Prise en soin des troubles de la fluence chez la personne porteuse de trisomie 21 - Dumas

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Prise en soin des troubles de la fluence chez la personne porteuse de trisomie 21 - Dumas
Centre de Formation Universitaire en Orthophonie de Marseille

  Prise en soin des troubles de la fluence
 chez la personne porteuse de trisomie 21
Création d’un matériel de rééducation pour les patients de 8 à 15 ans

  Mémoire de fin d’études en vue de l’obtention du Certificat de
                    Capacité d’Orthophoniste

                      Anne-Hyacinthe PEREZ
       Sous la direction de Michèle LIBER et Anne PAGES

                            14 juin 2022
Prise en soin des troubles de la fluence chez la personne porteuse de trisomie 21 - Dumas
Prise en soin des troubles de la fluence chez la personne porteuse de trisomie 21 - Dumas
Remerciements

    Je tiens tout d’abord à remercier Michèle Liber et Anne Pagès qui ont dirigé ce travail. Je
les remercie pour leur aide, pour leur regard critique constructif et pour le temps qu’elles m’ont
accordé.

   Je remercie Catherine Pech, qui a accepté de faire partie des membres du jury et ainsi de
participer à l’évaluation de ce mémoire.

    Merci à ma famille, particulièrement à mon mari et à mes parents pour leurs remarques
de qualité, mais surtout pour leur soutien au cours de ma formation et tout au long de la
réalisation de ce travail. Merci aussi à mes frères et soeurs qui sont au top.
Merci Barthélemy de m’avoir donné envie d’être orthophoniste depuis si longtemps et de m’avoir
aiguillé sur le choix du sujet de mémoire.

    Merci à Louise qui m’a aidé dans la conception et la confection du matériel. Toutes les belles
illustrations sont le fruit de son travail et de son talent.

   Merci à mes amies de promo, pour leur amitié tout au long de ces 5 années et pour les
années à venir.

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Prise en soin des troubles de la fluence chez la personne porteuse de trisomie 21 - Dumas
Abréviations

— T21 : Trisomie 21
— PPT21 : Personnes Porteuses de Trisomie 21
— ORL : Oto-Rhino-Laryngologie
— Q.I. : Quotient intellectuel
— APB : Association Parole et Bégaiement

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Prise en soin des troubles de la fluence chez la personne porteuse de trisomie 21 - Dumas
Table des matières

1 Introduction                                                                                                                      1

2 Partie théorique                                                                                                                  2
  2.1 La trisomie 21 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .    2
      2.1.1 Définition et classification . . . . . . . . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .    2
      2.1.2 Symptomatologie et signes cliniques . . . .        .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .    3
      2.1.3 Plan cognitif . . . . . . . . . . . . . . . . .    .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .    3
      2.1.4 Déficits sensoriels . . . . . . . . . . . . . .    .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .    6
      2.1.5 Déficits moteurs . . . . . . . . . . . . . . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .    7
      2.1.6 Le profil langagier . . . . . . . . . . . . . .    .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .    8
  2.2 La fluence et les disfluences . . . . . . . . . . . .    .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   10
      2.2.1 Généralités et définitions . . . . . . . . . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   10
      2.2.2 Le bégaiement . . . . . . . . . . . . . . . .      .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   11
      2.2.3 Le bredouillement . . . . . . . . . . . . . .      .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   15
      2.2.4 Diagnostic différentiel . . . . . . . . . . . .    .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   16
  2.3 Les troubles de la fluence dans la trisomie 21 . . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   16
      2.3.1 Troubles de la fluence et leurs prévalences        .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   16
      2.3.2 Caractéristiques spécifiques des disfluences       .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   17
      2.3.3 Diagnostic des disfluences . . . . . . . . .       .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   18
      2.3.4 Prise en soin actuelle . . . . . . . . . . . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   18

3 Partie clinique                                                                                                                  24
  3.1 Adapter un matériel à la trisomie 21 . . . . . . . . . . . . .                   . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   24
      3.1.1 Profil cognitif particulier du jeune porteur de trisomie                   21      .   .   .   .   .   .   .   .   .   24
      3.1.2 L’intérêt d’une médiation par le jeu . . . . . . . . . .                   . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   24
      3.1.3 Un matériel pour la tranche d’âge 8-15 ans . . . . . .                     . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   24
      3.1.4 Le matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                  . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   25
  3.2 Le déroulé du jeu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   31
      3.2.1 Avant de commencer la partie . . . . . . . . . . . . .                     . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   31
      3.2.2 Le déroulé de la partie . . . . . . . . . . . . . . . . .                  . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   31
      3.2.3 Progression des exercices, variantes et adaptations . .                    . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   32
      3.2.4 Le déroulé des séances . . . . . . . . . . . . . . . . .                   . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   33
  3.3 Domaines thérapeutiques travaillés à travers ce matériel . . .                   . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   33
      3.3.1 Travail de détente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                 . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   34
      3.3.2 Travail de respiration . . . . . . . . . . . . . . . . . .                 . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   36
      3.3.3 Jeux de souffle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                  . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   38
      3.3.4 Travail moteur : praxies et articulation . . . . . . . .                   . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   41
      3.3.5 Temps de discussion de fin de séance . . . . . . . . .                     . .     .   .   .   .   .   .   .   .   .   44

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Prise en soin des troubles de la fluence chez la personne porteuse de trisomie 21 - Dumas
4 Discussion                                                                                48
  4.1 Limites du matériel proposé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
  4.2 Perspectives d’amélioration du matériel de prise en soin . . . . . . . . . . . . . . 49

5 Conclusion                                                                               50

Annexes                                                                                   50
A La carte du monde                                                                        51

B Les volets du plateau de jeu                                                             54

C Cartes de l’explorateur, niveau 1 à 10                                                   56

D Échantillon des cartes praxies                                                           62

E Échantillon des cartes respiration                                                       71

F Échantillon des cartes souffle                                                           75

G Échantillon des cartes détente                                                           80
Prise en soin des troubles de la fluence chez la personne porteuse de trisomie 21 - Dumas
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Chapitre 1

Introduction

    Le désir de communiquer est flagrant chez les jeunes porteurs de trisomie 21 qui sont de
nature très sociable. La plupart aiment parler et se voient comme de grands communicateurs.
Ils sont pourtant adressés aux orthophonistes en raison d’un discours dysfonctionnel avec un
trouble de la fluence qui est souvent atypique. Les orthophonistes sont démunis et sans maté-
riel devant cette demande. Une rééducation leur serait réellement bénéfique mais leurs profils
linguistiques, cognitifs et affectifs semblent s’opposer à certaines des procédures couramment
utilisées dans les thérapies dites “traditionnelles”, pourtant bien connues par les orthophonistes.

