Rapport Sauvé, au service de l'Eglise et de la vérité - La Croix
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La Croix - vendredi 22 octobre 2021 15 Rapport Sauvé, au service de l’Eglise et de la vérité «La Croix» publie sur 12 pages la synthèse du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) Jean-Marc Sauvé (à g.) remet le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) à Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, le 5 octobre, à Paris. Thomas Coex/AFP C ela fait presque trois entrer dans la compréhension de France, nous avons éga- qui aimeraient prendre avons décidé de le publier, semaines que la com- du rapport de la Ciase, nous lement décidé d’analyser les connaissance du rapport lui- aujourd’hui, dans ce cahier mission Sauvé a rendu avons donné la parole aux vic- 45 recommandations listées même. Il est disponible en for- central : non pas les 548 pages public son rapport sur les vio- times elles-mêmes, aux au- dans le rapport : une page leur mat numérique sur le site de de la version intégrale mais lences sexuelles à l’intérieur teurs du rapport ainsi qu’aux est consacrée dans chaque la Commission indépendante les 25 du résumé fourni par la de l’Église. Chaque jour, évêques et supérieurs reli- numéro de La Croix jusqu’au sur les abus sexuels dans commission Sauvé. Une ma- La Croix consacre une partie gieux qui l’ont rendu possible, 19 novembre. l’Église (www.ciase.fr). Mais nière pour La Croix, quotidien de ses pages à ce profond et et à tous ceux qui ont décou- Mais chaque jour ou pour en faciliter la lecture et catholique d’information gé- douloureux travail d’enquête, vert avec effarement l’ampleur presque, nous recevons aussi – au fond – prendre notre part nérale, d’assumer sa mission avec le double objectif d’infor- du mal commis. Dans l’attente des messages de lecteurs, par- à la réception de ce travail au service de l’Église, et de la mer mais aussi d’accompagner des mesures promises par fois de responsables de pa- qui fera date dans l’histoire vérité. ses lecteurs face au choc. Pour les responsables de l’Église roisses ou de mouvements, de l’Église de France, nous Anne-Bénédicte Hoffner
La Croix - vendredi 22 octobre 2021 16 Le rapport de la Ciase/synthèse P P P Suite de la page 15. leurs souffrances, ont pris sur elles, en que, dans ces domaines, certaines in- La décision collective des deux dépit de multiples obstacles, de dire terprétations ou dénaturations ont, conférences témoigne de la volonté ce qui leur était arrivé dans un cercle selon elle, favorisé abus et dérives. salutaire et analogue à la démarche t Avant-propos intime, puis auprès des responsables Elle fait aussi des propositions dans progressivement accomplie depuis une L concernés et enfin à la justice et au pu- les domaines de la gouvernance de quinzaine d’années dans d’autres pays, a Commission indépendante blic. Sans leur parole, notre société se- l’Église, de la formation des clercs, de consistant à faire la lumière sur les vio- sur les abus sexuels dans rait encore dans l’ignorance ou le déni la prévention des abus et de la prise en lences sexuelles perpétrées, depuis l’Église (Ciase) a été créée à de ce qui s’est passé. charge des agresseurs. l’après-guerre, par des prêtres, diacres, l’initiative de l’Église catho- religieux et religieuses catholiques sur lique en France avec quatre Le rapport de la commission est Face à tant de drames anciens ou des mineurs ou des personnes vulné- missions : donc imprégné de l’expérience sin- récents, la commission estime qu’il rables : États-Unis, Chili, Australie, Ir- 1. faire la lumière sur les violences gulière, souvent bouleversante, de la ne peut être question de « tourner la lande, Pays-Bas, Allemagne, Belgique sexuelles en son sein depuis 1950 ; rencontre et de la reconnaissance des page ». L’avenir ne peut se construire et Royaume-Uni. En France comme 2. examiner comment ces affaires ont personnes ayant subi des violences sur le déni ou l’enfouissement de ces ailleurs, le traitement médiatique de été ou non traitées ; sexuelles. Ce long cheminement a été réalités douloureuses, mais sur leur re- telle ou telle affaire a pu jouer le rôle 3. évaluer les mesures prises par éprouvant pour beaucoup de victimes, connaissance et leur prise en charge. Il de catalyseur de la démarche de trans- l’Église pour faire face à ce fléau ; en ravivant de pro- est essentiel de rendre réellement jus- parence qui trouve un premier abou- 4. faire toute recommandation utile. fondes douleurs : tice aux femmes et aux hommes qui, tissement dans le présent volume. La «Il ne peut y avoir de cela, la commis- au sein de l’Église catholique, ont dans commission n’ignore donc pas que, La commission a été composée par sion est intensé- leur chair et leur esprit souffert de vio- si sa création a été voulue par les re- son seul président, sans aucune in- d’avenir commun ment consciente. lences sexuelles. Par conséquent, tout présentants de l’Église catholique de terférence extérieure. Elle a réuni des sans un travail Il n’a pas non plus doit être entrepris pour réparer, autant France, elle a surtout été permise par femmes et des hommes connus pour laissé indemnes ses qu’il est possible, le mal qui leur a été l’action résolue de certaines personnes leurs compétences et leur impartia- de vérité, de pardon membres et, plus fait et les aider à se reconstruire. Pour victimes de violences qu’il lui revient lité, de toutes opinions et confessions. et de réconciliation.» largement, toutes éradiquer aussi le terreau des abus et d’analyser. Elle a fixé seule son programme de tra- celles et ceux qui de leur impunité. Cette démarche ne vail et disposé librement d’un budget ont travaillé avec peut pas éluder une humble reconnais- Les vingt et un membres de la com- qui n’était pas plafonné. Elle a accédé, la commission. sance de responsabilité de la part des mission (cf. liste en annexe p. 26), dont, comme elle