RÉMUNÉRATION DES CRÉATEURS DE CONTENUS DANS L'ESPACE NUMÉRIQUE : DÉFIS, OBSTACLES ET UN LANGAGE COMMUN POUR FAVORISER LA VIABILITÉ ÉCONOMIQUE ET ...
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RÉMUNÉRATION DES CRÉATEURS DE CONTENUS DANS L’ESPACE NUMÉRIQUE : DÉFIS, OBSTACLES ET UN LANGAGE COMMUN POUR FAVORISER LA VIABILITÉ ÉCONOMIQUE ET LA DIVERSITÉ CULTURELLE Dr Giuseppe Mazziotti Document de réflexion, 7-8 février 2019
Rémunération des créateurs de Dr Giuseppe Mazziotti contenus dans l’espace numérique Remerciements Ce rapport a été préparé pour le ministère du Patrimoine canadien et la Commission canadienne pour l’UNESCO par Giuseppe Mazziotti. Les points de vue, les opinions et les recommandations exprimés dans ce rapport sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle du du gouvernement du Canada. La responsabilité de toute erreur, interprétation ou omission incombe uniquement à l’auteur. Document de réflexion, 7-8 février 2019 1
Rémunération des créateurs de Dr Giuseppe Mazziotti contenus dans l’espace numérique TABLE DES MATIÈRES 1. Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 2. Contexte : diffusion de contenus en ligne et la place des créateurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 2.1. Partage de fichiers non autorisé et logiciels poste-à-poste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 2.2. Services de partage de contenus : médias sociaux et plateformes de contenus générés par les utilisateurs.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 2.3. Plateformes de contenus sur demande. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 3. Défis économiques observés.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 3.1. Évolution du piratage en ligne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 3.2. Plateformes de partage de contenus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 3.3. Services de contenus sur demande. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 4. Qu’est-ce qui a été fait jusqu’à maintenant? Réactions des gouvernements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 4.1. Les traités internationaux et leur approche largement protectrice du droit d’auteur. . . 14 4.2. Territorialité du droit d’auteur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 4.3. Droit d’auteur et liberté contractuelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 4.4. Donner plus de pouvoir aux créateurs par la transparence de l’information. . . . . . . . . . . . . . 17 4.5. Gestion collective des droits d’auteur dans le secteur de la musique.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 4.6. Application du droit d’auteur en ligne.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 5. Réponses des plateformes numériques et de la société civile. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 5.1. Plateformes numériques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 5.2 Société civile.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 6. Aller de l’avant : principaux obstacles.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 6.1 Le secret, le manque de transparence et le manque de données sur les chaînes de valeur des contenus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 6.2. Absence de normes d’information sur la gestion des droits.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 6.3. Pouvoir de négociation, taille et origine des plus grandes plateformes numériques. . . . 26 6.4. Risques et coûts liés à l’application du droit d’auteur en ligne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 7. « Rémunération » et « créateurs » de contenus : vers une compréhension et un langage communs au niveau international.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 7.1. Notion de « création » et différents types de contributeurs aux chaînes de valeur du contenu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 7.2. Fonction (et limites) du droit d’auteur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 7.3. Éléments suggérés d’un dialogue multilatéral. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Document de réflexion, 7-8 février 2019 2
Rémunération des créateurs de Dr Giuseppe Mazziotti contenus dans l’espace numérique Sommaire L’Internet a bouleversé les modèles commerciaux tradi- termédiaires dans la distribution de contenus. L’essor rapide tionnels des industries de contenus et a permis aux inter- des plateformes numériques qui mettent à disposition des médiaires en ligne de dominer la diffusion et l’exploitation œuvres téléchargées par leurs utilisateurs a inévitablement commerciale du savoir, de la culture et du divertissement. soulevé des questions de politique publique concernant la En soutenant la création et la diffusion de contenus culturels responsabilité des intermédiaires numériques pour viola- de langue française, la Déclaration conjointe sur la diversité tion du droit d’auteur. Tous les systèmes juridiques pris en culturelle et l’espace numérique, signée par les gouverne- considération dans le présent document – canadien, amér- ments canadien et français en avril 2018, soulève un certain icain et européen – protègent la neutralité des plateformes nombre de questions sur l’avenir des politiques en matière numériques en les exemptant de la responsabilité en matière de technologie, de culture et de droits d’auteur. Il s’agit en de droit d’auteur dans la mesure où elles suppriment (ou en- particulier des questions suivantes : Quel est le rôle du droit registrent) les violations en réponse aux avis des détenteurs d’auteur et de la rémunération dans la préservation et la de droits d’auteur (mécanismes dits « d’avis et de retrait » ou, promotion de la création culturelle diversifiée à une épo- au Canada, « d’avis et avis »). que où les marchés numériques exacerbent