REFORME DE LA PAC 2013: REGARD CRITIQUE SUR LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION - Mai 2012

La page est créée Michaël Breton
 
CONTINUER À LIRE
REFORME
        DE LA PAC 2013:

  REGARD CRITIQUE
SUR LES PROPOSITIONS
  DE LA COMMISSION

Louise Knops, Assistante parlementaire et chercheuse-associée à étopia

                             Mai 2012

                            www.etopia.be
111111                                                                   Page 1 sur 16

Ta ble d e s ma t ièr es

Introduction                                                             p2

1. Moteurs et calendrier de réforme                                      p2

   1.1. Pourquoi 2013 ?                                                  p2

   1.2. De la consultation à la co-décision                              p3

2. Une réforme à la hauteur de nos attentes ?                            p7

   2.1. Une communication pleine d’espoir                                p7

   2.2. Des propositions législatives décevantes                         p8

         2.2.1.   Les propositions à la lumière de nos recommandations   p9

         2.2.2.   Les contre-propositions des écologistes                p 14

3. Conclusion et perspectives futures                                    p 16
222222                                                                                               Page 2 sur 16

In t ro d u c t io n

Si l'agriculture ne représente qu'un faible pourcentage du PIB de l'UE, elle fournit néanmoins de
l'emploi à près de 40 millions de citoyens européens1 et couvre près de la moitié du territoire de l'UE, ce
qui la place au rang de principale gestionnaire de nos ressources naturelles. Par ailleurs, l'agriculture
revêt une importance cruciale pour la vitalité de nos zones rurales et joue un rôle social majeur en
matière de santé publique. Enfin, c'est elle qui répond à l'un de nos besoins humains les plus
fondamentaux – l’alimentation. Pour toutes ces raisons, et parce que le modèle agricole dominant nous
conduit droit dans le mur, les enjeux liés à la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) en 2013
sont colossaux. Cette réforme nous donne l'opportunité d'inverser la tendance et de changer de cap
comme en appelle José Bové dans son dernier ouvrage2.

1     Mo t eu rs et c a len d rier d e la réfo r me

1.1    Pourquoi 2013 ?

La réforme de la PAC se dessine parallèlement aux négociations sur le budget de l'UE pour la prochaine
période financière, 2014-2020. Cette concordance de calendrier n'est pas une coïncidence; le premier
débat étant hautement conditionné par le second. En effet, qui dit remaniement budgétaire, dit
opportunité de rebattre les cartes d'une politique que l'on critique souvent pour son conservatisme et sa
"dépendance au sentier"3. Opérer une "grande" réforme de la PAC (par opposition à certaines réformes à
mi-chemin d'une période financière, comme le bilan de santé en 2008) en même temps que la
redéfinition de son budget n'est donc pas un hasard.

La pression budgétaire est identifiée par les spécialistes des politiques publiques comme un moteur de
changement, pouvant provoquer des réformes substantielles. Ceci est d'autant plus vrai pour la PAC
qui représente encore aujourd'hui près de 40% du budget total de la l'UE. Une part budgétaire qui, en
plein contexte d'austérité, est de plus en plus difficile à justifier aux yeux du contribuable. Malgré la
forte promiscuité entre ces deux débats, la dimension budgétaire n'est pas la seule à conditionner la
réforme de la PAC. D'autres facteurs institutionnels, politiques et socio-économiques en influencent
également la portée. Parmi les plus importants on notera: l'extension de la co-décision4 à la PAC, la
participation des 12 nouveaux Etats Membres à la réforme, l'envolée des prix des denrées alimentaires,
la demande croissante en provenance des pays émergents, la volatilité des marchés, la baisse inexorable
du nombre d'agriculteurs en Europe, le changement climatique et la raréfaction des ressources, l'érosion
génétique etc. Autant de facteurs que la réforme de la PAC ne pourrait ignorer.

1
  Chiffre donné par la fédération des agriculteurs européens, principal et plus puissant lobby agricole à Bruxelles, le
COPA-COGECA. (Cfr COPA-COGECA, The reaction of EU farmers and Agri-cooperatives to the Commission's legislative
proposals)
2
  J.BOVE, G.LUNEAU , Changeons de cap, changeons de PAC! Vers une agriculture paysanne au service des citoyens, Editions
Alternatives, Paris, 2012
3
 Le concept de "dépendance au sentier", path dependency, est souvent utilisé en sciences politiques pour décrire l'inertie et
la résistance au changement de la PAC.
4
   Le Parlement européen est à présent co-législateur, c’est-à-dire qu’il a le pouvoir d’amender officiellement, les
propositions de la Commission, au même titre que le Conseil des Ministres. Dans le passé, la réforme de la PAC était
principalement le résultat de négociations entre la Commission et le Conseil.
333333                                                                                           Page 3 sur 16

1.2       De la consultation à la co-décision

- Avril 2010: une première étape importante du débat fut franchie à l'ouverture de la Grande
Consultation Publique, lancée par le Commissaire européen en charge de l'Agriculture et du
Développement Rural, le Roumain Dacian Ciolos. Cette consultation avait pour but d'éclairer le
Commissaire sur les enjeux principaux de cette réforme et de lancer les premières pistes de
transformation. Ce fut un grand succès, aussi bien du point de vue de la méthode, en misant sur une
approche de concertation, que sur le fond, étant donnée la place prioritaire accordée au lien agriculture-
environnement, à la diversité intrinsèque de l’agriculture européenne et à la sécurité alimentaire, définie
sur base du rapport de O. De Schutter5:

La sécurité alimentaire ce n’est pas seulement l’approvisionnement ou la disponibilité des aliments, c’est aussi (…)
l’accessibilité pour tous à une alimentation saine. (…). L’Europe serait à la hauteur de son ambition et la PAC à la
hauteur de ses missions si nous faisions que cette accessibilité soit assurée pour tous les Européens6.

Articulées autour de quatre points clés, les attentes des citoyens vis-à-vis de la nouvelle PAC furent au
cœur de cette consultation:

      o    Une offre alimentaire saine et sûre.
      o    La garantie d'une utilisation durable des terres.
      o    Des activités qui soutiennent les communautés et les régions rurales.
      o    La sécurité de l'approvisionnement alimentaire7.