   L’objectif de cette étude est de proposer un matériel de rééducation soigneusement adapté
à cette population, prenant en compte leur déficience intellectuelle, leurs capacités motrices
amoindries et leurs centres d’interêts. Le but est de rééduquer les troubles de la fluence dès leur
apparition (vers 8 ans) et de prévenir une chronicisation, en s’adaptant au mieux au profil et
aux troubles du patient.

    Tout d’abord, nous exposons les données théoriques issues de la littérature nécessaires pour
traiter ce sujet. Nous décrivons en détail les spécificités du syndrome. Nous détaillons ensuite
les deux principaux troubles de la fluence : bégaiement et bredouillement. Nous dressons enfin
un état de l’art des études réalisées sur les troubles de la fluence chez les personnes porteuses
de trisomie 21. Nous y soulignons les caractéristiques des disfluences observées, le diagnostic
posé et la prise en soin de cette population.
    Nous présentons ensuite le travail clinique effectué, sous la forme d’un matériel de rééduca-
tion. Il s’agit d’un plateau de jeu qui propose de faire un tour du monde en travaillant plusieurs
axes : la détente, la respiration, le souffle, les praxies bucco-linguo-faciales ainsi que la fluence
en discours semi-dirigé ou spontané. Ces axes sont déterminés par les connaissances cliniques
dont nous disposons, ainsi que par l’état de l’art effectué dans la première partie de cette étude.
Le matériel a été conçu de façon modulable pour le thérapeute afin de s’adapter aux besoins
du patient ainsi qu’à la spécificité de ses troubles.

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Prise en soin des troubles de la fluence chez la personne porteuse de trisomie 21 - Dumas
Chapitre 2

Partie théorique

2.1       La trisomie 21
2.1.1     Définition et classification
    Les premières descriptions de la trisomie 21 remontent au xivesiècle [Rondal, 2013]. Elles
ont été faites pour la première fois par Esquirol en 1833, et décrites de manière plus complète
par Seguin en 1946. En Angleterre, Langdon Down (1866) désigne cette pathologie par le terme
"mongolisme" en référence à la ressemblance physique de ces personnes avec les peuples de
Mongolie. En 1959, la cytogénétique (étude des phénomènes génétiques au niveau de la cellule)
permet au Professeur Jérôme Lejeune et son équipe d’identifier la cause de cette affection et de
la baptiser "trisomie 21". Sous l’impulsion du professeur Jérôme Lejeune, l’expression "trisomie
21" remplace définitivement le terme de syndrome de Down (et celui de mongolisme qui lui est
lié).

2.1.1.1    Généralités
    La trisomie 21 est une maladie génétique qui affecte l’ensemble de l’organisme et qui est
causée par une anomalie du nombre de chromosomes. Avec une incidence de 1 naissance sur
600-700, la T21 est l’anomalie chromosomique la plus fréquente [Lambert and Rondal, 1988]
L’apparition de la trisomie 21 a tendance à se produire plus fréquemment lorsque les mères
ont 35 ans ou plus [Eggers and Van Eerdenbrugh, 2018]. Nous observons un nombre accru
de conceptions d’enfants T21 au cours des vingt dernières années, et ce notamment grâce
aux avancées médicales qui ont permis, entre autres, un allongement de l’espérance de vie
des femmes [Guidetti and Tourrette, 2014]. Mais cette augmentation est contrebalancée par
l’utilisation plus systématique des dépistages pré-nataux et par les interruptions de grossesse ;
il y a moins d’enfants T21 à naître de nos jours [Roizen and Patterson, 2003]. Cependant, grâce
aux progrès de la prise en soin médicale, 80% des personnes porteuses de T21 vivent de nos
jours plus de 50 ans, contre environ 10 ans au début du xxesiècle.

    Il existe trois mécanismes cytogénétiques différents, à l’origine de trois classifications de
trisomies :
  — La trisomie libre et homogène - 95% : il y a 47 chromosomes, le chromosome 21 apparaît
    de manière excédentaire dans chaque cellule de l’organisme ;
  — La trisomie par translocation - 3% : un fragment de chromosome 21 surnuméraire est
    accolé à un autre chromosome (13, 14, 15 ou 22) ;
  — La trisomie mosaïque - 2% : des cellules à 47 chromosomes dont 3 chromosomes 21 co-
    existent avec des cellules à 46 chromosomes. La proportion des deux types de cellules

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Prise en soin des troubles de la fluence chez la personne porteuse de trisomie 21 - Dumas
dépend de la date de l’accident dans l’organisme ; aussi, le développement de ces enfants
     dépend de la proportion de cellules trisomiques 21 dans le cerveau.
    Nous travaillerons plus spécifiquement sur la trisomie libre et homogène, bien que ces diffé-
rences de formes génétiques n’entraînent pas véritablement de différences cliniques [Cuilleret,
2011].
    Si chaque individu est porteur d’une pathologie chromosomique, l’expression de la sympto-
matologie à laquelle chacun d’eux est confrontée varie d’une personne à l’autre. Chaque individu
atteint est, comme chacun de nous, un être unique et différent.

2.1.2     Symptomatologie et signes cliniques
    Les personnes porteuses de trisomie 21 ont une copie complète ou partielle du chromosome
21, ce qui leur donne une apparence typique [Shprintzen, 1997].
  — Le phénotype de la trisomie 21 se caractérise par des traits dysmorphiques caractéristiques
    avec des anomalies des organes phonateurs tels qu’un larynx placé trop haut et à muqueuse
    épaisse [Estienne et al., 2015], un visage rond, un profil plat, une nuque plate et épaisse, des
    fentes palpébrales obliques en haut et en dehors, un épicanthus (plis cutanés de la paupière
    supérieure couvrant le coin intérieur de l’œil), un iris tacheté de points légèrement colorés
    (taches de Brushfield), un petit nez, une petite bouche ainsi qu’une protrusion d’une
    langue hypotonique.
  — Ils ont des doigts courts et larges, une main carrée à la peau un peu molle, un pli palmaire
    transverse unique bilatéral, une brachymésophalangie des cinquième doigts, un écart aug-
    menté entre le 1er et le 2ème orteil.
  — Une hypotonie axiale à la naissance, une laxité ligamentaire, une petite taille (-2DS), un
    sur-poids fréquent après l’âge de 5 ans et un vieillissement prématuré.
  — Le syndrome est également associé à des caractéristiques comportementales, et à la pré-
    sence de troubles de la parole et du langage.
  — Des complications sont fréquemment retrouvées [Céleste and Lauras, 1997] comme : des
    malformations viscérales (digestives, cardiaques, oculaires et de l’appareil urinaire), une
    sensibilité accrue aux infections notamment ORL et pulmonaires.

