Beatrice rana - HÄndel Giulio cesare - Cadences
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© Simon Fowler [ n° 354 mai 2022 ] L’ AC T UALI T E D E S CO N C ERTS E T D E L’ O PE R A souffle un nouveau piano clavecin HÄndel Giulio cesare rana Justin taylor beatrice
sommaire Anniversaire L eS d o s s i e rs © Korngold Society César Franck, Hulda 2 Händel, Giulio Cesare 4 Sibelius, le symphoniste 8 © Kaupo Kikkas Il y a 125 ans… Paavo Järvi 8 Naissait Erich Wolfgang Korngold, le 29 mai © Julien Benhamou 1897 à Brünn. Son père Julius Korngold est critique musical pour la revue Neue Freie l e s c o n c e rt s Press et lui donne ses premières leçons à paris 20 et en île-de-france de musique. L’enfant se révèle un prodige et se forme auprès de Zemlinski et Mahler. Gaëlle Arquez 6 À 13 ans seulement, il compose la pantomime CD 26 Der Schneemann qui est orchestrée par Zemlinski lui-même et créée à la cour de à P a ri s Vienne. Les œuvres du jeune Korngold sont u n a rt i s t e … Portrait 12 données en Allemagne et en Autriche mais Beatrice Rana un disque… 28 ce n’est qu’en 1920 qu’il devient véritablement L’actualité des concerts 10 célèbre grâce à son opéra Die tote Stadt créé le 4 décembre 1920 à Hambourg et à Cologne. György Kurtág, Cristian Măcelaru… Le compositeur en a élaboré le livret avec Clavecin 14 © Jean-Baptiste Millot l’aide de son père, d'après la pièce Le Mirage Justin Taylor de Georges Rodenbach elle-même adaptée du roman Bruges-la-Morte. Korngold connait Fes t i v a l s d ' é t é 16 son heure de gloire et sa musique est jouée Festival à la loupe 18 dans le monde entier. Elle est empreinte du romantisme viennois et le compositeur Festival d'Auvers-sur-Oise Justin Taylor 14 séduit par son génie mélodique. En 1934, il doit cependant partir pour les États-Unis en raison du nazisme se propageant en www.philippemaillardproductions.fr Europe et commence alors à composer des musiques de films pour Hollywood. En 1936 et 1938, il obtient ainsi deux Oscars pour les partitions des films Anthony Adverse et Les aventures de Robin des bois. Son retour en Europe après la guerre ne lui est cependant pas très favorable, sa musique dont le style 19 n’a pas évolué avec son temps semble n’être MAI plus au goût du jour… E.G. 20:30 SALLE U G AV E A Cadences • ISSN 1760 - 9364 • édité par les Concerts Parisiens • SARL au capital de 10 000 euros CHOPIN • 21, rue Bergère 75009 Paris • Tél. 01 48 24 40 VA L S E S 63 • Fax 01 48 24 16 29 • Siret 44156960500013 & • Directeur de la publication : Philippe Maillard NOCTUR NES • Publicité : tél. 01 48 24 40 63, publicite@ LLE cadences.fr • Rédacteur en chef : Yutha Tep • Chef de rubrique : Élise Guignard • Ont participé A N U E U R E M à ce numéro : Michel Fleury, Michel Le Naour, Pierre Verdier • Conception graphique : Astrada E M - LA M O C Z design • Diffusion : Sophie Borgès, sborges@ cadences.fr • Impression : RPN-Groupe Prenant, Vitry-sur-Seine • Tirage : 40 000 exemplaires • Abonnement : 9 nos 40 € SWIE R PIANO R É S E R VAT I O N S 01 48 24 16 97 mai 2022 cadences 1
dossier César Franck Hulda sédait à un haut degré le sens du pittoresque Voué jusqu’ici à l’oubli par des préjugés tenaces, ce sanglant drame médiéval nordique devrait s’imposer descriptif et était capable de répudier son séra- comme un chef-d’œuvre de son auteur et de son époque. phisme pour de sombres et maléfiques éclats (cf. Le Chasseur maudit) : il était aussi bien L armé que d’autres pour produire des opéras, et es préjugés ont la Hulda s’avère une œuvre aussi palpitante que vie dure : il a suffi Samson ou Le Roi d’Ys. Il y ajoutait un langage à Vincent d’Indy musical d’une puissante originalité, sans rivale d’écrire que « le gé- chez ses contemporains. Enfin, Hulda (1884) nie de Franck n’a jamais rien et Ghiselle (1890) datent de sa haute maturité, eu de théâtral » et que ses alors qu’il était au sommet de ses moyens et de deux opéras Hulda et Ghiselle son esthétique : ces grandes partitions recèlent devaient être tenus pour de du Franck du meilleur cru, en aucune manière simples « essais » pour que la inférieur à la Symphonie. plupart des musicographes lui emboîtent le pas, en général sans même en connaître une Une sombre Norvège note. Seuls jusqu’ici, Charles médiévale van den Borren et Joël-Ma- rie Fauquet ont rendu jus- tice à ces deux drames, leur attribuant la place de pre- E njoint par sa femme et son fils de se tour- ner vers la filière du théâtre, plus lucrative que la musique pure ou religieuse, il avait prêté © D.R. mier plan qui leur revient, attention dès 1870 à Hulda, pièce du Norvégien non seulement dans l’œuvre Bjoerstjerne Bjoernson, à la suite de la lecture de Franck, mais dans le théâtre lyrique de la Génie puissant et novateur, d’un article d’Edouard Schuré. L’adaptation fin du xixe siècle. L’adjectif « théâtral » revêt César Franck est l’initiateur lyrique lui fut fournie par Charles Grandmou- deux acceptions : un sens extérieur renvoyant du renouveau musical gin, un poète parnassien mineur. Le musicien à des effets décoratifs spectaculaires et à des français à la fin du xixe siècle se mit au travail une dizaine d’année plus rebondissements de l’action, comme dans tard, une fois achevé le grand œuvre des Béati- Aïda ou Samson et Dalila, et un sens plus pro- tudes. Grandmougin a développé la dimension fond : celui du drame psychologique et de son mélodramatique de l’intrigue au détriment expression en un langage musical épousant les de la psychologie des personnages, simplifiée revirements, parfois violents, de la psychologie à l’extrême. Passionné par son sujet, Franck a des protagonistes. Ce sens du « théâtre psycho- su restituer aux rôles principaux l’épaisseur Le 1er juin, Théâtre des logique », qui se ramène à l’expression musi- psychologique qu’ils avaient dans le texte ini- Champs-Élysées cale du sentiment, s’affirme magistralement Philharmonique de Liège, Chœur tial, et