la dynamique Un environnement où le piratage numérique reste endémique préexistante du « tout au vainqueur » en ce qui concerne le (bien qu’on ne sache pas exactement quel est son effet sur succès et la distribution des différents types d’œuvres de les ventes) et où les plateformes numériques donnent accès création? Quelle est la place des créateurs et quel est le rôle aux œuvres protégées par le droit d’auteur soit gratuite- des plateformes numériques dans la diffusion en ligne des ment (via des plateformes de partage de contenus), soit par expressions culturelles? Quelle conception des « créateurs » abonnement pour accéder à de vastes collections (via des de contenus assurera la durabilité économique et la diversité services de diffusion en continus) entraîne inévitablement de la création culturelle à long terme? Le présent document des défis économiques pour la rémunération des créateurs a pour but de répondre à ces questions. de contenus. Pour les créateurs, il s’agit essentiellement Les communications sur le Web ont rapidement modifié soit de ne pas être rémunérés du tout, soit de l’être très peu, le contexte et les conditions dans lesquelles les œuvres de en raison de la valeur commerciale incertaine ou très faible création ont été produites et diffusées. Au début de l’Inter- de la grande majorité des œuvres de création sur les plate- net, le partage de fichiers musicaux de poste-à-poste par le formes numériques. Bien que l’analyse s’appuie sur une biais de réseaux d’échange de fichiers soulevait la question notion large de « créateurs » de contenus, qui englobe tous de savoir comment les œuvres intellectuelles pourraient les détenteurs de droits d’auteur et le secteur de la création être rémunérées en l’absence de nouveaux modèles de dans son ensemble, le document prend particulièrement en transactions non physiques. À l’époque, une idée était que considération les auteurs et les artistes interprètes et leur les contenus culturels seraient diffusés sans intermédiaires, position vis-à-vis des plateformes de partage de contenus et sans possibilité de rémunérer les créateurs de contenus des producteurs de contenus. La situation économique des pour l’exploitation en ligne de leurs œuvres. Très peu de créateurs individuels est particulièrement importante aux services, à commencer par iTunes d’Apple en 2001, offraient fins du présent document, car la diversité des expressions légitimement des contenus protégés par le droit d’auteur. culturelles dépend essentiellement du travail artistique et L’émergence de services de partage de contenus, tels que les intellectuel des personnes (ou groupes de personnes) plutôt réseaux sociaux et les plateformes de contenus générés par que des investissements et des activités des entreprises et les utilisateurs, ainsi que les services de téléchargement et des industries de la culture. À l’exception notable de Google de diffusion en continus, a donné lieu à la réapparition d’in- et de sa technologie « Content ID » utilisée sur la plateforme Document de réflexion, 7-8 février 2019 3
Rémunération des créateurs de Dr Giuseppe Mazziotti contenus dans l’espace numérique YouTube, la plupart des plateformes de médias sociaux ne le problème de la rémunération des œuvres exploitées sur facilitent pas l’application du droit d’auteur et ne donnent les plateformes en ligne. Les États-Unis s’appuient toujours pas aux particuliers la possibilité de monétiser l’exploitation sur leurs exonérations de responsabilité pour accorder l’im- en ligne de leurs œuvres. Les systèmes d’avis et de retrait munité à des plateformes numériques telles que YouTube, fonctionnent beaucoup mieux pour les détenteurs de droits Facebook et Twitter à la suite de procédures d’avis et de re- bien nantis que pour les particuliers ou les petits produc- trait. Au lieu de cela, l’UE reconsidère actuellement le prin- teurs de contenus, qui n’ont ni le temps, ni les ressources cipe de neutralité des plateformes et cherche à obliger les pour surveiller ce que les internautes téléchargent sur les plateformes – à la lumière de leur rôle actif dans l’optimi- médias sociaux. De plus, les plateformes de contenus sous sation de la présentation des œuvres téléchargées ou leur licence donnent naissance à des environnements évolutifs et promotion – à obtenir une licence et à payer pour le contenu très inégaux où un nombre très réduit de grandes vedettes que leurs utilisateurs téléchargent. Les plateformes et les or- détiennent une part de marché démesurément élevée (et ganisations de la société civile ne sont pas restées inactives même les vedettes ne gagnent presque rien par diffusion). sur le front de l’application du droit d’auteur. YouTube, Face- Les gouvernements ont tenté de s’attaquer à ces problèmes book et d’autres plateformes se conforment de plus en plus et de garantir une certaine équité dans la rémunération des au droit d’auteur grâce aux technologies d’identification du créateurs, ainsi que la transparence dans la manière dont contenu et aux logiciels de gestion des droits qui leur per- les œuvres sont exploitées. Les interventions réglementaires mettent de filtrer les œuvres non autorisées et de laisser les ont ciblé des aspects cruciaux tels que l’intersection du droit créateurs de contenus décider si ces œuvres doivent être re- d’auteur et du droit des contrats et l’établissement de lim- tirées des plateformes ou monnayées. Des organisations de ites à la liberté contractuelle des auteurs et des artistes-in- la société civile telles que Creative Commons ont contribué terprètes de vendre tous leurs droits aux éditeurs et autres au développement et à l’adoption de technologies et de producteurs de contenus sans bénéficier en réalité des reve- normes de licence qui aident les créateurs de contenus, les nus générés par leurs