PARTICIPATION CITOYENNE : L'AUTRE FAÇON DE "FAIRE SOCIÉTÉ" - COMPRENDRE - POUR UN MONDE JUSTE ET FRATERNEL
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POUR UN MONDE JUSTE ET FRATERNEL SUPPLÉMENT AU JOURNAL MESSAGES N°744 FÉVRIER 2020 DÉBATTRE LA FRANCE DOIT-ELLE DÉNONCER LES DICTATURES ? EXPLORER VIES DE RUE, ENVIE D’EN SORTIR COMPRENDRE PARTICIPATION CITOYENNE : L’AUTRE FAÇON DE “FAIRE SOCIÉTÉ”
31 06 28 14 Supplément au trimestriel Messages du Secours Catholique-Caritas France : 106, rue du Bac – 75341 Paris Cedex 07 Tél. : 01 45 49 73 00 • Fax : 01 45 49 94 50 04 RÉAGIR Présidente et directrice de la publication : Véronique Fayet Assurance chômage : les travailleurs précaires fortement pénalisés Directrice de la communication : Agnès Dutour 06 INNOVER Rédacteurs en chef : Emmanuel Maistre (7576) Des mails contre le suicide Clarisse Briot (7339) Rédacteur en chef adjoint : Jacques Duffaut (7385) 11 DÉBATTRE Rédacteurs : La France doit-elle dénoncer les dictatures ? Benjamin Sèze (5239) Cécile Leclerc-Laurent (7534) Rédacteur-graphiste : 14 COMPRENDRE Guillaume Seyral (7414) 14 Enquête. Participation citoyenne : l’autre façon de “faire société” Rédactrices photo : Elodie Perriot / Anaïs Pachabézian (7583) 21 Pouvoirs publics et participation Imprimerie : Imaye Graphic © Messages L’entretien. Jean-François Caron : « La participation transforme 22 du Secours Catholique – Caritas France, les habitants et la société » reproduction des textes, des photos et des dessins interdite, sauf accord de la Ici et là-bas. En Mauritanie, un quartier transformé par 26 rédaction. Le présent numéro a été tiré ses habitants à 63 753 exemplaires. Dépôt légal : n° 103 911 28 RENCONTRER Numéro de commission paritaire : 1122 H 82430 / Édité par le Secours Chico Whitaker. Une vie contre l’oppression Catholique – Caritas France. Photo de couverture : Xavier Schwebel / SCCF 31 EXPLORER Vies de rue, envie d’en sortir 38 LIBRE PAROLE Alexis Jenni. Nous avons vu le courage 39 LE REGARD DE BESSE ET ÉRIC LA BLANCHE Ce produit est imprimé par une usine N’en jetez plus ! certifiée ISO 14001 dans le respect des règles environnementales.
ÉDITORIAL L’ACTION LOCALE POUR TRANSFORMER LA SOCIÉTÉ ? PAR CLAUDE BOBEY, DIRECTEUR ENGAGEMENT ANIMATION – FRANCE EUROPE DU SECOURS CATHOLIQUE-CARITAS FRANCE. D ans le Manifeste pour le progrès social1, l’économiste Marc Fleurbaey qui a dirigé l’ouvrage promeut le fait que les grands changements doivent venir de la “base” de la société et le ÉLODIE PERRIOT / SCCF politique n’intervenir qu’après pour légiférer et normer ces transformations. Au Secours Catholique, nous croyons vivement en cette vision d’un monde où les solutions et propositions naissent principalement d’“en bas” et n’arrivent pas d’“en haut” comme par enchantement, mais émergent LES PLUS PAUVRES après un dur labeur d’acteurs locaux, fédérés et moteurs d’un change- SONT LES VÉRITABLES ment qui les dépassera. “SEMEURS DU Nous avons la conviction que les personnes en précarité ont un rôle CHANGEMENT” particulier à jouer et faisons nôtres les paroles du pape François aux mouvements populaires, pour qui les plus pauvres sont les véritables « semeurs du changement ». De fait, les plus délaissés de notre monde savent et pratiquent au quotidien la lutte pour leur survie. Ils développent alors des stratégies bien particulières, créatives et ingénieuses pour s’en sortir du mieux possible. Des stratégies, qui, bien souvent nous montrent un changement enjoué vers plus de liens que de biens. Ce que nous observons aujourd’hui dans notre société de marché où les biens et les services cherchent à s’acheter ou à se vendre, c’est beaucoup d’inégalités, de tristesse et de morosité2. Les plus pauvres développent, quant à eux, un marché bien différent. Ils n’ont guère à vendre et leur pouvoir d’achat ne leur permet pas d’acheter grand-chose. Alors ils nous disent par leurs actes qu’une autre société est possible. Certainement plus sobre, moins consommatrice d’énergie, pour ne pas dire de planète ! Nous observons dans les actions très locales, que ce soit au Secours Catholique ou chez nos partenaires, une “hybridation” des modèles. Le changement s’opère souvent par des processus qui allient et articulent aussi bien l’économique que le social, le culturel que l’environnemental. Nous faisons enfin le constat, partagé par nos partenaires associatifs, de l’envie des plus fragiles d’agir, de s’exprimer et de s’engager. L’enthousiasme et la mobilisation suscités par les 150 débats locaux organisés au sein de notre réseau, au moment du Grand Débat national, en sont la preuve. À l’aube des échéances municipales, rappelons-nous que l’avenir de notre action en commun se construit au niveau très local et avec les personnes concernées. Engageons-nous collectivement à ouvrir nos portes à leur engagement dans des processus locaux, que ce soit dans les associa- tions comme dans les conseils municipaux. 1. Manifeste pour le progrès social, ouvrage coordonné par Marc Fleurbaey, Éditions La Découverte, 2019. 2. Le Temps des passions tristes, Inégalités et populisme, François Dubet, Seuil, 2019. FÉVRIER 2020 - RÉSOLUTIONS 3
