Revue francophone de haïku - Édition de l'Association française de haïku - Association Francophone de Haïku
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Numéro 22 Janvier 2009 6ème Année Revue francophone de haïku Spécial Festival Montréal 2008 Édition de l’Association française de haïku
Sommaire Éditorial, C. Rodrigue 3 Coups de cœur du jury 4 Calligraphie, E. Sugiyama 5 Sélection Haïku, D. Duteil 6 Haïga, I. Codrescu 13 DOSSIER FESTIVAL À MONTRÉAL , C. RODRIGUE 14 Le haïku : bénévole et libre, J. Belleau 16 Sous vos pas, des haïkus, J. Painchaud 18 Haïku et mathématiques, R. Bilinski 20 Le haïbun, une approche, H. Boissé 23 Haïku et Internet, D. Duteil 25 Modernités : Variations sur une tradition, F. Kretz 28 Haïku, l’anarchisme…, A. Legoin 30 Entretien avec A. Duhaime, J. Antonini 33 Hommage à Bill Higginson, M. Thoma-Petit 36 Coups de cœur du jury 38 Calligraphie, E. Sugiyama 39 Sélection Senryû, D. Duteil 40 Haïga, I. Codrescu 43 Entretien H. Boissé/C. Melançon 47 Nous avons reçu 51 Chroniques du Canada, H. Boissé 56 Annonces 58 Vieil étang Héron, Tessa W. 59 Du Japon, K-D. Wirth 60 Gongs 62 Photographie de couverture : M. Lévesque 2
Éditorial Pour la première fois, la Grand- trop vite. L’arrière-petite-nièce tante Europe a quitté sa couet- Montréal a organisé une fête te. Il faut dire qu’elle n’est pas avec beaucoup d’invités. Le sorteuse la vieille tante, une cousin Francis jouait du piano, chance que l’arrière-petite niè- on a vu le livre où Janick mon- ce Montréal est délurée. Rece- trait toutes sortes de regards. Le voir la Grand-tante, c’est aussi Consul général du Japon, Mon- stressant que d’accueillir « ma sieur Atsushi Nishioka, est venu tante et mon oncle des États ». avec sa dame. Il nous a fait On les connaît par les cartes Fée l’honneur de lire son premier 5-7- Internet qu’on s’envoie. 5 en français. Le petit Franco- Malgré tout, la Grand-tante Eu- Haïku était content de rencontrer rope est une bonne voyageuse. quelqu’un de son pays d’origine. La petite Montréal a été ravie, Et il ne faut pas oublier la belle le séjour du 9 au 12 octobre a température. Cette galanterie été bien rempli. Trop de cho- automnale a permis d’agréa- ses… La soixantaine de petits- bles moments pour admirer les cousins ça fait du monde à feuillus, les dégustations au Mar- chaque tablée. Les cousines Ja- ché Jean-Talon, les promenades nick, Jeannine et le cousin Pa- au parc Jarry, dans la Petite Ita- trick savent recevoir la parenté. lie ou le Vieux-Montréal. Tout En plus, ils ont des amis qui par- pour enchanter la Grand-tante lent de l’adopté de la famille, Europe et l’arrière-petite nièce Franco-Haïku, de ses aventures Montréal parties en goguette sur les trottoirs, avec les mathé- pour un petit coup de 5-7-5. matiques ou ses problèmes d’i- Enfin, Grand-tante Europe, ne mages au cinéma. comptez plus les tours de visite. On a appris à danser le renku Attendre deux ans, c’est long et le tanka. Le plus difficile, sans vous taquiner. Et en place c’est de chanter du « slam- pour un « rigodon 5-7-5 », nature haïku » ; ici, on est habitué au québécoise. « rigodon » de Vigneault. De toute façon, le temps passait Claude Rodrigue 3
Sélection Haïku Coups de cœur du jury Envol J’aime aussi la construction du Du héron haïku en conformité avec le Un poisson rouge de moins GILLES BRULET mouvement de l’oiseau. L’oiseau décolle, s’élève lentement et L’envol du héron est, je suppo- d’un vol ample s’éloigne dans le se, comme le saut de la gre- ciel. Mais au lieu d’une belle nouille ou la fleur de cerisier une image, c’est un trait d’humour image récurrente du haï- que l’auteur nous donne à lire à ku traditionnel. On s’at- l’extrême fin du tercet. tend ici à lire un haïku Pour moi ce haïku est une contemplatif, exprimant réussite. Il s’est définitive- en quelques traits la grâ- ment inscrit dans mon esprit. PHILIPPE QUINTA ce de l’oiseau. Et non, l’auteur pointe son re- arbre coupé - gard vers autre chose. à la fenêtre vide En l’occurrence, la proie le vertige de l’oiseau et se réjouit – du DAMIEN GABRIELS moins je le lis ainsi - précisant que cela fait un poisson rouge Au premier coup d'œil, ces trois de moins dans la pièce d’eau. lignes ont provoqué en moi la C’est pour le moins inattendu et sensation du vertige. Texte bref. c’est ce que j’aime. Peu de mots, pas de verbe. La Je ne peux m’empêcher de structure syntaxique minimaliste penser à ces gros poissons rou- renvoie à l'encadrement froid et ges japonais, que je confonds vide de la fenêtre. Les sonorités peut-être avec des carpes koi, renforcent les images : occlusi- à l’esthétique plutôt douteuse. ves de la première ligne pour les Voir ces créatures écaillées, à coups contre le tronc, constricti- la peau blanche et rouge, par- ves en « f » et « v » pour les deux courir le fond des bassins ne autres... glissement infini vers le m’inspire rien d’autre qu’une vide. L'absence de verbe et sorte de dégoût. l'unique préposition laissent la 4
place au lecteur. Arbre coupé, Thème des sélections par qui, pourquoi ? Quelle fe- Hors saison (Hélène Boissé) nêtre ? Vertige de qui, de quoi ? Du vide vertical ou hori- Jury des sélections zontal ?... Un bijou. Dominique Champollion DOMINIQUE CHAMPOLLION Philippe Quinta Patrick Simon Notes parfumées De ma voisine au concert Nous avons reçu Ecouter quand même ! 203 haïkus et 150 senryûs JEAN-PAUL GALMANN de 47 auteur.es Nous publions Ce que j'aime dans ce haïku 102 haïkus et 82 senryûs est à la fois l'utilisation de plu- sieurs sens, l'odorat, l'ouie et le jeu des notes de parfum et de Calligraphies musique. En même temps, il y a Emiko Sugiyama une certaine légèreté du poè- me comme de l'émotion. Haïgas Ion Codrescu PATRICK SIMON 5