particulièrement au rôle-titre : littéra- dans l’œuvre instrumentale et symphonique de chambre de Namur, G. Madaras lement fasciné par le personnage de Hulda, de Franck. Quant au premier sens, il est mis (direction). il a trouvé d’instinct une musique en étroite en valeur par deux livrets prodigues en péri- Avec J. Holloway, E. Montvidas, V. Gens, résonance avec l’âme sombre et tourmentée J. Van Wanroij, M. Karall… péties capables de maintenir le spectateur en de cette magicienne restée fidèle au paganisme haleine : tout particulièrement celui de Hulda, de ses ancêtres et dont la séduction irrésistible sanglante saga médiévale prenant ses quartiers prend dans ses rets l’homme de son choix : dans le grandiose décor des fjords de Norvège. une preuve supplémentaire que son génie ne Contrairement à certains préjugés, Franck pos- se limitait pas à la clarté rayonnante du Pater 2 cadences mai 2022
paris © Benjamin Ealovega © Arielle Doneson seraphicus. Cette clarté trouve en revanche Le château et la cour des Aslak sont le prétexte à s’affirmer dans les figures plus lumineuses de somptueuses scènes festives dans la tradi- d’Eiolf et de la rivale Swanhilde de Hulda tion de Meyerbeer, d’autant plus efficaces que auprès de ce dernier. Également séduit par le le riche contenu musical de l’art de Franck cadre naturel grandiose, Franck fait preuve parvenu à son zénith leur confère un faste © Tomas Kauneckas d’un prodigieux talent de paysagiste musi- incomparable : une synthèse très personnelle cal : préludes des actes I et V et Entracte pas- entre le grand opéra historique et Wagner. La toral de l’acte III plantent le décor des fjords beauté des chœurs surpasse même celle des avec une rare intensité d’évocation ; le ballet Béatitudes et annonce le chœur final de Psy- allégorique des saisons fait ressentir presque ché. Le sauvage chœur des Aslak victorieux, physiquement l’antagonisme de l’hiver et du La mezzo-soprano Jennifer l’hymne funèbre après la mort de Gudleik, printemps. Comme dans Psyché et Les Éolides, Holloway incarne Hulda d’une impressionnante grandeur, la fastueuse Franck s’impose ici comme l’un des pères-fon- et le ténor Edgaras et solennelle Marche royale ouvrant la fête au dateurs de l’impressionnisme musical. L’épi- Montvidas chante Eiolf, château (acte IV), ou la suave beauté du chœur sode des chœurs de pêcheurs dont le navire sous la direction de Gergely des paysans célébrant le Printemps (acte V), se rapproche puis s’éloigne dans le lointain Madaras (au centre). tous rehaussés des enluminures de l’orchestre, (acte I), s’avère un génial effet d’atmosphère, sont ainsi des modèles du genre. Opéra très 20 ans avant la séquence similaire de Pelléas. symphonique, Hulda adopte le système des repères leitmotiv, mais d’une façon libre et non systé- L’ivresse 1822 : naissance le 10 décembre matique : ce retour des thèmes participe de la recherche toute intuitive d’une unité formelle à Liège, Royaume des Pays-Bas de la vengeance 1830-34 : études musicales qui avait mis le musicien sur la voie de son cé- au conservatoire de Liège lèbre cyclisme dès les Trois Trios op.1 (1840). L ’intrigue, compliquée et pleine de rebon- dissements, gravite autour de Hulda et des quelques mots résumant le destin fatal de celle- 1837-42 : études au conservatoire de Paris Figure fascinante, alliant charme sensuel et haine inflexible, Hulda pousse l’archétype de la femme fatale chère à la fin du xixe siècle 1846 : Ruth ; Ce qu’on entend ci et de ceux qui l’approchent : attente angois- sur la montagne jusqu’aux limites extrêmes de l’horreur. C’est sée de l’inéluctable (l’extermination de son 1872 : Rédemption un rôle très lourd, exigeant plénitude vocale et clan par le clan rival des Aslak) ; amour pour 1871-1879 : Les Béatitudes prestance tragique. le beau chevalier Eiolf qui éprouve pour elle 1876 : Les Éolides Avant Fervaal (d’Indy), Le Roi Arthus (Chaus- un brutal coup de foudre et tue Gudleik, l’aîné son) et Guercoeur (Magnard), Hulda est un 1879 : Quintette pour piano des Aslak, que Hulda était contrainte d’épou- et cordes sommet de l’opéra légendaire médiéval, véri- ser ; haine et vengeance (de l’extermination 1882 : Le Chasseur maudit table transposition sonore des somptueuses de son clan, mais aussi de la trahison de Eiolf fresques historiques d’Évariste Luminais et de 1884 : Les Djinns ; Prélude, lorsque ce dernier, effrayé du noir abime de choral et fugue ; Hulda Jean-Paul Laurens. Preuve éclatante que Wa- l’âme de Hulda, revient à son ancien amour, la 1885 : Variations symphoniques gner n’avait pas le monopole du drame musi- pure et claire Swanhilde) ; la mort, maître-mot cal médiéval, cette œuvre magistrale, encore à 1886 : Sonate pour piano et violon et suprême recours pour les passions de cette découvrir (ainsi que sa sœur Ghiselle), est une 1887 : Prélude, aria et final envoûtante et belle magicienne dont les sorti- marque supplémentaire de l’universalité du 1888 : Symphonie en ré mineur ; lèges excellent à manipuler ses ennemis (les Psyché génie de Franck, dont elle révèle la sensualité fils d’Aslak) et son amant Eiolf, et qui trouve et la passion latentes, trop longtemps déniées 1889 : Quatuor à cordes la jouissance suprême en se précipitant dans à l’auteur de la Sonate et de Psyché. Cette dé- 1890 : Ghiselle, Trois chorals le fjord du haut d’une falaise, une foi son des- couverte sera l'évènement musical majeur de • 1890 : mort le 8 novembre à Paris tin consommé. Pas moins d’une mort par acte ! l'annéee 2022. Michel Fleury mai 2022 cadences 3
