Quelles énergies pour les transports au XXIe siècle ? - IAEA

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Quelles énergies pour les transports au XXIe siècle ? - IAEA
Quelles énergies pour les transports
                              au XXIe siècle ?
                                     par Pierre-René Bauquis

           Professeur associé à l'Ecole Nationale Supérieure du Pétrole et des Moteurs (IFP School)
                        Ancien Directeur Stratégie et Planification du Groupe TOTAL
                                      Email: pr_bauquis@hotmail.com

                                                        A James Lovelock.

Des dangers de la prospective :

"Dangereuse, puante, inconfortable, ridicule assurément, vouée à l'oubli rapide, telle est la
voiture automobile qu'en Allemagne MM. Benz et Daimler viennent de présenter au Kaiser
Guillaume" (G. Clémenceau, La Justice, 1882, cité par Rougemont).

Introduction                                               consommations mondiales d’énergie liées
                                                           au secteur des transports.
La révolution industrielle des XIXe et XXe
                                                           Lorsqu'on tente d'analyser ce que pourrait
siècles a été marquée par une modification
                                                           être l'avenir des transports au cours du XXIe
radicale des transports. Le XXe siècle en
                                                           siècle, et en particulier des transports
particulier a vu l'extraordinaire développement
                                                           terrestres, on voit émerger deux questions
de l'automobile et de l'aviation, modes de
                                                           essentielles :
transport reposant presque exclusivement
sur l'utilisation de carburants pétroliers.                •   Comment assurer les besoins en
                                                               énergie de ce secteur face au futur
Il en résulte qu'à l'échelle mondiale, les
                                                               déclin des productions pétrolières,
consommations énergétiques du secteur
des transports représentaient en l'an 2000                     (qu'elles soient dites conventionnelles
1,9 Gtep (1,9 milliards de tonnes équivalent                   ou non conventionnelles) ? * L’état actuel
pétrole), soit environ 20 % des                                de ce problème dit du « pic » de la
consommations énergétiques mondiales                           production mondiale est résumé dans
(9.3    Gtep    d'énergies    commerciales                     l’illustration n° 1 (voir Nota).
produites et consommées en l’an 2000).
Plus de 95 % des consommations d'énergie
du secteur des transports sont assurées par
le pétrole, pour environ 1.8 Gtep (sur un
total de 3.7 Gtep de production mondiale                             *
                                                                       Nota : L’auteur a publié en 1999 un
d’hydrocarbures liquides en 2000). Les                               article consacré en partie au sujet du
transports, dont la consommation de                                  pic puis du déclin de la production
produits pétroliers représentait environ un                          pétrolière mondiale, intitulé “Quelles
tiers de la production mondiale de pétrole au                        énergies pour le moyen terme (2020)
moment du premier choc pétrolier (1973) en                           et le long terme (2050) ?”.
représentent donc désormais environ la                               Cette publicitation se trouve dans la
moitié (47 à 51 % selon les sources et les                           Revue de l’Energie (numéro spécial
                                                                        e
                                                                     50 anniversaire N° 509 – Septembre
modes de calculs utilisés).
                                                                     1999).
A eux seuls, les transports terrestres                               Le présent article est un prolongement
représentent plus de 75 % des                                        des réflexions présentées dans cet
                                                                     article de 1999.

                                                                                                      1/27
Différents Scénarii de Prévision de la Production Mondiale de Pétrole
Gb/a
45
    124

                                   Modèle Hubbert (liq. conv.)
40                                 Réelle (tout liq.)
     111
                                   Réelle (liq. conv.)
                                   ASPO (tout liq.)
                                   ASPO (liq. conv.)
35                                 Shell 2000
      97
                                   P. R. Bauquis 1999
                                   AIE 2002
30
      83

25
      69

20
      55

15
      42

10
      28

 5
      14

 0
 1930            1940           1950           1960           1970           1980           1990      2000   2010   2020        2030   2040     2050

Source : ASPO Uppsala 2002 press release - USGS mean estimates 2000 (Shell) - Auteur
* Meilleure adéquation d'une courbe de Hubbert basée sur les estimations actuelles des réserves.                           PRB/VL
                                                                                  Illustration n° 1

                                                                                                                                         2/27
•   Comment       assurer      une    maîtrise       Un peu d'histoire
    progressive des émissions de gaz à effet
    de serre, et en particulier du CO2, par le       Pendant des millénaires, les hommes ont
    secteur des transports au cours du XXIe          développé les transports reposant sur la force
    siècle ?                                         musculaire animale. Ils ont en particulier
                                                     amélioré simultanément les caractéristiques
                                                     des chevaux et de leurs modes d'attelage au
L'objet du présent article est de répondre           cours des derniers 40 ou 50 siècles.
essentiellement à la première de ces
                                                     Dès les premiers balbutiements de la machine
questions, mais cette réponse ne peut être
                                                     à vapeur, le rêve de son utilisation pour les
dissociée d’une analyse portant sur la               transports terrestres se fit jour. Ce rêve se
question des émissions de gaz à effet de             concrétisa dans la première révolution des
serre.                                               transports, celle des chemins de fer à vapeur.
La question de l’avenir des transports               Cette longue évolution est jalonnée par la
terrestres    présente     d’autres    aspects       machine de Denis Papin (1698), puis celle de
importants, tel l’aménagement des espaces            Cugnot (1769) suivies de celles de James
urbains, le rôle des transports collectifs ou la     Watt et de Murdoch (toutes deux vers 1780).
question des accidents automobiles. Ces              La suprématie en matière de machines à
questions ne seront pas traitées dans le             vapeur revint finalement aux Anglais. C'est
présent article. La question des « besoins de        probablement pour cela que les trains roulent
transports », sous-jacente à la question des         à gauche dans la majorité des pays.
besoins en énergie pour les transports, est la       Cependant c'est un Français, Amédée Bollée,
plus délicate : le danger de la prospective est      qui porta à leur apogée les essais de
de tomber dans les ornières de l’utopie
                                                     transposition de la traction à vapeur aux
sociale ou de l’utopie technologique.                véhicules automobiles. Le 9 octobre 1875, il
Une multiplicité de congrès, conférences,            relia Le Mans à Paris avec son "Obéissante"
articles sont consacrés à la question des            après avoir obtenu le premier "permis de
transports du futur, et en particulier au futur de   circuler sur route". Malgré ce permis, il récolta
l'automobile. La plupart de ces articles ou          75 contraventions sur son chemin, que le
conférences se limitent à un horizon de temps        Préfet de Police, inconscient du dangereux
relativement court, et peu s’intéressent à la        précédent, fera "sauter" deux jours après
période postérieure à 2020. Il s'en dégage           l'arrivée à Paris de l'"Obéissante".
actuellement un message dominant : les               J'ai cité un peu longuement cette anecdote
problèmes du futur des transports terrestres         car elle illustre le fait que les succès ou les
seraient résolus par un nouveau "couple              modes d'un moment ne sont pas les ressorts
magique", celui de l'hydrogène marié aux piles       du long terme. Ceux-ci dépendent en fait des
à combustibles (PAC).                                "potentiels     de    performances     technico-
Avant de tenter d'explorer si l'avenir à long        économiques", concept un peu abstrait, mais
terme (2020-2050) et à très long terme (2050-        point de passage obligé pour qui veut
2100) devrait conduire à l'émergence                 s'astreindre à une prospective ne reposant
dominatrice de ce nouveau couple magique, il         pas uniquement sur la boule de cristal ou sur
est bon de se repencher sur le passé pour            les modes du moment (les versions
mieux comprendre pourquoi et comment s'est           politiquement correctes ou médiatiquement
imposé le "couple magique" actuel des                séduisantes).
transports terrestres : celui des moteurs à          Ainsi, si 1875 marquait à la fois l'apogée et la
combustion interne et des carburants
                                                     fin prochaine de l'automobile à vapeur, c'est
pétroliers (essence et diesel).
                                                     parce qu'un concurrent très discret venait
                                                     d'apparaître. En effet, le 16 janvier 1861,
                                                     Beau de Rochas déposait le brevet du