le souhaitait, aux archives Ces personnes ont ressenti une pro- autorités de l’Église pour les fautes et par souci d’indépendance à l’égard de de l’Église. fonde charge émotionnelle, elles ont les crimes commis en son sein. Elle im- toutes les parties prenantes, aucun été bouleversées, souvent blessées ou plique, à la hauteur de ce mal, un che- n’est un ecclésiastique ou une per- Pour s’acquitter de sa mission, elle révoltées, et elles sont sorties de cette min de contrition qui ne peut pas être sonne victime, ont été choisis en raison a consulté tous les experts qui pou- traversée à la fois changées et plus sou- conçu et parcouru en quelques jours de leurs compétences dans les diverses vaient l’éclairer et elle a passé plusieurs cieuses encore d’être à la hauteur de la ou semaines. sciences sociales mobilisées pour les contrats de recherche pour nourrir un confiance reçue. besoins de la présente étude: droit, mé- état des lieux aussi complet que pos- Après ce qui s’est passé, il ne peut y decine (psychiatrie en particulier), his- sible, aussi bien sur le plan quantitatif Au terme de son travail, la commis- avoir d’avenir commun sans un travail toire, sociologie, psychologie, éthique, que qualitatif. sion a dressé un état des lieux des vio- de vérité, de pardon et de réconcilia- politiques sociales et de santé et théo- lences sexuelles dans l’Église qui est tion, et cela vaut pour l’Église comme logie. Hommes et femmes quasiment La commission a entendu placer les particulièrement sombre. Le nombre pour les institutions civiles. La com- à parité, d’âges variés, ils sont croyants victimes au cœur de ses travaux. Ses des victimes mineures de clercs, reli- mission a cherché à contribuer au tra- de diverses religions, agnostiques ou membres ont écouté de nombreuses gieux et religieuses dans la popula- vail de vérité. C’est à l’Église de s’en athées. Tous bénévoles, ils ont été as- personnes ayant subi des agressions, tion française de plus de 18 ans est en emparer et de le poursuivre, afin de sistés par une équipe réduite travaillant non comme des experts, mais comme effet estimé à environ 216 000. Si ces retrouver la confiance des chrétiens et presque entièrement à temps partiel des êtres humains acceptant de s’ex- violences ont d’abord baissé en valeur le respect de la société française dans et comprenant, autour de la secrétaire poser et de se confronter personnelle- absolue et relative jusqu’au début des laquelle elle a tout son rôle à jouer. Il générale et du rapporteur général, au ment et ensemble à cette sombre réa- années 1990, elles ont cessé depuis lors est impératif de rétablir une alliance fil des trente-deux mois de travaux lité. Par cette plongée, ils ont entendu de décroître. L’Église catholique est, qui a été durement mise à mal. C’est entamés avec la réunion constitutive assumer la part de commune huma- hormis les cercles familiaux et ami- le vœu qu’avec mes collègues je forme. du 8 février 2019, six ou sept rappor- nité, ici blessée et douloureuse, que caux, le milieu où la prévalence des Jean-Marc Sauvé teurs, une chargée de mission, une ou nous avons en partage. On ne peut violences sexuelles est la plus élevée. Président de la Commission deux collaboratrices et trois stagiaires. en effet connaître et comprendre le indépendante sur les abus sexuels Des membres associés, profession- réel tel qu’il est, et en tirer les consé- Face à ce fléau, l’Église catholique dans l’Église nels retraités essentiellement issus du quences, si l’on n’est pas capable de se a très longtemps entendu d’abord se monde du droit, ont bien voulu prêter laisser soi-même toucher par ce que protéger en tant qu’institution et elle a leur concours à la commission, afin les victimes ont vécu : la souffrance, manifesté une indifférence complète et t Synthèse de mener à bien les nombreuses audi- l’isolement et, souvent, la honte et la même cruelle à l’égard des personnes tions programmées de personnes vic- culpabilité. Ce vécu a été la matrice du ayant subi des agressions. Cette synthèse du rapport général times, ou de mettre en œuvre le pro- travail de la commission. retrace les travaux de la Commission tocole de signalement au parquet des Si, depuis 2000 et, plus encore indépendante sur les abus sexuels affaires qui devaient l’être de par la loi Une conviction s’est imposée au 2016, elle a pris des décisions impor- dans l’Église (Ciase), qui a été com- (article 434-3 du code pénal). fil des mois : les victimes détiennent tantes pour prévenir les violences posée par M. Jean-Marc Sauvé, vice- un savoir unique sur les violences sexuelles et les traiter efficacement, président honoraire du Conseil d’État, Les deux mandants, CEF et Corref, sexuelles et elles seules pouvaient ces mesures ont été souvent tardives sur le fondement de la lettre de mis- ont alloué, sans droit de regard sur nous y faire accéder pour qu’il puisse et inégalement appliquées. Prises en sion qui lui a été adressée le 20 no- leur bien-fondé mais seulement sur être restitué. C’est par conséquent leur réaction aux événements, elles sont vembre 2018 par Mgr Georges Pon- leur régularité et leur exactitude, les parole qui sert de fil directeur au rap- apparues à la commission comme tier, alors président de la Conférence moyens financiers de la commission port de la commission. Ces personnes globalement insuffisantes. Au fil des évêques de France (CEF), et Sr nécessaires à l’accomplissement de étaient victimes, elles sont devenues d’un diagnostic serré sur tout ce qui, Véronique Margron, présidente de la sa mission. L’essentiel des dépenses témoins et, en ce sens, acteurs de la au sein de l’Église catholique, a pu Conférence des religieux et religieuses a concerné les travaux des établis- vérité. C’est grâce à elles que ce rap- favoriser les violences sexuelles et de France (Corref). sements de recherche et ceux liés à port a été conçu et écrit. C’est aussi faire obstacle à leur