Pro natura magazine - Le surplus d'azote asphyxie les milieux naturels - Accueil pousse-crayon

 
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pro natura magazine

                                   1/ 2019 Janvier

Le surplus d’azote
   asphyxie les milieux naturels
Pro natura magazine - Le surplus d'azote asphyxie les milieux naturels - Accueil pousse-crayon
2                      sommaire
                                                                              Gaz invisibles
                                                                              En Suisse, un excès d’azote,
                                                                              dont la plupart provient de

                                                                                                                 4
                                                                              l’agriculture, atteint nos
                                                                              écosystèmes. Nous montrons
                                                                              comment la nature souffre de
                                                                              cette eutrophisation.

Le Magazine Pro Natura
enfin sans emballage plastique

                                                                                                                                                                                                          Vera Howard
En raison de l’évolution des prescriptions de La Poste
Suisse, le Magazine Pro Natura peut enfin être envoyé
sans emballage plastique. A partir de ce numéro, notre

                                                                                                                                                                      14
magazine paraît avec une couverture en papier épais.
	Notre édition du mois de mars continue d’être en-
voyée dans un emballage, car l’envoi comprend éga-                                                                     Raphael Weber

lement le Magazine Spécial. Il est plus écologique et
plus économique d’expédier les deux numéros en un
seul envoi plutôt que séparément. A l’avenir, ces nu-
méros seront envoyés dans une enveloppe papier. Il en
va de même pour le numéro de mai, que la plupart de                                                                                                                     Sur les traces
nos membres continueront de recevoir dans une enve-                                                                                                                     du loup
loppe avec la lettre d’information.                                                                                                                                     Les loups sont souvent
    La Poste Suisse exige toujours un emballage pour                                                                                                                    beaucoup plus proches
les magazines envoyés à l’étranger. Nos membres à                                                                                                                       de la civilisation qu’on
l’étranger recevront donc chaque magazine Pro Na-                                                                                                                       ne le pense, explique
tura dans une enveloppe.                                                                                                                                                l’expert David Gerke lors
	En raison d’un envoi sans emballage, la feuille de                                                                                                                     d’une randonnée sur les
couverture avec l’adresse qui permettait de comman-                                                                                                                     traces du loup.
der les articles du Shop Pro Natura disparaît. Veuillez
dorénavant utiliser le talon de la page 41 pour vos com-

                                                                                                                              27
mandes.
	Nous vous souhaitons une agréable lecture du Ma-
gazine Pro Natura dans sa nouvelle forme. raw

                                                                                                                                Le nouvel Animal de l’année
                                                                                 r
                                                                              re
                                                                          au

                                                                                                                                Le ver luisant est le nouvel Animal de l’année.
                                                                         rM
                                                                        xte

                                                                                                                                Ce n’est en fait pas un ver, mais un insecte.
                                                                      De

pro natura magazine                                                                                                                                                       est reconnue par le Zewo
 Revue de Pro Natura – Ligue suisse pour la protection de la nature

Impressum : Pro Natura Magazine 1 / 2019. Cette revue paraît cinq fois par an (plus le Pro Natura Magazine Spécial) et est envoyée à tous les membres de Pro Natura. ISSN 1422-6235.
Rédaction : Florence Kupferschmid-Enderlin (fk), rédactrice édition française ; Raphael Weber (raw), rédacteur en chef ; Nicolas Gattlen (nig), rédacteur alémanique. ­
Mise en pages : Vera Howard, Raphael Weber, Florence Kupferschmid-Enderlin. Couverture : illustration Vera Howard.
Ont collaboré à ce numéro : Beat Achermann, René Amstutz, Claudine Bössinger, Daniel Bütler, Michael Casanova (mc), Josephine Cueni (jc), Elisabeth Karrer (ek), Rico Kessler (rke), Marcel Liner (ml),
Sabine Mari, Daniela Pauli, Muriel Raemy, Marcus Ulber (mu), Pierre-André Varone (pav), Sara Wehrli (sw), Rolf Zenklusen. Traductions : Fabienne Juilland, Yves Rosset, Bénédicte Savary.
Délai rédactionnel n°2/2019 : 15.01.2019
Impression : Vogt-Schild Druck AG, 4552 Derendingen. Tirage : 159 000 (115 000 allemand, 44 000 français). Imprimé sur papier recyclé FSC.
Adresse : Magazine Pro Natura, Ch. de la Cariçaie 1, 1400 Cheseaux-Noréaz, tél. 024 423 35 64, fax 024 423 35 79, e-mail : secretariat.romand@pronatura.ch, CCP 40-331-0
Secrétariat central de Pro Natura : case postale, 4018 Bâle, tél. 061 317 91 91 (9 h à 12 h et 14 h à 17 h), fax 061 317 92 66, e-mail : mailbox@pronatura.ch
Régie des annonces : CEBECO GmbH, We­berei­str. 66, 8134 Adliswil, tél. 044 709 19 20, fax 044 709 19 25, cebeco@bluewin.ch. Délai pour les annonces n°2/2019 : 25.01.2019
Pro Natura est membre fondateur de l’UICN – Union mondiale pour la nature et membre suisse de              Friends of the Earth International.

                                                                                                                                                                www.pronatura.ch
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                                                                                éditorial

4         dossier
          4	Excès : l’azote est un élixir de vie, mais trop d’azote crée des   Indispensable et nocif à la fois
             conditions de vie hostiles.

