Quelles différences entre les "psy", l'orthodoxie et la psychanalyse ?
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Quelles différences entre les "psy", l'orthodoxie et la psychanalyse ? Thierry Gaillard, Article paru dans le Bloc-Notes de la Psychanalyse no. 17, 2002, Georg Genève/Paris Etre psychanalyste n'est sûrement pas s'arrêter à de quelconques "vérités" du langage, servant l'autorité d'un autre, telle qu'une interprétation du mythe d'Oedipe, mais bien au contraire interroger ces vérités dans ce qu'elles nous révèlent de nos besoins d'illusions. Toute connaissance est limitée, ce qui nous engage à penser par nous-mêmes, sur le mode d'une créativité permanente. Etre freudien aujourd'hui, c'est interroger le transfert pour en découvrir sa richesse et non pas le réduire à un jugement, un diagnostic aussi pertinent soit-il. Le transfert ne se résume pas à une "vérité" du langage, il est dynamique, c'est la rosée fertilisante de la cure. On peut interroger le transfert au père de la psychanalyse par exemple, et constater que pour exister, on a pas besoin d'"être freudien", d'"être un autre", fut-il Freud en personne. Vous êtes freudien, lacanien, végétarien, ou lilliputien, très bien, mais encore... Les raisons ne manquent pas d'aller consulter un "psy". Cependant, l'absence d'informations comparatives à propos des multiples pratiques rend la démarche hasardeuse. On sait bien que pour obtenir des prestations de qualité, il faut y mettre le prix et, lorsqu'il s'agit d'une chose aussi importante, le grand public doit être mieux informé. On peut se poser la question du prix d'une thérapie, s'il faut qu'elle soit bon marché, c'est-à-dire remboursée par l'assurance, ou, au contraire, rechercher l'oiseau rare qui travaille en privé? On sait que les chances de succès d'une thérapie dépendent en grande partie de l'initiative personnelle. La confidentialité absolue qu'offre une démarche privée permet au patient de maintenir et de développer plus librement le désir qui supporte cette initiative. Il importe de soutenir cette volonté que manifeste une personne, à un moment donné, de résoudre certaines questions ou difficultés, en offrant un minimum de transparence sur la nature de la psychanalyse, des psychothérapies.
2 Le choix d'une méthode thérapeutique n'est pas une chose évidente pour les néophytes, et il nécessite certainement plus de connaissance. Faut-il entreprendre une thérapie comportementale, une psychanalyse, une gestalt-thérapie, ingurgiter des pilules, tenter une nouvelle programmation de ses neurones ? C'est cette question que je traiterai. Le but de ce texte est de présenter au lecteur les logiques et les filiations philosophiques qui prédéterminent les pratiques "psy". Bien entendu, le sujet est vaste, et je me contenterai dans cet article de dégager sommairement quelques grandes lignes susceptibles d'éclairer ces différences. Il est possible de présenter schématiquement l'ensemble des approches thérapeutiques selon trois grandes traditions. Trois courants fondamentaux. Historiquement, la première tradition est psychanalytique, Sigmund Freud soigne le premier des hystériques jusqu'alors considérés comme incurables. Il brise les tabous liés à la sexualité, à la sexualité enfantine et travaille sur la mise à jour de la dimension inconsciente de l'homme, sur ce qui échappe à sa volonté consciente. Une autre tradition thérapeutique est dite scientifique. C'est une tentative d'appliquer au psychisme de l'homme les grandes découvertes scientifiques de notre culture moderne et post-moderne (machine industrielle, physique, télécommunication, cybernétique etc) selon un idéal de contrôle, de maîtrise, d'efficacité conforme aux valeurs dominantes d'une culture matérialiste. L'homme est abordé au même titre qu'un scientifique étudierait un objet, c'est-à-dire dans un idéal d'objectivité : le critère par excellence des sciences dites "exactes". La philosophie qui définit cette démarche s'appelle le positivisme, elle fut créée par A. Conte (1789-1857). Les maîtres-mots sont ici: explication et universalité. La troisième tradition mélange en quelque sorte des approches humanistes, spirituelles ou idéalistes. Ce qui importe n'est plus l'objectivité, mais au contraire la subjectivité, le ressenti personnel, l'émotion, la qualité de la relation dans l' " ici et maintenant ". A cet égard, nous pouvons associer cette tradition au courant phénoménologique en philosophie. Cette tradition peut être comparée à certaines philosophies et religions orientales. La psychiatrie s'inscrit clairement dans la tradition scientifique et positiviste. Son recours aux médicaments atteste d'une approche "organique" du psychisme humain. Ce que la