traitement effi- l’appel à témoignages, pour un coût pour elles, et pas seulement pour nos cace, la commission présente 45 re- 1. Genèse et méthodologie estimé à fin 2021 de 2,6 millions d’eu- mandants, qu’il l’a été. C’est sur cet commandations qui couvrent un très de la Ciase ros. Il convient de noter que le poste échange singulier et invisible qu’il a large spectre allant de l’accueil et de relatif aux charges de personnel a été construit, sans que tout cela ait été l’écoute des victimes à la réforme du Une commission de vingt et un été très contenu, dans la mesure où aussi clairement pensé à l’avance. droit canonique, à la reconnaissance bénévoles composée par Jean-Marc le président, les membres, y compris des infractions commises, qu’elles Sauvé à la demande de la CEF et de la les chercheurs dans leur fonction Au demeurant, si la chape de silence soient ou non prescrites, et à l’indis- Corref et disposant d’une complète de direction d’études, les membres recouvrant les forfaits commis a fini pensable réparation du mal fait. Sans indépendance. Une collecte de don- associés, certains rapporteurs et la par se fissurer, être fracturée et susciter s’élever au-dessus de sa condition, la nées organisée par trois équipes de secrétaire générale étaient béné- une onde de choc et de soutien dans commission propose des mesures sur recherche et des auditions et entre- voles. Leur engagement est estimé l’opinion, on le doit au courage des les questions de théologie, d’ecclé- tiens conduits par les membres de la à 26 000 heures au total, représen- personnes victimes qui, surmontant siologie et de morale sexuelle parce commission eux-mêmes. tant un équivalent de 1,2 million P P P
La Croix - vendredi 22 octobre 2021 Le rapport de la Ciase/synthèse 17 P P P d’euros en retenant le taux ho- refus, l’un émanant d’un diocèse et – enfin, une série de vingt auditions – un groupe consacré à la situation raire de l’UADF (1) pour ses propres l’autre d’un institut, étant à déplorer ; de prêtres et séminaristes de toute la des personnes victimes ainsi qu’aux bénévoles. Le coût complet des tra- France, aux profils variés, menés par thèmes de la responsabilité et de la ré- vaux de la Ciase, en additionnant le * à titre complémentaire, les archives Mme Alice Casagrande, M. Stéphane paration, notamment sous l’angle de coût financier pour ses mandants et publiques, principalement issues des de Navacelle et Mme Laëtitia Atlani- la justice restaurative, coprésidé par la valorisation du bénévolat de tous fonds du ministère de la Justice, du Duault, leurs propos étant analysés Mme Alice Casagrande et M. Antoine ceux qui ont œuvré pour la commis- ministère de l’Intérieur (police judi- avec l’appui scientifique de Mme Laë- Garapon. Ce groupe a travaillé en lien sion peut donc être évalué à 3,8 mil- ciaire) et de la Gendarmerie nationale, titia Atlani-Duault. étroit avec un « groupe miroir » com- lions d’euros. grâce aux dérogations obtenues par les posé de personnes victimes, à titre chercheurs ; Parallèlement à ces projets de re- individuel ou comme membres d’as- Le rapport s’ouvre par un préam- cherche et en plus des entretiens aux- sociations, qui ont accepté de faire bé- bule méthodologique, qui récapitule * une enquête par questionnaire por- quels ils ont donné lieu, la commission néficier la commission de leur savoir l’ensemble des travaux entrepris, en tant sur l’évolution des modes de for- s’est nourrie de très nombreuses audi- expérientiel ; les replaçant dans la logique d’en- mation à la chasteté des clercs et reli- tions, de trois types : semble qui a sous-tendu la démarche gieux réalisée auprès de quarante-huit – un groupe dit d’« évaluation », de la commission, et en rappelant les clercs et religieux ; – 73 auditions en séance plénière chargé d’analyser la manière dont contraintes auxquelles cette dernière d’experts, sachants et grands témoins, l’Église a ou non traité les cas portés à a pu se heurter : difficulté à se faire * à titre subsidiaire, l’ensemble des ainsi que de victimes à titre individuel sa connaissance, ainsi que d’évaluer les connaître des personnes victimes ou témoignages directement adressés à ou dans un cadre collectif, et plusieurs mesures prises par l’Église de France témoins des actes perpétrés, ainsi qu’à la commission et de très nombreux té- auditions des représentants des deux depuis 2000 – commande expresse les inciter à témoigner, même sous le moignages publiquement disponibles ; mandants de la commission ; de la CEF et de la Corref –, coprésidé sceau de l’anonymat ; lenteur du recen- par M. Sadek Beloucif et Mme Anne sement des fonds d’archives et mise au * à titre plus subsidiaire encore, des – 174 personnes victimes en- Devreese. point des garanties juridiques à appor- sources ouvertes, qu’il s’agisse de sta- tendue s par de s repré s entant s ter pour y accéder ; conséquences des tistiques publiques ou de bases de don- – membres, membres associés ou L’ensemble de ces compétences et de restrictions sanitaires liées à la pandé- nées de la presse française ; secrétaire générale– de la commis- ces données ont été mobilisées pour mie du Covid-19… sion en binôme et par le président de l’écriture du rapport général, complété – une étude socio-anthropologique, la commission en tête-à-tête, selon par des annexes au format numérique Les fondations des travaux menés, menée par une équipe de la Fonda- le format souhaité par les personnes équivalant à plus de 2 000 pages –, qui dans les trois premiers mois d’activité tion Maison des sciences de l’homme qui désiraient être écoutées longue- se déploie en trois parties correspon- de la Ciase, ont consisté à préciser la (FMSH), sous la direction de Mme Laë- ment, le plus souvent entre deux et dant aux grands axes de la lettre de démarche de la commission, en déter- titia Atlani-Duault (IRD, Université quatre heures. Un protocole a été éla- mission : minant le périmètre exact de ses