Grippe A/H1N1 et antiviraux : quelle stratégie de santé publique ?

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Grippe A/H1N1 et antiviraux : quelle stratégie de santé publique ?
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             Soins

        Grippe A/H1N1 et antiviraux : quelle stratégie
        de santé publique ?
                          Luc Martinez1, Denis Pouchain2, Vincent Renard2, Pascale Arnould1, Pierre-Louis Druais2
        exercer 2010;91:52-7.                                                                                             l.martinez@sfmg.org

        Contexte. En décembre 2009, les autorités sanitaires françaises ont recommandé             1. Société française de médecine générale
        de prescrire systématiquement de l’oseltamivir à tous les patients ayant un tableau        2. Collège national des généralistes
        clinique de grippe, et aux personnes en contact étroit avec eux.                              enseignants
        Méthode. Pour évaluer la pertinence de cette recommandation, une revue des
        synthèses récentes de la littérature a été réalisée et les données publiées par
        l’Institut de veille sanitaire argumentant la recommandation ont été évaluées.
        Résultats. Sept synthèses de la littérature portant soit sur des essais contrôlés

                                                                                                                                               @iStockphoto.com_Dynasoar
        randomisés, soit sur des études observationnelles ont été évaluées. En cas
        d’épidémie saisonnière, les inhibiteurs de la neuraminidase (IN) ont une efficacité
        prophylactique sur la survenue de la grippe symptomatique virologiquement
        confirmée. Ils préviennent également la grippe postexposition avec un sujet
        infecté.
        Chez les patients grippés, les IN réduisent la durée de la maladie de 0,5 jour à
        1,5 jour à condition d’être pris au plus tard 48 heures après l’apparition des symp-
        tômes de la maladie. En termes de tolérance, les données sont confuses et parcel-
        laires. Les effets indésirables neuropsychiatriques semblent rares, mais potentielle-
        ment graves. L’analyse économique n’a pas confirmé l’utilité d’un traitement
        systématique pour tous les patients ayant un tableau de grippe. Les données
        publiées par l’Institut de veille sanitaire pour recommander la prescription systé-
        matique d’oseltamivir aux patients grippés et à leur entourage sont entachées de
        trop nombreux biais pour que cette décision de « santé publique » soit valide.
        Conclusion. Il n’y a pas d’argument suffisamment convaincant pour recom-                    Mots-clés
        mander l’utilisation systématique des antiviraux pour tous les patients atteints de         Grippe A/H1N1
        grippe A/H1N1.                                                                              Inhibiteurs de la neuraminidase
                                                                                                    Santé publique

        Introduction                                  base de la répartition des cas graves        tions et des décès, etc. Il faut ensuite
                                                      (n = 724) et non graves (n = 513), et        considérer l’efficacité populationnelle,
        Au cours des épidémies hivernales, le
                                                      selon que ces patients avaient ou non        c’est-à-dire la capacité du médicament à
        taux de syndromes grippaux en popula-
                                                      pris des inhibiteurs de la neuraminidase     prévenir la maladie dans toute la popula-
        tion générale est habituellement de 10
                                                      (IN) dans les 48 premières heures            tion (prophylaxie) et chez les sujets en
        à 20 %1. Hors période épidémique,
                                                      suivant le début de la maladie, les auto-    contact étroit avec un sujet malade (trai-
        25 % des syndromes grippaux sont viro-
                                                      rités sanitaires ont recommandé de pres-     tement préemptif). Cette efficacité doit
        logiquement confirmés au laboratoire          crire systématiquement de l’oseltamivir à    toujours être mise en perspective avec les
        alors que 60 à 80 % le sont en période        tous les patients ayant un tableau           effets indésirables connus. Enfin, le médi-
        épidémique2.                                  clinique de grippe, et aux personnes en      cament doit, si possible, alléger l’impact
        L’hiver dernier, la France métropolitaine     contact étroit avec eux4. Cet article a      socioéconomique de la maladie sur la
        a connu une épidémie de grippe                pour objectif d’évaluer la pertinence de     collectivité. Ces caractéristiques compo-
        A/H1N1. Au 6 décembre 2009, elle              cette recommandation.                        sent « l’intérêt de santé publique » d’un
        aurait atteint entre 6 et 12,5 millions de    Aborder le problème de l’efficacité des      antiviral.
        personnes3. Entre début juillet et mi-        antiviraux nécessite d’envisager plusieurs   En termes d’évaluation d’un médicament,
        décembre, les autorités sanitaires fran-      aspects. Il y a d’abord l’efficacité du      son efficacité expérimentale se mesure au
        çaises ont recensé 1 237 patients hospi-      médicament pour les patients, en termes      cours des essais thérapeutiques et son
        talisés atteints de grippe virologique-       de raccourcissement de l’évolution de la     « efficacité pratique » se mesure dans
        ment confirmée (ou probable). Sur la          maladie, de prévention des complica-         l’exercice quotidien (encadré 1).