œuvres. À cette fin, dans des endroits intermédiaires en ligne et les utilisateurs d’Internet à com- tels que les États membres de l’Union européenne (UE), les prendre si une œuvre protégée par le droit d’auteur est mise créateurs individuels sont de plus en plus en mesure d’exer- à la disposition du public à titre gratuit ou à but lucratif, afin cer, dans des conditions différentes, le droit de résilier leurs qu’elle puisse être communiquée à d’autres. transferts de droits d’auteur et le droit d’obtenir des infor- Les scénarios complexes décrits dans le document révèlent mations sur les différentes exploitations de leurs œuvres et l’existence d’obstacles majeurs à une meilleure rémunéra- sur les revenus correspondants. En Europe, par exemple, les tion des créateurs de contenus : i) le secret et le manque de auteurs et les artistes interprètes peuvent également compt- données sur la manière dont les plus grandes plateformes er sur un meilleur fonctionnement des sociétés de gestion en ligne tirent profit des interactions liées aux contenus avec collective pour l’octroi de licences d’utilisation numérique leurs utilisateurs et de l’imposition de conditions injustes et sur la liberté de choisir un gestionnaire de droits de leur aux créateurs de contenus; ii) l’absence, dans chaque sec- choix, peu importe leur lieu de résidence ou pays d’origine. teur créatif, de normes en matière de gestion des droits qui Les gouvernements ont également cherché à mieux appli- faciliteraient la mise en place de licences avec les opérateurs quer le droit d’auteur au moyen d’initiatives multilatérales et de contenus numériques (et le paiement de ces derniers); iii) nationales visant à la fois les sites Web structurellement con- le pouvoir de négociation et la taille des principales plate- trevenants (tels que les sites mettant en œuvre des technol- formes en ligne qui ont été décrites comme une menace pour ogies poste-à-poste sophistiquées tels que The Pirate Bay) la démocratie et une cible naturelle de mesures anticoncur- et les plus grandes plateformes en ligne. À cet égard, l’UE et rentielles; iv) les risques et coûts sociaux liés aux mesures en les États-Unis semblent avoir abordé de manière différente ligne en matière de liberté d’expression, de communication Document de réflexion, 7-8 février 2019 4
Rémunération des créateurs de Dr Giuseppe Mazziotti contenus dans l’espace numérique et d’accès aux réseaux de distribution et d’utilisation des in- Quelle est la place des créateurs dans le monde numérique formations sur le Web. Un dialogue multipartite dans le cadre d’aujourd’hui? Quel concept de « créateurs » de contenus les d’une initiative politique internationale pourrait contribuer décideurs politiques devraient-ils prendre en considération à l’élaboration d’un langage commun sur la rémunération, pour assurer la durabilité économique de la création cul- la viabilité à long terme de la création de contenus et la di- turelle et la diversité des expressions culturelles? Quel est le versité culturelle. Ce qui est indispensable, c’est de concilier rôle de la rémunération dans la préservation et la promotion les aspects du droit d’auteur liés au commerce avec d’autres de la création à une époque où l’accès au savoir, à la culture et politiques culturelles et médiatiques qui sont expressément au divertissement se fait de plus en plus en ligne? Et quel est le envisagées dans la Convention de l’UNESCO de 2005 sur la rôle du droit d’auteur? diversité culturelle. Cette réconciliation est essentielle si l’on Le présent document a pour but de répondre à ces questions. veut que le droit d’auteur retrouve sa place centrale et sa La partie 2 décrit le contexte dans lequel les œuvres ont été crédibilité dans les débats politiques liés à l’Internet. diffusées à la suite de l’avènement des communications sur le Web : des formes sans intermédiaire de diffusion de conte- 1. Introduction nus rendues possibles par les logiciels poste-à-poste jusqu’à En avril 2018, les gouvernements canadien et français ont l’émergence des médias sociaux, des plateformes de conte- signé la Déclaration conjointe sur la diversité culturelle et nus créées par les utilisateurs et des services de diffusion en l’espace numérique, conformément à la Convention de l’UN- continu. La partie 3 cerne les défis économiques émergents ESCO sur la protection et la promotion de la diversité des ex- en matière de rémunération des créateurs de contenus à pressions culturelles. La déclaration rappelle que la diversité un moment où le piratage en ligne reste très pertinent et culturelle est inséparable des droits de l’homme et des libertés où les plateformes en ligne donnent accès à des répertoires fondamentales telles que la liberté d’expression et de com- et à de vastes collections d’œuvres gratuitement (via des munication et la possibilité pour les individus de choisir leurs plateformes de partage de contenus) ou sur la base d’un expressions culturelles et linguistiques. En soulignant leur vo- abonnement et du paiement d’un abonnement mensuel lonté commune de soutenir la création et la diffusion de con- (via des services de téléchargement et de diffusion en con- tenus culturels de langue française, les deux gouvernements tinu). La partie 4 examine comment les gouvernements ont conviennent que les États, les plateformes numériques et la abordé la question de la protection du droit d’auteur et de société civile doivent contribuer à la viabilité économique des l’exercice d’une pluralité de droits qui, même dans l’espace créateurs de contenus et au respect du droit d’auteur. Il est de- numérique, devraient assurer la rémunération de la création venu évident que l’Internet a bouleversé les modèles commer- culturelle et de la distribution du contenu. Les interventions ciaux traditionnels des