RÉAGIR NOS (+) NOS (-) ASSURANCE CHÔMAGE : LES TRAVAILLEURS PRÉCAIRES FORTEMENT PÉNALISÉS Depuis le 1er novembre, la réforme de l’assurance chômage entre progressivement en vigueur, mais elle semble pensée au détriment des travailleurs les plus précaires. Plutôt qu’une logique de sanction, le Secours Catholique promeut un renforcement des moyens alloués à la formation et à l’accompagnement des travailleurs et des demandeurs d’emploi. PAR BENJAMIN SÈZE Un élargissement des bénéficiaires Un durcissement des conditions d’ouverture Les salariés qui démissionnent pourront être des droits indemnisés. Néanmoins, il faudra avoir travaillé Il faudra avoir travaillé plus longtemps sur une pé- cinq ans en continu dans l’entreprise – ce qui exclut riode plus courte pour pouvoir accéder à l’assurance de fait les jeunes – et avoir un projet de formation chômage : 6 mois travaillés au cours des 24 derniers ou de création d’entreprise. Les travailleurs indépen- mois, au lieu de 4 mois sur 28 aujourd’hui. Ce sont dants pourront également toucher l’assurance chô- les plus vulnérables qui pâtiront de ce durcissement mage, à condition d’avoir une entreprise depuis plus des conditions d’ouverture des droits : les travailleurs de trois ans avec un chiffre d’affaires annuel supérieur saisonniers et intérimaires, les jeunes peu formés et à 10 000 euros, et d’être en situation de liquidation qui manquent d’expérience, ou encore les seniors, qui judiciaire. Cet élargissement des bénéficiaires risque, ont des difficultés à trouver un emploi stable. malheureusement, de ne concerner finalement que les plus agiles, les mieux formés, et ceux qui ont un Une diminution de l’indemnisation chômage réseau développé. des travailleurs précaires Pour fixer l’indemnité de chômage d’une personne, on se basait jusqu’à présent sur le salaire moyen REPÈRES perçu pendant les jours travaillés sur l’année écoulée. 1/3 des personnes Désormais, ce calcul se fera sur les 24 derniers mois « qui auraient ouvert un droit » et inclura les jours non travaillés, ce qui fera automati- à l’assurance chômage si la quement baisser le montant du salaire moyen pour les réglementation était restée personnes ayant connu des périodes d’inactivité. Les inchangée seront affectées, travailleurs précaires, qui enchaînent les CDD de courte d’avril 2020 à mars 2021, durée entrecoupés de plusieurs jours ou semaines chô- par le resserrement més, seront donc pénalisés. des critères d’éligibilité. Un outil qui se veut dissuasif contre l’utilisation 850 000 personnes, devraient abusive des contrats courts sortir perdantes du nouveau Un système de bonus-malus vise à limiter le recours mode de calcul des indemnités aux contrats courts. Ainsi, les entreprises pourront voir chômage, lors de la première le taux de leur contribution patronale d’assurance chô- année d’application de la réforme, mage varier en fonction de leur propension à se séparer soit environ 37 % des nouveaux fréquemment de leurs salariés. Mais ce bonus-malus allocataires. ne concerne que 5 à 7 branches professionnelles sur les 35 qui recrutent principalement en contrats courts. Source : Note de l’Unédic sur l’impact de la réforme de l’assurance chômage, 2019. Et il ne vise que les entreprises de plus de 11 salariés. 4 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2020
RÉAGIR NOTRE ALTERNATIVE PAR FRANÇOIS BERRUER, CHARGÉ DE PROJET EMPLOI AU SECOURS CATHOLIQUE « POUR RÉDUIRE LES DÉPENSES, MISER SUR LA FORMATION ET L’ACCOMPAGNEMENT » D errière cette réforme, il y a Enfin, concernant l’accès à la forma- core affaiblis par cette injonction au une vision systémique qui tion, nous observons au Secours rebond, à l’agilité, au “toujours plus lie “travail-formation” et “as- Catholique qu’il est loin d’être simple vite” et à toujours plus d’efforts pour surance chômage”. Selon la logique pour les plus précaires. Cette réforme un travail qui aura parfois perdu de de ses promoteurs, le durcissement son sens et sera effectué dans des de l’accès au droit au chômage de- conditions plus défavorables. Plutôt vrait donc s’accompagner d’une que de rogner les indemnités, il faut augmentation de l’accès à la forma- PLUTÔT QUE DE ROGNER faciliter l’accès à la formation tout au tion, le tout dans un marché du tra- LES INDEMNITÉS, IL FAUT long de la vie, pour permettre aux per- vail ouvert. Or, si des emplois sont FACILITER L’ACCÈS sonnes d’évoluer dans leur métier ou effectivement vacants, leur nombre À LA FORMATION. de changer de voie dans le cadre d’un est limité et ils présentent souvent projet voulu. Il faut aussi donner les un fort degré de pénibilité pour un moyens à Pôle emploi d’assurer un faible niveau de rémunération. De est pensée pour ceux qui sont agiles, accompagnement de qualité, adapté plus, l’obligation de mobilité pour ac- ceux qui au cours de leur formation à chacun selon les obstacles qui l’em- céder à un emploi vacant peut poser initiale ont réussi à entrer dans les pêchent d’accéder à l’emploi. C’est problème pour des personnes qui, en logiques de la débrouillardise et du cela qui permettra aux personnes quittant leur secteur, risqueraient de rebond permanent. Les autres, plus d’occuper durablement un emploi et perdre le filet de sécurité que consti- fragiles car moins préparés, moins ainsi de faire faire des économies à tuent leurs réseaux familial et social. qualifiés, peu mobiles…, seront en- l’assurance chômage. DROIT DE SUITE EN OUTRE-MER, LES JEUNES FORMÉS AU PLAIDOYER En mars 2017, des représen- dans leurs territoires, et proposer Martinique, c’est sur la question du tants des groupes Young Caritas des solutions. Huit mois plus tard, chômage massif des jeunes sur du Secours Catholique, des ter- 60 jeunes Young Caritas antillais le territoire que les Young Caritas ritoires d’outre-mer rencon- se formaient au plaidoyer local. ont décidé d’agir. Parmi leurs ac- traient à Paris les équipes de la Depuis, les jeunes du Secours tions futures : évoquer ce sujet sur plupart des candidats à l’élection Catholique de Guyane se sont en- les radios et à la télévision locales, présidentielle et également le gagés pour la préservation de leur et organiser une rencontre-débat cabinet du ministre des Outre- environnement. Ils mènent auprès entre des jeunes, des chefs d’en- mer. Leur objectif : témoigner des de la population et des élus locaux treprise, des professionnels de l’ac- problématiques vécues par les des actions de sensibilisation à la tion sociale et des élus locaux. adolescents et les jeunes adultes bonne gestion des déchets. En B.S. FÉVRIER 2020 - RÉSOLUTIONS 5
