PROMENADES D'UN ENFANT SOLITAIRE - Mon Petit Éditeur - Gloria Saravaya

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Gloria Saravaya

     PROMENADES
D’UN ENFANT SOLITAIRE

     Mon Petit Éditeur
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                             75015 PARIS – France

            IDDN.FR.010.0116497.000.R.P.2011.030.31500

    Cet ouvrage a fait l’objet d’une première publication par Mon Petit Éditeur en 2011
À mon père.
    À Arul Ashram.

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Préface

    Voilà quelques très beaux textes de Gloria Saravaya qui coulent
comme une rivière souterraine, parfois tumultueuse, parfois pares-
seuse mais toujours limpide. Ils sont l’écho d’une vie profonde et
silencieuse qui s’est épanouie à l’ombre d’Arul Ashram (un monastère
catholique de l’ordre des frères de Saint Jean qui vient en aide aux
malades atteints de sida). C’est la douceur mais aussi la violence du
Sud de l’Inde, la paix et la force de l’Esprit que Gloria Saravaya essaye
de nous communiquer Que le lecteur se laisse conduire dans un
rythme qui ne peut que l’enivrer, qu’il se laisse interroger par des
questions que tout homme porte en lui, qu’il n’ait pas peur de se lais-
ser dépasser par l’inconnu qui séduit. Gloria, mère dans ses textes sait
se livrer tout en restant mystérieuse par touches multicolores qui sont
autant d’appels à une vie profonde et mystique.
                                                          Père Dominic,
                                  Prieur d’Arul Ashram, Pondichéry, Inde.

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I
  Première partie
Ces riens qui parlent
Mahalakshmi

    Au crépuscule la lune croise la mer et le soleil disparaît pour por-
ter sa lumière à l’autre versant du globe. Des zones ombragées de
rose coloriaient l’horizon bleuté.
    Les bras croisés sur la table, l’enfant rêvait dans le vide :

Carrefour… croisée… crevasse… crasse ?
Et la crasse dans le carrefour
Et la crevasse dans la croisée
Et le carrefour dans la crasse
Et la croisée des regards dans le carrefour ? !!!

Être pour exister ou exister pour être
Exister dans les décombres des richesses
Ou être dans la richesse des décombres ?

  L’enfant nageait dans ses pensées cherchant à faire croiser ses la-
mentations avec les vagues de ses cogitations quand parut
Mahalakshmi :

   Les yeux exorbitants de Mahalakshmi se profilaient dans le jour,
seuls traits mobiles dans une carapace morte.
   Éteints, les yeux de l’enfant, deux globules blancs, ne semblaient
quêter regard, sourire ou geste. Ils étaient figés dans le vide morbide
du non-sens.

    Pourquoi lui avait-on donné ce nom, se demanda l’enfant ? Maha-
lakshmi, ce nom était aux antipodes d’une telle monstruosité.

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    Poupée gigogne, on pouvait lui arracher une jambe, un bras, une
main, car ils semblaient être accrochés à un squelette empaillé. Maha-
lakshmi était condamnée à sa naissance à ne jamais pouvoir danser
comme la déesse céleste qui ornait de son nom sa carcasse.
    La souffrance suintait dans le corps de cet enfant comme sur le
mur décrépit d’une hutte abandonnée avec pour seul décor, les gra-
vats, la poussière et les lianes desséchées. Dans ce corps sombre paré
d’une robe de circonstance à volants jaunes, seuls les yeux se déta-
chaient. Ils dardaient les vôtres dans un silence alourdi par le poids de
son existence.

   Qui était-elle et pour qui était-elle ? Pour qui existait-elle ? Et
pourquoi donc ?
   Le bois mort continue d’exister dans le sol rocailleux, dessinant
dans l’espace un spectre qui semblait proférer des messages inaudi-
bles.

    Seul un regard inopportun aurait réussi à traduire cette détresse
habituée à côtoyer dans son quotidien l’aridité ou la sécheresse du
désert tout comme le déluge ou le naufrage des océans sans rives.
    Mahalakshmi portait ainsi la croix des extrêmes dans son corps
fragile que la moindre égratignure pouvait anéantir
    On pouvait se moquer d’elle et les femmes qui l’entouraient la
fuyaient pour ne point s’entendre dire qu’elles pouvaient avoir enfan-
té une telle dépouille.
    Ne serait-ce pas provoquer le courroux de la déesse, parèdre de
Vishnou que de vouloir allier l’image de la prospérité à une telle or-
dure ?
    Le désespoir saignait sans doute dans le cœur de cet enfant sans
sourire, sans paroles parfois même sans cri ni larmes. Seuls les yeux,
pareils à deux billes vous dardaient, torches éteintes à la lumière par
une nuit envahissante. Au cœur de l’enfant, un souffle né d’une palpi-
tation sourde le tenait haletant, suspendu à un fil ténu entre la vie et la
mort.

  L’enfant se demanda quel lien il pouvait y avoir entre la petite
Mahalakshmi et la déesse ?

