QUELLES SOLUTIONS DES INDUSTRIELS PEUVENT-ILS APPORTER
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QUELLES SOLUTIONS DES INDUSTRIELS PEUVENT-ILS APPORTER AUX PROBLÈMES ÉNERGÉTIQUES? (*) parYVES BAMBERGER Directeur EDF R&D, membre de l’Académie des Technologies et BERNARD ROGEAUX Conseiller de Synthèse à EDF R&D Nos modélisations montrent des tensions énergétiques liées au pétrole à un horizon qui citoyen veut des énergies accessibles au plus ne devrait pas dépasser 2015-2020. Un recours massif au charbon apporterait une grand nombre, qui ne dégradent pas l’envi- solution qui ne serait que provisoire, avec un pic fossiles possible dès 2040-2050. Ce ronnement et laissent une situation viable recours au charbon pourrait aggraver considérablement le choc climatique en cours. aux générations futures, et chaque individu, Les acteurs industriels souhaitent proposer des solutions techniques pour construire un comme d’ailleurs chaque décideur poli- monde énergétique soutenable. Mais ces solutions ne se déploieront que difficilement: tique, compose au mieux entre ces deux elles représentent un surcoût conséquent, que nous chiffrons à environ 2% du PIB, et positions… surtout elles nécessitent un délai de 30 ans au moins pour être déployées massivement. L’industriel, pour sa part, cherche à propo- De plus, elles devront être complétées dans nos pays par un nécessaire effacement de la ser des solutions énergétiques viables pour demande, qui ne pourra être obtenu que par des efforts de sobriété. Ces solutions ne se faire face à la demande énergétique: ces développeront donc que dans le cadre de plans d’urgence acceptés par les populations. solutions doivent à la fois être économiques, L’Europe, dont la position est la plus fragile, devrait agir très rapidement pour sécuriser respecter les contraintes environnementales son approvisionnement énergétique. La question du CO2 elle, ne peut se régler qu’au présentes et anticiper au mieux les niveau mondial et sera de plus en plus liée aux usages du charbon. Pour nous, la contraintes futures. Le plus souvent, il est ressource la plus rare du monde énergétique, c’est le temps dont nous disposons pour amené à réaliser des investissements très assurer les nécessaires transitions. lourds du type centrales électriques, raffine- ries ou réseaux qui ne se rentabiliseront qu’en plusieurs décennies. Il est préférable, lorsqu’on investit des milliards d’euros par an, d’anticiper les futures tensions et de ne pas trop se tromper sur les évolutions pos- sibles de la demande, ni sur la disponibilité I. — LES INDUSTRIELS et le coût des énergies primaires. SONT DANS L’OBLIGATION D’ANTICIPER DE MANIÈRE PRAGMATIQUE L’AVENIR ÉNERGÉTIQUE (*) Les propos contenus dans cet article n’engagent que leurs auteurs. Chacun a sa propre approche des questions Les auteurs tiennent à remercier F. AILLERET, M. ALLÈGRE, énergétiques: le consommateur final veut P. CASEAU, P.-N. GIRAUD, J.-M. MARTIN, H. PRÉVOT pour leurs une énergie disponible et peu coûteuse, le remarques et leurs suggestions. Revue de l’Énergie, n° 575, janvier-février 2007 5
Les problèmes auxquels futur, nous saurons aussi construire des sur- dans le cadre de plans d’urgence, la décision nous sommes confrontés générateurs, et probablement des centrales était prise par exemple d’isoler tous les bâti- ont des solutions techniques… charbon avec capture – stockage du CO2, ments en France pour réduire les besoins de susceptibles d’être déployés sur une grande chauffage (5) et d’installer sur toutes les toi- Les problèmes liés à l’avenir énergétique échelle ; tures des panneaux solaires thermiques sont maintenant bien connus du grand — il sera enfin possible de se passer de pétrole (pour l’eau chaude sanitaire) et photovol- public: raréfaction annoncée des énergies dans les transports: les véhicules peuvent uti- taïques (pour l’électricité), nous nous trou- fossiles peu coûteuses, et en tout premier liser des biocarburants, si possible de 2ème verions face à deux difficultés incontour- lieu du pétrole, et aussi réchauffement cli- (ou 3ème ?) génération (2), et/ou de l’électri- nables: financer les coûts des travaux (6), matique lié aux émissions de CO2 et autres cité prélevée sur le réseau ou sur des gaz à effet de serre. Il est maintenant mieux éoliennes ou des panneaux photovoltaïques connu aussi que la raréfaction du pétrole délocalisés, voire même demain de l’hydro- pourrait augmenter – et non réduire – les gène (3). émissions de CO2 : pour fabriquer des car- burants liquides, la seule solution indus- Au final, de nombreuses solutions tech- triellement mature susceptible d’être niques existeront donc, qui permettront de (1) Une surface correspondant à un carré de 500 km de côté déployée sur une grande échelle et rapide- construire un monde énergétique viable, dans le désert du Sahara couverte de panneaux photovol- ment dans le monde est la liquéfaction du sans pétrole et sans émissions de CO2. taïques produirait plus d’énergie que tout ce qui est consommé dans le monde aujourd’hui. charbon, laquelle émet près de trois fois plus de CO2 que le pétrole pour un volume … mais ces solutions (2) Les biocarburants de première génération sont produits aujourd’hui par les procédés classiques de fermentation alcoo- donné de carburant liquide. ont des problèmes! lique ou estérification (rendement net inférieur à 1 tep/ha sous nos latitudes). La gazéification de la biomasse et la synthèse Toutefois, de nouvelles techniques en cours Le premier problème, c’est que ces solutions Fischer Tropsch devraient permettre de meilleurs rendements (2 à 3 tep/ha) et correspondent à la prochaine 2ème généra- de développement proposent ou propose- ne sont pas aujourd’hui économiquement tion. Les rendements à l’hectare seraient encore augmentés