                                                                                                 3/27
premier moteur à explosion à quatre temps.           presque, ne conservant que quelques
En même temps, Pierre Michaux mettait au             microniches dans la vaste arborescence
point le premier "vélocipède à pédales". Un          évolutive des transports terrestres.
philosophe des transports pourrait voir dans
                                                     Durant le XIXe siècle, ingénieurs et inventeurs
cette coïncidence plus qu'un hasard, les deux
                                                     avaient exploré presque toutes les méthodes
inventions ayant en commun de transformer
                                                     possibles de propulsion automobile : les
en mouvement rotatif continu des poussées
                                                     véhicules à gaz comprimé (David Gordon
alternatives de haut en bas !
                                                     1825, Samuel W. Wright 1828), à air sous
Dans les vingt années qui suivirent,                 pression (Carl Hoppe 1862) et même à
l'automobile telle que nous la connaissons, ou       ammoniac (Charles Tellier 1867). Le plus
presque, était née. De cette période faste           surprenant est que le premier brevet de
émergent quelques grands noms auxquels on            moteur à explosion (dû au Suisse Isaac de
doit les premiers véhicules de série : Gottlieb      Rivaz), datant de 1805, est relatif à un moteur
Daimler et Carl Benz en 1886, Panhard et             fonctionnant à l'hydrogène.
Peugeot en 1891, Rudolf Diesel en 1897,
                                                     Il convient également de rappeler que les
Louis Renault en 1898…
                                                     premiers véhicules hybrides "essence-
Mais la suprématie du moteur à explosion ne          électricité" furent étudiés de 1901 à 1906 par
fut pas immédiatement établie. En effet,             Champrobert. Ces lointains ancêtres de
durant les vingt dernières années du XIXe            l'actuelle Toyota Prius furent abandonnés à
siècle, on allait assister à une lutte au coude à    cause de leur complexité et de leur fragilité,
coude entre ces premières "voitures à pétrole"       mais le concept était bien le même
et les voitures électriques.                         qu'aujourd'hui. En effet la "voiture mixte" de 6
                                                     chevaux conçue par Champrobert était dotée
Il ne faut pas oublier que la première voiture à
                                                     d'un moteur à essence qui maintenait en
atteindre les 100 km/heure était électrique (la
                                                     charge des batteries électriques, et ces
"Jamais Contente" de Camille Jenatzy à
                                                     batteries actionnaient une motorisation
Achères, près de Paris, en 1898). Il ne faut
                                                     électrique qui entraînait les roues. L'objectif
pas oublier non plus qu'à la veille de perdre
                                                     était déjà de permettre au moteur à explosion
cette lutte, tout comme la voiture à vapeur en
                                                     de fonctionner à un régime continu ou quasi
1875, la voiture électrique semblait devoir
                                                     continu, afin d'en optimiser le rendement.
l'emporter. Au "concours des voitures 2
places" organisé en 1898 par le tout jeune           De cet immense bouillonnement intellectuel et
Automobile Club de France, c'est la voiture          technique des origines de l'automobile, nous
électrique qui domina largement. Ceci nous           garderons en mémoire quatre avancées
vaudra un article à méditer du meilleur              symboliques par le fait qu'elles sont, de nos
chroniqueur scientifique de l'époque, H.E.           jours, toujours au centre des réflexions quant
Hospitalier, dans "La Nature" du 9 juillet 1898      aux énergies qui propulseront les véhicules
(ancêtre de la presse écologique). Dans cet          routiers dans le futur (cf. Illustration n° 2).
article il est écrit qu « ’il est désormais acquis
                                                     Ce rappel historique illustre en effet les
que le fiacre à moteur à essence ne saurait
                                                     principales réponses possibles aux questions
constituer un système d'exploitation de
                                                     qui se posent pour les automobiles de demain
voitures publiques dans une grande ville ». Là
                                                     et d'après-demain : quelles énergies, pour
encore, l'événement immédiat occultait la
                                                     quelles motorisations ?
compréhension des tendances fondamentales.
Ce journaliste sembla avoir raison durant
quelques brèves années, puisqu'en 1901 une
"Krieger" électrique parcourut 307 km (Paris-
Châtellerault) sans recharge. Puis, tout
comme les véhicules automobiles à vapeur,
les véhicules électriques disparurent ou

                                                                                                4/27
Quels besoins d'énergies pour les
transports de demain ?
Une tentative de réflexion sur les véhicules de
demain (2020-2050) et d'après-demain (2050-
2100) repose sur diverses approches
possibles : faut-il partir des technologies,
c'est-à-dire de ce que nous savons pouvoir
réaliser aujourd'hui et de ce que nous
pouvons espérer mettre au point demain
comme         solutions       "économiquement
acceptables" ? Faut-il partir des ressources
énergétiques à notre disposition aujourd'hui et
demain ? Faut-il partir des contraintes
environnementales (locales comme globales )
et de leur poids toujours croissant ?
En fait la prospective oblige à une approche
combinant ces trois aspects fondamentaux,
afin d'essayer de dégager une ou plusieurs
visions plausibles.
Mais auparavant, nous rappellerons ce que
sont aujourd’hui les automobiles, leurs parcs
actuels et leurs grandes caractéristiques
d'utilisation, caractéristiques dont résultent
leurs besoins énergétiques.

