RAPPORT 2021 SUR L'AIDE BELGE AU DÉVELOPPEMENT - Coopérer pour la reconstruction post-Covid - CNCD ...
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02 – RÉSUMÉ EXÉCUTIF RÉSUMÉ EXÉCUTIF Le Rapport 2021 du CNCD-11.11.11 sur l’aide belge au De son côté, la Belgique peut être prudemment saluée en développement présente une analyse critique de l’évolu- termes de quantité de l’aide : son aide publique au déve- tion des politiques belges en matière de coopération au loppement est enfin repartie à la hausse en 2020, tant en développement. Ce rapport analyse la période allant volume qu’en pourcentage du revenu national brut (RNB). de janvier 2020 à septembre 2021. Après un aperçu des Néanmoins, cette augmentation s’est accompagnée de tendances observées au niveau international (chapitre 1), déséquilibres grandissants entre les canaux de la coopé- le Rapport étudie les dernières évolutions en termes de ration : les montants de la Coopération gouvernementale quantité de l’aide (chapitre 2), de qualité de l’aide (chapitre n’ont jamais été aussi bas en plus d’une décennie ; à l’inverse, 3), ainsi que de cohérence des politiques en faveur du déve- l’aide humanitaire n’a elle-même jamais été aussi élevée. loppement (chapitre 4). Son dernier chapitre (chapitre 5, En outre, cette augmentation ne résulte pas nécessairement «Zoom») présente cette année différentes recommandations de décisions politiques structurelles, car elle est en grande pour que la Belgique puisse contribuer à la reconstruction partie le fruit d’un contexte spécifique et de décisions anté- post-Covid dans les pays du Sud. rieures. Dans son accord de coalition, le gouvernement belge a pris l’engagement de mettre en œuvre une trajec- Au niveau du contexte international, la crise sanitaire a toire contraignante de croissance afin que l’aide belge bouleversé le monde tout au long de l’année écoulée, provo- atteigne les 0,7% du RNB d’ici 2030. Un ancrage dans la loi quant de plus une crise économique, financière et sociale au s’impose pour concrétiser cet engagement. Nord comme au Sud. Ces crises multiples ont accentué la pauvreté et les inégalités dans le monde. Résultat : c’est Au niveau de la qualité de l’aide, la politique belge de coo- toute une décennie de progrès en matière de lutte contre la pération au développement a été examinée dans le cadre pauvreté mais aussi l’atteinte des Objectifs de développement de l’examen par les pairs de l’OCDE en 2020. Le rapport qui durable qui sont menacés. Malgré ce constat, l’aide en ressort félicite la Belgique sur plusieurs points : la publique au développement n’a augmenté que de 3,5% en Coopération belge est guidée par des principes nobles et 2020 pour atteindre 161 milliards USD – une goutte d’eau des priorités sectorielles pertinentes face aux conséquences face aux 16 000 milliards USD déjà mobilisés de par le de la pandémie de Covid-19, tout en concentrant son aide monde pour faire face à la crise sanitaire. dans les pays dits « les moins avancés » et les contextes
SOMMAIRE LE BULLETIN DE L’AIDE BELGE AU DÉVELOPPEMENT 04 1. CONTEXTE INTERNATIONAL 06 2. QUANTITÉ DE L’AIDE 16 3. QUALITÉ DE L’AIDE 30 4. COHÉRENCE DES POLITIQUES POUR LE DÉVELOPPEMENT 48 5. ZOOM 60 LA RECONSTRUCTION POST-COVID DANS LES PAYS DU SUD RECOMMANDATIONS 70 ABRÉVIATIONS ET ACRONYMES 74 fragiles. Les nouvelles approches dans les domaines de la de cohérence et où la Belgique n’a pas tenu une position forte souveraineté alimentaire et de la migration méritent aussi en faveur de la cohérence des politiques pour le développe- d’être saluées. Néanmoins, une clarification de la stratégie ment. De son côté, l’avant-projet de Plan fédéral de dévelop- d’appui au secteur privé reste nécessaire, tout comme des pement durable pose question : sans changements subs- mesures supplémentaires pour assurer le respect des tantiels, il pourrait devenir un autre exemple d’incohérence. principes d’efficacité de l’aide et du développement. Enfin, le Zoom de ce Rapport pose la question cruciale des En matière de cohérence des politiques en faveur du déve- mesures à mettre en œuvre pour contribuer à la recons- loppement (CPD), elle aussi objet de recommandations truction post-Covid dans les pays du Sud. Le principe de la lors de l’examen par les pairs, notons que le mécanisme cohérence des politiques en faveur du développement institutionnel assez complet censé l’assurer a été détricoté implique que la Belgique s’engage en faveur d’un accès au cours de la dernière législature. Le nouveau gouvernement équitable aux vaccins, de la réforme OCDE contre l’évasion et la nouvelle ministre de la Coopération au développement et l’optimisation fiscales des entreprises transnationales, en particulier ont cependant pris des initiatives concrètes de la taxe européenne sur les transactions financières, des qui laissent entendre leur volonté de plus de cohérence. allègements de dettes et d’une augmentation des finance- Plusieurs initiatives sont à saluer, même si un organe de ments climat. En parallèle, l’augmentation de l’aide publique concertation interministériel se fait attendre. Dans la pra- au développement demeure une partie indispensable de la tique, certaines décisions ont été effectivement cohérentes solution, allouée de manière prioritaire aux secteurs les plus avec les objectifs de développement, et d’autres beaucoup pertinents, dont la santé, la protection sociale et la sécurité moins. En termes de cohérence, on relève le soutien de la alimentaire. Belgique au rehaussement de l’ambition sur le climat, ainsi que sa décision d’interdire les agrocarburants à base d’huile de palme et de soja dans le secteur des transports. À l’inverse, le nouveau pacte de l’UE sur l’asile et la migration ainsi que la réforme de la Politique agricole commune (PAC) sont deux exemples de politiques européennes manquant
04 – LE BULLETIN DE L’AIDE BELGE AU DÉVELOPPEMENT LE BULLETIN DE L’AIDE BELGE AU DÉVELOPPEMENT QUANTITÉ DE L’AIDE + L’aide au développement de la Belgique a augmenté en 2020, en volumes et en pourcentage du revenu national brut. + L’aide humanitaire et les financements de la coopération multilatérale ont augmenté de respectivement 13% et 23%. + L’aide belge gérée par la Direction générale Coopération au développement, qui permet de financer des projets et des programmes concrets de développement, représente 60% de l’aide totale. - Les financements de la Coopération gouvernementale n’ont jamais été aussi bas en plus d’une décennie : ils représentent moins de la moitié de ceux de la Coopération multilatérale. - L’aide totale de la Belgique est composée à 10% d’« aide fantôme », soit des financements qui ne sont pas destinés au développement durable des pays du Sud.