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Grippe A/H1N1 et antiviraux : quelle stratégie de santé publique ?
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       Encadré 1                                                                                          méta-analyse. Une nouvelle analyse
     Dans la langue française, le terme efficacité décrit les effets bénéfiques d’un médicament dans      reprenant 4 de ces 7 études a confirmé
     deux situations différentes : l’essai thérapeutique et l’essai pragmatique (ou étude                 ces résultats5.
     épidémiologique). Les Anglais utilisent le mot « efficacy » lorsqu’ils se réfèrent aux essais
     d’intervention dans lesquels la maladie est clairement identifiée, et le mot « effectiveness »       Prévention après exposition
     pour l’effet observé en pratique quotidienne. Cette différentiation n’est pas simplement             Quatre études ont confirmé l’efficacité
     sémantique. Elle a des implications réelles dans la décision en santé publique. Dans cet article,    les antiviraux à prévenir la grippe après
     l’expression « efficacité expérimentale » sera utilisée pour les résultats obtenus dans les essais
     thérapeutiques, et le vocable « efficacité pratique » pour les effets observés en pratique           contact avec un sujet infecté5. Le risque
     quotidienne. Dans le concept de rapport coût/efficacité, le terme efficacité fait référence          relatif était de 0,2 pour le zanamivir et
     à l’efficacité pratique.                                                                             compris entre 0,16 et 0,42 pour
                                                                                                          l’oseltamivir.
                                                                                                          Thérapeutique
     Méthode                                             Efficacité des IN                                Sur la durée de la maladie
     Revue de la littérature portant sur les             Prophylaxie                                      L’oseltamivir et le zanamivir ont réduit la
     données les plus récentes, en particulier           Sept ECR versus placebo, d’une durée             durée des symptômes5 de la maladie de
     les articles de synthèse publiés en 2009.           supérieure ou égale à 4 semaines,                0,5 à 1,5 jour (sur 7), à condition d’être
     En l’absence de données nouvelles, les              mesurant le taux de grippe virologique-          pris au plus tard 48 heures après la
     auteurs ont repris les publications anté-           ment confirmée chez des patients                 survenue des premiers signes cliniques.
     rieures. Tous les articles retenus répon-           symptomatiques ou asymptomatiques                Sur les complications graves
     daient aux critères de qualité tels que             et/ou dénombrant les effets indésira-            Les données publiées concernaient
     définis par la Cochrane Collaboration.              bles (EI) des IN ont été inclus7. La méta-       uniquement l’oseltamivir. En 2006, une
     Pour cette analyse, les synthèses quali-            analyse a porté sur 7 021 patients âgés          méta-analyse12 a démontré l’efficacité
     tatives ou quantitatives (avec méta-                de 18 à 96 ans. Cinq études ont inclus           clinique de ce médicament pour réduire
     analyses), qui portaient soit sur des               des patients en bonne santé pour qui la          les complications graves comme la
     essais comparatifs randomisés (ECR) soit            vaccination antigrippale n’était pas             pneumonie. Cependant, ce travail repo-
     sur des études observationnelles, ont               recommandée. Une étude concernait                sait sur une seule publication qui, elle-
     été colligées. Les données publiées par             des patients pour qui la vaccination             même, avait analysé 10 ECR dont
     l’Institut de veille sanitaire (InVS) sous-         était recommandée, et une étude a                2 seulement avaient été publiés dans
     tendant la recommandation des auto-                 inclus des patients âgés, institutionna-         des revues à comité de lecture. Cette
     rités sanitaires françaises4 ont aussi été          lisés et à haut risque de complications.         limite importante a entraîné de
     évaluées.                                           La durée médiane d’exposition aux IN a           nombreuses réactions2. En 2009, la
                                                         été de 42 jours. Cette méta-analyse a            méta-analyse du même auteur5 a tenu
                                                         montré que les IN diminuaient la                 compte de ces critiques et la synthèse
     Résultats                                           fréquence des grippes symptomatiques             des 3 études publiées n’a pas montré de
     La recherche bibliographique a permis               versus placebo (RR = 0,26 ; IC95 =               diminution de la fréquence des infec-
     de rassembler sept études répondant                 0,18-0,37). En revanche, le taux de              tions respiratoires basses, du recours
     aux critères retenus. Trois synthèses de            grippe asymptomatique était compa-               aux antibiotiques et des hospitalisations.
     la littérature ont évalué l’efficacité et la        rable entre les groupes traités et non
     tolérance des antiviraux. Une méta-                 traités. La fréquence de la grippe               Efficacité pratique pour prévenir
     analyse a évalué les effets des IN en               (symptomatique ou non) était compa-              les complications
     prévention de la maladie, pour réduire              rable chez les patients avec ou sans             Contrairement aux ECR qui ne
     ses symptômes, éviter sa transmission et            risque de complications. L’âge n’était           montraient pas de réduction des
     ses complications chez des adultes en               pas lié à une fréquence accrue de                complications avec l’oseltamivir5, les
     bonne santé, et a évalué la fréquence               grippe symptomatique ou non.                     études observationnelles ont montré
     des effets indésirables5. Une revue de la           Quatre études ont reporté des EI sévères         une tendance à la diminution de la
     littérature portant sur des études prag-            ou sérieux, mais sans les définir. Il n’y a      fréquence des pneumonies et un réel
     matiques a répondu aux mêmes objec-                 pas eu de différence entre 2 groupes             bénéfice clinique chez les patients
     tifs6. Une méta-analyse a évalué                    pour les EI sévères (RR = 0,92 ;                 atteints de pathologie cardiaque6.
     l’efficacité et la tolérance des antiviraux         IC95 = 0,51-1,65), dont la fréquence             Cependant, aucune étude n’a envisagé
     en prophylaxie de la grippe saisonnière             était comprise entre 0 et 4,3 %.                 les effets de l’oseltamivir chez les
     et des pandémies grippales7. Deux                   L’oseltamivir à 150 mg/j était associé à         patients atteints de grippe A/H1N1.
     études ont plus particulièrement évalué             un risque accru de nausées et de vomis-
                                                                                                          Sécurité de l’oseltamivir
     la tolérance de l’oseltamivir8,9. Enfin,            sements : 14,6 % des patients versus
     deux études ont été retenues pour                   6,9 % (RR = 2,29 ; IC95 = 1,34-3,92).            Chez les patients grippés
     l’évaluation économique en technologie              Aucun événement indésirable neuropsy-            En 2007, une étude cas-témoins,
     de santé10,11.                                      chiatrique n’a été reporté dans cette            réalisée pour le laboratoire Roche, a