industries de contenus et a permis aux en matière de réglementation ont ciblé des aspects de ces intermédiaires en ligne tels que les plateformes numériques questions tels que la gestion individuelle et collective du de dominer le marché. D’un point de vue économique, les droit d’auteur, les accords contractuels et les transferts de marchés numériques et les plateformes en ligne exacerbent droits des auteurs et des artistes-interprètes aux produc- les caractéristiques préexistantes d’inégalité de succès et de teurs de contenus et d’autres tentatives visant à assurer distribution des œuvres et de disparités de revenus entre les la transparence et l’équité dans les chaînes de valeur de la différents auteurs, œuvres et répertoires. Tout en soutenant la production de contenus. La partie 5 montre comment les neutralité du réseau internet ainsi que la durabilité de la créa- plateformes en ligne et la société civile ont réagi aux change- tion de contenus par une rémunération équitable et le respect ments radicaux qu’ont entraînés la création numérique et la des droits d’auteur, la déclaration conjointe soulève un certain diffusion de contenus en ligne en adoptant des technologies nombre de questions : et des normes de licence qui aident les créateurs de conte- Document de réflexion, 7-8 février 2019 5
Rémunération des créateurs de Dr Giuseppe Mazziotti contenus dans l’espace numérique nus, les intermédiaires et les internautes à comprendre les vres intellectuelles (Barlow, 1994). D’autres chercheurs, au conditions dans lesquelles les œuvres sont rendues acces- contraire, étaient convaincus que le nouvel environnement sibles au public. La partie 6 met l’accent sur les principaux numérique donnerait aux auteurs plus de possibilités de obstacles à la réalisation des conditions dans lesquelles suivre la consommation de leurs œuvres et d’obtenir une ré- la rémunération des œuvres pourrait retrouver une place munération au moyen de micropaiements, comme si l’Inter- centrale : par exemple, le secret entretenu et le manque de net pouvait devenir un « juke-box céleste » (Goldstein, 1994). données sur la manière dont les plateformes en ligne domi- 2.1. Partage de fichiers non autorisé et logiciels nantes (sinon monopolistiques) tirent profit des interactions poste-à-poste liées au contenu avec leurs utilisateurs et l’imposition de conditions inéquitables aux créateurs de contenus, et, par Au début d’Internet, en raison de la bande passante lim- conséquent, la valeur commerciale faible ou très aléatoire itée et de la lenteur du traitement des données, ce nouveau des œuvres numériques moyennes. Enfin, la partie 7 fournit média ne permettait pas de transmettre de grandes quan- une réflexion et des suggestions politiques sur la question tités d’information. Cependant, les nouvelles technologies de savoir s’il est possible, au niveau international, d’avoir telles que les formats de compression audio et les logiciels une compréhension commune et un langage commun sur la poste-à-poste ont commencé à permettre aux internautes rémunération et la viabilité à long terme de la création de de transmettre des enregistrements sonores entre eux gra- contenus et comment cela pourrait être réalisé. En particu- tuitement, sans passer par l’intermédiaire des producteurs lier, cette partie examine i) s’il est possible de concilier les de disques, en sautant le paiement de la rémunération et en aspects du droit d’auteur liés au commerce et à la culture et contestant l’application du droit d’auteur. Pendant un cer- ii) si un dialogue multipartite peut aider à développer une in- tain nombre d’années, le partage de fichiers a menacé la sur- terface entre les accords internationaux sur le droit d’auteur vie de l’industrie du disque, car les fichiers musicaux trans- et des instruments tels que la Convention sur la protection mis gratuitement pouvaient remplacer les disques compacts et la promotion de la diversité des expressions culturelles et les autres formats physiques, qui constituaient l’activité de 2005. principale de cette industrie. Pour échapper à toute respons- abilité et assurer de meilleures performances, de nouvelles 2. Contexte : diffusion de contenus plateformes et de nouveaux protocoles de partage de fich- en ligne et la place des créateurs iers reposant sur des technologies sophistiquées (par ex- emple Napster, Grokster, eMule et BitTorrent) ont facilité les La numérisation de l’information et l’avènement de l’Inter- échanges directs entre utilisateurs sans stocker les œuvres net – en tant que moyen d’expression et de communication protégées sur leurs serveurs2 . Dès que la bande passante a sans précédent, sans frontières et décentralisé – ont révo- permis des transmissions de contenus plus rapides et plus lutionné la manière dont les personnes et les industries de importantes, ces technologies et protocoles ont commencé la culture produisent et diffusent des idées et des œuvres. à cibler les films, les séries télévisées et les jeux vidéo (Quin- Au milieu des années 1990, la numérisation de l’information tais, 2018). transmise sur l’Internet et la conception de bout en bout de ce nouveau support ont suscité un débat sur la question de La pratique de la diffusion des œuvres protégées par le droit savoir si le droit d’auteur pouvait survivre ou non. Certains d’auteur sans intermédiaire a pris une telle importance à auteurs ont prédit qu’en l’absence de nouveaux modèles l’époque de Napster et de Grokster que des universitaires fonctionnelspour les transactions non physiques, il n’y au- influents ont proposé, de façon légèrement différente, la rait pas eu moyen d’assurer un paiement fiable pour les œu- légalisation de la diffusion des fichiers. Leur idée principale Document de réflexion, 7-8 février 2019 6