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PROMENADES D’UN ENFANT SOLITAIRE

    Dans la solitude étoilée des grands déserts, le ciel dit-on jette son
rire. Mahalakshmi pouvait-elle regarder les étoiles, rire avec le ciel ?
Elle vous crachait la nudité de sa peau morte qui enserrait ses os
comme un étau d’acier.

   Pourquoi donc avait-elle deux yeux, deux narines, deux lèvres,
deux oreilles, deux mains et deux jambes ?

   En guise de réponse, Mahalakshmi aurait peut-être murmuré :

    Mes yeux sont des puits épuisés. Ils gisent, citernes vides emplies
de nuit. Ils sont creux, même les grenouilles peuvent s’y loger.
    Mes narines s’ouvrent comme de longs tunnels qui aspirent la
poussière. C’est à peine si je peux aspirer le grand air, humer le sel de
la mer ou renifler les soupirs du grand vent.
    Mes deux oreilles pendouillent. Elles ne savent pas bruisser et
c’est à peine si elles arrivent à crisser avec le grillon du soir, car elles
sont sourdes au tambourin et ne résonnent plus du rythme des cym-
bales. Parfois elles frémissent comme des feuilles mortes.
    Mes deux lèvres savent à peine sucer mon pouce endolori. Elles
ne savent pas émettre le son qui fait rire ou pleurer. Tout au plus
savent-elles gémir.
    Mes deux bras ne savent pas enlacer les cous des mères, car je
n’en ai plus. Ils se brisent quand je les étends pour détendre mon
corps. Les vertèbres traversent mon dos comme des arêtes de pois-
son.
    Mes deux jambes ne savent plus toucher le sol et flageolent
comme des ficelles. Saurais-je un jour danser comme la déesse Maha-
lakshmi ?

    Mahalakshmi était venue au monde pour n’avoir personne. Ses
membres défaillants pouvaient à peine gesticuler. C’était un oiseau
mort parmi les pestiférations pour tous ceux qui daignaient jeter sur
elle un regard.

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PROMENADES D’UN ENFANT SOLITAIRE

     Mahalakshmi, la déesse aurait cadencé ses pas et modulait la svel-
tesse de son corps aux sons du tambour et des cymbales. Elle aurait
jailli comme un jet d’eau rayonnant de ses gouttelettes mordorées au
soleil levant. Pareil au serpent à sonnettes, la déesse aurait cambré son
corps pour exécuter la danse céleste de sa présence au monde. Au fil
des vibrations de la veena, Mahalakshmi, la déesse parèdre de Vish-
nou aurait fait rayonner la joie de son cœur dans la danse nuptiale
d’un cosmos régénéré.

    Dieu pouvait-il habiter la petite Mahalakshmi, se demanda
l’enfant ?

    Les doigts décharnés de Mahalakshmi pointaient les détails de son
quotidien, eau, bouchée de riz ou quelques gorgées de lait. Les pou-
pées la lassaient, les ballons la tourmentaient et les regards la
cinglaient et parfois la giflaient. Elle n’avait à offrir tout au plus
qu’une loque malade. On pouvait la jeter à tout instant comme un
papier froissé et sans un soupir, elle aurait trouvé refuge dans une
poubelle. Les yeux de Mahalakshmi exécutaient de temps à autre une
petite gymnastique de haut en bas, seuls gestes dont elle était capable
pour retrouver son grabat où, ratatinée, elle s’enfonçait comme une
grenouille dans son trou au lever du jour. Alors son regard errait pour
se perdre dans la vague de la nuit qui l’envahissait lentement,
l’enveloppait et l’emportait dans ses ténèbres ou vers des horizons
sans rêves.

   L’enfant pensa que la petite Mahalakshmi pouvait égaler la déesse.

    Dans sa nuit perpétuelle, ne portait-elle pas sa croix ? Seuls ses
globules blancs parlaient à l’intrus d’un désespoir perpétuel. Telle
l’autruche qui enfouit ses œufs loin d’elle pour mieux les couver, le
regard de Mahalakshmi vous poursuivait partout. Sa langue n’émettait
aucun son et le silence criait sa misère.
    Mais oui, ses yeux vous couvaient. La désuétude de son regard
vous transperçait d’une lance cruelle, vous forçait à oublier ce monde

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PROMENADES D’UN ENFANT SOLITAIRE

pour regarder le ciel parsemé d’étoiles et y cueillir un grain d’espoir.
Alors le cœur de Mahalakshmi versait des larmes de lumière. Ses an-
tennes suspendues en l’air comme deux phares vous acheminaient
doucement vers le ciel étoilé.

    Et le regard de Mahalakshmi devenait celui du divin sage qui con-
temple au-delà des misères de ce monde, la présence incomparable de
l’invisible lumière. Il faisait chavirer les cœurs et vous accompagnait
jusqu’aux voûtes du ciel où dansent les étoiles en éclatant du rire et
du rire même de Dieu.

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