inves- de Paris). Le premier volet a reposé boré à cette fin, y compris lorsque ces tigations et en lançant ses différents sur le dépouillement et l’analyse de auditions devaient – « faire la lumière », pour dresser le travaux de recherche et de collecte de l’ensemble des témoignages des per- Les vingt-et-un s’organiser à dis- lourd constat quantitatif et qualitatif données : sonnes victimes auprès de la Ciase via tance, en visiocon- tiré des données collectées ; deux corpus : a) Les 153 auditions de membres férence, compte – un appel à témoignages comme personnes victimes qui ont témoigné de la commission (...) tenu des restric- – « révéler la part d’ombre », pour fondement d’une recherche socio- lors d’auditions par des membres de tions de déplace- établir le diagnostic sévère ressortant démographique, menée par une la commission et dont les auditions ont été choisis en raison ment intervenues de ce constat, en fonction du contexte équipe de l’Inserm sous la direction ont été retranscrites et autorisées par de leurs compétences à compter du prin- des époques concernées ; de Mme Nathalie Bajos, incluant un leurs auteurs et b) les 2 819 courriers temps 2020. questionnaire en ligne et des entre- et mails envoyés à la Ciase. Ce travail dans les diverses – « dissiper les ténèbres », pour for- tiens, ainsi qu’une vaste enquête en a permis de sélectionner les verbatim sciences. – 48 auditions muler des pistes de traitement ap- population générale (2). Lancé le 3 juin de personnes victimes, les plus repré- menées par les proprié du phénomène des violences 2019 et clos le 31 octobre 2020, l’appel sentatifs des témoignages confiés à quatre groupes de sexuelles dans l’Église catholique, tant à témoignages a permis de nouer 6 471 la commission. Son résultat prend la travail de la commission qui ont per- à l’égard du passé depuis 1950, que du contacts : 3 652 entretiens télépho- forme de l’ensemble des paroles de vic- mis d’entendre 67 personnes quali- présent et de l’avenir, ces questions niques, 2 459 courriels et 360 courriers times citées à la fois au long du rapport fiées, de tous horizons (experts, re- étant encore devant nous. traités par l’équipe de France Victimes. de la commission et, en particulier, en présentants de l’Église catholique et À l’occasion de ces contacts, était pro- tête de chacun de ses chapitres ainsi d’autres cultes, juristes, théologiens, 2. Faire la lumière : analyse posé, en ligne, un questionnaire ano- que dans le « mémorial littéraire » inti- autorité judiciaire, membres des cel- qualitative et quantitative nyme administré par l’Ifop, destiné tulé De victimes à témoins. Le second lules d’écoute de diocèses et insti- des violences sexuelles dans à nourrir les analyses de l’Inserm. volet de l’étude a consisté en une ana- tuts religieux, administrations pu- l’Église catholique en France, 1 628 questionnaires ont été complé- lyse du traitement de l’objet d’enquête bliques…). à partir des données tés dans ce cadre, qui à leur tour ont de la Ciase et, plus spécifiquement, de collectées permis d’organiser 69 entretiens de re- la couverture et du traitement média- Soucieuse de ne pas demeurer une cherche. Quant à l’enquête en popula- tique des violences sexuelles sur mi- « commission parisienne » et de contri- Un phénomène massif, longtemps tion générale, elle a été menée en ligne neurs au sein de l’Église de France des buer elle-même à la diffusion de son recouvert par une chape de silence entre le 25 novembre 2020 et le 28 jan- années cinquante à nos jours, à partir appel à témoignages, la Ciase a égale- et difficile à mesurer. Une Église ca- vier 2021, auprès d’un échantillon par de deux corpus : a) les journaux télévi- ment organisé une série d’auditions tholique bien davantage concernée quotas de 28 010 personnes âgées de sés des principales chaînes françaises dans chaque région métropolitaine que les autres lieux de socialisation plus de 18 ans, et également adminis- entre 1990 et 2020, b) les articles de (hormis la région PACA, à cause de des enfants, à l’exception des cercles trée par l’Ifop ; quatre grands titres de la presse quoti- reports transformés en annulation en familiaux et amicaux. Des vies rava- dienne nationale de 2016 à 2020 ; raison de la crise sanitaire), ainsi qu’en gées par les agressions. – une recherche archivistique et so- Corse et dans les Antilles. cio-historique, menée par une équipe – une série de onze entretiens de re- Dans cette première partie, la com- de l’École pratique des hautes études cherche avec des membres du clergé Les riches et lourds matériaux mission présente l’état des lieux du (EPHE), sous la direction de M. Phi- ayant commis des agressions sexuelles. d’étude et de recherche ainsi rassem- phénomène des violences sexuelles lippe Portier. Cette recherche s’est ap- Ces entretiens ont été conduits sous la blés ont permis aux quatre groupes de sur mineurs et personnes vulnérables puyée sur six types de sources : direction de M. Philippe Portier auprès travail de la commission de forger leur perpétrées dans l’Église catholique en de dix prêtres et d’un diacre ayant di- diagnostic et leurs recommandations : France, de 1950 à nos jours. Marquée * à titre préliminaire, les réponses au rectement contacté le président de la par l’expérience traumatisante de vio- questionnaire adressé à l’ensemble des commission, en réponse à l’appel que – un groupe chargé des questions lences et de silence vécue par les per- évêques et des supérieur(e)s majeur(e) ce dernier avait lancé auprès de l’en- de théologie, d’ecclésiologie et de gou- sonnes victimes qui se sont adressées s d’instituts relevant de la Corref sur semble des évêques et des supérieurs vernance de l’Église, coprésidé par à elles, dont certaines parlaient pour le contenu de leurs archives relatif au majeurs. Par ailleurs, Mme Florence MM. Alain Cordier et Joël Molinario ; la première fois, et dont bon nombre sujet d’étude