     Volume 21      N° 91                                               exer cer la r evue française de médecine générale                         53
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             Soins

          Encadré 2                                                                                           littérature11 a inclus 23 ECR ayant
        Un score de propension désigne la probabilité, pour un patient ayant certaines caractéristiques,      évalué l’effet prophylactique des IN
        de recevoir un traitement. La distribution du score entre les groupes comparés (quand le              en termes d’apparition de grippe virolo-
        schéma est transversal et non pas randomisé comparatif) permet de savoir s’il y a un biais de         giquement confirmée. Elle a authentifié
        recrutement (les patients exposés au traitement ont tendance à avoir des scores de propension         la capacité des IN à diminuer le nombre
        plus élevés). Afin de neutraliser ce biais, un sous-échantillon de patients comparables entre les
        2 groupes peut être élaboré par appariement sur les scores de propension, à condition que la          de cas chez les patients traités en
        différence entre les 2 scores les plus proches ne soit pas trop grande. Il y a deux limites à cette   prophylaxie saisonnière comme en
        méthode : la comparabilité est impossible sur les caractéristiques non observées et la nécessité      prophylaxie postexposition. Ces deux
        d’exclure les valeurs extrêmes des scores du fait de différences trop importantes pour apparier.      stratégies ont été bien tolérées avec peu
        Dans l’étude de Blumental et Song9, les variables d’appariement incluses dans les modèles de          d’EI et peu de retraits en cours d’étude.
        régression logistique pour calculer les scores de propension ont été l’âge, le genre, le domicile,    Les études ont apporté peu de rensei-
        la zone d’habitation (rurale ou urbaine), l’index de comorbidité de Charlson, un diagnostic ou
                                                                                                              gnements sur la capacité des deux stra-
        un traitement d’infection respiratoire associée et le statut vaccinal.
                                                                                                              tégies à prévenir les complications, les
                                                                                                              hospitalisations, la durée de la grippe ou
        comparé la fréquence déclarée des EI à              Après exclusion des patients ayant un             le délai de retour à une activité normale.
        type d’atteintes du système nerveux                 antécédent de pathologie neurologique             En prophylaxie postexposition, le rapport
        central (EISNC) ou de troubles neuropsy-            ou neuropsychiatrique, l’analyse de               coût/efficacité des IN a été estimé infé-
        chiatriques (EINP) chez des patients                sensibilité a confirmé le plus faible             rieur à 30 000 £ par année de vie
        grippés traités ou non par oseltamivir9.            risque chez les patients du groupe osel-          gagnée en bonne santé, valeur seuil
        346 733 patients ont fait l’objet d’une             tamivir.                                          admise par le National Health Service
        déclaration de grippe auprès d’un des deux                                                            (NHS : système de santé du Royaume-
        assureurs états-uniens impliqués dans
                                                            Effets neuropsychiatriques                        Uni) chez les enfants et les sujets âgés à
        cette étude. Tous les patients atteints de          La revue exhaustive de la littérature8            risque ou en bonne santé. À l’exception
        pneumonie le jour du diagnostic de                  faite pour Roche a pris en compte les             des enfants à risque, l’accroissement du
        grippe, ceux admis dans un établisse-               données des essais menés par le labora-           rapport coût/utilité des stratégies de
        ment de santé, les femmes enceintes, ou             toire, les données de suivi après mise sur        prophylaxie de la grippe saisonnière a