ront des solutions pour les problèmes éner- compétitives et elles ne se développeront (jusqu’à 4 ou 5 tep/ha?) si la chaleur et l’hydrogène néces- gétiques auxquels nous sommes confrontés: donc pas spontanément par le seul jeu du saires à la synthèse étaient apportés par une filière externe: cette 3ème génération est encore au stade de la recherche. — il est techniquement possible de diviser par marché. Elles sont souvent souhaitées par le (3) Dont l’intérêt par rapport à l’électricité est une meilleure deux les consommations énergétiques à service citoyen soucieux du futur, mais en tant que stockabilité, mais dont l’inconvénient est un coût d’utilisation consommateur, il n’accepte que difficile- inévitablement élevé du fait du faible rendement global du vec- énergétique identique: par exemple isoler les teur hydrogène: pour le même nombre de kilomètres parcou- logements existants pour les amener aux ment de financer les surcoûts qui leur sont rus, il faudrait installer pour produire l’hydrogène au moins standards du neuf actuel, et les chauffer avec associés et il accepte encore moins de renon- deux fois plus d’éoliennes ou de centrales nucléaires que celles qui seraient nécessaires si l’électricité est injectée directement 90 kWh par an et par m2 contre 180 aujour- cer, pour économiser l’énergie, à consom- dans les batteries. Pour les trajets de courte distance, l’électrifi- d’hui en France, utiliser des voitures qui mer des objets ou services dont le coût cation directe des véhicules (voitures électriques, hybrides consomment 3,5 litres/100 km contre une énergétique ne représente en moyenne que rechargeables, mais aussi vélos électriques) restera plus écono- mique, malgré le coût élevé des batteries. moyenne du parc français à 7 litres/100 km, 5% du coût total (4). (4) Le coût du pétrole dans un trajet automobile ou aérien utiliser des appareils multimédias et un éclai- L’autre problème, encore plus important court courrier ne dépasse pas 10% du coût total. rage plus performant, etc. Il est même pos- mais souvent oublié, c’est que ces solutions (5) On construit actuellement 400000 logements par an en sible de construire des logements neufs ayant requièrent le plus souvent un délai incompres- France, sur un parc de 30 millions de logements existants. des consommations de chauffage presque L’enjeu de l’isolation du parc existant est nettement plus impor- sible de 20 à 30 ans pour être déployées mas- tant pour la consommation énergétique en 2050 que les nulles (
mais surtout constituer le tissu industriel et Le problème essentiel est simplement de savoir éventuelles substitutions entre énergies et artisanal capable de produire les compo- si nous aurons le temps de développer ces solu- évalue les dates des possibles tensions, ainsi sants et de réaliser les travaux (7). Une telle tions alternatives avant que les tensions n’in- que les émissions de CO2. décision n’aurait pas d’effet réellement terviennent. Ces solutions ne commenceront Nous testons ci-après la soutenabilité d’un visible sur la consommation énergétique en effet à être développées réellement que scénario caractérisé par un effort mondial avant une quinzaine d’années au plus tôt. lorsque le citoyen aura réussi à persuader le en matière d’efficacité énergétique, une Toutes les solutions que la R&D peut pro- consommateur de financer les surcoûts associés, offre fondée sur un développement volonta- poser aujourd’hui pour sortir des pro- et donc les décideurs politiques de proposer le riste des énergies non carbonées, avec des chaines impasses énergétiques se heurtent cadre de cohérence nécessaire. Notre connais- ENR, du nucléaire et du charbon avec cap- au même problème: elles supposent du sance des inerties liées aux infrastructures qui ture et stockage du CO2. Le scénario anti- temps, pour une part non compressible, et déterminent à la fois la demande et le mode de cipe aussi les tensions pétrolières en favori- des surcoûts qui seront d’autant plus impor- production énergétique nous conduit à alerter sant la pénétration des biocarburants, du tants que l’on devra aller plus vite. clairement à la fois les citoyens, les décideurs gaz naturel véhicule, et l’électrification politiques… et aussi les consommateurs de Il faudra donc à la fois du temps, une réelle volontariste des transports. demain sur lesquels est reportée de fait la fac- volonté politique, et un cadre de cohérence ture: pour nous, la ressource la plus rare dans Un tel scénario pourrait être qualifié de adapté pour conduire les nécessaires transi- le monde énergétique, c’est le temps dont « tendanciel vertueux » dans le sens où il ne tions. nous disposons pour assurer les nécessaires comporte pas de rupture majeure, mais D’autres problèmes commencent à appa- transitions, et construire un système énergé- développe les politiques énergétiques raître, qui ne sont pas négligeables: le tique consommant beaucoup moins de pétrole, actuellement discutées susceptibles de retar- manque d’eau dans de nombreuses régions d’énergies fossiles, de ressources rares (eau, …) der les tensions (8). Jusqu’où un tel scénario du monde, et la rareté croissante de certains et émettant moins de CO2. est-il soutenable? matériaux. De ce fait, certaines « solutions » techniques ne pourront pas être déployées L’hypothèse d’une demande massivement dans le monde faute d’eau en croissance modérée... II. — LES SOLUTIONS (par exemple centrales solaires thermodyna- miques dans les zones désertiques) ou du ACTUELLEMENT ENVISAGÉES Les hypothèses de demande retenues dans le fait de la rareté de matériaux tels que l’in- CONDUIRONT-ELLES À UNE scénario que nous testons sont résumées dium, le gallium (nécessaires pour les pan- SITUATION SOUTENABLE ? dans le schéma 1: les besoins OCDE et CIS neaux