                                                  5/27
L ’automobile d’hier et de demain :
                                                quelques dates clés
 Hydrogène                                   Charbon                                 Electricité              Biocarburants

    1805                                             1892                                   1899                       1903

    Le premier     Le premier moteur                                               La première              Le record mondial
moteur à explosion Diesel fonctionnait                                         voiture à dépasser          de vitesse est obtenu
  fonctionnait à      au charbon                                                les 100 km/h était                par une
  l ’hydrogène:         pulvérisé                                                  électrique la             Gobron-Brillié à
 Isaac de Rivaz     Brevet  de Rudolf                                          « jamais contente »            éthanol agricole
      (Suisse)           Diesel                                                de Camille Jenatzy                (177 km/h)
                       (Allemand)                                                   (Français)                   (Français)

       Les technologies automobiles du futur ont presque
                  toutes une longue histoire...

                                                                    Illustration n° 2

                   Le secteur des transports en l'an 2000

                                                                          Le secteur des transports   Le secteur des transports
                                                                              dans le monde (*)             en France (*)

                                                                           MTEP              %         MTEP              %

             Transports routiers                                            1 500            80          40              76

             Transports aériens                                              200             10           6              12

             Transports maritimes                                            100              5           3               6

             Transports autres                                               100              5           3               6

                                                                            1 900            100         52              100

             Consommation énergétique totale                                        9 300                        200

             Transports en % du total                                               20%                         25%

       (*)
             Valeurs arrondies
             (pour des valeurs précises et détaillées, on se rapportera
             au World Energy Outlook 2000 de l'AIE).

                                                                    Illustration n° 3

                                                                                                                                   6/27
L'illustration n° 3 montre que la France          §   Nous avons tout d'abord supposé que
possède une structure des consommations               les    transports   terrestres   restent
énergétiques en matière de transports                 dominants en matière de besoins
similaire à la structure mondiale.                    énergétiques tout au long du XXIe
                                                      siècle, représentant les trois quarts du
Si l’on veut porter un regard prospectif sur le
                                                      total en 2100… tout comme aujourd'hui.
long terme (2050) et le très long terme
                                                      Ceci reflète le maintien de l'appétit de
(2100) des transports, un second élément
                                                      mobilité individuelle couplé à la
de "cadrage" apparaît nécessaire : c’est
                                                      croissance économique des pays
celui des hypothèses retenues en matière
                                                      émergents ou "non OCDE".
de      population,      de    consommations
énergétiques globales et de développement         §   Nous avons par ailleurs supposé un
économique à ces mêmes horizons. Ces                  ralentissement des croissances des
éléments sont résumés dans l’illustration             consommations. Ceci résulte de trois
n° 4. Pour le passé, les données sont les             phénomènes étroitement liés : le
statistiques AIE ou OCDE arrondies aux                progrès      technique,      l'intervention
chiffres significatifs ; pour le futur, ce sont       supposée croissante des législateurs et
celles de l'auteur. Ces données de cadrage            des régulateurs dans les performances
font ressortir deux grands phénomènes qui             et les utilisations des véhicules, et
devraient marquer le XXIe siècle :                    l'accroissement     des     coûts      des
                                                      carburants pétroliers lié au déclin de la
§   Le très fort ralentissement de la
                                                      production pétrolière mondiale à partir
    croissance démographique mondiale.
                                                      de 2020 environ (ou 2030-2040 si de
    Certains auteurs prévoient même une
                                                      fortes hausses de prix préalables au pic
    décroissance de la population mondiale
                                                      de la production pétrolière mondiale
    après 2050.
                                                      venaient à repousser et à étaler ce pic).
§   Le relatif ralentissement de la
                                                  Nous allons, dans le prochain paragraphe,
    croissance économique mais surtout la
                                                  essayer de montrer que les chiffres retenus
    "dématérialisation" de celle-ci et la forte
                                                  sont compatibles avec certaines hypothèses
    baisse de son "énergivoracité", c’est-à-
                                                  d’évolution des parcs automobiles (VP –
    dire du montant des quantités
                                                  voitures particulières – et VU – véhicules
    d’énergies consommées par quantités
                                                  utilitaires) mondiaux et des consommations
    de richesses ou d’unités de PNB
                                                  unitaires, prévues en forte diminution.
    mondial.
                                                  §   Rappelons enfin que notre vision du
On pourrait naturellement discuter à l'infini
                                                      long terme des productions pétrolières
ces grandes hypothèses et balayer de
                                                      (voir illustration n° 1) est celle d'un
multiples scénarios, mais au prix d'un
                                                      début de déclin vers 2020, ou plutôt
paysage obscurci ou même illisible en ce
                                                      lorsque productions cumulées auront
qui concerne l'avenir du secteur des
                                                      atteint 1500 Gbbl (contre 800 milliards
transports. L'avantage d'une vision centrale
                                                      de barils cumulés en 2000). Dans une
simpliste mais unique, aussi discutable soit-
                                                      telle vision, la question centrale sera
elle – à condition de n'être pas absurde –
                                                      celle des sources d'énergies capables
est de pouvoir être utilisée pour tenter
                                                      d'assurer les 3.4 Gtep en 2050 et les
d'analyser le futur. Ce cadrage de la
                                                      quelques 4 Gtep vers 2100 nécessaires
démographie, de l'énergie et de l'économie
                                                      aux besoins du secteur des transports,
aux horizons 2050 et 2100 permet d'établir
                                                      tels que nous les avons imaginés à ces
une vision globale des besoins énergétiques
                                                      horizons (voir illustration n° 5).
du secteur des transports, résumée dans
l'illustration n° 5 :

                                                                                            7/27
Démographie, Economie et Energie:
                         1960    2100

                                     1960          1980              2000            2020                 2050            2100
§ Population Mondiale Ghab            3.0          4.5               6.0                 7.5                  8.0         10.0
                                12
§ PIB Mondial (Base PPA) 10 $         8.0           20               35                  70                150             300
  1990

§ Consommation d’énergies             3.8          6.4               9.5                 14.0              18.0           23.0
  commerciales (Gtep)

§ PNB/Tête (en $/90)                 2670          4.440             5830            9.330               18.750          30 000

§ Energie/Tête (en Tep/hab)           1.3          1.4               1.6                 1.9                  2.3          2.3

Nombre de TEP consommées
                                     0.47          0.32              0.27                0.20              0.12           0.08
par 1000 $ 1990 de PIB mondial

Nombre de $ 1990 de PIB
mondial pour chaque Tep              2100          3125              3680            5.000                8330           10.000
consommée.