          6	Climat : la pollution excessive par l’azote pollue la qualité de   La biodiversité des milieux sensibles s’appauvrit, la forêt
             l’air et accélère le changement climatique.                        ne parvient plus à assurer certaines fonctions importantes,
          8	Sol : la biodiversité souffre de l’eutrophisation de nos sols,     l’effet de serre augmente, la santé humaine est menacée,
             seules quelques espèces en bénéficient.                            les mers se polluent et de nombreuses sources d’eau po-
          10	Eaux souterraines : en raison de taux excessifs d’azote, notre    table affichent une teneur en nitrate supérieure aux va-
              eau potable est souvent contaminée par des nitrates.              leurs recommandées. Le tableau est sombre. Et nous en
          12	Forêt : l’apport excessif de nutriments rend nos arbres plus      sommes responsables. Depuis 100 ans, les émissions de
              sensibles aux tempêtes, à la sécheresse et aux ravageurs.         composés azotés ont pratiquement décuplé dans le monde.
                                                                                Nos activités en rejettent 180 millions de tonnes par année.
14        rendez-vous                                                              D’une ressource indispensable à la vie, l’azote s’est
                                                                                transformé en un polluant dangereux, notamment par trois
16	en bref                                                                     types d’interventions humaines : l’épandage excessif d’en-
                                                                                grais chimiques dans l’agriculture intensive, la (trop) forte
18 	actuel                                                                     consommation de viande par une population en augmen-
          18 	Contradictoire : en Suisse, la surface non bâtie croît au        tation et les résidus de combustion utilisés pour les trans-
               même rythme que la zone constructible.                           ports, l’industrie et le chauffage.
          20	Laxisme : presque personne ne respecte l’interdiction des            Depuis près de quarante ans, la pollution due à l’azote
              herbicides, mais Berne ne prend pas de mesures efficaces.         a été identifiée comme un problème. La concentration de
                                                                                certains de ses composés a atteint un niveau alarmant
22	nature en images                                                            dans les sols, dans les eaux, dans l’air. Comme souvent,
                                                                                malgré des objectifs fixés et quelques mesures prises pour
27        nouvelles                                                             réduire cette pollution, les progrès restent insuffisants. Le
          27	Ambassadeur : Animal de l’année, le ver luisant met en            volume d’azote disséminé dans la nature demeure trop
              lumière les nombreux problèmes qui déciment les insectes.         élevé en Suisse, comme ailleurs.
          28	Irremplaçable : le Conseil fédéral veut compliquer l’accès           Dans le dossier de ce magazine, nous abordons cette
              au service civil. La nature en souffrirait.                       thématique complexe qui doit occuper une place plus im-
          30	Invasif : seules des barrières peuvent arrêter les espèces de     portante dans la politique environnementale de notre
              crevettes exotiques. Mais cela n’est pas sans conséquences.       pays. Mais dans notre quotidien, nous pouvons réduire
          33	Rénové : l’emblématique Centre Pro Natura d’Aletsch sera          notre empreinte écologique liée à l’azote : en mangeant
              modernisé et bientôt neutre en CO2.                               moins de viande, en achetant des produits labellisés ga-
          34	Films nature : Pro Natura Fribourg donne la possibilité à         rants d’une production sans engrais de synthèse et pauvre
              des jeunes de découvrir la nature par l’image et le son.          en aliments concentrés, en laissant notre voiture au garage,
                                                                                dans la mesure du possible, et en évitant de prendre l’avi-
36        saison                                                                on. Ou encore en choisissant, en cette année électorale,
                                                                                des politiciennes et des politiciens qui s’engagent réelle-
38        service                                                               ment pour la protection de la nature et une politique cli-
                                                                                matique digne de ce nom.
41 	shop
                                                                                FLORENCE KUPFERSCHMID-ENDERLIN, rédactrice romande

42 	cartoon

44        engagement

Pro Natura Magazine 1/2019
Pro natura magazine - Le surplus d'azote asphyxie les milieux naturels - Accueil pousse-crayon
4      dossier

Un élixir de vie devenu poison
mortel pour la biodiversité

Sans azote, il n’y aurait pas de vie sur terre.
Mais l’agriculture intensive et les combustibles fossiles
en génèrent de gigantesques surplus. Dispersés par l’air
et l’eau, les rejets azotés se déposent dans des écosystèmes
sensibles et les asphyxient.

       L’azote est indispensable à la vie : sans lui, il n’y aurait sur terre       Il y a quelque 2,5 milliards d’années, certaines bactéries sont
       ni plantes, ni animaux, et naturellement pas d’êtres humains.            parvenues à fixer l’azote de l’air et à l’absorber. Elles rejettent
       Tous les processus vitaux sont contrôlés par des substances qui          l’azote excédentaire dans le sol, où il est absorbé par d’autres or-
       contiennent de l’azote. On le retrouve dans la structure de base         ganismes. Un cycle pratiquement sans déperdition s’est ainsi mis
       des acides aminés, donc des protéines. Il est présent dans l’ADN,        en place, l’azote – sous ses différentes formes chimiques – mi-
       le détenteur de l’information génétique, ainsi que dans la molé-         grant entre le sol, les plantes, les animaux et les micro-orga-
       cule de chlorophylle, qui donne aux plantes leur couleur verte et        nismes. Durant l’histoire de la terre, il a été absorbé et rejeté par
       leur permet de transformer la lumière du soleil en énergie.              l’organisme des êtres vivants un nombre incalculable de fois.
           Cependant, les plantes et les animaux ne peuvent pas utili-
       ser l’azote sous n’importe quelle forme. Avec l’azote atmosphé-          La révolution de l’ammoniac
       rique élémentaire, qui représente les quatre cinquièmes de l’at-         Avec la révolution industrielle, l’être humain a commencé à
       mosphère, la plupart des êtres vivants ne peuvent rien faire. Ils        rompre ce cycle. La combustion à vaste échelle de charbon, de
       ne l’assimilent qu’à travers des composés tels que le nitrate,           bois, de gaz et de pétrole a produit d’énormes quantités d’oxydes
       l’urée, les acides aminés, etc.                                          d’azote (NOx) qui se sont déposées dans les éco­systèmes. Le dé-
                                                                                règlement du cycle a été parachevé en 1910, lorsque les chimistes
       La foudre et les volcans, sources d’azote                                Fritz Haber et Carl Bosch ont réussi à obtenir de l’azote biodis-
       Pendant longtemps, les éclairs et les éruptions volcaniques furent       ponible, l’ammoniac, à partir d’azote atmos­phérique et d’hydro-
       les seuls phénomènes entraînant la formation d’azote biodispo-           gène. Grâce à leur procédé, il devenait possible de puiser l’azote
       nible. L’énergie titanesque dégagée par ces processus provoque           dans le réservoir illimité de l’atmosphère et de lancer la produc-
       la dissociation des deux atomes d’azote atmosphérique (N2), leur         tion industrielle d’engrais chimiques.
       permettant de constituer de nouvelles liaisons, par exemple avec             L’utilisation d’engrais chimiques entraîne pourtant de graves
       l’oxygène. Les composés s’infiltrent dans le sol avec les eaux de        effets secondaires. Les plantes n’exploitent en effet qu’une par-
       pluie, mais dans une mesure limitée.                                     tie des engrais et rejettent le reste dans le sol, où des micro-­