        ceux qui avaient reçu un antiviral autre            le marché, et les données issues des              été estimé entre 38 000 £ à 428 000 £,
        que l’oseltamivir durant la même période            bases de divers organismes de santé.              ce qui est très supérieur au seuil du
        hivernale ont été écartés de l’analyse. De          Au total, 3 051 EINP ayant affecté                NHS.
        même pour tous les patients du groupe               2 466 patients ayant reçu de l’oseltamivir        L’analyse de l’efficacité pratique des IN
        intervention chez qui le délai de prise             dans la période 1999-2007 ont été spon-           pour traiter la grippe a inclus 29 études10.
        d’oseltamivir a été supérieur à 1 jour              tanément déclarés. Sur la même période,           Elle a démontré une réduction de la durée
        après le début de la maladie, et pour tous          48 millions de patients ont reçu de               des symptômes, de 0,5 à 1 jour pour
        les patients du groupe témoin ayant reçu            l’oseltamivir, ce qui aboutit à une               le zanamivir, de 0,5 à 1,5 jour pour
        une prescription d’oseltamivir à une                fréquence brute d’EINP de 5/100 000               l’oseltamivir. Cet effet était plus petit chez
        autre période de la saison grippale. Après          patients traités. Dans les essais théra-          les adultes sains. D’une manière générale,
        appariement sur les scores de propension            peutiques, la fréquence des EINP a été            les rapports coût/efficacité ont été plus
        (encadré 2), 40 704 patients ont été                comparable dans les groupes traités et            favorables dans les populations à risque.
        inclus dans chaque bras.                            placebo (0,5 % versus 0,6 %). Le registre         L’analyse médicoéconomique a porté sur
        Après l’appariement et comparativement              des cas déclarés d’EINP aux États-Unis n’a        22 études. Les estimations des rapports
        au groupe témoin, les patients du groupe            pas identifié de différence entre les             coût/efficacité selon différents scénarios
        oseltamivir avaient moins d’antécédents             patients traités et les non traités. Toute-       (modalités de contact avec le système de
        de pathologie pulmonaire, ils étaient               fois, la base de données des généralistes         soins, prise en compte de la mortalité, du
        plus souvent immunodéficients et avaient            anglais a montré un risque accru de               diagnostic virologique de grippe ou de sa
        plus souvent des antécédents neuropsy-              75 % chez les patients traités comparati-         probabilité) ont montré un rapport plus
        chiatriques. Au cours des 2 périodes                vement à la population générale.                  favorable dans les populations à risque
        d’évaluation (à 14 et 30 jours), les                                                                  comparativement aux patients sans
        patients du groupe oseltamivir ont eu               Évaluation médicoéconomique                       comorbidité, et plus favorable pour le
        moins d’EISNC et moins d’EINP que ceux              Deux études, dites d’évaluation des               zanamivir que pour l’oseltamivir.
        du groupe témoin. Après ajustement sur              technologies de santé, réalisées pour le
        de très nombreuses variables, le risque             National Institute for Health and Clinical        Évaluation des données de l’InVS
        d’EISNC et d’EINP était significativement           Excellence (NICE) ont évalué le rapport           L’InVS a comparé le risque de forme
        plus faible dans le groupe oseltamivir au           coût/efficacité de la prophylaxie de la           grave ou de décès selon qu’il y avait eu,
        14e jour : odds ratio (OR) = 0,76 ;                 grippe par les IN d’une part, et celui du         ou non, prise d’antiviraux dans les
        IC95 = 0,68-0,87 et au 30e jour :                   traitement de la grippe d’autre part10,11.        48 heures après le début clinique de la
        OR = 0,80 ; IC95 = 0,74-0,87.                       La synthèse médicoéconomique de la                maladie4. 1 237 patients atteints de