INNOVER CHRISTOPHE HARGOUES / SCCF DES MAILS CONTRE LE SUICIDE PAR CÉCILE LECLERC-LAURENT PHOTOS : CHRISTOPHE HARGOUES En Allemagne, Caritas a mis en place une plate-forme online à leur domicile, depuis leur propre destination de jeunes désespérés et tentés par le suicide. Une ordinateur. À l’origine du projet, un constat : chaque année, 600 jeunes simple recherche Internet les oriente vers U25, un site sur lequel se donnent la mort en Allemagne, ce ils peuvent échanger des mails avec de jeunes volontaires… et qui porte le suicide à la 2e place des peut-être retrouver la force de vivre. causes de mortalité chez les jeunes, après les accidents. « Caritas a pour J mission de lutter contre le désespoir. e n’en peux plus. Je ne veux C’est pourquoi nous nous sommes pas mourir mais je ne veux emparés de cette question », explique pas vivre non plus. Je pense Anna Gleiniger, directrice d’U25 à chaque jour au suicide. Signé : Berlin. « Et l’idée est de construire l’ave- Antonia. » « Chère Antonia, nir avec les jeunes en les éloignant du je trouve courageux de ta part de suicide et en leur faisant partager notre m’écrire. Tout ce que tu diras restera espoir. » « Nous sommes un peu un entre nous. Il n’y a dans nos échanges point d’ancrage auquel nos correspon- ni vrai ni faux. Signé : Jan. » Voici en dants peuvent s’accrocher pour ne pas substance un exemple d’échange sombrer. Ils peuvent ainsi sortir eux- Les bénévoles de de mails qui transitent via U251. Sur mêmes de leurs problèmes en retrou- Caritas dialoguent cette plateforme en ligne de Caritas, vant de la force à nos côtés », estime « d’égal à égal » avec d’autres jeunes ce sont de jeunes bénévoles âgés de Doreen, bénévole de 25 ans et étu- touchés par des 16 à 25 ans qui répondent à d’autres diante en psychologie. Dans les pre- pensées suicidaires. jeunes tentés par le suicide, et ce à miers mails, il est question de faire 6 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2020
MODE D’EMPLOI U25 en allemagne LES BESOINS IDENTIFIÉS 600 jeunes se suicident En Allemagne, le suicide est la 2e cause de mortalité chez les jeunes après les accidents. Chaque jour, 20 jeunes chaque année en Allemagne. font une tentative de suicide. Offrir un espace de dialogue sur Internet à ces jeunes désespérés et tentés par le suicide. Sur la plateforme U25, les jeunes en souffrance L’IDÉE peuvent échanger des mails avec d’autres jeunes, bénévoles. QUI ? COMBIEN ? PAR QUI ? 1 200 jeunes de moins de 25 ans accompagnés 8000 200 jeunes bénévoles mails échangés chaque année chaque année. accompagnants, en Allemagne. âgés de 16 à 25 ans. LEVIERS D’ACTION Formation Pas de limitation préalable de durée des volontaires Service gratuit, ni de règles durant ouvert à tous concernant quatre mois les jeunes la fréquence Encadrement des échanges des bénévoles Respect de l’anonymat avec réunion Dialogue dans les mails toutes les deux d’égal à égal semaines CHRONOLOGIE SUJETS ABORDÉS DU PROJET PAR LES JEUNES 2002 : la première plateforme U25 est créée à Fribourg Le harcèlement moral à l’école par Caritas. ou sur Internet. 2013 : de nouvelles plateformes U25 apparaissent à Berlin, Les problèmes relationnels avec Hambourg, Gelsenkirchen et Dresde. les parents, la maltraitance sexuelle. 2015 à 2017 : Dortmund, Biberach, Paderborn, Emsland et Les pressions sur Internet Nüremberg mettent en place à leur tour des plateformes U25. et la comparaison avec les autres. FÉVRIER 2020 - RÉSOLUTIONS 7
INNOVER tions avec les parents. C’est un dialogue DOCUMENT d’égal à égal », observe Doreen. SOUTENIR PAR MAIL Transmettre son énergie de vivre Les 200 jeunes volontaires d’U25 C’est par mail que les bénévoles de Caritas Allemagne accompagnent sont au préalable formés par des les jeunes touchés par des pensées suicidaires. spécialistes durant quatre mois sur le suicide, les troubles psychiques et Juillet les techniques de dialogue. On leur – Salut, je me sens dépressive mais ne sais pas comment m’en sortir. apprend par exemple à discerner Je ne vois pas d’issues de secours et ne sais pas à qui parler. Anna le sens caché derrière de simples – Réponse : salut, je suis Mona. Je trouve ça courageux que tu mots, ou encore à poser des ques- m’écrives et me confies que tu penses au suicide. Tu as fait le tions ouvertes afin que les jeunes en premier pas et chez nous il n’y a pas de bête ou de fou. Je sens face s’expriment d’eux-mêmes. Par que ça ne va vraiment pas. Y a-t-il une raison précise ? (…) exemple, il vaut mieux demander : « Comment te sens-tu aujourd’hui ? » Octobre plutôt que : « Tu te sens mal ? » Les – Je me sens détruite, non comprise. Je n’ai plus envie de ma vie. bénévoles sont aussi accompagnés – Salut Anna, Je te propose chaque soir de penser à une chose pour prendre soin d’eux-mêmes et que tu as trouvé belle dans la journée. Ainsi tu rassembleras des savoir prendre du recul, notamment moments qui valent la peine d’être vécus. (…) en délimitant leur champ d’action. Lors de la rédaction des mails, on Février leur conseille par exemple d’allumer – Salut Mona, je voulais te remercier. Ça m’a beaucoup aidé de t’écrire. une bougie ou de porter un pardes- Je peux maintenant m’en sortir seule et t’écrirai si ça ne va plus. sus, pour mettre fin plus facilement – Salut Anna, je trouve ça super la manière dont tu as réussi à t’en au temps de l’écriture et préserver sortir ces derniers mois. N’oublie jamais cela. Bien sûr tu peux leur vie privée. Enfin, à quatre ou cinq, toujours m’écrire. Bises. Mona