                                                                                                                                 Pro Natura Magazine 1 / 2019
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dossier               5
Illustrations : Vera Howard

                                                                                                L’azote s’échappe principalement du lisier, des moteurs de voitures
                                                                                                et des systèmes de chauffage au mazout. Tôt ou tard, il atteint les
                                                                                                écosystèmes, parfois à grande distance du lieu d’émission.

    organismes se chargent de le transformer. Nous décrivons dans                            nies à un niveau trop élevé. Elles se montent pratiquement au
    les pages qui suivent les dégâts produits par un apport excessif                         double des valeurs cibles de la Confédération.
     d’azote dans les différents milieux naturels.
                                                                                             Le fond du problème continue à être ignoré
    Le purin dégage de l’azote                                                               C’est avant tout par des conseils et des mesures techniques
   C’est grâce aux engrais chimiques que la production à large                               (rampes d’épandage à tuyaux flexibles) que la Confédération et
    échelle d’aliments concentrés se développe mondialement. L’im-                           les cantons entendent rectifier le tir. Le fond du problème – un
    portation de ces produits a permis à des pays comme la Suisse                            cheptel trop important – n’est pratiquement jamais abordé. En
     de développer un important cheptel avec d’énormes surplus                               conséquence, depuis le milieu des années 1990, l’agriculture
     d’engrais organique. Et un nouveau problème surgit : lorsque                            suisse produit annuellement un excès d’azote de près de 100 000
    l’urine entre en contact avec les fèces et l’air – dans les étables,                     tonnes. Il se dépose dans des écosystèmes sensibles, où il en-
    les cuves de stockage ou lors de l’épandage sur les champs –                             gendre des modifications irréversibles des milieux naturels et
    près de la moitié de l’azote qu’elle contient s’évapore sous forme                       des coûts externes très importants. Dans une prise de position
     d’ammoniac. Une fois dans l’atmosphère, cette substance se dé-                          du 17 août 2016, le Conseil fédéral déclare qu’en Suisse, les
    pose tôt ou tard dans le sol, parfois à grande distance du lieu                          coûts externes des effets négatifs des émissions d’azote (ammo-
     d’émission. Elle mène à la disparition des plantes adaptées à des                       niac, oxydes d’azote, nitrate) sur notre santé et l’environnement
    environnements pauvres en azote comme les tourbières et les                              se situent entre 860 et 4300 millions de francs par an.
    prairies sèches, et fait chanceler les arbres des forêts (voir pages                         Et aucune amélioration n’est en vue. Si les cheptels bovins
     suivantes).                                                                             et porcins ont légèrement baissé depuis quelques années, l’éle-
                              Diffusées par voie aérienne, les émissions d’azote des véhi-   vage industriel de la volaille a explosé : en Suisse, depuis 1985,
    cules à moteur, de l’industrie et des chauffages contribuent éga-                        le nombre de places d’engraissement a triplé. L’OFEV prévoit
    lement à la surfertilisation, ainsi qu’à l’acidification des sols.                       donc une augmentation très nette des importations d’azote
   Elles constituent près d’un tiers de l’« engrais atmosphérique ».                         (fourrages concentrés) d’ici 2020. Une réduction significative des
                              Grâce aux dispositifs d’épuration des gaz d’échappement des    rejets azotés n’est possible qu’au prix d’une diminution dras-
  véhicules contenant un catalyseur, les rejets d’oxydes d’azote ont                         tique du nombre d’animaux de rente, en encourageant les agri-
     diminué de 47 % en Suisse entre 1990 et 2010. Mais la concen-                           culteurs à remplacer l’élevage intensif par une production de
    tration dans l’air n’a guère baissé depuis, probablement en rai-                         viande et de lait à base d’herbages.
     son de la forte augmentation de véhicules diesel. Les émissions
     d’ammoniac de l’agriculture se maintiennent depuis des décen-                           NICOLAS GATTLEN, rédacteur du Magazine Pro Natura.

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6         dossier

La fertilisation excessive
accélère les changements climatiques
Les composés azotés provenant de l’agriculture,
des transports et de la combustion affectent
la qualité de l’air et accroissent l’effet de serre.

          L’air que nous respirons est composé à près de 80 % d’azote ga-       proximité du sol est également dommageable pour nos voies res-
          zeux. Tout azote présent dans l’air n’est cependant pas aussi         piratoires et a des influences négatives sur les plantes. L’ozone
          inoffensif que celui qui s’y trouve naturellement à l’état élémen-    est un composant majeur du smog estival. Il s’en forme égale-
          taire (N2). Les activités humaines influencent fortement la com-      ment dans la stratosphère. A ces altitudes, la couche d’ozone a
          position de l’air. La part de l’azote réactif (Nr) dans l’atmo­       cependant un effet positif, puisqu’elle absorbe le rayonnement
          sphère a ainsi décuplé au cours des 150 dernières années. Les         UV dangereux pour les organismes terrestres.
          oxydes d’azote, l’ammoniac et le protoxyde d’azote ou gaz hila-          Les composés azotés anthropiques contribuent également à
          rant, pour citer quelques-uns des types de composés d’azote           la formation du smog hivernal : les oxydes d’azote et l’ammoniac
          réactif, irritent nos voies respiratoires, entraînent un appauvris-   (NH3) provenant des engrais agricoles contribuent à la formation
          sement de la diversité des espèces et accélèrent le réchauffement     de particules fines. Dix fois plus fines qu’un cheveu, ces pous-
          climatique. Le trafic motorisé, les combustions industrielles et      sières pénètrent profondément dans les poumons et y provoquent
          domestiques et surtout l’agriculture sont à l’origine de cette        des réactions inflammatoires. Depuis 1990, la qualité de l’air s’est
          concentration accrue de composés azotés.                              sensiblement améliorée grâce aux prescriptions plus sévères
                                                                                concernant les véhicules à moteur et l’industrie. Les concentra-
          La cause du smog                                                      tions d’oxydes d’azote, de particules fines et d’ozone demeurent
          La combustion, en premier lieu celle des combustibles fossiles,       cependant trop élevées. Les annonces régulières de dépassement
          rejette des oxydes d’azote (NOx) dans l’atmosphère. Lorsque           des valeurs limites, en été comme en hiver, en témoignent.
          nous les inhalons, ils irritent nos poumons. Les jours ensoleillés
          et sans vent, une partie d’entre eux se combinent avec des com-       L’agriculture peut fortement réduire ses émissions
          posés organiques volatils sous l’action du rayonnement lumi-          Il existe un important potentiel de réduction des émissions
          neux, ce qui produit de l’ozone (O3). La présence d’ozone à           d’azote dans l’agriculture. En effet, l’ammoniac est libéré lorsque

