PRISE DE DECISION EN SPORT : MODALITES D'ETUDES ET DONNEES ACTUELLES

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Jean Jacques TEMPRADO, INSEP

     PRISE DE DECISION EN SPORT : MODALITES
        D'ETUDES ET DONNEES ACTUELLES

INTRODUCTION

Dans un grand nombre de situations sportives, l'efficacité de l'acteur dépend de la
capacité de choisir rapidement la meilleure réponse avant de l'exécuter. La notion
de Prise de Décision devrait donc être essentielle tant dans les pratiques
d'apprentissage que dans celles de la Recherche en Activités Physiques et
Sportives. L'enjeu est double, il concerne à la fois la connaissance des modalités de
la mobilisation stratégique des différentes ressources du sujet (particulièrement des
ressources cognitives) et celui d'un aménagement possible des procédures visant à
les développer. Pourtant ce vaste champ d'étude est encore peu développé en
France.
Dans cet article nous envisageons brièvement la nature des approches possibles
dans le domaine des Prises de Décision en Sport. Nous posons ensuite le problème
des rapports terrain-laboratoire pour l'étude des processus et stratégies de
traitement de l'information qui sous-tendent les comportements décisionnels. Enfin, il
est procédé à une revue de travaux concernant une approche particulière des
processus cognitifs de décision. Elle s'inscrit dans le courant de recherche
Canadien qui inspire les travaux que nous menons actuellement.

l - VALIDITE DE LA NOTION DE PRISE DE DECISION EN SPORT ET
APPROCHES PERMETTANT DE L'EXPLORER

La notion de « Prise de Décision » est multidisciplinaire. Elle concerne, depuis
longtemps, de nombreux champs d'application (économie, théorie des jeux,
psychologie, sociologie...). De fait, il existe un grand nombre de modèles descriptifs
ou explicatifs qui sont chacun opérationnels dans un domaine précis et un contexte
délimité. Dans beaucoup d'activités sportives, la notion de décision s'impose de
façon incontournable (sports collectifs de balle, sports de raquette, sports de
combat). A la précision de l'exécution, la finesse des habiletés motrices requises,
leur variété, s'ajoute souvent la nécessité de choisir entre plusieurs réponses
possibles, dans un temps réduit, Les choix ne se font pas au hasard, ils résultent du
décodage de la situation, de la réduction de l'incertitude. Ainsi « choisir » devient
une tâche et « prendre une décision » une habileté.
La connaissance des déterminants des comportements décisionnels présente donc
un grand intérêt tant pour l'enseignant, dont un objectif pourra être de les
développer et les optimiser, que pour le chercheur qui tente de comprendre les
processus cognitifs et les stratégies qui sous-tendences comportements. Cependant
dans le domaine sportif, la notion de Prise de Décision doit être explicitée, ainsi que
le champ théorique sur lequel on s'appuie pour l'étudier.
Nous parlerons ici de l'activité décisionnelle qui reflète la gestion immédiate de la
motricité en fonction des buts de l'action, en présence d'incertitude, sous pression
temporelle et avec des exigences de précision.
Il s'agit d'une gestion stratégique dans laquelle le sujet intervient comme opérateur
de traitement, mobilisant son système moteur et cognitif. Envisagée dans sa
pertinence motrice, elle exclut de notre champ les jugements appliqués au domaine
sportif qui concernent la mise en oeuvre différée de l'activité motrice (jugements
sociaux) ou existant indépendamment de toute activité motrice (comme dans le jeux
d'échec).
Deux versants peuvent être distingués dans une telle approche de phénomènes
décisionnels :
- celui de la décision « phénomène » qui donne aux comportements décisionnels
leur signification par rapport à la logique du contexte sportif dans lequel ils prennent
naissance. Ceci s'effectue en priorité à partir de l'analyse des activités sportives.
- celui de l'acteur en situation, considéré comme un système traitant de l'information
et qui peut être étudié au moyen des modèles de la psychologie cognitive et du
traitement de l'information.
On se trouve en présence de deux modalités d'études complémentaires mais qui
sont dans les faits souvent exclusives parce qu'elles n'ont pas la même proximité vis
à vis du contexte réel des activités sportives. En effet, dans la première approche ce
sont les activités sportives qui sont objet de connaissance et qui servent de support
explicite pour l'investigation alors que dans la seconde il s'agit des processus
mentaux. Les méthodologies d'étude deviennent spécifiques et essentiellement
différentes dans leurs natures.

1.1 - Activités Sportives et Prise de Décision
Les APS peuvent être distinguées selon le type de contraintes qu'elles exercent sur
l'activité décisionnelle des pratiquants. Le critère « incertitude », employé ici au sens
large, permet en particulier d'opérer une distinction entre celles qui sollicitent
fortement le décodage de l'information dans la situation, exigeant de la part de
l'acteur des décisions immédiates pour poursuivre l'action et faisant appel à sa
subjectivité (par exemple en sports collectifs) et celles qui sollicitent moins où pas de
tout cette capacité de faire des choix en cours de réalisation motrice (par exemple
en sprint).
Les habiletés motrices requises sont de natures différentes. Selon la distinction
opérée par Poulton (1957), dans un cas il s'agit d'habiletés « ouvertes » qui doivent
être adaptables, modulables en fonction des conditions susceptibles d'être
présentées, alors que dans l'autre cas il s'agit d'habiletés « fermées » dont la
configuration précise et prédécidée, acquise et répétée, automatisée pendant
l'entraînement. En réalité, cette distinction n'est pas aussi nette puisque la
réalisation de l'acteur est susceptible de véhiculer elle-même de l'incertitude qui doit
être prise en compte en cours de réalisation, soit de manière anticipée, soit en
temps réel (Cl. Alain in Temprado, 1988 a).
Dans les activités où l’incertitude est issue du milieu naturel, la réussite dépend de
la capacité de choisir une réponse appropriée en fonction de la lecture de
l'environnement changeant, tandis que dans les activités duelles, le gain de
l'affrontement ne dépend pas du hasard mais de l'habileté à prendre l'adversaire en
défaut et à déjouer ses projets.
Les décisions s'effectuent parfois dans une dynamique relationnelle collective et
doivent être cordonnées au sein d'unités plus larges qui les font accéder au rang de
systèmes de décisions dans lesquels elles entretiennent des relations de causes à
effets. Ainsi dans les jeux sportifs collectifs, l'action d'un joueur est absurde si elle
n'est pas liée à celle des co-acteurs de la situation. On peut dire que la décision est
ici non seulement fonctionnelle, car participant de la résolution de la tâche, mais
aussi signifiante, puisqu'elle informe partenaires et adversaires et influence leurs
propres décisions.