Rémunération des créateurs de Dr Giuseppe Mazziotti contenus dans l’espace numérique était que le fait de permettre la diffusion non commerciale distinction entre les créations originales de l’utilisateur de d’œuvres en ligne en exigeant des paiements aux créateurs la plateforme et les œuvres créées par une autre personne de contenus par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès In- qui sont téléchargées par l’utilisateur sans l’autorisation du ternet garantirait la rémunération des créateurs sans entrav- titulaire du droit. D’un point de vue juridique, l’accès et l’util- er la communication sur le Web (Netanel, 2003; Fisher, 2004). isation de ces plateformes sont subordonnés à l’acceptation Pour mesurer la demande des utilisateurs et assurer une de conditions générales qui obligent les abonnés à ne pas rémunération proportionnelle à l’utilisation effective de ces diffuser et publier les œuvres créées par des tiers sans leur œuvres, leurs solutions supposaient soit l’enregistrement autorisation. Cependant, depuis le début, les fournisseurs des œuvres auprès d’un organisme gouvernemental (et l’in- de plateformes de partage de contenus ont été réticents à corporation ultérieure d’empreintes digitales dans les fich- faire respecter cette condition contractuelle et à surveiller iers de contenus), soit des enquêtes et sondages périodiques les contenus que leurs abonnés téléchargent. visant à mesurer les utilisations des œuvres enregistrées. 2.2.2. Protection de la neutralité des plateformes en ligne L’objection la plus forte à cette idée était qu’un régime légal d’octroi de licences aussi étendu découragerait la formation Il serait impossible de comprendre la conduite et les poli- de nouveaux marchés et l’émergence de services innovants tiques des fournisseurs de services de partage de contenus fondés sur des droits de propriété et des licences sur mesure sans tenir compte du traitement spécial et de l’immunité que (Merges, 2004). des lois comme la Digital Millennium Copyright Act3 de 1998 aux États-Unis, la Directive sur le commerce électronique de 2.2. Services de partage de contenus : médias sociaux et 20004 dans l’Union européenne et, à un stade ultérieur, la Loi plateformes de contenus générés par les utilisateurs sur la modernisation du droit d’auteur de 20125 au Canada ac- Jusqu’au lancement du magasin de musique iTunes d’Apple cordent aux fournisseurs de services Internet, en particulier en 2001, le partage de fichiers était le moyen le plus popu- aux fournisseurs de services « d’hébergement ». Les lois des laire d’accéder aux œuvres protégées par le droit d’auteur États-Unis et de l’UE ont créé, à partir de la fin des années sur l’Internet. Par la suite, l’essor des magasins de contenus 1990, des exemptions de responsabilité qui rendaient les sur demande et des services de diffusion en continu, ainsi fournisseurs de services d’hébergement non responsables que l’émergence et la diffusion à grande échelle des réseaux des activités menées par leurs utilisateurs si, après avoir eu sociaux et des technologies Web 2.0, ont déclenché le re- connaissance d’un comportement illicite, les fournisseurs tour des intermédiaires dans la distribution de contenus de services ont rapidement retiré les contenus illicites. Avant numériques (Renda et al., 2015). d’adopter une loi spéciale sur la responsabilité de l’inter- médiaire en ligne pour violation du droit d’auteur en 2012, 2.2.1. Retour des intermédiaires dans la distribution de contenus le Canada avait obtenu un résultat équivalent grâce à un ac- cord conclu en 2000 par l’Association canadienne des four- La montée en puissance des plateformes de diffusion de nisseurs Internet (ACFI) et l’industrie de la musique et de la vidéos telles que YouTube et Vimeo, des réseaux sociaux câblodistribution, qui ont traité avec succès les plaintes pour tels que Facebook et Twitter et d’autres services interac- violation du droit d’auteur. L’entente visait à mettre en pra- tifs ou plateformes dédiées aux photos (par exemple Ins- tique une solution enchâssée dans un jugement de la Cour tagram, Flickr et Pinterest) et aux enregistrements sonores suprême du Canada jugeant que les fournisseurs de services (par exemple Soundcloud) a considérablement multiplié Internet auraient pu encourir une responsabilité secondaire les possibilités pour les internautes d’accéder aux œuvres. s’ils avaient été avisés d’une violation potentielle du droit Une caractéristique essentielle de ces plateformes, du point d’auteur commise par leurs clients et n’avaient pris aucune de vue de la création culturelle et de la rémunération, est mesure corrective6. La loi de 2012 est essentiellement une qu’elles ne sont pas conçues pour permettre ou faciliter une codification des règles proposées par la Cour suprême. Document de réflexion, 7-8 février 2019 7
Rémunération des créateurs de Dr Giuseppe Mazziotti contenus dans l’espace numérique L’idée principale, justifiée également par la nécessité de formes de partage de contenus, car toutes les œuvres font défendre le concept de la neutralité de l’Interneti), était que l’objet d’une licence ex ante et leur utilisation est rémunérée les fournisseurs de services Internet ne devaient pas être te- par des redevances que les producteurs de contenus et/ nus de surveiller le trafic des utilisateurs finaux sur leurs ré- ou les sociétés de gestion collective des auteurs négocient seaux. Les services de partage de contenus ont profité de ces avec chaque fournisseur de services. Les plateformes de exemptions pour se dégager de toute responsabilité et pour contenus sur demande servent d’intermédiaires entre les supprimer les œuvres protégées par le droit d’auteur non au- industries créatives traditionnelles et les consommateurs. torisées téléchargées par leurs abonnés uniquement après iTunes d’Apple a été le premier service