                                                                                                                                Pro Natura Magazine 1 / 2019
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dossier                7

                                                                        Nos prairies et pâturages sont fortement alimentés en azote,
                                                                        même si la terre n’est pas directement fertilisée avec du
                                                                        purin. Peu d’espèces en profitent, la majorité des plantes au
                                                                        contraire disparaissent.

l’engrais de ferme ou de synthèse entre en contact avec l’air. Ce       directement, puisqu’il s’agit d’émissions produites par les éco-
phénomène est à l’origine de l’odeur dégagée par le purin que           systèmes eutrophisés par les dépôts d’azote, comme la forêt.
l’on respire parfois en se promenant à proximité d’un pré ou d’un           Les climato-sceptiques supposaient que les dépôts azotés en-
champ. Cet ammoniac est ensuite emporté par les airs à plus ou          traîneraient un accroissement de la croissance forestière et favo-
moins longue distance avant de se déposer à nouveau.                    riseraient le stockage du CO2. Cet effet a été partiellement obser-
     Le stockage du purin à ciel ouvert, les étables à stabulation      vé. Mais actuellement, on constate aussi que le déséquilibre nu-
libre mal nettoyées des urines et du purin et l’épandage du pu-         tritif renforce l’effet inhibiteur de la sécheresse sur la croissance,
rin et de l’engrais sans mesures de réduction des émissions favo-       chez le hêtre rouge par exemple. De plus, il faudrait pouvoir cap-
risent ce processus. Selon la méthode d’épandage utilisée,              ter d’énormes quantités de CO2 pour compenser les émissions de
jusqu’à 50 % de l’azote présent dans l’engrais finit dans l’air. Au     gaz hilarant, beaucoup plus nocives pour le climat. Pour agir
lieu d’améliorer la productivité du champ ou du pré, un tel épan-       contre les changements climatiques, il vaut donc mieux commen-
dage conduit à la dégradation de la qualité de l’air et entraîne        cer par agir sur les causes – l’agriculture intensive et les énergies
l’eutrophisation de nombreux écosystèmes. En 2016, 93 % des             fossiles – plutôt qu’espérer une compensation par la forêt qui
émissions d’ammoniac provenaient de l’agriculture.                      n’aura pas lieu.
     Cette eutrophisation ne reste pas sans effet sur la nature. De-    JOSEPHINE CUENI est cheffe de projet Réserves naturelles
puis longtemps, les lichens qui vivent sur les arbres sont utilisés     et valorisation des biotopes chez Pro Natura.
comme des bioindicateurs de la qualité de l’air. On a ainsi
constaté une augmentation des lichens qui cherchent l’azote et
une raréfaction ou une disparition des lichens qui l’évitent. La
réaction des lichens est le signe avant-coureur d’une modifica-
tion de la composition des espèces de n’importe quel milieu na-
turel concerné, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des réserves
naturelles.

Fort impact du gaz hilarant sur le climat
Du fait des dépôts par l’air, certaines surfaces qui n’ont jamais été                                « De toute façon
fertilisées souffrent entre-temps également d’un apport excessif                                        je ne peux rien faire »
d’azote. Des chercheurs ont observé que dans certains sols fores-
tiers jusqu’ici intacts, il se produisait un phénomène connu uni-
quement pour les surfaces agricoles surfertilisées, compactées ou
                                                                                               Conseil 1 : mangez moins de viande !
engorgées : l’azote se volatilise sous forme de gaz hilarant (pro-                             Les Suissesses et les Suisses consomment trop de viande
toxyde d’azote, N2O). C’est alarmant, car le protoxyde d’azote a                               et de produits laitiers. Conséquence : de nombreux
                                                                                               problèmes de santé et des écosystèmes pollués par
une forte incidence sur le climat.
                                                                                               les rejets d’ammoniac, un composé azoté réactif. Plus
     Présent en très faibles quantités dans l’atmosphère, le gaz hi-                           il y a d’animaux de rente dans une région, plus la
larant a un effet 298 fois plus puissant que le CO2 sur le réchauf-                            concentration d’ammoniac y est élevée. Réduire notre
                                                                                               consommation de protéines animales est donc non
fement climatique. Il subsiste longtemps dans l’atmosphère et ren-                             seulement bon pour notre santé, mais aussi pour la
force l’effet de serre en absorbant le rayonnement infrarouge.                                 nature. Il est d’ailleurs possible de consommer de la
     L’agriculture est ici aussi le principal responsable, puisqu’en-                          viande en toute bonne conscience, qu’elle soit achetée
                                                                                               au marché, en vente directe ou au supermarché, pour
viron 65 % des émissions de gaz hilarant en Suisse proviennent                                 autant que l’on veille à ce qu’elle provienne d’animaux
directement de sols fertilisés en excès. 20 % en proviennent in-                               élevés sur pâturage.

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8             dossier

Les sols ne supportent pas tout
Les sols fournissent de multiples services écosystémiques. L’azote
qui y est présent joue un rôle central pour les organismes. Ils doivent
en intégrer pour leur croissance et leur fonctionnement. Mais un
excès d’azote provoque des perturbations écologiques importantes.

              Dans les sols forestiers suisses, plus de 90 % de l’azote est stocké
              dans la matière organique. Par le recyclage de la matière organique
             – litière végétale, cadavres, déjections – l’azote retourne dans les
              réseaux alimentaires. Deux formes principales d’azote inorganique
              se trouvent dans les sols : l’ammonium représente la source prin-
              cipale d’azote pour les micro-organismes et les champignons ; les
              plantes absorbent surtout du nitrate qui leur est fourni par des
              bactéries qui oxydent l’ammonium.