de la Ciase ; Thibaut a dirigé l’analyse d’enquêtes étaient, pour la première fois, dûment de personnalité et d’expertises psy- – un groupe chargé d’étudier l’arti- écoutées et reconnues comme vic- * à titre principal, les archives de chiatriques issues de 35 dossiers judi- culation entre droit canonique et droit times, la commission a souhaité rendre l’Église de France, au niveau central ciaires d’ecclésiastiques condamnés étatique et de réfléchir à des pistes de compte, d’abord et avant tout, de leurs comme dans 31 diocèses et 15 instituts, pour des crimes et délits entrant dans réforme du droit canonique, coprésidé traumatismes et de leurs parcours, à qu’il s’agisse des archives historiques, le champ d’investigation de la com- par M. Didier Guérin et Mme Astrid la fois en se laissant instruire par leurs courantes ou « secrètes », seuls deux mission. Kaptijn ; Suite page 18. P P P
La Croix - vendredi 22 octobre 2021 18 Le rapport de la Ciase/synthèse P P P Suite de la page 17. commis par un membre ou un proche La première partie se clôt par la pré- peuvent être tirées de cette mise en récits, et en rappelant ce que la littéra- de la famille, l’« abus éducatif » com- sentation et la mise en perspective perspective. ture scientifique donne à comprendre mis dans le cadre d’un patronage des résultats quantitatifs auxquels la des conséquences au long cours des ou d’un mouvement de jeunesse, commission est parvenue. Celle-ci at- La première est que, comme on agressions sexuelles subies, en parti- l’« abus thérapeutique » commis par tache une égale importance aux ana- pouvait s’y attendre sur la base culier dans l’enfance ou l’adolescence. un prêtre agissant comme psycho- lyses qualitatives issues des recherches d’études antérieures, des violences thérapeute ou prétendu tel, et enfin menées à partir de son travail d’écoute sexuelles également massives se sont La commission remet ensuite, de l’« abus prophétique » commis dans des personnes victimes et des experts produites à l’échelle de la société fran- manière plus classique, le phéno- le cadre de communautés dites « nou- qu’elle a consultés, mais elle n’ignore çaise : 14,5 % des femmes et 6,4 % des mène en perspective, sur les plans velles » ayant pris leur essor à comp- pas que les chiffres rendant compte de hommes, soit environ 5 500 000 per- historique, géographique et sociolo- ter des années 1970. Se superposent la prévalence du phénomène sont légi- sonnes, ont subi pendant leur mino- gique. S’appuyant sur les analyses de à cette typologie, de manière trans- timement attendus d’elle et qu’ils sont rité de telles violences. Les violences l’EPHE, elle rappelle l’évolution de la versale, trois dispositifs d’emprise, indispensables, à la fois pour poser un commises par des clercs, des religieux société française – et de l’Église ca- s’appuyant sur trois puissants res- diagnostic ajusté et pour formuler des et des religieuses représentent un peu tholique en son sein – au cours de la sorts dans l’Église catholique : les sa- recommandations appropriées face à moins de 4 % de ce total. Celles com- période, sous l’effet de la sécularisa- crements, la vocation et la charité ou l’ampleur des drames vécus. De tels mises par des personnes en lien avec tion, de l’individualisation, de l’évo- le service. chiffres sont cependant à manier avec l’Église catholique (y compris des lution de la place des enfants et des précaution, tant le silence des per- laïcs) représentent 6 % de ce total. La femmes, ainsi que de la transforma- Le cas des victimes majeures ayant sonnes victimes, de leur entourage et seconde conclusion porte sur la pré- tion des conceptions sociales de la répondu à l’appel à témoignages ou de l’Église, limite la connaissance des valence des violences sexuelles com- sexualité et des violences sexuelles. entendues en entretien est évoqué faits. La commission s’est donc atta- mises sur des mineurs entre les dif- Sur cette toile de fond, trois périodes à part, pour mettre en lumière cer- chée à croiser ses sources – enquête en férents milieux de socialisation que caractérisent schématiquement l’évo- tains traits des violences qu’elles population générale, enquête quanti- sont, à côté de l’Église catholique ou lution du phénomène des violences ont subies, avec un accent particu- tative et qualitative issue de l’appel à des mouvements liés à elle : le cercle sexuelles dans l’Église catholique : lier mis sur le cas des religieuses ou témoignages et enquête archivistique – familial, le cercle amical, l’école pu- une phase 1950-1970 décrite comme séminaristes agressés. Pour tous ces et à vérifier la cohérence des résultats blique, les colonies et camps de va- culminante, une phase 1970-1990 do- majeurs, au-delà de la diversité des obtenus, tant entre ces différentes cances, les clubs de sport et les struc- minée par un reflux du phénomène et situations, apparaissent des logiques sources qu’avec les résultats issus des tures d’activités culturelles. Il en une phase débutant en 1990 marquée d’autorité mue en pouvoir et dévoyée travaux des commissions étrangères ressort que si la grande majorité des par une apparente recrudescence du en emprise, ainsi que des situations au mandat analogue à celui de la Ciase violences sexuelles sur mineurs ont phénomène, au vu de l’ensemble des de vulnérabilité, qui ou avec les autres données disponibles été perpétrées dans le cadre fami- sources disponibles, sans que l’on sont renforcées par L’Église catholique dans la littérature scientifique exis- lial ou amical (3,7 % des personnes puisse conclure de manière certaine le contexte ecclésial, tante. aujourd’hui âgées de plus de 18 ans à une hausse (3). d’une manière qui res- est ainsi, hors en France métropolitaine ayant été sort d’autant plus net- les cercles familiaux Ces précautions méthodologiques agressées, étant alors mineures, par L’analyse géographique des cas re- tement que les rap - étant