2.1.3     Plan cognitif
2.1.3.1   Déficience intellectuelle
   Le degré de déficience intellectuelle est établi sur trois niveaux :
  — La déficience mentale légère (Q.I. compris entre 69 et 50) : les personnes concernées
    peuvent acquérir des aptitudes pratiques et la lecture ainsi que des notions d’arithmétique
    grâce à une éducation spécialisée. Beaucoup d’adultes seront capables de travailler, de
    maintenir de bonnes relations sociales, et de s’intégrer à la société.
  — La déficience mentale modérée (Q.I. compris entre 49 et 30) : elle permet généralement
    l’accès au langage. Les bases des premiers apprentissages scolaires de lecture et de calcul
    peuvent être acquises, mais de façon limitée. L’autonomie de ces personnes est restreinte
    et leurs besoins d’accompagnement sont réels.
  — La déficience mentale grave ou profonde (Q.I. inférieur à 30) : elle est souvent associée
    à d’autres handicaps, visuels, auditifs ou moteurs et à des troubles somatiques comme
    l’épilepsie. Elle ne permet pas, ou de façon très limitée, l’accès au langage. Les troubles du
    comportement comme l’automutilation sont fréquents et la dépendance massive. La prise

                                                 3
en soin est généralement réalisée dans des établissements spécialisés pour polyhandicapés
      tout au long de la vie.

    La déficience intellectuelle chez les personnes porteuses de trisomie 21 est généralement
légère à modérée donc comprise entre 30 et 69. 80% des personnes porteuses de trisomie 21
présenteraient une déficience modérée.
Jusqu’à 15 ans d’âge chronologique, l’âge mental de personnes avec trisomie 21 augmente rela-
tivement rapidement, bien que plus lentement que celui des enfants en développement normo-
typique. La progression se fait plus lentement mais peut être observée jusqu’à environ 30-35
ans pour se terminer ensuite par un plateau. La progression de l’âge mental varie en fonction
du Q.I. où la progression sera rapide de 1 à 15 ans et toujours en augmentation jusqu’à 30-35
ans.
    Des études intersyndromiques ont permis d’affiner ces données et de montrer que la T21
(Trisomie 21) ne se caractérise pas par un retard homogène, mais par une atteinte sélective de
certains domaines de compétence [Tsao and Celeste, 2006].

2.1.3.2   Attention et mémoire
   Sur le plan cognitif nous relevons aussi des difficultés attentionnelles et mémorielles [Rondal,
2013] qui sont variées et propres à chaque individu.

    Comme la plupart des enfants avec une déficience mentale, les enfants porteurs de T21
présentent des difficultés pour mobiliser longtemps leur attention [Lacombe et al., 2008]. Mais
cela concerne plus l’attention soutenue auditive que l’attention soutenue visuelle [Costanzo
et al., 2013]. En revanche, les capacités d’attention sélective de l’enfant porteur de T21 sont à
l’inverse de leurs performances d’attention soutenue : l’attention sélective auditive est efficiente
alors que l’attention sélective visuelle est perturbée, notamment au niveau du temps [Costanzo
et al., 2013].

    Les premières études sur le plan mémoriel datent des années soixante. Elles mettent en
évidence un déficit de la mémoire auditive à court terme alors que les performances en mémoire
visuelle à court terme semblent relativement préservées [Comblain, 2021]. Cela pourrait s’ex-
pliquer par le fait que l’effort requis pour s’orienter et traiter les informations acoustiques [Sil-
verman, 2007] et le fait que les tâches linguistiques et non linguistiques semblent se disputer
l’attention [Hula and McNeil, 2008], pourraient conduire à une préférence pour les informa-
tions visuelles par rapport aux informations auditives. De plus, les problèmes rencontrés par les
PPT21 (Personnes Porteuses de Trisomie 21) dans les tâches de mémoire à court terme verbale
pourraient être dus à un déficit au niveau du processus de récapitulation subvocale mais aussi a
des problèmes d’audition passés ou présents. Seule la mémoire verbale à court terme est mieux
préservée chez les personnes avec trisomie 21 par rapport aux personnes normo-typiques.
    L’empan de mémoire phonologique à court terme des PPT21 est réduit par rapport à ce qu’il
devrait être sur la base de l’âge chronologique et de l’âge mental (puisqu’il ne dépasse pas, et
ce même à l’âge adulte, celui d’un enfant normo-typique de 4 ans). Son augmentation n’est pas
liée à l’augmentation de l’âge chronologique mais seulement à celle de l’âge mental [Comblain,
2021].

2.1.3.3   Boucle audio-phonatoire
    La boucle audio-phonatoire est une compétence cognitive qui permet, par un rétro-contrôle
ou feed-back auditif d’ajuster nos productions vocales en temps réel [Plaza, 2014]. Cette com-
pétence se développe au cours du processus de maturation cérébrale dès la période foetale pour
s’affiner ensuite tout au long de la vie [Granier-Deferre and Busnel, 2011]. Elle sera efficiente

                                                 4
à partir de 4 ans car avant cet âge l’enfant est davantage sensible aux productions des autres
qu’aux siennes. La boucle audio-phonatoire est fondamentale pour ajuster un rétro-contrôle
inconscient sur la voix, l’intensité, le débit, la prosodie, et sur toutes les propriétés de la pro-
duction vocale dans toutes les situations d’échange.

   Cette boucle de régulation est composée de 4 étapes [Ernst, 2016] :
  — La perception du signal acoustique par la cochlée (organe de l’audition de l’oreille interne) ;
  — La transmission de ce signal au cerveau ;
  — La comparaison entre ce qui a été produit et ce qui était attendu ;
  — La mise en place des organes phonateurs et des muscles de l’articulation afin d’apporter
    une éventuelle correction en fonction de la qualité tonale et vocale que le sujet souhaite
    produire.