              Orties et ronces prolifèrent
              Les sols forestiers peuvent, dans une large mesure, fixer les dé-
              pôts d’azote atmosphérique, mais cette capacité est limitée : sur
              le Plateau et au Tessin, près de la moitié des nitrates finit dans
              les nappes phréatiques. Dans les années 1980 déjà, des études
              ont montré qu’une charge croissante d’azote dans les sols fores-
              tiers conduit à une baisse du nombre d’espèces de champignons
              mycorhiziens liés aux racines des hêtres ; et tant la densité de          Dans les terres agricoles, les engrais minéraux (à base, entre
              mycélium que la part de racines mycorhizées diminuent. Dans            autres, de nitrates, d’ammonium et d’urée) sont les plus utilisés.
              les sous-bois, les espèces de plantes peu sensibles à des taux         S’ils offrent des rendements rapides, ils présentent de gros dés­
              d’azote élevés dans le sol – c’est le cas des orties et des ronces     avantages pour les sols sur le long terme : ils apportent unique-
             – se propagent et gagnent en biomasse, alors que les espèces sen-       ment des éléments minéraux aux sols, mais aucun élément orga-
              sibles diminuent. Une situation qui induit une surexploitation         nique pourtant si important pour la qualité, la fertilité et les ac-
              du phosphore dans les sols et peut conduire à des carences,            tivités biologiques des sols.
              comme on l’observe depuis quelques années dans les forêts de              Selon des données récentes, entre 100 et 540 kg N/ha/an par-
              hêtres d’Europe centrale.                                              viennent dans les sols agricoles via les dépositions atmosphé-
                                                                                     riques, la fixation biologique et la fertilisation azotée. Et entre 1
                                                                                     et 70 kg N/ha/an s’échappe des sols agricoles dans l’atmosphère
                                                                                     sous forme d’ammoniac et de gaz hilarant, notamment par l’uti-
                                                                                     lisation de techniques d’épandage de lisier et de purin inappro-
                                                                                     priées. La forte fertilisation azotée entraîne une acidification des
« De toute façon                                                                     sols et le lessivage de grandes quantités de nitrate et d’autres nu-
    je ne peux rien faire »                                                          triments que les plantes ne peuvent absorber, et génère des émis-
                                                                                     sions élevées de gaz hilarants en provenance des sols. Les sols
                                                                                     s’appauvrissent, les eaux sont polluées.
Conseil 2 : achetez des produits labellisés !
En achetant systématiquement des produits Bourgeon
Bio Suisse ou Demeter, vous contribuez à préserver                                   La diversité biologique recule
l’environnement. Ces deux labels sont en effet garants                               Le labour d’une prairie peut aussi émettre une quantité consi-
d’une production sans engrais de synthèse et d’un achat
                                                                                     dérable de gaz hilarant. Les pelouses, pâturages et prés non fer-
limité de fourrage concentré. Les exigences du label
IP-Suisse sont également louables. La solution la plus                               tilisés par l’agriculture ne cessent de s’enrichir via les dépôts at-
écologique est de faire ses achats au marché hebdomadaire                            mosphériques azotés : les graminées nitrophiles sont en augmen-
chez les producteurs qui appliquent les règles d’un label, à
                                                                                     tation partout, alors que les orchidées et autres plantes des sols
condition toutefois de ne pas s’y rendre en voiture.

                                                                                                                                      Pro Natura Magazine 1 / 2019
Pro natura magazine - Le surplus d'azote asphyxie les milieux naturels - Accueil pousse-crayon
dossier                  9

                                                                         L’azote atteint aussi les sols forestiers, ce qui
                                                                         rend les arbres plus vulnérables aux tempêtes,
                                                                         à la sécheresse et aux parasites.

                                                                            La technologie à elle seule
                                                                            ne suffit pas
                                                                            L’agriculture est responsable de 95 % des émissions d’am-
                                                                            moniac en Suisse. Dans l’immédiat, cette situation ne va
                                                                            pas changer. De nouvelles méthodes d’épandage de l’en-
                                                                            grais de ferme ont certes permis de diminuer les émissions,
                                                                            mais cette baisse est annulée par l’augmentation massive
                                                                            des exploitations avicoles et par la construction d’étables à
                                                                                              Solupien estiunt, cuptatiunt mvolore inihicillo
                                                                            stabulation libretorernat
                                                                                               où, pouressit,
                                                                                                         des cor
                                                                                                              raisons  d’économie,
                                                                                                                  aliquiam           des me-et
                                                                                                                           escienia veliquis
                                                                            sures modernesas   destinées   à réduireintium
                                                                                                 de am fugitectem     les émissions  d’azote
                                                                                                                           elis estions ectur,
                                                                                              coneture quatur sed es re, simagnat facerro
                                                                            n’ont pas été prises.
                                                                                              que rercide liquosamus necab im estiis quatem.
                                                                               « Dans le cas où l’augmentation de l’efficience ne suffit
                                                                            pas, il faut envisager une réduction de l’intensité de la pro-
                                                                            duction », notait le Conseil fédéral en 2013, dans un rap-
                                                                            port sur les objectifs environnementaux en agriculture. Si
maigres diminuent et finissent sur la Liste rouge. Les pâturages            cette formulation prudente devait effectivement être mise
et prés secs d’importance nationale pourront-ils préserver leurs            en œuvre, il faudrait réduire les effectifs d’animaux de rente
cortèges floristiques et faunistiques uniques face à cette eutro-           dans plusieurs cantons.
phisation continuelle ?                                                        Depuis le milieu des années 1980, des progrès impor-
     Les résultats scientifiques récents sont formels : les sols agri-      tants ont été réalisés en ce qui concerne les émissions
coles riches en biodiversité – qui renferment des bactéries fixa-           d’oxydes d’azote, notamment grâce aux catalyseurs pour
trices d’azote, des champignons mycorhiziens, des vers de terre,            les moteurs, à la technique DeNOx pour les installations de
etc. – perdent moins de nutriments par lixiviation et émettent              combustion industrielles et aux chaudières LowNOx pour les
moins de gaz hilarant dans l’atmosphère. Mieux : dans ces condi-            immeubles. Des valeurs limites d’émissions plus strictes ont
tions, les plantes utilisent plus efficacement les nutriments du            bien été fixées pour les moteurs Diesel, mais les manipula-
sol, dont l’azote. Les plantes légumineuses (le trèfle par exemple),        tions illégales des constructeurs d’automobiles et les com-
dont les racines forment des symbioses avec des bactéries fixa-             bines légales utilisées pour l’épuration des gaz d’échappe-
trices d’azote, sont indispensables pour une production agricole            ment font qu’en réalité, elles sont nettement dépassées.
qui renonce à tout engrais de synthèse.                                        Au total, le trafic routier est responsable de la moitié de
     Les sols sont uniques, non renouvelables et ont de plus en             la pollution de l’air par les oxydes d’azote. L’effet des amé-
plus de mal à fournir les services écosystémiques. Il serait bien-          liorations techniques, lorsqu’elles sont effectivement em-
venu de changer de paradigme, dans l’agriculture notamment,                 ployées, est cependant atténué par l’augmentation conti-
pour les préserver. L’agriculture biologique ou l’agroécologie              nue du nombre de véhicules. L’an dernier, la barre des six
sont de bonnes voies pour réduire la lixiviation de l’azote, mais           millions de véhicules immatriculés a été dépassée pour la
ces systèmes de production sont encore trop marginaux, tout                 première fois en Suisse. De plus, le nombre de véhicules
comme les pratiques et l’utilisation de techniques agricoles mi-            lourds particulièrement gourmands en carburant et très
nimisant les pertes d’azote dans l’atmosphère (par exemple les              polluants est en constante augmentation. En 2017, presque
pendillards).                                                               une voiture neuve sur deux était un véhicule 4 x 4 nocif
RENÉ AMSTUTZ est chef de projet Réserves naturelles et promotion
                                                                            pour le climat. ml / mc
des espèces chez Pro Natura. Il est spécialiste des sols.