photovoltaïques couches minces), le (ex-URSS) plafonnent rapidement sous l’ef- platine (nécessaire pour les piles à combus- Les solutions aujourd’hui envisagées par les fet de politiques volontaristes de Maîtrise de tible)… décideurs politiques associent le plus sou- la Demande d’Énergie (MDE dans la suite), vent efficacité énergétique et développe- en ligne avec les scénarios alternatifs déve- Aurons-nous le temps ment volontariste d’énergies non loppés par l’AIE [WEO 2004 et 2006]. de développer les solutions? carbonées: énergies renouvelables (ENR dans la suite), capture – stockage du CO2, Finalement, pour ceux qui cherchent à et parfois nucléaire. Ces politiques permet- structurer un monde énergétique soute- tront-elles d’éviter les difficultés futures? nable, le problème n’est pas qu’il n’y ait plus Pour répondre à cette question, EDF R&D de pétrole dans 40 ou 50 ans: de toute évi- a construit un modèle (« Mescalito ») qui (7) Rénover 500000 logements/an mobiliserait la totalité de la dence, il y aura encore du pétrole à la fin du évalue la soutenabilité physique des évolu- filière bâtiment française (neuf compris, source: CSTB). Combien de temps faudrait-il pour constituer une filière artisa- siècle. tions possibles du monde énergétique. Ce nale 2 à 3 fois plus importante,et formée pour réaliser des tra- vaux spécialisés sur 1,2 million de logements/an? Il faudrait Le problème n’est pas non plus le Peak Oil modèle rapproche des scénarios mondiaux ensuite 25 ans pour intervenir sur quelque 30 millions de loge- en tant que tel : il existe nous le savons des de demande énergétique, et des politiques ments en France… solutions pour remplacer le pétrole, dont la d’offre réalistes. Il calcule les quantités phy- (8) Les énergies renouvelables (ENR) et l’efficacité énergétique demande pourra décliner sans problème siques de chaque énergie primaire néces- (MDE) sont généralement considérées comme « vertueuses ». Nous laissons à l’appréciation de chacun le caractère vertueux lorsque les solutions alternatives auront été saires année après année et les confronte aux du nucléaire, et aussi celui du charbon avec capture-stockage développées. raretés éventuelles. Le modèle gère alors les du CO2. Revue de l’Énergie, n° 575, janvier-février 2007 7
L’électricité spécifique (éclairage, machines ENCADRÉ 1 - Le modèle « Mescalito » tournantes,...) et les transports se dévelop- Le modèle Mescalito, développé par EDF R&D en gie année par année au niveau mondial, à partir de pent légèrement, les besoins de chaleur 2005, fonctionne exclusivement sur des grandeurs scénarios d’entrée qui simulent à la fois une demande diminuent. Au total, les besoins d’énergie physiques. Il donne une évaluation des besoins d’éner- et une structure de l’offre. ne progressent que de 0,4 % par an en moyenne sur la période. Les besoins des PED augmentent plus net- tement, tirés notamment par une démogra- phie en croissance de 0,6 % par an (le scé- nario testé s’appuie sur les hypothèses basses de l’ONU), et par une croissance des besoins par individu proche de 1,1 % par an en moyenne. Au total, la croissance de la demande d’énergie finale est, dans notre hypothèse, de 1,7 % par an pour les PED, pour une tendance depuis 35 ans de 3,2 % par an (et une prévision AIE de 2,4 % d’ici à 2030). En début de période, les PED ne représen- tent qu’une faible part des consommations La particularité de Mescalito est d’intégrer les La forme de ces courbes de décroissance dépend donc contraintes de raretés pour les énergies fossiles et fis- de paramètres susceptibles de variations notables: par mondiales. Ils représentent par contre une siles, et donc de simuler des formes plausibles pour exemple la production de charbon pourrait finir par part clairement majoritaire en fin de les courbes d’exploitation de chaque énergie (pétrole, se stabiliser sur un plateau relativement plat, une nou- période, malgré les hypothèses très pru- mais aussi gaz, charbon) en fonction de la demande annuelle, et d’hypothèses sur les réserves ultimes, sur velle mine étant ouverte lorsqu’une ancienne est épui- dentes retenues quant à leur développe- les taux de déplétion observés sur les gisements sée, ou au contraire culminer très haut, tous les gise- ment. actuels, et sur les dates auxquelles pourraient être ments potentiels étant mis en exploitation simultané- exploités les gisements futurs. ment dans le monde, pour ensuite redescendre beau- Le scénario que nous testons présente donc L’ensemble de ces paramètres permet de tracer pour coup plus rapidement une fois passé le pic. Il est donc des besoins d’énergie finale dans la four- chaque énergie des courbes qui à long terme finissent nécessaire de tester différentes valeurs de ces paramètres chette basse par rapport aux autres scénarios par arriver à un maximum, puis décroissent. Les taux pour encadrer les possibles. couramment évoqués dans la littérature, moyens de décroissance après le pic traduisent à la Lorsqu’une contrainte se manifeste sur le pétrole ou comme le résume le tableau 1. fois: le gaz, le modèle Mescalito prévoit un basculement – la maturité estimée de la prospection géologique: trou- sur le charbon. Les énergies fossiles sont en effet lar- vera-t-on dans le futur beaucoup de nouveaux gise- ... et l’hypothèse d’une offre fondée gement interchangeables pour la production de cha- ments? leur, d’électricité et même de carburant liquide (via sur le développement volontariste – l’intensité de l’effort économique: pour l’exploitation les procédés industriellement matures Gas to Liquid des énergies non carbonées des énergies primaires, les gisements seront-ils en cas et Coal to Liquid). Des itérations permettent de besoin exploités tous simultanément au maxi- mum de leurs capacités? Ceci supposerait une