        54                    exer cer la r evue française de médecine générale                                                       Volume 21      N° 91
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     grippe probable ou confirmée et hospi-           s’assurer que la différence observée                                    pour la confirmer, et il est peu probable
     talisés ont été sélectionnés, 127 d’entre        entre deux groupes est due à l’effet de                                 qu’un comité d’éthique accepte un
     eux sont décédés. Pour déterminer le             l’intervention ou à celui du hasard                                     essai comparatif versus placebo chez de
     risque de complication grave ou de               (p > 0,05). Cependant, l’ECR a aussi ses                                tels patients5.
     décès associé à la consommation                  propres limites. Lorsqu’il est construit                                Une autre limite des ECR concerne le
     précoce d’antiviraux, les auteurs ont            dans le but d’obtenir une autorisation                                  profil virologique des patients. Dans les
     retenu les patients pour qui la date de          de mise sur le marché, les patients avec                                essais de prophylaxie, l’analyse n’a porté
     début du traitement antiviral était              comorbidités ne sont généralement pas                                   que sur les grippes confirmées en labo-
     connue, soit 639 patients (51,7 % des            inclus. La première raison est que, du                                  ratoire. En conséquence, elles ne
     éligibles). L’analyse a montré une               fait des comorbidités, l’accroissement                                  permettent pas de trancher sur
     augmentation mineure du risque de                de la variabilité de la réponse des                                     l’efficacité des IN en termes de survenue
     complication grave (OR = 2,1 ; IC95 =            patients peut diminuer la puissance de                                  des syndromes grippaux, situation à
     1,5-2,9) chez les patients ayant débuté          l’étude. L’autre raison est que les événe-                              laquelle est confronté le clinicien. De
     un traitement par antiviral plus de                                                                                      leur côté, les essais d’efficacité pratique
     48 heures après le début de la maladie                                                                                   n’étaient pas vraiment pragmatiques.
     et chez ceux n’ayant pas reçu d’antiviral                                                                                Les taux de grippe virologiquement
     du tout.                                                                                                                 confirmée étaient très élevés (80 %) et
                                                                                                                              ne correspondaient pas à la prévalence
                                                                                                                              habituelle en soins primaires.
     Discussion                                                                                                               Les preuves de l’efficacité des IN pour
                                                                                                                              réduire les complications sont limitées
     L’évaluation des synthèses de la littéra-                                                                                par le petit nombre d’études et donc la
     ture publiées récemment montre que les                                                                                   qualité de leurs synthèses. La première
     IN ont une efficacité prophylactique sur                                                                                 méta-analyse12 ne reposait que sur une
     la survenue de la grippe symptomatique                                                                                   seule publication qui, elle-même, avait
     virologiquement confirmée lors d’une                                                                                     analysé 10 essais thérapeutiques dont
     épidémie saisonnière. Ils préviennent                                                                                    2 seulement avaient été publiés dans
     également la grippe postexposition.                                                                                      des revues à comité de lecture. La
     Chez les patients grippés, les IN rédui-                                                                                 récente méta-analyse du même auteur5
     sent la durée de la maladie de 0,5 jour à                                                                                a tenu compte de ces faiblesses et la
                                                                                                   @iStockphoto.com_Eraxion