Dans l’herbe allongées la nuit agitée au milieu du clos barbelé se glissant parmi mes rêves les vaches ruminent une goutte d'eau MARTINE BRUGIÈRE Le ciel est gris personne ne s’en aperçoit Plus un seul oiseau Le fermier a garé entre le cheval et l’âne sa cylindrée bleue JEAN ANTONINI Une petite fille Sa comptine Traverse la haie Pleine lune Au-dessus de sa cabane - L’enfant muet tout ébouriffé sur le piquet de clôture Envol le merle Du héron HÉLÈNE BOISSÉ Un poisson rouge de moins Chatte sur lui Le radiateur Ronronne GILLES BRULET Couloirs du métro l'écorce de clémentine gagne sur la clope Ai-je vraiment besoin ultime journée avant les congés d'un globe terrestre éclairant - il souffle un vent où sont mes chaussettes ? de liberté DANYEL BORNER LAURENT CABY 6
Sur l’écran plasma Ce matin à haute définition un peu de lumière un film muet. se pose sur nous CHRISTOPHE CONDELLO D’un pays à l’autre viaducs pleins de graffitis même époque ! Trompeuse statue le héron immobile La pluie s’intensifie attend son poisson. Entre deux gouttes d’eau Une goutte supplémentaire Lundi comme les autres ANNA TADJUIDEEEN dans l’avion, les vacanciers au sol, les employés. PIERRE CADIEU Couronne de travers après la pluie Consternée devant le miroir tous ces petits trous - Orgie de frangipane. démasquant la fourmilière MARYSE CHADAY Encore seule Mais Oh ! La splendeur du ciel ! - Inépuisable. SANDRINE DELANOÉ Sur le parquet après le yoga une araignée glisse Sonates pour clavecin sur ma joue, après Les mouvements d'horloge l’hésitation de sa bouche de l'araignée sur la mienne exprès Trépidations d’humeur tristounette d'une mobylette au loin la lune orpheline et moi – La dernière étoile un air d’épinette HENRI CHEVIGNARD DIANE DESCÔTEAUX 7
Le chant du grillon Au dojo semblant sortir des entrailles Même une mouche de mon chat qui dort Hésite à rêver. Deux joueurs d'échec Le Maître parle dans leur bulle de vert Du sommet de la montagne au jardin des plantes Juste un bras s’élève. Plus pâle le ciel Assis là, tout seul depuis le champ de bleuets Je bavarde fraîcheur d'une source Avec n’importe qui. PATRICK DRUART Devant le mur blanc À peine assis Déjà l’esprit tricote. PHILIPPE DUC-MAUGE Savon rond Dehors Lune pleine Une salle d’attente Remplie De silence Le merle hésite Regardant le barbelé aéroport Sans comprendre un moineau s’attarde HÉLÈNE DUC bar de l’escale escalier de pierre derrière le four à pain l'odeur du figuier juste un plouf ! queue la lune refait son œil derrière le muret l'étang se rendort quel chien ? dans un ciel muet trajet nocturne l'ombre de quelques nuages - des ombres heurtent la vitre pleine lune en silence GÉRARD DUMON DANIÈLE DUTEIL 8
arbre coupé - sous l’érable rouge à la fenêtre vide tant de palabres le vertige - dialectes venus de France CLAIRE GARDIEN à mon clin d’œil il n’a pas répondu le héron sur la berge huit pattes deux pieds une araignée et moi sur le paillasson Même les morts prime time - sous le marbre rose seul dans la rue avec prennent le soleil la pleine lune MARTINE GONFALONE DAMIEN GABRIELS Je ressens encore Le tronc d’écorce dure Du chêne de mon père. Lueurs d’argent, Lune et nuages sur le lac. Elle ne viendra plus. Un rai de lumière, Poussières en suspension : Sur l’épaule ambrée Segment d’univers. De fines bretelles noires LUCIEN GUIGNABEL Que nos pensées suivent Notes parfumées De ma voisine au concert Ecouter quand même ! Décolletés pleins Poivre de Cayenne Promesses parfois tenues au lieu du paprika - Toujours soutenues Erreur piquante JEAN-PAUL GALMANN LIETTE JANELLE 9
Le poisson frétille Mercredi cinoche - Au bout de la ligne… Une pile de rehausseurs Le pêcheur, lui, dort sur le diable à roulettes HENRI LACHÈZE Cloches tibétaines - Au front de la boulangère un peu de farine la perle ou Au ciel un éclat - le suivez-moi-jeune-homme Le sillon net Vermeer hésite Croise le sillon tremblé CÉLINE LAJOIE Bassin vaseux - Autour de la pastille de chlore L'eau si pure... PAUL DE MARICOURT Devenu maigre ! Si maigre, passe deux fois pour faire de l’ombre. Rose des vents CLAIRE LEFEBVRE Le désert blanc des hommes bleus Trace l’horizon DENISE MALOD piano détente Petite montagne s’endormir La ville de Montréal sans dormir A perte de vue Impatiente Sur la vitre embuée d’entrevoir le ciel Traces de doigts d’enfant les perce-neige Dessin mystérieux ma sœur habite loin Visage endormi le Saint-Laurent nous sépare Contre la vitre du train on ne sait pas nager Sourire en coin trou d’eau Solitude – pieds bottés Le poids l’enfant s’éclate D’une plume CÉLINE MALTAIS-ROBITAILLE LYDIA PADELLEC 10
à mon toucher du début jusqu'à la fin la grenouille s’est gonflée du déménagement effet bœuf l'Aude n'a cessé de couler dos à la porte crépitante il ne voulait pas sortir la lave noire de ses pensées des fondants au chocolat à regarder les conifères s'arrêter de jouer ton visage pour contempler le cadavre en surimpression du coléoptère nuit sans vent s'improvisant chanteuse rien pour perturber micro dans une main mon insomnie volant dans l'autre glissement - une vieille connaissance ma main sur ta joue en costume trois-pièces doux séisme mon banquier m'a dit CAROLE MELANCON MONSIEUR N. ce matin face à face avec mes globules rouges LISE ROBERT Sur le ciment frais inclinaison quel oiseau a joué des cyprès centenaires, les stars ? même sans vent Sur le sable mouillé herbes aromatiques les pattes des mouettes mes doigts rouge grenat tracent des cerfs-volants en cueillant les brins CHRISTOPHE ROHU MARIE-JEANNE SAKHINIS DE MEIS 11
