmé ont sélectionné avant tout des adultes de choix du médicament (tendance à l’utilité de la prophylaxie pour tous les jeunes bien portants, ce qui ne corres- traiter davantage les patients perçus patients. Seule la prophylaxie postexpo- pond pas au profil des sujets ciblés par comme plus fragiles). sition a été estimée coût/efficace chez la prophylaxie antigrippale en pratique Les 9 études observationnelles6 réalisées les enfants et les sujets âgés. Pour les quotidienne. Elles n’ont détecté aucun pour le laboratoire Roche sont les seules patients ayant une grippe confirmée, le événement indésirable rare (< 1 000), apportant des données de tolérance en zanamivir semble le médicament le plus en particulier neuropsychiatrique, mais situation pragmatique. Le bénéfice coût/efficace chez les patients à risque. elles n’avaient pas assez de puissance observé sur la réduction des complica- pour le faire. tions à type de pneumonie doit être Limites méthodologiques La même limite s’applique aux résultats relativisé car la rareté de ces complica- des études des essais ayant évalué l’efficacité des tions chez le sujet sain réduit la perti- Elles affectent la validité interne et antiviraux sur la grippe ou les syndromes nence clinique du traitement chez ces externe des résultats. Toutes les grippaux5. L’élargissement du bénéfice patients. Pour les patients ayant une synthèses de la littérature étaient basées observé aux sujets à comorbidité sévère pathologie cardiaque associée, le béné- sur des ECR qui sont le schéma standard et hospitalisés est une hypothèse fice clinique a été important, mais un pour affirmer un lien de causalité et logique, mais il n’y a pas de données biais de recrutement (patients traités Volume 21 N° 91 exer cer la r evue française de médecine générale 55
Exercer_91_pages:Exercer_91_pages 23/03/10 9:57 Page 56 Soins plus jeunes, donc moins à risque) altère Encadré 3 la validité de ces résultats. Le rapport coût/efficacité est un concept utilisé en évaluation économique pour comparer les coûts et les bénéfices d’une intervention de santé. Les bénéfices peuvent être mesurés Les données d’efficacité en termes d’années de vie gagnées ou de nombre de jours sans symptôme. Ils peuvent être Si les IN ont montré leur capacité à également exprimés sous forme de durée de vie, pondérée par la qualité de vie à l’aide de raccourcir la durée d’évolution de la scores de préférence déclarée. Dans ce cas, l’unité de mesure de l’efficacité est l’année de vie en bonne santé. Ils peuvent aussi être mesurés en termes monétaires. Le rapport coût/efficacité grippe, ils ne l’ont fait que chez des est ensuite calculé puis comparé à une valeur seuil acceptée par le système de soins. patients sains5. Par ailleurs, les essais qui supportaient la méta-analyse n’étaient ni vraiment expérimentaux, ni réelle- maladie NP et du SNC alors qu’ils santé anglais. Conformément aux ment pragmatiques. Il est vraisemblable pouvaient ajuster les résultats sur ces recommandations du NICE, les deux que l’effet bénéfique observé a été variables. Ce choix méthodologique évaluations ont utilisé les QALY (quality- surévalué en raison du taux élevé de associé au fait que les patients du groupe adjusted life years) comme outil de grippes confirmées dans les populations oseltamivir avaient moins d’antécédents l’analyse coût/utilité (encadré 3). Les incluses. En conséquence, l’efficacité de maladie NP ou du SNC à l’inclusion différences entre les modèles écono- pratique en soins primaires serait bien peut altérer la validité interne de l’étude miques des systèmes anglais et français plus faible2,5,13. et nécessite des précautions dans l’inter- limitent la portée des résultats de ces Les données de tolérance prétation de la conclusion. deux études. Toutefois, la stratégie Les résultats de l’analyse de Toovey prophylactique de la grippe saisonnière Elles sont parcellaires, confuses, et et al.8 soulèvent aussi des interroga- semble coût/efficace chez l’enfant. Le concernent surtout l’oseltamivir. Les tions. L’écart entre les taux bruts estimés traitement des syndromes grippaux est événements indésirables sont le plus d’EINP (5/100 000) et ceux relevés au économiquement acceptable unique- souvent sous-déclarés. Le registre de la cours des essais thérapeutiques (0,5 %) ment chez les patients à risque. Food and Drug Administration (FDA) n’échappe pas à cette règle. Alors que doivent conduire à des interprétations Limites de l’étude de l’InVS le registre de la FDA comportait prudentes. La lourdeur des procédures de déclaration des EI est un frein bien La validité interne des données utilisées 1 805 événements indésirables de tous connu à la déclaration spontanée des par l’InVS pour recommander la pres- types, déclarés entre 1999 et 2007, le patients et des médecins. Par ailleurs, cription systématique d’oseltamivir doit registre des laboratoires Roche compor- dans les essais thérapeutiques, tout être relativisée compte tenu du fait que tait 2 466 EI neuropsychiatriques, dont événement intercurrent est déclaré en le schéma méthodologique était celui 562 classés comme sévères2. Cette EI, ce qui peut expliquer leur fréquence d’une étude transversale cas-témoins ne discordance pose question. relativement élevée, et comparable chez permettant pas d’éliminer les facteurs Les deux synthèses sur les événements confondants. De plus, l’exclusion de indésirables neuropsychiatriques (NP) et les patients traités et chez ceux du groupe placebo. près de la moitié de la population ceux concernant le système nerveux éligible est une limite importante qui central (SNC) doivent également être Enfin, de nombreux auteurs s’accordent à reconnaître l’insuffisance des données peut avoir orienté le sens des résultats. interprétées avec précaution. Dans pour estimer avec fiabilité la fréquence En termes de validité externe, cette l’étude de Blumentals et al.9, l’exclusion des effets indésirables des IN2,5-7,10,11. étude souffre d’un biais de sélection : des patients ayant reçu de l’oseltamivir patients hospitalisés donc possiblement en dehors des délais de prescription L’évaluation médicoéconomique plus fragiles ou à fort risque de compli- (> 1 jour après le diagnostic), celle des Le service médical rendu (SMR) prend en cation. Cette population représentait à patients ayant reçu un autre IN au cours compte le rapport bénéfice/risque indivi- peine 1/15 000 de la population ayant de la saison hivernale, et enfin celle des duel et l’intérêt de santé publique (popu- eu la grippe3. Compte tenu de ces biais, patients ayant reçu de l’oseltamivir sans lationnel) d’un médicament. Le SMR des du faible (et fragile) bénéfice démontré que le diagnostic virologique de grippe IN a toujours été considéré comme insuf- et des nombreux effets indésirables n’ait été porté, limitent fortement fisant lors des différentes évaluations attendus, la prescription systématique l’applicabilité des résultats au contexte menées par la Commission de la Trans- d’oseltamivir aux patients atteints de des soins de premier recours. L’utilisation des scores de propension pour apparier parence, quelle que soit l’indication, syndrome grippal a un rapport béné- les cas et les témoins est une limite prophylactique ou thérapeutique. fice/risque défavorable en termes de supplémentaire. Ces deux contraintes À côté du SMR, il est légitime de santé publique14. ont fait qu’un peu moins d’un patient sur s’interroger sur l’efficience des IN. deux a été inclus (81 408/177 303), ce Cette interrogation ramène à la perti- qui limite la généralisation des résultats à nence des ressources allouées aux IN. Conclusion la pratique clinique. Par ailleurs, les Les deux études médicoécono- Les IN réduisent modérément la durée auteurs ont fait une étude de sensibilité miques10,11 étaient destinées à argu- des symptômes de la grippe confirmée. tenant compte des antécédents de menter les décisions du système de En prophylaxie, ils réduisent le risque de 56 exer cer la r evue française de médecine générale Volume 21 N° 91
Exercer_91_pages:Exercer_91_pages 23/03/10 9:57 Page 57 Soins grippe confirmée chez les sujets exposés tolérance des IN n’est disponible pour la En conclusion, il n’y a pas d’argument mais pas le risque de syndrome grippal. Les pandémie par le virus A/H1N1. convaincant pour recommander l’utili- données sont insuffisantes pour affirmer la Enfin, l’étude sur laquelle se sont sation systématique des antiviraux à tous diminution des complications. Au mieux, appuyées les autorités sanitaires pour les patients atteints de grippe A/H1N1. le faible bénéfice clinique des IN chez les émettre leur recommandation de prescrip- Chez les sujets à risque, les IN peuvent patients sains doit être pondéré au regard tion systématique d’oseltamivir a trop de éventuellement être envisagés en raison d’informations insuffisantes sur leur tolé- limites méthodologiques pour constituer de rapports bénéfice/risque et coût/ effi- rance. Aucune donnée d’efficacité et de un argument à fort niveau de preuve. cacité très modérément favorables. Summary Background. At the end of December 2009 during the outbreak of influenza A/H1N1, the French Health Authorities recommended that all the patients presenting with symptomatic influenza or in post-exposure prophylaxis should be treated with oseltamivir. Method. To assess the relevance of this recommendation, we performed a systematic review of the latest reviews on neuraminidase inhibitors (NI) in preventing the symptoms of influenza in post-exposure prophylaxis, in ameliorating the complications of influenza. We have also assessed the safety of NI. Finally, we searched reviews appraising cost-effective- ness of NI. Results. Seven studies were retrieved. NI were found to be effective post-exposure drugs against laboratory confirmed influenza. They were efficacious for preventing symptomatic influenza during seasonal influenza outbreak. There were evidences of benefit in shortening the duration of influenza-like illness if taken within 48 hours of the onset of symptoms. Adverse events including neuropsychiatric events seemed scarce, but potentially severe. This must be borne in mind. Despite some concerns, the use of NI in at-risk populations appeared to be a cost-effective approach for the treatment of influenza, and for seasonal and post-exposure prophylaxis. Data from the French Authorities to recommend prescribing oseltamivir to all patients have too much bias to firmly argue this advice. Conclusion. There is not enough convincing evidence to recommend prescribing IN for all patients with A/H1N1 influenza. Références 1. Doshi P. Neuraminidase inhibitors-the story 6. Freemantle N, Calvert M. What can we learn 11.Tappenden P, Jackson R, Cooper K et al. behind the Cochrane review. 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