Quelles différences entre les "psy", l'orthodoxie et la psychanalyse ?

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Quelles différences entre les "psy",
l'orthodoxie et la psychanalyse ?

                                                            Thierry Gaillard,
                                                         Article paru dans le
                                               Bloc-Notes de la Psychanalyse
                                                        no. 17, 2002, Georg
                                                                Genève/Paris

Etre psychanalyste n'est sûrement pas s'arrêter à de quelconques "vérités" du langage,
servant l'autorité d'un autre, telle qu'une interprétation du mythe d'Oedipe, mais bien au
contraire interroger ces vérités dans ce qu'elles nous révèlent de nos besoins d'illusions.
Toute connaissance est limitée, ce qui nous engage à penser par nous-mêmes, sur le
mode d'une créativité permanente. Etre freudien aujourd'hui, c'est interroger le transfert
pour en découvrir sa richesse et non pas le réduire à un jugement, un diagnostic aussi
pertinent soit-il. Le transfert ne se résume pas à une "vérité" du langage, il est
dynamique, c'est la rosée fertilisante de la cure. On peut interroger le transfert au père
de la psychanalyse par exemple, et constater que pour exister, on a pas besoin d'"être
freudien", d'"être un autre", fut-il Freud en personne. Vous êtes freudien, lacanien,
végétarien, ou lilliputien, très bien, mais encore...

Les raisons ne manquent pas d'aller consulter un "psy". Cependant, l'absence
d'informations comparatives à propos des multiples pratiques rend la démarche
hasardeuse. On sait bien que pour obtenir des prestations de qualité, il faut y mettre le
prix et, lorsqu'il s'agit d'une chose aussi importante, le grand public doit être mieux
informé. On peut se poser la question du prix d'une thérapie, s'il faut qu'elle soit bon
marché, c'est-à-dire remboursée par l'assurance, ou, au contraire, rechercher l'oiseau
rare qui travaille en privé?

On sait que les chances de succès d'une thérapie dépendent en grande partie de
l'initiative personnelle. La confidentialité absolue qu'offre une démarche privée permet
au patient de maintenir et de développer plus librement le désir qui supporte cette
initiative. Il importe de soutenir cette volonté que manifeste une personne, à un moment
donné, de résoudre certaines questions ou difficultés, en offrant un minimum de
transparence sur la nature de la psychanalyse, des psychothérapies.
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Le choix d'une méthode thérapeutique n'est pas une chose évidente pour les néophytes,
et il nécessite certainement plus de connaissance. Faut-il entreprendre une thérapie
comportementale, une psychanalyse, une gestalt-thérapie, ingurgiter des pilules, tenter
une nouvelle programmation de ses neurones ?

C'est cette question que je traiterai. Le but de ce texte est de présenter au lecteur les
logiques et les filiations philosophiques qui prédéterminent les pratiques "psy". Bien
entendu, le sujet est vaste, et je me contenterai dans cet article de dégager
sommairement quelques grandes lignes susceptibles d'éclairer ces différences.

Il est possible de présenter schématiquement l'ensemble des approches thérapeutiques
selon trois grandes traditions.

Trois courants fondamentaux.
Historiquement, la première tradition est psychanalytique, Sigmund Freud soigne le
premier des hystériques jusqu'alors considérés comme incurables. Il brise les tabous liés
à la sexualité, à la sexualité enfantine et travaille sur la mise à jour de la dimension
inconsciente de l'homme, sur ce qui échappe à sa volonté consciente.

Une autre tradition thérapeutique est dite scientifique. C'est une tentative d'appliquer au
psychisme de l'homme les grandes découvertes scientifiques de notre culture moderne
et post-moderne (machine industrielle, physique, télécommunication, cybernétique etc)
selon un idéal de contrôle, de maîtrise, d'efficacité conforme aux valeurs dominantes
d'une culture matérialiste. L'homme est abordé au même titre qu'un scientifique
étudierait un objet, c'est-à-dire dans un idéal d'objectivité : le critère par excellence des
sciences dites "exactes". La philosophie qui définit cette démarche s'appelle le
positivisme, elle fut créée par A. Conte (1789-1857). Les maîtres-mots sont ici:
explication et universalité.

La troisième tradition mélange en quelque sorte des approches humanistes, spirituelles
ou idéalistes. Ce qui importe n'est plus l'objectivité, mais au contraire la subjectivité, le
ressenti personnel, l'émotion, la qualité de la relation dans l' " ici et maintenant ". A cet
égard, nous pouvons associer cette tradition au courant phénoménologique en
philosophie. Cette tradition peut être comparée à certaines philosophies et religions
orientales.