3 médecine fait avec les corps, la psychiatrie tente de le répéter avec le psychisme (2) selon une logique de causalité qui ne prend en compte ni la nature symbolique du psychisme, ni les besoins humains de donner un sens aux symptômes. Le projet sous-entendu de cette philosophie est le développement d'une exclusivité de l'objectivité induisant une relation rationaliste entre soi et le monde, sensée être la seule (la vraie) manière de symboliser son existence. Un des positivistes les plus farouches, Neurath, prétend que " le corps des propositions scientifiques épuise la totalité des affirmations significatives " (3). En clair, cela signifie qu'hormis la science, rien ne fait sens. Exit, la culture, les arts, les religions, la philosophie, la politique, l'irrationnel, etc. La psychanalyse a sa propre origine puisqu'elle constitue une nouveauté dans l'histoire des sciences. Elle analyse la signification inconsciente des symptômes de l'individu pour l'en libérer. Le symptôme est le signe pour l'homme de la nécessité d'évoluer dans la connaissance de soi (et des autres), il fonctionne comme levier, comme motivation. Ceci la distingue de la psychiatrie puisque celle-ci cherche à éliminer les symptômes, en les réprimant par toutes sortes de procédures apparemment rationnelles. La cure psychanalyse, pour sa part vise à dévoiler le désir inconscient, à conférer un sens aux symptômes qui régressent en conséquences. On y soigne la déchirure du sens. Le projet de la psychanalyse est la découverte progressive des vérités fondamentales de l'homme, le dépassement de ses illusions ainsi que le développement d'une certaine sagesse. Enfin, parmi les approches dites humanistes nous pouvons mentionner la méthode Rodgerienne, "centrée sur la personne", qui privilégie l'empathie et la qualité d'authenticité dans la relation patient-thérapeute. Dans cette même famille de thérapies, on trouve également les arts-thérapies qui valorisent le potentiel créatif de la personne ainsi que sa capacité à s'auto-déterminer en respectant les caractéristiques personnelles. Il y a aussi, les thérapies corporelles, lesquelles insistent plus sur les aspects non verbaux que sur l'interprétation spéculative. Ici, le projet est de développer le sentiment de bien-être, d'harmonie ainsi que d'entretenir l'idée d'avancer sur le plan humain et spirituel. Bien entendu c'est entre ces trois axes que l'on trouve la majorité des pratiques psychothérapeutiques, offrant toutes sortes de compromis originaux (4). Pour éviter au lecteur d'entrer dans des considérations peut-être trop complexes, je centrerai mon analyse sur les différences dans les rapports entre le patient et le thérapeute selon les diverses méthodes de thérapies ou de psychanalyse.
4 La relation à l'autre dans ces trois traditions. I. Avec le positivisme. Dans la tradition positiviste, les choses sont simples : le rapport entre le scientifique et son objet est déterminé par un idéal d'objectivité qui, entre autres choses, signifie une absence d'influence, une neutralité de l'observateur supposé capable de mettre de côté ses préjugés pour juger objectivement son objet. Cette neutralité justifie dans l'esprit de ces praticiens une banalisation de l'écoute réduite à un acte de jugement, asservie au besoin qu'éprouve le positiviste à catégoriser le discours ainsi que la personne concernée. L'objectivité recherchée est bien entendu impossible et, de fait, peu utile. Elle sert surtout de prétexte pour intellectualiser a priori ce qu'il pourrait y avoir de libidinal dans la relation, chose qui précisément réclame un travail de symbolisation original. Cette influence regrettable du positivisme sur la psychiatrie s'explique peut-être par le fait que celle-ci se soit forgée au contact aux pathologies les plus graves de l'être humain, négligeant de prendre en compte les dimensions positives de la nature humaine. Parmi les critiques (5) adressées au positivisme, mentionnons simplement celle d'Einstein. Pour lui l'idéal d'objectivité est une illusion. Il montre le rôle fondamental de l'observateur dans la détermination de l'objet qu'il étudie. Sans un ensemble de connaissances plus ou moins explicitement utilisées, l'observation elle-même ne serait pas possible. Il faudrait une démarche qui intègre le rôle de l'observateur en tant qu'il participe activement, consciemment et inconsciemment à son observation du monde. En ce sens, Freud et Einstein ont une approche comparable. L'absence de conscience de leurs présupposés font croire aux positivistes qu'ils observent une réalité "extérieure" ; mais ils ne se montrent pas (assez) capables d'évaluer et de reconsidérer leurs propres présupposés (d'autant qu'ils sont en partie inconscients). Ainsi le scientifique mesure, sous-pèse la situation, pose un diagnostic et propose un traitement en étant persuadé de la validité des méthodes positivistes. Le tout selon une métaphysique (ensemble de théories) établie par une congrégation dont l'autorité ne saurait être remise en doute. L'homme est ici déterminé implicitement par une statistique de la moyenne qui fera dire au psychiatre qu'il est normal ou anormal d'avoir n rapports sexuels par semaine selon son âge, sa profession et sa dentition bien entendu, .... Tout est ensuite justifié dans cette référence à l'homme moyen, normal, lequel, n'existe que dans la pensée des positivistes. Ce qui fait sens est ici essentiellement déterminé par une logique des statistiques plutôt que par une compréhension du contexte personnel et historique, nécessairement unique et impossible à faire entrer dans une analyse statistique.