Compagnons de route Dos comme un roseau Altéis et lipanor* un livre de Li Po en main, font la circulation une femme blonde * deux noms de médicaments Perdu en forêt – Voyage en avion ah ! sentiers qui ne mènent Deux fois dans les nuages nulle part… Grâce au léxomil Devant la Tour d’Argent Entre parenthèses un mendiant ouvre une bouteille Entre la vie et la mort avec les dents Chambre 127 PATRICK SOMPROU Le papillon sur ton épaule posé, ton pas plus léger OLIVIER WALTER dimanche matin - le geai sur le lampadaire déjà réveillé Jardin botanique - c'était donc ça les deutzies dont parlait Bashô Pas vraiment le seul ombres de linge à dormir dans cette chambre - ondulant dans l'eau - sans bruit papillons de nuit une gondole noire JULIEN STRYJAK ressac et embruns formations de basalte un an de méduses rêver de randonnée dans la cage d'extraction en regardant par la fenêtre le mineur enseveli de mon bureau et la lumière du jour la tombée du jour bouchon une étoile suspendue les nuages à un croissant de lune se dissipent LOUISE VACHON KLAUS-DIETER WIRTH 12
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Le 3°Festival du haïku francophone Le 3e Festival international du haï- nada. Monsieur le Consul géné- ku francophone s’est déroulé du ral mentionnait qu’il était recon- 9 au 12 octobre à Montréal. Le naissant de notre engouement comité organisateur (Janick Bel- pour le haïku et que la langue leau, Jeannine Joyal et Patrick française lui donnera une nou- Simon et d’autres bénévoles) velle vie. avec l’appui de l’AFH ont su choisir des ateliers diversifiés et l’intérêt de l’écoute des person- nes participantes l’a démontré. Durant ces quelques jours, les activités n’ont pas manqué. Premièrement, 65 personnes se sont inscrites au Festival dont 13 venues d’Europe. Deuxième- ment, 21 invités ont animé des ateliers, ou bien présenté des mini-conférences, sans oublier les personnes qui ont fait diver- De gauche à droite : Jean Antonini (AFH), ses présentations ou ont modé- Danielle Shelton (éd. Adage), le Consul général du Japon, Atsushi Nishioka ré les discussions. Troisième- et son épouse lors de la remise du livre ment, nous avons assisté à sept Regards de femmes, à la soirée d’ouverture. lancements de livres, dont deux Photographie de Carole Daoust ouvrages collectifs, entre au- tres, Regards de femmes. Qua- Cinquièmement, dix artistes haï- trièmement, lors de la soirée kistes ont exposé 30 œuvres et d’ouverture officielle, parmi les cinq photographes ont croqué 130 personnes, monsieur Atsushi plusieurs moments du Festival. Nishioka, le Consul général du Sixièmement, cinq entrevues Japon, était présent. Cette an- (médias électroniques et écrits) née marquait le 80e anniversai- ont été accordées. Septième- re d’un heureux échange ment, dans toute cette efferves- culturel entre le Japon et le Ca- cence, nous avons remarqué 14
qu’il n’y a pas eu de moments trouve aussi dans les collectifs arrêtés dans l’horaire pour des Pixels et Regards de femmes (2008). Elle participe au Groupe Haïku Montréal. séances d’écriture, mais était-ce Membre du Comité organisateur absolument nécessaire ? Je ne du 3e Festival international crois pas. Pour ceux qui éprou- du haïku francophone. vaient l’urgence d’écrire, il était possible de trouver quelques mi- Patrick Simon nutes pour s’adonner à sa fou- habite Laval. Depuis 2004, il s’intéresse gue inspiratrice, en plus de tout au haïku, au renga et au tanka. Participe aux revues Gong, Haïku Canada, Haïkai, l’après-midi consacré à l’Assem- Brèves littéraires. Il a publié dans blée générale annuelle de l’AFH. l’anthologie L’érotique poème court/haïku On le sait, ce n’est pas une acti- et deux livres À deux pas de moi et vité, peu importe le pays, qui a Tout proche de moi (tanka). la cote de popularité. Anime le forum haïku et tanka Enfin, voici quelques mots de http://haiku-tanka.aceboard.fr/ et la Revue du tanka francophone présentations des membres du http://www.revue-tanka-francophone.com Comité organisateur. Janick Belleau habite la Rive Sud de Montréal. Elle s’in- téresse au haïku et au tanka depuis 1997. A publié dans diverses anthologies Haiku Canada Anthology depuis 2005), Le Bleu du martin-pêcheur La Rumeur du coffre à jouets. Elle se commet aussi dans diverses re- vues dont GONG (depuis 2003), Arcade , casse-pieds, Haiku Canada Review, la Revue du tanka francophone, Gusts, etc. A publié un recueil intitulé Humeur – haïku et tanka (2003), codirigé L’Érotique poème court/ haïku (2006; finaliste, Prix Gros Sel du Public, Belgique) dirigé Regards de femmes–haïkus fran- cophones (2008). En 2007, elle était conférencière invitée P. Simon, J. Joyal, J. Belleau au Japon, en Amérique du Nord et le se- Photographie de Monique Lévesque ra en Europe, en 2009. En 2006, elle re- cevait le 2e prix (section internationale) Merci pour l’accueil chaleureux ; du Concours Haîku Mainichi Japon Merci pour les nouvelles une mention honorable en 2007. rencontres et les retrouvailles ; Jeannine Joyal Merci pour la qualité du travail habite Montréal, très fière de sa ville. Le accompli qui se résume bien haïku est entré dans sa vie depuis six ans. avec le haïku à la fin du texte Elle a publié des haïkus dans les revues de Janick Belleau : Le haïku : Haïkai, casse-pieds et GONG ; on la re- bénévole et libre. 15