L'analyse des situations sportives de décision fait apparaître deux logiques
complémentaires :
- logique interne de l'APS qui surdétermine les décisions des acteurs en définissant
l'ensemble des possibles ;
- logique de l'acteur qui, à travers l'échange d'indice et l'attribution de significations
exprime son autonomie créatrice en utilisant non seulement des données objectives
(propres à l'APS, à lui-même) mais également sa subjectivité pour décider des
actions à réaliser.
Les études concernant le dialogue entre les déterminants structurels propres aux
APS et ceux, psychologiques, relatifs à la subjectivité de l'acteur sont intéressantes
parce qu'elles s'appliquent à des situations réelles et peuvent trouver des
prolongements pédagogiques (voir par exemple Houthier,1988).
Cependant, même si elle s'insère dans des cadres (logiques) qui l'orientent, la
décision est toujours le produit du traitement de l'information, elle actualise de façon
observable la gestion de l'incertitude et la résolution du conflit qu'elle provoque. Un
niveau d'analyse « micro » consiste à étudier les processus cognitifs et stratégies de
traitement de l'information qui sous-tendent la Prise de Décision dans. les tâches
motrices et sportives.

1.2 - Traitement de l'information et Prise de Décision en Sport

Les indices produits par les acteurs sportifs doivent permettre aux uns de
coordonner leurs décisions (réduire l'incertitude entre partenaires) tout en plaçant
les autres (adversaires) dans l'incertitude. Cette double nécessité de production et
décodage simultanés de l'incertitude rend difficile l'analyse des processus de
traitement dans les situations d'oppositions. De sorte que la plupart des études
distinguent, pour simplifier, le joueur qui à « l'initiative de la production d'incertitude
» et celui qui est «en attente» du coup de l'adversaire et à pour tâche principale de
réduire l'incertitude.
Lorsqu'il s'agit d'étudier les stratégies de traitement de l'information, les travaux les
plus nombreux portent sur le joueur en attente, sans doute parce que celui-ci peut
être plus facilement représenté par le modèle de traitement de l'information
(Marteniuk, 1976 ; Schmidt, 1982). Cependant quelques tentatives ont été faites
pour étudier les rapports entre « joueur en initiative » et « joueur en attente »
(Proteau, Teasdale, Vachon et Moisan, 1982 ; Proteau et Laurencelle, 1982). Cette
modélisation prévoit qu'un des joueurs est en attente de l'événement du jeu présenté
par l'adversaire et par conséquent que les processus et les stratégies de décision
opèrent comme réduction et gestion de l'incertitude. C'est le joueur en attente que
nous étudions en tant que « Décideur », c'est-à-dire comme ayant à choisir et à
exécuter rapidement une réponse dans une situation ou plusieurs sont possibles.
Le produit de la décision est la réponse motrice, qui actualise les processus et
stratégies non observables, à travers la vitesse de la réaction, l'exactitude de la
réponse, la vitesse du mouvement et sa précision. Ces caractéristiques de la
réponse portent sur la décision produite après le signal impératif dévoilant
l’événement auquel le décideur doit répondre en sélectionnant et spécifiant un
programme moteur. Elles reflètent la façon dont le joueur en attente s'est préparé à
l'apparition de tel ou tel autre événement ; la justesse avec laquelle à partir de sa
subjectivité il a prévu le déroulement ultérieur de la situation et la stratégie de
préparation qu'il développe pour être efficace dans la production de sa réponse.
Selon Alain, Lalonde et Sarrazin (1983) ; Alain, Sarrazin et Lacombe (1984), Alain et
Sarrazin (1985), l'état de préparation à réagir fait l'objet d'un véritable processus de
choix dont le sujet peut en partie se représenter et verbaliser les déterminants, ce
qui n'est pas le cas des processus de sélection et de programmation de la réponse
qui s'effectuent dans un temps très court et qui dépendent des stratégies adoptées
avant le signal de réponse.

Les chercheurs de Montréal accordent une place centrale au mécanisme conduisant
au choix de l'état de préparation à réagir dans les phénomènes de Prise de Décision
en situation sportive d'attente. Dans le cadre des travaux que nous menons
actuellement (Temprado 1988 b ; Temprado et Alain, en cours), nous avons adopté
une définition plus large du processus de décision. En effet, nous considérons que
les caractéristiques de la réponse produite s'expriment à travers les modalités
d'amorce et d'exécution et que pour chacune de ces modalités, il peut être effectué
un réglage, un compromis entre vitesse et exactitude de l'amorce d'une part, vitesse
et précision du mouvement d'autre part. Cette gestion semble refléter, en plus de la
stratégie de préparation, une autre stratégie préalable à l'arrivée du signal par
laquelle le sujet choisit de privilégier pour sa réponse les paramètres de l'amorce
et/ou ceux du mouvement (Temprado 1988 b). Ainsi, les opérations conduisant à la
mise en oeuvre de l'état de préparation constituent, à notre avis, une partie du
processus global de décision.
Les travaux que nous menons actuellement s'appuient sur l'hypothèse selon laquelle
le processus de décision comporterait en réalité plusieurs phases intégrées se
déroulant pour une part avant le signal de réponse et pour une autre part après le
signal. Dès lors, étudier les processus et stratégies de décision revient à analyser
les modalités de fonctionnement de chacune des opérations réalisées par le sujet,
ainsi que les interactions qu'elles entretiennent en fonction des caractéristiques de
la tâche à réaliser.