                                     Passé: Statistiques « valeurs arrondies »                 Futur: Estimations de l ’auteur

                                              Illustration n° 4

                     Les consommations énergétiques
                         du secteur des transports
                               1980     2100
           Consommations
               mondiales                    1980           2000                   2020                 2050             2100
          en milliards de Tep

      Transports terrestres                 0.9                1.5          2.5          2.0            2.5              3.0

      Transports aériens                    0.1                0.2          0.5          0.4            0.5              0.6

      Transports maritimes                  0.1                0.1          0.1          0.2            0.2              0.3

      Transports autres                     0.1                0.1          0.1          0.1            0.2              0.2

      TOTAL                                 1.2                1.9          3.2          2.7            3.4              4.1

                  Sources :                              AIE                                              Auteur

                                              Illustration n° 5

                                                                                                                                  8/27
L’hypothèse économique sous-jacente est         quadruplement du prix du brut (passage
celle d’un important changement du niveau       d’une époque 1998-2003 à 25$/bbl à une
des prix de l’ensemble des énergies, lié à la   époque 2015-2025 à 100$/bbl en dollars
question du pic, puis du déclin de la           constants 2000).
production pétrolière mondiale. Le pétrole
joue en effet depuis plus de cinquante ans
le rôle de prix directeur de l’ensemble des     La façon dont ce second choc pourrait
énergies, et son prix a été multiplié en gros   survenir n’a pas grande importance. Pour
par quatre en termes réels depuis les           prendre une image géologique, on pourrait
années 1970, du fait des chocs pétroliers de    dire que nous sommes en face d’un
1973 à 1979, malgré le ou les contre-chocs      problème de tectonique : les évolutions à
(prix 1998-2003 de 25$ par baril comparés à     venir doivent faire cesser l’accumulation des
ceux de 1968-1972 de 6$ par baril en            contraintes. En tectonique, ceci peut se faire
monnaie réelle, c’est-à-dire en dollars         par un décrochement brutal d’une faille
constants de l’année 2000). Cette première      majeure ou par le jeu de failles multiples de
et forte hausse en termes réels a cassé le      faibles rejets individuels. De même le
rythme de la croissance de la demande           rééquilibrage de l’ensemble du système
pétrolière (en gros de 6 % par an entre 1950    énergétique mondial peut se faire par un
et 1973 à 1,5 % par an depuis : voir            événement brutal sur le prix du pétrole brut
illustration n° 1). Un second choc sera         comme en 1973 (même si celui-ci fut suivi
nécessaire, quelque part entre aujourd’hui      de diverses secousses secondaires), ou par
et 2020, amenant à s’adapter à l’arrêt de       une série d’ajustements successifs.
toute      croissance   de   la    production
d’hydrocarbures liquides naturels. Ce choc
aura plusieurs conséquences :                   Une fois ce rééquilibrage réalisé, on peut
                                                s’interroger quant au relais du rôle joué par
1. Il permettra de développer à grande          le pétrole en matière de prix directeur de
   échelle les économies de consommation        l’ensemble des autres énergies. Nous
   d’énergies sous toutes leurs formes.         pensons que ce sera le pétrole qui jouera ce
2. Il permettra de développer au maximum        rôle, pendant longtemps encore, mais lui-
   de     leur    potentiel  les   énergies     même verra son prix très fortement lié aux
   renouvelables.                               coûts des diverses formes d’hydrocarbures
3. il permettra une forte réduction des         liquides de synthèse, qui joueront donc dans
   consommations unitaire des automobiles       le système un rôle de « prix directeurs
4. il stimulera la production à grande          invisibles ».
   échelle d’hydrocarbures liquides de
   synthèse.
5. il stimulera la production d’hydrogène à     Dans ce nouveau contexte, une régulation
   des coûts compétitifs à partir du            politique des prix (par l’OPEC ou d’autres
   nucléaire ou des énergies renouvelables,     acteurs) ne sera plus nécessaire.
6. Et il stimulera enfin un redémarrage à
   grande échelle de l’énergie nucléaire au
   plan mondial, avec de nouvelles filières     Cette nouvelle situation ne sera pas
   (voir génération IV à partir de 2020         dépourvue de risques. Par exemple, en ce
   environ.                                     qui concerne les biocarburants, les
                                                nouveaux niveaux de prix des énergies
                                                risquent de rendre la « concurrence pour les
L’ampleur du choc nécessaire telle              terres arables et pour l’eau » impitoyable,
qu’estimée par l’auteur est du même ordre       acculant certaines régions à sacrifier leurs
d’importance que celle du choc des années       productions de ressources vivrières. De
1970, c’est-à-dire de l’ordre d’un nouveau      même, cette évolution des prix engendrera

                                                                                         9/27
des tentations de « fuite en avant » en
matière de biotechnologies, OGM ou autre,
pour accroître les rendements des
productions de biomasses à finalité
énergétique.

                                            10/27
Energie et Transports
                                       2000       2100
   Energie Monde (en Gtep)                             2000              2020          2050   2100

   Dont :
       Pétrole                                          3.7               5.0          3.5    1.5
       Gaz                                              2.1               4.0          4.5    2.0
       Charbon                                          2.2               3.0          4.5    4.5
       Nucléaire                                        0.6               1.0          4.0    12.0
       Renouvelables                                    0.7               1.0          1.5    3.0

   Consommation totale d'énergie                        9.5               14.0         18.0   23.0
   (Gtep)

   Dont :
       Energies consommées pour les
       transports - Gtep                                1.9               2.7          3.4    4.1

   Pourcentage des consommations
   énergétiques assurant les                           20%                19%          19%    18%
   besoins des transports

      Source : Passé : Statistiques AIE arroundies - Futur : Estimations de l'auteur

                                                  Illustration n° 6
Nota : la quasi constance et même le léger déclin de la part de l’énergie mondiale consommée par le
secteur des transports (20 % en 2000 versus 18 % en 2100) est contraire à certaines prévisions qui
voient la part des transports augmenter fortement (jusqu’à 50 % et plus !).