QUALITÉ DE L’AIDE + La quasi-totalité de l’aide de la Belgique est déliée, c’est-à-dire non associée à des obligations de recourir à ses propres entreprises. + La Coopération gouvernementale belge se concentre dans les pays les moins avancés (PMA) et les États en situation de fragilité. + La Coopération belge est félicitée pour ses efforts afin d’améliorer sa transparence et la prévisibilité de son aide. + La Note cadre « Migration et développement » reconnaît une vision positive de la mobilité et l’apport des personnes migrantes au développement durable, à condition que cette mobilité soit sûre, ordonnée et régulière. - Le respect de l’alignement, l’appropriation et l’utilisation des systèmes nationaux des pays partenaires diminue. - Les instruments de mobilisation du secteur privé ne sont pas adaptés au contexte particulier des pays les moins avancés et des États en situation de fragilité. COHÉRENCE DES POLITIQUES (CPD) + La Belgique a soutenu le rehaussement de l’objectif européen en matière d’ambition climatique. + Les agrocarburants à base d’huile de palme et de soja seront proscrits dans le secteur des transports en Belgique. - Le mécanisme institutionnel ambitieux censé assurer la CPD, adopté en 2014, n’a été que peu mobilisé et progressivement détricoté durant la législature passée. - La conférence interministérielle sur la CPD n’a toujours pas vu le jour. - Le Pacte UE sur la migration et l’asile se focalise sur une gestion répressive des migrations. - La réforme de la Politique agricole commune (PAC) n’est pas alignée sur le Pacte vert européen, tant sur le plan environnemental que sur le plan social. Elle n’empêchera pas l’agro-industrie européenne de faire de la concurrence déloyale aux paysans du Sud sur leurs marchés. +/- Le gouvernement belge s’est engagé à élaborer un Plan fédéral de développement durable, mais la dimension internationale est fort limitée dans son avant-projet.
07 – CONTEXTE INTERNATIONAL 1. CONTEXTE INTERNATIONAL La crise sanitaire a bouleversé le monde tout au long de l’année écoulée, provoquant de plus une crise économique, financière et sociale au Nord comme au Sud. Ces crises multiples ont accentué la pauvreté et les inégalités dans le monde. Résultat : c’est toute une décennie de progrès en matière © UN Global Compact / Elma Okic de lutte contre la pauvreté mais aussi l’atteinte des Objectifs de développement durable qui sont menacés. Malgré ce constat, l’aide publique au développement n’a augmenté que de 3,5% en 2020 pour atteindre 161 milliards USD – une goutte d’eau face aux 16 000 milliards USD déjà mobilisés de par le monde pour faire face à la crise sanitaire.
08 – CONTEXTE INTERNATIONAL COVID-19 : AUGMENTATION DE LA PAUVRETÉ ET DES INÉGALITÉS Le Covid-19 est resté en 2021 le thème prioritaire des débats pays du Sud : près d’un tiers d’entre eux ont connu des nationaux et internationaux. Au niveau mondial, ce sont pertes de revenu par habitant qui annulent au moins une officiellement plus de 4,3 millions de personnes qui ont perdu décennie de progrès en la matière 6. Selon les Nations Unies, la vie à cause du coronavirus 1 – mais les taux de surmortalité ces pertes de revenus dans les économies en développement indiquent un nombre de morts encore bien plus élevé. Si la ont été les plus importantes en Afrique, en Amérique latine crise sanitaire a particulièrement affecté les pays riches en et dans les Caraïbes 7. Amérique du Nord et en Europe, elle s’est aussi révélée extrêmement grave dans plusieurs pays du Sud. Selon les Un rebond des investissements est attendu en 2021 mais il données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 2, le devra être très important pour réparer les dégâts de l’effon- top 20 des pays ayant enregistré le plus grand nombre drement constaté en 2020. La contraction des investissements cumulatif de cas de coronavirus comprend : l’Inde, le Brésil, dans les pays du Sud a atteint un niveau record de 10,6%, la Turquie, l’Argentine, la Colombie, l’Iran, l’Indonésie, le bien plus élevé que pendant la crise financière de 2008 8. Mexique, l’Afrique du Sud et le Pérou. Et si les États-Unis sont En outre, les investissements directs étrangers vers les éco- le pays avec le plus grand nombre de décès dus au Covid- nomies en développement ont chuté de 16% – les flux ayant 19, ils sont suivis directement par le Brésil, l’Inde, le Mexique diminué de 28% en Afrique, de 25% en Amérique latine et et le Pérou. Or, en moyenne, ces quatre pays n’ont pu admi- dans les Caraïbes, et de 12% en Asie, principalement en nistrer respectivement, pour 100 habitants, que moins de la raison de la résistance des investissements en Chine 9. À ceci moitié des doses de vaccin administrées par les États-Unis 3. s’ajoute la chute du prix des matières premières et des Sans parler des pays particulièrement pauvres pour lesquels transferts financiers des migrants vers leur pays d’origine, les données n’existent pas ou de ceux où le vaccin reste qui a particulièrement affecté les pays du Sud. quasiment inexistant : moins de 0,1% de la population, pour 100 habitants, aurait reçu ne fût-ce qu’une dose au Soudan À côté de la crise sanitaire et de la crise économique et du Sud ou en République démocratique du Congo 4. La financière, la troisième crise fut sociale : la pandémie a question de la levée des brevets pour accroître l’accès aux perturbé les marchés du travail dans le monde entier, sans vaccins pour les pays du Sud demeure donc une urgence précédent historique. En 2020, 114 millions d’emplois ont capitale (cf. chapitre «Zoom: la reconstruction post-Coviddans été perdus par rapport à 2019, soit environ quatre