dossier Händel Giulio Cesare Chef-d’œuvre très aimé aujourd’hui parmi les operas serias Les étoiles de Händel, Giulio Cesare nous conte une histoire d’amour mêlée à des intrigues politiques, sous forme d’un bouquet de l’Academy L d’airs somptueux et merveilleusement contrastants. Ce ’engouement que suscita initialement mois-ci, c’est au Théâtre des Champs-Élysées qu’on pourra l’œuvre n’était nullement étonnant car, apprécier l’ouvrage. outre le talent prodigieux de Händel qui bril- lait dans chacune des pages, la distribution à la E création avait de quoi déchainer les passions n 1724, Händel était des foules. La Royal Academy était un vivier au sommet de son de talents car elle avait mis un point d’honneur art et triomphait de- à recruter la crème de la crème des chanteurs puis quelque temps européens. Parmi les plus grandes vedettes du à la Royal Academy of Music moment, qui s’illustraient parfois autant par de Londres, faisant de la leur virtuosité que par leurs caprices de divas, ville une capitale du milieu se trouvaient ainsi le castrat Francesco Bernar- lyrique européen. La société di, dit Senesino, qui incarnait Giulio Cesare, et avait été créée en 1719, avec la soprano Francesca Cuzzoni, qui créait le rôle le soutien du roi Georges Ier de Cléopâtre. La distribution était complétée et des plus hautes classes par la soprano Margherita Durastanti (dans le sociales anglaises pour pro- © National Portrait Gallery rôle de Sesto) avec qui Händel avait travaillé mouvoir l’opéra italien en à Rome, les castrats Gaetano Berenstadt (To- Angleterre, malgré les réti- lomeo) et Giuseppe Bigonzi (Nireno), la basse cences de ceux qui souhai- Giuseppe Maria Boschi (Achilla), la mezzo an- taient privilégier les tradi- glaise Anastasia Robinson (Cornelia), connue tions musicales nationales. pour être la maîtresse du Comte de Peterbo- Deux musiciens italiens, rough qu’elle avait en réalité épousé en secret, Attilio Ariosti et Giovanni et la basse anglaise John Laguerre (ou Lagarde, Battista Bononcini, avaient été engagés aux Quand il compose Giulio dans le rôle de Curio). côtés de Händel mais le « Caro Sassone », Cesare, Georg Friedrich ainsi que l’avaient surnommé les Romains, Händel est arrivé au sommet était devenu rapidement la star incontestée de ses moyens expressifs. Les codes de l’Academy. Après Radamisto (1720), Floridante (1721), de l’opera seria Ottone et Flavio (1723), Giulio Cesare fut le cin- quième opéra qu’il composa pour la Royal Aca- demy of Music de Londres, et le onzième des trente-six opéras qu’il composa en Angleterre G iulio Cesare est un opera seria, genre à la mode dans toute l’Europe au xviiie siècle. Il est défini par plusieurs principes, notamment (le premier avait été Rinaldo). L’opéra fut créé l’usage de la langue italienne et le choix d’un le 20 février 1724 au King’s Theatre de Haymar- sujet « sérieux » (d’où le nom). Ce sujet était ket, et connut un succès immédiat. Il fut donné Du 11 au 22 mai - Théâtre souvent tiré d’évènements historiques mar- plus de dix fois dans la saison, et durant les dix des Champs-Elysées quants ou de la mythologie, et la fin de l’histoire années suivantes (notamment 1725, 1730 et Ensemble Artaserse. Dir. : P. Jaroussky. se devait d’être morale. Musicalement, l’opera 1732) il serait donné plus de quarante fois un D. Michieletto, mise en scène. seria met en alternance des récitatifs et des Avec G. Arquez, S. Devieilhe, F. Fagioli… peu partout en Europe. airs. Alors que les récitatifs permettent de faire 4 cadences mai 2022
© Jean-Baptiste Millot paris © Simon Fowler avancer l’action, les airs reflètent en général de récitatifs et moitié moins d’airs. Les rôles l’état et le ressenti d’un personnage. Ce sont des secondaires furent supprimés (comme celui de arias da capo, c’est-à-dire des airs construits en la nourrice Rodisbe) ou très réduits, le registre trois parties, la troisième partie étant une re- pathétique fut accentué avec l’ajouts d’airs prise ornementée de la première. élégiaques pour Cléopâtre, et les quelques tra- Le livret du Giulio Cesare de Händel respecte vestissements présents dans le livret d’origine © Julian Laidig la tradition de l’opera seria en prenant pour furent retirés (Sesto se faisait passer pour sa cœur un argument historique. Il s’inspire de mère et Cornelia se déguisait en eunuque). faits réels, notamment de l’histoire d’amour entre Cléopâtre et César pendant les guerres d’Alexandrie, du conflit pour le trône entre Philippe Jaroussky Galerie de portraits Cléopâtre et son frère Ptolémée XIII, de l’assas- A dirigera Giulio Cesare, utour de l’argument historique, le livret sinat de Pompée sur ordre de Ptolémée… En Sabine Devieilhe dépeint des personnages avec une com- réalité, peu de choses seulement sont inven- interprétant Cleopatra plexité et une finesse psychologique rares. tées, comme l’intrigue amoureuse autour de et Franco Fagioli Sesto. César apparait comme un protagoniste idéal Cornelia, et le personnage de Nireno (tous les pour l’opera seria par sa noblesse d’âme. Il autres personnages ont existé). Le livret utilisé représente un Empire Romain honorable, il est par Händel était en fait une adaptation d’un décrit comme un brave héros dont la force est premier livret écrit par le poète Giacomo Fran- illustrée dans les airs et ne colle pas au stéréo- cesco Bussani pour un opéra vénitien d’Antonio type de l’amoureux un peu mièvre. Certains Sartorio, créé en 1677. Ce livret était lui-même airs révèlent le guerrier qui est en lui, comme inspiré par une pièce de Corneille, La mort de « Empio dirò tu sei » et le flamboyant « Al Pompée. Le Saxon reprit de nombreuses fois lampo dell’armi ». Certains autres dépeignent des livrets d’opéras vénitiens pour ses propres une colère plus contenue, comme le célèbre ouvrages lyriques car la tradition de l’opéra air avec cor « Va tacito e nascosto » où César vénitien représentait l’essence même du diver- défie Ptolémée. Le personnage apparaît sous sa tissement. Elle était d’une grande efficacité repères facette plus sentimentale avec « Non è si vago » avec son mélange de registres entre tragédie et 1685 : naissance de Georg Friedrich quand il voit Cléopâtre pour la première fois, comédie et son principe de créer des contrastes Händel à Halle puis avec « Se in fiorito ameno prato » avec