5 La psychiatrie On le voit, l'héritage scientifique de la psychiatrie n'est pas des plus heureux lorsqu'il s'agit de traiter du psychisme humain. On peut ainsi mieux comprendre les impasses qui caractérisent ses échecs: particulièrement le traitement des psychoses qui se limite à une stabilisation du comportement par l'administration massive de médicaments. Alors que la prise en charge de ces patients réclame d'urgence des méthodes plus appropriées, le monde médical et politique les assimilent à des personnes handicapées. Cette catégorisation des psychoses en handicap mental justifie l'intervention de l'assurance invalidité, certes louable, mais cela reste une manière d'éluder ce qui pose problème. Une telle action transforme une problématique en une autre - à défaut de la résoudre - puisque que la balle se trouve dès lors dans le camps des actionnaires sociaux (et politique) qui s'évertuent à en gérer les coûts sans analyser que plus on soigne de la sorte, plus cela coûte... On reconnaît là la philosophie positiviste qui sous- tend ce genre de logique. De même, l'incapacité à traiter mieux d'autres affections plus légères autrement que par des médicaments contribue à transformer des patients en personnes assistées (légalement drogués). De surcroît, une telle méthode a pour conséquence de déléguer à la collectivité la nécessité d'assumer, financièrement et humainement des symptômes qui de la sorte s'écartent d'une éventuelle résolution. Les patients traités par des médicaments développent une personnalité d'apparence (faux self) qui contribue aux transmissions transgénérationnelles des symptômes et difficultés non résolues. Cette approche se réduit en fait à une tentative d'acquérir le malade à sa vision du monde - et de considérer que la vision du monde du malade est justement ce qu'il faut "corriger", ou liquider et surtout ne pas écouter. C'est donc le refus d'aborder le sens du symptôme. Le sentiment d'adhérer à une norme rassurante, que la psychiatre au nom d'une "connaissance scientifique" ne cesse d'exploiter, s'il est en soi sécurisant, n'a rien de thérapeutique. Bon nombre de patients vont ainsi vérifier l'impossibilité de véritablement changer. Les problèmes non vécus dans la relation thérapeutique, au lieu d'être progressivement compris sur un plan intra-psychique ressurgiront dans les conflits normalisés avec l'extérieur (en s'amplifiant) sans entrer dans la dimension symbolique, significative et libératrice. Evidemment, la psychiatrie, comme représentant de l'ordre social ne peut éviter de répercuter dans sa pratique les symptômes que ce même ordre social génère. Au lieu de développer une clinique qui s'adresserait également à la société qui génère le malaise, elle se contente d'incarner la réaction d'une civilisation de l'uniforme qui tente de normaliser ce qui la questionne. Elle est financée pour ce faire...