fois plus les pays du Sud »). que pendant la crise financière mondiale de 2008 10. Cela se traduit par une baisse du revenu mondial du travail estimée Si la crise sanitaire n’a pas épargné les pays du Sud, il en fut à 3 700 milliards USD, soit 4,4% du PIB mondial, les femmes de même de la crise économique et financière qui a suivi. et les jeunes étant touchés de manière disproportionnée. Selon les Nations Unies, le PIB mondial s’est contracté de 4,3% en 2020, marquant la pire récession depuis la Grande En conséquence, alors que les Nations Unies se sont enga- Dépression des années 1930 5. Les mesures de confinement gées par les Objectifs de développement durable (ODD) à dans de nombreux pays ont entraîné la réduction et parfois éradiquer l’extrême pauvreté d’ici 2030, celle-ci a augmenté l’arrêt de nombreux secteurs économiques, la diminution de en 2020 : environ 120 millions de personnes supplémentaires la demande et des perturbations dans les chaînes d’appro- sont tombées sous le seuil des 1,90 USD par jour 11, et ce visionnement qui ont ralenti le commerce international. Ceci chiffre pourrait augmenter jusqu’à 150 millions au cours de a entraîné une perte de production et de revenus pour les l’année 2021 12. Ces personnes se trouvent surtout dans des
09 – CONTEXTE INTERNATIONAL zones urbaines et dans des pays où le taux de pauvreté est pour faire face à la crise sanitaire immédiate et renforcer déjà élevé 13. C’est la première fois depuis plus de 20 ans que la capacité des systèmes de santé publique, soutenir les ces chiffres augmentent. Selon les Nations Unies, si rien n’est travailleurs et travailleuses, et éviter des faillites en chaîne. fait, c’est une décennie de lutte contre la pauvreté qui serait Parallèlement aux mesures budgétaires, les banques réduite à néant à cause du coronavirus 14. À plus long terme, centrales du monde entier ont introduit des mesures d’as- près de 800 millions de personnes pourraient encore vivre souplissement monétaire à une échelle sans précédent, en dans l’extrême pauvreté en 2030, ce qui constituerait un aveu injectant des liquidités massives et en réduisant les taux d’échec pour les Objectifs de développement durable (ODD) 15. d’intérêt. Fin 2020, 94 banques centrales avaient réduit leurs taux directeurs à 256 reprises au total 17 – les banques Un autre ODD particulièrement menacé aujourd’hui est centrales des principales économies mondiales affichant l’Objectif 2 visant l’éradication de la faim dans le monde. La des taux d’intérêt proches de zéro permettant d’accéder à FAO (Food and Agriculture Organisation ou Organisation des des financements bon marché. Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que la pandémie de Covid-19 a fait basculer 118 à 160 mil- Ces interventions inédites des banques centrales et des lions de personnes supplémentaires dans la faim chronique gouvernements, ainsi que l’expansion des déficits budgé- au cours de l’année 2020 – les flambées de faim aiguë dans taires à des niveaux proches de ceux connus en période de le contexte de la pandémie pouvant faire encore grimper ce guerre, ont permis d’éviter une crise économique encore nombre ponctuellement. Cette nouvelle explosion de la faim plus grave. Mais elles risquent aussi d’exacerber les inégalités vient exacerber une tendance à la hausse remarquée depuis mondiales : tous les pays n’ont pas été en mesure d’accéder 2014 : près de 690 millions de personnes ont souffert de la aux marchés internationaux des capitaux et de profiter des faim en 2019, soit une augmentation de près de 60 millions taux d’intérêt extrêmement bas. Selon les Nations Unies, en cinq ans16. 80% des mesures de soutien budgétaire ont été prises dans les pays riches 18. De leur côté, les pays du Sud étaient Heureusement, une crise exceptionnelle appelle des solutions confrontés à des baisses historiques de leurs recettes, à un exceptionnelles. Des voix se sont élevées en faveur de lourd endettement préexistant et à de graves pénuries de mesures financières sans précédent et certains tabous ont liquidités : ils n’avaient donc pas la marge de manœuvre été brisés, notamment en matière de dépenses publiques. budgétaire nécessaire pour absorber les chocs de la crise C’est ainsi que les gouvernements ont répondu à la crise par sanitaire, économique et sociale, et encore moins pour envi- des mesures de relance budgétaire historiques, nécessaires sager d’importants plans de relance. / 1 Organisation mondiale de la santé (OMS). WHO Coronavirus (COVID-19) Dashboard. Site web : https://covid19.who.int/, consulté le 16 août 2021. / 2 Ibid. / 3 Ibid. / 4 Ibid. / 5 Organisation des Nations Unies. Financing for Sustainable Development Report 2021. New York : Nations Unies, 2021. / 6 Ibid. / 7 Ibid. / 8 Ce calcul exclut la Chine. Voir : Organisation des Nations Unies. Financing for Sustainable Development Report 2021. New York : Nations Unies, 2021. / 9 Ibid. / 10 Ibid. / 11 Christoph Lakner et al. Updated estimates of the impact of COVID-19 on global poverty: Looking back at 2020 and the outlook for 2021. Blog de la Banque mondiale, 11 janvier 2021. / 12 Banque mondiale. COVID-19 to Add as Many as 150 Million Extreme Poor by 2021. Communiqué de presse, 7 octobre 2020. / 13 Ibid. / 14 Organisation des Nations Unies. Financing for Sustainable Development Report 2021. New York : Nations Unies, 2021. / 15 Ibid. / 16 Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). The State of Food security and Nutrition in the World 2021. Juillet 2021. / 17 Organisation des Nations Unies. Financing for Sustainable Development Report 2021. New York : Nations Unies, 2021. / 18 Ibid.