     1,5 jour, selon le profil du patient et l’IN                                                                             synthèse des 3 seules études publiées
     utilisé à condition d’être pris précoce-                                                                                 n’a pas permis de montrer une diminu-
     ment. Il est possible, mais pas ferme-                                                                                   tion des complications.
     ment établi, que les IN réduisent les                                                                                    Les études observationnelles ont
     complications graves comme la pneu-                                                                                      l’avantage théorique d’évaluer les médi-
     monie.                                                                                                                   caments en pratique réelle. Cet avan-
     En termes de tolérance, les données              ments indésirables liés aux comorbidités                                tage est contrebalancé par l’impact
     sont confuses et parcellaires. Le risque         risquent de pénaliser la tolérance. C’est                               d’éventuels facteurs confondants sur les
     d’effets indésirables neuropsychia-              ce qui a été observé dans les études                                    résultats. Cela est particulièrement
     triques est réel, semble rare, mais              ayant évalué l’intérêt des IN pour                                      fâcheux quand les caractéristiques
     potentiellement grave.                           protéger les patients de la grippe7. Elles                              cliniques des patients sont des facteurs
     L’analyse économique n’a pas confirmé            ont sélectionné avant tout des adultes                                  de choix du médicament (tendance à
     l’utilité de la prophylaxie pour tous les        jeunes bien portants, ce qui ne corres-                                 traiter davantage les patients perçus
     patients. Seule la prophylaxie postexpo-         pond pas au profil des sujets ciblés par                                comme plus fragiles).
     sition a été estimée coût/efficace chez          la prophylaxie antigrippale en pratique                                 Les 9 études observationnelles6 réalisées
     les enfants et les sujets âgés. Pour les         quotidienne. Elles n’ont détecté aucun                                  pour le laboratoire Roche sont les seules
     patients ayant une grippe confirmée, le          événement indésirable rare (< 1 000),                                   apportant des données de tolérance en
     zanamivir semble le médicament le plus           en particulier neuropsychiatrique, mais                                 situation pragmatique. Le bénéfice
     coût/efficace chez les patients à risque.        elles n’avaient pas assez de puissance                                  observé sur la réduction des complica-
                                                      pour le faire.                                                          tions à type de pneumonie doit être
     Limites méthodologiques                          La même limite s’applique aux résultats                                 relativisé car la rareté de ces complica-
     des études                                       des essais ayant évalué l’efficacité des                                tions chez le sujet sain réduit la perti-
     Elles affectent la validité interne et           antiviraux sur la grippe ou les syndromes                               nence clinique du traitement chez ces
     externe des résultats. Toutes les                grippaux5. L’élargissement du bénéfice                                  patients. Pour les patients ayant une
     synthèses de la littérature étaient basées       observé aux sujets à comorbidité sévère                                 pathologie cardiaque associée, le béné-
     sur des ECR qui sont le schéma standard          et hospitalisés est une hypothèse                                       fice clinique a été important, mais un
     pour affirmer un lien de causalité et            logique, mais il n’y a pas de données                                   biais de recrutement (patients traités

     Volume 21     N° 91                                           exer cer la r evue française de médecine générale                                                  55
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             Soins