                                                                                                     11/27
Le parc automobile mondial
                                     2000   2100

          Parc automobile mondial                     2000          2020    2050    2100
             (milliers de véhicules)

        VP                                             500           900    1 200   2 000
        VU                                             350           400    500     700

        TOTAL                                          850          1 300   1 700   2 700

        VP part OCDE                                  75%           66%     50%     33%
        VU part OCDE                                  50%           45%     40%     30%

          Source pour les prévisions : auteur

                                                Illustration n° 7
* Dans ce tableau on suppose la « géographie » de l’OCDE figée dans sa configuration en l’an 2000.
Ce tableau n’est pas le résultat d’une étude (qui devrait incorporer l’évolution des modes de
transports collectifs, de l’urbanisation, des kilométrages annuels parcourus, etc.). Il n’est qu’une
estimation fournie pour permettre de vérifier une cohérence d’ensemble des chiffres avancés par
l’auteur en matière de consommations d’énergies du secteur des transports.

                                                                                              12/27
Bilans énergétiques des transports routiers: valeurs
          des consommations relatives 2000       2050

                                                   2050 VP+VU à                    2050 VP+VU à
               2000                                 puissances                      puissances
              VP+VU                                  moyennes                        moyennes
                                                    inchangées                  abaissées de 50% (*)
                  1                                      2                                  3

      Consommation unitaire moyenne
         Base    100                                     75                                 50

      Pétrole           Autres               Pétrole           Autres           Pétrole          Autres
        98                 2                       50             25               30              20
                       GNV         1.0                         GNV         3                     GNV         2.5
                       Electricité 0.5                         Electricité 20                    Electricité 15
                       Biomasse 0.5                            Biomasse 2                        Biomasse 2.5

(*)          L ’écart moyen actuel des puissances entre les versions les plus motorisées et les
             moins motorisés des mêmes modèles est de l ’ordre de 100%. Ces écarts se traduisent
             par des différences entre les moyennes de consommations de l’ordre de 30%.

                                                   Illustration n° 8

             Ecarts de puissance pour un même modèle
                       automobile (Août 2002)
                                                                Modèle le         Modèle le
                                                              moins puissant    plus puissant

                         Renault         Clio                     60 CV            172 CV
                                         Vel Satis                165 CV           245 CV

                         PSA             Peugeot 206              60 CV            137 CV
                                         Peugeot 307              75 CV            138 CV
                                         Peugeot 607              160 CV           210 CV

                         Citroën         Citroën C3               60 CV            110 CV
                                         Citroën Xsara            75 CV            167 CV
                                         Citroën C5               117 CV           210 CV

                         Ford            Fiesta                    68 CV           100 CV
                                         Focus                     75 CV           170 CV

                         Volkswagen       Polo                     55 CV           100 CV
                                         PPolo
                                          Lupo                     60 CV           125 CV
                                          Golf                     75 CV           204 CV
                         Honda           Civic                     90 CV           200 CV

                         Fiat            Punto                     90 CV           130 CV

                         Toyota          Corolla                   97 CV           192 CV

                Un écart moyen de puissances du simple au double pour les mêmes modèles.
                             Des écarts de consommation de l ’ordre de 30%.

                                                   Illustration n° 9

                                                                                                               13/27
Quelles sources d’énergies pour les               hydrocarbures naturels pourraient encore
transports en 2050 et 2100 ?                      fournir 1 Gtep d’énergie au secteur des
                                                  transports à l’horizon 2100. Déjà en 2050,
Les contraintes physiques sur les                 un "déficit" de 1 Gtep pour le secteur des
ressources en hydrocarbures liquides et           transports serait donc à combler par
gazeux et les contraintes d'émissions de          d'autres sources d'énergies, sachant que
gaz à effet de serre, tant pour les               nous avons déjà intégré dans nos prévisions
hydrocarbures que pour le charbon,                un fort impact du progrès technique et des
paraissent conduire à une forte réduction du      législations visant aux réductions des
rôle relatif des énergies fossiles au plan        consommations des véhicules. Cet impact
mondial au cours du XXIe siècle.                  représente dans nos hypothèses une
L'illustration n° 6 résume ce second              diminution de 50 % des consommations
"cadrage" dans lequel doit s'inscrire notre       unitaires moyennes sur les parcs VP + VU
réflexion sur la problématique à long terme       entre 2000 et 2050. (voir illlustrations n° 7, 8
de la satisfaction en énergie des besoins de      et 9).
transports.                                       Le problème est donc, en gros, de savoir
Une question s’impose lorsque l'on                quelles énergies pourraient fournir au
considère la fin du XXIe siècle : la production   secteur des transports les 1 Gtep
pétrolière mondiale serait, selon nous, de        manquants en 2050 et les 3 Gtep
l'ordre de 1,5 Gtep par an à l’horizon 2100,      manquants en 2100 que les productions
alors que les seuls transports nécessiteront      d'hydrocarbures liquides naturels ne
environ 4 Gtep d'énergie. Il ne peut donc         pourraient pas satisfaire.
être question d'une simple continuité des         Il existe deux types possibles de réponses à
sources d'énergies actuelles, avec en             cette question, qui d’ailleurs pourraient se
particulier l’ensemble du secteur des             combiner.
transports reposant à plus de 95 % sur le
pétrole. Il n'y a aucun problème à extrapoler     La première réponse possible est la
jusqu'en 2020 les modes de transports             production d'hydrocarbures de synthèse (ou
actuels et les consommations d'énergies qui       composés chimiques carburants équivalents
leur sont liées. Mais dès avant 2050 on voit      : alcools, esters, etc..) pour suppléer les
se dessiner un basculement : à cette date,        déficits. La seconde réponse possible est
on disposerait d'une production pétrolière        l'introduction massive de nouvelles sources
mondiale de 3.5 Gtep (du même ordre de            ou vecteurs d'énergie dans le secteur des
grandeur que la production actuelle) alors        transports, l'hydrogène et l'électricité faisant
que les seuls transports en demanderaient         a priori figure de favoris … Rappelons que
presque autant. Il est clair que le pétrole ne    leur utilisation dans le domaine des
peut être réservé à 100 % de sa production        transports terrestres a été envisagée (pour
aux seuls transports : Du fait de sa valeur       l'hydrogène) ou mise en œuvre (pour
économique en tant que matière première           l'électricité) depuis plus d'un siècle (voir
(pétrochimie, solvants, cires et paraffines,      illustration n° 2).
bitumes, etc..), ou en tant que source
d’énergie        calorifique     pour       les
consommateurs isolés (usines, plantations,
habitations, etc…) le secteur des transports
ne devrait pouvoir compter au mieux que
sur environ 60 % de la production totale à
l'horizon 2050, soient quelques 2.5 Gtep et
un pourcentage logiquement moindre au
delà. Nous supposerons, ce qui est
probablement        optimiste,      que     les