Pro Natura Magazine 1 / 2019
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                                                                                                                    De grandes quantités d’azote
                                                                                                                    finissent dans les océans via
                                                                                                                    nos fleuves ; chaque année,
                                                                                                                    des dizaines de milliers
                                                                                                                    de tonnes d’azote sont
                                                                                                                    transportées par le Rhin.

Des
Des substances
    substances indésirables
               indésirables dans
                            dans les
                                 les eaux
                                     eaux
Dans certaines régions, plus de la moitié des eaux souterraines présentent
une trop forte concentration en nitrate. En cause : les apports excessifs d’azote.
La Suisse contribue en outre de manière significative à l’eutrophisation des océans.

         Dans nos sols, des micro-organismes s’activent pour transformer       Le problème vient d’un apport excessif de phosphore, dont l’ori-
         l’azote superflu en nitrate. Sous l’effet du ruissellement, ce com-   gine est ici aussi, entre autres, l’agriculture intensive. Des concen-
         posé très mobile migre dans les eaux souterraines. Plus les           trations trop élevées de phosphore entraînent une prolifération
         champs et les terres arables sont soumis à une fertilisation inten-   des algues. De ce fait, certains lacs comme celui de Baldegg
         sive, plus les eaux sont polluées par le nitrate.                     doivent être aérés artificiellement depuis des décennies, sans quoi
            En Suisse, près de 80 % de l’eau potable vient des eaux sou-       ils mourraient d’asphyxie.
         terraines. Jusqu’à présent, les pouvoirs publics n’ont pas consi-
         déré sa teneur en nitrate comme problématique, si ce n’est pour       Enormes apports de nitrate dans le Rhin
         les nouveau-nés et les femmes enceintes. Le nitrate peut cepen-       Dans la mer, le facteur limitant n’est pas le phosphore, mais sur-
         dant se changer en nitrite et en nitrosamines dans notre orga-        tout l’azote, qui y déploie ses effets fertilisants, stimule la crois-
         nisme, des substances cancérigènes loin d’être inoffensives. Une      sance des algues et dégrade la qualité des eaux, en particulier
         étude publiée en février dernier par un groupe de chercheurs da-      dans les zones littorales. Via nos fleuves, nous rejetons
         nois a établi un lien entre la présence de nitrate dans l’eau po-     d’énormes quantités d’azote dans les océans – le Rhin à lui seul
         table et un risque sensiblement plus élevé de développer un can-      en charrie plusieurs dizaines de milliers de tonnes chaque
         cer colorectal, ceci dès 3,87 mg par litre (mg/l).                    année.
                                                                                   Vis-à-vis des états côtiers et de la protection des milieux ma-
         Valeurs critiques sous les terres arables                             rins, la Suisse a donc une responsabilité qui va bien au-delà de
         Dans notre pays, la quantité de nitrate autorisée dans l’eau du ro-   ses frontières. Conformément aux objectifs environnementaux
         binet ne doit pas dépasser 40 mg/l. Pour les eaux souterraines        pour l’agriculture fixés par la Confédération, les apports d’azote
         dont elle provient, l’exigence chiffrée est fixée à 25 mg/l. A de     issus de l’agriculture dans les plans d’eau devraient être réduits
         nombreux endroits, les taux mesurés dans le cadre de l’observa-       de 50 % par rapport aux niveaux de 1985. A ce jour, la réduction
         tion nationale des eaux souterraines (Naqua) sont plus élevés –       n’est que de 25 %. Il est donc urgent d’améliorer encore le trai-
         sous les terres arables en presque la moitié de tous les points de    tement des eaux usées et de réduire les apports d’azote prove-
         mesure. Ces chiffres montrent clairement qu’il est urgent de ré-      nant de l’agriculture.
         duire les apports excessifs d’azote de l’agriculture.
            Nos eaux de surface sont quant à elles menacées par la sur­        MICHAEL CASANOVA est responsable du dossier
         abondance de nutriments, un phénomène nommé eutrophisation.           Protection des eaux chez Pro Natura.

                                                                                                                                Pro Natura Magazine 1 / 2019
« De toute façon
                                                               		     je ne peux rien faire »
                                                                    Conseil 3 : évitez les dévoreurs d’énergie, si possible pas
                                                                    d’avion !
                                                                    L’amélioration technique des moteurs à combustion a certes
                                                                    permis de diminuer les émissions d’oxydes d’azote. Dans
                                                                    l’ensemble, les concentrations d’oxydes d’azote, d’ozone et
                                                                    de particules fines demeurent cependant à un niveau élevé
                                                                    alarmant et sont fortement dommageables pour la santé.
                                                                    Se déplacer à vélo ou à pied, utiliser les transports publics pour
                                                                    les longues distances et ne pas prendre l’avion est le meilleur
                                                                    moyen de préserver l’environnement. Si l’on ne peut renoncer
                                                                    à la voiture, il faut privilégier un modèle qui consomme peu.
                                                                    Les véhicules de luxe qui affichent des performances de
                                                                    puis­­­­­­­­­sance grotesques polluent l’environnement. Les voitures
                                                                    électriques puissantes sont aussi problématiques. Elles
                                                                    n’émettent certes aucune pollution, mais leur construction
                                                                    et leur fonctionnement nécessitent des quantités absurdes
                                                                    d’énergie.