La psychiatrie s'inscrit clairement dans la tradition scientifique et positiviste. Son recours
aux médicaments atteste d'une approche "organique" du psychisme humain. Ce que la
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médecine fait avec les corps, la psychiatrie tente de le répéter avec le psychisme (2)
selon une logique de causalité qui ne prend en compte ni la nature symbolique du
psychisme, ni les besoins humains de donner un sens aux symptômes.

Le projet sous-entendu de cette philosophie est le développement d'une exclusivité de
l'objectivité induisant une relation rationaliste entre soi et le monde, sensée être la seule
(la vraie) manière de symboliser son existence. Un des positivistes les plus farouches,
Neurath, prétend que " le corps des propositions scientifiques épuise la totalité des
affirmations significatives " (3). En clair, cela signifie qu'hormis la science, rien ne fait
sens. Exit, la culture, les arts, les religions, la philosophie, la politique, l'irrationnel, etc.
La psychanalyse a sa propre origine puisqu'elle constitue une nouveauté dans l'histoire
des sciences. Elle analyse la signification inconsciente des symptômes de l'individu pour
l'en libérer. Le symptôme est le signe pour l'homme de la nécessité d'évoluer dans la
connaissance de soi (et des autres), il fonctionne comme levier, comme motivation. Ceci
la distingue de la psychiatrie puisque celle-ci cherche à éliminer les symptômes, en les
réprimant par toutes sortes de procédures apparemment rationnelles. La cure
psychanalyse, pour sa part vise à dévoiler le désir inconscient, à conférer un sens aux
symptômes qui régressent en conséquences. On y soigne la déchirure du sens. Le projet
de la psychanalyse est la découverte progressive des vérités fondamentales de l'homme,
le dépassement de ses illusions ainsi que le développement d'une certaine sagesse.

Enfin, parmi les approches dites humanistes nous pouvons mentionner la méthode
Rodgerienne, "centrée sur la personne", qui privilégie l'empathie et la qualité
d'authenticité dans la relation patient-thérapeute. Dans cette même famille de thérapies,
on trouve également les arts-thérapies qui valorisent le potentiel créatif de la personne
ainsi que sa capacité à s'auto-déterminer en respectant les caractéristiques personnelles.
Il y a aussi, les thérapies corporelles, lesquelles insistent plus sur les aspects non
verbaux que sur l'interprétation spéculative. Ici, le projet est de développer le sentiment
de bien-être, d'harmonie ainsi que d'entretenir l'idée d'avancer sur le plan humain et
spirituel.

Bien entendu c'est entre ces trois axes que l'on trouve la majorité des pratiques
psychothérapeutiques, offrant toutes sortes de compromis originaux (4). Pour éviter au
lecteur d'entrer dans des considérations peut-être trop complexes, je centrerai mon
analyse sur les différences dans les rapports entre le patient et le thérapeute selon les
diverses méthodes de thérapies ou de psychanalyse.
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La relation à l'autre dans ces trois traditions.
I. Avec le positivisme.
Dans la tradition positiviste, les choses sont simples : le rapport entre le scientifique et
son objet est déterminé par un idéal d'objectivité qui, entre autres choses, signifie une
absence d'influence, une neutralité de l'observateur supposé capable de mettre de côté
ses préjugés pour juger objectivement son objet. Cette neutralité justifie dans l'esprit de
ces praticiens une banalisation de l'écoute réduite à un acte de jugement, asservie au
besoin qu'éprouve le positiviste à catégoriser le discours ainsi que la personne
concernée. L'objectivité recherchée est bien entendu impossible et, de fait, peu utile. Elle
sert surtout de prétexte pour intellectualiser a priori ce qu'il pourrait y avoir de libidinal
dans la relation, chose qui précisément réclame un travail de symbolisation original.
Cette influence regrettable du positivisme sur la psychiatrie s'explique peut-être par le
fait que celle-ci se soit forgée au contact aux pathologies les plus graves de l'être
humain, négligeant de prendre en compte les dimensions positives de la nature
humaine.

Parmi les critiques (5) adressées au positivisme, mentionnons simplement celle
d'Einstein. Pour lui l'idéal d'objectivité est une illusion. Il montre le rôle fondamental de
l'observateur dans la détermination de l'objet qu'il étudie. Sans un ensemble de
connaissances plus ou moins explicitement utilisées, l'observation elle-même ne serait
pas possible. Il faudrait une démarche qui intègre le rôle de l'observateur en tant qu'il
participe activement, consciemment et inconsciemment à son observation du monde. En
ce sens, Freud et Einstein ont une approche comparable. L'absence de conscience de
leurs présupposés font croire aux positivistes qu'ils observent une réalité "extérieure" ;
mais ils ne se montrent pas (assez) capables d'évaluer et de reconsidérer leurs propres
présupposés (d'autant qu'ils sont en partie inconscients).