les bénévoles se retrouvent toutes les deux semaines avec la directrice connaissance et d’instaurer un cèlement moral renforcé par l’outil pour échanger sur les mails reçus climat de confiance. Avec un maître Internet, où un jeune peut vite devenir ou envoyés et les difficultés ren- mot : déculpabiliser. Oui, on a le droit un sujet de moquerie de la part d’un contrées. « Il faut être bien soi-même de ne pas se sentir bien, de se poser de ses semblables. D’où l’idée, d’ail- avant de pouvoir aider les autres », ré- des questions sur le sens de la vie. leurs, d’aller chercher les jeunes via sume Anna Gleiniger. « J’ai appris à « Quand on est jeune, il est tout à fait me protéger, témoigne ainsi Doreen. normal d’avoir des questionnements C’est toute la difficulté du projet : garder sur la vie, mais il est important d’en par- une distance émotionnelle, mais dans ler pour ne pas tomber dans le néga- le même temps avoir de l’empathie tif », note Anna Gleiniger. « On parle JE SUIS ENCORE PERSUADÉE pour la personne. » La jeune femme trop peu du suicide dans notre société, AUJOURD’HUI puise sa motivation dans sa propre ajoute Doreen, dès que quelqu’un dit QUE CE CONTACT histoire, se qualifiant d’« enfant dé- ne pas être bien, il est exclu. Il y a une A SAUVÉ MA VIE. pressive », harcelée par ses parents. forte pression, surtout sur les jeunes. » Elle veut à son tour aider les autres. Une pression renforcée, selon U25, Stéphanie, 25 ans, qui travaille dans par ce qui circule sur Internet : voir la ce même outil – Internet – et avec la production de films, souhaite vie des autres – ou ce qu’ils en disent des bénévoles de leur âge qui ont les quant à elle « partager [son] énergie – sur les réseaux sociaux peut cau- mêmes codes. « Nous avons le même de vivre. Pour moi, la vie offre plein de ser une pression pour un jeune en langage, les mêmes moyens d’expres- possibilités, dit-elle, je veux donc aider manque de confiance qui rêve alors sion, nous comprenons les problèmes d’autres jeunes à voir ces possibilités. » d’une vie idéale. Sans parler du har- évoqués comme les études ou les rela- Pour ce faire, dans les échanges de 8 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2020
INNOVER CHRISTOPHE HARGOUES / SCCF mails, même s’ils respectent la volon- c’est dur, mais peut-être que toute ta vie « Il est important de déculpabiliser les té des correspondants – celle de se ne sera pas comme ça », peuvent-ils jeunes d’avoir ces idées. », Marcel Azeroth. suicider –, sans les juger, les jeunes écrire, ou encore : « Essaie chaque bénévoles leur envoient aussi avant soir de penser à un moment positif de durent de plusieurs jours à plusieurs tout de la force pour vivre. « Aujourd’hui la journée. » Les échanges de mails mois. Si la relation avec la personne est stabilisée et que la confiance est installée, le bénévole l’oriente vers un REGARD professionnel, psychologue ou psy- chiatre. Il faut dire qu’avoir le courage MARCEL AZEROTH, 28 ANS d’écrire à U25 est souvent un premier « ÊTRE ÉCOUTÉ, C’EST BEAUCOUP » pas décisif. « Vous avez cru en moi. Vous vous souciez de voir en nous « Je soutiens l’initiative U25 en lui reversant une partie des bénéfices que nous voulons encore vivre », écrit de la vente de T-shirts que je crée sur le thème de la dépression, avec Jasmin à son correspondant. « Je des slogans visuels comme Stay alive. Cela fait sens pour moi, car j’ai suis encore persuadée aujourd’hui que moi-même touché le fond entre 16 et 20 ans. J’aurais alors aimé avoir ce contact m’a sauvé la vie », poursuit une telle aide, dialoguer avec un autre ado qui m’aurait dit : « Ce n’est Hannah, une autre utilisatrice d’U25. pas grave d’avoir des idées suicidaires. » Il est important de déculpabili- Stéphanie, volontaire, est pour sa ser les jeunes d’avoir ces idées. Car on croit qu’on est fou, et le fait que part persuadée que l’échange est ré- quelqu’un nous écoute et nous prenne au sérieux, c’est peu, mais c’est ciproque : « J’offre à ces personnes du beaucoup. Les ados ont besoin d’autres ados. À cet âge, on pense être temps et de l’attention, un peu d’huma- différent, on est dans son univers. Être écouté par quelqu’un de son âge nité aussi dans notre société matéria- aide à trouver de la force en soi-même. Aujourd’hui, le sujet du suicide liste. Je donne, mais je reçois aussi, car est tabou en Allemagne : les gens n’en ont pas conscience ou ne veulent je découvre une autre réalité. » pas voir la réalité. Moi, j’ose témoigner et dire que j’ai voulu me tuer, car 1. Pour unten 25, “avant 25 ans”. je pense que ça peut aider à sauver des vies. » FÉVRIER 2020 - RÉSOLUTIONS 9
ILS Y PENSENT AUSSI PAR CLARISSE BRIOT ÉTUDIANTS THÉRAPIE AU CAMPUS « La période des études n’est pas aussi dorée qu’on ne le croit. C’est une phase de changements, parfois de précari- té sociale et d’émergence de pathologies psychiques. Les crises suicidaires sont nombreuses », explique Laurentine Véron, cofondatrice d’Apsytude. Cette association pro- pose aux étudiants des consultations en face à face (prises en charge financièrement) dans 34 villes en France, en partenariat avec les Crous, les mutuelles D.R. / SCCF étudiantes, les écoles et facultés. Des entretiens par webcam sont également possibles. En 2018-2019, ADULTES PRÉCARISÉS 4 000 étudiants ont ainsi été accompagnés. PSY-GNON SUR RUE Plus d’infos sur www.apsytude.com Faciliter l’accès à un praticien pour des personnes en difficulté psychique et sociale, c’est l’objectif de SENIORS ISOLÉS l’Époc, qui a pignon sur rue dans le 19e arrondis- sement de Paris. Chaque année, 1 500 personnes UNE LIGNE CONTRE LA SOLITUDE – isolées, en voie de précarisation ou d’exclusion – Les Petits Frères des pauvres assurent une écoute y trouvent un appui et/ou un suivi thérapeutique, téléphonique gratuite et anonyme pour les plus contre une participation financière minime. « Elles de 50 ans isolés. Le service, assuré par 70 béné- peuvent déposer une parole, être entendues et avancer voles, fonctionne 7 jours sur 7, toute l’année, de 15 dans leur parcours », explique Sylvie Ullmann, fonda- à 20 heures. En 2018, seuls 18 000 appels ont pu trice et directrice générale de l’association. Un en- être traités, sur 95 000 reçus. L’ennui ainsi que l’iso- tretien a lieu rapidement après la prise de contact. lement (absence de réseau familial ou social) sont Des thérapeutes reçoivent sans rendez-vous les les principaux motifs d’appel. 