« Les animaux de rente et les
importations de fourrage sont
au cœur du problème »
Sabine Braun étudie depuis plus de trente ans l’état des forêts suisses.
Elle peut aujourd’hui l’affirmer avec certitude : les apports élevés d’azote
inhibent la croissance de nos arbres et les rendent plus vulnérables
à la sécheresse, aux intempéries et aux parasites.

                                           Magazine Pro Natura : lorsque vous             moniac et le transforment en nitrate, pro-
Stratégie en demi-teinte                   dites à des profanes que vous menez            duisant ainsi un acide.
et inefficace                              des recherches sur la pollution azotée,
                                           ont-ils seulement la moindre idée de           Quels sont les dégâts causés par cet
La première stratégie nationale visant     ce que vous étudiez ?                          acide dans les forêts ?
une démarche coordonnée en matière         Sabine Braun : je dois généralement com-       Il entraîne la disparition des vers de terre,
d’azote date de 1996. Si elle a donné      mencer par expliquer pourquoi nous reje-       il augmente le risque que les arbres soient
des résultats réjouissants du point de     tons trop d’azote, dire que cette substance    déracinés par une bourrasque …
vue de la Confédération, ceux-ci restent   pénètre dans le sol et qu’elle y déséqui-
insuffisants du point de vue de la pro-    libre complètement le régime alimentaire       … parce que les racines ne pénètrent
tection de la nature. Dans le domaine      de la végétation.                              plus aussi profondément dans le sol ?
des transports, les rejets ont diminué                                                    Exactement.
de 40 % entre 1985 et 2000. Au cours       Sommes-nous trop peu conscients du
de la même période, les émissions d’am-    fait que l’azote se propage par les airs       Quelles sont les autres conséquences
moniac ont baissé de 19 %. Alors que la    et atteint les forêts et les prairies al-      de cet excès d’azote ?
pollution due aux oxydes d’azote rejetés   pines qui n’ont pourtant jamais été            Un déséquilibre alimentaire. Chez les
par le trafic recule lentement, celle de   engraissées ?                                  hêtres, nous observons de fortes carences
l’ammoniac demeure à un niveau élevé.      Beaucoup de gens l’ignorent, en effet.         en magnésium.
Sans limitation claire des importations    Cette substance, qui donne au purin son
de fourrage concentré, sans réduction      odeur caractéristique, se retrouve plus        A quoi remarque-t-on ce déficit ?
des effectifs de bétail dans les cantons   tard dans les sols forestiers. Même des        Les feuilles se colorent en jaune entre les
concernés, sans mise en œuvre obliga-      personnes possédant de bonnes connais-         nervures.
toire de toutes les mesures techniques     sances en chimie ont parfois du mal à se
connues et sans changement de nos ha-      représenter qu’un composé chimique al-         Constate-t-on de ce fait une diminu-
bitudes de consommation, les objectifs     calin comme l’ammoniac soit responsable        tion des populations de hêtres ?
ne pourront être atteints. ml              de l’acidification du sol. Celui-ci contient   Pas forcément, mais ils perdent en vitali-
                                           des micro-organismes qui oxydent l’am-         té. De façon générale, nos investigations

Pro Natura Magazine 1 / 2019
« De toute façon
    je ne peux rien faire »
Conseil 4 : votez en faveur de l’environnement !
Favorisons-nous une agriculture intensive
ou des exploitations bio avec les paiements
directs ? Soutenons-nous le développement des
transports publics ou la construction
de nouvelles autoroutes ? Devons-nous taxer
davantage les voitures particulièrement
polluantes ? Nous avons plus d’influence sur ces
                                                           plus sensibles à la sécheresse. La crois-
questions que ce qu’on pense généralement.
Actuellement, la droite bourgeoise, peu                    sance du tronc a beaucoup diminué chez
préoccupée par les questions environnementales,            les hêtres depuis les années 1980. Nous
dispose d’une courte majorité aux Chambres
fédérales. Un changement lors des prochaines
                                                           pouvons nous appuyer sur des données
élections fédérales pourrait fortement influencer          chiffrées pour montrer que l’action conju-
la politique environnementale de notre pays. Le            guée du réchauffement climatique et d’un
site ecorating.ch vous permet de savoir quels
partis et quels politiciennes et politiciens de            excès d’azote y a fortement contribué.
votre canton s’engagent réellement
pour l’environnement.                                      Cette évolution profite-t-elle à certains
                                                           végétaux ?
                                                           Lorsqu’on trouve des orties dans la forêt,
                                                           cela signale une trop forte concentration
                                                           d’azote dans le sol. Idem pour les ronces,
                                                                                                          Sabine Braun est biologiste et dirige l’Insti-
              montrent que l’excès d’azote affaiblit les   qui prolifèrent sur des terrains très acides   tut de biologie végétale appliquée (IAP). Sur
              arbres et les rend plus vulnérables aux      riches en azote.                               mandat de plusieurs cantons, celui-ci mesure
                                                                                                          depuis plus de 30 ans l’état de nos forêts à
              parasites.                                                                                  partir de 190 sites d’observation en Suisse.
                                                           Et ces ronces qui envahissent les sols         www.iap.ch
              Sont-ils moins résistants face aux           nuisent au renouvellement de la forêt ?
              effets du changement climatique ?            Oui, et elles entravent les déplacements des   Où trouve-t-on, en Suisse, les plus
              Tout à fait, nos études le prouvent. Nous    animaux et des humains. Les forestiers         grandes concentrations d’azote ?
              constatons que les arbres sont plus sou-     doivent d’abord dégager le sol avant de        En Suisse centrale, où les émissions sont
              vent arrachés par les tempêtes, mais aussi   pouvoir se mettre au travail.                  produites par les nombreux élevages de
                                                                                                          porcs. Et au Tessin, qui fait les frais des
                                                                                                          énormes quantités d’azote en provenance
Les oxydes d’azote sont des composés réactifs de l’azote et sont                                          de la Plaine du Pô en Italie.
principalement émis par les moteurs de voitures et les systèmes
de combustion à huile. Ce qui produit entre autres de l’ozone et des
particules fines, que nous inhalons. Les oxydes d’azote contribuent                                       Que répondez-vous à ceux qui mettent
également à l’eutrophisation des écosystèmes.                                                             en doute les résultats de vos recher­
                                                                                                          ches en rétorquant que la mort annon-
                                                                                                          cée des forêts n’a jamais eu lieu ?
                                                                                                          Ces gens ont oublié que les nombreuses
                                                                                                          mesures prises dans les années 1980 ont
                                                                                                          permis une réduction considérable des
                                                                                                          substances polluantes qui attaquaient les
                                                                                                          forêts. La désulfuration des huiles de
                                                                                                          chauffage et des installations industrielles
                                                                                                          a porté ses fruits, tout comme la générali-
                                                                                                          sation des catalyseurs pour les voitures et
                                                                                                          des systèmes de dénitrification dans l’in-
                                                                                                          dustrie. Sans cela, la situation des forêts
                                                                                                          serait bien pire aujourd’hui. Du côté des
                                                                                                          agents polluants, l’agriculture est le seul
                                                                                                          secteur à n’avoir pas été véritablement
                                                                                                          mis à contribution jusqu’ici.