Ainsi le scientifique mesure, sous-pèse la situation, pose un diagnostic et propose un
traitement en étant persuadé de la validité des méthodes positivistes. Le tout selon une
métaphysique (ensemble de théories) établie par une congrégation dont l'autorité ne
saurait être remise en doute. L'homme est ici déterminé implicitement par une
statistique de la moyenne qui fera dire au psychiatre qu'il est normal ou anormal d'avoir
n rapports sexuels par semaine selon son âge, sa profession et sa dentition bien
entendu, .... Tout est ensuite justifié dans cette référence à l'homme moyen, normal,
lequel, n'existe que dans la pensée des positivistes. Ce qui fait sens est ici
essentiellement déterminé par une logique des statistiques plutôt que par une
compréhension     du   contexte   personnel   et   historique,   nécessairement   unique   et
impossible à faire entrer dans une analyse statistique.
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La psychiatrie

On le voit, l'héritage scientifique de la psychiatrie n'est pas des plus heureux lorsqu'il
s'agit de traiter du psychisme humain. On peut ainsi mieux comprendre les impasses qui
caractérisent ses échecs: particulièrement le traitement des psychoses qui se limite à
une stabilisation du comportement par l'administration massive de médicaments. Alors
que la prise en charge de ces patients réclame d'urgence des méthodes plus
appropriées, le monde médical et politique les assimilent à des personnes handicapées.
Cette catégorisation des psychoses en handicap mental justifie l'intervention de
l'assurance invalidité, certes louable, mais cela reste une manière d'éluder ce qui pose
problème. Une telle action transforme une problématique en une autre - à défaut de la
résoudre - puisque que la balle se trouve dès lors dans le camps des actionnaires
sociaux (et politique) qui s'évertuent à en gérer les coûts sans analyser que plus on
soigne de la sorte, plus cela coûte... On reconnaît là la philosophie positiviste qui sous-
tend ce genre de logique. De même, l'incapacité à traiter mieux d'autres affections plus
légères autrement que par des médicaments contribue à transformer des patients en
personnes assistées (légalement drogués). De surcroît, une telle méthode a pour
conséquence de déléguer à la collectivité la nécessité d'assumer, financièrement et
humainement des symptômes qui de la sorte s'écartent d'une éventuelle résolution. Les
patients traités par des médicaments développent une personnalité d'apparence (faux
self) qui contribue aux transmissions transgénérationnelles des symptômes et difficultés
non résolues.

Cette approche se réduit en fait à une tentative d'acquérir le malade à sa vision du
monde - et de considérer que la vision du monde du malade est justement ce qu'il faut
"corriger", ou liquider et surtout ne pas écouter. C'est donc le refus d'aborder le sens du
symptôme. Le sentiment d'adhérer à une norme rassurante, que la psychiatre au nom
d'une "connaissance scientifique" ne cesse d'exploiter, s'il est en soi sécurisant, n'a rien
de thérapeutique. Bon nombre de patients vont ainsi vérifier l'impossibilité de
véritablement changer. Les problèmes non vécus dans la relation thérapeutique, au lieu
d'être progressivement compris sur un plan intra-psychique ressurgiront dans les conflits
normalisés avec l'extérieur (en s'amplifiant) sans entrer dans la dimension symbolique,
significative et libératrice. Evidemment, la psychiatrie, comme représentant de l'ordre
social ne peut éviter de répercuter dans sa pratique les symptômes que ce même ordre
social génère. Au lieu de développer une clinique qui s'adresserait également à la société
qui génère le malaise, elle se contente d'incarner la réaction d'une civilisation de
l'uniforme qui tente de normaliser ce qui la questionne. Elle est financée pour ce faire...
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On comprend dès lors que d'être remboursé à 90%, ce qui semble être à première vue
un avantage, implique en fait une allégeance perverse aux valeurs positivistes et
patriarcales de notre société. Evidemment, cela n'empêche pas le fonctionnement d'une
clinique de la normalisation/domestication. Bien au contraire, cela en est même une
garantie. Ce qui n'est pas pris en compte dans cette logique, c'est la valeur positive des
symptômes comme moteurs du développement, comme facteur naturel d'humanisation.
Entendre les symptômes comme des sources d'enrichissement, comme un potentiel de
créativité et de connaissance de soi ne peut que remettre en cause une définition
positiviste de la normalité humaine puisque que chacun devient original et unique. Le
financement généralisé de ces pratiques rend compte de l'incapacité des politiciens à
entendre autre chose qu'un discours pseudo objectif, se contentant des croyances que
l'ignorance populaire génère parce que victime d'une culture patriarcale. Il faut dire que
le maintien de cette ignorance participe activement au développement des industries
hospitalières et pharmaceutiques, en passant par la mass-médiatisation d'une Lamal qui
continue à financer les pratiques privées des psychiatres indépendants.