        plus jeunes, donc moins à risque) altère          Encadré 3
        la validité de ces résultats.                    Le rapport coût/efficacité est un concept utilisé en évaluation économique pour comparer
                                                         les coûts et les bénéfices d’une intervention de santé. Les bénéfices peuvent être mesurés
        Les données d’efficacité                         en termes d’années de vie gagnées ou de nombre de jours sans symptôme. Ils peuvent être
        Si les IN ont montré leur capacité à             également exprimés sous forme de durée de vie, pondérée par la qualité de vie à l’aide de
        raccourcir la durée d’évolution de la            scores de préférence déclarée. Dans ce cas, l’unité de mesure de l’efficacité est l’année de vie
                                                         en bonne santé. Ils peuvent aussi être mesurés en termes monétaires. Le rapport coût/efficacité
        grippe, ils ne l’ont fait que chez des           est ensuite calculé puis comparé à une valeur seuil acceptée par le système de soins.
        patients sains5. Par ailleurs, les essais qui
        supportaient la méta-analyse n’étaient
        ni vraiment expérimentaux, ni réelle-            maladie NP et du SNC alors qu’ils                 santé anglais. Conformément aux
        ment pragmatiques. Il est vraisemblable          pouvaient ajuster les résultats sur ces           recommandations du NICE, les deux
        que l’effet bénéfique observé a été              variables. Ce choix méthodologique                évaluations ont utilisé les QALY (quality-
        surévalué en raison du taux élevé de             associé au fait que les patients du groupe        adjusted life years) comme outil de
        grippes confirmées dans les populations          oseltamivir avaient moins d’antécédents           l’analyse coût/utilité (encadré 3). Les
        incluses. En conséquence, l’efficacité           de maladie NP ou du SNC à l’inclusion             différences entre les modèles écono-
        pratique en soins primaires serait bien          peut altérer la validité interne de l’étude       miques des systèmes anglais et français
        plus faible2,5,13.                               et nécessite des précautions dans l’inter-        limitent la portée des résultats de ces
        Les données de tolérance                         prétation de la conclusion.                       deux études. Toutefois, la stratégie
                                                         Les résultats de l’analyse de Toovey              prophylactique de la grippe saisonnière
        Elles sont parcellaires, confuses, et
                                                         et al.8 soulèvent aussi des interroga-            semble coût/efficace chez l’enfant. Le
        concernent surtout l’oseltamivir. Les
                                                         tions. L’écart entre les taux bruts estimés       traitement des syndromes grippaux est
        événements indésirables sont le plus
                                                         d’EINP (5/100 000) et ceux relevés au             économiquement acceptable unique-
        souvent sous-déclarés. Le registre de la
                                                         cours des essais thérapeutiques (0,5 %)           ment chez les patients à risque.
        Food and Drug Administration (FDA)
        n’échappe pas à cette règle. Alors que           doivent conduire à des interprétations
                                                                                                           Limites de l’étude de l’InVS
        le registre de la FDA comportait                 prudentes. La lourdeur des procédures
                                                         de déclaration des EI est un frein bien           La validité interne des données utilisées
        1 805 événements indésirables de tous
                                                         connu à la déclaration spontanée des              par l’InVS pour recommander la pres-
        types, déclarés entre 1999 et 2007, le
                                                         patients et des médecins. Par ailleurs,           cription systématique d’oseltamivir doit
        registre des laboratoires Roche compor-
                                                         dans les essais thérapeutiques, tout              être relativisée compte tenu du fait que
        tait 2 466 EI neuropsychiatriques, dont
                                                         événement intercurrent est déclaré en             le schéma méthodologique était celui
        562 classés comme sévères2. Cette
                                                         EI, ce qui peut expliquer leur fréquence          d’une étude transversale cas-témoins ne
        discordance pose question.
                                                         relativement élevée, et comparable chez           permettant pas d’éliminer les facteurs
        Les deux synthèses sur les événements                                                              confondants. De plus, l’exclusion de
        indésirables neuropsychiatriques (NP) et         les patients traités et chez ceux du
                                                         groupe placebo.                                   près de la moitié de la population
        ceux concernant le système nerveux                                                                 éligible est une limite importante qui
        central (SNC) doivent également être             Enfin, de nombreux auteurs s’accordent
                                                         à reconnaître l’insuffisance des données          peut avoir orienté le sens des résultats.
        interprétées avec précaution. Dans
                                                         pour estimer avec fiabilité la fréquence          En termes de validité externe, cette
        l’étude de Blumentals et al.9, l’exclusion
                                                         des effets indésirables des IN2,5-7,10,11.        étude souffre d’un biais de sélection :
        des patients ayant reçu de l’oseltamivir
                                                                                                           patients hospitalisés donc possiblement
        en dehors des délais de prescription
                                                         L’évaluation médicoéconomique                     plus fragiles ou à fort risque de compli-
        (> 1 jour après le diagnostic), celle des
                                                         Le service médical rendu (SMR) prend en           cation. Cette population représentait à
        patients ayant reçu un autre IN au cours
                                                         compte le rapport bénéfice/risque indivi-         peine 1/15 000 de la population ayant
        de la saison hivernale, et enfin celle des
                                                         duel et l’intérêt de santé publique (popu-        eu la grippe3. Compte tenu de ces biais,
        patients ayant reçu de l’oseltamivir sans
                                                         lationnel) d’un médicament. Le SMR des            du faible (et fragile) bénéfice démontré
        que le diagnostic virologique de grippe
                                                         IN a toujours été considéré comme insuf-          et des nombreux effets indésirables
        n’ait été porté, limitent fortement
                                                         fisant lors des différentes évaluations           attendus, la prescription systématique
        l’applicabilité des résultats au contexte
                                                         menées par la Commission de la Trans-             d’oseltamivir aux patients atteints de
        des soins de premier recours. L’utilisation
        des scores de propension pour apparier           parence, quelle que soit l’indication,            syndrome grippal a un rapport béné-
        les cas et les témoins est une limite            prophylactique ou thérapeutique.                  fice/risque défavorable en termes de
        supplémentaire. Ces deux contraintes             À côté du SMR, il est légitime de                 santé publique14.
        ont fait qu’un peu moins d’un patient sur        s’interroger sur l’efficience des IN.
        deux a été inclus (81 408/177 303), ce           Cette interrogation ramène à la perti-
        qui limite la généralisation des résultats à     nence des ressources allouées aux IN.             Conclusion
        la pratique clinique. Par ailleurs, les          Les deux études médicoécono-                      Les IN réduisent modérément la durée
        auteurs ont fait une étude de sensibilité        miques10,11 étaient destinées à argu-             des symptômes de la grippe confirmée.
        tenant compte des antécédents de                 menter les décisions du système de                En prophylaxie, ils réduisent le risque de