Cette manipulation du dispositif de la tâche pose un problème de représentativité de
la recherche par rapport à la réalité sportive.

2 - ETUDE DES DECISIONS SPORTIVES : LABORATOIRE ET/OU TERRAIN ?

La prise de décision, en actualisant le passage de l'état observateur à celui d'acteur
dans la situation, traduit l’interaction entre les caractéristiques de la tâche
(incertitude, pression temporelle, précision requise...) et l'activité de traitement de
l'information à l'issue de laquelle est produite la réponse. Cela sous-entend que les
conduites ont une cohérence qui dépend des mécanismes de saisie, conservation et
transformation des connaissances ou de l'information issues de la tâche et des
mémoires du sujet. Ainsi, l'étude des processus de décision suppose la prise en
compte des paramètres de l'environnement, du contexte et du sujet lui-même.
Payne (1980) emploi le terme de « comportements décisionnels contingents » pour
exprimer l'idée que les processus cognitifs impliqués dans les décisions ne sont pas
invariants et dépendent du traitement de l'information propre à la tâche. Pitz et
Sachs (1984) affirment que ce qui est signifiant pour les cognitivistes c'est le
contexte dans lequel s'effectue la prise de décision. Ceci pose le problème de la
liaison entre terrain et laboratoire, ainsi que celui de l'application des résultats du
laboratoire aux situations sportives réelles. Selon Wallsten (1980), il serait erroné de
croire qu'il existe un petit nombre de lois déterminant les comportements
décisionnels, qui pourraient être découvertes en laboratoire et appliquées
directement aux décisions dans le monde réel. De sorte que laboratoire et
observation en situation doivent se situer dans une perspective dialectique.

Ce problème des rapports entre le milieu réel et l'étude en laboratoire préoccupe les
psychologues qui tentent de la résoudre en adoptant des démarches dites
«écologiques». Les partisans de ce type d'approche pensent que ce qui est gagné
en précision dans le laboratoire est perdu en signification humaine du problème
étudié et que la compréhension authentique du sujet agissant est sacrifiée au profit
de la certitude des résultats (pour une revue, Gibbs, 1979). Authenticité et certitude
se présentent comme deux pôles de la recherche, l'expérimentation écologique
aurait pour but d'établir un compromis entre les deux. La réduction de la recherche
aux seuls problèmes manipulables en laboratoire la rendrait rapidement triviale mais
la gestion des conditions permettant la démonstration lorsqu'on se rapproche du
contexte réel n'est pas une chose facile.

Les situations sportives, par leur nature motrice et dynamique, rendent difficile
l'utilisation de dispositif expérimentaux. Par ailleurs, la multiplicité des paramètres
déterminant la performance est peu compatible avec la méthodologie de la
recherche expérimentale, qui préconise d'isoler les variables pour mieux en
apprécier les effets.

Le chercheur est donc confronté à des problèmes méthodologiques et matériels, s'il
veut étudier les processus de traitement de l'information de l'acteur sportif en
situation réelle. Ces difficultés conduisent à entreprendre des travaux en laboratoire
mais ne doivent pas occulter la réflexion nécessaire sur les moyens d'étudier et
d'expliquer les comportements moteurs sportifs en situation réelle de compétition.

Il nous semble, si l'on parle de « Prise de Décision en Sport » que l'étude en
laboratoire ayant pour but principal de tester un modèle théorique donné (par
exemple celui du traitement de l'information) ne doit pas primer sur la réflexion
menée à partir de l'observation du terrain sportif. Cette observation doit conduire à
formuler une problématique spécifique qui sera ensuite testée, au besoin, en
utilisant des modèles élaborées ailleurs et dont la validité été éprouvée dans
d'autres contextes proches de celui étudié.
L'observation du terrain doit être poussée aussi loin que possible, pour pouvoir
poser des questions, même si elles ne peuvent être résolues expérimentalement « in
situ». Cela permet d'accéder à une compréhension globale des phénomènes, avant
de tester leurs aspects particuliers. La démarche méthodologique employée depuis
1977 par l'équipe de Cl. Alain à Montréal dans le domaine des prises de décision est
intéressante à ce sujet.
Etudiant les stratégies de décision du joueur de raquette, il a été réalisé une série
d'observation de terrain, à partir de questionnaires non structurés, d'images
vidéoscopées, d'entretiens avec les joueurs. Cette observation a permis de formuler
des hypothèses sur le fonctionnement cognitif du défenseur en attente.
Partant de l'approche globale du fonctionnement du joueur en situation, il s'agissait
ensuite d'en comprendre mieux les aspects particuliers, ce qui a donné lieu à deux
types d'expérimentations : celles effectuées en laboratoire et celles effectuées en
situation réelle. La différence entre les deux résides dans les méthodologies
utilisées pour recueillir les résultats ainsi que dans les variables étudiées.