Toutefois, il faut aussi relever que les psychiatres sont eux-mêmes la proie d'une
politique risquée qui les place dans une position de devoir assumer la maladie psychique
sans pouvoir prendre le recul philosophique souhaitable puisque ceci pourrait les amener
à scier la branche sur laquelle ils sont déjà assis. Si l'usage des médicaments limite,
dans l'urgence et fort heureusement, les dégâts, il est risqué de trop vouloir se protéger
de la sorte. Une douleur, une crise, un symptôme peut être libérateur ou conduire à une
plus grande connaissance de soi si l'on arrive à offrir une écoute qui soutienne une mise
en parole. Quoiqu'il en soit, d'ici à en faire un mode de traitement systématique, on peut
tout de même se poser de sérieuses questions. Ceci est d'autant plus surprenant lorsque
l'on sait que des médecins généralistes, qui sont souvent très peu formés en matière de
souffrances psychiques, prescrivent des médicaments! Parfois même, c'est la médication
à vie qui s'impose dans l'horizon de leur entendement positiviste. Il serait plus logique
que seuls les spécialistes en médicaments puissent les prescrire et surtout, qu'ils
puissent garantir le traitement qui libéreront les patients de cette dépendance. Mais
peut-on tant espérer d'une formation médicale universitaire?

Le plus étonnant cependant, et l'ignorance populaire ne suffit pas à l'expliquer, réside
dans le constat qu'autant de patients se contentent d'une clinique médicamenteuse si
artificielle.
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Avec les psychothérapies proches du positivisme

Avec la psychiatrie, il y a aussi d'autres pratiques qui souscrivent pleinement à
l'approche positiviste. Elles proviennent d'une longue tradition d'expérimentation sur des
animaux depuis les travaux de Pavlov (1849-1936) puis de Watson (1878-1958) a qui
l'on doit le terme de "behaviorisme". Ce sont ensuite diverses disciplines, relevant des
sciences exactes, cybernétiques, biologie, théories de l'information, qui viennent
compléter les références utilisées dans les thérapies comportementales et cognitives.

Dans ces approches, le thérapeute joue un rôle actif, se substituant à ce qui peut faire
défaut chez un patient. Partant d'une connaissance des divers modèles théoriques
métaphysiques, il définit la manière d'appréhender les symptômes. Exactement comme
un médecin, une fois le diagnostic posé, prescrit le traitement à suivre. Dans ces
thérapies, ce que l'on appelle une "alliance thérapeutique" a une grande importance.
D'emblée des buts, des moyens sont discutés et décidés d'un commun accord pour
combattre les symptômes. Le patient est happé dans la logique explicative des
positivistes dont l'autorité vise à vérifier, tout en l'imposant, un savoir érigé comme
objet universel. Au besoin, le thérapeute rappelle les termes de l'alliance conclue pour
convaincre le patient à aborder ses résistances. Alors qu'il semble faire alliance avec le
moi du patient, le thérapeute risque de renforcer le surmoi, surtout lorsque sa
détermination de la relation ne permet pas au sujet d'aborder par lui-même ses désirs
inconscients les plus authentiques. Ainsi, par exemple, un gestalt thérapeute peut
proposer à son patient des exercices à effectuer le mieux possible. Dans une thérapie
cognitive ou comportementale, également certains buts sont déterminés en vue de
normaliser les patients. Des assignations de tâches graduées, des techniques cognitives
structurent ces pratiques thérapeutiques en principe limitées dans le temps à quelques
mois.

Le risque de ces thérapies est de ne pas saisir la signification inconsciente des
symptômes qui, s'ils peuvent disparaître ont néanmoins de fortes chances de
réapparaître sous une autre forme, parfois plus grave. Mais cette dynamique échappe
totalement aux statistiques en la matière puisqu'il est impossible d'établir un lien de
cause à effet entre la disparition d'un symptôme et l'apparition d'un autre problème qui
pourra être attribué à de nouvelles causes. On met ainsi en oeuvre de nouvelles
résistances à la solde d'anciens symptômes. Le sens profond du symptôme reste obscur,
la connaissance de soi limitée, au mieux, à la connaissance du fonctionnement des
mécanismes de défense.
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II. Avec les psychothérapies proches de la phénoménologie.