2 % des personnes qui mercredis et samedis et des ateliers collectifs sont appellent traversent une crise suicidaire. également proposés. Plus d’infos sur www.lepoc.org Plus d’infos : bit.ly/SolitudeEcoute RETOUR SUR... LE “30”, UNE MAISON POUR PRÉPARER L’APRÈS À Strasbourg, le “30” accueille résidents ont besoin d’un temps entre des personnes détenues la détention et la sortie pour reprendre dont la peine a été aména- des forces et réapprendre les actes de gée en “placement extérieur”. D’une la vie quotidienne », explique Bernard capacité d’accueil de quatre rési- Rollin, le responsable. Une quinzaine dents à son démarrage en 2013, la de bénévoles épaulent les détenus structure, gérée par Caritas Alsace, dans leurs démarches adminis- est passée à sept, dans un nouveau tratives, la recherche d’un emploi, suel, le “30” facilite également le bâtiment mettant l’accent sur les es- d’un logement pérenne, ainsi que (ré)apprentissage du vivre-en- paces partagés. Objectif : préparer dans leur suivi psychologique et la semble. Sur la cinquantaine de les détenus – dont la peine peut aller reprise de liens familiaux. Par l’or- résidents accueillis depuis 2013, de six mois à vingt ans – à leur sor- ganisation de sorties collectives et moins de 20 % ont vu leur aména- tie, et limiter ainsi les récidives. « Les d’un repas communautaire bimen- gement de peine interrompu. 10 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2020
DÉBATTRE LA FRANCE DOIT-ELLE DÉNONCER LES DICTATURES ? CONTEXTE. Face aux crises politiques en Afrique, la France se voit souvent reprocher de ne pas condamner assez fermement les régimes autoritaires. Doit-elle s’exprimer haut et fort contre les violations des droits de l’homme ou privilégier une diplomatie de l’ombre ? Quel soutien apporter aux mouvements pro-démocratie, dont font partie les sociétés civiles ? LAURENT DUARTE JACQUES MAIRE COORDINATEUR INTERNATIONAL DÉPUTÉ LREM, DIPLOMATE, DE “TOURNONS LA PAGE” MEMBRE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES Laurent Duarte : Le Secours développement”. Nous y ajoutons riale équilibrée que de se dire les Catholique s’engage depuis plu- la démocratie, sans laquelle ces choses. sieurs décennies contre la pau- objectifs ne sauraient être at- vreté en Afrique. En 2014, des teints. On voit malheureusement Jacques Maire : Deux critiques partenaires nous ont alertés sur la France hésiter sur ce sujet dans sont souvent adressées à la di- le fait qu’encourager le développe- les pays les plus stratégiques plomatie française. La première ment impliquait de travailler aussi pour elle. Nos partenaires afri- est de ne pas parler plus haut et à la défense des droits fondamen- cains ont du mal à comprendre ce plus fort, ce qui nous rendrait com- taux. Les 250 associations de “deux poids, deux mesures”. Dans plices des dictatures. Mais quand “Tournons la page” agissent pour son discours de Ouagadougou1, la France est seule à parler, les ac- promouvoir les droits de l’homme, Emmanuel Macron a dit ne pas teurs locaux n’ont aucun mal à dé- protéger leurs défenseurs et ob- avoir de leçons à donner sur le noncer un réflexe néocolonial. Par tenir l’alternance dans des pays fonctionnement des États afri- ailleurs, la France n’a pas toujours qui ne l’ont jamais connue. Nous cains. Mais cela revient souvent de réponse à elle seule. En RDC2, pensons que la France et les à accorder un blanc-seing à des Joseph Kabila a été remplacé en Européens doivent se placer du dirigeants qui mériteraient des le- 2018 par Félix Tshisekedi à l’is- côté des sociétés civiles qui ré- çons, comme chacun les mérite, sue d’élections pas tout à fait sin- clament la démocratie. Ces der- y compris la France, quand il en- cères. Le résultat a pourtant fait nières années, la France défend freint les droits de l’homme. C’est consensus parmi les puissances un triptyque “défense, diplomatie, le propre d’une relation partena- régionales : le Rwanda, l’Afrique FÉVRIER 2020 - RÉSOLUTIONS 11
ÉLODIE PERRIOT / SCCF Il faut accompagner les sociétés civiles Il est difficile de distinguer la pour qu’elles puissent être le gage société civile des acteurs politiques. d’élections libres et transparentes, On ignore souvent si l’alternance sera car ce ne sont pas les États ni les un vrai gage de progrès démocratique oppositions qui les garantissent. et de transparence. LAURENT DUARTE JACQUES MAIRE du Sud et l’Angola. Des ONG ont chaos aux crises. Le prix à payer caines ne sont plus à la mesure reproché à la France d’accepter est une forme d’incompréhension, de la seule France. Quant à l’en- l’issue du vote après avoir critiqué que vous avez évoquée. gagement des autres acteurs, il son déroulement. Aurait-on dû dé- n’est pas toujours facile à mettre noncer l’opération comme scanda- LD : Je vous rejoins sur le fait qu’il en œuvre. La motivation des leuse, décrédibiliser l’alternance ? faut travailler en consortium. Nous États européens pour s’occuper On ne l’a pas fait, car la France avons soutenu cette stratégie en de l’Afrique, par exemple, est