prises, l’enquête de l’Inserm un membre de leur famille, 2 % par censés, sur l’ensemble de la période ports de pouvoir liés et amicaux, aboutit à une estimation du nombre un ami de la famille et 1,8 % par un étudiée, tend à montrer que si, de à l’écart d’âge n’inter- le milieu dans lequel de victimes mineures d’agressions ami ou un copain), il en a été commis prime abord, les agressions commises viennent pas. sexuelles commises par des prêtres, dans le cadre de l’Église catholique ont été plus nombreuses dans les zones la prévalence diacres, religieux ou religieuses, qui (1,16 % par des personnes en lien avec de pratique religieuse plus affirmée, Les modalités de la des violences s’établit à 216 000 personnes (4) sur l’Église, dont 0,82 % par des clercs, en réalité, si l’on raisonne en valeur prise de parole et de la période allant de 1950 à 2020, selon religieux et religieuses) significative- relative, c’est-à-dire en rapportant le la sortie du silence des sexuelles l’enquête en population générale me- ment plus que dans les autres sphères nombre d’agressions au nombre de personnes victimes, est la plus élevée. née auprès de 28 010 personnes âgées de socialisation (0,36 % dans les co- membres du clergé en place, c’est dans telles qu’elles les ont de 18 ans et plus, représentatives de la lonies et camps de vacances, 0,34 % les zones de plus faible pratique que relatées auprès de la population française, selon la méthode dans le cadre de l’école publique, la concentration des cas de violences commission, montrent combien ce des quotas. En élargissant l’analyse à 0,28 % dans les clubs de sport et 0,17 % a été la plus forte, probablement sous processus est long, semé d’obstacles, l’ensemble des personnes en lien avec dans le cadre d’activités culturelles et l’effet d’un moindre encadrement et et trop rarement suivi d’une correcte l’Église (personnel des établissements artistiques). L’Église catholique est accompagnement des prêtres et, aussi, prise en compte par l’entourage ou par d’enseignement ou internats catho- ainsi, hors les cercles familiaux et d’une moindre tolérance de leurs les institutions. liques, laïcs assurant le catéchisme ou amicaux, le milieu dans lequel la pré- écarts de conduite, dès lors plus systé- des services en aumônerie, animateurs valence des violences sexuelles est la matiquement relevés dans ces régions, Est également menée une analyse de mouvements scouts ou d’autres plus élevée. à l’échelle des 70 années écoulées. des parcours de vie des agresseurs, à mouvements catholiques de jeu- partir des quelque 2 000 cas examinés nesse), le nombre estimé de victimes Le fait que les personnes victimes L’analyse sociologique, essentielle- dans les archives des diocèses et insti- mineures s’établit à 330 000 sur l’en- individuellement dénombrées dans le ment issue des travaux de l’Inserm, tuts ainsi que des entretiens menés au semble de la période. Il en résulte que cadre de l’appel à témoignages ou des se focalise dans un premier temps printemps 2021 avec onze d’entre eux, plus d’un tiers des agressions sexuelles investigations dans les archives soit sur les personnes agressées alors nés entre 1933 et 1954. Ces entretiens dans l’Église catholique ont été com- nettement moins nombreuses n’inva- qu’elles étaient mineures. Les prin- permettent aussi de connaître le re- mises, non par des clercs ou des reli- lide pas ces estimations : d’une part, de cipales caractéristiques qui en res- gard porté par ces agresseurs sur leurs gieux, mais par des laïcs. Par ailleurs, nombreux témoignages ainsi recueillis sortent montrent que ces personnes propres actes, entre (fréquente) mini- faute de certitude scientifique suffi- font état d’autres victimes ne s’étant sont très majoritairement des gar- misation, dénégation et (rare) recon- sante, la commission a renoncé à éva- pas déclarées ; d’autre part et surtout, çons préadolescents, appartenant à naissance pleine et entière. Ils donnent luer le nombre de personnes victimes le caractère massif des sous-déclara- tous les milieux sociaux. La typologie enfin un éclairage sur leurs réactions d’agressions sexuelles dans l’Église, tions d’agressions sexuelles est bien des « abus » recensés fait apparaître relatives à différentes questions, qu’il alors qu’elles étaient majeures. établi dans la littérature scientifique, six configurations : l’« abus parois- s’agisse des mesures de sanction de et il est ici corroboré. Par ailleurs, l’en- sial » commis par le curé ou le vicaire la part de l’Église ou de la justice éta- La commission s’est efforcée de si- quête en population générale menée regardés comme des notables du vil- tique, de la création de la Ciase ou des tuer ces violences, très élevées en va- aux Pays-Bas pour le compte d’une lage, l’« abus scolaire » commis par le correctifs à apporter selon eux à la for- leur absolue, dans le contexte géné- commission analogue à la Ciase sous prêtre ou le religieux enseignant ou mation des prêtres, en particulier sur ral des violences sexuelles commises la présidence de M. Wim Deetman a maître d’internat, l’« abus familial » les questions de sexualité. dans notre société. Deux conclusions produit des estimations chiffrées P P P I « Rapport Sauvé », tout savoir, tout comprendre Les révélations de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église constituent un choc. La rédaction de La Croix se mobilise pour vous informer. L’appropriation des travaux du rapport Sauvé est essentielle pour lutter à l’avenir contre toutes ces violences non seulement au sein de l’Église, mais dans toute la société. Retrouvez l’essentiel des articles publiés dans La Croix et sur la-croix.com dans notre dossier sur la-croix.com/rapportsauve