                                                                                            14/27
§   Les hydrocarbures de synthèse                  profonds, dessalement à grande échelle,
                                                   etc.).
Ceux-ci se rangent en trois familles, dont
deux ont déjà une longue histoire : ceux           Rappelons que le rendement net des
produits à partir de biomasse (éthanol,            biocarburants est au mieux de l’ordre de
méthanol, huiles végétales, EMC, ETBE,             1 tep/ha/an, qu’il s’agisse des filières alcools
etc..) et ceux produits à partir d'autres          ou     des     filières    oléagineux…        et
énergies fossiles, filières GTL (gas to            probablement du même ordre demain pour
liquids) ou CTL (coal to liquids), variantes du    les futures filières ligno-cellulosiques. La
procédé      Fischer    Tropsch       ou     par   « concurrence pour la terre » limitera donc
l’hydrogénation directe (variantes du              le développement des biocarburants à
procédé Bergius). Ces deux premières               environ 10 % de nos besoins sur 2050 –
familles de procédés sont bien connues et          2100, utilisant quelques 15 % des terres
leur potentiel régulièrement réévalué.             arables ou forestières. Même une
Cependant, tant les carburants ex-biomasse         "révolution OGM" ne semble pas pouvoir
que ceux obtenus par synthèse Fischer              faire sauter ces verrous limitatifs, permettant
Tropsch semblent devoir connaître des              seulement d'en reculer les niveaux et donc
limitations quant à leur potentiel quantitatif.    les dates d'apparition.
Compte tenu des ordres de grandeur en
                                                   Pour les carburants ex-synthèse Fischer
cause, ces hydrocarbures synthétiques que
                                                   Tropsch, les limitations sont aussi
nous      savons     déjà     produire     nous
                                                   économiques, mais liées au coût futur,
permettraient peut-être de résoudre la
                                                   logiquement croissant, d’une part des
question posée jusque vers 2050, mais très
                                                   émissions de CO2, et d’autre part des coûts
probablement pas à un horizon plus lointain.
                                                   également croissants de leurs matières
En revanche, nous n’évoquerons pas les
                                                   premières (gaz ou charbon). Ces procédés
recherches portant sur des filières de
                                                   sont, en effet, et resteront "énergivoraces".
production       d’hydrocarbures        liquides
                                                   Cette contrainte ne sera peut-être pas
synthétiques par des voies plus exotiques,
                                                   encore majeure en 2020 mais le deviendra
dont les probabilités de succès au plan
                                                   au-delà,    bien      avant     2050,    date
économique restent actuellement très
                                                   approximative à laquelle, par contrainte sur
faibles (polymérisation ou «homologation »
                                                   les ressources, il faudrait passer du GTL au
du méthane, bioprocédés à partir de
                                                   CTL. Le recours massif au GTL ou au CTL
cultures de divers unicellulaires ou autres).
                                                   pour produire des carburants de synthèse
Nous n’évoquerons qu’une seule filière
                                                   supposerait que nous ayons su résoudre à
« exotique » car elle nous semble avoir un
                                                   un coût raisonnable la question de la
réel potentiel : celle de la production
                                                   séquestration du CO2 émis dans les usines
d’hydrocarbures à partir d’hydrogène produit
                                                   de production de ces carburants.
soit à partir d’énergies renouvelables, soit
plus probablement à partir d’énergie               Nous avions dit qu'il y avait trois familles
nucléaire. C’est ce que l’on pourrait appeler      possibles d'hydrocarbures de synthèse, en
la « carbonisation de l’hydrogène ».               ayant seulement évoqué la troisième, qu’on
                                                   pourrait appeler « l'hydrogène carboné ». Il
Les limitations sont de nature différente pour
                                                   s’agirait de produire de l'hydrogène à partir
les biocarburants et pour les carburants
                                                   d'énergies renouvelables ou nucléaires, et
Fischer Tropsch. Pour les biocarburants,
                                                   de le "carboner" à la source afin d'éviter
c'est une question de coût croissant avec
                                                   toute la coûteuse logistique du transport
les besoins d’une part, et d’autre part, de
                                                   massif de l'hydrogène, de sa distribution et
besoins croissants en terres arables et en
                                                   de son stockage à bord des véhicules.
eau (cette dernière étant elle-même produite
à l'avenir avec un contenu énergétique
croissant : pompages de plus en plus               Ce concept de la "carbonisation de
                                                   l’hydrogène" ne semble pas avoir été

                                                                                            15/27
réellement exploré au cours du dernier
demi-siècle, mais il est théoriquement
séduisant. On peut mettre en œuvre ce
concept par une voie analogue au Fischer
Tropsch : on produirait de l’oxyde de
carbone (par oxydation partielle de charbon
ou de biomasses), qu’on combinerait avec
de l’hydrogène très probablement d’origine
« nucléaire ». On peut penser qu’il existera
des mises en œuvre plus efficaces au plan
économique, par hydrogénation directe de
substances carbonées (successeurs des
procédés Bergius développés en Allemagne
en parallèle du procédé Fischer Tropsch
dans le contexte de préparation à la
seconde guerre mondiale).
Naturellement, l’idéal serait de pouvoir
utiliser du CO2 comme source de carbone,
combinant alors séquestration du CO2 et
carbonisation de l’hydrogène.
Au total si les carburants de synthèse
"classiques"        ou     nouveaux, comme
l’hydrogène carboné, venaient à buter sur
des limitations technico-économiques, il
nous reste à évoquer les grands challengers
possibles que sont l'hydrogène d'une part et
l'électricité d'autre part.