réelle d’ailleurs de construire des scénarios où les politiques Notre scénario précise également les poli- volonté politique des pays détenteurs de ressources, d’offre sont affinées pour retarder les tensions: par tiques énergétiques et leurs conséquences et aussi la réalisation rapide d’infrastructures souvent exemple pénétration accrue du gaz naturel vers les lourdes, par exemple voies ferrées pour évacuer le véhicules, électrification accélérée des transports pour charbon de mines isolées en Sibérie… freiner la demande de carburants liquides et donc la TABLEAU 1 - Besoins énergétiques – le taux moyen de déplétion des gisements arrivés à date du Peak Oil, etc. pour différents scénarios maturité, qui dépend à la fois de la nature du gise- Chaque scénario énergétique, qui est donc décrit à la ment (le taux est par exemple beaucoup plus rapide Énergie finale (Gtep) 2010 2030 2050 fois par des hypothèses portant sur la demande et la pour le gaz que pour le pétrole ou le charbon), et des Scénario testé 8,1 10,1 11,5 progrès technologiques envisagés permettant de pro- structure de l’offre, est confronté avec les disponibili- tés des différentes énergies, ce qui permet de tester sa AIE 2006 référence 8,3 11,7 longer la durée de vie des gisements grâce aux méthodes susceptibles de permettre un meilleur taux soutenabilité physique (disponibilités des énergies pri- AIE 2006 alternatif 7,9 10,5 de récupération. maires) et aussi environnementale (émissions de CO2 ). WETO 2007 référence 8,3 11,1 14,3 WETO 2007 contraintes 8,3 10,2 11,8 8 Revue de l’Énergie, n° 575, janvier-février 2007
SCHÉMA 1 - Scénario testé : À noter au passage que les émissions de hypothèse d’évolution des besoins (énergie finale) CO2 liées au secteur électrique passent en moyenne de 0,59 tCO2/MWh en début de période à 0,22 tCO2/MWh en 2050, en fai- sant l’hypothèse, certes optimiste, d’un parc charbon composé à 80 % de centrales avec capture stockage de CO2 en 2050 (10), et 20% seulement pour les centrales gaz, beau- coup moins émettrices de CO2. Les émissions de CO2 liées au parc élec- trique diminueraient ainsi de 10,2 GtCO2 à 8,6 GtCO2, et ceci malgré l’augmentation importante de la production qui passe de 17400 TWh à 38400 TWh en 2050. Les émissions totales, avant transferts entre énergies liées aux éventuelles raretés, se sta- biliseraient dès 2020 autour de 31 GtCO2 SCHÉMA 2 - Scénario testé : besoins totaux d’énergies primaires (contre 26 en 2004), pour décroître à 29 GtCO2 en 2050. Au final, des conclusions rassurantes? Au total, les émissions de CO2 semblent stabilisées sur une trajectoire correspondant à 500ppm, les besoins de pétrole cessent de croître et les besoins théoriques cumulés d’énergies primaires entre 2005 et 2050, avant donc les éventuelles corrections et substi- tutions dues aux raretés, sont dans notre scé- nario de référence les suivants: – 195 Gtep pour le pétrole, – 146 Gtep pour le gaz sur les besoins de chaque énergie primaire. — développement volontariste des ENR, à la – 147 Gtep pour le charbon. Les indicateurs sont décrits sur une longue fois pour la production de chaleur (hors période (jusqu’à 2100), même si la période biomasse traditionnelle, 1,2 Gtep en 2050, étudiée se limite essentiellement à 2010- pour 0,35 en 2004), de biocarburants 2050. (200 Mtep en 2050, pour 10 en 2004), et (9) Un tel développement serait compatible avec des res- Les principales caractéristiques de notre scé- aussi pour la production électrique sources dites « conventionnelles » d’uranium estimées à 15 Mt par l’AIEA (cf. « Red Book 2006 »), pour des générateurs fonc- nario, destiné donc à la fois à répondre aux (13000 TWh en 2050, pour 2900 TWh, tionnant 60 ans et qui seront en grande majorité construits prochaines raretés fossiles et à limiter les en quasi-totalité hydraulique, en 2004) ; avec les technologies actuelles. Un développement plus ambi- tieux du nucléaire, pour ne pas poser de sérieux problèmes de émissions de CO2 sontles suivantes: — développement volontariste du nucléaire, combustible, nécessiterait une accélération de la mise au point industrielle des réacteurs Génération 4 pour qu’ils soient dis- — électrification progressive du transport: avec 2,3 % de croissance moyenne sur la ponibles avant 2040. l’électricité représente 1 % des besoins éner- période, pour arriver à un peu plus de (10) Ce qui suppose une décision rapide de ne construire dans gétiques transport en 2004, le scénario testé 1000 GW et près de 8000 TWh (9) en le monde que des centrales charbon « capture ready », desti- nées à être complétées dès que possible par un dispositif de prévoit 4 % en 2030, 15 % en 2050; 2050 pour 2 650 TWh en 2004. capture/stockage du CO2. Revue de l’Énergie, n° 575, janvier-février 2007 9
TABLEAU 2 - Estimation des réserves fossiles, et pourcentage utilisé d’ici à 2050 dans notre scénario de décroissance plus ou moins rapide. Les taux dépendent principalement de l’obser- Gtep Rappel hyp. BGR 2004 Hypothèse testée Besoins ➛ 2050 % utilisé de 2005 à 2050 vation des taux de décroissance des gise- Pétrole 226 280 195 70 % ments arrivés à maturité, et surtout des Gaz 141 280 146 52 % horizons de temps auxquels seront mis en Charbon 477 700 147 21 % exploitation de nouveaux gisements, Total 844 1260 488 39 % conventionnels ou non conventionnels. Ces horizons de temps dépendent de Ces besoins d’énergies fossiles apparaissent, contraintes techniques, et aussi de la rappelons-le, comme une hypothèse basse, III. — UN SCÉNARIO volonté politique, aujourd’hui très peu évi- car ils supposent à la fois une croissance «TENDANCIEL-VERTUEUX » dente au Moyen-Orient et en Russie, des modérée de la demande et un développe- N’EST EN FAIT PAS SOUTENABLE détenteurs de ressources fossiles de les ment volontariste des ENR et du