de ce type. Ces ser- en avoir été informés et invités à le faire (par un « avis »). La vices ont des caractéristiques et des modèles économiques conséquence de cette exemption, en Europe et aux États- très différents. Certaines des plus grandes plateformes de Unis, a été la mise en œuvre à grande échelle de mécanis- contenus fonctionnent comme de grands détaillants qui mes dits d’« avis et de retrait » sur les médias sociaux et vendent des copies numériques permanentes (télécharge- les plateformes de contenus générés par les utilisateurs. ments) d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Ces plate- Au Canada, l’exemption de responsabilité a plutôt mené à formes combinent souvent des catalogues en ligne avec la l’application d’un régime d’« avis et avis » moins lourd. Les vente d’appareils dédiés (par exemple, le Kindle d’Amazon détenteurs de droits d’auteur envoient un avis détaillé pour ou le matériel portable d’Apple) permettant aux consom- signaler et localiser une violation de leur droit d’auteur, puis mateurs d’accéder et de profiter des œuvres qu’ils achètent. le fournisseur de services le transmet à l’abonné accusé D’autres plateformes, telles que Spotify, Netflix et Amazon, et l’enregistre. fonctionnent comme des services de radio et de télévision L’application du droit d’auteur sur les plateformes de part- par abonnement, donnant accès à des répertoires musicaux age de contenus dépendait en grande partie de la capacité ou à des collections de films, émissions de télévision et au- des titulaires de droits de surveiller les téléchargements et tres œuvres audiovisuelles. de demander le retrait de leurs œuvres. Plus récemment, L’une des caractéristiques distinctives des plateformes l’application de la loi a commencé à dépendre de la mise en en ligne est leur capacité de connaître et d’exploiter les œuvre par une plateforme donnée des formes d’identifica- préférences et l’attention des utilisateurs ou des consom- tion de contenu pour supprimer les documents violant les mateurs. Par l’intermédiaire de leurs sites Web et de leurs droits d’auteur et autres contenus préjudiciables (tels que interfaces, ces fournisseurs de services recueillent et stock- les propos haineux). Néanmoins, il est évident que, du moins ent des données personnelles chaque fois qu’un consomma- au début, cette tendance a inévitablement transformé les teur achète un produit ou qu’un abonné utilise une de leurs plateformes de partage de contenus en société de médias caractéristiques de service. Cette connaissance approfondie de fait dont la communication sans restriction de grandes des préférences de leurs abonnés place les plateformes en quantités d’œuvres protégées par le droit d’auteur sans li- ligne non seulement en mesure de vendre et de tirer des cence au public ne peut être arrêtée ou monnayée que par revenus des annonceurs en ligne, comme c’est le cas pour des initiatives a posteriori des titulaires de droits. les services de partage de contenus, mais aussi de cibler les offres commerciales sur le seul consommateur. Le pro- 2.3. Plateformes de contenus sur demande filage des utilisateurs permet aux fournisseurs de contenus Du point de vue des créateurs de contenus, les services de sur demande de profiter des préférences connues des con- téléchargement sur demande et de diffusion en continu con- sommateurs d’une manière qui reflète le comportement des stituent certainement une meilleure option que les plate- consommateurs sur la plateforme. Document de réflexion, 7-8 février 2019 8
Rémunération des créateurs de Dr Giuseppe Mazziotti contenus dans l’espace numérique 3. Défis économiques observés L’espace numérique a créé de multiples problèmes pour la prolifération de nouveaux services de partage de fichiers basés rémunération des créateurs de contenus. Dans la présente sur des technologies de plus en plus insaisissables comme partie, on recense les principaux défis économiques engen- les cybercasiers et les torrents (Renda, 2011) a constamment drés par les différents modèles de distribution développés permis à une partie importante des internautes d’échapper au cours des deux dernières décennies. Passant du pire des au contrôle des industries créatives et d’accéder aux œuvres scénarios au meilleur des scénarios pour les créateurs de protégées par le droit d’auteur sans aucune rémunération. contenus, on y examine l’évolution du partage de fichiers Le piratage numérique est resté important en raison de et les taux encore importants de piratage numérique (§3.1), l’évolution des technologies qui, tirant parti des services la mise à disposition d’œuvres protégées par le droit d’au- informatiques hébergés, ont rendu accessibles au public de teur sur des plateformes de partage de contenus (§3.2), et la grandes quantités d’œuvres protégées par le droit d’auteur distribution en ligne via des services sur demande de non autorisées. Par exemple, l’un des mécanismes les plus contenus (§3.3). importants permettant la distribution à grande échelle d’œuvres non autorisées est celui des cybercasiers, utilisés 3.1. Évolution du piratage en ligne par des services populaires tels que Megaupload (disponible Depuis les débuts des communications sur le Web, les jusqu’en 2012) et Rapidshare pour stocker et accéder au formes sans intermédiaires de communication de contenus contenu via des serveurs situés dans des pays qui échappent en ligne, à commencer par le partage de fichiers d’enregis- à l’application du droit d’auteur en ligne (surnommés les « trements sonores à la fin des années 1990, ont fait planer paradis du droit d’auteur »). Ces services, ainsi que d’autres des menaces sans précédent pour la rémunération des créa- plateformes offrant des services de diffusion en continu teurs de contenus. En raison de l’architecture de l’Internet