6 On comprend dès lors que d'être remboursé à 90%, ce qui semble être à première vue un avantage, implique en fait une allégeance perverse aux valeurs positivistes et patriarcales de notre société. Evidemment, cela n'empêche pas le fonctionnement d'une clinique de la normalisation/domestication. Bien au contraire, cela en est même une garantie. Ce qui n'est pas pris en compte dans cette logique, c'est la valeur positive des symptômes comme moteurs du développement, comme facteur naturel d'humanisation. Entendre les symptômes comme des sources d'enrichissement, comme un potentiel de créativité et de connaissance de soi ne peut que remettre en cause une définition positiviste de la normalité humaine puisque que chacun devient original et unique. Le financement généralisé de ces pratiques rend compte de l'incapacité des politiciens à entendre autre chose qu'un discours pseudo objectif, se contentant des croyances que l'ignorance populaire génère parce que victime d'une culture patriarcale. Il faut dire que le maintien de cette ignorance participe activement au développement des industries hospitalières et pharmaceutiques, en passant par la mass-médiatisation d'une Lamal qui continue à financer les pratiques privées des psychiatres indépendants. Toutefois, il faut aussi relever que les psychiatres sont eux-mêmes la proie d'une politique risquée qui les place dans une position de devoir assumer la maladie psychique sans pouvoir prendre le recul philosophique souhaitable puisque ceci pourrait les amener à scier la branche sur laquelle ils sont déjà assis. Si l'usage des médicaments limite, dans l'urgence et fort heureusement, les dégâts, il est risqué de trop vouloir se protéger de la sorte. Une douleur, une crise, un symptôme peut être libérateur ou conduire à une plus grande connaissance de soi si l'on arrive à offrir une écoute qui soutienne une mise en parole. Quoiqu'il en soit, d'ici à en faire un mode de traitement systématique, on peut tout de même se poser de sérieuses questions. Ceci est d'autant plus surprenant lorsque l'on sait que des médecins généralistes, qui sont souvent très peu formés en matière de souffrances psychiques, prescrivent des médicaments! Parfois même, c'est la médication à vie qui s'impose dans l'horizon de leur entendement positiviste. Il serait plus logique que seuls les spécialistes en médicaments puissent les prescrire et surtout, qu'ils puissent garantir le traitement qui libéreront les patients de cette dépendance. Mais peut-on tant espérer d'une formation médicale universitaire? Le plus étonnant cependant, et l'ignorance populaire ne suffit pas à l'expliquer, réside dans le constat qu'autant de patients se contentent d'une clinique médicamenteuse si artificielle.
7 Avec les psychothérapies proches du positivisme Avec la psychiatrie, il y a aussi d'autres pratiques qui souscrivent pleinement à l'approche positiviste. Elles proviennent d'une longue tradition d'expérimentation sur des animaux depuis les travaux de Pavlov (1849-1936) puis de Watson (1878-1958) a qui l'on doit le terme de "behaviorisme". Ce sont ensuite diverses disciplines, relevant des sciences exactes, cybernétiques, biologie, théories de l'information, qui viennent compléter les références utilisées dans les thérapies comportementales et cognitives. Dans ces approches, le thérapeute joue un rôle actif, se substituant à ce qui peut faire défaut chez un patient. Partant d'une connaissance des divers modèles théoriques métaphysiques, il définit la manière d'appréhender les symptômes. Exactement comme un médecin, une fois le diagnostic posé, prescrit le traitement à suivre. Dans ces thérapies, ce que l'on appelle une "alliance thérapeutique" a une grande importance. D'emblée des buts, des moyens sont discutés et décidés d'un commun accord pour combattre les symptômes. Le patient est happé dans la logique explicative des positivistes dont l'autorité vise à vérifier, tout en l'imposant, un savoir érigé comme objet universel. Au besoin, le thérapeute rappelle les termes de l'alliance conclue pour convaincre le patient à aborder ses résistances. Alors qu'il semble faire alliance avec le moi du patient, le thérapeute risque de renforcer le surmoi, surtout lorsque sa détermination de la relation ne permet pas au sujet d'aborder par lui-même ses désirs inconscients les plus authentiques. Ainsi, par exemple, un gestalt thérapeute peut proposer à son patient des exercices à effectuer le mieux possible. Dans une thérapie cognitive ou comportementale, également certains buts sont déterminés en vue de normaliser les patients. Des assignations de tâches graduées, des techniques cognitives structurent ces pratiques thérapeutiques en principe limitées dans le temps à quelques mois. Le risque de ces thérapies est de ne pas saisir la signification inconsciente des symptômes qui, s'ils peuvent disparaître ont néanmoins de fortes chances de réapparaître sous une autre forme, parfois plus grave. Mais cette dynamique échappe totalement aux statistiques en la matière puisqu'il est impossible d'établir un lien de cause à effet entre la disparition d'un symptôme et l'apparition d'un autre problème qui pourra être attribué à de nouvelles causes. On met ainsi en oeuvre de nouvelles résistances à la solde d'anciens symptômes. Le sens profond du symptôme reste obscur, la connaissance de soi limitée, au mieux, à la connaissance du fonctionnement des mécanismes de défense.