En jetant un regard rétrospectif sur cette consultation, José Bové commente en 2012:

On croit rêver (...). Personne n'a demandé le renforcement de la compétitivité des entreprises de l'agroalimentaire,
personne n'a réclamé le développement des biotechnologies "pour lutter contre la faim dans le monde" et personne
n'a revendiqué la mise en place d'une agriculture duale avec les agri-managers d'un côté et les petits paysans aux
fermes chancelantes de l'autre. Visiblement les lobbies de l'agro-industrie ont boudé la consultation
démocratique...8.

En guise de clôture de la consultation, le Commissaire Ciolos organisa une grande conférence en juillet
2010, réunissant acteurs politiques, citoyens, représentants de l'industrie et acteurs de la société civile,
toutes sensibilités confondues, et visant à synthétiser quelques messages clés véhiculés tout au long de
la consultation. A l'issue de cette conférence, l'espoir était de mise également, tant les points saillants de
cet événement étaient en ligne avec nos revendications.

5
  Rapport sur le droit à l’alimentation, http://srfood.org/index.php/fr/right-to-food
6
  B. HERVIEU, La PAC post 2013 – Conférence sur le débat public, Bruxelles, 19-20 Juillet 2010.
http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/conference/index_fr.htm
7
  J.BOVE, G.LUNEAU, Changeons de cap, changeons de Pac : Vers une agriculture paysanne au service des citoyens, Editions
Alternatives, 2012, p.167.
8
  Ibid., p.168.
444444                                                                                                         Page 4 sur 16

Sur le volet environnemental, la conférence dédia une place importante au concept de « biens publics »,
le successeur de la « multifonctionalité » que l’on a souvent utilisé au fil des réformes de la PAC pour
décrire la pluralité de fonctions remplies par l’agriculture, mais aussi pour justifier la maintenance des
paiements directs9 dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Aujourd’hui, la prise de conscience que l’agriculture produit des biens d’intérêt public, non rétribués
par le marché (tels que des services environnementaux ou écosystémiques) gagne en crédibilité au-delà
des sphères écologiques, comme en témoigne le discours de clôture de cette conférence publique (juillet
2010):

L’intérêt de la PAC en tant que soutien à la production de biens publics est énorme. Dans ce contexte, quatre
questions émergent : la définition de ces biens, les critères qui conditionnent leur rémunération, la hauteur et la
nature de cette rémunération10.

Enfin, sur la diversité intrinsèque de l’agriculture européenne - diversité aujourd’hui menacée par la
dominance du modèle industriel et l’expansion des OGM – le discours en juillet 2010 était ambitieux.
Ainsi, B. Hervieu, en guise de clôture, présenta cette diversité comme un atout, et non un handicap en
termes de compétitivité, et nous invita à regarder l’Europe comme miroir ou microcosme des diversités des
agricultures du monde et non pas comme dépositaire d’un modèle standard11.

De manière générale, l'impression qu'un vent nouveau soufflait sur la DG Agriculture de la
Commission gagna du terrain et de nombreux acteurs, dont Ecolo, accueillirent favorablement cette
nouvelle impulsion.

Après cette consultation publique, plusieurs échéances importantes ont structuré le débat jusqu'à
aujourd'hui, à l'heure des négociations au Conseil des Ministres et au Parlement européen, qui, depuis
l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, possède un rôle de co-législateur (avec le Conseil des
Ministres) en la matière.

- 18 novembre 2010: Publication de la Communication de la Commission pour présenter les grandes
options potentielles de réforme12

- 23 juin 2010: la réponse du Parlement européen à cette communication, le rapport du conservateur
allemand, A. Dess. Rapport qui, après plus de 1600 amendements et un travail considérable de la part
du Groupe des Verts/ALE, conserva les éléments les plus ambitieux du texte original de la Commission

9
  Les paiements directs soutiennent les revenus des agriculteurs sans être liés à la production. (…). La réforme de la politique agricole
commune opérée en 2003 a mis en place un nouveau système de paiements directs, dénommé régime de paiement unique, qui ne lie
plus les aides à la production. Le paiement unique a pour objectif principal de soutenir les revenus des agriculteurs. En contrepartie,
ceux-ci s'engagent à respecter les normes de protection de l'environnement, le bien-être des animaux et la sécurité alimentaire et à
veiller au bon entretien des terres. Explication officielle de la Commission européenne sur le site de la DG Agriculture et
Développement Durable http://ec.europa.eu/agriculture/grants/index_fr.htm
10
   Extrait traduit du discours de clôture de A. Matthews: A.MATTHEWS, The CAP post 2013 – conference on the public
debate, Brussels 19-20 July. http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/conference/index_en.htm
11
     B. HERVIEU, La PAC post 2013 – Conférence sur le débat public, Bruxelles, 19-20 Juillet 2010.
http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/conference/index_fr.htm.
12
   Communication de la Commission,
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2010:0672:FIN:fr:PDF
555555                                                                                         Page 5 sur 16

- 29 juin 2011: publication de la proposition de la Commission pour le budget de l'UE pour la période
2014-2020. Ce texte propose un "gel" des dépenses agricoles en termes absolus: un budget total de €
371,7 milliards sur 7 ans, avec €281.8 milliards pour le premier pilier de la PAC (paiements directs et
mesures de marché) et €89.9 milliards pour le second (développement rural)13. Cette proposition
comprenait également une "fiche politique"14 annonçant déjà la couleur des propositions législatives
quelques mois plus tard.

                      Budget UE 2007-2013, comparé aux propositions pour 2014-2020

                     Budget de la PAC 2014-2020, tel que proposé par la Commission15

13
   European Commission, A budget for Europe 2020, SEC(2011) 867 final, COM(2011) 500 final, 29.06.2011, Brussels, p.17
http://ec.europa.eu/budget/library/biblio/documents/fin_fwk1420/MFF_COM-2011-500_Part_I_en.pdf
14
   Communication of the European Commission, A Budget for Europe 2020 – Part II: Policy fiches, COM(2011) 500 final,
Brussels, 29.06.2011, http://europa.eu/press_room/pdf/a_budget_for_europe_2020_-_part_ii_policy_fiches_en.pdf
15
   European Commission, A budget for Europe 2020, SEC(2011) 867 final, COM(2011) 500 final, 29.06.2011, Brussels, p.17
http://ec.europa.eu/budget/library/biblio/documents/fin_fwk1420/MFF_COM-2011-500_Part_I_fr.pdf
666666                                                                                          Page 6 sur 16

- 12 octobre 2011: publication des propositions législatives de la Commission sous la forme de 7
propositions de règlements16.