                                               16/27
§   L'hydrogène                                   transports     est    la   raréfaction   des
                                                  hydrocarbures et l'accroissement corrélatif
Une vaste littérature nous rappelle depuis
                                                  de leur coût, cette méthode d'obtention ne
1875 (Jules Vernes, l’Île mystérieuse) que
                                                  peut donc apporter une réponse durable au
l'hydrogène est le carburant de demain, car
                                                  problème posé. De même le recours au
il est inépuisable et idéalement propre
                                                  charbon pour produire massivement de
puisque sa combustion ne produit que de
                                                  l’hydrogène sera en fait limité par les coûts
l'eau.
                                                  qui seront liés à l’émission du CO2 ou à sa
Combien d'articles, de livres, de séminaires      ségrégation.
sur ce thème : un article des années 1930
                                                  Restent les autres méthodes possibles de
mettait les Français en garde contre la
                                                  production d’hydrogène. Si théoriquement la
future armée allemande qui serait dotée de
                                                  production d’hydrogène par des procédés
camions à hydrogène ! Les publicités
                                                  biologiques (bactéries, algues) est possible,
actuelles de certains groupes industriels de
                                                  on est actuellement loin de disposer de
premier plan n'hésitent pas à affirmer un
                                                  procédés potentiellement économiques.
avenir radieux au plus léger des atomes
                                                  L’écart actuel varie d’un facteur 100 à 1000
dans le secteur des transports.
                                                  selon les études ou les procédés envisagés.
Une première constatation s'impose lorsque        En revanche, la production d’hydrogène par
l'on parcourt la littérature relative à           électrolyse (comme au début du XX e siècle)
l'hydrogène : la relative discrétion quant à sa   ou par la décomposition thermique de l'eau
production, qui est le vrai problème, au profit   via des cycles thermochimiques plus ou
de longs développements sur son stockage          moins complexes, est moins éloignée du
et son utilisation dans les moteurs, turbines,    seuil économique.
ou     piles      à     combustibles.      Ces
                                                  Ainsi, en Europe ou aux USA actuellement,
développements soulignent le caractère
                                                  avec du courant électrique à 20 ou
propre des véhicules à hydrogène,
                                                  25 €/MWH, le coût de l’hydrogène obtenu à
n’émettant localement que de l’eau, mais
                                                  grande échelle par électrolyse serait de
négligeant généralement les aspects
                                                  deux à trois fois celui de la production
économiques et les émissions de CO 2, en
                                                  d’hydrogène par reformage ou oxydation
amont des cycles hydrogène.
                                                  partielle. Si on envisageait un recours
L'hydrogène n'est pas en effet une source         massif aux voies électrolyse ou cycles
d'énergie mais un vecteur énergétique, et         thermochimiques, cela revient à dire que,
pour le produire, il faut d'abord utiliser        pour produire massivement de l'hydrogène,
d'autres énergies. Après avoir été produit        il nous faudra disposer massivement
par électrolyse au début du siècle,               d'électricité ou de calories bon marché non
l'hydrogène est actuellement produit à 98 %       émettrices de CO 2.           Sauf   percées
à partir d'hydrocarbures ou de charbon,           inattendues du côté des énergies
avec un coût de production allant de deux à       renouvelables, c'est donc le nucléaire qui
cinq fois celui des hydrocarbures utilisés        devrait fournir l'hydrogène nécessaire à long
pour le produire. Ce rapport est de l'ordre de    terme pour assurer les transports de demain
deux lorsqu'on part d'hydrocarbures "chers"       (de même que l'hydrogène qui serait
– reformage de gaz naturel ou de naphta en        éventuellement utilisé directement comme
Europe par exemple – et de l'ordre de cinq        vecteur énergétique).
lorsqu'on part d'hydrocarbures "bon marché"
                                                  Supposons ce problème clef de la
– gaz naturel dans un pays producteur
                                                  production de l'hydrogène résolu. Il convient
exportateur ou résidu lourd de raffinerie
                                                  alors de s’interroger si cet hydrogène
alimentant une unité d’oxydation partielle
                                                  constitue un bon ou un mauvais vecteur
(Pox) en Europe ou aux USA –. Ceci est
                                                  énergétique pour assurer la fonction
illustré par les schémas 10 et 11. Si la
                                                  transports. Voici notre réponse. Dans notre
raison pour recourir à l'hydrogène dans les