LE DÉROULEMENT anniversaire de la fondation de la ville de Québec ; MM. Jean Nous présentons une synthèse Antonini et Patrick Simon, coor- de chacune des activités ; cel- ganisateurs du Festival, l’un en les-ci ont été rédigées par les France et l’autre au Québec, en animateurs des ateliers. Nous savent quelque chose. Comme procédons par ordre chronolo- dirait ce dernier : « bref comme gique et nous ferons une courte le poème, allons de l’avant et présentation de chacune des ne nous laissons pas intimider ». personnes en charge de l’ate- Malgré les subsides refusés au lier, de la mini-conférence... jeune Festival de l’AFH, j’ai été Pour débuter, en guise d’intro- très heureuse pour la Capitale duction, nous vous présentons nationale. En effet, sans l’arrêt le texte de Janick Belleau qui de la flotte du Sieur Samuel de explique, entre autres, com- Champlain à Québec en 1608, il ment certaines activités peu- n’y aurait pas eu de Festival du vent naître grâce à l’implica- haïku à Montréal en 2008. tion de personnes qui croient N’est-ce pas Dany Laferrière qui au dépassement et qui ne a écrit dans Je suis un écrivain comptent pas les heures pour japonais que « les artistes détes- une cause qui leur tient à tent que l’État se mêle de leur cœur. C’est une réalité bien vi- cuisine ». Et pourtant, cela aurait vante dans tout le Canada et, été sympa d’être bien vu ou en- nous imaginons, ailleurs dans le tendu des fonctionnaires. J’ai le monde. sentiment cependant que pour recevoir des subventions gou- LE HAÏKU : BÉNÉVOLE ET LIBRE vernementales, il aurait fallu at- On ne se consacre pas à la poésie ; tendre l’année 2034, alors que on s’y sacrifie. l’on célébrera le 500e anniversai- Jean Cocteau re de la fondation de la ville de Montréal et que le Festival inter- Les politiques culturelles des national du haïku francophone gouvernements du Québec et en serait à sa 16e édition. du Canada favorisent de leur Je désire, à titre d’initiatrice et soutien des associations bien de coorganisatrice de cet évé- implantées dans leur milieu et nement à Montréal, souligner ici des manifestations culturelles officiellement l’engagement bé- régionales ou provinciales névole de toutes les personnes ayant des retombées nationa- qui ont fait de ce 3e Festival du les ou internationales. haïku un franc succès. C’est le Dur, il est dur de rivaliser avec don de soi de ces femmes et de une 24e édition du Festival inter- ces hommes de bonne volonté national de la poésie à Trois- qui fait en sorte que la Poésie, Rivières (début octobre) et en- qu’elle soit d’origine japonaise core davantage avec le 400e 16
ou francophone, continue de qu’au Canada français ou an- rayonner sur la planète – et, ce glais : prenons, comme exem- faisant, d’offrir à l’être humain ple, Haïku Canada, le seul orga- quelques instants de bonheur. nisme reconnu regroupant les À l’instar de Jeannine Joyal, haïkistes d’un océan à l’autre. ma collègue coorganisatrice Depuis 1977 que ce mouvement dans cette belle aventure, je tient son congrès annuel sans dirai que « je trouve cela ma- secours gouvernemental autre gnifique (…) touTes ces interve- que celui de l’adhésion annuel- nantEs…) qui ont donné béné- le de ses membres, de la vente volement leur temps et leur ex- d’un trimestriel toujours broché périence pour faire avancer la et d’une inscription payante mi- poésie (…). » nimale pour la participation au C’est la 3e fois qu’un festival in- congrès. Et ainsi font nombre de ternational de haïku en français regroupements culturels locaux est mis sur pied avec les ou nationaux. moyens du bord – Nancy, Paris, Je terminerai en reprenant à Montréal. La seule rémunéra- mon compte, ce mot du prési- tion qu’ont reçue les bénévoles dent de l’Union des écrivaines et – des poètes – est d’avoir assis- écrivains québécois (UNEQ), té ou participé au plaisir d’au- Stanley Péan ; il a dit de Gilles trui et à celui des mots. L’in- Vigneault, à qui l’on rend sou- convénient du travail non ré- vent hommage, que « son pays, munéré est de devoir mettre c’est la poésie ». Et, selon moi, la sous le boisseau ses vies person- poésie, parente pauvre du ro- nelle et privée pendant neuf man, ne peut être que libre. mois pour l’organisation d’une fin de festival fête biennale d’une durée de neuf mois d’énergie ardente trois jours. L’avantage des servi- soleil d’automne ces non marchands est de jouir de la Poésie sans devoir s’em- pêtrer dans les fleurs du tapis de l’antichambre gouverne- mentale. La liberté d’action est un plat qui se savoure à jeun. Sans le bénévolat, nombre d’associations culturelles com- munautaires n’existeraient pas. Et, qu’est-ce qu’un pays sans l’énergie, la foi et la détermina- tion de ses poètes sur papier, sur Internet et dans l’âme ? Le bénévolat est une valeur tra- Érables de toutes couleurs à Montréal Photographie de Monique Lévesque ditionnelle tant au Québec 17
LE VENDREDI 10 OCTOBRE Hors les murs, hors la page : le haïku La journée du vendredi était Depuis toujours, je suis fascinée consacrée, en avant-midi, a un par l’art public et l’art de la rue, parcours poétique intitulé Sous qui font le pari d’aller vers les vos pas, des haïkus et à un ate- gens et de partager le quotidien lier Haïku et Math. En après- du commun des mortels. J’a- midi, nous assistions à Haïkus et vais aussi lu que les lecteurs, en modernité en francophonie se- public, supportent difficilement lon trois perspectives. de lire plus de 7 lignes, tellement leur attention est sollicitée… Je Jeanne Painchaud me suis dit : le haïku est si court, S’intéresse à ce genre littéraire pourquoi ne pas reprendre la depuis presque 20 ans. même idée et le faire descen- Elle a publié deux recueils en solo (dont Je marche à côté d’une joie), dre dans la rue au sens littéral un renku avec Francine Chicoine, du terme ! a collaboré à une vingtaine de J’ai donc imaginé un parcours