sur- n’est qu’une partie prenante parmi RDC. Je me demande toutefois – tout défensive : il n’y a jamais eu d’autres. Sa démarche consiste mais peut-être est-ce un procès autant d’argent pour le continent plutôt à accompagner l’émergence d’intention – si la France aurait agi que depuis que l’on craint l’arri- de solutions politiques locales. Le de même si elle avait été le princi- vée de migrants en Europe… Or deuxième point qui nous vaut des pal partenaire du pays, et non un l’agenda de la France en Afrique controverses, c’est celui de la coo- acteur parmi d’autres. On le voit au n’est pas seulement migratoire, il pération et des financements qui Cameroun en crise, où la France est d’abord celui de la paix et du contribueraient à pérenniser cer- opte toujours pour une relation bi- développement. L’autre difficulté tains systèmes. Nous avons ten- latérale. Ou en Guinée et en Côte vient de la France elle-même, qui dance à penser que le coût de leur d’Ivoire, où les velléités de troisième veut engager les autres, mais sans arrêt pèserait sur les populations mandat des dirigeants font peser un toujours partager le leadership. plus que sur les régimes. Il est risque sur la population. Ces stra- Et les autres Européens ne sont possible de les conditionner à des tégies différenciées me semblent d’ailleurs pas toujours prêts à se critères, comme la lutte contre la dommageables. La France manque sentir pleinement responsables corruption, mais est-on prêt à cou- d’une doctrine : quelles lignes des crises ! Il y a par ailleurs des per les fonds si ces conditions ne rouges trace-t-on face aux dicta- pays d’Afrique où l’on ne voit pas sont pas respectées, au risque tures que l’on finance ? de plan B, car l’opposition manque que les fonctionnaires, l’armée, de maturité. C’est souvent cette ne soient plus payés ? Le principe JM : On manque sans doute d’une question qui se pose : qui est légi- français est de refuser d’ajouter du doctrine, c’est vrai. Les crises afri- time pour en proposer un, quelles 12 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2020
DÉBATTRE structures peuvent le porter ? On sociatif peut être un lieu de coop- laires ou qu’ils virent à l’activisme ignore souvent si l’alternance sera tation des élites politiques. Si la para-ONG. À mon avis, il faut plu- un vrai gage de progrès démocra- société civile joue le jeu de l’arri- tôt accompagner les parlemen- tique, de transparence et d’ab- vée au pouvoir de partis, sa straté- taires africains dans l’exercice de sence de corruption. Au Tchad, gie peut être contestable, mais le leurs fonctions de représentants par exemple, le parti unique est fait que ses membres empiètent des populations. Renforcer leur la seule infrastructure politique sur le champ politique me semble fonction de contrôle est essentiel qui rassemble des populations de faire partie de leur domaine de pour permettre une meilleure gou- toutes les régions, alors que l’op- travail. La question de leur repré- vernance et la diminution d’une position est morcelée dans des sentativité est en revanche cru- corruption souvent endémique. Le logiques clientélistes. Dans de tels ciale : comment faire pour que fait qu’un ministre qui a reçu des contextes, que veut dire mettre en les plus pauvres, ou les femmes, millions d’euros d’aide sache qu’il place l’alternance ? deviennent des décideurs et non devra rendre des comptes sur leur seulement des bénéficiaires ? utilisation aux parlementaires du LD : La priorité est selon nous Cela rejoint les enjeux d’éduca- pays bailleur, mais aussi du pays de laisser les Africains décider tion et de développement de ces consommateur, peut changer la de leur opposition, même si leur populations qui se trouvent avant donne. Nous travaillons sur ce choix s’avère mauvais. Nous aussi tout confrontées à des questions principe depuis un an, en met- avons fait des erreurs dans notre de survie au quotidien. tant en place des démarches de histoire politique. Il faut pour cela contrôle de l’utilisation de l’aide accompagner les sociétés civiles JM : Dans le domaine de l’éduca- française, en associant les dépu- pour qu’elles puissent être le gage tion, nous reconquérons le terrain, tés des pays contributeurs et des d’élections libres et transparentes, après avoir perdu en intimité avec pays bénéficiaires. Même si cette car ce ne sont pas les États, ni les ces sociétés, parce qu’il y a moins initiative nécessite un consensus oppositions, qui les garantissent. de linguistes, de coopérants, de que nous n’obtiendrons pas par- Dans beaucoup de sociétés afri- chercheurs, alors que nos fonc- tout, nous espérons qu’elle fera caines, la désillusion est forte vis- tionnaires tournent tous les trois bouger les lignes. à-vis des deux. La société civile est ans. Il est pourtant essentiel de souvent la seule institution aux conserver ce capital qui fait de Propos recueillis prises avec les populations les la France le pays expert pour les par Alexia Eychenne plus pauvres. Si on ne dirige pas bailleurs de fonds dans certaines vers elle l’aide de l’Agence fran- régions d’Afrique. Cela m’amène çaise de développement (AFD), à évoquer le rôle de la diplomatie des diplomates et tous les autres parlementaire. Elle doit éviter deux 1. Discours sur les relations franco-africaines prononcé par Emmanuel Macron le instruments dont nous disposons, biais : que les groupes d’amitié se 28 novembre 2017 au Burkina Faso. on se coupe d’un relais précieux. contentent d’échanges protoco- 2. République démocratique du Congo JM : Je suis parfaitement d’ac- cord. La société civile doit être REPÈRES plus soutenue, mais je me pose une question : sur qui a-t-elle un impact ? Au Niger, par exemple, La définition de la société civile évolue selon les époques, les au-delà de quelques villes univer- acteurs et les courants de pensée. L’Agence française de dé- sitaires, quelle est sa prégnance ? veloppement (AFD) y inclut par exemple « les organisations non Dans ce type de pays, il est difficile gouvernementales (ONG), les fondations (publiques et privées), les de distinguer la société civile des associations professionnelles, les syndicats, ainsi que les coopératives acteurs politiques. et les acteurs économiques dont les missions principales les définissent comme des entreprises sociales ». LD : Cette porosité est réelle. Dans Plus d’infos sur www.afd.fr/les-organisations-de-la-societe-civile nos sociétés aussi, le monde as- FÉVRIER 2020 - RÉSOLUTIONS 13