    La boucle audio-phonatoire est régie par deux processus : le rétro-contrôle appelé feedback
auditif, et le système de commande prédictive, aussi appelé contrôle feedforward [Selleck and
Sataloff, 2014]. Le feedback auditif intervient à partir des informations sensorielles reçues par
le cerveau et permet une action en direct sur la parole, tandis que le feedforward s’appuie sur
des commandes apprises précédemment et permet d’éviter de faire des erreurs en amont, plutôt
que de les corriger à posteriori.
    Lorsque la boucle audio-phonatoire est altérée, le sujet ne perçoit pas, ou mal, ce qu’il
produit. N’ayant pas conscience des caractéristiques de sa production vocale, il ne peut pas
effectuer d’ajustements de son émission pour s’adapter aux conditions de parole ; c’est le cas
dans les surdités principalement et pour la trisomie 21. Dans le cas de la trisomie 21, nous obser-
vons des difficultés audio-perceptives. La discrimination des caractéristiques phonétiques de la
langue est coûteuse, ce qui entraîne des problèmes dans la construction du lexique phonologique
et de la syntaxe.

2.1.3.4   Les fonctions exécutives
   Les fonctions exécutives désignent un certain nombre de processus cognitifs de niveau su-
périeur, qui sont relativement indépendants des uns des autres et permettent d’adopter un
comportement, ciblé, efficace et adapté à l’environnement [Lecompte et al., 2006]. Ces proces-
sus sont utilisés dans les actions quotidiennes même les plus simples et des déficits au niveau
occasionnent un comportement inadapté [Costanzo et al., 2013].
   Les fonctions exécutives chez les PPT21 ont été étudiées par [Rowe et al., 2006] dans un
premier temps puis plus récemment par [Costanzo et al., 2013] et elles montrent que les fonctions
exécutives sont majoritairement déficitaires dans cette population .

   Nous allons présenter ici de manière succincte les plus importantes.
  — Le contrôle de l’inhibition est l’habileté à contrôler ses pensées et ses impulsions et à
    s’arrêter pour réfléchir avant de poser des actions.
    Chez les PPT21, les performances de contrôle de l’inhibition verbale sont plus faibles que
    pour les adultes contrôles et de nombreuses inférences sont présentes. Les performances
    d’inhibition visuelle sont identiques à celles du sujet contrôle [Costanzo et al., 2013].
  — La flexibilité attentionnelle, cognitive ou mentale, est la capacité de modifier un plan face
    aux changements de l’environnement ou bien suite à une erreur dans l’élaboration, et
    d’alterner dynamiquement entre différentes tâches. Cette capacité est primordiale dans
    des situations nécessitant la résolution de problèmes dans le but de passer d’un état initial
    à un état final prédéterminé dès le départ.
    Chez les patients porteurs de T21, les performances de flexibilité sont plus faibles que pour

                                                 5
les adultes contrôles [Costanzo et al., 2013] dues à une lenteur et des erreurs répétées sur
      la durée.
  — La planification est la capacité à anticiper des événements futurs, d’établir des buts et de
    développer à l’avance les étapes appropriées pour mener à son terme une tâche ou une
    activité.
    Chez les patients porteurs de T21, la planification est une fonction efficiente, mais la
    difficulté porte sur le temps de planification qui est plus long que pour un enfant normo-
    typique [Costanzo et al., 2013].

    Le concept de mémoire de travail, qui est l’habileté à retenir l’information en mémoire et à
utiliser cette information, est étroitement lié à la notion de fonctions exécutives. Des limitations
au niveau de la mémoire de travail peuvent entraîner des problèmes de fonctionnement exécutifs.
    Les faiblesses spécifiques des fonctions exécutives peuvent soutenir l’hypothèse de spécificité
étiologique expliquant le développement cognitif distinctif propre à ce syndrome.

2.1.4     Déficits sensoriels
   Les déficits sensoriels sont constants chez l’enfant trisomique. Ils touchent tous les organes
des sens dans la perception que l’enfant peut avoir des messages reçus. Cela entraîne un dys-
fonctionnement de la mise en place du système cognitif chez le bébé porteur de T21.

2.1.4.1   Déficits auditifs
    L’intégrité de l’audition de l’enfant T21 est très souvent déficiente. Ces derniers présentent
couramment une hypoacousie de sévérité variable (40 à 85%) dont 10 à 15% des difficultés
sévères ; 64% ont une perte bilatérale et un enfant trisomique sur deux souffre d’otites séro-
muqueuses qui sont souvent à l’origine de pertes auditives [Cuilleret, 2011]. Ils peuvent présenter
des surdités de transmission par anomalies anatomiques de l’oreille moyenne et des surdités de
perception associées ou non à des anomalies anatomiques de l’oreille interne [Duriez, 2008].
    Les causes de ces déficiences auditives sont multiples. Elles peuvent être dues à des malfor-
mations du système auditif et à des problèmes de transmission nerveuse à cause d’un retard de
myélinisation du nerf acoustique [Estienne et al., 2015]. Les otites séro-muqueuses sont favori-
sées par l’étroitesse de l’oreille moyenne et de la trompe d’Eustache qui est aussi hypotonique.

    L’audition doit être vérifiée dès la naissance [Duriez, 2008] et la baisse auditive étant un
risque tout au long de la vie, l’audition doit impérativement être contrôlée régulièrement par
une audiométrie comportementale.

    L’enfant trisomique, ne perçoit pas les sons comme nous. Il a un rétrécissement du champ
auditif, surtout dans les aigus, et des pertes auditives dans le champ des fréquences acoustiques
de la parole de 500 à 4000 Hz principalement.

    Une étude de [Laws and Hall, 2014] soutient l’affirmation selon laquelle ces pertes ont un
impact sur l’apprentissage de la parole et du langage mais aussi dans les résultats scolaires et
la vie sociale.

2.1.4.2   Déficits visuels
    Les problèmes ophtalmologiques touchent environ 75% des PPT21 avant 65 ans. Mais dès le
plus jeune âge il y a plus de troubles que dans la population générale, justifiant une surveillance
systématique. Les problèmes peuvent toucher chaque partie de l’oeil, comme l’iris, la rétine,
le cristallin, la cornée... Nous retrouvons une incidence accrue des cataractes congénitales et

                                                 6
acquises dans la population des PPT21, avec une fréquence allant jusqu’à 15% des individus
âgés de moins de 20 ans [de Lyon et al., 2020].