vio- forts entre les scènes. Elle affichait pourtant un 1711 : Rinaldo, premier opéra pour lon. certain amoralisme et un goût pour l’humour la scène londonienne Mais le personnage qui bénéficie du portrait grivois et l’érotisme qui entraient en contradic- 1712 : Händel s’installe définitivement le plus détaillé est sans aucun doute Cléo- tion avec le devoir de l’opera seria de prôner la en Angleterre pâtre. Il faut dire qu’à l’époque de Händel, il vertu. Cette atmosphère laissa son empreinte 1713 : Teseo fascinait les artistes depuis longtemps déjà. dans l’adaptation du livret de Busssani pour 1715 : Amadigi En littérature, plusieurs œuvres lui avaient le Giulio Cesare de Händel, malgré un change- 1724 : Giulio Cesare in Egitto, été consacrées, comme la tragédie Antoine et ment de ton. Tamerlano Cléopâtre de Shakespeare (qui est peut-être La modernisation de ce livret fut confiée à 1725 : Rodelinda restée l’œuvre littéraire la plus célèbre sur le Nicola Haym, compositeur, librettiste et ges- 1733 : Orlando sujet) ou la tragédie Cléopâtre captive (1553) du tionnaire aux multiples talents engagé par la 1735 : Ariodante et Alcina poète et dramaturge français Etienne Jodelle, Royal Academy, et il est probable que Händel 1741 : Deidamia, dernier opéra membre de la Pléiade. À la fin du xviie siècle, lui-même ait participé au travail de réécriture. de Händel le personnage connaissait déjà une telle noto- Haym conserva la trame principale du livret de 1759 : mort de Händel à Londres riété que certaines personnalités mondaines se Bussani tout en resserrant l’action avec moins mai 2022 cadences 5
dossier 5 questions à… Gaëlle Arquez Au Théâtre des Champs-Élysées, la mezzo-soprano Gaëlle Arquez interprète pour la première fois faisaient représenter en Cléopâtre par des por- le rôle-titre de Giulio Cesare. traitistes, comme le fit la princesse de Condé. En musique, peu avant le Giulio Cesare hän- C. : Quelle est la plus grande difficulté du rôle ? délien, Johann Mattheson composa l’opéra Die G. A. : Giulio Cesare un rôle long et relative- unglückselige Cleopatra, Königin von Egypten ment grave, plutôt chanté par des contre-ténors oder Die betrogene Staats-Liebe. Händel, ami ou des contraltos quand ce sont des femmes. du compositeur, en avait d’ailleurs assuré la C’est là que se situe le challenge pour moi partie de clavecin en 1704. car il faut développer une endurance dans un Bien naturellement, le Saxon octroya lui aussi registre où d’habitude je ne fais que passer. Ce au personnage de Cléopâtre une place de tout n’est pas ma zone de confort. Heureusement premier plan dans son opéra, même si le rôle- le Théâtre des Champs-Elysées est une maison titre était Jules César. Tout comme celle de dans laquelle je me sens très bien, c’est très Shakespeare, sa Cléopâtre est un personnage à familial, et l’équipe artistique est idéale. Ce © Julien Benhamou plusieurs facettes. Outre son rôle de séductrice sont de bonnes conditions pour relever le défi ! et de femme fatale, elle se caractérise aussi par C. : Comment se passe la collaboration avec ses ambitions politiques. Ses très nombreux les autres artistes de la production ? airs nous donnent un large aperçu de son ca- G. A. : C’est une production intéressante car ractère : le sensuel « V’adoro pupille » où elle il s’agit d’une prise de rôle pour tous les chan- tente de charmer César, le « Se pietà » plein Cadences : Diriez-vous que Händel est un teurs, ce qui est assez rare, et Philippe Jaroussky de désespoir face à la volonté de son frère de répertoire de prédilection pour vous ? en est aussi à ses débuts côté direction. Cela tuer le consul dont elle est finalement tombée Gaëlle Arquez : Händel devient un répertoire crée une énergie particulière. On découvre amoureuse, le « Piangerò » douloureux mais de prédilection pour moi. J’ai toujours aimé sa cette œuvre tous ensemble et nous n’avons pas digne quand elle apprend que son frère veut musique, mais je dois dire que ce sont essen- d’habitudes qu’on aurait envie de coller dessus. la jeter en prison, ou encore l’euphorique « Da tiellement les théâtres et les chefs qui m’ont L’équipe est jeune, et je sens une super émula- tempeste » face à sa victoire finale… sollicitée pour que j’en chante, l’initiative venait tion qui est porteuse pour tout le monde. Il est Les autres personnages sont définis eux aussi d’eux plus que de moi. Ils ont tout de suite vu très agréable aussi de travailler avec un chef qui par des caractères marqués. Les airs de Sesto dans cette musicalité et dans cette vocalité un est chanteur, car on parle le même langage. Phi- sont emplis essentiellement de la fougue de matériel dans lequel je pouvais me développer. lippe a déjà chanté cette œuvre de nombreuses la jeunesse et d’envies de vengeance. Ceux de J’ai découvert le plaisir de gouter à ces lignes fois donc il sait comment gérer l’endurance Tolomeo se démarquent par leurs rythmes et mélodiques, qui sont du velours pour la voix qu’elle demande. C’est une épaule sur laquelle leurs sauts qui soulignent la violence du per- et en même temps un feu d’artifice. Händel on peut s’appuyer. sonnage, excepté le « Belle dee » qui laisse déroule un tapis sonore sur lequel le chanteur entrevoir sa tendance à la luxure. Ceux de Cor- peut prendre appui. C. : Vous allez chanter à l’automne La Cene- nelia nous plongent au cœur de la tragédie, en rentola de Rossini et Carmen de Bizet à C. : C’est la première fois que vous inter- prenant la forme de lamentations déchirantes l’Opéra de Paris. Comment envisagez-vous prétez Giulio Cesare. Comment voyez-vous évoquant son destin, comme « Priva son » au ces productions ? le personnage ? début de l’opéra. G. A. : J’ai vraiment hâte. Carmen est un rôle G. A. : On imagine souvent Jules César comme Quelques mois après Giulio Cesare aurait lieu que j’ai déjà beaucoup chanté, au Covent Gar- un personnage très imposant et impressionnant. la