COMPRENDRE ENQUÊTE PARTICIPATION CITOYENNE : L’AUTRE FAÇON DE “FAIRE SOCIÉTÉ” PAR JACQUES DUFFAUT PHOTOS : XAVIER SCHWEBEL Associer les plus fragiles à la conduite des affaires de la cité réduirait fortement l’injustice sociale. C’est le credo de plusieurs associations, à commencer par le Secours Catholique, qui encouragent ceux qui se sentent marginalisés ou exclus à reprendre confiance, à s’exprimer, à se regrouper, à peser sur les politiques locales et nationales en rencontrant élus et candidats aux élections. Le but étant de faire connaitre leurs difficultés et de suggérer des solutions. Cette démarche citoyenne prend tout son sens lors des élections municipales. Elle interpelle les candidats à la mairie lorsqu’ils promettent souvent d’inclure dans leurs programmes une dose plus ou moins homéopathique de démocratie participative. Les rares édiles qui invitent leurs STEVEN WASSENAAR / SCCF administrés à gérer leur ville ensemble sont finalement très proches du monde associatif qui, lui, est en train d’inventer un modèle de société où chacun a le pouvoir d’agir. 14 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2020
COMPRENDRE FÉVRIER 2020 - RÉSOLUTIONS 15
COMPRENDRE d’œuvre. « Nous avions diagnostiqué sur le territoire une difficulté à avoir une bonne ali- mentation. Dans une précédente mission, j’avais vu l’efficacité d’une épicerie solidaire. Nous avons acheté ce fourgon. La cuisine iti- nérante a aussitôt intéressé un public diffé- rent selon les lieux : ici des parents d’élèves, là des personnes fragiles psychologiquement, ou encore des personnes isolées. Autour d’un repas, les gens s’expriment. Nous les faisons se rencontrer. Ils se regroupent par affinités et plusieurs projets émergent. La Roulotte encou- rage les initiatives, développe le pouvoir d’agir et la participation citoyenne. » À part de notables exceptions comme à Loos-en-Gohelle (voir interview de Jean- François Caron), la participation citoyenne est un argument électoral vite oublié après le scrutin. En revanche, de nombreuses as- sociations caritatives telles qu’ATD Quart Monde, la Fédération des centres sociaux et le Secours Catholique s’appliquent à dé- velopper un modèle d’action locale où les ha- bitants ont un véritable rôle. Céline Whitaker, XAVIER SCHWEBEL / SCCF qui partage son expertise entre le Secours Catholique et la jeune association AequitaZ, définit cette participation comme « une ac- tion collective permettant de revendiquer un C accès aux droits ou de faire respecter des Chaque omme tous les mercredis dans droits déjà existants. Par exemple, AequitaZ semaine, une la petite salle municipale d’Ai- invite chaque année une centaine de jeunes douzaine de margues (Gard), une quaran- gens lors d’un “Parlement libre” à venir débattre bénévoles préparent le repas taine de personnes, jeunes et et à faire des propositions. » du mercredi à anciens, aisés et désargentés, Autour de la Roulotte des délices, les affi- Aimargues. déjeunent ensemble. Ce mercredi : soupe nités, les besoins ou les désirs ont amené de légumes, bœuf bourguignon, mousse au à constituer plusieurs groupes. « Certains chocolat. Un repas simple et bon, cuisiné par voulaient un lopin de terre pour cultiver leurs des bénévoles dans le fourgon garé devant propres fruits et légumes, relate Sylvie. Une l’entrée et sur le capot duquel est inscrit : “La dizaine y sont arrivés. D’autres ont eu envie Roulotte des délices”. de repas en commun pour briser leur solitude. La Roulotte des délices est plus qu’un four- D’autres encore voulaient des produits biolo- gon. Elle est le nom d’une expérience menée giques. Nous avons conclu un marché avec depuis cinq ans dans le Gard. La cuisine rou- l’Esat1 de Vauvert, qui emploie de jeunes au- lante stationne les jours de marché dans les tistes, et nous avons mis en place un service communes voisines d’Aimargues, son port de paniers solidaires. » d’attache, et propose aux passants de goû- La “participation citoyenne“, qui consiste ter un plat et de parler de leurs problèmes à redonner confiance et incite à se re- éventuels. grouper, s’appuie sur le “développement Sylvie Camand, animatrice au Secours du pouvoir d’agir” (DPA), un concept dont Catholique, en est un peu la maîtresse le mot anglais empowerment désigne à la 16 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2020