illégaux, fonctionnent exactement comme les plateformes et de la technologie qui permet la copie massive de fichiers sous licence telles que iTunes, Spotify et Netflix. Certains numériques sans dégradation de qualité, les titulaires de de ces services fournissent également des dispositifs droits d’auteur ont perdu le contrôle de l’utilisation à grande facilitant la violation du droit d’auteur, tels que des boitier échelle et de la distribution exponentielle de leurs œuvres décodeurs qui peuvent être branchés sur des téléviseurs, (Renda, 2011). avec des modules complémentaires contenant des liens vers des sites Web permettant l’accès à des flux gratuits 3.1.1. Piratage et croissance des services de diffusion en et non autorisés de films, émissions et séries télévisées, continu légaux et illégaux musique et jeux protégés. D’autres services tels que les Les études et données disponibles (Kantar Media, 2016) sur sites « torrent » (The Pirate Bay est l’exemple le plus connu) le comportement des utilisateurs dans l’environnement utilisent la technologie poste-à-poste pour permettre le numérique prouvent que le partage de fichiers non autorisée téléchargement sur site d’œuvres protégées par le droit et d’autres formes d’accès non rémunéré aux œuvres d’auteur dans des segments de données dispersés qui sont protégées par un droit d’auteur ont progressivement perdu ensuite rassemblés après avoir été indexés et classés. Il est de leur attrait en raison de la croissance importante des intéressant de noter que, dans des affaires récentes, la Cour plateformes de contenus licites. Les modèles de distribution de justice de l’Union européenne a estimé que les activités permettant aux utilisateurs d’accéder aux œuvres d’une aidant les utilisateurs à accéder à des œuvres protégées par manière fluide, à faible prix et sécurisé, sans avoir à le droit d’auteur non autorisées peuvent être considérées télécharger et à stocker des copies permanentes, semblent comme des actes de communication des œuvres au public, être la principale raison pour laquelle les utilisateurs qui portent directement atteinte aux droits connexes des s’abandonnent aux sites et services illégaux. Cependant, la producteurs de films7. Document de réflexion, 7-8 février 2019 9
Rémunération des créateurs de Dr Giuseppe Mazziotti contenus dans l’espace numérique 3.1.2. Incertitudes quant à l’effet économique du piratage en ce qui concerne les œuvres, comme les enregistrements sur la rémunération des créateurs sonores, que les consommateurs ont tendance à écouter Le partage de fichiers et le piratage numérique n’ont pas plusieurs fois; il est beaucoup plus faible pour les œuvres, seulement soulevé des questions quant aux effets sur les comme les films et les livres, qui sont vues et lues une ou ventes et aux préjudices économiques subis par les créateurs deux fois. En ce qui concerne les produits complémentaires, de contenus dans les secteurs (musique, films, émissions il est également évident que les musiciens qui gagnent de télévision, jeux vidéo) ciblés par les communications en popularité et en visibilité grâce à l’accès gratuit et non poste-à-poste et les services violant les droits d’auteur. Ce autorisé à leurs enregistrements et vidéos ont plus à gagner phénomène a également suscité un débat sur la question du piratage que les artistes non interprètes, tels que les de savoir si la diffusion non autorisée d’œuvres protégées réalisateurs de films et les artistes visuels, qui ne peuvent par le droit d’auteur pourrait également avoir des effets gagner d’argent grâce à leurs prestations en direct. Il est positifs pour les créateurs. Statistiquement, il est incontesté également pertinent de considérer que les effets positifs que, dans le secteur de la musique, qui a été le premier et du piratage en termes d’exposition en ligne gagnés par les directement touché par le piratage, les revenus mondiaux artistes peuvent être fortement réduits si les internautes provenant des ventes de musique physique et numérique ont accès à des copies de leurs œuvres (par exemple des ont diminué de 42 % entre 1999 et 2014 (de 25,2 à 14,6 enregistrements sonores ou vidéos) dont la qualité est milliards de dollars) (IFPI, 2018). Ce n’est qu’en 2015 que mauvaise ou compromise (par exemple un fichier audio mal les ventes de musique ont recommencé à croître. En 2017, compressé ou un fichier vidéo piraté) et/ou dont le format ne soit la troisième année consécutive de croissance, les comporte aucune mention de leur nom. Dans les deux cas, la revenus mondiaux se sont élevés à 17,3 milliards de dollars diffusion en ligne non autorisée ne constitue pas seulement (IFPI, 2018). Toutefois, il reste encore à savoir si des œuvres une violation des droits patrimoniaux des créateurs, mais, protégées par le droit d’auteur non autorisées sont devenues dans les pays qui protègent les droits moraux, une violation des substituts de contenus achetés, de l’accès à des services des droits des créateurs à l’intégrité et à la paternité. en ligne ou de la fréquentation des cinémas. Par exemple, 3.2. Plateformes de partage de contenus des études récentes n’ont trouvé aucune preuve d’un Dans un article du Guardian d’octobre 2013, l’ancien leader déplacement des ventes de musique numérique, concluant des Talking Heads, David Byrne, était très pessimiste que les internautes ne considèrent pas le téléchargement quant à l’effet de l’Internet sur la valeur commerciale du illégal comme un substitut à l’accès légal à la musique droit d’auteur (Byrne, 2013) : « Internet va absorber tout le numérique (Aguiar et Martens, 2013; Frosio, 2016). contenu créatif du monde. » (Traduction libre) D’un point de vue économique plus large, les économistes ont observé différentes interactions entre le piratage et les 3.2.1. Stratégie de création de valeur