- Juin 2012 : date approximative de remise des premiers rapports du Parlement européen amendant les
propositions de la Commission. Fixer une date d'adoption de ces rapports est à ce stade très périlleux,
étant donnée l'incertitude qui règne au sein même de la Commission Agriculture du Parlement
européen (AGRI). En effet, plusieurs options ont été envisagées par les eurodéputés au cours des
derniers mois: 1) la Commission AGRI attend qu'un accord soit bouclé sur les nouvelles perspectives
financières (le budget 2012-2014) avant d'adopter ses rapports, 2) elle adopte des amendements mais pas
de rapports définitifs, 3) elle adopte les rapports avant d'entrer en négociation avec le Conseil sur le
budget de l'UE. Dans ce dernier cas de figure le vote en plénière ne se baserait que sur les
amendements, avec un vote final de la plénière après la conclusion de l'accord sur le budget de l'UE17.
C'est ce scénario qui domine actuellement sein du Parlement européen: pas de vote sur la PAC avant
celui sur le budget.

La répartition des rapports au sein des groupes politiques du PE est un élément hautement politique18.
Elle doit refléter le rapport de force au sein du Parlement, certes, mais ne devrait en aucun cas être un
instrument d’exclusion d'une famille politique en particulier. Or, c’est malheureusement le scénario
auquel nous assistons aujourd’hui. En effet, sur les 7 rapports à rédiger en réponse aux propositions de
la Commission: 3 ont été attribués à Luis Manuel Capoulas Santos du groupe socialiste (dont les deux
plus importants portant sur les paiements directs et le développement rural), et 3 au groupe
conservateur (dont le rapport sur l'organisation commune des marchés des produits agricoles). Aucun
rapport n’a donc été attribué aux Verts et aux Libéraux, les deux forces de changement au sein du
Parlement européen. Cette répartition confirme parfaitement la réputation ultraconservatrice de la
Commission AGRI, où siègent ex-ministres de l'agriculture, représentants de lobbies agricoles, et autres
acteurs résistant au changement.

- 2012 - 2013: négociations intra- et inter-institutionnelles sur le paquet législatif de la PAC post 2013.

- 1 janvier 2014: entrée en vigueur théorique de la nouvelle PAC

Notons également que des rumeurs courent actuellement à Bruxelles sur le risque de retards
irréversibles dans la procédure, qui repousseraient l'entrée en vigueur de la nouvelle PAC au 1er janvier
2015.

16
   Pour retrouver l'entièreté du paquet législatif déposé par la Commission http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-
2013/legal-proposals/index_fr.htm
17
   AGRFACTS, N°08-12, 27.01.2012
18
   Pour chaque rapport, le Parlement européen nomme un « Rapporteur » qui est chargé d’en rédiger la première version,
mais aussi de mener le processus à bien jusqu’à un accord potentiel avec le Conseil et la Commission. Le choix du
rapporteur et la répartition des rapports au sein des différents groupes politiques est donc un élément très important,
étant donnée l’influence du rapporteur (et de sa couleur politique) sur l’ensemble du processus.
777777                                                                                     Page 7 sur 16

2     U n e ré fo rme à la h a u t eu r d e n o s a t t en t es?

Il est bien entendu trop tôt pour dresser un bilan définitif de cette réforme mais la communication de la
Commission en novembre 2010 et les propositions législatives d'octobre 2011 nous permettent de tirer
quelques conclusions préliminaires.

2.1     Une communication pleine d'espoir

Le 18 novembre 2010, le Commissaire Ciolos publiait sa communication annonçant les grandes
orientations possibles pour le futur de la PAC. Ecolo avait alors salué les nouvelles perspectives
positives annoncées dans cette communication, tout en restant prudent, en particulier sur le volet de
régulation des marchés agricoles auquel il n’est fait nulle mention dans le texte de la Commission.

Il y avait pourtant de quoi se réjouir dans le discours du Commissaire Ciolos, en réelle rupture avec
celui de ses prédécesseurs. Cette rupture était illustrée notamment par l'annonce de l'abandon des
références historiques, le plafonnement des aides directes, une distribution des aides sur une base
réformée (une combinaison de critères socio-économiques et environnementaux), un recentrage et un
rééquilibrage plus équitable entre Etats mais aussi entre agriculteurs et secteurs. On y trouvait
également l'idée qu'un véritable partenariat entre agriculteurs et société devait être créé, contrastant
ainsi avec la situation de "dépendance" dont souffrent les agriculteurs aujourd’hui. Enfin, ce texte
annonçait un renforcement considérable du lien entre les aides PAC et des pratiques agricoles durables,
allant au-delà des standards minimalistes de "l'éco-conditionnalité". De manière générale, le texte faisait
état d'une plus grande prise en compte de la situation socio-économique des agriculteurs en Europe : la
mention d’un soutien aux "petites fermes", la création d'emploi au niveau local pour maintenir la vitalité
des zones rurales et la prise en compte de la notion d'agriculteurs "actifs", etc. en sont quelques
illustrations.

Ecolo avait aussi accueilli favorablement le constat dressé par le Commissaire Ciolos sur les défis du 21e
siècle, présentés comme véritables moteurs de la future PAC:

      1. Sécurité alimentaire (du point de vue de la qualité, de la quantité et de la diversité)
      2. Améliorer le rôle de l’agriculture dans la gestion durable des ressources naturelles (lien avec
         les défis du changement climatique, de la raréfaction des ressources, de la perte de biodiversité,
         etc.)
      3. Améliorer le rôle de l’agriculture dans l’équilibre territorial (cfr. cohésion sociale et territoriale)

Malgré ces avancées intéressantes, le texte présentait certaines lacunes et dérives inquiétantes.
Premièrement, on percevait déjà en filigrane une posture consensuelle motivée par une envie de « plaire
à tout le monde ». On sentait ainsi, à côté de la réelle volonté de rupture, un conservatisme prononcé,
maintenant la PAC dans sa structure actuelle en deux piliers et ne remettant aucunement en question le
cadre néo-libéral imposé par l’OMC, un facteur qui conditionne toute prise de décision en matière de
politique agricole. Deuxièmement, et en lien avec ce premier point, le texte faisait l’impasse sur la
nécessité de relocalisation des systèmes agro-alimentaires (du producteur au consommateur) en lien
avec les territoires. Par conséquent, nulle mention de l’impact de l’actuelle PAC sur les pays en voie de
développement, et du dumping qui existe encore aujourd’hui (les aides directes permettant aux
agriculteurs européens de vendre à bas prix sur les marchés internationaux).
888888                                                                                                    Page 8 sur 16

2.2    Des propositions législatives décevantes

Près d'un an plus tard, suite à la réponse du Parlement à cette communication et à la publication des
propositions pour le budget de l’UE 2014-202019, le Commissaire Ciolos publiait le 12 octobre 2011, ses
propositions législatives pour le futur de la PAC20.