collectifs et anthologies. de haïkus inscrits sur les trottoirs Elle cherche à faire connaître le haïku des rues d’un quartier. Mais par des ateliers dans les écoles et les quelle devait être sa longueur ? bibliothèques, des expositions littéraires, en présentant des haïkus dans la ville, Ni trop long, ni trop court. J’ai comme un nouveau type d’art public. choisi 20 haïkus écrits par 20 Elle habite Montréal. poètes québécois vivants, et tout cela a formé une sorte de SOUS VOS PAS, DES HAÏKUS : mini-anthologie du haïku qué- PARCOURS POÉTIQUE bécois d’aujourd’hui. Puisque les SUR LES TROTTOIRS poèmes allaient être inscrits dans un espace urbain et dans Petit, mon fils m’a posé un jour une saison particulière, il fallait une question qui m’a fait sourire, choisir le thème des haïkus en presque sous forme de haïku : conséquence. J’ai donc évité les poèmes qui référaient à l’hi- Est-ce que les dinosaures peuvent s’échapper ver, ou à la campagne, ou en- du temps des dinosaures ? core au bord de mer. Tous les poètes qui avaient écrit les haï- J’ai repris la balle au bon, et me kus choisis ont accepté de parti- suis un jour demandée si les haï- ciper à l’aventure. kus pouvaient s’échapper… des Parallèlement à cette démar- recueils, anthologies, revues et che, je suis allée en repérage pages web ! Après tout, il n’est pour trouver le meilleur tracé du pas toujours facile de lire, de sai- parcours : des rues bondées, sir et d’apprécier chaque haïku des rues calmes, des ruelles ? qui jaillit de la page, quelque J’ai trouvé des rues qui lon- soit le support utilisé. geaient un parc, une église, un 18
vieil arbre, un resto de quartier, etc., ce qui allait permettre une mise en contexte et un lien na- turel et fort entre les thèmes des haïkus et les lieux même où ils seraient inscrits. Ainsi, le haïku de Gisèle Otis : il rentre son ventre quand la jolie serveuse dessert a été inscrit presque sur le seuil d’un resto de quartier sans pré- tention, où aurait pu se produi- re la scène même qu’illustre le haïku. Le parcours, en boucle, débu- tait juste en face de l’édifice Jeanne Painchaud expliquant où avait lieu le festival, à l’an- sa technique du pochoir. gle du boulevard Saint-Laurent Photographie de Hélène Leclerc et de la petite rue Jules-Verne. Quel beau nom de rue, tout de même, et quel gage de dé- faire faire par une firme spéciali- couverte ! Deux coins de rue sée des « pochoirs », sorte de né- plus loin, il fallait descendre la gatif des lettres à tracer à la rue De Gaspé, puis tourner sur peinture. Puis, une autre ques- la rue de Castelnau, et ensuite tion a surgi : quelle grosseur remonter la rue Casgrain jus- choisir, pour respecter la discré- qu’à la rue Jules-Verne à nou- tion du haïku, mais aussi pour veau. Il ne restait ensuite qu’à être en mesure de le lire facile- revenir sur nos pas, mais sur ment sur le trottoir, sans être obli- l’autre trottoir, jusqu’au boule- gé de se pencher ? 12 cm de vard Saint-Laurent. Des flèches haut par 24 cm de large, cela inscrites sur les trottoirs permet- m’a paru la grandeur idéale. taient de guider d’un haïku à l’autre ceux qui empruntaient La réception du projet le parcours. Au fur et à mesure que j’inscri- vais les haïkus sur les trottoirs, plu- Un peu de logistique sieurs personnes du quartier J’aurais pu inscrire les haïkus à étaient curieuses de savoir ce main levée sur les trottoirs, mais que je faisais, et enchantées il m’a paru plus esthétique et que j’ai choisi leur quartier pour plus clair d’utiliser des lettres mon parcours : des jeunes cou- d’imprimerie. Pour cela, il fallait ples, une parolière d’un certain 19
âge, un comédien, un père de famille, une dame très sensible à l’appropriation de la ville par ses citoyens, etc. Durant le festival, c’est par une magnifique journée d’automne que j’ai animé l’activité de dé- couverte du parcours, et une bonne trentaine de personnes y ont participé. Nous étions loin de la médiation du haïku par ordinateur ou photo interpo- sés : c’était du concret, du ci- Robert Bilinski expliquant ment, de la peinture… et il fal- un concept mathématique. Photographie de Carole Daoust lait même parfois repousser quelques feuilles mortes pour HAÏKU ET MATHÉMATIQUES bien lire le poème ! Au fur et à mesure que j’expliquais ma dé- Le beau en mathématiques… marche, je me suis rendue compte que le lecteur- Wow ! Que c’est génial ! promeneur lisant les haïkus du Résumé en quelques lignes Travail de Titan parcours expérimentait, en fait, une position privilégiée : celle Des heures à comprendre du poète lui-même qui se laisse Évolution de l’esprit Théorème subtil inspirer par ses sens et l’atmos- phère des lieux pour que puisse Les haïkus mathématiques sont surgir… le haïku ! parmi nous… Falaise juchant fleuve Robert Bilinski Donnant le vertige à l’âme habite Montréal. Cherche rive sœur « Sans le savoir, dit-il, j’écris Les mathématiques apparais- des poèmes courts depuis 10 ans, formellement, depuis 2 ans. » sent implicitement déjà dans A publié dans Canadian Haïku Review. nombre de haïkus. En effet, le S’intéresse depuis plusieurs années au lexique mathématique peut ai- lieu commun entre mathématiques et arts der à analyser le propos d’un (tant dans la forme que le fond). poème : espace, vertical, hori- « Dès mes débuts en haïku, je me suis mis zontal, cercle, triangle, distance, à écrire des ‘haïkus mathématiques’, à part des haïkus traditionnels ». etc. parce que la substance Son atelier visait trois objectifs : mathématique se retrouve déjà parler du beau en mathématiques dans le texte. lire ses haïkus mathématiques Les mathématiques sont utilisées valider une approche artistique. pour décrire le monde et la na- ture, mais sont aussi un reflet de 20