    L’hypotonie des muscles des yeux engendre un retard dans la coordination oculomotrice
créant ainsi une lenteur d’exploration qui gêne l’exploration de l’environnement et de l’explo-
ration spatio-temporelle. A cela s’ajoutent des difficultés dans la motricité et la rapidité du
"balayage" droite/gauche. Une autre spécificité est que l’enfant trisomique focalise son regard
sur les détails et ne prend pas en compte l’intégralité d’une scène.

2.1.5     Déficits moteurs
2.1.5.1   Motricité globale
   La motricité globale concerne la motricité générale des membres sans s’attacher à la dextérité
(motricité fine 2.1.5.2) et correspond donc à l’ensemble des gestes moteurs qui assurent l’aisance
globale du corps. Elle est déterminée génétiquement, ce qui explique pourquoi chaque être
humain passe par les mêmes stades de développement mais avec néanmoins quelques différences
individuelles. Celles-ci sont dictées par la maturation du cerveau et du système neuro-musculaire
qui est propre à chaque individu, les aptitudes personnelles, les expériences sensorielles vécues
par l’enfant et l’attitude qu’à l’adulte face à la motricité de l’enfant.

   La motricité globale concerne les coordinations dynamiques générales comme la marche, la
course et les sauts ainsi que l’équilibre statique comme rester debout, sur un pied, les yeux
ouverts ou fermés. Elle concerne les membres supérieurs comme les membres inférieurs et la
coordination de l’un avec l’autre (toucher son pied avec ses mains).

   Pour acquérir une motricité globale efficiente, l’enfant va passer par trois phases.
  — La phase statique de 0 à 6 mois où il sera sur le sol sans chercher à se déplacer et
    commencera à explorer ce qu’il y a autour de lui. Dans cette phase, les mouvements sont
    désordonnés et aléatoires.
  — La phase dynamique de 5 à 10 mois se caractérise par le fait que l’enfant attrape et
    manipule les jouets tout en essayant les premiers déplacements.
  — La phase de la verticalité commence à partir de 8 mois, le bébé élargit son champ visuel
    et pourra peu à peu marcher, courir et sauter.
    Les études sur la motricité globale dans la trisomie 21 sont moindres. Néanmoins nous
savons que l’hypotonie est une cause majeure de retard dans les acquisitions motrices. A titre
d’exemple, la tenue de la tête se fait à 5 mois chez l’enfant porteur de T21 contre 3 mois
chez l’enfant normo-typique, le contrôle axial de la station assise est obtenu vers 13 mois chez
l’enfant porteur de T21 contre 6-8 mois chez l’enfant normo-typique, les retards continuent de
s’accumuler et c’est ainsi que les sauts seront obtenus vers 5 ans chez l’enfant porteur de T21,
contre 2-3 ans chez l’enfant normo-typique.

   En plus de l’hypotonie comme problème majeur, nous retrouvons un trouble de l’équilibre
(polygone de sustentation élargi) qui perdure dans le temps et un trouble de la posture (souvent
associé à de mauvaises courbures du dos).

2.1.5.2   Motricité fine
   La motricité praxique fine de la main
La motricité fine correspond à l’exécution de gestes précis et coordonnés comme écrire, dessi-
ner, utiliser des ciseaux, faire ses lacets, boutonner un vêtement, etc. Son acquisition mobilise

                                                7
principalement les mains et les doigts, le sens du toucher et la coordination avec les yeux, ainsi
qu’un contrôle musculaire des parties du corps impliquées.

    Elle s’acquiert peu à peu, dès la naissance avec un essor très important jusqu’à l’âge de 6 ans
chez l’enfant normo-typique puis continue de se développer au fur et à mesure des apprentissages
dans la vie. Au cours des premiers mois l’enfant développe la préhension des objets avec sa
main. Avant 4 mois cette préhension est réflexe et devient ensuite volontaire. Avant 2 ans la
préhension est symétrique puis lorsque la latéralisation se met en place (entre 2 et 4 ans) elle
devient asymétrique. A partir de 3 ans, les gestes deviennent de plus en plus précis et l’enfant
peut exécuter des mouvements de plus en plus fins comme tenir un crayon et peu à peu tracer
des lettres et écrire de manière précise. La motricité fine se développe ensuite tout au long de
la vie en apprenant à maîtriser d’autres objets et outils : couture, écriture, bricolage, peinture,
etc.

    De nombreuses études et recherches ont déjà été réalisées concernant la motricité manuelle
des personnes porteuses de trisomie 21. Tous les enfants trisomiques rencontrent des troubles
de la motricité fine, ceux-ci se manifestent par des maladresses et des difficultés dans la vie
quotidienne. Il y a des répercussions dans les apprentissages scolaires qui sont plus lents et
laborieux. Les causes de ces troubles de la motricité fine peuvent être dues à la morphologie
particulière des mains du jeune trisomie, à l’hypotonie musculaire de ses membres, mais aussi
à la mauvaise coordination du contrôle visuo-moteur.

    La motricité praxique fine de la sphère buccale
La motricité de la sphère buccale est primordiale pour le bon développement du langage, de
l’articulation, de la mastication, de la déglutition et de l’expression du visage. Le travail de
la motricité peut se faire à l’aide de praxies bucco-linguo-faciales qui sont des mouvements
coordonnés dont le but est de travailler les différentes musculatures et tissus mous. Cela implique
le travail de différents organes, tels que la langue, les lèvres, les joues, le voile du palais et la
mâchoire.

    Les enfants porteurs de trisomie 21 présentent un retard global de l’acquisition des praxies
bucco-faciales par rapport aux enfants tout-venant du fait de leurs caractéristiques morpholo-
giques buccales particulières [Cuilleret, 1981]. Ce retard va donc entraîner des difficultés souvent
significatives pour l’alimentation et l’acquisition du langage et sur le long terme, nous retrou-
verons une articulation floue et imprécise.

2.1.6     Le profil langagier
2.1.6.1   Retard de langage
    Le développement du langage chez l’enfant normal commence in utero. Très tôt le foetus peut
traiter les sons de la parole, il est en mesure de reconnaître la voix de sa mère biologique et dès la
naissance, reconnaître sa langue maternelle d’un autre idiome. Cela montre des prédispositions
langagières très précoces. En revanche nous ne savons presque rien des mêmes habiletés ou de
leurs absences, ainsi que de l’état fonctionnel des structures dévouées à ces habiletés chez le
très jeune enfant trisomique [Rondal, 2009].
    Cette lacune ne nous permet pas de savoir quand débute la phase du développement prélin-
guistique chez ces patients. Mais nous savons d’ores et déjà qu’ils réagissent aux sons avec une
plus grande latence que les bébés normo-typiques auxquels vient s’ajouter un déficit d’acuité
auditive [Rondal, 2009].