création de Tamerlano, puis en 1725, celle den, à Munich ou Madrid par exemple, mais très Pourtant quand on regarde de livret, le person- de Rodelinda. Bien que très différentes les unes peu face au public français qui est finalement nage subit l’action plus qu’il ne la mène. Il a des autres, les trois œuvres figurent parmi le plus difficile à convaincre dans cette œuvre déjà un certain âge au début de l’histoire, et il les plus grandes réussites de Händel. Dans la peut-être. Quant à Rossini, c’est un répertoire va se faire assassiner seulement 4 ans après. Il seconde moitié du xviiie siècle, Giulio Cesare qui est arrivé petit à petit pour moi et j’ai envie y a quelque chose de touchant à voir cet empe- s’éclipsa peu à peu au profit d’autres œuvres, de pouvoir le chanter longtemps. Cette saison reur et sa légende sur le déclin. Je pense qu’il jusqu’à être presque oublié. Comme pour les j’ai chanté l’Italienne à Alger lors de mes débuts faut développer le côté humain du personnage autres opéras du compositeur, il fallut attendre à la Scala, et avoir interprété un rôle-titre italien et ses fragilités. Pour la mise en scène, Damiano le xxe siècle pour que le milieu musical se devant un public italien dans cette salle emblé- Michieletto met en avant le rapport à la mort penche dessus de nouveau. Aujourd’hui il est matique me donne confiance pour la suite. qui hante César et ce sera le fil conducteur de pourtant l’un des opéras les plus célèbres et les tout l’opéra. • propos recueillis par E. G. plus joués du compositeur. • Élise Guignard 6 cadences mai 2022
dossier Sibelius le symphoniste La Septième Symphonie et Tapiola sont les deux dernières Ses nombreux voyages favorisèrent la diffusion grandes œuvres orchestrales de Sibelius. Elles de sa musique. Il dirigea lui-même nombre de ses œuvres et ses tournées lui permirent de parachèvent une production profondément personnelle, mieux connaître la musique de ses prédéces- une des des plus riches et originales du début du xxe siècle. J seurs et de ses contemporains. Il rencontra Strauss, Dvořák, Debussy, Mahler. Busoni fut ean Sibelius est au- son ami pendant plus de 30 ans. jourd'hui reconnu comme l'un des plus grands symphonistes Vers un langage du début du xxe siècle. Si son personnel catalogue comporte plus de cent numéros d'opus, sa noto- riété repose sur une vingtaine d'œuvres : ses sept symphonies D ans le foisonnement musical du début du xxe siècle, Sibelius traça sa route sans concession. Plusieurs de ses compositions et ses poèmes symphoniques, s'inspirent de l'épopée nationale finlandaise, auxquels il faut ajouter le cé- le Kalevala. C'est le cas de la Suite de Lemmin- lèbre concerto pour violon. kaïnen, qui rassemble 4 poèmes symphoniques Né en 1865, Sibelius fut pro- colorés, dont l'envoûtant Cygne de Tuonela. pulsé dès 1892 au rang de Ses deux premières symphonies, composées compositeur national finlan- au tournant du siècle, subissent encore une dais avec la création de sa certaine influence du romantisme germanique grande symphonie Kullervo, et à un degré moindre, des Russes. © D.R. acte fondateur qui marqua la La Troisième (1907) marque un tournant déci- naissance de la musique fin- sif vers un langage plus personnel, caractérisé noise moderne, à une époque où la Finlande, Le compositeur finlandais par la concentration du discours, une écono- alors grand-duché de l'Empire russe, avait Jean Sibelius a marqué mie de moyens et des innovations de forme. besoin d'affirmer son identité et de lutter pour de son empreinte la Son remarquable troisième mouvement com- préserver son autonomie. musique symphonique bine, en moins de dix minutes, scherzo et finale Compositeur national ne signifie pas que Sibe- du début du xxe siècle. dans une progression inexorable vers le som- lius composa dans l'isolement une musique met terminal. Sibelius le définit comme une exotique. Au contraire, sa musique est uni- « cristallisation d'idées à partir du chaos ». verselle et Sibelius fut « plus cosmopolite que Alors que la Troisième est tournée vers l'exté- la plupart de ses détracteurs ». De 1890 à 1931, rieur, la Quatrième symphonie en la mineur, il fit 41 voyages à l'étranger. Berlin fut la ville une des œuvres les plus audacieuses de Sibe- où il séjourna le plus. On le vit à Munich, à lius, a un caractère introspectif. Son langage Bayreuth, à Vienne où il découvrit Bruckner. aphoristique, son orchestration austère et sa Il voyagea en Italie, où il commença la compo- 11 & 12 mai – Philharmonie forme apparemment insaisissable en dérou- sition de la Deuxième symphonie et de Tapiola. Orchestre de Paris, P. Järvi (direction) tèrent plus d'un ! Pourtant sa construction, Il fit 5 séjours en Angleterre, de 1909 à 1921, et Sibelius, Symphonie n° 7 parfaitement maîtrisée, illustre des principes autant à Paris, où il vint pour la première fois énoncés un peu plus tard par Sibelius : « Je 24 juin – Maison de la Radio lors de l'Exposition universelle de 1900. Il alla Philharmonique de Radio France, H. Lintu pourrais comparer la symphonie à un fleuve. en Russie et bien sûr, dans les pays scandinaves (direction) Elle naît d'une multitude de petits ruisseaux qui voisins. Il se rendit aux États-Unis en 1914. Sibelius, Tapiola se cherchent l'un l'autre, et ainsi le fleuve se di- 8 cadences mai 2022