la nature humaine et indisso- forme et ce sont les autres ciable de celle-ci. De ce point champs lexicaux qui contribuent de vue, elles peuvent servir de à comprendre un phénomène référence à la nature dans la mathématique. structure du haïku. Le problème posé Triangle volant Recherche minutieuse Chères chairs de plumes vivantes La preuve est faite Repeuplant le nord Ultimement, les mathématiques À un premier niveau, dans un peuvent imprégner le haïku, haïku mathématique, on peut tant dans le fond, que dans la expliciter les perceptions en uti- forme et le lexique… et devenir lisant le lexique propre aux ma- incompréhensible sans connais- thématiques. Celles-ci prennent sance dans le domaine. de plus en plus de place dans la forme, sans toucher le fond, Haïkus : Les mathématiques de qui, lui, appartient à un tout au- la poésie ? tre domaine. C’est long et c’est lourd Cône tronqué plein Réécrire pour raccourcir De café latté moussé Mathématicien ! Voyage sensuel Le rapprochement à faire entre La référence mathématique est les haïkus et les mathématiques universelle et ne demande pas ne se limite pas à l’exposé fait un savoir savant pour compren- jusqu’à maintenant. En effet, le dre le poème. haïku semble être la forme de Optimisation poésie la plus proche de l’esprit Combien de becs ensemble ? qui habite le mathématicien : Quand le temps s’étire concision, densité et quête de légèreté dans une recherche de Les mathématiques, par con- description du monde. tre, prennent de plus en plus de Un autre aspect soulevé briève- place, mais laissent encore de ment lors de l’atelier est la natu- la place pour d’autres sujets. re « chaotique » du haïku. Ici, ce Cercle vicieux mot est pris au sens mathémati- Téléphone entre les gens que pour décrire un phénomè- Message déformé ne variant de manière extrême Progressivement, on peut faire en fonction de petites variations référence à un corpus de dans ses « conditions initiales ». À connaissances mathématiques la manière des « attracteurs universelles (espace, temps, étranges », chaque mot du haï- géométrie, forme, chaos, infor- ku prend plus de place et d’im- mation, groupe, etc.) On en ar- portance dans le poème de par rive à un point où les mathéma- leur petit nombre. En changer tiques occupent le fond et la un change beaucoup le sens et 21
l’effet du tout. Vidéographie des extraits présentés lors de l’atelier « Dimensions », documentaire gratuit, Pour finir, les mathématiques disponible au http://www.dimensions- semblent pouvoir aider les haï- math.org/Dim_fr.htm ; kistes à mieux comprendre leur « The Moëbius transformation revea- art, si on se fie aux récents arti- led », « chaos », « fractales », visiona- cles dans GONG et les autres bles sur You tube. ateliers présentés lors de ce fes- Bibliographie sur tival : on utilise les statistiques les « mathématiques et les arts » pour mieux définir les différents BÉLA, Bollobás, « The art of Mathematics », Cambridge University Press, 2006 ; styles de haïku et les particulari- BELCASTRO, S.-M. et YACKEL, C., « Making tés de leurs conceptions en Mathematics with needlework, A.K.Peters, fonction de la provenance du 2008 ; BILINSKI, Robert, « Quelques réflexions sur poète (canadien versus fran- les Mathématiques et la Danse », chapitre çais versus africain). dans Mathématiques : Une science hu- Voici quelques exemples de maine, Éditions Prodafor, 2004 ; BILINSKI, Robert, « Quelques réflexions sur haïkus qui ont été produits du- les Mathématiques et la Danse », ré- rant cet atelier : impression en feuilleton dans le webzine MARTHI MAG au : Ôte Yin et Yang Partie 1 : http://www.marthiii.com/ La paroi couleur d’automne Marthi_mag/2007-07-jui/ Montre un Christ en croix marthi_mag_conceptuel.htm ; MARTINE BRUGIÈRE Partie 2 : http://www.marthiii.com/ Marthi_mag/2007-08-aout/ marthi_mag_conceptuel.htm ; Attracteurs étranges Partie 3 : http://www.marthiii.com/ Lents préliminaires Marthi_mag/2007-09-sept/ Amours bleues marthi_mag_conceptuel.htm ; DANIÈLE DUTEIL BILINSKI, Robert, « Mathématiques en Mou- vement », Bulletin de l’AMQ, décembre Spirales des corps 2007 ; Au centre les cœurs COLLECTIF, « Mathématiques d’hier et Aux bords les sens d’aujourd’hui », Modulo Éditeurs, 2000 ; FRANCIS KRETZ EMMER, M. et MARANESI, M., “Mathematics, Art, Technology and Cinema”, Springer-Verlag, 2003 ; NORDON, D., Obstinations d’un mathéma- ticien, Belin Éditeur, 2003. 22
Francis Kretz Martine Gonfalone HélèneBoissé Danièle Duteil Photographie de Monique Lévesque Vendredi après-midi, au magni- LE HAÏBUN, UNE APPROCHE. fique soleil et aux couleurs à fai- re rêver un haïkiste, nous avons Je tiens d’abord à préciser que préféré les propos d’Hélène je ne suis pas une théoricienne Boissé, Danièle Duteil et Francis de l’écriture. Par choix, je suis Kretz sur le thème une pratiquante, c’est-à-dire une écrivante. HAÏKU ET MODERNITÉ EN FRANCOPHONIE Bashô Le haïbun est un legs de Bashô Martine Gonfalone assumait la (1644-1694). À travers ses récits, modération de l’atelier. Bashô ne raconte pas le voyage Nous ajoutons ici le texte d’A- pour lui-même, mais plutôt les lain Legoin qui n’avait pas pu événements et les rencontres qui, venir au festival. durant ce voyage, l’ont interpellé. L’esprit importait davantage à Bashô que la forme : « Les for- Hélène Boissé mes sont faites pour qu’on s’en habite Sherbrooke. S’intéresse au haïku et haïbun écarte. » (Bashô et son école, depuis le milieu des années 80. Éd. Textuel, 2005). A publié de la poésie, des récits, du haïku Ses récits sont écrits dans une (Sentir la terre), et en anthologie prose simple, sans prétention, et Regards de femmes, Carpe Diem, sont à l’occasion entrecoupés le Bleu du martin-pêcheur. de haïkus ou de senryûs qui, en Elle est membre du Conseil d’administration de l’AFH. quelques syllabes, suspendent le temps du récit. Ces haïkus ou 23