Dans les situations réelles, les méthodologies s'appuient sur l'observation vidéo,
couplée ou non avec celle en temps réel et sur les questionnaires des joueurs qui
verbalisent les stratégies qui sous tendent leurs comportements. Elles portent sur
les produits observables de l'action (comportements d'anticipation, de réaction...) et
sur les stratégies verbalisables des sujets à propos du recueil, de l'utilisation des
informations (Alain et Proteau, 1978 ; Alain, Lalonde et Sarrazin 1983 ; Alain,
Sarrazin et Lacombe, 1984 ; Alain et Sarrazin, 1985 ; Lalonde, 1984).
L'analyse des données recueillies utilise la mise en relation quantitative des
variables observées et des stratégies verbalisées par les sujets. Les hypothèses
retenues, à partir des résultats obtenus, ont donné lieu à la construction d'un modèle
algorithmique informatisé reproduisant la démarche cognitive du sujet en situation
réelle de compétition (Sarrazin, Lacombe, Alain et Joly 1983 ; Sarrazin, Alain et
Lacombe, 1986 ; Lacombe, 1983). Les travaux en situations réelles ont été
accompagnés par ceux effectués en laboratoire. Ils permettent de tester les effets de
facteurs isolés et de recueillir des variables plus précises, en particulier celles liées
à la chronométrie mentale (temps de réaction). Cependant, pour une grande partie
d'entre eux, la préoccupation des chercheurs était de rendre « écologique » les
situations réalisées.
Ceci peut être réalisé d'une part en utilisant des tâches faisant appel à une motricité
globale et d'autre part en transférant les variables retenues sur le terrain dans le
cadre de l'expérimentation en laboratoire. On reproduit alors une situation «
équivalente » (Leplat, 1978), dans le cadre d'un compromis entre la précision du
résultat et la représentation à 100 % de la réalité. Ici se situerait en partie la notion
d'écologie, dans la reproduction des paramètres observés sur le terrain (Cl. Alain in
Temprado 1988a).

Une telle façon de procéder permet de comparer les résultats obtenus à partir de
problématiques issues du terrain sportif avec ceux de la psychologie expérimentale
qui utilise souvent les mêmes méthodologies mais avec des tâches différentes et
des hypothèses élaborées dans un autre contexte. De fait, s'il est fréquent que les
résultats coïncident, il semble que la spécificité motrice des tâches utilisées
conduise à des résultats originaux (Proteau et Laurencelle, 1983 ; Proteau et coll.,
1986 ; Proteau et Girouard, 1987 : Proteau, Levesque, Laurrencelle et Girouard,
sous presse; Temprado, 1988b).
Le problème de l'application au terrain des résultats obtenus en laboratoire, même
au moyen de procédures écologiques, reste posé. La performance sportive est le
résultat d'une configuration de facteurs qui interagissent en permanence ; cela incite
à la prudence et au discernement. En effet « les situations de terrain sont toujours
appréhendables par rapport à des systèmes de références multiples, alors que les
situations de laboratoire sont toujours plus pauvres et plus fermées » (Leplat 1978).
Nous abordons maintenant les différentes questions posées dans le cadre de la
connaissance des processus et stratégies de traitement de l'information qui sous-
tendent les comportements décisionnels dans les tâches motrices et sportives.

3 - CARACTERISTIOUES DE LA TACHE ET PRISE DE DECISION

Dans le domaine des APS, les stratégies qui sous-tendent les comportements
décisionnels ont d'abord été abordées à partir de la notion d'incertitude. En effet, la
présence d'incertitude en mobilisant la subjectivité du sujet l'engage dans une
gestion stratégique de ses ressources cognitives qui se traduit par une modification
de son comportement.

Ainsi, le footballeur, dans l'habileté de tir au but modifie la distance de tir en fonction
de la probabilité subjective de réussite qu'il attribue (Cohen et Deamelay, 1962). La
comparaison des joueurs de différents sports de raquette montre qu'ils transforment
les probabilités objectives des différents coups en probabilités subjectives et s'en
servent pour déployer des comportements en prédiction (Alain et Proteau, 1978).

La notion de probabilité subjective est centrale dans l'étude des décisions (Withing,
1979). Dans les sports à raquette, à la suite d'une série d'observation sur le terrain
réalisées dans le cadre d'un programme de recherche de l'Université de Montréal
dès 1977, il est apparu que le défenseur pouvait être modélisé comme un joueur en
attente d'un signal de réponse qui doit se préparer à réagir vite et juste et dont une
des tâches serait d'évaluer les probabilités des différents coups possibles ainsi que
la pression temporelle qui leur est associée. Une série de travaux a été réalisé pour
comprendre comment les joueurs en attente formulent et utilisent les probabilités
subjectives des différents coups.

3.1 - Incertitude événementielle et sélection (amorce) de la réponse

Proteau (1980), Proteau et Alain (1980), Proteau et Dionne (1982) montrent que le
seul fait de passer d'une situation de réaction simple à une situation de choix
dichotomique, en ajoutant un événement, suffit pour que le sujet en tienne compte
dans sa stratégie de réponse même si sa probabilité est très faible. Lorsque le sujet
connaît les probabilités des événements, plus la probabilité en faveur d'une
alternative augmente et plus il réagit vite à son apparition. Ici les données recueillies
avec l'utilisation expérimentale de tâches impliquant une réponse réellement
motrices comme le déplacement de curseur avec un bras ou le déplacement global
du corps (Alain et Proteau, 1977 ; Dugas 1983 ; Proteau, 1977 ; Proteau, 1980 ;
Proteau et Alain, 1983 : Proteau, Teasdale et Laurencelle, 1983 ; Proteau et
Laurencelle 1983 ; Teasdale, 1983) coïncident avec de la psychologie classique
obtenues avec des tâches non essentiellement motrice du type « naming » ou
pression sur une touche (Acosta et Hinrichs, 1979 ; Bartz, 1971 ; De Klerk et Oppe,
1970 ; Hick 1952 ; Hohle et Gholson, 1968 ; Hymen, 1953 ; Proteau et Alain, 1980 ;
Stone et Calloway, 1964 : Theios, 1973). Cependant, cela n'est pas vrai pour toutes
les tâches, comme par exemple celles d'anticipation coïncide (Proteau, Levesque,
Laurencelle et Girouard, sous presse).
Ces résultats démontrent l'importance d'un décodage pertinent des indices
informationnels dans les situations sportives d'opposition. La prévision subjective du
joueur concernant l'évolution de la situation est à la base du déploiement stratégique
de ses comportements. Dans les situations sportives, le sujet doit acquérir la
connaissance des probabilités. Cette connaissance influence la stratégie de
réponse en permettant d'améliorer la vitesse de réaction, c'est à dire l'amorce de la
réponse (Proteau 1977). Cependant, le sujet ne perçoit pas spontanément les
probabilités. Dans une situation dichotomique, il faut que la différence de fréquence
entre les deux évènements soit aussi grande que 0,7/0,3 pour que ceux-ci puissent
être perçus comme non équiprobables (Alain et Proteau, 1977 ; Dugas, 1983 ;
Proteau, 1977 ; Proteau et Alain, 1983 ; Teasdale, 1983). Ici encore, ces résultats
obtenus en utilisant des tâches motrices (déplacement du corps ou de curseur) sont
cohérents par rapport à ceux obtenus antérieurement dans d'autres travaux de la
psychologie utilisant des tâches qui ne comportent pas de contraintes motrices
particulières (De Klerk et Oppe, 1970 ; Geller et coll. 1971, 1972, 1973 ; Remington
1969 ; Withman et Geller, 1972).