paris © Veikko Kähkönen © Kaupo Kikkas rige large et puissant vers la mer »... Paavo Järvi (à gauche) première apparition de ce thème en ut majeur, Les œuvres suivantes prirent un tour plus cha- dirigera l’Orchestre de laisse présager un long développement. On as- toyant, sans pour autant céder à la simplifica- Paris et Hanno Lintu siste au contraire à une accélération du tempo, tion. En 1914, Sibelius fut invité aux États-Unis le Philharmonique mais aussi du temps lui-même. Le thème de pour y créer Les Océanides, poème sympho- de Radio France. trombones revient en ut mineur dans le pas- nique d'une grande séduction sonore qui nous sage central, plus sombre et dramatique, après entraîne avec les nymphes dans les profon- un premier épisode rapide. Il s'interrompt deurs de l'océan. pour laisser la place à une nouvelle partie ra- De toutes ses symphonies, la Cinquième est celle pide, plus détendue. Il revient, de nouveau en qui lui donna le plus de mal. Il mit quatre ans à majeur, au début de la grande ascension qui la mener à bien, de 1915 à 1919, et elle connut précède la conclusion. La Septième laisse une trois versions successives. Son premier mouve- impression de grandeur et de sérénité. ment concilie une grande complexité formelle Cette sérénité devait voler en éclat, deux ans et une remarquable spontanéité expressive. Il plus tard. Au début de 1926, Sibelius reçut une enchaîne magistralement des épisodes variés, commande de la « Symphony Society » de New préfigurant le mouvement unique de la Sep- York pour un poème symphonique. Il se mit à tième. Le finale triomphant fut inspiré à Sibe- la composition de Tapiola au printemps en Ita- lius par les cris de cygnes en vol qui l'avaient repères lie, l'acheva à l'automne et l'œuvre fut créée le émerveillé. 26 décembre à New-York. 1865 Naissance de Jean Sibelius Quatre ans devaient s'écouler jusqu'à l'achève- Tapiola signifie la demeure de Tapio, divinité le 8 décembre à Hämeelina ment en 1923 de la Sixième symphonie, fort dif- suprême de la forêt dans la mythologie fin- 1885-89 Études musicales à Helsinki férente de la précédente. Tout en demi-teinte, landaise. On peut dépeindre le déroulement 1892 Symphonie "Kullervo" ; évitant les extrêmes, elle fait un usage subtil épouse Aino Järnefelt (1871-1969) dont de Tapiola comme une lente accumulation de la modalité, possède un grand pouvoir évo- il eut six filles de tension débouchant sur un cataclysme qui cateur et illustre à merveille cette phrase du 1896 Suite de Lemminkaïnen s'achève dans le calme de la mort. L'accumu- musicien : « tandis que d'autres compositeurs (révisée par la suite) lation résulte notamment de la répétition vous livrent toutes sortes de cocktails, je vous 1899 Première symphonie lancinante du premier thème, qui parcourt sers quant à moi une eau froide et pure ». 1902 Deuxième symphonie ; la partition tout entière. Et c'est au moment En Saga où la musique semble s'éteindre que surgit la Les deux derniers 1904 Installation à Ainola, au nord d'Helsinki, avec sa famille première explosion martelée des cuivres, sui- vie peu après d'un déchaînement sauvage de chefs-d'œuvre 1905 Concerto pour violon l'orchestre. Ensuite, il n'y a plus de repos : la 1907 Troisième symphonie musique devient instable et agitée et on assiste L a Septième symphonie fut créée à Stocholm en mars 1924. Elle présente la singularité d'être en un seul mouvement, d'un peu plus de 1911 Quatrième symphonie 1913 Luonnotar, pour soprano à une succession de flux et de reflux saisis- sants. Après un dernier sursaut des cordes hur- lantes dans les hauteurs, Tapiola se clôt dans et orchestre vingt minutes. Ce bloc enchaîne plusieurs épi- 1914 Les Océanides un calme apparent. sodes contrastés, de durées différentes, avec 1919 Cinquième symphonie L'écoute de Tapiola ne laisse pas indemne. des changements brusques de tempo et d'at- 1923 Sixième symphonie La forêt de Tapio est inquiétante, terrifiante mosphère. L'unité architecturale en est assurée même. Aucun humain ne s'y trouve. Le calme 1924 Septième symphonie par un grand thème lent et solennel des trom- final n'a rien de rassurant. Tapiola fut suivi 1926 Tapiola bones qui intervient à trois reprises. Le pre- d'un silence de trente ans. Peut-on reprocher 1957 Sibelius meurt le 20 septembre mier épisode lent, le plus long, qui après une à Ainola au compositeur de s'être tu sur ses chefs- admirable polyphonie de cordes, aboutit à la d'œuvre? • Pierre Verdier mai 2022 cadences 9
les concerts du mois Coup de cœur Christine Goerke, soprano György Kurtág Strauss, Elektra Du 10 mai au 1er juin (Opéra Bastille) Fin de partie, opéra en un acte Tragédie en un seul acte de Richard Jusqu'au 19 mai (Palais Garnier) Strauss adaptée de la pièce du poète viennois Hugo von Hofmannsthal, Elektra est toujours un choc pour le spectateur par sa violence extrême et ses audaces. La superbe mise en scène de Robert Carsen fait briller l’œuvre © D.R. dans toute sa noirceur. Dans le rôle- titre qu’elle connait déjà bien, Chris- tine Goerke est impressionnante par sa puissance aussi bien vocale que dramatique, avec un souffle qui semble infini. La soprano américaine est sans aucun doute l’une des Elektra les plus marquantes de ces dernières années. Stéphanie d’Oustrac, mezzo Offenbach, La Périchole Du 15 au 25 mai (Opéra Comique) © D.R. Avec La Périchole, le comique et la Les monstres sacrés du xxe siècle auront décidément eu dérision chers à Jacques Offenbach maille à partir avec l’opéra, dont les impératifs artistiques s’entourent d’un lyrisme nouveau, comme sociaux leur auront donné du fil à retordre. Comme narrant l’histoire tourmentée d’une Eliot Carter (dont le seul ouvrage « lyrique », What Next ?, chanteuse des rues accablée par la © Perla Maarek a vu le jour alors qu’il avait 89 ans), György Kurtág aura misère. Le personnage est inspiré attendu l’âge de 92 ans pour voir naître son premier opéra. d’une chanteuse et actrice péruvienne Ce fut Alexander Pereira, alors directeur du Festival de bien réelle, Micaëla Villegas qui était Salzbourg, qui passa commande au vénérable maître, sans appelée « la perra chola » et à laquelle que l’entreprise se concrétise en Autriche. Devenu inten- Mérimée s’était intéressé pour sa comédie Le Carrosse du dant de la Scala de Milan en 2014, le même Pereira remit Saint-Sacrement. La merveilleuse Stéphanie d’Oustrac incarne obstinément le projet en chantier mais Fin de partie ne le personnage dans une mise en scène de Valérie Lesort et sous connut finalement sa création milanaise qu’en novembre la direction de Julien Leroy. 