                                                  8
Développement pré-linguistique lors de la première année
On note des difficultés dans les niveaux précurseurs de la communication notamment dans les
habiletés de communication non-verbale. Ces habiletés telles que le sourire social, le pointage,
l’imitation, le tour de rôle, le babillage, l’attention conjointe et le contact oculaire émergent plus
difficilement en raison du phénotype particulier et du fonctionnement cognitif du nourrisson
porteur de T21.
    Le babillage se retrouve chez l’enfant porteur de T21 mais avec des retards variables. Il passe
habituellement par les différents stades de babillage : le babillage indiscriminé, puis vocalique,
syllabique, redupliqué et varié. Deux autres aspects du développement prélangagier sont égale-
ment retardés chez les enfants porteur de T21. Il s’agit des "prémots" et du jeu symbolique. Le
prémot consiste par exemple à dire “vroum” au passage d’une voiture. Cette production marque
que l’enfant a compris qu’une séquence organisée de sons peut être utilisée pour signifier, c’est
aussi le début du développement lexical [Rondal, 2009].

    Développement linguistique
Le niveau de compréhension est bien meilleur que celui de l’expression [Seno et al., 2014]. La
production du langage dans le cas de la trisomie 21 ne suit pas le rythme du développement
cognitif [Miller, 1999].
    Le développement du vocabulaire est notablement réduit et retardé [Rondal and Edwards,
1997] à cause de difficultés à percevoir et produire les phonèmes et leurs séquences dans la
parole, lié à un déficit de mémoire à court terme. Le stock lexical reste pauvre jusqu’à 4 ans.
L’enfant va ensuite progresser lentement en restant longtemps dans un langage “télégraphique”,
composé de verbes, de substantifs et d’adjectifs [Rondal, 2013].
    La syntaxe suit la même évolution avec un retard de plusieurs mois, car la juxtaposition
de deux mots ne peut émerger que lorsque le stock lexical est assez conséquent. Le langage va
peu à peu s’étoffer mais l’organisation lexicale restera réduite. Les énoncés resteront simples
à l’âge adulte au niveau de la structure grammaticale. Le temps de référence utilisé est le
présent [Rondal, 2013]. Il y a des difficultés spécifiques en grammaire [Buckley and Le Prèvost,
2002].

2.1.6.2   La voix, la parole, l’articulation et la fluence
   “La voix est le support acoustique de la parole, elle s’exprime dans l’instant. La parole est le
support acoustique du langage oral, elle s’exprime dans le rythme et la durée. Le langage oral
exprime sous forme de sons, le champ des signifiants émis par la pensée” [Monfrais-Pfauwadel,
2014].

    La voix
L’intensité vocale chez l’individu porteur de T21 est altérée, sa prosodie est pauvre, le timbre
est monotone. Selon [Cuilleret, 2011], les troubles de la voix ne sont pas constants, ils sont
souvent caractérisés par la raucité et le nasonnement.

    L’articulation
Selon [Bigot-de Comite, 1999], les troubles articulatoires sont constants et impliquent les fac-
teurs suivants : l’hypotonie des organes phonatoires, les anomalies anatomiques conséquentes à
l’hypotonie linguale, un défaut de coordination motrice ainsi qu’un trouble du schéma corporel.
Ces particularités entraînent des difficultés à produire et reproduire des mouvements articula-
toires précis et à les enchaîner rapidement dans la chaîne parlée. Les constrictives sourdes [f, s,
ch] et sonores [v, z, j] sont les phonèmes les plus tardifs à arriver. Selon [Cuilleret, 2011], les
causes sont imputables à l’immaturité motrice neurophysiologique et le “trouble des écoutes”.
Les erreurs d’articulation sont de même type que celles observées dans la parole des enfants

                                                  9
normo-typiques (modification des traits articulatoires). Mais chez l’enfant porteur de T21, les
troubles vont s’améliorer avec le temps sans pour autant disparaître [Rondal and Buckley, 2003].

    La parole
Les difficultés de parole chez les PPT21 sont, selon [Bray, 2015], la résultante d’une interaction
complexe entre déviance phonologique et retard de développement de la motricité de la parole.
    Les troubles de la parole sont quasi-constants chez l’enfant porteur de T21.
    Des études portant sur l’articulation et la phonologie dans cette population ont montré
des combinaisons de schémas retardés (c’est-à-dire de développements) et désordonnés (c’est-
à-dire de non-développements) [Kent and Vorperian, 2013]. En combinaison avec une apraxie
de la parole et une dysarthrie de la parole [Martin et al., 2009], ces modèles de parole peuvent
entraîner une diminution de l’intelligibilité de la parole [Cuilleret, 2011].

    La fluence
De très nombreux auteurs révèlent que la parole n’est souvent pas fluente dans cette popu-
lation. Citons par exemple [Bray, 2003] ; [Silverman, 2007] ; [Van Borsel and A.Tetnowski,
2007] ; [Preus, 1990]...

2.2     La fluence et les disfluences
2.2.1     Généralités et définitions
    Plusieurs chercheurs ont entrepris de définir ce qu’était la fluence dans le domaine de la
parole à travers le temps. L’ASHA (American Speech–Language–Hearing Association en anglais)
et l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) nous donnent une des définitions fruit de la
synthèse des travaux faits précédemment. La fluence est définie par l’ASHA en 1999 comme un
“aspect de la production de la parole qui réfère à la continuité, la douceur, le débit et/ou l’effort
avec lesquels sont produites les unités phonologiques, lexicales, morphologiques et/ou syntaxiques
du langage”. Ainsi, pour être considéré comme fluent, l’acte de parole doit être produit sans
heurt, sans effort particulier et dans un débit relativement rapide. De plus, le locuteur ne
doit présenter aucun problème dans l’articulation des sons propres à la langue usitée (fluence
phonologique), dans la manipulation des structures syntaxiques (fluence syntaxique), ainsi que
dans l’accès au lexique (fluence lexicale) [Asha, 1999] [Starkweather and Givens-Ackerman,
1997]. La définition donnée par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) en 2001 parle d’un
"débit élocutoire égal et continu". Et enfin, la fluence est une "dimension prosodique qui fait
que la parole s’écoule sans effort entendu." [Monfrais-Pfauwadel, 2014].