nucléaire. TRÈS LONGTEMPS exploiter rapidement… Ces besoins cumulés ne représentent, comme le montre le tableau 2, qu’une pro- L’analyse des taux de déplétion des gise- Le problème n’est pas de savoir si les besoins portion modérée des énergies fossiles que ments actuels, des nouveaux projets en cumulés d’ici à 2050 sont inférieurs aux nous devrions pouvoir exploiter à des coûts cours de développement, des potentiels des réserves… raisonnables dans un proche avenir (11). non-conventionnels et des progrès tech- Le problème est de savoir si les quantités niques dans l’exploitation des gisements À première vue, dans ce scénario, les requises année après année (notamment pourrait suggérer par exemple des taux de réserves de pétrole telles qu’évaluées aujour- pétrole et gaz) seront fournies à temps à partir décroissance moyens de l’ordre de 2 % pour d’hui sont certes consommées à 70 % en des gisements connus et à découvrir. le pétrole, et de 3 % pour le gaz (13). 2050, mais « d’ici là, on aura bien trouvé Et si les quantités requises ne peuvent être Le cas du charbon est plus difficile, en rai- autre chose ». Et il sera toujours possible de fournies à temps, le problème sera de savoir son du grand nombre de gisements poten- fabriquer des carburants liquides synthé- si pourront être développées à temps les tiels, de l’incertitude sur l’évaluation des tiques (coal to liquid, CTL dans la suite) en solutions énergétiques de rechange: procé- réserves en cas de forte hausse des prix des liquéfiant une partie des considérables dés plus efficaces, pétrole synthétique à par- énergies, et aussi en raison du probable réserves de charbon. Pourquoi s’inquiéter, tir de charbon, substitution du pétrole par souci de limiter l’utilisation du charbon tant alors qu’en 2050 nous n’aurons consommé d’autres énergies… ou s’il faudra effacer une que la capture – stockage du CO2 ne sera que 39 % des réserves fossiles… les réserves partie de la demande? pas opérationnelle. Nous testons une hypo- se renouvelant d’ailleurs au fil des ans, comme l’histoire nous l’a toujours montré? Pour un volume donné de réserves minières thèse assez prudente de réserves à 700 Gtep ou pétrolières, l’horizon des tensions variera Malheureusement, ce raisonnement sim- beaucoup en fonction de la forme plausible pliste et rassurant est totalement erroné et de la courbe d’exploitation, qui est elle- ne résiste pas longtemps à l’analyse, comme même la somme des profils d’exploitation nous allons le voir. de chaque gisement connu et à découvrir, et (11) Les hypothèses que nous retenons pour l’estimation des en particulier des non- réserves sont supérieures aux hypothèses du BGR SCHÉMA 3 - Quel profil réaliste pour l’exploitation des réserves pétrolières (et minières) ? conventionnels, qui ne (‘‘Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe’’, basé à Hanovre) que nous rappelons dans le tableau 2. Nous suppo- pourront se développer que sons en effet qu’une partie des ressources passera à terme très progressivement, pour dans les réserves du fait du progrès technique, de nouvelles des raisons d’infrastructures découvertes et de la hausse prévisible du prix des énergies. Le BGR est aujourd’hui le seul organisme spécialisé qui publie des très lourdes à mettre en estimations périodiques sur les réserves et ressources mon- place (12). diales d’énergies fossiles. Il est difficile d’estimer la (12) Cf. par ex les sables bitumineux d’Athabasca, dont les pro- jections les plus extrêmes n’atteignent pas 10 Mb/j, soit 3,6 Gb forme de la courbe, mais les par an en 2025, alors que les réserves exploitables sont esti- possibles peuvent être enca- mées couramment à plus de 200 Gb! drés par des hypothèses de (13) Ces taux sont largement discutables, et ne font pas l’ob- réserves ultimes et de taux jet d’un consensus parmi les spécialistes: il est donc nécessaire de tester des variantes pour ce paramètre. 10 Revue de l’Énergie, n° 575, janvier-février 2007
(soit un ratio Réserves/Production R/P de la croissance importante du charbon ne Reste l’hypothèse de la gazéification du 250 ans par rapport à 2004) avec un taux de peut se poursuivre au-delà de 2050. Mais charbon in situ, qui permettrait d’utiliser les décroissance de 1% après le pic. Nous tes- c’est dès avant 2040 que la demande éner- gisements non accessibles par les méthodes tons aussi des variantes qui vont jusqu’à gétique mondiale ne peut plus être satisfaite classiques, ou un déploiement encore plus 1400 Gtep, et un taux de décroissance de avec les technologies aujourd’hui opération- soutenu des ENR à un rythme qui mobili- 2% après le pic. nelles. serait une part importante des ressources économiques et énergétiques (14). Même au prix d’un effort particulier en Au final, quels horizons matière de R&D, il n’est pas certain que des Les émissions de CO2 dépendent de l’utili- de tensions plausibles? solutions nouvelles de remplacement puis- sation éventuelle de nouvelles énergies car- sent être déployées massivement dès 2040 : bonées après 2040 (gazéification du char- Lorsque nous intégrons les contraintes de les surgénérateurs ne pourront démarrer que bon avec ou sans séquestration, hydrates de rareté, le scénario que nous testons montre progressivement en utilisant les stocks dis- méthane, … ?). Les trajectoires permet- finalement le profil présenté sur le schéma 4 ponibles de Pu ou de l’uranium très enrichi, traient d’envisager une stabilisation autour (énergies primaires). la fusion nucléaire ne sera certainement pas de 520 ppm dans le meilleur des cas… mais Le pétrole culmine autour de 2020 (pour opérationnelle avant 2080, et les hydrates de plus de 800 ppm si les ressources carbonées étaient utilisées pour combler le déficit. des réserves restantes de 2 Tb/ 280 Gtep), et méthane restent une