Tout autre est la relation que recherchent les psychothérapeutes inspirés par la
phénoménologie et l'humanisme. Pour eux, la relation est un espace qui n'est pas figé et
dans lequel les protagonistes se définissent perpétuellement. Ce qui compte, c'est de
vivre la relation d'une manière authentique, de l'approfondir en abordant les obstacles
qui empêchent cette ouverture à l'autre. Les difficultés qui amènent le patient chez un
thérapeute sont abordées au travers de la relation, et non pas comme si elles existaient
en dehors du lieu à celle-ci. Au cours du travail thérapeutique se vivent toutes sortes de
phénomènes irrationnels, émotifs, empathiques qui, lorsqu'ils sont acceptés (ou
acceptables) par le thérapeute, permettent une élaboration, des prises de conscience
favorisant l'évolution de la thérapie. Afin que cette dynamique s'accomplisse, l'attention
du thérapeute va à l'actualité de ce qui a lieu, c'est-à-dire à l'ici et maintenant, sur la co-
présence: la dimension de l'être si chère à la phénoménologie. Cette attitude
thérapeutique s'oppose ainsi diamétralement aux démarches positivistes qui, elles,
visent à l'acquisition d'un mode de relation normalisée, qu'il faudrait établir une fois pour
toute. Impossible également d'être authentique sous l'influence des médicaments.

La thérapie centrée sur la personne de Rodgers correspond bien à cette démarche. Dans
ce cas, il n'y a quasiment pas de référence à des théories ou à des diagnostics qui ne
feraient qu'interférer et biaiser la relation du thérapeute avec le patient. On peut
l'imaginer aisément, ce genre de thérapie demande des qualités exceptionnelles de la
part du thérapeute. La Dasein-analyse, également très inspirée de la phénoménologie
nécessite de la part du thérapeute une aptitude à "être là", difficile à garantir.
Binswanger, son fondateur, estimait qu'une psychanalyse constituait une étape de
formation nécessaire à cette pratique.

Les valeurs fondamentales qui supportent ces approches thérapeutiques s'apparentent à
une   image   de   l'homme    comme     étant   un   être   doté   de   la   capacité   d'amour,
potentiellement créatif, inventif, à la recherche d'un épanouissement global, sexuel et
personnel - non pas seulement sur le plan matériel et économique.
Lorsque ces valeurs se développent en idéologie, ce qui est courant, celle-ci ne manque
pas de se heurter au retours du refoulé, cette fois-ci rencontré sous la forme d'une
fatalité attribuée au réel. Ici également, il semble impossible de faire l'économie d'un
travail sur sa vie inconsciente.
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III. Avec la psychanalyse.

C'est le transfert qui caractérise la relation analyste-analysant. Le transfert est un
phénomène spontanément à l'œuvre dans toutes relations interpersonnelles. Parfois
conscient, souvent inconscient, le transfert a lieu lorsque l'on projette volontairement ou
involontairement sur autrui des intentions, des sentiments, positifs et négatifs, et qu'en
fait, se rejouent des expériences du passé (ou supposées appartenir au passé), dans une
relation actuelle. Dans l'approche analytique, la dimension de l'être, centrale chez
Heidegger, n'est certes pas exclue. Cependant, elle est subordonnée à celle de la relation
où s'inscrit le désir. Ce n'est pas uniquement la mise en présence qui permet à un
individu de rencontrer un monde ou un autre être humain. C'est au travers de ses
échanges, sous forme d'investissement libidinal, de pulsions et de paroles, que l'homme
véritablement existe et que sa nature humaine trouve à se développer.

De l'analyse du transfert dépend l'évolution de la cure. L'analyste assume cette fonction,
et, en fait, offre cette possibilité, par son silence et son refus d'entrer dans une "
discussion " rationalisante. Le refoulé inconscient se rejoue en acte de parole, en
sentiments etc., dans la situation analytique. Le fait de vivre le transfert et ses
résistances permet progressivement de l'analyser au cours de la perlaboration, c'est-à-
dire au travers d'une élaboration verbale ponctuée de prises de conscience.

Cette perlaboration implique une durée que d'autres méthodes prétendent écourter, par
exemple avec le recours à l'hypnose et à la suggestion. Freud dit à ce sujet: "On voit
dans des succès qui surviennent trop tôt plutôt des obstacles que des facteurs favorables
au travail analytique, et l'on détruit à nouveau ces succès en ne cessant de dissoudre le
transfert sur lequel ils reposent. Dans le fond, c'est ce dernier trait qui distingue le
traitement psychanalytique du traitement purement suggestif et dégage les résultats
analytiques du soupçon d'être des succès suggestifs. Dans tout autre traitement
suggestif, le transfert est soigneusement ménagé, laissé intact; dans le traitement
analytique, il est lui-même objet du traitement et est décomposé lors de chacune de ses
formes d'apparition. Au terme d'une cure analytique, il faut que le transfert lui-même
soit déblayé, et si alors le succès survient ou se maintient, il ne repose pas sur la
suggestion, mais sur l'opération qui a pu être effectuée grâce à elle: le dépassement de
résistances internes, sur la transformation interne obtenue chez le malade." (6)

Ainsi, même si les patients vont souvent mieux dès les premières semaines de leur cure,
pour assurer la permanence de cet état, une prise de conscience du transfert ainsi que
sa        résolution         sont       nécessaires         à        une           guérison.
10

Avec la psychanalyse orthodoxe.(7)