                                                                                                          Où y a-t-il encore, selon vous, un
                                                                                                          potentiel d’amélioration ?
                                                                                                          L’utilisation de rampes à tuyaux souples
                                                                                                          pour l’épandage des engrais liquides et la
                                                                                                          couverture des fosses à purin sont deux

                                                                                                                                   Pro Natura Magazine 1 / 2019
mesures efficaces. Le service de l’hygiène      à propos
de l’air du canton de Lucerne a calculé
qu’en recouvrant toutes les fosses à purin
                                                Les menus avec le plus de viande
du canton, on diminuerait les émissions
                                                ne devraient pas être primés
d’ammoniac de 10 %. La mesure est peu
coûteuse, mais la volonté politique ne suit     L’émission « Mini Beiz, dini Beiz » est diffusée chaque jour ou-
pas.                                            vrable à 18 h 15 sur SRF1. Le principe : cinq clients réguliers se
                                                présentent mutuellement leur bistrot préféré et évaluent l’am-
Ne se contente-t-on pas de lutter               biance, le repas et le rapport qualité-prix. Le meilleur bistrot et
contre les symptômes d’un mal plus              son fidèle client sont récompensés. Quel est le rapport avec le
profond ? Alors qu’il faudrait réduire          problème de l’azote ? J’y arrive. Mais faisons d’abord un petit
le nombre d’animaux de rente ?                  saut en arrière.
A elles seules, les mesures techniques per-        Il y a environ 2,5 milliards d’années, les premiers micro-­
mettent déjà de bons résultats. Nous            organismes ont réussi à exploiter l’azote qui abondait dans l’air.
constatons une modification sensible du         L’azote devenait désormais disponible pour d’autres organismes
taux d’acidité du sol dans les cantons qui      également et la diversité de la vie sur terre a explosé. Plus la
encouragent l’épandage avec des pen-            quantité d’azote présente dans les écosystèmes était élevée,
dillards. Mais le nœud du problème est bel      mieux c’était pour la biodiversité – ce principe a fonctionné
et bien la taille du cheptel et l’importation   pendant très longtemps.
de grandes quantités de concentrés fourra-         Depuis la production industrielle d’engrais, l’azote est pré-
gers. Un paysan diminue ses émissions           sent en excès. Presque tous les biotopes suisses, y compris
d’azote en renonçant à nourrir ses bêtes        ceux qui ne sont pas fertilisés activement, présentent aujour­
avec du fourrage étranger et en ne possé-       d’hui un taux trop important d’azote.
dant pas plus de bêtes que son domaine             Un petit nombre de plantes prospérant sur les sols gras en
peut en nourrir.                                profitent. En revanche, les plantes des sols maigres, les espèces
                                                rares et spécifiques à certains milieux, disparaissent. Aussi loin
Devra-t-on s’accommoder des rejets              que porte votre regard, les prairies arborent un vert vif et uni-
azotés des pratiques actuelles ?                forme, entaché du jaune des pissenlits et des boutons d’or. Les
Non, la pression se maintient en faveur         prairies d’antan ont perdu leur splendeur colorée. Dans les bas-
d’une réduction. La nouvelle loi sur l’agri-    marais, la densité des espèces végétales ne cesse de diminuer
culture amorce un virage dans la bonne          avec l’augmentation de la concentration de nitrates dans le sol.
direction : les subventions fixes versées       L’azote, qui a jadis favorisé le développement de la biodiversité,
pour chaque tête de bétail sont rempla-         signe aujourd’hui la mort de cette diversité.
cées par des contributions d’encourage-            On sait comment réduire les excédents d’azote : d’abord en
ment variant en fonction des surfaces           réduisant les cheptels et en diminuant significativement les im-
cultivées et des mesures prises pour pro-       portations d’aliments concentrés, mais aussi en utilisant effica-
téger l’environnement.                          cement les engrais et en gérant les sols de manière à favoriser
                                                une vie riche et diversifiée. En tant que consommateurs, nous
Revenons au début de notre conversa-            pouvons contribuer de manière décisive à l’amélioration de la
tion : quel est votre conseil à ceux qui        situation en consommant des quantités modérées de viande
veulent contribuer à une réduction de           produite de manière durable et en payant un prix adéquat.
la pollution azotée ?                              Ce qui nous ramène à l’émission « Mini Beiz, dini Beiz ».
D’abord, manger moins de viande. Et             Dans la plupart des cas, le grand vainqueur est le restaurant
consommer de préférence de la viande de         qui sert des portions particulièrement importantes de viande à
bœuf de pâturage. L’azote que nous im-          des prix particulièrement bas. Au lieu de récompenser un com-
portons via les fourrages à base de soja fi-    portement néfaste pour l’environnement, il serait plus oppor-
nit dans les sols ou les eaux souterraines      tun que la télévision publique fournisse des informations tan-
et surcharge nos écosystèmes.                   gibles sur les conséquences d’une consommation excessive de
RAPHAEL WEBER, rédacteur en chef                viande.
du Magazine Pro Natura.
                                                DANIELA PAULI est membre du Comité central de Pro Natura.

Pro Natura Magazine 1 / 2019
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