COMPRENDRE fois le renforcement des capacités et la formation qui donne ces capacités. Bernard ÉCLAIRAGE Vandenbunder, responsable d’une équipe d’animation d’ATD Quart Monde, rappelle VOUS AVEZ DIT PARTICIPATION que son association a été pionnière sur ce terrain : « Les personnes vivant dans la pau- CITOYENNE ? vreté ont une véritable expertise. On a souvent le sentiment que la participation ne sert à rien, Au Secours Catholique, la participation citoyenne re- observe-t-il. Mais se passer de leur savoir est couvre plusieurs pratiques pour changer les conditions un gâchis humain. Seulement il faut que leur pa- de vie précaire des personnes rencontrées. Elle se dé- role soit exprimée, écoutée et comprise. Or l’un cline en Mobilisation citoyenne (qui vise les élus) et en des obstacles est le peu d’estime que certaines Accompagnement au changement social local (ACSL), qui personnes ont pour elles-mêmes. Il faut donc tend à regrouper les habitants pour améliorer les conditions créer les conditions de la confiance. » de vie dans leur quartier ou dans leur ville. Redonner confiance passe aussi par des ac- Pour être efficaces, ces deux modes d’action se fondent sur le Développement du pouvoir d’agir (DPA). Le DPA, très proche de la notion anglo-saxonne UN DES OBSTACLES EST LE d’“empowerment“ (dont la définition varie de “l’injonction à PEU D’ESTIME QUE CERTAINES se prendre en main“ à l’incitation des “habitants à lutter pour PERSONNES ONT POUR ELLES- transformer eux-mêmes les conditions de vie dans leurs MÊMES. quartiers), est, selon le chercheur en psycho-sociologie Yann Le Bossé, « un processus par lequel des personnes accèdent ensemble ou séparément à une plus grande possibilité d’agir tions individuelles. « À Sommières, nous avons sur ce qui est important pour elles-mêmes, leurs proches ou la donné un coup de pouce à une habitante isolée collectivité à laquelle elles s’identifient » en louant pour elle un terrain de 150 m² qu’elle voulait cultiver, témoigne Sylvie Camand. Aujourd’hui, elle échange ses légumes contre les œufs des poules de son voisin, confectionne L’APOSTROPHE, ÉCRIRE des gâteaux qu’elle vend et offre ses produits ET PENSER ENSEMBLE aux personnes qui la logent gratuitement. Le travail lui fait du bien, elle a de nouveau des re- Champ libre Lere d’une personne Revue semestrielle éditée par le Secours éxilée à sa mère lations, et elle se sent moins redevable. » Lignes de vie L’Apostrophe Écrire et penser ensemble Le petit prince Baudouin L’Apostrophe Par Henry Catholique, L’Apostrophe « rend justice De la plume au pinceau Écrire et penser ensemble Écrire et penser ensemble Féminités Les initiatives naissent parfois de bé- Automne 2016 - Cahier n° 1 Hiver 2019 - Cahier n°7 L’Apostrophe névoles sensibilisés aux problèmes des aux pauvres en leur donnant l’opportunité L’homme et la nature : une réconciliation à mener autres. À Velleron, village situé à une dizaine DOSSIER de coucher par écrit leurs galères et leurs L’homme et la nature : de kilomètres d’Avignon, Bernadette et une réconciliation à mener rêves ». Ses textes invitent le lecteur à Pierre Aubert ont constitué un groupe de voir le monde autrement. Collaborateur Hiver 2019 de la première heure, Cyril Bredèche dé- Cahier n° 7 chauffeurs bénévoles : « Une partie de nos voisins n’avaient aucun moyen de se dépla- clare : « Mon investissement au sein du co- mité de rédaction de L’Apostrophe m’a fait Couv.indd 3 19/12/2019 11:22 cer, explique Mme Aubert. Pas de bus, pas de voiture pour aller chez le médecin, auprès retrouver la patience que j’avais perdue et des administrations ou à l’épicerie solidaire. m’a redonné confiance en moi. Apprendre À cinq, tous bénévoles, nous avons organisé le métier de journaliste avec l’équipe de un transport gratuit. Cela leur change la vie. » Messages est une grande chance pour moi, qui rêve de faire de l’humanitaire à Anne-Catherine Berne, responsable du dé- l’étranger. » partement Territoires et développement so- À lire sur lapostrophe.secours- cial au Secours Catholique, compte à ce catholique.org FÉVRIER 2020 - RÉSOLUTIONS 17
COMPRENDRE XAVIER SCHWEBEL / SCCF La Roulotte jour 40 ou 50 actions collectives sur les d’Asie, elles-mêmes imprégnées de la des délices territoires couverts par l’association et an- “théologie de la libération” sud-américaine. profite des nonce que l’objectif de 2020 est d’en créer L’objectif ? Attaquer les problèmes à la racine manifestations 300. À l’initiative du Secours Catholique, ces en donnant à ceux qui les vivent un rôle cen- locales pour se faire connaître. projets sont progressivement voués à deve- tral dans ce combat. nir autonomes. C’est le cas de « “Récit Pro Le plus ambitieux des projets issus de la Cités”, dans le quartier du Luth à Gennevilliers, Roulotte des délices est celui des “Bons où les habitants participent à des ateliers, à Voisins”. Corinne, jeune quinquagénaire des cours d’initiation et à des échanges de dynamique, en parle avec son accent pari- savoirs », explique got d’origine. Elle a Anne-Catherine. Ce passé une grande réseau aujourd’hui partie de sa vie autonome est géré NOUS SOMMES DES ACCOUCHEURS. d’adulte en Espagne par une vingtaine NOUS LES AIDONS À FAIRE VIVRE où elle a eu un en- d’habitants qui LEURS PROJETS. fant et a rencontré vont se constituer son compagnon en association. actuel, un solide « Nous sommes des Allemand surnom- accoucheurs, nous voyons ce que portent mé Merlin. « Nous vivons en caravane, ra- les gens et nous les aidons à faire vivre leurs conte-t-elle. Nous sommes arrivés dans le projets. Dès que l’enfant marche, on n’a plus Gard il y a cinq ans. Le Secours Catholique besoin d’être là », se réjouit Anne-Catherine cherchait un bénévole pour cuisiner. Mon com- qui fut, il y a dix-neuf ans, une des premières pagnon est cuisinier de métier. Une aubaine ! à expérimenter le DPA au Secours Catholique Au contact des personnes rencontrées à la sous l’appellation “Cause commune”. Roulotte, il a appris le français. La Roulotte a été un tremplin. Merlin a trouvé un CDI. Moi “Cause commune”, expérimentation menée j’ai rencontré des gens comme nous, certains de 2001 à 2012 dans la région de Grenoble, vivant en mobile-home. Nous avons décidé de s’est inspirée des méthodes des Caritas nous réunir pour acheter un terrain, y mettre 18 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2020
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