A l’heure de cette publication, de nombreuses voix se sont élevées au sein de la société civile et du
monde politique pour dénoncer le caractère peu ambitieux de ces propositions et pour exprimer une
profonde déception vis-à-vis d’une réforme qui avait pourtant le potentiel de changer la donne. Que ces
propositions ne répondent pas à nos attentes écologistes est bien entendu déplorable, mais nous
pourrions nous en consoler si elles rencontraient au moins celles des citoyens européens, telles
qu'exprimées clairement durant la consultation publique de 2010 (voir plus haut). Or, comme le
souligne José Bové, la Commission a raté l’opportunité de réformer en profondeur la PAC, de lui offrir
une nouvelle légitimité, mais surtout de répondre aux défis auxquels l'agriculture est confrontée:

Dans un contexte de réchauffement climatique, d'érosion des sols, de pollution des eaux et de perte de la
biodiversité, de crise économique et sociale, les mesures présentées par la Commission européenne ne permettent
pas de garantir le potentiel productif de l'agriculture européenne sur le long terme21.

Ecolo aussi s’est exprimé pour dénoncer les différents renoncements de la Commission qui traduisaient
clairement une volonté de maintenir la PAC dans une logique de compétitivité internationale
désastreuse : si rien ne change, les paysans vont continuer à disparaître et les ressources naturelles à se
dégrader22. Un an auparavant, en septembre 2010, Ecolo s'était déjà opposé à un scénario de prolongation
de l’actuelle PAC.
Ce cas de figure catastrophique renforcerait la pression à laquelle sont soumis les agriculteurs et
l’environnement et serait loin de pouvoir répondre aux défis du 21e siècle : quoiqu'il arrive des adaptations
seront nécessaires entre 2013 et 2020, puis au-delà. Le modèle actuel n'est en tout état de cause ni stable, ni
viable23.

A cette époque aussi, Ecolo avait formulé quelques recommandations sur la voie à suivre pour engager
la transition de notre modèle agricole. Il est pertinent de revenir sur nos revendications de l’époque
pour jeter un regard critique sur les propositions de réforme, telles que publiées par la Commission le 12
octobre 2011.

19
   Les propositions de la Commission pour le budget de l'UE pour la période 2014-2020 annoncent un gel en termes
absolus des dépenses agricoles. Ces propositions sont actuellement en négociation au Conseil et au Parlement, qui,
depuis le Traité de Lisbonne, a le rôle de co-législateur sur le budget de l’UE.
20
    Pour l’entièreté du paquet législatif sur la réforme de la PAC, tel que proposé par la Commission:
http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/index_fr.htm
21
   Communiqué de Presse, Groupe des Verts/ALE, Capitulation en rase campagne !, 12.10.2011
 http://greens-efa.eu/fr/reforme-de-la-pac-4570.html
22
   Communique de Presse, Ecolo, Le Conseil européen doit se ressaisir et oser la transition de notre politique agricole, 20 octobre
2011, http://web4.ecolo.be/?Le-Conseil-des-Ministres-europeens,3716
23
   Note de Thérèse Snoy présentée au Bureau Politique, 20 septembre 2010.
999999                                                                                             Page 9 sur 16

2.2.1    Les propositions à la lumière de nos recommandations

Notre message principal est simple: la fin de tout soutien à des pratiques agricoles dont l'impact négatif
sur l'environnement, la santé publique, la cohésion territoriale et sur l'agriculture du sud est avéré.
Nous appelons donc à inverser la tendance actuelle, c'est-à-dire faire en sorte que les pratiques agricoles
durables (au sens large du terme) et la production de qualité deviennent la règle et non plus une
exception, reléguée au rang de "bonnes pratiques". Aujourd'hui, ce sont toujours les plus grosses
exploitations agricoles qui bénéficient le plus des aides de la PAC, mettant les plus petites exploitations
agricoles et l'environnement sous pression. Sur les 14 millions d'agriculteurs en Europe, 10 millions ne
touchent pas ou peu d'aides24, et une étude récente de la Commission montre que 80% des bénéficiaires
de la PAC reçoivent 20% des paiements directs25.

Nos objectifs prioritaires:

         •   La production d’une nourriture de qualité, saine et accessible à tous, et l’amélioration de la
             santé publique ;
         •   Le maintien d'exploitations sur tout le territoire et la création de nombreux emplois
             qualifiés et non-délocalisables, avec des revenus équitables ;
         •   La relocalisation de la production et de la consommation alimentaire en encourageant les
             filières de proximité
         •   La conservation à long terme des ressources de base que sont l’eau et les sols ainsi que le
             renforcement de la biodiversité des écosystèmes comme des variétés cultivées et des races
             élevées ;
         •   Le renforcement de la cohésion sociale et le patrimoine culturel lié au monde rural et à
             l’alimentation ;
         •   Le respect de la souveraineté alimentaire, et le renforcement de l’agriculture des pays du
             Sud.

Nos propositions pour atteindre ces objectifs, au regard de celles de la Commission:

     •       Une meilleure régulation des marchés agricoles :

Face à la volatilité croissance des prix, la spéculation financière sur les denrées alimentaires, la
compétition accrue pour les terres arables (exacerbée entre autre par l'expansion des agro-carburants), la
régulation des marchés agricoles se révèle être plus que jamais une nécessité. Même le G20 ne le
conteste plus, comme en témoigne ses engagements pour une plus grande transparence des prix26. Une
véritable régulation passe par une révision des règles de l'OMC au niveau international, et une
réorganisation des filières au niveau local et régional.