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     grippe confirmée chez les sujets exposés                tolérance des IN n’est disponible pour la             En conclusion, il n’y a pas d’argument
     mais pas le risque de syndrome grippal. Les             pandémie par le virus A/H1N1.                         convaincant pour recommander l’utili-
     données sont insuffisantes pour affirmer la             Enfin, l’étude sur laquelle se sont                   sation systématique des antiviraux à tous
     diminution des complications. Au mieux,                 appuyées les autorités sanitaires pour                les patients atteints de grippe A/H1N1.
     le faible bénéfice clinique des IN chez les             émettre leur recommandation de prescrip-              Chez les sujets à risque, les IN peuvent
     patients sains doit être pondéré au regard              tion systématique d’oseltamivir a trop de             éventuellement être envisagés en raison
     d’informations insuffisantes sur leur tolé-             limites méthodologiques pour constituer               de rapports bénéfice/risque et coût/ effi-
     rance. Aucune donnée d’efficacité et de                 un argument à fort niveau de preuve.                  cacité très modérément favorables.

       Summary
       Background. At the end of December 2009 during the outbreak of influenza A/H1N1, the French Health Authorities
       recommended that all the patients presenting with symptomatic influenza or in post-exposure prophylaxis should be
       treated with oseltamivir.
       Method. To assess the relevance of this recommendation, we performed a systematic review of the latest reviews on
       neuraminidase inhibitors (NI) in preventing the symptoms of influenza in post-exposure prophylaxis, in ameliorating the
       complications of influenza. We have also assessed the safety of NI. Finally, we searched reviews appraising cost-effective-
       ness of NI.
       Results. Seven studies were retrieved. NI were found to be effective post-exposure drugs against laboratory confirmed
       influenza. They were efficacious for preventing symptomatic influenza during seasonal influenza outbreak. There were
       evidences of benefit in shortening the duration of influenza-like illness if taken within 48 hours of the onset of symptoms.
       Adverse events including neuropsychiatric events seemed scarce, but potentially severe. This must be borne in mind.
       Despite some concerns, the use of NI in at-risk populations appeared to be a cost-effective approach for the treatment of
       influenza, and for seasonal and post-exposure prophylaxis. Data from the French Authorities to recommend prescribing
       oseltamivir to all patients have too much bias to firmly argue this advice.
       Conclusion. There is not enough convincing evidence to recommend prescribing IN for all patients with A/H1N1
       influenza.

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     Volume 21       N° 91                                                   exer cer la r evue française de médecine générale                                    57
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