De fait, on peut se demander combien de répétitions sont nécessaires pour que le
sujet perçoive cette différence de probabilité. Alain et Proteau (1977) posaient la
question après vingt essais de pratique mais il est possible qu'avec une pratique
plus importante la discrimination soit plus fine. Dans le contexte sportif, cela
signifierait qu'un certain nombre de répétitions sont nécessaires pour que le joueur
s'adapte et produise une réponse plus rapide en faveur de l’événement le plus
probable. Pour éviter cette perte de temps, on utilise souvent l'analyse préalable des
schémas tactiques de l'équipe adverse ou des habitudes du joueur adverse, par les
moyens vidéo. Ainsi, cette connaissance préétablie (attentes) permet de faciliter le
décodage informationnel de la situation à partir des attentes, en facilitant
l'identification des stimulis corrects (Geller 1974a)

Le fait que les sujets perçoivent les différences de probabilité à partir d'une
différence de fréquence de l'ordre de 0.7/0.3 les conduit à modifier leur stratégie et
répondre plus rapidement à l'événement le plus probable lorsque celui ci est
présenté. Toutefois, cela ne signifie pas qu'ils répondent plus vite (en valeur
absolue) à un événement de probabilité 0.7 qu'à deux événements équiprobables.

En effet, on admet généralement que l'être humain se comporte de façon
conservatrice à partir de l'estimation des probabilités (Edwards, Lindman et Philips,
1965 ; Alain et Proteau, 1977), en particulier lorsqu'il n'est pas pressé par le temps.
Cela signifie qu'il est hésitant à privilégier une réponse au détriment de l'autre et
s'explique par la réticence des sujets à mettre l'accent sur la vitesse de la réponse
en augmentant le risque d'erreur (sélection d'une réponse erronée).

Dans ces conditions, pour une situation de choix dichotomique, la différence de
probabilité des événements doit être aussi élevées que 0,9/0,1 pour que les sujets
réagissent plus rapidement que dans les conditions équiprobables (Alain et Proteau,
1977-1980 ; Proteau, 1977 ; Regnier et Salmela, 1980). Ceci est confirmé par le
petit nombre de comportements d'anticipations même dans les conditions de
probabilités aussi élevées que 0,9/0,1 (Alain et Proteau 1977).

3.2 - Incertitude événementielle, pression temporelles et sélection (amorce) de
   la réponse

La plupart des travaux réalisés avec des tâches impliquant une réalisation motrice
(déplacement du corps, déplacement manuel de curseur sur un rail...) montrent en
effet de la réduction du temps accordé sur la vitesse de réation (Proteau et Dugas,
1982 ; Proteau et Laurencelle, 1983 ; Proteau, Teasdate et Laurencelle, 1983 ;
Proteau, Teasdate, Levesque, Laurencelle et Girouard 1987a ; Proteau, Levesque,
Laurencelle et Girouard, sous presse). Ces résultats coïncide avec ceux obtenus
dans d'autres travaux avec des tâches non essentiellement motrices (Grice,
Nullmeyer et Spiker, 1977 ; Hale, 1969 ; Link 1971 ; Ollman 1961 ; Pachella et
Fischer 1969,1972 ; Yellot, 1971) mais il apparaît que même pressé par le temps,
les sujets sont réticents à abandonner leur stratégie conservatrice (Alain et Proteau,
1980 ; Proteau, 1980 ; Régnier et Salmela, 1980 ; Souliére et Salmela, 1980).
Cependant, dans les conditions de forte pression temporelle et lorsque cela est
indispensable pour réussir la tâche cette stratégie peut être abandonnée (Proteau,
Levesque, Laurencelle et Girouard, 1987a).
Le paramètre déterminant pour l'abandon d'une telle stratégie semble donc être le
rapport entre le temps accordé pour produire la réponse et le temps requis pour
cette réponse que nous appelons la pression temporelle. Dans ces conditions, le
sujet se perçoit comme ayant à résoudre une crise de temps. Cette pression
temporelle est susceptible d'affecter le taux de réussite dans la tâche et pousse le
sujet à opter pour des stratégies et des comportements plus risqués (Alain et
Proteau, 1983 ; Dugas, 1983 ; Proteau, 1980 ; Proteau, Leroux, Levesque et
Girouard, 1986 ; Proteau, Levesque, Laurencelle et Girouard, 1987 a ; Teasdale,
1983).