            Les propositions législatives de la Commission sont très timides, pour ne pas dire muettes,
             sur cet enjeu primordial. Outre le constat sur la nécessité de fournir des outils aux
             agriculteurs pour répondre aux situations de crise (telle que la volatilité des prix), les
             mesures proposées ne sont pas à la hauteur des enjeux.

24
   Communiqué de Presse, Groupe des Verts/ALE, Nouvelle PAC : capitulation en rase campagne !, 12.10.2011
http://greens-efa.eu/fr/reforme-de-la-pac-4570.html
25
   http://ec.europa.eu/agriculture/funding/directaid/distribution_en.htm Voir aussi, AGRAFACTS N° N°15-12, 22.02.2012.
26
   G20, Action Plan for Food Price Volatility and Agriculture, Ministerial Declaration, Paris, 22 and 23 June 2011.
101010101010                                                                                    Page 10 sur 16

La Commission propose en effet une "clause de sauvegarde", afin de pouvoir répondre à des situations
d'urgence (ex. la crise E-coli), et financée par une nouvelle "réserve de crise", prévue dans les nouvelles
perspectives financières. Ceci n'est pas critiquable en soi, mais ne fournit pas de solutions en amont des
crises qui frappent régulièrement le secteur agricole. A cela, la Commission répondra certainement
qu'elle a l'intention de soutenir et d'encourager les organisations de producteurs en opérant une révision
des règles de concurrence (qui entravent actuellement l’action collective des producteurs), et via une
« ré-organisation de la filière agro-alimentaire » (dont les outils sont néanmoins encore flous). Même si
cette initiative doit être accueillie favorablement, son effet sur le terrain reste à prouver. Reste à voir si
elle permettra aux producteurs de mieux s'organiser et de mieux orienter leur offre en fonction de la
demande. Il ne semble pas y avoir non plus de propositions concrètes pour favoriser l'émergence de
circuits-courts.

Enfin, la Commission propose un ensemble d'instruments de gestion des risques, sous la forme
d'assurance et de mutualisation, pour compenser les agriculteurs en cas de mauvaise récolte, maladies
animales, catastrophes météorologiques, etc. Comme le souligne la ViaCampesina, recourir à ce genre
d'instruments, c’est financer publiquement les compagnies d’assurance, en faisant payer aux producteurs et aux
contribuables les dégâts de la dérégulation27.

En conclusion, les propositions de la Commission sur le volet de régulation des marchés restent à un
niveau de "filet de sécurité" et ne prévoient pas de solutions structurelles, en amont des problèmes
auxquels sont confrontés les agriculteurs dans leurs activités.

     •   Le renforcement du socle de règles de base pour une agriculture respectueuse des ressources et
         de l’environnement:

Rendre obligatoire la protection de la fertilité des sols et renforcer les mesures efficaces contre l’érosion
et la pollution des sols ; rendre obligatoire la rotation accrue des cultures dans le cadre des paiements
directs afin de décourager la monoculture. Des mesures doivent encourager la diversité dans la
production végétale et l’élevage d’animaux en soutenant l’utilisation durable de variétés de plantes et
de races d’animaux locales afin d’éviter une nouvelle érosion génétique28.

      Les propositions de la Commission contribuent-elles à la transition écologique de notre
       agriculture ? Sur la dimension environnementale de la PAC, la Commission a proposé ce qu'elle
       a baptisé le "verdissement" (Articles 29 à 33 du Règlement 2011/0280), via le conditionnement de
       30% des paiements directs à trois mesures environnementales, censées aller au-delà de l'éco-
       conditionnalité:

i) le maintien des pâturages permanents, ii) la diversification des cultures (un agriculteur doit
pratiquer au moins trois cultures sur ses terres arables, dont aucune ne peut excéder 70 % des terres, et
la troisième devant couvrir 5 % minimum), iii) le maintien d’une «surface d'intérêt écologique» d'au
moins 7 % de la surface agricole (à l'exclusion des prairies permanentes), composée par exemple de
bordures de champs, haies, arbres, jachères, particularités topographiques, biotopes, bandes tampons ou
surfaces boisées.

27
   Coordination Européenne ViaCampesina, Propositions Législatives de réforme de la Politique Agricole Commune 2014-2020,
décembre 2011 http://eurovia.org/spip.php?article526
28
   Ce terme scientifique permet d’expliquer la perte de gènes ou de combinaisons de gènes tels que ceux trouvés dans les
variétés de terroir adaptées aux conditions locales.
FAO, La FAO s’active pour stopper l’érosion génétique des plantes, Décembre 2011,
http://fao.org/news/story/fr/item/113740/icode/
111111111111                                                                                  Page 11 sur 16

Plusieurs critiques peuvent être formulées à l'égard de ces mesures.

Premièrement, le choix d'attacher 30% des paiements directs à ces mesures est totalement arbitraire et le
résultat de compromis politiques au sein des services de la Commission. Pourquoi ne pas conditionner
l'entièreté du premier pilier (paiements directs et mesures de marché) à des mesures environnementales
ambitieuses et pragmatiques d'un point de vue agronomique?

Deuxièmement, le choix des mesures est hautement critiquable. La mesure visant au maintien des
pâturages permanents risque d'avoir un effet totalement contre-productif étant donné qu'elle n'entrera
officiellement en vigueur qu'en 2014 (proposée par la Commission comme nouvelle année de référence),
ce qui laisse deux ans aux exploitants intensifs pour retourner un maximum de pâturages! La mesure
appelant à une "diversification des cultures" sera quant à elle incapable d'amorcer une véritable rotation
des cultures, telle que nous l'entendons. 70% d'une exploitation c'est de la monoculture, malgré ce que
défend la Commission. La mesure de diversification, telle que définie par la Commission, ne permettra
pas non plus de répondre à certains défis écologiques majeurs, telle que la perte de fertilité des sols ou
la dépendance de l'Europe aux importations de protéines végétales.

Enfin, les 7% de surfaces d'intérêt écologique, possèdent un réel potentiel, à condition que la définition
de cette mesure soit améliorée et qu’elle survive aux attaques des lobbys agricoles et de l'industrie, qui
condamnent ce soi-disant « retour à la jachère » en pleine crise alimentaire. Cet argument témoigne
d’une vision archaïque de l’espace agricole, et ne prend pas en compte la contribution essentielle de la
biodiversité à la productivité des sols.