Il existe ensuite plusieurs écoles ou tendances en psychanalyse. On peut les distinguer
brièvement selon les conceptions métaphysiques qu'elles défendent. La tradition
orthodoxe (l'IPA, et à Genève, le Centre Raymond de Saussure) estime par exemple que
la castration des pulsions libidinales pour leurs sublimations est une nécessité à la
structuration psychique de l'individu. Cette référence à l'Œdipe selon Freud est pourtant
largement critiquée depuis près d'un quart de siècle mais sans grand succès auprès de
ces orthodoxes, eux-mêmes conditionnés par une telle structuration. De leurs côtés, les
Lacaniens font également la promotion d'une castration "symbolique" instaurant de la
sorte le désir et l'ordre du symbolique assujetti à la loi, loi patriarcale par excellence. Par
le renforcement de la frustration des désirs enfantins, les patients accèdent à la
normalité/domestication patriarcale. L'autorité qui s'exerce de la sorte prend appui sur
des éléments tiers, consensuels. Le plein épanouissement d'un potentiel de créativité est
alors moins important qu'une adaptation à une norme idéalisée. Freud disait qu'il fallait
déjà s'estimer heureux si d'un grand désespoir l'on arrivait à rendre un patient
simplement     normalement    malheureux.     On   est   toutefois   en   droit,   actuellement,
d'attendre plus.

Avec la psychanalyse non orthodoxe.(8)

Pour terminer, il reste la tendance actuelle en psychanalyse qui va vers une contestation
des orthodoxies et des écoles jugées trop rigides. Des avancées se dégagent de la sorte
et offrent des nouvelles découvertes, fécondes et non plus contradictoires. Par exemple,
en ce qui concerne les transmissions intergénérationnelles. Un regard, maintenant
possible, porté sur plusieurs générations permet de dégager des phénomènes récurrents
très significatifs.

Parmi les développements qui cherchent à intégrer les connaissances freudiennes avec
des acquisitions plus récentes, mentionnons, à titre d'exemple, à Paris, les travaux de
plusieurs psychanalystes (9) et à Genève, le séminaire du Cercle Freudien dirigé par
Mario Cifali (10). Une avancée fondamentale concerne la remise en question de l'acte de
castration symbolique et pulsionnel du père et la soumission à la loi patriarcale. On
constate ainsi que le mythe d'Œdipe a toujours été dramatisé par le discours orthodoxe
aveugle aux véritables enjeux.

En effet, c'est plutôt dans la restauration d'un lien primaire satisfaisant que l'on évite de
provoquer le besoin inextinguible d'un retour aux origines. Il s'agit de permettre
11

l'émergence d'une symbolisation originale des liens oedipiens au lieu de les régenter au
travers du discours castrateur du patriarche. De plus, cette ouverture permet de mieux
élaborer les héritages transgénérationnels inconscients. La fonction structurante de la
castration mérite d'être analysée comme étant, à y regarder de plus près, une source
supplémentaire de traumatisme et même l'origine de la dite pulsion de mort. En tous les
cas, la castration fournit une expérience susceptible de figer le temps, sur le mode des
compulsions elles-mêmes expliquées par la notion de pulsion de mort. L'autorité non-
orthodoxe vise à l'émergence du sujet là où "ça parle", l'éclairant sur ses rapports à ses
origines, mais elle émane du désir de l'analyste. Par contre, avec la pratique de la
coupure du lien à la mère, la castration, il s'agit d'un acte de croyance normatif qui, veut
introduire le "il faut" là où "ça parle", réduisant la parole du sujet, dans son rapport aux
pulsions oedipiennes, à l'impersonnel d'une norme culturelle ("on fait comme ça"). Il ne
s'agit bien entendu pas de nier la valeur des règles qui harmonisent la vie sociale, mais
d'analyser là où, dans leurs prises en compte, le sujet est évincé au profit d'un discours
de l'autre.

Cette référence à la fonction castrante (même symbolique) ou au contraire édifiante de
l'analyste conditionne fortement le transfert et son analyse. Ceux qui s'y entendent
verront dans l'acte de castration des orthodoxes le semblant de la relation positiviste du
scientifique séparé de son objet d'étude (11). De même le recours aux médicaments
n'est rien d'autre qu'un acte visant à couper -castrer - des pulsions, des pensées au lieu
de les analyser. Le transfert est vécu d'une toute autre manière dans une psychanalyse
orthodoxe que dans une psychanalyse inspirée des développements cités ci-dessus.
L'orthodoxie, comme le positivisme renforcera le surmoi, c'est-à-dire la part du discours
patriarcal repris par le moi. Dans les perspectives nouvelles, c'est par une symbolisation
originale que le moi développe sa relation au ça. C'est là une réponse à un certain
nombre de critiques adressées à la psychanalyse ainsi qu'une prise en compte des
apports de la phénoménologie. Il est important de le préciser étant donné les
expériences insatisfaisantes que la pratique orthodoxe a trop souvent entraînées. La
réputation de la psychanalyse a pu en pâtir, mais: "ne jetons pas le bébé avec l'eau du
bain !"