3.3 - Performance dans la tâche et sélection de la réponse

La modification de la stratégie de réponse dépend du seuil fixé par le sujet, à partir
duquel il considère le taux d'échec comme non acceptable. La valeur absolue de ce
seuil reste à déterminer avec précision.
Robillard 1980 montre qu'il doit être supérieur à 40 % ce qui coïncide avec les seuils
voisins de 60 % relevés dans d'autres études (Alain et Proteau, 1983 ; Dugas, 1983
;Proteau, 1980 ; Proteau, Leroux, Levesque, Girouard, 1986 ; Teasdale 1983).
D'autre part, en plus du taux d'échec absolu dans une tâche, le sujet considère aussi
le taux différentiel de réussite entre les différentes tâches qu'il doit réaliser.
Le changement de stratégie interviendrait lorsque la difficulté perçue d'une tâche
par rapport à une autre correspond à 25 % de différence dans les taux de réussite
dans chacune des tâches (Robillard, 1980 ; Teasdale, 1983). Ainsi, les
caractéristiques de la tâche modifient sa difficulté, déterminent la performance du
sujet et affectent sa stratégie.
La prise en compte de la réussite pour modifier la stratégie de décision dépend du
mode de présentation, globale ou fractionnée, des résultats. Proteau, Levesque,
Laurencelle et Girouard, (1987a) montrent que lorsque le sujet est confronté à une
tâche dont la contrainte temporelle augmente et qu'il dispose de sa performance
dans chaque condition particulière de la tâche (pour chaque condition de pression
temporelle), il modifie plus facilement sa stratégie que lorsqu'il ne dispose que d'un
indice global de réussite sur l'ensemble des conditions. Dans ce cas, la stratégie
n'est plus du tout conservatrice puisque lorsque la pression temporelle est très forte,
l'amorce de la réponse n'est plus influencée par les probabilités : le temps de
réaction (TRC) est réduit pour tous les seuils supérieurs à 0,5, c'est à dire dès que
les événements ne sont plus équiprobables. Ce type de stratégie est aussi observé
par Teasdale (1983), lorsque le temps accordé est très court les sujets ne
considèrent plus l'alternative la moins probable comme susceptible d'être présentée.
Ainsi le joueur en attente doit-il évaluer avec la plus grande précision possible les
probabilités des différents coups et leur pression temporelle pour adopter une
stratégie de réponse portant sur l'amorce de la réponse, c'est à dire sur le
compromis entre la vitesse de réaction et la justesse de la réponse. Cependant, ceci
n'est pas toujours le cas.

3.4 - Caractéristiques motrices de la tâche et stratégies de décision

L'étude des Prises de Décision en situation sportive s'est orientée initialement sous
l'impulsion des chercheurs Québécois vers l'influence des caractéristiques
événementielles de la tâche sur le choix de l'état de préparation et l'amorce de la
réponse (Alain in Temprado, 1988 a).
Plus récemment, il est apparu que les caractéristiques motrices de la tâche de choix
pouvait déterminer des stratégies de décision particulières. En effet, les tâches
expérimentales proposées aux sujets dans les différentes études citées, bien que
sollicitant toute la motricité, peuvent être distinguées en deux catégories (Proteau et
Laurencelle 1983) :
- Celles dont les réponses sont :
. a) guidées artificiellement ;
. b) réalisées avec le même membre ;
.c) par lesquelles le temps de réaction occupe une grande partie du temps de
réponse (60%) ;
. d) le temps de mouvement est constant.
C'est le cas dans les études de Alain et Proteau, (1980) ; Dugas, (1983) ; Proteau,
(1980) ; Proteau et Dionne, (1982) ; Proteau et AIain, (1983) ; Robillard, (1980) ;
Teasdale, (1983), pour lesquelles on utilise des tâches de déplacement vers la
droite ou la gauche d'un curseur guidé sur un rail. Dans ce type de tâche,
l'amplitude du déplacement est suffisamment réduite pour que le temps de réaction
occupe une grande partie du temps de réponse.
- Celles caractérisées par des réponses :
. a) guidées par le sujet ;
. b) amorcées avec des membres différents ;
. c) pour lesquelles le temps de réaction occupe une petite partie du temps de
réponse (25%) ;
. d) où le temps de mouvement est suffisamment long pour pouvoir être modulé.
C'est le cas dans les études de Proteau (1977) Alain et Proteau, (1977) ; Regnier,
(1979) Regnier et Salmela, (1980) ; Proteau et Dugas, (1982) ; Proteau, Teasdale et
Laurencelle, (1983) ; Proteau, Leroux, Levesque et Girouard, (1986). Dans ce type
de tâche (déplacement global du corps, pointage de cible), l'amplitude du
déplacement est telle que le temps de réaction n'occupe qu'une petite partie du
temps total de réponse.
Ces différences offrent aux sujets la possibilité d'utiliser deux stratégies différentes :
- lorsque le temps de réaction occupe une grande partie du temps de réponse et que
les déplacements sont guidés, le gain de temps de réponse ne peut être réalisé
qu'en réduisant le temps de réaction (TRC), ce qui encourage le sujet à adopter des
stratégies plus audacieuses pour réduire son temps d'amorce. Ceci d'autant que les
erreurs de réponse sont faciles à corriger puisque le déplacement est guidé. Le coût
d'une erreur serait donc plus faible ;

- lorsque les sujets ont le choix entre la réduction du temps de réaction et celle du
temps de mouvement, ils adoptent, soit une stratégie permettant de réduire
uniquement le temps de mouvement, soit une stratégie mixte conduisant à réduire le
temps de réaction et le temps de mouvement. La première stratégie (diminution
uniquement du temps de mouvement) permet de diminuer le nombre d'erreurs de
réponse puisque le sujet attend d'être sûr du signal présenté pour amorcer la
réponse, cependant en réduisant le temps de mouvement, il prend le risque d'être
moins précis.
Avec la deuxième stratégie, le sujet peut jouer sur un compromis entre les erreurs
d'amorce de la réponse et les erreurs de précision du mouvement. Proteau,
Teasdale et Laurencelle (1983) ont montré que lorsqu'on permet au sujet de modifier
son temps de mouvement, celui-ci le réduit en fonction des probabilités et de la
pression temporelle, au détriment du temps de réaction. Dans ces conditions, la
stratégie était plus audacieuse puisque le temps de mouvement se trouvait modifié à
partir du seuil de probabilité 0.7/0.3 par rapport aux conditions équiprobables. Cette
stratégie permettait aux sujets d'obtenir un fort taux de réussite dans la tâche.
Dans le contexte sportif, ces résultats pourraient signifier que dans certaines
conditions, les joueurs choisissent délibérément de ne pas privilégier la vitesse de la
réaction et se donner le temps d'amorcer une réponse juste, qu'ils compensent en
accélérant la vitesse d'exécution. Ceci à pour inconvénient de faire baisser la
précision du mouvement.
Ainsi, il semble que l'étude des stratégies de décision portant sur les modalités de la
réponse doive s'orienter désormais vers « une approche intégrée tenant compte de
l'amorce et l'exécution de la réponse » (Proteau et Girouard 1987).