senryûs accordent, en quelque vagues, de Virginia Woolf, j’ai sorte, une respiration poétique relevé cette phrase : « Rien ne au récit. Cette respiration lie ce devrait recevoir un nom, de qu’on appelle le fueki : ce qui peur que ce nom même le est constant et immuable dans transforme. » la nature et dans l’humain, et le Frère de sang du haïku, le haïbun ryuko : la fluidité et les infinies s’appuie sur les événements et variations d’un monde qui se les rencontres ordinaires de la vie modifie sans cesse. De ce de l’écrivant qui ont laissé en lui contraste entre invariance et des échos. Un haïbun naît d’un mouvance naît le sabi, c’est-à- moment d’attention au monde dire la simplicité : liant qui for- qui nous entoure, non d’un replie- me l’unité en toute chose. ment sur soi. Quelque chose est raconté ! Le haïbun… un récit de fiction Mais quoi ? N’importe quoi ! ai- ou de réalité ? je l’élan de répondre. Je n’ex- Je déteste enfermer les choses clus aucun événement ! Au ris- dans des moules, en écriture et que de me répéter, je soutiens ailleurs. Aussi, je vais m’appli- que l’intime a sa place dans quer à être brève dans ma défi- cette écriture ! Car il m’est sou- nition. Comme pour le haïku qui vent donné de vérifier, en atelier naît d’une rencontre avec l’ins- comme ailleurs, dans différents tant présent, le haïbun naît de textes lus sur des sites de haïbun, la saisie d’un événement que qu’on peut l’explorer en dehors nous sommes en train de vivre. de tout narcissisme, sentimenta- Je n’exclus aucun événement lisme, ou romantisme. et je précise que même l’évé- nement intime est le bienvenu ! De l’usage du je dans l’écriture Car on peut explorer l’intime en du haïbun dehors de tout nombrilisme. Dans le monde de l’écriture du On écrit dans le présent, même haïku, il m’arrive souvent de cons- lorsqu’on écrit après l’événe- tater une méfiance envers le JE. ment. J’exclus généralement la Forcément, quelqu’un écrit : je, pure fiction de l’écriture du haï- tu, nous écrivons. Chacun écrit bun. D’autres lieux existent à tra- à travers sa subjectivité, impossi- vers lesquels explorer celle-ci. ble de faire autrement ! Il me Rien n’empêche cependant semble que le JE du haïbun (et qu’on puisse écrire des fictions du haïku) n’est plus à défendre. entrecoupées de haïkus et sen- Le JE dont il est question ici éta- ryûs. Simplement, je ne leur don- blit une relation de variance- ne pas l’appellation de haïbun. invariance avec le monde, Mais donner un nom à tout est-il beaucoup plus grand que lui. Il aussi important qu’on le croit ? ne s’agit pas d’un JE qui résume À ce propos, tiré du roman Les ou réduit le monde à son petit 24
moi ! C’est davantage un JE Danièle Duteil tremplin. habite l’Île de Ré. S’intéresse au haïku depuis 2005. Le JE du haïku et du haïbun ne A publié dans diverses revues se narcissise pas plus qu’il ne GONG, casse-pieds, narcissise le monde dont il est Revue du tanka francophone. tributaire. C’est sa relation à ce Compte aussi des parutions en ligne : qui est autre qui lui donne un Ploc ! Temps libres, 575, corps et nourrit son esprit. On a AN+, Manteau d’étoiles. l’impression que ce JE s’ouvre On retrouve de ses haïkus dans Regards de femmes sur le monde. La Rumeur du coffre à jouets. Voici un exemple. Membre du C.A. de l’AFH. Le poisson rouge, par Michaël HAÏKU ET INTERNET McClintock (tiré du site Contemporary Haïbun on line , Dans le cadre de l’atelier traduction de Linda Montreuil) « Haïku et Modernité en franco- Dans nos yeux et notre sommeil et phonie », il m’a paru intéressant nos réponses à tout, à la manière dont nous avons mangé notre nourri- de consacrer un volet aux tech- ture et dont nous avons laissé traîner nologies de l’information et de nos odeurs et nos débris personnels la communication, particulière- partout dans la maison, nos cheveux ment à l’utilisation d’Internet coupés ou nos ongles, ou un mou- dans la pratique du haïku. choir froissé imprégné de salive, la manière dont nous avons coordonné J’ai établi, avec l’aide de Serge nos échanges ou des avis quand Tomé, que je remercie vive- nous sortions ou recevions des invités, ment, un questionnaire détaillé préférant différents livres de différents publié sur le site de l’AFH et sur auteurs et qui traitaient de choses Temps Libre. Ce questionnaire a différentes, la manière dont nous été envoyé à un panel de cin- avons gardé pour nous-mêmes nos sentiments, les couvant comme des quante haïkistes, pour la plupart verrues ou des plaies vives, la maniè- adhérentEs de l’AFH. Dix-huit re dont nous avons vécu en nous personnes ont répondu. Un re- éloignant l’un de l’autre et nous le tour encourageant et intéres- savions depuis plus de quatre ans, sant à exploiter. depuis le jour où tu as échappé le poisson rouge dans la toilette et que La consigne donnée était de ré- tu ne t’es jamais excusée. Tu as mê- pondre à la première question, à me ri. savoir « Utilisation d’Internet par « c’est temporaire » - rapport au haïku » et au moins à concernant notre séparation une ou deux autres questions, da- nous acceptons aussi de mentir vantage si on le souhaitait. La plu- part de ceux-celles qui se sont prêtéEs à l’enquête ont répondu de manière détaillée. CertainEs ont spontanément joint des haï- kus à leur envoi. Que touTEs soient 25