    L’acquisition de ces fluences (sémantique, syntaxique, phonologique,. . .) et donc de la fluence
de la parole, commence dès la petite enfance et s’étale sur plusieurs années avant de se stabiliser
entre l’adolescence et l’âge adulte [Monfrais-Pfauwadel, 2014]. Cependant même à l’âge adulte,
il n’est pas rare que la parole ne soit pas totalement fluide. Nous retrouvons des accidents
de parole que nous appelons disfluences. Ces dernières n’ont rien d’anormal et elles montrent
que les capacités du locuteur à produire un message linguistique donné sont momentanément
inférieures aux exigences requises en vue de la réalisation du message en question [Starkweather
and Givens-Ackerman, 1997].
    Il existe donc les disfluences dites normales qui témoignent d’une improvisation du locuteur
au moment où il parle, ces improvisations sont nombreuses et peuvent se présenter sous forme de
répétitions, ratures, recherches de mots, hésitations, "euh", inachèvements, etc. Cela se produit
surtout lorsque le locuteur est en situation de stress ou est fatigué. Voici un tableau qui reprend
les différents types de disfluences dites normales :

                                                 10
Types de dysfluences                     Explications                                Exemples
    Répétitions de mots              Répétition d’un mot entier              Moi-moi aussi je suis heureux
 Répétitions de syntagmes    Répétition de deux mots consécutifs ou plus   Moi aussi-moi aussi je suis heureux
                                         Son ou mot ajouté,
        Interjections                                                      Ben, euh, moi aussi je suis heureux
                                    souvent en début de phrases
          Révisions            Modification à l’intérieur d’une phrase      Moi aussi je.... suis très content

                          Table 2.1 – Tableau des disfluences dites normales

    Il arrive toutefois que ces disfluences sont telles qu’elles entravent la bonne intelligibilité du
discours. On parle alors de disfluences pathologiques qui se caractérisent par des répétitions,
des prolongations, des comportements d’évitement et de lutte, des arrêts d’un son, des blocages
et autres. Nous retrouvons ces disfluences dans le cas de pathologies telles que le bégaiement.

2.2.2      Le bégaiement
2.2.2.1     Définition
    Selon la classification du DSM-V, (2013) le bégaiement est un trouble de la communication
appelé "trouble développemental de la fluence de la parole". C’est un trouble apparaissant
durant l’enfance qui est une perturbation de la fluidité normale et du rythme de la parole ne
correspondant pas à l’âge du sujet.
    Les accidents qu’il entraîne dans le déroulement de la parole sont très variables d’un sujet à
l’autre : répétitions de mots, de syllabes, de mots monosyllabiques, des prolongements de sons,
blocages audibles ou silencieux, interruptions de mots, circonlocutions ou révisions.
    Il peut être accompagné de mouvements moteurs comme des clignements des yeux, des tics,
des serrements des poings, des spasmes respiratoires, des tensions physiques avec syncinésies
de la face et du cou. [Brin, 2014] [American Psychiatric Association, 2013]
    Le diagnostic du bégaiement comprend des comportements d’évitement, de tension et de
niveau de conscience du trouble.

2.2.2.2     Analogie avec l’iceberg de Joseph Sheehan
    De nombreuses métaphores existent pour tenter d’expliciter ce qu’est le bégaiement. Pour-
tant devant ce trouble complexe, c’est Joseph Sheehan qui trouve en 1970 une métaphore qui
plait pour comprendre ce qu’est le bégaiement. Il écrivit cette phrase dans un livre qu’il rédi-
gea : "Le bégaiement se compare à un iceberg : la plus petite partie est au-dessus de la ligne
d’eau alors que la partie la plus massive se trouve sous l’eau."

                                                     11
Figure 2.1 – Iceberg du bégaiement selon Marie-Claude Montfrais-Pfauwdel
                                 [Monfrais-Pfauwadel, 2014]

     Avant cette analogie, les thérapies qui existaient, ne traitaient que la partie émergée de
l’iceberg, c’est à dire les symptômes visibles. Il s’agissait alors de "contrôler" le bégaiement
mais cela se faisait en ignorant presque totalement l’imposante masse de bagages émotionnels
se cachant sous l’eau dans laquelle nous retrouvons des sentiments tels que la peur, la honte, la
culpabilité, l’anxiété, le désespoir, l’isolement ou encore le refus. Malheureusement, ces thérapies
ne donnaient que rarement des résultats sur le long terme et après une rééducation intensive,
le bégaiement finissait souvent par revenir après un laps de temps.
     Après cette analogie, des thérapies ont pu évoluer en prenant en compte la grande partie
immergée, donnant des clés de rééducations plus adaptées aux orthophonistes.
     La partie émergée d’un iceberg est de 10% et correspond au signes visibles du bégaiement, la
partie immergée est de 90% et correspond aux émotions, ou "bagage émotionnel" (pourcentage
pour un bégaiement adulte bien installé). Si nous continuons de filer l’analogie de l’iceberg nous
pouvons imaginer "faire fondre" toute la partie hors de l’eau, mais alors l’iceberg remonterait
hors de la surface et le problème ne serait pas réglé. De plus cette analogie ne serait pas tout
à fait juste car pour le bégaiement si nous essayons de "faire fondre" la partie émergée, c’est
alors que la partie immergée prend encore plus d’ampleur. Pour 10% de la partie supérieure
enlevée, on pourrait ajouter 15% en bas.

2.2.2.3    Epidémiologie du bégaiement
   L’incidence du bégaiement sur toute la durée de vie dans la population générale est com-
munément de 5%. Pour Yairi elle serait au-delà des 5% indiqués jusqu’alors et avoisinerait les
10% [Yairi and Ambrose, 2013].
   La prévalence moyenne sur toute une durée de vie serait entre 1% et 2% [Yairi and Ambrose,
2013]. La prévalence est supérieure en cas de bilinguisme.
   Le sex-ratio, c’est à dire la proportion hommes/femmes atteint est de 2,7/1 [Monfrais-
Pfauwadel, 2014]. Même si le bégaiement tend à diminuer avec l’âge et avec le temps, l’écart se
creuse entre les 2 sexes.

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L’âge moyen d’apparition du bégaiement est de 33 mois.