solution très aléatoire. Les besoins de carburants liquides, qui ali- mentent l’économie avec une forte inertie SCHÉMA 4 due aux infrastructures et aux équipements existants, sont la variable déterminante. Ils Évolution des consommations énergétiques mondiales (scénario testé) provoquent en effet, dès que la production de pétrole commence à décliner, des besoins considérables sur les autres énergies, jusqu’à arriver à des impasses en l’état actuel des connaissances. Lorsque le pétrole commencera à décliner, et il s’agit de remplacer un déficit annuel de 2 Mb/j, il faudra liquéfier annuellement quelque 350 millions de tonnes supplémen- taires de charbon de qualité courante (6000Kcal/ Kg), ou mettre en service 40GW de nouvelles centrales électriques en base si l’on décide d’électrifier le parc auto- mobile, ou encore 130 GW de nouvelles éoliennes. Ces besoins augmenteront Émissions de CO2 (scénario testé) chaque année, en proportion du déficit pétrolier. Notre scénario qui suppose pour- tant une demande modérée et une électrifi- cation volontariste des transports nécessite ainsi dès 2030 la liquéfaction de près de (14) Si une région anticipe un déficit énergétique de 5% pour l’année N+2, et décide de le combler en construisant des éoliennes, il lui faudra l’année N+1 consacrer 5% de sa consommation énergétique à la seule fabrication des éoliennes. Ce pourcentage monterait à 20% avec des panneaux photo- voltaïques (ensoleillement moyen en Europe). Revue de l’Énergie, n° 575, janvier-février 2007 11
2 milliards de tonnes de charbon… à un sance plus rapide des ENR ou du nucléaire, annuelle atteindrait alors 16 milliards de horizon où la capture – stockage du CO2 ne ou devrons-nous réduire notre consomma- tonnes (pour 3,6 actuellement). Ceci sup- sera certainement pas généralisée. Est-ce tion? Comment sera répartie la probable poserait naturellement la généralisation de réaliste et souhaitable? pénurie énergétique entre les générations et la capture-stockage du CO2. Nous supposons également, ce qui n’est pas entre les différentes régions du monde? Au final, même avec une demande énergé- la moindre difficulté des prochaines décen- tique en faible croissance, nous évaluons nies, que seront financées et réalisées à Quelles marges d’incertitudes? l’horizon des tensions sur le pétrole entre temps toutes les infrastructures nécessaires à 2010 et 2020. L’horizon 2030 n’est pas Pour une demande et un profil d’offre don- impossible, mais supposerait un effondre- ces transitions: mines de charbon, usines de nés, la forme générale de la courbe ne ment de la demande, ou que soient réunies fabrication de carburants synthétiques change pas beaucoup en fonction des para- des conditions d’exploitation très impro- notamment CTL (15), nouveaux moyens mètres inclus dans le modèle. Les horizons bables. La seule solution industriellement de production électriques très capitalis- des tensions peuvent toutefois varier sensi- opérationnelle à cet horizon est un recours tiques (16) et aussi réseaux. blement. massif au charbon. Avec nos hypothèses très Nous supposons enfin que les tensions ne modérées de croissance de la demande éner- — Une exploitation très intensive des res- seront pas accélérées par des problèmes géo- gétique, c’est aux environs de 2040 que se sources pétrolières et minières dans les politiques au Moyen-Orient et en Russie... produit le pic fossiles si l’on dispose de années qui viennent décalerait dans notre et aussi qu’une future crise économique 700Gtep de charbon, ou 2070 si l’on pou- modèle le Peak Oil de près de 10 ans mondiale ne ralentira pas la croissance de la vait disposer de 1400 Gtep… ce qui toute- (2030), et le pic fossiles de plus de 20 ans demande énergétique à moins de 1,3% par fois est loin d’être garanti! Il faudra ensuite (2060). Ceci est toutefois peu réaliste pour an... ce qui différerait l’horizon des tensions trouver le moyen de compenser un probable le pétrole car cela supposerait de mettre en d’une dizaine d’années. déclin énergétique global, avec des solutions exploitation très rapide les réserves du Notre scénario « tendanciel – vertueux » Moyen-Orient et les pétroles non conven- encore à trouver. risque donc de n’être pas suffisant pour tionnels. La conséquence, sans parler des mener une politique soutenable: d’abord émissions de CO2 , serait un épuisement Et avec une croissance parce qu’un recours massif au charbon prématuré de toutes les réserves fossiles, de la demande plus soutenue? apparaît nécessaire dès 2020, à un horizon avec des taux de décroissance très élevés où la capture – stockage du CO2 ne sera pas (2 % pour le charbon, 3 % pour le pétrole) La plupart des scénarios de la littérature pré- encore opérationnelle, et aussi parce que dès après le pic qui rendraient les transitions voient une hausse plus forte de la demande 2040 le monde est confronté à de grandes ultérieures encore plus difficiles pour la pro- énergétique qui pourrait atteindre de l’ordre difficultés pour satisfaire la demande éner- chaine génération. de 17 Gtep en 2030 et 22 Gtep en 2050 gétique, avec une offre énergétique mon- (énergie primaire). — Des hypothèses basses (1,5 Tb) et haute diale qui ne pourrait plus suivre la crois- Ces scénarios ne voient en général pas de (2,5 Tb) concernant les réserves pétrolières sance de la demande, voire même qui pour- contraintes majeures sur les ressources fos- restant à produire conduisent, avec nos scé- rait décroitre. siles: ils s’appuient sur des estimations narios de demande, à des dates théoriques de Peak Oil autour de 2010, ou 2030, et des dates de pic fossiles en 2030, ou 2050. Mais IV. — DE COMBIEN DE TEMPS dans la réalité, un pic pétrolier marqué sera DISPOSONS-NOUS POUR beaucoup moins probable qu’un « plateau ORGANISER LES TRANSITIONS? en