8 II. Avec les psychothérapies proches de la phénoménologie. Tout autre est la relation que recherchent les psychothérapeutes inspirés par la phénoménologie et l'humanisme. Pour eux, la relation est un espace qui n'est pas figé et dans lequel les protagonistes se définissent perpétuellement. Ce qui compte, c'est de vivre la relation d'une manière authentique, de l'approfondir en abordant les obstacles qui empêchent cette ouverture à l'autre. Les difficultés qui amènent le patient chez un thérapeute sont abordées au travers de la relation, et non pas comme si elles existaient en dehors du lieu à celle-ci. Au cours du travail thérapeutique se vivent toutes sortes de phénomènes irrationnels, émotifs, empathiques qui, lorsqu'ils sont acceptés (ou acceptables) par le thérapeute, permettent une élaboration, des prises de conscience favorisant l'évolution de la thérapie. Afin que cette dynamique s'accomplisse, l'attention du thérapeute va à l'actualité de ce qui a lieu, c'est-à-dire à l'ici et maintenant, sur la co- présence: la dimension de l'être si chère à la phénoménologie. Cette attitude thérapeutique s'oppose ainsi diamétralement aux démarches positivistes qui, elles, visent à l'acquisition d'un mode de relation normalisée, qu'il faudrait établir une fois pour toute. Impossible également d'être authentique sous l'influence des médicaments. La thérapie centrée sur la personne de Rodgers correspond bien à cette démarche. Dans ce cas, il n'y a quasiment pas de référence à des théories ou à des diagnostics qui ne feraient qu'interférer et biaiser la relation du thérapeute avec le patient. On peut l'imaginer aisément, ce genre de thérapie demande des qualités exceptionnelles de la part du thérapeute. La Dasein-analyse, également très inspirée de la phénoménologie nécessite de la part du thérapeute une aptitude à "être là", difficile à garantir. Binswanger, son fondateur, estimait qu'une psychanalyse constituait une étape de formation nécessaire à cette pratique. Les valeurs fondamentales qui supportent ces approches thérapeutiques s'apparentent à une image de l'homme comme étant un être doté de la capacité d'amour, potentiellement créatif, inventif, à la recherche d'un épanouissement global, sexuel et personnel - non pas seulement sur le plan matériel et économique. Lorsque ces valeurs se développent en idéologie, ce qui est courant, celle-ci ne manque pas de se heurter au retours du refoulé, cette fois-ci rencontré sous la forme d'une fatalité attribuée au réel. Ici également, il semble impossible de faire l'économie d'un travail sur sa vie inconsciente.
9 III. Avec la psychanalyse. C'est le transfert qui caractérise la relation analyste-analysant. Le transfert est un phénomène spontanément à l'œuvre dans toutes relations interpersonnelles. Parfois conscient, souvent inconscient, le transfert a lieu lorsque l'on projette volontairement ou involontairement sur autrui des intentions, des sentiments, positifs et négatifs, et qu'en fait, se rejouent des expériences du passé (ou supposées appartenir au passé), dans une relation actuelle. Dans l'approche analytique, la dimension de l'être, centrale chez Heidegger, n'est certes pas exclue. Cependant, elle est subordonnée à celle de la relation où s'inscrit le désir. Ce n'est pas uniquement la mise en présence qui permet à un individu de rencontrer un monde ou un autre être humain. C'est au travers de ses échanges, sous forme d'investissement libidinal, de pulsions et de paroles, que l'homme véritablement existe et que sa nature humaine trouve à se développer. De l'analyse du transfert dépend l'évolution de la cure. L'analyste assume cette fonction, et, en fait, offre cette possibilité, par son silence et son refus d'entrer dans une " discussion " rationalisante. Le refoulé inconscient se rejoue en acte de parole, en sentiments etc., dans la situation analytique. Le fait de vivre le transfert et ses résistances permet progressivement de l'analyser au cours de la perlaboration, c'est-à- dire au travers d'une élaboration verbale ponctuée de prises de conscience. Cette perlaboration implique une durée que d'autres méthodes prétendent écourter, par exemple avec le recours à l'hypnose et à la suggestion. Freud dit à ce sujet: "On voit dans des succès qui surviennent trop tôt plutôt des obstacles que des facteurs favorables au travail analytique, et l'on détruit à nouveau ces succès en ne cessant de dissoudre le transfert sur lequel ils reposent. Dans le fond, c'est ce dernier trait qui distingue le traitement psychanalytique du traitement purement suggestif et dégage les résultats analytiques du soupçon d'être des succès suggestifs. Dans tout autre traitement suggestif, le transfert est soigneusement ménagé, laissé intact; dans le traitement analytique, il est lui-même objet du traitement et est décomposé lors de chacune de ses formes d'apparition. Au terme d'une cure analytique, il faut que le transfert lui-même soit déblayé, et si alors le succès survient ou se maintient, il ne repose pas sur la suggestion, mais sur l'opération qui a pu être effectuée grâce à elle: le dépassement de résistances internes, sur la transformation interne obtenue chez le malade." (6) Ainsi, même si les patients vont souvent mieux dès les premières semaines de leur cure, pour assurer la permanence de cet état, une prise de conscience du transfert ainsi que sa résolution sont nécessaires à une guérison.