Avec les avancées des perspectives non orthodoxes se dessine un tournant de première
importance dans l'histoire de la psychanalyse (12). En lieu et place de la prescription des
lois patriarcales, une analyse de leurs fonctionnements, une réévaluation de notre propre
culture. L'importance grandissante des législations témoigne de l'incapacité dont
souffrent nos sociétés à générer une autorité plus essentielle, fondée sur des valeurs
humaines et moins abstraites. Se substitue à la figure de l'homme comme philosophe,
12

comme       penseur,      c'est-à-dire    comme     ayant    sa    propre   autorité,    l'homme     des
réglementations, qui puise son autorité à l'extérieur, tel un agent, un juge, instrument
d'une autorité autre et dépossédé de son propre désir. Difficulté grandissante d'échapper
à cette destinée, à cette "oedipianisation". Il faut remarquer, justement, que lors de la
dernière élection du président des Etats Unis, c'est le pouvoir de l'appareil judiciaire qui
fut prépondérant. Nos sociétés évoluent d'un projet utopique de démocratie vers un
totalitarisme des règlements propre à la culture patriarcale.

Le      glissement   de    la     métapsychologie    vers    une   métaphysique     (13),   vers     une
psychologisation de la théorie psychanalytique, caractéristique des partisans de
l'orthodoxie, relève d'un même symptôme. Et c'est parce que la psychiatrie est
fondamentalement une métaphysique issue du positivisme que l'orthodoxie s'en
rapproche "naturellement". Il n'est donc pas étonnant de voir la psychiatrie et
l'orthodoxie se confondre, comme lors du dernier congrès co-organisé à Genève.
L'application, dans la pratique, d'une telle métaphysique réclame un acte de croyance
(14) (en Dieu, en la Science, ou en des Lois, c'est égal). Pour un psychanalyste, il est
clair que c'est là une représentation d'une autorité non-analysée qui perpétuera la
symptomatique patriarcale. En conséquence, cette limitation de l'analyse va tronquer le
potentiel curatif du phénomène du transfert. Même si l'inconscient reste l'objet d'une
telle    métaphysique,          cette   approche   aboutit   nécessairement     à   la    pratique    de
l'interprétation comme d'un assommoir du savoir. Avec l'orthodoxie, on passe de l'esprit
freudien à une obéissance "au pied de la lettre". Symptôme qu'elle partage avec nos
sociétés qui superposent aux lois naturelles (non-écrites) les lois écrites. En ce sens,
l'orthodoxie comme la psychiatrie partage le projet normatif d'une acculturation
patriarcale de l'homme négligeant le projet plus noble d'une humanisation de la société
par ses individus.

Tout autre est le travail qui prend appui sur l'analyse d'un transfert non conditionné par
la castration. Il nous faut relire l'interprétation du mythe d'Oedipe et considérer qu'il
s'agit d'accompagner l'analysant jusqu'à Colone sans vouloir lui interdire l'accès à
Jocaste. Il s'agit, par exemple, en tant qu'analyste, de prendre la position de Thèsée et
non pas de renforcer celle d'un Laïos (dont l'homosexualité resterait inanalysée et
miraculeusement remplacée par une autorité patriarcale) qui dévierait Œdipe de sa
route. Car, c'est bien là une distorsion inexpliquée et paradoxale que l'orthodoxie
psychanalytique fait subir à l'oeuvre de Sophocle. Il s'agit d'introduire le sujet dans un
autre rapport temporel à ses vérités inconscientes et l'analyse du transfert nous en
fournit le moyen. L'esprit freudien, de part son rejet de toute métaphysique de
l'inconscient (15), indique à la psychanalyse la nécessité d'un développement de
13

l'analyse du transfert. Cette tâche est plus importante que celle qui consiste à veiller au
respect d'un savoir dogmatique. Cette dernière justement risque d'induire une pratique
métaphysique comme résistance et absence d'analyse des symptômes qu'elle génère.

Avec les contributions de la psychanalyse non orthodoxe, nous pouvons apprécier
certains développements de cette jeune science et esquisser ainsi ses perspectives
d'avenir. En plus d'être le fruit d'une analyse des symptômes actuels de notre culture,
ces contributions approfondissent l'esprit qui caractérise la pensée psychanalytique.