tôle ondulée », accompagné de soubre- (15) Liquéfier 2 milliards de tonnes de charbon pour produire 14 mb/j en 2030 suppose un investissement pour les seules sauts économiques, qui pourrait donc inter- usines CTL de l’ordre de 1000 G$, hors mines et stockage du Quelles sont les marges d’incertitudes, de venir dès 2010 ou 2015. CO2. combien de temps disposerons-nous pour — Une hypothèse très haute de réserves de (16) Les moyens de production électriques non carbonés sont très capitalistiques: notre scénario suppose des investissements organiser les nécessaires transitions vers un charbon à 1400 Gtep, ce qui représente de l’ordre de 8 000 G$ pour les ENR, 2 000 G$ pour le monde énergétique soutenable? Pourrons- 500 années de consommation 2004, ne nucléaire,1500 G$ pour les centrales charbon et 500 G$ pour le gaz d’ici à 2050, soit 12 000 G$ d’ici à 2050… à rappro- nous développer à temps des politiques d’ef- déplacerait le pic fossiles que de 30 ans, soit cher du total de 4 500 G$ estimés par l’AIE d’ici à 2030, avec ficacité énergétique renforcées, une crois- 2070. La consommation de charbon des moyens plus classiques (gaz, charbon). 12 Revue de l’Énergie, n° 575, janvier-février 2007
hautes de réserves de charbon. Des réserves comme le montre le schéma 5 qui reproduit temps anticiper les tensions, ou si des poli- fossiles de l’ordre de 2000 Gtep (dont 250 un exemple de ce type de scénario fondé sur tiques publiques vigoureuses doivent inter- de pétrole, 250 de gaz, 1500 de charbon) la poursuite de la croissance tendancielle. venir pour corriger la « myopie » des mar- devraient ainsi nous assurer 100 années de Une exploitation plus intensive du charbon chés. tranquillité à 20 Gtep par an (17), sachant permet de repousser le pic fossiles vers que les énergies fossiles sont interchan- 2065, mais avec une décroissance plus mar- L’anticipation des tensions geables dès que le prix du baril dépasse quée ensuite. Nous partons donc avec déterminera les émissions de CO2 : 50 $… 70ans de pétrole, 122 ans de gaz et plus de échapperons-nous 500 ans de charbon… pour manquer On l’aura compris, ce raisonnement hâtif au « syndrome Katrina »? d’énergie au bout de 50 ans seulement! oublie deux « détails »: Les lois de la physique et des exponentielles Lors du cyclone Katrina à la Nouvelle – le rendement du charbon est mauvais, sont décidément impitoyables… Orléans, toutes les mesures de protection de surtout avec capture et stockage du CO2. Il l’environnement ont été suspendues pour faut en effet 2,5 Gtep de charbon pour rem- Une approche robuste, car fondée relancer l’activité économique de la région. placer 1 Gtep de pétrole dans la fabrication sur des grandeurs physiques Lorsque le monde sera confronté à une de carburants liquides, et 1,7 Gtep de char- pénurie non anticipée de carburants bon pour remplacer 1 Gtep de gaz dans la L’intérêt d’une approche fondée sur les liquides à horizon 2015-2020, il est possible production d’électricité. Donc les 20 Gtep que certains pays suspendent leurs efforts de grandeurs physiques est qu’elle est particu- composées de 7 Gtep pétrole, 5 Gtep de gaz limitation du CO2 pour produire des car- lièrement robuste, puisqu’elle ne fait appel et 8 Gtep de charbon sont équivalentes à burants de synthèse à partir de charbon ou ni aux prix, ni aux coefficients d’élasticité de l’ensemble constitué de 2 Gtep de pétrole, de pétroles non conventionnels, à un hori- la demande et de l’offre aux prix. Ces der- 2Gtep de gaz et… un peu plus de 25 Gtep zon où la séquestration du CO2 ne sera pas niers sont en effet difficiles à évaluer surtout de charbon! opérationnelle. Il est à craindre en effet que pour un avenir qui n’a pas de raisons de res- – si le taux moyen de décroissance après le sembler au passé: l’économétrie sur le passé dans un contexte de crise économique pic charbon est de 2,5%, hypothèse homo- est de peu de secours dans la prospective à mondiale, les impératifs de court terme ne gène avec une exploitation très intensive, le long terme dans des contextes radicalement prennent le pas sur la viabilité à long terme. pic interviendra lorsque le ratio R/P sera de différents. L’approche physique permet Plusieurs études prévoient déjà la fabrica- 40 ans, donc lorsqu’il ne restera que… d’identifier et de quantifier les contraintes tion de carburants de synthèse à hauteur de 1000 Gtep de charbon si sa consommation que les mécanismes de marché auront à 5 Mb/j en 2030 aux USA, et autant en devait se stabiliser à 25 Gtep. gérer. Chine… ce qui nécessiterait l’exploitation supplémentaire d’environ un milliard et Les 100 années de tranquillité annoncées se La question essentielle est de savoir si les demi de tonnes de charbon par an, et terminent finalement autour de 2050 mécanismes de marché pourront seuls et à découragerait tous les efforts mondiaux pour contenir les émissions de CO2. SCHÉMA 5 - Variante supposant des réserves fossiles très hautes Les grands pays charbonniers ont-ils encore le temps et la volonté de réduire fortement leurs besoins de carburants liquides dans le transport à horizon 2020, seul moyen de limiter un recours massif aux carburants liquides de synthèse à partir de charbon? En cas de difficultés non anticipées, pourront- ils faire autrement que développer les solu- (17) Cf.par exemple les montants de 6 Gtep de pétrole,4Gtep de gaz et 6 Gtep de charbon retenus à l’horizon 2050 par le scénario de référence WETO-H2, http://ec.europa.eu/research/energy/pdf/weto_final_report.pdf Revue de l’Énergie, n° 575, janvier-février 2007 13