En conclusion, les mesures de verdissement proposées par la Commission s'apparentent plutôt à un
exercice cosmétique/discursif, qu'à une véritable transformation. Elles ne changeront pas
fondamentalement la dynamique qui sous-tend les paiements directs, dont 70% restent de toute manière
"non-verdis"29 sous la forme d’un nouveau « Paiement de base30 » (et autres formes de soutien direct
non-soumises au verdissement). En cela, elles ne permettent donc pas d'engager la PAC dans une
logique d'investissement dans l’agriculture durable, en rupture avec la logique de compensation qui
domine encore aujourd’hui.

     •   La redistribution et le recentrage des aides:

La distribution actuelle des paiements entre Etats et entre agriculteurs est inacceptable; récemment, la
Commission a publié des chiffres indiquant qu'en 2010 le paiement moyen perçu par bénéficiaire dans
les nouveaux Etats-membres était de € 1 552, alors qu'il était de €7486 dans les anciens31. En 2013, la
Commission prévoit que le niveau moyen de paiement sera de €94,7 en Lettonie et 457,5€ aux Pays-
Bas32. Il a été également démontré, à maintes reprises, que le système actuel fait augmenter la valeur du
foncier (ce qui bénéficie aux grands propriétaires terriens et freine l'accès aux terres pour les jeunes
agriculteurs), plutôt que d'agir comme un véritable soutien au revenu.

29
    NB: les agriculteurs biologiques ne sont pas soumis aux exigences du "verdissement" car leur contribution
environnementale est considérée comme évidente par la Commission.
30
   Le Paiement de base est une nouvelle terminologie utilisée par la Commission dans ses propositions de réforme pour
désigner le soutien au revenu (non soumis au « verdissement »)
31
   http://ec.europa.eu/agriculture/funding/directaid/distribution_en.htm Voir aussi, AGRAFACTS N° N°15-12, 22.02.2012.
32
   Communication from the European Commission, A Budget for Europe 2020, Part II: Policy fiches, COM(2011) 500 final,
Brussels, 29.06.2011.
http://ec.europa.eu/budget/library/biblio/documents/fin_fwk1420/MFF_COM-2011-500_Part_II_en.pdf, p.4
121212121212                                                                                   Page 12 sur 16

Pour toutes ces raisons, nous appelons depuis longtemps à une redistribution des aides selon une base
réformée: abandonner les références historiques (qui conditionnent actuellement l'octroi des aides à un
niveau de surface et de production passé), et remplacer le paiement à l'hectare, par un paiement à l'actif
(ce qui aurait un impact positif sur l’emploi agricole). Plus largement, nous plaidons pour que les
paiements soutiennent ceux qui en ont le plus besoin, par exemple les petites exploitations, celles dans
des zones défavorisées, plutôt que ceux dont l’activité n’a aucun lien avec l’agriculture (les terrains de
golf, les gares et autres).

      Face aux aberrations du système actuel, la Commission a proposé un objectif de "convergence"
       qui vise (d'ici 2020) à rendre les paiements à l'hectare uniformes au niveau national et régional et
       à diminuer d'un tiers l'écart entre les niveaux de paiements en-dessous de 90% de la moyenne
       de l'UE, et 90% de la moyenne de l'UE. Par ailleurs, pour tenter de réduire les inégalités entre les
       agriculteurs et opérer un recentrage des aides, la Commission suggère entre autres d’introduire
       un plafonnement des aides, un soutien aux petites fermes et entend restreindre l’accès aux
       paiements directs aux agriculteurs dits « actifs ». En apparence donc, des propositions qui
       semblent répondre à nos attentes. Elles ne résistent néanmoins pas à un examen plus
       approfondi.

Premièrement, sur l'objectif de convergence, on est en droit de questionner la valeur de cette mesure
pour le moins déficiente. Réduire d’un tiers l’écart entre les faibles niveaux de paiements et 90% de la
moyenne européenne, d’ici 2020, et viser un objectif de convergence totale pour 2028, c’est trop timide et
c’est trop lent. Tout ça sous prétexte de coûts de production différents à l’ouest et à l’est. Des
représentants des nouveaux Etats Membres n’ont d’ailleurs pas tardé à souligner l’incapacité de cette
proposition à répondre aux inégalités existantes. L’idée n’est donc pas d’opérer seulement une
convergence symbolique entre Est ou Ouest, mais bien de repenser l’entièreté du système pour que de
part et d’autre de l’UE, et au sein même de ses Etats-membres, le soutien atteigne ceux qui en ont le plus
besoin.

Deuxièmement, le plafonnement des aides, que nous soutenons vigoureusement, risque de n’avoir
qu’une portée symbolique, si les critères de la Commission, tels que décrits dans l’Article 11 du
Règlement 2011/028033, sont appliqués. En effet, le plafonnement, fixé à 300 000€, peut-être modifié en
fonction de l’emploi par exploitation. Cela signifie que si une exploitation emploie 10 personnes à 30 000
€/année, le niveau de plafonnement passerait de 300 000 € à 600 000 € (300 000€ + (10 x 30 000€)34 ! Dans
la même logique, le seuil de déclenchement de la dégressivité (la diminution progressive du niveau de
paiement), fixé à € 150 000, est bien trop élevé également et n’aura pas l’effet escompté, à savoir, la
redistribution de paiements des plus privilégiés vers ceux qui en ont le plus besoin. Enfin, la
Commission ne prévoit pas de mécanisme qui empêcherait les cibles de cette mesure d’entreprendre des
démarches juridiques pour « fragmenter » leurs exploitations, et ainsi éviter les effets du plafonnement.