En résumé, les traditions scientifiques et humanistes entretiennent une dimension
idéologique, abstraite, parfois difficile à vivre dans la réalité et peu adaptée à la partie
inconsciente du psychisme humain. En ce sens, elles sont le reflet (par adhésion et
normalisation ou par rejet et régression) d'une société dans laquelle l'apparence
l'emporte sur le fond. Les relations entre individus sont de la sorte tributaires de
représentations psychiques, ou de "visions du monde", conscientes et inconscientes, ce
qui sous-entend l'intervention d'un tiers, autorité figurée par la science, par la loi, par un
idéal spirituel, philosophique etc.

En psychanalyse existe la possibilité de s'émanciper de ce tiers, par l'effet d'un transfert,
ce qui permet d'approfondir sa relation à l'autre. Cependant, l'orthodoxie, limitée pour ce
qui relève des désirs oedipiens, propose d'introniser définitivement un tiers castrateur,
alors qu'avec la psychanalyse, il ne peut être que symptôme, objet d'analyse.

Finalement, il faut souligner que les qualités humaines des praticiens, ainsi que l'aide
qu'ils peuvent ou non apporter à leurs patients ne se laisse pas toujours réduire à une
simple appartenance théorique. Mon propos n'est certes pas de juger - à mon tour - ces
pratiques: cela n'est pas nécessaire puisque la réalité seule atteste d'un fonctionnement
adéquat ou pas (les lois non-écrites si l'on veut). Il importe par contre de penser le fond
de ces pratiques et de travailler vers plus de "vérités". Par ailleurs, il existe évidemment
un certain décalage entre la pratique et la théorie, ce qui permet également d'avancer.
Mes considérations veulent être des supports pour penser l'originalité d'une expérience
face à la psychiatrie, aux psychothérapies, à l'orthodoxie et à la psychanalyse.

                                                                             Thierry Gaillard
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(1) Ce texte propose de défricher quelque peu le champ des pratiques thérapeutiques en
ce qu'elles souscrivent à des options philosophiques souvent ignorées, implicites. Il
résume un cours de psychologie générale dispensé par l'auteur au Centre Logos (voir
www.psukhe.info/gaillard). Ce cours articule les acquis provenant d'une formation
postgrade à la City University de New York avec une historique de la psychanalyse. Il
s'inscrit dans une volonté de ne pas céder à un système de croyance, même s'il est
dominant dans une culture et qu'à ce titre il soit considéré comme structurant par les
économistes de la pensée. La nécessité de dépasser ce qui fonctionne comme solution et
théorie de référence, est fondamentale pour nous introduire à la différence, à l'espace
qui accueille les pulsions, au transfert, et donc à l'altérité. Nécessité aussi de ne pas
céder à la superficialité d'une pensée unique, pour ne pas sombrer dans un
fonctionnement soumis à des lois arbitraires qui éradiquent le vivant au profit d'une
appartenance à une même bannière. C'est donc une invitation à penser plutôt qu'à
croire.
(2) Sigmund Freud, (1926) La question de l'analyse profane, Gallimard pp 105-113, in
Françoise Delbary, (1996) La psychanalyse, une anthologie, Tome I, p. 28-33, Pocket.
(3) Leahey, Thomas Hardy (1987), "A History of Psychology, Main currents in
psychological thought" , Prentice-Hall, New Jersey, 1987.
(4) Richard, M. (1998), Les courants de la psychologie, Chronique Sociale, Lyon.
(5) Bechtel, W. (1988), Philosophy of Science, Lawrence Erlbaum Associates, NJ.
(6) Freud Sigmund, (1999) Conférences d'introduction à la psychanalyse, p. 575,
Gallimard.
(7) Cette appellation concerne les groupes ou associations qui pensent détenir
l'exclusivité du savoir et de la pratique psychanalytique.
(8) Pour les analystes dont l'adhésion à une quelconque bannière reste secondaire.
(9) Schneider M, (1985), Père, ne vois-tu pas...? Denoël, Paris.Réfabert, Ph, (1997), Les
Travaux d'Œdipe, (en collaboration) l'Harmattan, Paris.
Rouchy, J-C (2001) La psychanalyse avec Nicolas Abraham et Maria Torok, édi. Erès
(10) Cifali, M. (1998), Freud, le petit Hans et Lacan, Slatkine, Genève. Cifali, M. (1999),
Trois rêves freudiens. Eshel, Paris.
(11) Analysé de la sorte, le positivisme apparaît comme un discours conditionné par l' "
oedipianisation " patriarcale.
(12) Thierry Gaillard (2000) Les Etats Généraux de la Psychanalyse, Psychoscope, vol
21, édit. Fédération Suisse des Psychologues et www.psychologie-geneve.ch
(13) Martin Heidegger (1938) Qu'est-ce que la métaphysique? dans Question I (1968)
Gallimard
(14) Martin Heidegger, (1957) Identité et différences, dans Question I (1968) Gallimard.
(15) Assoun, P.-L. (1997) Psychanalyse, PUF.
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