2018, dans une mise en scène de Pierre Audi, reprise main- Patricia Petibon, soprano tenant au Palais Garnier avec la même distribution et le même chef. On comprend le défi que devaient constituer, pour un maître de la miniature et du raccourci musical, les méandres d’un ouvrage lyrique, sans compter que György Vivaldi, Händel, Mozart… Kurtág a grandi dans le contexte d’une remise en question Le 15 mai (Philharmonie) de l’opéra. Sans surprise, il s’est tourné vers un auteur dont Encensée par William Christie dès ses il fréquentait la plume depuis sa jeunesse, Samuel Beckett. débuts, Patricia Petibon a toujours Kurtág s’empara lui-même de Endgame pour le condenser brillé dans le répertoire baroque, à sa manière (et en français). qu’il soit français ou italien, et lui a © Bernard Martinez Peut-on parler d’intrigue ? Hamm est un vieil homme confi- d’ailleurs consacré plusieurs albums né dans un fauteuil roulant, aidé par un serviteur, Clov, qui salués par la presse. Forte de sa voix lui est incapable de s’asseoir. Les parents de Hamm, Nagg et étincelante et d’un tempérament pas- Nell, sont eux cul-de-jatte et se sont réfugiés dans des pou- sionné qui lui vaut une présence scé- belles. Aucun de ces personnages n’est capable de suppor- nique remarquable, elle propose dans ter les autres. Sur ce théâtre de l’absurde (Beckett récusa ce récital un florilège d’airs baroques (Vivaldi, Purcell, Händel, toutefois cette étiquette), György Kurtág nous offre l’épure Rameau…) mais aussi classiques (Gluck et Mozart). Elle est en- musicale qui caractérisa toute son œuvre antérieure, avec tourée de ses amis de longue date, le chef Andrea Marcon et La des textures aériennes presque chambristes. Cetra Barockorchester, avec qui elle a déjà si souvent collaboré pour des concerts ou des disques. Succès garanti ! 10 cadences mai 2022
paris Cristian Măcelaru, direction Manoury, Lalo, Debussy Les 18 & 19 mai (Maison de la Radio) Cristian Măcelaru est le direc- teur musical de l’Orchestre National de France depuis sep- tembre 2020 et la lune de miel semble vouloir durer éternelle- ment, pour le plus grand bon- heur des mélomanes parisiens. Ce mois de mai en donnera une © Sorin Popa illustration très attendue. Le concert du 18 mai pour- rait être considéré comme un préambule de celui du lendemain. À la tête de sa formation, épaulé par la présentatrice Émilie Munera, Cristian Măcelaru y détaillera pour le jeune public les merveilles de la Sympho- nie espagnole d’Édouard Lalo, œuvre qu’il reprendra le 19 mai avec, cette fois, États d’alerte de Philippe Manoury et La Mer de Debussy. On connaît l’amour du chef roumain pour le réper- toire français, qu’il aborde avec une maestria alliant précision, énergie et lyrisme, n’hésitant pas à adopter des tempi larges qui lui permettent de sculpter la matière sonore et le discours musical. Signalons qu’il a signé, avec l’Orchestre National, une intégrale des symphonies de Saint-Saëns absolument remar- quable pour Warner Classics. Avec Augustin Hadelich au vio- lon, la Symphonie espagnole devrait être, sous sa baguette, aus- si parfaite dans la construction qu’enivrante – tout en restant DU 1ER AU 3 JUILLET 2022 élégante, naturellement – dans son déhanché ibérique. Quant Marraine : Martha Argerich à La Mer, gageons qu’elle miroitera de mille scintillements, des reflets les plus impalpables au tutti le plus glorieux, grâce aux couleurs proverbiales du National. 3 JOURS Cerise sur le gâteau, il se pourrait que, le 18 mai, Cristian Măcelaru se saisisse de son violon pour rejoindre son violon 14 CONCERTS solo, Sarah Nemtanu. Un musicien jusqu’au bout des ongles ! 200 MUSICIENS Adèle Charvet, mezzo Antoine Palloc, piano www.lesetoilesduclassique.fr Le 31 mai (Salle Gaveau) La jeune mezzo française poursuit son ascension du milieu musical, char- mant public et critiques par sa voix au timbre suave et chaleureux. À l’aise © Marco Borggreve aussi bien dans le répertoire opéra- tique (Carmen, Rosina, Mélisande, Idamante…) que dans celui plus inti- miste de la mélodie et du Lied (elle a enregistré un album de mélodies anglaises avec la grande Susan Manoff), explorant les époques avec une curiosité insatiable, elle se produit dans les projets les plus variés sur les plus grandes scènes européennes et dans les festivals les plus en vue. Avec la complicité du pianiste Antoine Palloc, elle montrera toute l’étendue de son art. mai 2022 cadences 11
portrait Beatrice Rana les couleurs du piano beatrice rana illumine le monde pianistique par son jeu ressenti le besoin d'aborder davantage Debus- gorgé de couleurs méditerranéennes que permet une sy, mais s’est alors posée la question de savoir quelle œuvre choisir. C’est un parcours qui est virtuosité infaillible, mais aussi par une personnalité toujours long, que je déteste d’un côté, mais que rayonnante qui transparaît dans chacune de ses j’adore de l’autre ». Que les debussystes se ras- interprétations. rencontre avec un véritable soleil. surent, Beatrice Rana a tranché et ils pourront bientôt admirer des lectures miraculeuses. Le 14 mai – Philharmonie Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks Donner la parole Y. Nézet-Séguin (direction). Clara Schumann, Concerto pour piano à Clara Schumann À la Philharmonie de Paris, Beatrice Rana vient réparer une injustice, avec le très rare Concerto pour piano de Clara Schumann, pour elle une vieille connaissance : « J’ai tou- jours été transportée par ce personnage. Nous connaissons tous son mari, Robert, dont je joue si souvent la musique, mais Clara a toujours figuré parmi mes sujets d’études préférés. Depuis que je suis petite, je lis le journal intime des Schumann, © Simon Fowler journal qu’ils ont commencé un jour après leur mariage et dans lequel ils décrivent notamment leur vie quotidienne. La personne de Clara me faisait rêver parce qu’elle était tellement talen- du