10 – CONTEXTE INTERNATIONAL ÉVOLUTION MONDIALE DE L’EXTRÊME PAUVRETÉ (1,90 USD/JOUR), 2015-2021 Millions de personnes 760 751,5 741,4 740 716,9 720 732,9 730,9 700 689,1 680 660 660 640 644,7 613,7 620 600 588,4 580 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 Statistiques historiques Estimations pré-Covid Scénario pessimiste post-Covid Scénario de base post-Covid Source : Lakner et al. Updated estimates of the impact of COVID-19 on global poverty: Looking back at 2020 and the outlook for 2021. Blog de la Banque mondiale. Janvier 2021. Les pays les moins avancés (PMA, pays dont les indices de En plus d’exacerber les inégalités entre pays, le Covid-19 développement humain sont les plus faibles) ont ainsi risque d’exacerber les inégalités à l’intérieur des pays augmenté leur soutien budgétaire de seulement 2,6% du également. La pandémie et la crise économique ont eu un PIB, contre 15,8% du PIB pour les pays riches 19. Or environ la impact disproportionné sur les femmes, les jeunes, les moitié des PMA et des autres pays à faible revenu présen- travailleurs et travailleuses peu qualifiés, les ménages à taient déjà un risque élevé de surendettement ou étaient en faible revenu, les personnes migrantes et les travailleurs du situation de surendettement avant même l’arrivée de la secteur informel, en particulier dans les pays où les popula- pandémie de Covid-19. Les mesures budgétaires, ainsi que tions ne sont pas ou très peu couvertes par des systèmes la baisse des recettes, ont eu un impact supplémentaire de protection sociale. En outre, les sociétés inégalitaires sur les niveaux d’endettement des pays les plus pauvres, sont par essence plus vulnérables aux crises : les inégalités exacerbant la crise de la dette. Cette situation menace de préexistantes ont donc aggravé l’impact de la pandémie, renforcer les inégalités internationales, avec un groupe de créant ainsi un cercle vicieux. pays se redressant grâce à de fortes mesures de relance et de nombreux autres s’enfonçant dans un cycle de pauvreté, de dette insoutenable et d’austérité. / 19 C. P. Chandraekhar et J. Ghosh. « Prepare for a surge in global inequality » in Real-World Economics Review Blog. 17 janvier 2021.
11 – CONTEXTE INTERNATIONAL LES FEMMES PARTICULIÈREMENT TOUCHÉES PAR LES CONSÉQUENCES SOCIO-ÉCONOMIQUES DE LA CRISE Les femmes ont été particulièrement touchées par la crise de Covid-19, d’abord en assurant de manière disproportionnée les charges supplémentaires en matière de soins des proches. La pandémie a également exacerbé les violences intrafamiliales et sexuelles, une situation qualifiée de « pandémie fantôme » par ONU Femmes 20. En avril 2020, le Guttmacher Institute a estimé qu’une perturbation mineure des soins gynécologiques en raison de la crise pourrait entraîner 15 millions de grossesses non désirées, 28 000 décès maternels et 3,3 millions d’avortements non sécurisés 21. Les femmes représentent également près de 70% de la main-d’œuvre mondiale dans le secteur de la santé et des services sociaux – des emplois essentiels qui les exposent davantage au risque de contracter la maladie. En outre, les mesures de confinement ont eu des conséquences particulièrement néfastes sur les secteurs à fort taux d’emploi féminin, les fermetures d’écoles amplifiant encore l’impact démesuré de la pandémie sur les mères qui travaillent. Les femmes sont surreprésentées dans les secteurs du com- merce de détail, le tourisme et la restauration, qui ont été les plus durement touchés par la pandémie. Par exemple, l’emploi dans le secteur de l’hébergement et la restauration a connu une baisse de 20,3% en 2020 par rapport à 2019. En Asie du Sud, en Afrique subsaharienne et en Amérique latine, la majorité des femmes travaillent également dans le secteur informel, qui ne bénéficie que très marginalement du système de protection sociale en cas de confinement généralisé. Une première analyse de l’impact du Covid-19 en RDC montre également que les femmes étaient moins nombreuses à retourner au travail que les hommes en novembre 2020 22. Résultat : selon Oxfam International, au niveau mondial, les femmes ont perdu plus de 64 millions d’em- plois en 2020 – une perte de 5%, contre 3,9% pour les hommes 23. En termes de revenus, la crise a coûté aux femmes du monde entier au moins 800 milliards USD de perte de revenus en 2020, soit plus que le PIB combiné de 98 pays, toujours selon Oxfam – une estimation qui n’inclut même pas les salaires perdus par les millions de femmes travaillant dans le secteur informel 24. Oxfam estime donc que 47 millions de femmes supplémentaires dans le monde tomberont dans l’extrême pauvreté, vivant avec moins de 1,90 dollar par jour, en 2021. / 20 ONU Femmes. La violence à l’égard des femmes, cette pandémie fantôme. Déclaration de Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d’ONU Femmes, 6 avril 2020. / 21 Guttmacher Institute. « Estimates of the Potential Impact of the COVID-19 Pandemic on Sexual and Reproductive Health In Low- and Middle-Income Countries » in International Perspectives on Sexual and Reproductive Health, Volume 46, 2020, pp. 73-76. / 22 CASS – Social Sciences Analytics Cell. The impacts of the COVID-19 outbreak response on women and girls in the Democratic Republic of the Congo. Décembre 2020. / 23 Oxfam International. COVID-19 cost women globally over $800 billion in lost income in one year. Communiqué de presse, 24 avril 2021. / 24 Ibid.