Les résultats obtenus par Proteau et Dugas, (1982) ; Proteau et Laurencelle (1983) ;
Proteau, Leroux, Levesque et Girouard, (1986) permettent d'avancer l'hypothèse
d'une stratégie de réponse guidée par le principe coût-bénéfice, en fonction des
caractéristiques de la tâche. Suivant que le temps de réaction (TRC) ou le temps de
mouvement (TM) est dominant dans le temps total de réponse, le bénéfice associé à
la réduction de l'un ou l'autre ou les deux paramètres (TRC et/ou TM) est plus grand
et le sujet à tendance à utiliser la stratégie de réduction correspondante.
Il apparaît que les stratégies de décision du sujet en attente en situation motrice et
sportive se traduisent par les modalités de la réponse après la présentation du
signal impératif d'exécution.

Celles-ci peuvent faire l'objet de compromis distincts :
- vitesse de la réaction d'amorce-exactitude de la réponse (Fitts, 1966 ; Pachella,
1974 ; Wilckelgren 1977) ;
- vitesse d'exécution-précision du mouvement (Fitts, 1954 ; Meyer, Smith et Wright
1982 ; Schmidt, Zelaznik, Hawkins, Frank et Quinn, 1979).

Nos travaux actuels s'insèrent dans cette perspective et visent à déterminer si
l'amorce et l'exécution de la réponse peuvent être contrôlés séparément, ce qui est
contesté par certains auteurs (pour une revue, Marteniuk et Mackenzie, 1980) et, si
c'est le cas, dans quelles conditions (caractéristiques de la tâche) sont adoptées des
stratégies portant sur l'un et/ou l'autre aspect de la réponse (Temprado, 1988 h).

Le processus de décision est donc complexe et il intègre, nous semble-t-il, plusieurs
opérations. Outre le choix d'une stratégie « périphérique » préalable conduisant à
privilégier l'une ou l'autre des modalités de réponse en fonction des caractéristiques
de la tâche, il comporte aussi le choix d'un état de préparation ayant l'apparition du
signal de réponse pour optimiser cette stratégie. La décision constitue le produit
observable des opérations de sélection et de programmation de la réponse. La
rapidité et la justesse de ces opérations dépendent de celles qui précédent, c'est à
dire le choix de la modalité de réponse privilégiée et le choix de l'état de préparation
adapté. Préparation avant le signal et modalités de réponse après le signal sont
donc étroitement liées dans ce que nous appellerons « les processus cognitifs et
stratégies de décision ». Etudions maintenant le processus qui conduit au choix de
l'état de préparation.

3.5 - Préparation et décision
La préparation peut être définie comme « une modification des processus de
décision, préalable à l'apparition du signal d'exécution, dont la conséquence est de
réduire la durée d'une ou plusieurs étapes de traitement de l'information requis pour
fournir la réponse » (Holender 1980).
Le processus de préparation intervient comme un interface entre les caractéristiques
de la tâche et la réponse produite. En effet, les modalités observables de la réponse
(vitesse, exactitude et précision) représentent la concrétisation des processus
inobservables et en particulier les stratégies de préparation élaborées à partir du
traitement subjectif des informations contenues dans la tâche.
Une caractéristique de la préparation est qu'elle peut être sélective, c'est à dire
porter plus particulièrement sur l'une des réponse. La préparation sélective a été
modélisée par Alain Lalonde et Sarrazin (1983) en trois états distincts :
- PREPARATION NEUTRE : le joueur ne détermine pas à l'avance une préparation
en faveur d'un événement particulier.
- PREPARATION PARTIELLE : le sujet se prépare en faveur d'un évènement mais
sans exclure la possibilité d'apparition de l'autre.
- PREPARATION TOTALE : le joueur détermine à l'avance la réponse qu'il va
produire lors de l'apparition du signal.