et de revenus ventes. Il a été observé qu’en exposant les consommateurs des plateformes à la musique, au cinéma, aux livres et aux jeux (ainsi qu’aux Byrne n’a pas été le seul à mettre l’accent sur une situation artistes, aux auteurs et aux genres), le piratage a eu un effet qui est due non seulement à la faiblesse notoire du pouvoir d’échantillonnage qui a créé une nouvelle demande (Fijk, de négociation des auteurs et interprètes moyens vis-à-vis Poort et Rutten, 2010). Cette demande a également renforcé des producteurs de contenus (par exemple les maisons de la volonté des consommateurs de payer pour des produits disques, les studios de cinéma, etc.), mais aussi à la diffusion complémentaires, tels que des concerts et des marchandises, largement non rémunérée des œuvres protégées sur les qui ont profité à l’ensemble de l’industrie musicale. Il est plateformes de partage de contenus. Par exemple, dans une évident que ces effets varient considérablement selon le type lettre adressée au président de la Commission européenne, d’œuvres : par exemple, l’effet d’échantillonnage est plus fort Jean-Claude Juncker, et signée en juillet 2016 par près de 1 Document de réflexion, 7-8 février 2019 10
Rémunération des créateurs de Dr Giuseppe Mazziotti contenus dans l’espace numérique 300 artistes et auteurs-compositeurs de toute l’Europe qui se en ce qui concerne la stratégie de génération de revenus. produisent régulièrement en Europe, ces derniers affirment Après avoir commencé comme une plateforme gratuite que l’avenir de la musique est compromis par un important pour le contenu généré par les utilisateurs, et après son « écart de valeur » causé par les services de téléchargement, acquisition par Google en 2006, YouTube est devenue comme YouTube de Google, qui privent la communauté une plateforme de diffusion d’œuvres protégées par le musicale et ses artistes et auteurs (IFPI et IMPALA, 2016) droit d’auteur et c’est aussi là où le droit d’auteur a été de valeur. appliqué dans une large mesure (Renda et al 2015; voir La valeur et le nombre d’utilisateurs de services tels que la partie 4 ci-dessous). YouTube n’est pas une boutique YouTube (70 milliards de dollars en 2015), Pinterest (12 en ligne ou un service commercial où les consommateurs milliards de dollars) et Soundcloud (700 millions de dollars) paient des frais pour accéder au contenu. Au contraire, témoignent facilement du rôle central et de la taille des son modèle économique (semblable à celui de Facebook) services de partage de contenus dans la distribution en ligne ressemble à celui des radiodiffuseurs traditionnels, où des œuvres de création (Commission européenne, 2016). En l’argent provient d’annonceurs prêts à payer pour attirer octobre 2015, YouTube comptait 1,3 milliard d’utilisateurs (un l’attention des consommateurs. Toutefois, contrairement tiers de tous les internautes) qui téléchargent collectivement aux radiodiffuseurs à accès libre, les plateformes comme 400 heures de contenus vidéo par minute, Daily Motion a 300 YouTube ou Facebook n’ont ni responsabilité éditoriale, millions d’utilisateurs qui regardent 3,5 milliards de vues par ni mission institutionnelle d’informer, d’éduquer et de mois, Vimeo a une audience mensuelle d’environ 170 millions divertir. Le fait que les utilisateurs créent ou choisissent d’utilisateurs et 35 millions d’utilisateurs enregistrés, et la de télécharger tous le contenu rend tout simplement communauté des utilisateurs de Soundcloud a augmenté impossible pour les plateformes de garantir la diversité des exponentiellement, passant de 11 millions en 2011 à 150 œuvres accessibles en ligne. millions en 2015 et 250 millions en 2016. Plus de dix ans 3.2.2. Position des créateurs de contenus sur les après la première publication d’une vidéo sur YouTube plateformes de partage de contenus (2006), il subsiste toutefois une incertitude quant aux conditions dans lesquelles les plateformes de partage de D’un point de vue juridique et commercial, la grande majorité contenus sont légalement tenues de supprimer ou de filtrer des plateformes de contenus générés par les utilisateurs (à les transmissions non autorisées d’œuvres protégées par l’exception remarquable de YouTube ces dernières années) le droit d’auteur et quand elles deviennent responsables et des réseaux sociaux ne garantissent pas facilement le de violations de ce droit. Premièrement, cette situation respect du droit d’auteur. Ces plateformes ont engendré une d’incertitude n’a pas favorisé le développement d’accords situation « perdant-perdant » pour les créateurs de contenus, de licence entre les détenteurs de droits et les entreprises en particulier pour les auteurs et les artistes-interprètes propriétaires des plateformes. Deuxièmement, comme individuels et les petits producteurs de contenus : indiqué plus haut, les possibilités d’application finissent par • Premièrement, les titulaires de droits d’auteur n’ont être réservées à l’initiative des titulaires de droits qui sont pas été en mesure de faire valoir leurs droits lorsqu’un en mesure de surveiller les téléchargements des utilisateurs tiers met leurs œuvres à disposition sans autorisation. sur les plateformes en ligne et d’informer rapidement les Si un auteur ou un détenteur de droits d’auteur n’a intermédiaires en ligne. pas les moyens de surveiller les téléchargements des utilisateurs et d’envoyer des avis pour retirer Quelle est l’activité de base des grandes plateformes des contenus non autorisés, leurs droits d’auteur de partage de contenus? YouTube, par exemple, aide à resteront sans effet à moins que le concepteur de la démontrer le fonctionnement des plateformes, du moins plateforme n’agisse spontanément (en s’appuyant Document de réflexion, 7-8 février 2019 11
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