12 – CONTEXTE INTERNATIONAL « Si les pays donateurs avaient respecté l’engagement des 0,7% en 2020, ils auraient mobilisé assez de financements pour vacciner la population entière des pays à faible revenu ». FACE AUX CRISES MULTIPLES, L’AIDE MONDIALE RESTE INSUFFISANTE Face à la pauvreté grandissante et aux inégalités exacerbées, Néanmoins, malgré qu’elle ait augmenté pour atteindre l’aide mondiale a-t-elle été à la hauteur en 2020 ? Les chiffres 0,32% du RNB, la moyenne internationale reste extrêmement de l’Organisation de coopération et de développement éco- loin de l’objectif de 0,7%. Ceci, alors même que l’augmenta- nomiques (OCDE) 25 montrent une augmentation de 3,5% par tion du ratio est due en partie à la diminution du RNB de la rapport à 2019. L’aide mondiale a ainsi atteint en valeur plupart des pays du CAD, conséquence de la récession liée à absolue un niveau record de 161,2 milliards USD, représen- la pandémie. Si le volume total de l’aide internationale peut tant 0,32% du revenu national brut (RNB) cumulé des pays sembler élevé, il ne correspond en réalité qu’à 1% des finan- donateurs, contre 0,30% en 2019. Selon l’OCDE, cette aug- cements mobilisés de par le monde pour les mesures de mentation est le résultat de financements supplémentaires relance post-Covid. Or, selon Oxfam International, si les des donateurs pour lutter contre la pandémie, mais aussi pays donateurs avaient respecté l’engagement des 0,7% d’une augmentation de prêts souverains bilatéraux 26. en 2020, ils auraient mobilisé assez de financements pour L’aide bilatérale destinée à l’Afrique et aux pays les moins vacciner la population entière des pays à faible revenu 27. avancés (PMA) a augmenté de respectivement 4,1% et 1,8%. L’aide humanitaire a progressé de 6%. L’augmentation de l’aide mondiale est donc tout à fait modeste si on tient compte du contexte. Elle s’accom- Selon l’OCDE, 16 pays membres du Comité d’aide au dévelop- pagne en outre de quelques tendances problématiques. pement (CAD) de l’organisation ont augmenté leur aide, Premièrement, selon l’enquête menée par l’OCDE, une partie contre un recul dans 13 pays. De fortes hausses de l’aide, en de cette aide mondiale – 12 milliards USD – a été mobilisée montants totaux, ont été enregistrées dans les pays suivants: pour un soutien à court terme pour aider à faire face à la crise Allemagne, Canada, Finlande, France, Islande, Hongrie, de Covid-19, centré sur les systèmes de santé, l’aide humani- Norvège, Slovaquie, Suède et Suisse. Six pays en particulier, taire et la sécurité alimentaire. Or, selon l’OCDE, de nombreux parmi les membres du CAD, ont atteint ou dépassé l’objectif pays donateurs ont indiqué avoir réorienté des fonds issus adopté par les Nations Unies en 1970, selon lequel les pays de programmes de coopération au développement au profit donateurs doivent mobiliser 0,7% au moins de leur RNB d’activités liées à la pandémie. Si de telles pratiques se pour l’aide publique au développement. Il s’agit de la Suède perpétuent, elles risquent de vider les programmes tradi- (1,14%), de la Norvège (1,11%), du Luxembourg (1,02%), de tionnels de coopération de leurs financements, menaçant l’Allemagne (0,73%), du Danemark (0,73%) et du Royaume- ainsi la prévisibilité, et donc l’efficacité, de l’aide. Uni (0,70%) – qui font le choix structurel de respecter cet objectif international depuis plusieurs années, nonobstant des coupes récemment annoncées au Royaume-Uni.
13 – CONTEXTE INTERNATIONAL AIDE MONDIALE EN MILLIARDS USD, 2005-2020* Milliards USD 160 140 120 100 80 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018 2020 Source : OCDE. APD nette. Août 2021. * Les montants présentés ici ont été calculés selon la méthodologie dite « cash flow », pour permettre la comparaison avec les années précédentes – malgré qu’une nouvelle méthodologie dite de l’« équivalent don » ait été utilisée par le CAD à partir de 2019. AIDE MONDIALE EN POURCENTAGE DU RNB, 2005-2020 Pourcentage du RNB 1 0,8 objectif international 0,7% 0,6 0,4 0,2 0 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 Source : OCDE. APD nette. Août 2021. / 25 Sauf mention contraire, tous les chiffres de ce chapitre sur l’aide mondiale proviennent de : OCDE. COVID-19 spending helped to lift foreign aid to an all-time high in 2020 - Detailed Note. Paris, 13 avril 2021. Ces chiffres sont présentés en dollars constants (termes réels). / 26 OCDE. COVID-19 spending helped to lift foreign aid to an all-time high in 2020 - Detailed Note. Paris, 13 avril 2021. / 27 Oxfam International. Slight increase in aid only a drop in the ocean to combat the Covid-19 crisis. Communiqué de presse, 12 avril 2021.