ici sincèrement remerciéEs. tation physique avec d’autres Il ressort en premier lieu que, si haïkistes. Ceux-celles qui ont pu la majorité d’entre nous utilise réaliser ce souhait en ont été, à Internet dans la pratique du une exception près, fort satisfaitEs. haïku, cette utilisation peut n’ê- On constate toutefois que peu de tre que très occasionnelle et gens ont participé à un kukaï. l’outil Internet n’a pas souvent Il n’est pas très fréquent d’être constitué un révélateur : beau- assidu à plusieurs listes simultané- coup connaissaient, prati- ment, chacunE courant après le quaient le haïku indépendam- temps. CertainEs de ceux-celles ment de cet outil. qui le font sont souvent pousséEs Par contre, le rôle des listes d’é- par des motifs professionnels ou change n’est pas négligeable. des activités qui les y invitent. Si bon nombre estiment qu’elles Ce même manque de temps permettent le partage, la explique que beaucoup esti- confrontation d’idées, la dé- ment trouver sur Internet suffi- couverte d’autres cultures, cer- samment d’informations. tainEs se disent déçuEs, n’ayant Outre le désir de confrontation pas trouvé en elles un espace avec d’autres haïkistes et d’au- très convivial. tres cultures, les recherches en Le fonctionnement et la dyna- relation avec le haïku sont orien- mique de groupe sur les listes tées vers des auteurs, des articles, ont fait l’objet de nombreuses des définitions, des analyses et remarques positives ou négati- des informations diverses relatives ves. Il a notamment été fait al- aux concours lancés ou aux ma- lusion aux encouragements in- nifestations proposées ici ou là. suffisants vis à vis des débutants S’il ne manque pas d’internautes ou encore au manque de res- haïkistes s’essayant à de nouvel- pect de la différence. les formes d’écriture (haïbun, tan- Personne ne nie les dangers in- ka, haisha, haïga…), beaucoup hérents aux groupes, mais ils se contentent du haïku, soit qu’il paraissent inévitables et, som- leur suffise, soit qu’ils ignorent les me toute, normaux. Renforcer autres genres. les chartes et contrôler encore Quoi qu’il en soit, ces écrits ou les plus étroitement les inscriptions divers échanges qui ont lieu sur sont les moyens suggérés pour Internet ne semblent pas entra- limiter ces dangers. De même, vés par l’outil technique qui n’est l’évaluation et la critique publi- considéré que fort exceptionnel- ques ne sont en principe admi- lement comme un obstacle. ses que si elles sont constructi- Si certains estiment que tous les ves et formulées avec tact. supports sont bons pour l’écritu- À noter que les colistiers éprou- re du haïku, il n’en reste pas vent un réel besoin de s’échap- moins qu’une grande majorité per du virtuel pour une confron- affectionne particulièrement le 26
support papier avec lequel des tout à fait leur place dans le haïku : liens très forts peuvent exister. tous les sujets doivent être traités. Les arguments en sa faveur Le « kigo » peut tout à fait y figurer abondent : afin de réaliser une ou une alternative à ce mot mar- belle édition, rien ne semblerait queur. Cependant, les écrits dans l’égaler, principalement par le domaine des technologies ne rapport aux possibilités de mise sont pas encore prépondérants. en page et de typographie Parmi les aspects culturels mis en qu’il offre. relief, celui des apports de listes On admet que l’édition puisse étrangères a suscité de nombreu- aussi être virtuelle mais, en gé- ses remarques. Leur fréquentation néral, on ne concède pas à permet en particulier d’appréhen- cette dernière la même impor- der d’autres formes de pensées, tance ni le même poids culturel des différences de style, d’écriture qu’à l’édition papier. autant que de sensibilité. Quelques internautes ont cons- La traduction s’avère pour truit leur propre site sur lequel ils beaucoup importante, même ne réservent pas forcément de s’il est admis qu’elle est difficile place à d’autres auteurs. Ce et qu’elle ne peut pas restituer site ne constitue que très rare- parfaitement toutes les subtilités ment une étape préliminaire à d’un haïku. Les adaptations la publication papier. qu’elle entraîne pour approcher Le principal intérêt de la diffu- une autre mentalité que la nôtre sion par Internet semblerait rési- sont considérables. der dans la dynamique de l’é- La traduction en anglais du haï- change, la large diffusion et le ku francophone peut en assurer faible coût. Elle peut aussi per- une plus large diffusion et l’on mettre à des éditeurs de repé- souhaite assez souvent une pré- rer plus facilement des auteurs sence forte du haïku francopho- qu’ils n’auraient pas pu décou- ne sur Internet. vrir autrement. De là à importer des règles d’écri- Le problème des droits d’au- ture pratiquées dans la commu- teur revêtant pour quelques- nauté internationale, certains ne uns une importance majeure, ils l’envisagent pas tandis que d’au- ne s’engageront pas dans la tres voient dans cette démarche publication électronique de une réelle source d’enrichissement. leur création tant que ces droits Consciente que cet exposé ne ne seront pas complètement constitue qu’un reflet imparfait protégés. de toutes les réponses collec- Quelles que soient les opinions par tées, je procèderai à des ap- rapport à ce problème, tout le ports complémentaires sur le site monde est d’accord pour estimer de l’AFH, dans la rubrique que le monde moderne, la vie « Réfléchir ». Plusieurs problèmes technologique en particulier, ont soulevés par l’enquête autour 27
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