                                                                                         17/27
hypothèse économique – quadruplement du           massivement à terre autrement que sous
prix des hydrocarbures – l’hydrogène              pression dans des canalisations.
nucléaire devient compétitif. Mais pour
                                                  Par ailleurs la mise à bord et le stockage de
produire l’hydrogène à partir du nucléaire, il
                                                  l’hydrogène dans un véhicule coûtent de
faudra développer des réacteurs adaptés à
                                                  l’ordre de cent fois plus cher que ceux d’un
cette fonction : probablement des réacteurs
                                                  carburant classique, essence, gas-oil ou
HTR ou autres filières étudiées dans le
                                                  kérosène. Et ceci très probablement restera
cadre de la génération IV, combinant bons
                                                  vrai quels que soient les modes de stockage
rendements énergétiques et utilisation
                                                  retenus pour l'hydrogène : réservoirs à très
efficace des combustibles fissile.
                                                  haute pression (400 bars ou même 800
Cependant l'hydrogène est et restera un très      bars), hydrogène liquide cryogénique (à –
mauvais vecteur énergétique en matière de         253°C), hydrogène chimiquement combiné
transports terrestres. Il pourrait par contre     (hydrures) ou adsorbé (nanotubes de
être intéressant en matière de transports         carbone par exemple). Dans tous les cas,
aériens : cette question sera évoquée plus        sauf     celui   de     l’hydrogène    liquéfié
loin. Ces deux affirmations reposent sur une      cryogénique,      la      difficulté technico-
analyse des fondamentaux technico-                économique est liée à la faible masse
économiques de l'hydrogène, dont la               d’hydrogène stocké par rapport à la masse
caractéristique principale est de présenter       du réservoir nécessaire. Par exemple dans
une très bonne compacité énergétique par          le cas de l'hydrogène sous pression, la
unité de masse, mais une très médiocre            masse de l'hydrogène stocké dans celui-ci
compacité énergétique par unité de volume,        n'est que de l'ordre de 2 ou 3 % de la masse
quelle que soit la forme sous laquelle on         du réservoir dans le cas de réservoirs
assurerait son transport et son stockage.         métalliques, bien qu’elle puisse atteindre la
                                                  dizaine de pourcents dans le cas de
Pour illustrer la médiocrité de la compacité
                                                  réservoirs composites à 350 ou 700 bars.
énergétique volumique de l'hydrogène,
seule déterminante pour les transports            De même, dans le cas des hydrures, il ne
terrestres, quelques chiffres suffisent. Le       semble pas que la masse d’hydrogène
transport de l'hydrogène par canalisation         utilisable puisse dépasser en pratique 2 % à
coûte et coûtera à l'avenir environ deux fois     3 % de la masse constituée par le réservoir
plus cher que celui du gaz naturel, qui lui-      avec ses hydrures.
même coûte environ cinq fois plus cher en
                                                  Sa bonne efficacité énergétique exprimée
termes de logistique que celui des
                                                  en termes de contenu énergétique par unité
hydrocarbures liquides. Il s'agit là de
                                                  de masse se voit en fait totalement
caractéristiques     intrinsèques      et    la
                                                  neutralisée par le fait que l’hydrogène non
thermodynamique ne se modifie pas par le
                                                  liquéfié nécessite un contenant, quelle qu’en
progrès technique. On peut donc dire dès
                                                  soit la forme, dont la masse est de l’ordre de
aujourd'hui qu'en 2050 comme en 2100 une
                                                  vingt fois celle de l’hydrogène contenu (voir
logistique hydrogène par canalisations,
                                                  illustration n° 12)
massives ou capillaires, coûtera environ dix
fois plus cher par unité d'énergie transportée    En ce qui concerne la solution de
qu'une logistique d'hydrocarbures liquides.       l’hydrogène liquéfié cryogénique, les
Ce facteur dix est d’ailleurs un minimum          limitations sont plus liées au volume du
calculé à partir des seules capacités             réservoir qu’à sa masse. Elles sont
énergétiques      des      canalisations    de    également liées au nécessaire «boil off »
transports en oubliant tous les autres            (évaporation    du   liquide   cryogénique
facteurs de "surcoûts" liés à la logistique       nécessaire pour produire les frigories
hydrogène : problèmes spécifiques de              permettant de la maintenir à température
sécurité et difficulté de le transporter          constante) et à l’importante consommation
                                                  d’énergie nécessaire à la liquéfaction de

                                                                                          18/27
l’hydrogène (de l’ordre de 25 à 30 % de la     victoire à long terme de l’hydrogène, même
charge).                                       à l’intérieur de ces niches d’utilisation.
Une émission d’hydrogène, même faible,         Par contre, en ce qui concerne les
n’est évidemment pas tolérable pour des        transports aériens, l'hydrogène pourrait un
voitures particulières, qui doivent pouvoir    jour bénéficier de son atout de fort contenu
être laissées dans des garages ou parkings     énergétique massique : quasi-sans intérêt à
pour des durées indéterminées.                 terre, cette caractéristique pourrait devenir
                                               intéressante pour le transport aérien à très
L'annonce, par un constructeur automobile,
                                               long terme, disons après 2050. Cette idée
au Congrès Mondial du Pétrole de Rio de
                                               n'est pas neuve et a déjà donné lieu à
Janeiro en septembre 2002, de la mise au
                                               nombre de projets et même d'essais
point d'un réservoir cryogénique embarqué
                                               (Bombardier B57 modifié en 1957, Tupolev
sur automobile avec "zéro boil off"
                                               154 modifié rebaptisé 155 en 1988, etc..).
constituerait une percée majeure. On
conçoit cependant mal sur quels principes      Pour des avions, le problème de
physiques un « zéro boil off » véritable       l'encombrement volumique demanderait de
pourrait reposer.                              consacrer 20 ou 30 % du volume du
                                               fuselage aux réservoirs d'hydrogène
Au total, l’hydrogène apparaît donc bien
                                               cryogénique, ce qui ne devrait pas
comme       un   très   médiocre    vecteur
                                               constituer un handicap insurmontable.
énergétique en terme de coûts, aux trois
stades essentiels de sa mise en œuvre : sa     En fait, la question de l’utilisation éventuelle
production, sa logistique tant massive que     de l’hydrogène (sous sa seule version
capillaire, et son stockage à bord des         liquéfiée par cryogénie) dans l’aviation
véhicules.                                     mériterait une étude spécifique : nous avons
                                               vu que la question du «boil off » excluait
La bonne efficacité énergétique de son
                                               une pénétration massive de l’hydrogène
utilisation dans des piles à combustibles,
                                               liquéfié dans les transports terrestres, alors
même si celles-ci étaient bon marché, ne
                                               que ce n’est pas un obstacle majeur pour
semble pas pouvoir compenser ces
                                               les transports aériens par gros porteurs. Par
handicaps économiques majeurs. Le fait
                                               ailleurs, le gain de poids a une grande
qu’il puisse exister dans le monde des
                                               valeur économique pour les transports
situations exceptionnelles (le cas de
                                               aériens mais pas pour les transports
l’Islande) où les circonstances locales
                                               terrestres. Au total, un bilan H2 liquéfié
pourraient justifier au plan économique le
                                               versus carburants de synthèse reste à faire
recours au vecteur hydrogène ne permettent
                                               pour l’aviation, mais l’hydrogène devrait y
pas d’infirmer ces conclusions.
                                               montrer des avantages nettement plus
Il résulte de ces caractéristiques technico-   marqués pour l’aviation que pour les
économiques que l'hydrogène mis à bord         transports     terrestres.      Ceci    n’exclut
des véhicules a fort peu de chances de         cependant pas que d’autres facteurs,
s'imposer en matière de transports             comme l’émission d’oxydes d’azote par les
terrestres et devrait rester cantonné à        turbines à hydrogène, pourraient venir
quelques niches restreintes (par exemple       entraver le développement pratique de ce
flottes urbaines de transports en commun à     concept.
hydrogène liquide ou à haute pression). Ces
niches seraient en gros les mêmes que
celles des véhicules "tout électrique" à
accumulateurs. Malgré la quarantaine de
« stations service » à hydrogène en activité
ou en projet fermes existant actuellement
(2003), rien ne permet de présager la

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