14 – CONTEXTE INTERNATIONAL « Le déficit de financement des ODD dans les pays du Sud a augmenté d’au moins 50% en 2020 ». Une deuxième tendance inquiétante est celle d’une augmen- L’augmentation de l’aide mondiale doit donc être sérieuse- tation de la proportion de prêts, plutôt que de dons, dans ment relativisée. Cette augmentation est d’autant plus l’APD mondiale : la part de l’APD bilatérale brute dispensée modeste que les financements normalement reçus en paral- sous forme de prêts et de participations s’est élevée à 22% en lèle par les pays en développement se sont sensiblement 2020, contre une part d’environ 17% les années précédentes. réduits, qu’il s’agisse des investissements directs étrangers, des entrées de capitaux privés ou des transferts d’argent de Une troisième tendance inquiétante ressort de l’analyse des personnes émigrées –même si ces derniers se sont redressés flux de l’APD en fonction des catégories de pays auxquelles avant la fin de l’année 2020. Résultat: le déficit de financement ils sont destinés. L’APD bilatérale nette des pays donateurs des ODD dans les pays du Sud a augmenté d’au moins 50% aux pays à faible revenu a en effet diminué de 3,5%, repré- pour atteindre 3 700 milliards USD en 2020 30. Comme l’a fait sentant un total de 25 milliards USD. Au contraire, l’APD remarquer le Secrétaire général de l’OCDE, M. Ángel Gurría, bilatérale nette affectée aux pays à revenu intermédiaire « à l’échelle mondiale, les gouvernements ont mis en place inférieur a augmenté de 6,9%, équivalant à 33 milliards USD. des mesures de relance liées au Covid 19 équivalant à Selon l’OCDE, cette tendance serait le résultat, entre autres, 16 000 milliards USD, et nous n’avons mobilisé que 1% de ce de l’augmentation des prêts consentis aux pays à revenu montant pour aider les pays en développement à faire face à intermédiaire 28. Quoi qu’il en soit, les montants supplémen- une crise sans précédent pour les générations actuelles. taires de l’APD n’auraient donc pas été destinés en priorité Cette crise est un véritable test pour le multilatéralisme et le aux pays les plus pauvres qui en ont le plus besoin. concept même d’aide extérieure. Nous devons déployer un effort beaucoup plus massif pour aider les pays en dévelop- Enfin, quatrième tendance inquiétante, les frais d’accueil pement en matière de distribution de vaccins, de services pour les demandeurs d’asile dans les pays donateurs hospitaliers, et pour soutenir le revenu et les moyens d’exis- continuent d’être comptabilisés comme de l’aide au déve- tence des populations les plus vulnérables afin d’assurer une loppement, alors qu’ils ne constituent pas des finance- reprise véritablement mondiale » 31 (cf. chapitre « Zoom : la ments disponibles pour financer le développement durable reconstruction post-Covid dans les pays du Sud »). dans les pays du Sud. Ils ont représenté plus de 10% de l’APD totale pour le Canada, l’Islande et les Pays-Bas, et plus de 8% pour l’Allemagne, la France et la Suisse. Ceci n’est pas une fatalité : le Luxembourg a fait le choix de ne plus comptabi- liser ces frais d’accueil en APD 29. / 28 OCDE. COVID-19 spending helped to lift foreign aid to an all-time high in 2020 - Detailed Note. Paris, 13 avril 2021. / 29 Ibid. / 30 OCDE. 2020 official development assistance levels and trends release. Remarques par Angel Gurría, Paris, 13 avril 2021. / 31 OCDE. Les dépenses liées au COVID-19 ont contribué à hisser l’aide extérieure à un niveau sans précédent en 2020, mais l’effort doit être intensifié. Communiqué de presse, 13 avril 2021.
15 – CONTEXTE INTERNATIONAL L’AIDE EST-ELLE FAITE POUR DURER ? L’aide publique au développement a été développée au fil des décennies sur base d’une idée fondamentale : l’aide ne serait pas faite pour durer, son essence même serait de se rendre obsolète, puisqu’elle devrait permettre de créer un monde dans lequel elle ne serait plus nécessaire. Depuis plusieurs années, l’aide est donc de plus en plus critiquée pour son inefficacité, du simple fait qu’elle existe encore. Or, selon le nouveau livre de Jonathan Glennie The Future of Aid 32, cette idée selon laquelle l’aide pourra un jour cesser d’exister est fondamentalement fausse. Il s’agit en réalité du plus grand malentendu du secteur de la coopération au développement. Si l’aide peut continuer à contribuer à la diminution de l’extrême pauvreté en termes absolus (vivre avec moins de 1,90 USD par jour), la pauvreté relative ainsi que les inégalités persisteront. Tant que l’être humain voudra améliorer ses conditions de vie, les finan- cements pour la coopération internationale devront être encouragés. Ceci, d’autant plus que nous vivons dans un monde interconnecté, où un virus peut déstabiliser en quelques semaines notre système de soins de santé et notre économie. Ce malentendu sur l’inefficacité de l’aide a encouragé les pays donateurs à se tourner vers d’autres manières d’encourager le développement, sous la bannière Beyond Aid (au-delà de l’aide) – qu’il s’agisse d’encourager les investissements privés, le commerce international, la mobilisation de ressources domestiques, une fiscalité plus juste, etc. Ces domaines sont effectivement extrêmement importants, mais le danger serait, selon Jonathan Glennie, d’oublier l’importance de financements publics via l’aide au développement, qui demeurent nécessaires. Ainsi, il écrit : « Si les pays riches réduisent lentement leurs budgets d’aide, comme la théorie conventionnelle de l’aide le suggère, comment envisageons-nous de lutter contre la pauvreté persistante, les inégalités, la dégradation de l’environnement, les crises sanitaires mondiales et le changement climatique ? L’argent privé peut-il sauver la situation ? Les mil- liardaires et leurs méga-fondations peuvent-ils le faire ? Les brillantes organisations caritatives telles qu’Oxfam peuvent-elles le faire ? C’est peu probable. Et ce n’est pas souhaitable. Bien que l’on ne puisse nier l’importance de la philanthropie privée, rares sont ceux qui soutiennent qu’elle peut ou doit remplacer les dépenses publiques pour les biens publics » .33 Selon Jonathan Glennie, le problème de l’aide réside aujourd’hui dans son caractère néocolonial : la gou- vernance de l’aide serait restée coincée au XXe siècle, avec un petit nombre de pays riches qui prennent les décisions les plus importantes concernant les allocations de l’aide, qui fluctuent en fonction de la bonne volonté des donateurs. À la place, il promeut l’idée d’un Global Public Investment (investissement public mondial), soit un système permettant à tous les pays du monde de contribuer à un pot commun, et ensuite de recevoir de ce pot commun, en fonction des moyens et des besoins de chaque pays. À titre de comparaison, l’idée serait d’étendre au monde entier le système des différents fonds structurels et d’investissements qui redistribuent les richesses entre membres de l’UE (tels le Fonds de développement régional européen, le Fonds social européen ou le Fonds de cohésion). Au niveau mondial, de tels finan- cements ne devraient plus être considérés comme de « l’aide » d’un pays riche vers un pays pauvre, mais comme un investissement de chaque pays pour un monde plus égalitaire, stable, durable et solidaire. Il est donc temps de réfléchir à faire évoluer le concept d’« aide » vers des investissements plus conséquents et libérés des structures de gouvernance postcoloniales. Tout comme nous payons des impôts pour entre- tenir nos routes, nos hôpitaux ou nos écoles, nous devrions investir davantage dans la réduction des inégalités internationales et le respect des limites planétaires. / 32 Jonathan Glennie. The Future of Aid. Global Public Investment. Routledge, 2020. / 33 Ibid, p. 7.