10 Avec la psychanalyse orthodoxe.(7) Il existe ensuite plusieurs écoles ou tendances en psychanalyse. On peut les distinguer brièvement selon les conceptions métaphysiques qu'elles défendent. La tradition orthodoxe (l'IPA, et à Genève, le Centre Raymond de Saussure) estime par exemple que la castration des pulsions libidinales pour leurs sublimations est une nécessité à la structuration psychique de l'individu. Cette référence à l'Œdipe selon Freud est pourtant largement critiquée depuis près d'un quart de siècle mais sans grand succès auprès de ces orthodoxes, eux-mêmes conditionnés par une telle structuration. De leurs côtés, les Lacaniens font également la promotion d'une castration "symbolique" instaurant de la sorte le désir et l'ordre du symbolique assujetti à la loi, loi patriarcale par excellence. Par le renforcement de la frustration des désirs enfantins, les patients accèdent à la normalité/domestication patriarcale. L'autorité qui s'exerce de la sorte prend appui sur des éléments tiers, consensuels. Le plein épanouissement d'un potentiel de créativité est alors moins important qu'une adaptation à une norme idéalisée. Freud disait qu'il fallait déjà s'estimer heureux si d'un grand désespoir l'on arrivait à rendre un patient simplement normalement malheureux. On est toutefois en droit, actuellement, d'attendre plus. Avec la psychanalyse non orthodoxe.(8) Pour terminer, il reste la tendance actuelle en psychanalyse qui va vers une contestation des orthodoxies et des écoles jugées trop rigides. Des avancées se dégagent de la sorte et offrent des nouvelles découvertes, fécondes et non plus contradictoires. Par exemple, en ce qui concerne les transmissions intergénérationnelles. Un regard, maintenant possible, porté sur plusieurs générations permet de dégager des phénomènes récurrents très significatifs. Parmi les développements qui cherchent à intégrer les connaissances freudiennes avec des acquisitions plus récentes, mentionnons, à titre d'exemple, à Paris, les travaux de plusieurs psychanalystes (9) et à Genève, le séminaire du Cercle Freudien dirigé par Mario Cifali (10). Une avancée fondamentale concerne la remise en question de l'acte de castration symbolique et pulsionnel du père et la soumission à la loi patriarcale. On constate ainsi que le mythe d'Œdipe a toujours été dramatisé par le discours orthodoxe aveugle aux véritables enjeux. En effet, c'est plutôt dans la restauration d'un lien primaire satisfaisant que l'on évite de provoquer le besoin inextinguible d'un retour aux origines. Il s'agit de permettre
11 l'émergence d'une symbolisation originale des liens oedipiens au lieu de les régenter au travers du discours castrateur du patriarche. De plus, cette ouverture permet de mieux élaborer les héritages transgénérationnels inconscients. La fonction structurante de la castration mérite d'être analysée comme étant, à y regarder de plus près, une source supplémentaire de traumatisme et même l'origine de la dite pulsion de mort. En tous les cas, la castration fournit une expérience susceptible de figer le temps, sur le mode des compulsions elles-mêmes expliquées par la notion de pulsion de mort. L'autorité non- orthodoxe vise à l'émergence du sujet là où "ça parle", l'éclairant sur ses rapports à ses origines, mais elle émane du désir de l'analyste. Par contre, avec la pratique de la coupure du lien à la mère, la castration, il s'agit d'un acte de croyance normatif qui, veut introduire le "il faut" là où "ça parle", réduisant la parole du sujet, dans son rapport aux pulsions oedipiennes, à l'impersonnel d'une norme culturelle ("on fait comme ça"). Il ne s'agit bien entendu pas de nier la valeur des règles qui harmonisent la vie sociale, mais d'analyser là où, dans leurs prises en compte, le sujet est évincé au profit d'un discours de l'autre. Cette référence à la fonction castrante (même symbolique) ou au contraire édifiante de l'analyste conditionne fortement le transfert et son analyse. Ceux qui s'y entendent verront dans l'acte de castration des orthodoxes le semblant de la relation positiviste du scientifique séparé de son objet d'étude (11). De même le recours aux médicaments n'est rien d'autre qu'un acte visant à couper -castrer - des pulsions, des pensées au lieu de les analyser. Le transfert est vécu d'une toute autre manière dans une psychanalyse orthodoxe que dans une psychanalyse inspirée des développements cités ci-dessus. L'orthodoxie, comme le positivisme renforcera le surmoi, c'est-à-dire la part du discours patriarcal repris par le moi. Dans les perspectives