33
   Commission Européenne, Proposition de Règlement au Parlement et au Conseil établissant les règles relatives aux
paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la Politique Agricole Commune,
Bruxelles, le 19.10.2011, COM(2011) 625 final/2, 2011/0280 (COD). http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/legal-
proposals/com625/625_fr.pdf
34
   A. MATTHEWS, The European Commission’s October 2011 Legislative proposals for CAP Reform : What the Post-2013
Common Agricultural Policy might mean for Trade and Development, ICTSD, Issue Paper N°39, October 2011, p.8.
131313131313                                                                                        Page 13 sur 16

Troisièmement, sur la ré-orientation des paiements vers les agriculteurs dit « actifs », là aussi, la
critique est de mise. La définition actuelle, dont la formulation évite subtilement un conflit avec les
règles de l’OMC35, est très complexe, ce qui compromettra sans doute sa mise en œuvre sur le terrain,
malgré ce que prétend la Commission :

La définition de l’agriculteur actif permet de mieux cibler les agriculteurs exerçant véritablement des activités
agricoles et confère donc une légitimité au soutien36.
L’Article 9 du Règlement 2011/028 prévoit qu’aucun paiement ne soit octroyé à des personnes
physiques ou morales, ni à des groupes de personnes physiques ou morales, dont le montant annuel des
paiements directs est inférieur à 5 % des recettes totales provenant des activités non agricoles au cours
de l’exercice fiscal le plus récent (…).
En plus de sa complexité, cette définition énonce un cas de figure exceptionnel et ne permettra pas
d’éviter le versement de paiements à des personnes ou entreprises dont les activités n’ont aucun lien
avec l’agriculture ou la gestion du territoire.

Quatrièmement, la proposition de soutien aux petites fermes, sous un « Régime des petits exploitants
agricoles37 » (Article 47 du Règlement 2011/0280) est à examiner avec prudence également. Si, d’une part
nous devons encourager la reconnaissance de ces petites fermes, nous devons aussi nous assurer
qu’elles fassent partie d’une approche globale intégrée. En d’autres termes, il ne sert à rien de
soutenir les petites fermes, simplement parce qu’elles sont petites, tout en les excluant du système. Or ce
scénario est probable, si l’on suit la proposition de la Commission. En effet, au lieu de proposer un
soutien justifié par la contribution essentielle de ces fermes à la cohésion territoriale, la Commission
tente de les maintenir sous perfusion, en proposant un paiement allant de €500 à €1000, et en les
exemptant des règles relatives au paiement de base et de celles du verdissement.

Enfin, la Commission propose également un soutien aux jeunes agriculteurs et ceux en zones
défavorisées (respectivement articles 34 et 36 du Règlement 2011/0280): le seuil de 5% proposé par la
Commission pour les agriculteurs en zone défavorisée, qui, rappelons-le, sont souvent les garants
d'écosystèmes rares et précieux, devrait être revu à la hausse pour que chaque Etat puisse venir en aide
à ces agriculteurs de manière appropriée. La définition du soutien aux "jeunes agriculteurs" devrait
également être revue pour permettre une application plus flexible et large de ce soutien (qui selon la
proposition de la Commission serait réservée aux moins de 40 ans seulement!)

     •   Développer une approche intégrée et territoriale du développement rural, basée sur les
         principes de participation, de formation, flexibilité, innovation et d’intégration des
         connaissances locales.

35
   Au fil des réformes précédentes, la PAC a subi un « découplage », c’est-à-dire la rupture du lien entre production et
subventions. Re-introduire un lien entre les paiements et la production agricole (ce dont il est question in fine dans la
définition des agriculteurs dits « actifs »), reviendrait à remettre en question ce « découplage » et aboutirait sans doute à
une procédure de sanctions en provenance de l’OMC.
36
   Commission Européenne, Proposition de Règlement au Parlement et au Conseil établissant les règles relatives aux paiements
directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la Politique Agricole Commune, Bruxelles, le
19.10.2011, COM(2011) 625 final/2, 2011/0280 (COD). http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/legal-
proposals/com625/625_fr.pdf
37
   Les petits exploitants agricoles sont ceux exerçant leur activité sur moins d’un hectare et dont le paiement est inférieur
à 100€ (Article 10, §1, Règlement 2011/0280)
141414141414                                                                                  Page 14 sur 16

Concrètement, cela passe par la mise en réseau d’acteurs locaux, les mieux placés pour élaborer des
solutions adaptées à leur situation, mais aussi par la redéfinition de nos priorités de recherche,
aujourd’hui monopolisées par le génie génétique, au détriment des domaines tels que l’agro-écologie.
Ces efforts de recherche doivent par ailleurs être entrepris main dans la main avec les agriculteurs, dont
la formation doit être sensiblement améliorée, c’est-à-dire adaptée aux défis de notre temps. Enfin, cela
passe par la mobilisation des consommateurs dans cet effort global ; consommateurs qui devraient être
mus d’un sentiment de co-responsabilité vis-à-vis de la production alimentaire. Les préoccupations de
santé publique seraient ainsi naturellement intégrées dans l’élaboration de systèmes agricoles durables.

      Les propositions de la Commission en matière de développement rural sont-elles à la hauteur de
       cet agenda ambitieux ?

Derrière le discours novateur de la Commission pour le 2e pilier de la PAC, il y a malheureusement la
permanence d’une réalité incontournable : le déséquilibre budgétaire énorme entre le 1er et le 2 pilier.
Les propositions de la Commission ne changeront rien à cet état de fait, et ne seront dès lors pas en
mesure de relever le défi de revitalisation des zones rurales en Europe. En effet, malgré les effets positifs
incontestables de certaines mesures du 2e pilier de la PAC, ces dernières souffrent toujours d’un cruel
manque de ressources financières, par rapport aux 40 milliards d’euros par an qui s’écoulent à travers
les paiements directs38. A titre d’information, la Commission prévoit pour la prochaine période
financière (2014-2020), un budget de €281.8 milliards pour le 1er pilier et de €89.9 milliards pour le
second39. Cet écart pourrait d’ailleurs se creuser si les Etats-membres, en détresse financière, décident de
sacrifier le 2e piller dans les négociations sur le budget de l’UE, ou si certains Etats s’emparent de la
nouvelle disposition de la Commission visant à transférer des fonds du 2e pilier vers le 1er (Article 14,
Règlement 2011/0280). Enfin, pour les mêmes raisons, le co-financement caractéristique du 2e pilier sera
également mis à mal, étant donnée la crise des finances publiques et dès lors, la faible probabilité de
financement ambitieux de la part des Etat-membres dans leur programme de développement rural. La
Commission a d’ailleurs accepté de revoir à la baisse – de 15% à 5 % - les taux de co-financement pour
les pays en grande difficulté tels que la Grèce, l’Irlande, le Portugal, la Lettonie et la Romanie40.