17 – QUANTITÉ DE L’AIDE 2. QUANTITÉ DE L’AIDE La Belgique peut être prudemment saluée : son aide publique au développement (APD) est enfin repartie à la hausse en 2020, tant en volumes qu’en pourcentage du revenu national brut. Néanmoins, cette augmentation s’est accompagnée de déséquilibres grandissants entre les canaux de la coopération : les montants de la Coopération gouvernementale n’ont jamais été aussi bas en plus d’une décennie ; à l’inverse, l’aide humanitaire n’a elle-même jamais été aussi élevée. En outre, cette augmentation ne résulte pas nécessairement de décisions politiques structurelles ; elle est en grande partie le fruit d’un contexte spécifique et de décisions antérieures. Dans son accord de coalition, le gouvernement belge a pris l’engagement de mettre en œuvre © AFP / Odd Andersen une trajectoire contraignante de croissance afin que l’aide belge atteigne les 0,7% du RNB d’ici 2030. Un ancrage dans la loi s’impose pour concrétiser cet engagement.
18 – QUANTITÉ DE L’AIDE L’AIDE BELGE AUGMENTE, DE MANIÈRE CONTRASTÉE Tout comme l’aide internationale, l’aide publique au déve- Le canal non-gouvernemental a, quant à lui, augmenté de loppement (APD) de la Belgique a légèrement augmenté en 4%, passant de 241 à 250 millions EUR, ce qui lui permet de chiffres absolus en 2020, passant de 1,908 à 1,994 milliard compenser la diminution précédente de 2019 et de regagner EUR (voir tableau détaillé p. 24) 34. L’aide belge représentait le même niveau qu’en 2018. Cette évolution est cependant ainsi 0,46% du revenu national brut (RNB) en 2020, contre peu significative, puisque les acteurs de la coopération non- 0,40% en 2019. Cette augmentation des pourcentages est gouvernementale disposent de programmes quinquen- cependant à relativiser, car elle fait suite à la diminution du naux de financements et que des coupes importantes RNB lui-même, qui a baissé de près de 10% à cause de la avaient été opérées en 2017. Il s’agira donc surtout d’ana- crise économique liée au Covid-19. lyser l’évolution entre les programmes actuels qui courent jusque fin 2021 et la période suivante, qui couvrira les L’aide publique au développement de la Belgique provient années 2022 à 2026. majoritairement du budget de la Direction générale Coopération au développement (DGD) au sein du SPF Par rapport aux autres canaux, le canal multilatéral connaît Affaires étrangères. Si la part de l’aide totale gérée par la l’augmentation la plus importante, de 23%, passant de DGD a eu tendance à diminuer au fil des années, passant de 357 à 441 millions EUR. Cette augmentation est principa- 68% en 2000 à seulement 57% en 2018, on a observé en lement due à l’annulation de dettes par les agences multi- 2019 et 2020 un léger retour à la hausse, à 60%. Ceci mérite latérales (équivalant à 46 millions EUR en 2020, soit le d’être salué, car l’aide gérée par la DGD permet de financer double du montant de 2019), à l’augmentation de la des projets et des programmes concrets de développement. contribution aux banques régionales de développement Cette aide gérée par la DGD a même augmenté de 4% en (passant de 14 à 50 millions EUR) ainsi que de celle à la 2020 pour se situer à 1 201 millions EUR, contre 1 155 millions Banque mondiale (passant de 73 à 95 millions EUR), qui EUR en 2019. Elle est divisée en trois principaux canaux : s’explique en partie par des rééchelonnements de paie- la Coopération gouvernementale (211 millions EUR), la ments des années précédentes. Coopération non-gouvernementale (250 millions EUR) et la Coopération multilatérale (441 millions EUR). À cela s’ajou- Outre les trois canaux principaux de l’aide gérée par la DGD, tent divers autres montants (300 millions EUR) comprenant l’aide humanitaire a aussi fortement augmenté, de 13%, notamment l’aide au secteur privé ou l’aide humanitaire. passant de 170 à 192 millions EUR. Cela est notamment dû au Covid-19, puisqu’un montant global de 25 millions EUR a En 2020, les financements du canal gouvernemental ont été mobilisé afin de répondre à la propagation du virus fortement diminué, passant de 246 à 211 millions EUR, soit dans les crises humanitaires. De ce montant, 22 millions une baisse de 14%, et ce, malgré une augmentation subs- EUR étaient additionnels au budget humanitaire de 170 tantielle de la ligne budgétaire « consolidation de la société millions EUR initialement prévu pour 2020. et bonne gouvernance ». Cette baisse est due surtout à la diminution du financement pour Enabel (l’agence chargée De leur côté, à première vue, les montants attribués à la de mettre en œuvre la coopération gouvernementale), de Société belge d’investissement, BIO, sous la ligne budgé- la coopération déléguée et des prêts d’État à État. La dimi- taire « Aide au secteur privé, BIO » semblent avoir fortement nution particulièrement importante du financement pour diminué en une année, passant de 46 à 5 millions EUR. En Enabel (-21%) est surtout due à l’absence de nouveaux réalité, cette apparente diminution n’est pas le fruit d’une programmes de coopération gouvernementale pendant la décision politique récente, mais plutôt la simple application période des affaires courantes de notre gouvernement, en du contrat de gestion de BIO, conclu pour une durée de 5 ans plus de difficultés particulières liées au Covid-19 et aux (2019-2023), qui prévoyait depuis longtemps une baisse situations politiques de certains pays, tels le Mali, complexi- des versements au cours de l’exercice 2020. En outre, BIO a fiant la coopération gouvernementale. reçu en parallèle d’autres contributions en 2020, affectées