nouvelles, c'est par une symbolisation originale que le moi développe sa relation au ça. C'est là une réponse à un certain nombre de critiques adressées à la psychanalyse ainsi qu'une prise en compte des apports de la phénoménologie. Il est important de le préciser étant donné les expériences insatisfaisantes que la pratique orthodoxe a trop souvent entraînées. La réputation de la psychanalyse a pu en pâtir, mais: "ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain !" Avec les avancées des perspectives non orthodoxes se dessine un tournant de première importance dans l'histoire de la psychanalyse (12). En lieu et place de la prescription des lois patriarcales, une analyse de leurs fonctionnements, une réévaluation de notre propre culture. L'importance grandissante des législations témoigne de l'incapacité dont souffrent nos sociétés à générer une autorité plus essentielle, fondée sur des valeurs humaines et moins abstraites. Se substitue à la figure de l'homme comme philosophe,
12 comme penseur, c'est-à-dire comme ayant sa propre autorité, l'homme des réglementations, qui puise son autorité à l'extérieur, tel un agent, un juge, instrument d'une autorité autre et dépossédé de son propre désir. Difficulté grandissante d'échapper à cette destinée, à cette "oedipianisation". Il faut remarquer, justement, que lors de la dernière élection du président des Etats Unis, c'est le pouvoir de l'appareil judiciaire qui fut prépondérant. Nos sociétés évoluent d'un projet utopique de démocratie vers un totalitarisme des règlements propre à la culture patriarcale. Le glissement de la métapsychologie vers une métaphysique (13), vers une psychologisation de la théorie psychanalytique, caractéristique des partisans de l'orthodoxie, relève d'un même symptôme. Et c'est parce que la psychiatrie est fondamentalement une métaphysique issue du positivisme que l'orthodoxie s'en rapproche "naturellement". Il n'est donc pas étonnant de voir la psychiatrie et l'orthodoxie se confondre, comme lors du dernier congrès co-organisé à Genève. L'application, dans la pratique, d'une telle métaphysique réclame un acte de croyance (14) (en Dieu, en la Science, ou en des Lois, c'est égal). Pour un psychanalyste, il est clair que c'est là une représentation d'une autorité non-analysée qui perpétuera la symptomatique patriarcale. En conséquence, cette limitation de l'analyse va tronquer le potentiel curatif du phénomène du transfert. Même si l'inconscient reste l'objet d'une telle métaphysique, cette approche aboutit nécessairement à la pratique de l'interprétation comme d'un assommoir du savoir. Avec l'orthodoxie, on passe de l'esprit freudien à une obéissance "au pied de la lettre". Symptôme qu'elle partage avec nos sociétés qui superposent aux lois naturelles (non-écrites) les lois écrites. En ce sens, l'orthodoxie comme la psychiatrie partage le projet normatif d'une acculturation patriarcale de l'homme négligeant le projet plus noble d'une humanisation de la société par ses individus. Tout autre est le travail qui prend appui sur l'analyse d'un transfert non conditionné par la castration. Il nous faut relire l'interprétation du mythe d'Oedipe et considérer qu'il s'agit d'accompagner l'analysant jusqu'à Colone sans vouloir lui interdire l'accès à Jocaste. Il s'agit, par exemple, en tant qu'analyste, de prendre la position de Thèsée et non pas de renforcer celle d'un Laïos (dont l'homosexualité resterait inanalysée et miraculeusement remplacée par une autorité patriarcale) qui dévierait Œdipe de sa route. Car, c'est bien là une distorsion inexpliquée et paradoxale que l'orthodoxie psychanalytique fait subir à l'oeuvre de Sophocle. Il s'agit d'introduire le sujet dans un autre rapport temporel à ses vérités inconscientes et l'analyse du transfert nous en fournit le moyen. L'esprit freudien, de part son rejet de toute métaphysique de l'inconscient (15), indique à la psychanalyse la nécessité d'un développement de