tac au tac E tueuse et intelligente, elle avait tant d’intuitions, lle aborde tous les compositeurs, Quel est votre bruit préféré ? Celui d’idées, de connaissances également. Elle a été toutes les partitions, avec le même et de la mer. la première femme pianiste à faire carrière. Et suprême bonheur – et une gourman- Le compositeur que vous voudriez elle l'a faite tout en apportant son soutien à son dise contagieuse. Pourtant, décider de défendre ? Je ne peux pas mari dans sa vie de compositeur et en prenant son répertoire constitue une épreuve cruelle répondre, c'est comme soin de sa famille, c'est incroyable. Si elle avait demander à une mère pour Beatrice Rana, : « Il est très difficile de vécu à notre époque, elle aurait certainement pu de choisir parmi ses enfants. choisir parce que les possibilités sont immenses. accomplir bien plus de choses et pour cette rai- Votre œuvre pour une île déserte ? Il y a tellement de musiques à jouer, ou que nous La Symphonie n° 4 de Brahms. son, je trouve qu’il est très important de jouer aimerions jouer, mais il est bien sûr impossible Le compositeur que vous voudriez son concerto pour enfin lui donner la parole ». de tout faire à un bon niveau. Pour moi, c’est une défendre ? À part Clara Derrière le personnage historique, il y a bien tâche très fatigante de décider du répertoire. Il Schumann, Sergueï Tanaïev. sûr la musique : « La partition est pour moi très y a pire, un organisateur va me demander un Votre livre préféré ? Le Clavier bien exigeante car elle était un grand virtuose du programme deux ans à l’avance. C’est donc une Tempéré de Bach, j'y retourne piano. Le concerto est très intéressant dans sa double peine : il me faut non seulement choisir, continuellement. structure qui montre que Clara n’était pas une mais également choisir deux ans à l’avance ! Di- La personnalité qui vous inspire ? musicienne talentueuse « standard », mais au Martha Argerich, mon idôle sons simplement que je choisis la musique dans contraire désirait étudier, explorer les formes. depuis que je suis enfant. laquelle je me sens confortable. J’essaie aussi Le concerto comporte trois mouvements tous Si vous deviez vous réincarner ? Un de prendre un compositeur dont je peux appro- connectés et le thème du premier mouvement oiseau, pour pouvoir voler. fondir la musique. Par exemple, l’an passé, j’ai irrigue aussi les deux autres, dans une concep- 12 cadences mai 2022
en couverture je veux ! Pour parler plus sérieusement, je ne saurais pas vraiment décrire l’école italienne mais je peux dire que, pour nous pianistes ita- liens, l’opéra est très important et chanter est un élément fondamental de notre vie. Je viens d’un village du sud de l’Italie dont chaque habi- tant connaît l’opéra. D’une manière ou d’une autre, j’insuffle dans le piano, dans la salle de concert, cette éducation du chant, du belcanto ». Elle saisit au bond l'occasion de remettre quelque peu les pendules à l'heure : « Dans les autres pays, quand les gens pensent à l’Italie, ils pensent immédiatement à la créativité, mais 3 CD pas forcément à la précision. Mais lorsqu’on © Simon Fowler écoute Michelangeli ou Pollini, on constate une technique parfaite au service de la musique, il y a même une certaine façon scientifique de l’aborder. Ce que j’ai toujours admiré chez ces maîtres, c’est leur capacité à obtenir n’importe tion très moderne de la musique. Je reste sans quelle couleur avec un vocabulaire très précis voix de constater qu’elle a écrit tout cela à l'âge dans le geste. Je ne sais pas si on peut appeler de 14 ans ! La chose la plus difficile, ce sera Johann Sebastian Bach cela l’école italienne ». Sur les ailes du chant se Variations Goldberg l’équilibre avec l’orchestre, pour qui ce concerto 1 CD Warner Classics déploie donc cet autre art, que l'école transal- sera un défi. Clara n’avait sans doute pas encore pine partage avec sa sœur française : « Il y a assez d’expérience dans l’écriture orchestrale, évidemment des différences mais nous, Italiens et a demandé l’aide de Robert. Par exemple, et Français, aimons la couleur, nous sommes dans le deuxième mouvement, il y a seulement des pays cousins. Bien sûr, nous avons Puccini un violoncelle solo, car la musique de chambre et Verdi, alors que la France a Debussy et Ravel était très importante à cette époque. Mais avec mais à bien réfléchir, Puccini et Debussy ne sont Yannick Nézet-Séguin, tout va parfaitement se pas si éloignés l’un de l’autre ». L'amour que Frédéric Chopin passer, c’est une certitude ». lui portent les mélomanes français relève, en Études op. 25, 4 Scherzi. 1 CD Warner Classics quelque sorte, d'un élan naturel. Une éducation Il est toutefois une qualité qui transcende les frontières, qu'elle a apprise auprès de son du belcanto maître Benedetto Lupu : « Ce qu’il m’a apporté de plus précieux, c’est l’honnêteté, à la fois en- À l'entendre aborder de façon souveraine aussi bien le romantisme allemand, Chopin que Bach ou Ravel, on en oublierait vers la musique, envers moi-même et envers le public. Parfois, on se dit que le public va nous ai- mer encore plus si l’on fait ceci ou cela, mais on Piot Ilitch Tchaïkovski qu'elle est italienne. Existe-t-il une école ita- Concerto n° 1 ; Prokofiev, n'est plus honnête envers la partition. À d’autres lienne du piano ? Beatrice Rana le pense mais Concerto n° 2. moments, on cherche à être honnête avec la par- avoue, avec humilité et humour, la difficulté Orchestra dell'Accademia tition, mais alors on fait quelque chose que l’on qu'elle éprouve à la décrire : « Je me sens Nazionale di Santa Cecilia, ne ressent pas au plus profond de soi. Il est très spécialement italienne quand je suis à l’étran- A. Pappano (direction). difficile de concilier ces trois types d’honnêteté ». • Yutha Tep 1 CD Warner Classics ger et que je ne peux pas avoir les pâtes que mai 2022 cadences 13
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