19 – QUANTITÉ DE L’AIDE AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT DE LA BELGIQUE, 2005-2020* Milliards USD 2,93 3 2,45 2,29 2,22 2,24 2,24 2,25 2,26 2,16 2,47 2,56 2 2,19 2,13 2,06 2,21 1,92 1 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018 2020 Source : OCDE. APD nette. Août 202. * Les montants présentés ici ont été calculés selon la méthodologie dite « cash flow », pour permettre la comparaison avec les années précédentes – malgré qu’une nouvelle méthodologie dite de l’« équivalent don » ait été utilisée par le CAD à partir de 2019. AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT DE LA BELGIQUE EN POURCENTAGE DU RNB, 2005-2020 Pourcentage du RNB 0,8 objectif international 0,7% 0,536 0,6 0,499 0,479 0,640 0,475 0,453 0,463 0,499 0,467 0,416 0,445 0,430 0,409 0,526 0,550 0,4 0,426 0,2 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018 2020 Source : OCDE. APD nette. Août 2021. sous d’autres lignes budgétaires. Premièrement, dans le coûts de gestion de 3%) ont été inscrits sous la ligne bud- cadre de la crise du Covid-19, une nouvelle ligne de finance- gétaire « Entrepreneuriat local, commerce équitable, BIO » ment a été créée pour permettre à BIO de venir en aide aux – qui a d’ailleurs fortement augmenté en 2020 (passant de entreprises locales en difficulté : 12 millions EUR de subsides 12 à 31 millions EUR). Deuxièmement, conformément aux en capital prévus par le contrat de gestion de BIO ont été dispositions du contrat de gestion, 25 millions EUR ont été convertis pour permettre ce financement d’urgence. En versés à BIO pour des projets liés au climat en 2020, imputés outre, BIO a reçu 20 millions EUR supplémentaires pour sur une ligne encore différente du tableau p. 24, « Politique cette ligne de financement. Ces montants (diminués de climatique ». / 34 Sauf mention contraire, tous les chiffres présentés dans ce chapitre proviennent du tableau de la DGD, p. 24.
20 – QUANTITÉ DE L’AIDE L’AIDE FANTÔME REPRÉSENTE ENCORE 10% DE L’AIDE TOTALE D’autres montants comptabilisés comme de l’aide au déve- deuxième rubrique de « l’aide fantôme ». Bien qu’ils soient loppement ne proviennent pas de la DGD. Ceux-ci représen- importants et nécessaires, ils ne représentent pas non plus tent 40% de l’APD totale, suite à leur augmentation en 2020, des financements additionnels disponibles pour le dévelop- passant de 679 à 713 millions EUR. Cette augmentation est pement durable de pays partenaires. Or, en 2020, ils ont très principalement due à celle de la quote-part automatique légèrement augmenté, passant de 42,8 à 43 millions EUR belge de l’APD européenne (notre part de l’APD gérée par la – représentant ainsi 2% de l’APD totale. Commission européenne, sur la base du budget de l’UE), mais aussi à celle des financements de la Région flamande. Enfin, les annulations de dettes représentent la troisième composante principale de « l’aide fantôme ». Bien qu’elles Au sein de ce canal « hors-DGD », se trouvent aussi des mon- doivent être encouragées – et ce d’autant plus suite aux tants comptabilisés en APD alors qu’ils ne représentent pas conséquences du Covid-19 (cf. chapitre « Contexte interna- des financements supplémentaires pour le développement tional ») – elles ne devraient pas être comptabilisées comme de pays du Sud. De telles dépenses sont appelées de « l’aide des financements additionnels pour le développement de fantôme ». Il en est ainsi des frais d’accueil de personnes en pays partenaires. Or, en 2020, les montants en APD des demande d’asile. L’OCDE permet de compter ces dépenses annulations multilatérales de dettes ont doublé, passant de comme de l’aide au développement pendant la première 23 à 46 millions EUR – contre 17 millions EUR en 2016. année de présence des personnes concernées, alors qu’elles sont par définition réalisées sur le territoire belge. Si elles En conclusion, la proportion de « l’aide fantôme » dans l’APD sont essentielles pour permettre à la Belgique de respecter totale a-t-elle augmenté ou diminué en 2020 ? En termes de ses engagements dans le cadre de la Convention de Genève volumes, elle a augmenté, passant de 189 à 206 millions sur les droits des réfugiés, ces dépenses ne constituent pas EUR. Mais en termes de proportion, elle est restée stable, de l’aide aux pays du Sud. Entre 2016 et 2018, ces dépenses représentant 10% de l’APD totale, en 2019 tout comme en avaient dépassé la totalité des montants attribués au canal 2020. À l’inverse, l’aide « réelle » en volume de la Belgique a gouvernemental de la DGD – faisant de la Belgique la pre- donc augmenté plus modestement que ce que les montants mière destinataire de sa propre aide au développement. totaux démontrent, entre 2019 et 2020. La chute observée dans le nombre de demandes d’asile a Le CNCD-11.11.11 continue de plaider pour que la Belgique entraîné une baisse automatique de cette rubrique : la encourage un changement de règles au sein du CAD de contribution des dépenses de Fedasil à l’APD belge a été l’OCDE, afin que l’ensemble des donateurs cessent de divisée par trois depuis 2016, passant de 340 millions EUR 35 comptabiliser en APD les annulations de dettes, les coûts à 118 millions EUR en 2020. Ces montants ne représentent forfaitaires des étudiants, ainsi que les frais d’accueil des donc plus que 6% de l’APD totale, contre 16% en 2016. personnes en demande d’asile – aussi nécessaires soient ces dépenses par ailleurs. Le Luxembourg montre l’exemple, Les « coûts imputés des étudiants » (un montant forfaitaire puisqu’il a lui-même décidé d’arrêter de comptabiliser en calculé sur base du nombre d’étudiants en Belgique qui sont APD les frais d’accueil des personnes en demande d’asile, originaires de pays en développement) représentent une sans attendre de nouvelles règles de l’OCDE 36.
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