La Croix - vendredi 22 octobre 2021 Le rapport de la Ciase/synthèse 19 P P P comparables aux résultats de Dans l’analyse des facteurs spéci- cations dont il est rendu compte dans le l’enquête menée par l’Inserm pour la 3. Révéler la part d’ombre : fiques à l’Église catholique pouvant, rapport, la Lettre au peuple de Dieu du commission. La part de la population une attitude de l’Église parallèlement à la contextualisation pape François déjà mentionnée ou les socialisée dans la religion catholique catholique qui a évolué socio-historique, contribuer à expli- travaux spécifiques de la commission ayant été, selon toute probabilité, plus au cours du temps, mais qui quer l’ampleur du phénomène et les doctrinale de la Conférence des évêques importante en France qu’aux Pays- est restée trop centrée sur biais identifiés dans son traitement de France qui ont pu être communiqués Bas où le protestantisme occupe une la protection de l’institution, si peu approprié, la commission se à la commission. place très importante, il est vraisem- longtemps sans aucun égard penche, en premier lieu, sur les par- blable que les violences sexuelles dans pour les personnes victimes ticularités du droit canonique. Car Pour clore la deuxième partie du l’Église catholique aient été, en valeur une partie de l’inadéquation des ré- rapport, en forme de transition vers relative, moins nombreuses dans notre Une institution Église qui n’a pas ponses apportées par l’Église aux cas les recommandations plus concrètes pays. pris la défense des victimes. Un lui ayant été signalés réside dans les attendues des travaux de la commis- droit canonique gravement défail- lacunes de ce droit, surtout conçu en sion afin que cessent les drames des Plus délicate est l’estimation du lant. Des obligations juridiques en- vue de la protection des sacrements violences sexuelles et qu’ils ne se re- nombre des clercs et religieux agres- core trop peu connues et respectées. et de l’amendement du pécheur – la produisent plus, une attention parti- seurs sur l’ensemble de la période personne victime étant la grande ab- culière est portée, comme l’ont sou- considérée. Les recherches archivis- Dans une deuxième partie, le rap- sente – et largement inadapté, dans haité la CEF et la Corref, aux mesures tiques dans les fonds de l’Église, de port établit le diagnostic porté par son volet pénal, à la répression des prises par ces instances ou sous leur la justice et de la presse, qui ont été la commission sur son objet d’étude. violences sexuelles qu’il ne nomme impulsion, depuis le tournant des an- menées par l’EPHE avec rigueur et Sont de nouveau convoquées les diffé- d’ailleurs jamais en tant que telles. La nées 2000 qui marque le début d’une un grand souci d’exhaustivité et com- rentes disciplines représentées au sein commission conclut à l’inadéquation prise de parole publique au sommet plétées par les données de l’appel à de la commission, ainsi que les diffé- du droit canonique aux standards du de l’Église catholique en France, dans témoignages, permettent d’estimer rentes sources de données utilisées, procès équitable et aux ce que celle-ci a choisi d’appeler la entre 2 900 et 3 200 le nombre des afin de replacer les actes perpétrés, Les réponses droits de la personne lutte contre la pédophilie. Ces me- agresseurs. Cette fourchette constitue et leur fréquente couverture, de 1950 humaine dans la ma- sures ont été substantielles, à l’éche- un plancher dans la mesure où toutes à aujourd’hui, « dans le contexte des de l’Église ont tière si sensible des lon national comme dans les initia- les agressions n’ont pas été connues époques concernées », pour reprendre été globalement agressions sexuelles tives locales. Mais, avec de grandes de l’Église et toutes celles qui ont été les termes de la lettre de mission. sur mineurs. différences selon les diocèses et les connues n’ont pas fait l’objet de l’ou- insuffisantes, instituts religieux, les réponses de verture d’un dossier. Elle conduit à Le séquençage historique utilisé en souvent tardives, En second lieu et l’Église ont été globalement insuf- un ratio de 2,5 % à 2,8 % de l’effectif première partie est ici repris, afin de plus fondamentale- fisantes, souvent tardives, prises en des clercs et des religieux de 1950 à caractériser l’évolution de l’attitude de prises en réaction ment, sont étudiés les réaction aux événements ou mal ap- nos jours (115 000 clercs et religieux l’Église catholique face aux agressions aux événements dévoiements, les dé- pliquées. Il en va ainsi de l’obligation environ). Ce ratio est inférieur aux ré- commises en son sein. De 1950 à 1970, naturations et les per- de signaler à la justice des agisse- sultats publiés par les commissions dominent chez cette dernière la volonté ou mal appliquées. versions auxquels ont ments de clercs ou de religieux sus- étrangères, compris entre 4,4 et 7,5 %, de se protéger du scandale tout en es- donné prise la doctrine ceptibles de constituer des crimes ou mais il n’est pas incompatible avec sayant de «sauver» les agresseurs, ainsi et les enseignements des délits : cette mesure décidée par celui, encore plus faible, qui résulte que l’occultation du sort des personnes de l’Église catholique, susceptibles la CEF dès le mois de novembre 2000, des travaux de la commission Deet- victimes, invitées à faire silence. De d’avoir favorisé la survenue des vio- sans retard par rapport aux institu- man aux Pays-Bas. Il est vrai qu’il 1970 à 1990, la question des violences lences sexuelles : le « cléricalisme » fus- tions publiques ou privées accueillant impliquerait un nombre très élevé de sexuelles passe au second plan, derrière tigé par le pape François dans sa Lettre des mineurs, s’est appliquée avec len- victimes par agresseur. Mais un tel la crise sacerdotale, qui accapare davan- au peuple de Dieu d’août 2018, qui teur et inégalement selon les diocèses. résultat n’est pas impossible au re- tage les structures internes de prise en comprend l’excessive sacralisation de L’Église n’a pas su non plus prendre gard de la littérature scientifique qui charge des clercs « à problèmes ». Cela la personne du prêtre ; la