Il s'agit d'une modélisation qui ne représente pas la complexité réelle des
mécanismes de préparation, mais qui doit permettre de comprendre comment ils
s'insèrent dans le processus de décision.
Le choix de l'état de préparation s'effectue avant l'apparition du signal de réponse.
Dans certaines activités sportives (sports de raquette, volley ball...) le sujet se
trouve en attente d'un signal de réponse et dispose d'un temps suffisant pour
recueillir et traiter les informations disponibles dans la situation. Ce traitement
conduit à la détermination d'un certain nombre de connaissances qui vont être
ensuite combinées selon une règle permettant de choisir l'état de préparation
optimal.
Ces connaissances reposent sur une anticipation mentale de l'avenir et concernent
les probabilités subjectives attribuées aux différents événements, l'estimation de la
pression temporelle associée à chacun de ces événements mais aussi sur d'autres
critères issus du contexte de la situation (par exemple : l'enjeu, le score, la fatigue)
(Alain, Lalonde et Sarrazin, 1983 ; Alain, Sarrazin et Lacombe, 1984 ; Alain et
Sarrazin, 1985).
Une série de travaux ont été entrepris dans le domaine des sports de raquette par
l'équipe des chercheurs Montréal pour déterminer la nature des informations
utilisées par le joueur défenseur pour préparer sa réponse et la façon dont il les
combinent pour choisir un état de préparation adapté. Il s'agissait d'une part de
déterminer avec la plus grande précision possible, les variables qui pouvaient être
identifiées et utilisées et d'autre part de modéliser la démarche algorithmique qui
permet d'aboutir à des états de connaissances opérationnels pour le choix de l'état
de préparation.
Alain, Lalonde et Sarrazin (1983) ; Alain, Sarrazin et Lacombe (1984) ; Lalonde
(1984) ont montré que le choix de cet état de préparation résulte de l'évaluation et la
combinaison de trois valeurs :
.les probabilités subjectives assignées aux différents coups possibles (Ps)
. les chances estimées de frapper la balle, qui dépendent de la pression temporelle
appliquée à chaque coup (Po)
. la valeur d'utilité (Vu) attribuée au choix d'un état de préparation donné en fonction
du score, de la fatigue, de l'enjeu...
L'état de préparation à réagir est choisi selon le principe coût-bénéfice puisque la
réaction est d'autant plus rapide que la préparation est plus spécifique en faveur
d'un événement. En revanche, le risque d'erreur augmente si c'est l’événement
alternatif qui se produit. Ainsi le bénéfice lié à l'adoption d'un état de préparation
sélective, c'est à dire sa valeur de rendement attendue (VRA), augmente avec la
probabilité et la pression temporelle des événements (Alain, Sarrazin et Lacombe,
1984 ; Lalonde, 1984).
Les valeurs Ps et Po représentent des connaissances propres à la situation qui
doivent être considérées en priorité pour décider de l'état de préparation à adopter.
La combinaison de ces deux valeurs (probabilité à chaque événement et estimation
des chances de répondre dans le temps imparti) permet de déterminer le rendement
attendu de chaque état de préparation à réagir. Mais cette valeur de rendement doit
être pondérée par la valeur d'utilité (VU) attribuée au choix de chaque état de
préparation en fonction de l'intérêt que le joueur accorde à chaque réponse
possible. Cette valeur d'utilité est définie à partir de l'enjeu, du score, de la fatigue...
Ainsi le joueur définirait une valeur d'utilité subjective attendue (VUSA) résultant de
la combinaison de la valeur de rendement attendue (VRA) de la valeur d'utilité (VU)
de chaque état de préparation.
Alain et Sarrazin (1985) pensent que le choix de l'état de préparation est basé sur le
principe de maximisation de la valeur d'utilité subjective attendue (VUSA) du choix
de chacun des états de préparation. Selon ce principe, le joueur évaluerait la valeur
attendue de chaque alternative de préparation et choisirait celle ayant la valeur la
plus élevée.
Dans la même dynamique de recherche, les travaux ont portés sur les processus
algotrithmiques pré-décisionnels qui conduisent à l'élaboration des valeurs Ps
(Probabilité subjective). Po (estimation des chances de répondre dans le temps
imparti) et Vu (utilité subjective de chaque type de préparation). Lacombe (1983) ;
Sarrazin, Alain et Lacombe (1986) ont montré que durant le déroulement de la
situation, le sujet passe successivement par une série d'états de connaissances
dont il se sert pour élaborer les valeurs qui seront ensuite combinées pour décider
de l'état de préparation. Ces états de connaissances s'appuient sur le recueil et le
traitement de sources d'informations issues du jeu (position de l'adversaire...), du
contexte (score, enjeu...) et du joueur lui-même (fatigue, motivation...) et permettent
aux joueurs de prévoir les coups de l'adversaire, d'estimer leur pression temporelle
et de déterminer l'utilité d'une préparation en faveur d'un événement particulier
(Lalonde 1984).

Le traitement s'opère par étapes et la démarche cognitive générale est envisagée
sous forme d'un algorithme au sein duquel chaque état de connaissance
intermédiaire particulier donne lieu à l'application d'opérateurs de traitement
permettant de construire un nouvel état de connaissance. La procédure
algorithmique se poursuit jusqu'à la détermination des valeurs du Ps, Po et Vu
propres à la situation qui seront ensuite combinées pour déterminer l'état de
préparation. Cette modélisation a fait l'objet d'une simulation informatique qui permet
d'en éprouver la cohérence interne (Lacombe, 1983 ; Sarrazin et Lacombe, 1983 ;
Sarrazin, Alain et Lacombe, 1986).

Cependant, ce modèle porte sur le processus conduisant au choix d'un état de
préparation à réagir, ce qui suppose que le sujet a choisi au préalable de privilégier
l'amorce de sa réponse. Plus récemment, les travaux de Proteau et Laurencelle,
(1983) ; Proteau, Leroux, Levesque et Girouard (1986) ; Proteau et Girouard (1987)
ont mis en évidence que cette stratégie n'est pas la seule possible. Le sujet peut
également jouer sur le compromis vitesse de l'exécution-précision du mouvement et
mettre en oeuvre des ajustements préparatoires à exécuter.

Si l'on admet que l'amorce et l'exécution de la réponse peuvent être contrôlées
séparément (ce qui est controversé, Marteniuk et Mackenzie, 1980 ; Phillips et
Glencross, 1985 ; Ella 1973 ; Kantowitz 1969), et faire l'objet d'ajustements
préparatoires distincts mis en oeuvre séparément ou de façon concomitante suivant
les caractéristiques de la tâche, il est intéressant de déterminer plus précisément les
paramètres de la tâche qui déterminent le sujet à privilégier l'amorce, l'exécution ou
les deux modalités de réponse. On peut ensuite analyser les conséquences de ce
choix sur les stratégies de préparation.
C'est l'objet des travaux que nous menons actuellement. Dans une étude récente
(Temprado, 1988b), nous discutons le rôle de la précision requise par la réponse
dans une tâche de lancer balistique, sur la stratégie de préparation et de réponse en
montrant que le dialogue entre les caractéristiques événementielles (probabilités et
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