13 l'analyse du transfert. Cette tâche est plus importante que celle qui consiste à veiller au respect d'un savoir dogmatique. Cette dernière justement risque d'induire une pratique métaphysique comme résistance et absence d'analyse des symptômes qu'elle génère. Avec les contributions de la psychanalyse non orthodoxe, nous pouvons apprécier certains développements de cette jeune science et esquisser ainsi ses perspectives d'avenir. En plus d'être le fruit d'une analyse des symptômes actuels de notre culture, ces contributions approfondissent l'esprit qui caractérise la pensée psychanalytique. En résumé, les traditions scientifiques et humanistes entretiennent une dimension idéologique, abstraite, parfois difficile à vivre dans la réalité et peu adaptée à la partie inconsciente du psychisme humain. En ce sens, elles sont le reflet (par adhésion et normalisation ou par rejet et régression) d'une société dans laquelle l'apparence l'emporte sur le fond. Les relations entre individus sont de la sorte tributaires de représentations psychiques, ou de "visions du monde", conscientes et inconscientes, ce qui sous-entend l'intervention d'un tiers, autorité figurée par la science, par la loi, par un idéal spirituel, philosophique etc. En psychanalyse existe la possibilité de s'émanciper de ce tiers, par l'effet d'un transfert, ce qui permet d'approfondir sa relation à l'autre. Cependant, l'orthodoxie, limitée pour ce qui relève des désirs oedipiens, propose d'introniser définitivement un tiers castrateur, alors qu'avec la psychanalyse, il ne peut être que symptôme, objet d'analyse. Finalement, il faut souligner que les qualités humaines des praticiens, ainsi que l'aide qu'ils peuvent ou non apporter à leurs patients ne se laisse pas toujours réduire à une simple appartenance théorique. Mon propos n'est certes pas de juger - à mon tour - ces pratiques: cela n'est pas nécessaire puisque la réalité seule atteste d'un fonctionnement adéquat ou pas (les lois non-écrites si l'on veut). Il importe par contre de penser le fond de ces pratiques et de travailler vers plus de "vérités". Par ailleurs, il existe évidemment un certain décalage entre la pratique et la théorie, ce qui permet également d'avancer. Mes considérations veulent être des supports pour penser l'originalité d'une expérience face à la psychiatrie, aux psychothérapies, à l'orthodoxie et à la psychanalyse. Thierry Gaillard
14 (1) Ce texte propose de défricher quelque peu le champ des pratiques thérapeutiques en ce qu'elles souscrivent à des options philosophiques souvent ignorées, implicites. Il résume un cours de psychologie générale dispensé par l'auteur au Centre Logos (voir www.psukhe.info/gaillard). Ce cours articule les acquis provenant d'une formation postgrade à la City University de New York avec une historique de la psychanalyse. Il s'inscrit dans une volonté de ne pas céder à un système de croyance, même s'il est dominant dans une culture et qu'à ce titre il soit considéré comme structurant par les économistes de la pensée. La nécessité de dépasser ce qui fonctionne comme solution et théorie de référence, est fondamentale pour nous introduire à la différence, à l'espace qui accueille les pulsions, au transfert, et donc à l'altérité. Nécessité aussi de ne pas céder à la superficialité d'une pensée unique, pour ne pas sombrer dans un fonctionnement soumis à des lois arbitraires qui éradiquent le vivant au profit d'une appartenance à une même bannière. C'est donc une invitation à penser plutôt qu'à croire. (2) Sigmund Freud, (1926) La question de l'analyse profane, Gallimard pp 105-113, in Françoise Delbary, (1996) La psychanalyse, une anthologie, Tome I, p. 28-33, Pocket. (3) Leahey, Thomas Hardy (1987), "A History of Psychology, Main currents in psychological thought" , Prentice-Hall, New Jersey, 1987. (4) Richard, M. (1998), Les courants de la psychologie, Chronique Sociale, Lyon. (5) Bechtel, W. (1988), Philosophy of Science, Lawrence Erlbaum Associates, NJ. (6) Freud Sigmund, (1999) Conférences d'introduction à la psychanalyse, p. 575, Gallimard. (7) Cette appellation concerne les groupes ou associations qui pensent détenir l'exclusivité du savoir et de la pratique psychanalytique. (8) Pour les analystes dont l'adhésion à une quelconque bannière reste secondaire. (9) Schneider M, (1985), Père, ne vois-tu pas...? Denoël, Paris.Réfabert, Ph, (1997), Les Travaux d'Œdipe, (en collaboration) l'Harmattan, Paris. Rouchy, J-C (2001) La psychanalyse avec Nicolas Abraham et Maria Torok, édi. Erès (10) Cifali, M. (1998), Freud, le petit Hans et Lacan, Slatkine, Genève. Cifali, M. (1999), Trois rêves freudiens. Eshel, Paris. (11) Analysé de la sorte, le positivisme apparaît comme un discours conditionné par l' " oedipianisation " patriarcale. (12) Thierry Gaillard (2000) Les Etats Généraux de la Psychanalyse, Psychoscope, vol 21, édit. Fédération Suisse des Psychologues et www.psychologie-geneve.ch (13) Martin Heidegger (1938) Qu'est-ce que la métaphysique? dans Question I (1968) Gallimard (14) Martin Heidegger, (1957) Identité et différences, dans Question I (1968) Gallimard. (15) Assoun, P.-L. (1997) Psychanalyse, PUF.
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