survalorisa- correctement en compte les critiques montre qu’un prédateur sexuel peut vaut y compris dans le domaine cli- tion du célibat et des charismes chez le émanant notamment des associations effectivement agresser de très nom- nique, qui est une voie de traitement prêtre ; le dévoiement de l’obéissance de personnes victimes qui l’encoura- breuses victimes, spécialement ceux des cas signalés abandonnée à la fin lorsqu’elle confine à l’oblitération de geaient à aller plus loin. qui s’attaquent aux enfants de sexe de cette période. À partir des années la conscience ; le détournement des masculin, comme c’est très majori- 1990, l’attitude de l’Église catholique Écritures. La commission, s’appuyant Emblématique à cet égard est la tairement le cas dans l’Église catho- change progressivement, avec la prise sur les témoignages reçus, s’est aussi mesure phare de la mise en place lique. Pour prolonger la réflexion, la en compte de l’existence des personnes attachée à identifier ce qui, dans les généralisée dans les diocèses des commission, partant des conclusions victimes, qui toutefois ne vaut pas en- textes issus de la Tradition de l’Église, cellules d’accueil et d’écoute des contradictoires de la littérature scien- core reconnaissance. Celle-ci émerge à comme le Catéchisme de l’Église catho- personnes ayant subi des violences tifique, a établi d’autres hypothèses compter des années 2010, avec le déve- lique, pouvait avoir malheureusement sexuelles. Les tables rondes organi- correspondant à des taux d’agresseurs loppement des dénonciations à la jus- entretenu ce terreau favorable : l’in- sées par la Ciase avec de nombreux de 5 % et 7 %. Car elle est consciente de tice, des sanctions canoniques et du suffisante attention aux atteintes aux laïcs responsables de telles cellules, la profonde disparité entre les profils renoncement au traitement purement personnes, derrière les « offenses à la venant de toute la France, lui ont d’agresseurs : ceux qui ne passent à interne des agresseurs. chasteté », ou la vision excessivement fait réaliser que celles-ci avaient été l’acte qu’un petit nombre de fois et les taboue de la sexualité. instituées sans réelles fondations et multirécidivistes compulsifs. En défi- Sur la plus grande partie de la pé- en ordre dispersé et qu’il était prévu nitive, tout en mesurant la difficulté riode étudiée par la Ciase, il résulte La commission formule, dans ce – d’après les annonces de la CEF et de de connaître le nombre réel des clercs de ces observations une qualification cadre, des observations qui invitent la Corref du printemps 2021 – de leur et des religieux abuseurs à partir d’un des faits par la commission qui peut l’Église à se poser, sur elle-même, cer- donner plus de visibilité à l’échelle travail principalement fondé sur les se résumer dans les termes d’occulta- taines questions fondamentales. Que nationale, sans avoir pris le temps de archives, cette difficulté valant bien tion, de relativisation, voire de déni, l’on se rassure : la commission n’a pas clarifier leurs missions, leurs compé- sûr pour les recherches de même na- avec une reconnaissance toute ré- été gagnée par une sorte de démesure tences, ni même leur place par rap- ture menées ailleurs, la commission cente, réellement visible à compter de qui l’aurait amenée à outrepasser son port à l’Église. Pourtant, les bonnes aboutit à la conclusion qu’en France 2015, mais inégale selon les diocèses mandat, voire à se hisser au-dessus de volontés sont là et ces questions ne de- un taux aux approches de 3 % de et les congrégations. Si l’on combine ses mandants; il lui semble au contraire mandent qu’à être posées pour progres- clercs et de religieux auteurs d’agres- cette analyse avec ce qui a été dit en que c’est la seule manière de l’accom- ser rapidement. La commission for- sions sexuelles constitue une estima- première partie de la prévalence des plir vraiment, quand bien même cela mule ainsi des préconisations précises tion minimale et une base de compa- violences sexuelles sur mineurs et per- n’avait pas été envisagé sous cette pour structurer et consolider le réseau raison pertinente avec les autres pays. sonnes vulnérables, alors s’impose la forme à l’entame de ses travaux. Car existant, de manière mixte, en combi- notion de phénomène systémique. elle a, collectivement, acquis au fil des nant, d’une part, l’échelon local (inter- L’état des lieux ainsi dressé révèle Non que les violences aient été orga- mois la conviction que sa création, en diocésain de préférence) et l’échelon donc que le phénomène des violences nisées ou admises par l’institution (ce tant qu’instance indépendante et exté- national et, d’autre part, le position- sexuelles dans l’Église catholique en qui s’est cependant produit dans cer- rieure à l’Église, à ce moment précis de nement interne et externe à l’Église. Il France de 1950 à nos jours est mas- taines communautés ou institutions l’histoire de l’institution frappée par la est recommandé de faire appel unique- sif, en diminution dans le temps mais très peu nombreuses), mais l’insti- crise aiguë des abus, lui conférait la res- ment à des laïcs spécialement formés, toujours présent, qu’il repose sur des tution ecclésiale n’a clairement pas ponsabilité de creuser aux racines de ce mais non « déconnectés » de l’Église, mécanismes pluriels, clairement iden- su prévenir ces violences, ni simple- mal, aussi profondément que l’Église tout en étant en contact avec des pro- tifiés, et présentant un caractère systé- ment les voir, et moins encore les trai- est en train de le faire elle-même, fessionnels de l’aide aux personnes vic- mique. Le traumatisme des victimes ter avec la détermination et la justesse comme le manifestent notamment, times de violences sexuelles. est aggravé par la qualité des auteurs. requises. parmi tant d’autres réflexions et publi- Suite page 20. P P P
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