tions les moins coûteuses à court terme, les moment elle sera faite: soit elle commence construire un secteur énergétique pratique- plus rapides à mettre en œuvre… mais aussi dès maintenant, dans un contexte encore ment indépendant des énergies fossiles et les plus polluantes? relativement stable et pacifié et alors que non émetteur de CO2. nous disposons encore de l’accès à des éner- gies abondantes et bon marché, soit elle se Un tel plan, créateur d’environ fera dans l’urgence alors que le pétrole aura 400000 emplois liés à l’énergie d’après nos V. — VERS UN MONDE commencé à décliner et que le monde estimations, devrait pouvoir être géré sans ÉNERGÉTIQUE RÉGI connaîtra de graves tensions économiques grande difficulté pour nos économies. Les PAR DES PLANS D’URGENCE? et militaires. conséquences sur le pouvoir d’achat sont par contre incertaines (20). Nos simulations montrent donc que la Un exemple de plan d’urgence situation énergétique mondiale est porteuse pour l’Europe Vers une nouvelle coopération de risques considérables, même si sont déve- internationale? loppées dans les prochaines années les poli- Les plans d’urgence développés actuelle- tiques énergétiques tendanciellement ver- ment aux USA et en Chine, sont surtout Ce genre de plan d’urgence est assez facile à tueuses actuellement préconisées. centrés sur la sécurité des approvisionne- déployer en Europe. Il serait par contre Ces politiques ne permettront pas d’anticiper à ments, notamment grâce à une meilleure beaucoup plus coûteux dans les pays moins temps les tensions. La plupart des pays déten- autonomie énergétique. D’autres, particu- industrialisés où les infrastructures élec- teurs de ressources fossiles, et aussi la plu- lièrement en France, sont plutôt centrés sur triques restent à construire. Ces pays reste- part des acteurs industriels du secteur éner- les émissions de CO2. ront longtemps dépendants des vecteurs gétique ont d’ailleurs tout intérêt à mainte- Ces deux logiques n’ont pas de raison de énergétiques pétroliers faciles à transporter nir ces tensions qui augmentent les prix et converger, sauf pour les situations comme la et à utiliser. les profits, comme l’a montré l’histoire France, dépourvue en réserves fossiles. Nous récente du secteur pétrolier. proposons ci-après un exemple de plan d’urgence adapté à l’Europe, destiné à la fois Lorsque les tensions mondiales se concréti- à sécuriser l’approvisionnement énergétique seront, chaque région du monde sera dans (18) En cas de redémarrage rapide du nucléaire,la question se et à limiter les émissions de CO2. l’obligation d’élaborer des plans d’urgence, posera pour les grands acteurs de sécuriser leur approvision- nement en uranium, dont les principales réserves sont aujour- en s’appuyant sur ses ressources propres: Un tel plan serait transposable dans le d’hui en Australie (24 %), Kazakhstan et autre CIS (23 %) et l’Amérique du Nord utilisera son charbon monde pour aller vers une situation énergé- Canada-USA (16 %). L’Inde pourrait s’appuyer sur ses res- et ses pétroles non conventionnels, l’Asie tique soutenable, avec quelques variantes sources de thorium. son charbon qui sera toutefois rapidement (19). Il permettrait de réduire très notable- (19) Les variantes concerneront notamment la part de nucléaire, d’ENR ou de charbon selon les régions du monde. Il insuffisant pour des besoins énergétiques en ment les tensions sur les énergies, et aussi les est intéressant de comparer ce plan d’urgence avec d’autres forte croissance. L’Amérique du Sud et émissions de CO2. (Voir encadré 2 page exercices récents. On pourra notamment consulter le livre l’Afrique pourront s’appuyer sur leurs res- suivante). d’Henri PRÉVOT, «Trop de pétrole ! Energie fossile et réchauf- fement climatique » (Seuil, 2007), le groupe de travail sources renouvelables (biomasse, hydrau- Au total, le coût d’un tel plan d’urgence DGEMP sur le « Facteur 4 » (http://www.industrie. lique, solaire) et sur leurs énergies fossiles. gouv.fr/energie/prospect/facteur4-rapport.pdf), le scénario serait de l’ordre de 35 à 40 G€ annuel pour Négawatt(http://www.negawatt.org/telechargement/ La Russie – CIS et le Moyen-Orient seront le périmètre France. Ceci représente envi- Scenario%20nW2006%20Synthese%20v1.0.2.pdf), et pour en position de force car durablement excé- ron 2 % du PIB actuel, soit l’ordre de gran- les USA l’un des crashs program préparé pour le DOE par R. HIRSCH et R. BEZDEK (http://www.netl.doe.gov/energya- dentaires en énergie fossile. Par contre, deur de notre facture pétrolière actuelle, ou nalyses/pubs/Economic%20Impacts%20of%20U.S.%20Liqui l’Europe qui ne dispose ni de réserves fossiles et encore la moitié des coûts énergétiques en d%20Fuel%20Mitigation%20Options.pdf). Ce dernier ignore fissiles (18), ni de l’espace nécessaire à un déve- les contraintes CO2. Les autres diffèrent notamment dans les France. efforts de sobriété, le potentiel de la biomasse et la proportion loppement massif des ENR, sera dans une renouvelables/ nucléaire pour produire l’électricité. La part de Au bout de 25 ans, ce plan nous permet de situation particulièrement fragile. l’électricité augmente dans tous les scénarios qui limitent les réduire de 65 % nos importations d’éner- émissions de CO2 pour remplacer les vecteurs polluants que La question n’est donc plus de savoir si gies fossiles (en conservant la part difficile- sont les carburants et les combustibles liquides ou gazeux. l’Europe peut encore éviter la coûteuse ment compressible de 14 Mtep réservée à la (20) L’essentiel des emplois créés ne fait que remplacer les énergies fossiles presque gratuites aujourd’hui par des activités reconfiguration de son système énergétique, pétrochimie), et de 57 % nos émissions de et investissements locaux: il ne crée pas de richesse supplé- la question est plutôt de savoir à quel CO2. À terme (50 ans?), il est possible de mentaire autre qu’énergétique. 14 Revue de l’Énergie, n° 575, janvier-février 2007
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