2.2.2.4   Etiologies du bégaiement
     Il n’existe pas de consensus sur l’étiologie du bégaiement qui reste à ce jour multifacto-
rielle “il n’y a pas d’étiologie unique mais autant d’étiologies que d’histoires individuelles du
développement du bégaiement” [Starkweather and Givens-Ackerman, 1997] mais nous notons
une origine neurophysiologique [American Psychiatric Association, 2013]. Cette fragilité neuro-
physiologique s’explique par une diminution de la matière blanche dans le faisceau arqué, des
aires auditives moins actives et un excès de dopamine dans les ganglions de la base [Watkins
et al., 2007]. Il existerait aussi une cause génétique : la recherche en génétique à permis d’iden-
tifier plusieurs gènes candidats qui concourraient à la genèse du bégaiement. Ainsi, bien que
les émotions, le stress, la gêne déclenchent et aggravent le bégaiement, ce trouble n’est pas que
psychologique.
     Les critères de diagnostic ont été bouleversés ces dernières années à l’aide des avancées mé-
dicales et ces critères le seront d’ailleurs encore plus, lorsque le diagnostic pourra être corroboré
par des marqueurs génétiques, neurobiologiques et/ou par l’imagerie cérébrale.

2.2.2.5   Classification du bégaiement
     Il a existé différentes classifications, qui ont évolué au fil du temps. Dorénavant une clas-
sification a été définie contenant trois grands types que l’on a distingué en fonction de leur
apparition (avant ou après l’acquisition du langage), de leur évolution et d’une cause externe
connue, à savoir :
  — Le bégaiement développemental est le plus courant (il représenterait 75% des cas), appa-
    raît généralement entre deux et quatre ans et va guérir spontanément ou se chroniciser. S’il
    se chronicise, on parle alors de bégaiement développemental persistant (il représenterait
    20 à 25% des cas).
  — Le bégaiement congénital fait partie d’un syndrome tel que la trisomie 21, le trouble
    du spectre autistique, le trouble déficitaire de l’attention ou encore une IMC (Infirmité
    Motrice Cérébrale).
  — Enfin le bégaiement peut être acquis de façon neurogène ou psychogène. Il apparaît alors à
    n’importe quel âge, au décours d’un problème neurologique, d’un AVC, d’un traumatisme
    crânien pour le bégaiement neurogène [Asha, 1999]. Et survient après une angoisse ou un
    stress psychologique extrême pour le bégaiement psychogène [Asha, 1998].

2.2.2.6   Types de disfluences
   Voici les différentes disfluences que nous pouvons retrouver dans la cadre du bégaiement.

     Types de dysflences                  Explications                           Exemples
                                 Répétition de sons ou de syllabes      M-m-moi aussi je suis heureux
 Répétition de parties de mots
                                      à l’intérieur d’un mot         Pour-pour-pourquoi je suis heureux ?
    Prolongements audibles              Un son est allongé             Mmmmmoi aussi je suis heureux
    Prolongements silencieux            Blocage sur un son               M...oi aussi je suis heureux
          Interruption           Coupure inadéquate dans le mot           Moi au-ssi je suis heureux

                 Table 2.2 – Tableau des dysfluences associées au bégaiement

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Il peut être difficile de savoir quand la fluidité de la parole est dite normale ou pathologique,
et donc à partir de quel moment nous pouvons parler de bégaiement. Nous avons pu voir que
les disfluences normales et pathologiques sont assez similaires, mais elles diffèrent par plusieurs
aspects : l’emplacement de la disfluence, le clivage de syllabes et donc du rythme qu’elle produit
dans la phrase ou encore des événements spasmodiques présents durant la prononciation d’un
son.

2.2.2.7   Les 6 malfaçons de Le Huche
   Le docteur François le Huche [Le Huche, 2002] a mis en avant 6 malfaçons caractéristiques
de la personne bègue, qui présente toutes ou seulement certaines malfaçons en proportions
variables, que nous allons résumer ici pour mieux cerner les mécanismes particuliers de ce
trouble du langage.

    Première malfaçon : Absence ou inversion du réflexe de décontraction
Lorsque l’on parle, des disfluences dites normales peuvent apparaître, accompagnées de décon-
tractions psychomotrices, notamment au niveau des organes articulateurs de la parole. L’hy-
pothèse de Le Huche est que le bégaiement naît des efforts que fait le sujet pour vaincre ces
disfluences normales, en contractant davantage son visage.

   Deuxième malfaçon : Perte du caractère spontané de la parole
La personne bègue se concentre sur les détails d’exécution de sa parole, ses mots et son arti-
culation plutôt que sur le fond de ce qu’il a à dire et des effets de sa parole sur son locuteur,
perdant ainsi la spontanéité de la parole.

    Troisième malfaçon : Perte du "comportement tranquillisateur"
Lorsqu’une personne non-bègue présente une difficulté passagère dans sa parole elle adresse un
message inconscient (souvent gestuel) à son interlocuteur qui comprend dans son subconscient
qu’il n’y a pas de réel problème. Ce comportement tranquillisateur est absent dans 90% des
cas.

   Quatrième malfaçon : Perte de l’acceptation de l’aide
Environ 60% des personnes bègues, refusent que leur interlocuteur leur coupe la parole ou les
aide à trouver les bons mots.

    Cinquième malfaçon : Perte de l’auto-écoute différée
Environ 20% des personnes bègues sont dans l’impossibilité de réécouter mentalement les quatre
ou cinq dernières secondes de parole qu’elles viennent de prononcer et ainsi pouvoir modifier
ce qu’elles viennent de dire.

    Sixième malfaçon : Altération de l’expressivité
Il est souvent difficile de discerner d’après le son de la voix ou des mimiques faciales, les émotions
exprimées par la personne qui bégaie. L’expressivité est souvent stéréotypée et figée.

2.2.2.8   Les répercussions et les conséquences
    Les conséquences émotionnelles et psychologiques de ce trouble, sont telles qu’elles en ont
souvent été prises pour les causes [Monfrais-Pfauwadel, 2014]. Maintenant que nous en savons
plus sur la place de la partie immergée de l’iceberg qui n’est donc pas la cause du bégaiement
mais bien une conséquence, nous nous rendons compte que cette distinction n’est pas faite du
grand public, qui se moque encore facilement des bègues [Apb, 2018]. Ces moqueries apportent
isolation, renfermement, mésestime de soi et contribue à entretenir le bas de l’iceberg.

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