En conclusion, malgré les efforts de la Commission d’attacher des objectifs précis à la politique de
développement rural, de la rationaliser (en la mettant en lien avec la Stratégie UE 2020) et de la rendre
cohérente avec d’autres fonds européens (dans un nouveau « Cadre Stratégique Commun »), le 2e pilier
risque de ne pas être à la hauteur des attentes et des besoins.

2.2.2    Les contre-propositions des écologistes

     •   Repenser la régulation des marchés

A court-terme, et parce que le temps presse, il faut mettre un frein à l’élimination des derniers
instruments de régulation (cfr. Fin des quotas laitiers, des droits de plantation, etc) tout en repensant
fondamentalement les règles internationales qui conditionnent notre politique agricole. En d’autres
termes, au lieu des règles actuelles de l’OMC qui consacrent l’orientation exportatrice, il s’agit de penser
en termes de « souveraineté alimentaire », tel que le propose de nombreux mouvements paysans à
travers le monde.

38
   European Parliament note, The CAP in the Multiannual Financial Framework 2014/2020, IP/B/AGRI/NY/2011_12, 11
October 2011, p. 25.
39
   European Commission, A budget for Europe 2020, SEC(2011) 867 final, COM(2011) 500 final, 29.06.2011, Brussels, p.17
http://ec.europa.eu/budget/library/biblio/documents/fin_fwk1420/MFF_COM-2011-500_Part_I_en.pdf
40
   AGRAFACTS n° 94-11, 02.12.2011.
151515151515                                                                          Page 15 sur 16

Sur le volet des marchés à proprement parler, la Commission pourrait proposer de véritables
mécanismes de gestion en amont, par exemple en proposant des outils concrets à la disposition des
agriculteurs pour mutualiser leurs efforts, gérer ensemble l’offre en fonction de la demande, etc. Ils
auraient ainsi plus de chances de pouvoir répondre à la demande croissance en produits bios, locaux et
de saisons, etc. et de participer ainsi aux « circuits courts » dont tout le monde aujourd’hui vante les
vertus.

    •   La soutenabilité comme principe transversal

La direction que prend la Commission avec le « Greening » est bonne, même si elle reste largement en
marge du saut qualitatif à accomplir. On reste dans une logique de « bonnes pratiques » vs. « status
quo ». Au lieu de 30% des paiements attachés à 3 critères environnementaux, il faudrait que tous les
paiements soient liés à des critères de soutenabilité sociale et environnementale. Ces critères devront
être définis au niveau local et régional, et ce, pour éviter d’imposer par le haut des normes qui n’ont de
sens que dans certaines zones climatiques de l’UE. Comment parler de durabilité en Espagne tout en
espérant que ce soit compris en Finlande ? En suivant cette logique, le maintien d’une structure en deux
piliers, avec un maigre second pilier qui tente de corriger les effets dévastateurs du premier, perd tout
son sens. Il y a une enveloppe de soutien public à distribuer de manière équitable et en fonction des
biens publics fournis par les agriculteurs. Ce soutien pourrait prendre la forme d’une aide de base au
revenu (plafonnée), qui prend en compte l’emploi et l’actif agricole, et d’autres facteurs
environnementaux qui font sens d’un point de vue agronomique. Ensuite, il faut inciter les agriculteurs
à aller plus loin, car ce sont eux qui sont au cœur de la transition.
Là, un deuxième niveau d’aide peut entrer en jeu, par exemple sous la forme d’un soutien spécifique
aux agriculteurs bios, aux garants d’un patrimoine culturel ou environnemental précieux, à ceux qui
produisent durablement de l’énergie renouvelable, etc.

    •   Reconnexion entre consommateurs et producteurs

Enfin, et ce n’est pas nouveau, la PAC doit jeter les bases d’une nouvelle relation entre consommateurs
et producteurs, où les premiers cessent d’être spectateurs impuissants mais se sentent mus d’une
responsabilité collective face à la nourriture qui est produite. Ici, les programmes de sensibilisation à
grande échelle, le renouvellement des programmes dans les écoles d’agronomie, le changement des
menus dans les cantines, etc. sont des instruments cruciaux. La Commission est relativement absente
sur ces aspects et négligent les besoins criants d’une population agricole, mais aussi de la société au sens
large, en demande de formation à la hauteur des enjeux. Malheureusement, si rien ne bouge, les services
d’accompagnement et de formation prévus par la Commission resteront largement en-dessous des
attentes des citoyens.
161616161616                                                                           Page 16 sur 16

3    C o n c lu sio n s et p ersp ec t iv es fu t u r es

La PAC de demain parviendra-t-elle à assurer:

o       Une offre alimentaire saine et sûre
o       La garantie d'une utilisation durable des terres
o       Des activités qui soutiennent les communautés et les régions rurales
o       La sécurité de l'approvisionnement alimentaire41 ?

Sans vouloir céder au scepticisme et la fatalité, il y a de quoi en douter sérieusement. Le niveau
d’ambition des propositions de la Commission, déjà très bas, risque en effet d’être encore revu à la
baisse au fil des amendements du Parlement européen et du Conseil des Ministres. Le premier est
dominé par une Commission Agriculture ultra-conservatrice, où anciens ministres de l’agriculture et
autres tenants des lobbies agricoles, décident du futur de la plus importante politique publique
européenne. Peu d’espoir donc de voir quelque chose de particulièrement innovant sortir de cette
institution, censée représentée les intérêts des citoyens européens. Le second est paralysé par un
contexte d’extrême austérité qui ne laisse que peu de place aux discussions « hors-budget » ou celles qui
sortent des considérations court-termistes de chaque Etat.

Bref, place à l’inertie, à la peur du changement, aux petits pas. Surtout ne pas faire de vagues dans un
contexte politique hyper-sensible et une Europe au bord du gouffre. Restent les initiatives de terrain, les
autres outils politiques dont disposent les Etats pour faire les choses différemment en matière
d’agriculture: les partenariats publics-privés, les circuits-courts, l'agriculture urbaine, les mouvements
paysans et ruraux qui s’organisent partout en Europe et dans le monde, etc. La PAC, elle, ne changera
pas beaucoup.

41
  Résumé des opinions exprimées lors de la consultation publique en 2010. J.BOVE, G.LUNEAU, Changeons de cap,
changeons de Pac : Vers une agriculture paysanne au service des citoyens, Editions Alternatives, 2012, p.167.
Vous pouvez aussi lire