55 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève

 
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55 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève
Septembre — décembre 2011 — adc / association pour la danse contemporaine

               55
               Journal de l’adc
               Association pour la danse contemporaine
               Genève

Dossier

Le musée
imaginaire
de Jan Fabre
Focus

Pavillon
de la danse
À l’affiche

Jan Fabre
Cindy
Van Acker
Kaori Ito
Sébastien
Boucher
et
Walid
Boumhani
55 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève
2 / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011                                                                                                                                                                                   Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011 /   3

                                                                                                                               Dossier

                                                                                                                               12 - 17                       18 - 19                                  20 - 21
                                                                                                                               Le Musée imaginaire           Prometheus                               Preparatio Mortis
                                                                                                                               de Jan Fabre                  Landscape II                             Jan Fabre
                                                                                                                               Reportage à Anvers            Jan Fabre
                                                                                                                               dans le Laboratorium,                                                  22
                                                                                                                               espace de travail atypique                                             Agenda Jan Fabre
                                                                                                                               de Jan Fabre.

                                                                                                                               A l’affiche de sept. à déc.   Bus, livres, etc.                        Carnet de bal           Mémentos

                                                                                                                               4-5                           26 - 27                                  28 - 30                 34
                                                                                                                               Diffraction                   Une sélection                            Que font les            Lieux choisis en
                                                                                                                               Cindy Van Acker               des dernières                            danseurs genevois       Suisse et France
                                                                                                                                                             acquisitions                             et autres nouvelles     voisine
                                                                                                                               6-7                           du centre de                             de la danse
                                                                                                                               Island of no memories         documentation
                                                                                                                               Kaori Ito                     de l’adc                                 32
                                                                                                                                                                                                      Ateliers                Histoires de corps
                                                                                                                                                             Les bus en-cas                           du spectateur
                                                                                                                               8-9                                                                                            35
                                                                                                                                                             de l’adc
                                                                                                                               Dilexion                                                                                       Un danseur
                                                                                                                               Sébastien Boucher             La chronique sur le                                              se raconte en trois
                                                                                                                               et Walid Boumhani             gaz de Claude Ratzé                                              mouvements :
                                                                                                                                                                                                                              Rudi van der Merwe

                                                                                                                               Pavillon de la danse

                                                                                                                               10 - 11
                                                                                                                               Informations
                                                                                                                               sur le Pavillon
                                                                                                                                                             Association pour la danse
                                                                                                                                                             contemporaine (adc)
                                                                                                                                                                                                      Edito

                                                                                                                                                                                                      Fabromanie active
                                                                                                                                                             Rue des Eaux-Vives 82−84
                                                                                                                               de la danse                   1207 Genève
                                                                                                                                                             tél. +41 22 329 44 00
                                                                                                                               suivies de A+ B = X           fax +41 22 329 44 27
                                                                                                                                                                                                      La création fonctionne sur le mode obsessionnel. C’est ce que l’on
                                                                                                                               de Gilles Jobin               info@adc-geneve.ch
                                                                                                                                                             www.adc-geneve.ch
                                                                                                                                                                                                      se dit en découvrant les œuvres de Jan Fabre. Dans ses pièces théâ-
                                                                                                                                                             Responsable de publication :
                                                                                                                                                             Claude Ratzé                             trales, chorégraphiques et plastiques, dans ses films et ses écrits,
                                                                                                                                                             Rédactrice en chef :
                                                                                                                                                             Anne Davier                              l’artiste brandit ses préoccupations, toujours les mêmes depuis
                                                                                                                                                             Comité de rédaction :
                                                                                                                                                             Caroline Coutau, Anne Davier,            trente ans. La vie, la mort, la beauté, la sauvagerie humaine.
                                                                                                                                                             Thierry Mertenat, Claude Ratzé
                                                                                                                                                             Secrétariat de rédaction :                  A la longue, cela pourrait donner un sentiment de « déjà vu » et de-
                                                                                                                                                             Manon Pulver
                                                                                                                                                             Ont collaboré à ce numéro :
                                                                                                                                                                                                      venir lassant. Pourtant, les thématiques et leurs moyens d’expres-
                                                                                                                                                             Gregory Batardon,
                                                                                                                                                             Rosita Boisseau, Anne Davier,
                                                                                                                                                                                                      sions se sont intensifiés et complexifiés. Par exemple : épris dès ses
                                                         Carte blanche à Magali Girardin                                                                     Steve Iuncker, Sakiko Leblanc,
                                                                                                                                                             Ilse Liekens, Hélène Mariéthoz,
                                                                                                                                                                                                      premiers dessins par le stylo Bic bleu, il réalise un gribouillage de
                                                         Photographe indépendante établie à Genève.
                                                         Série de photographies prises dans le cadre de la Fête de                                           Claude Ratzé, Eric Vautrin,
                                                                                                                                                             Michel Voiturier
                                                                                                                                                                                                      grande envergure qui recouvre entièrement le château de Tivoli dans
                                                         la Musique le 18 juin 2011, scène danse de l’adc dans la cour
                                                         des Casemates.
                                                                                                                                                             Graphisme : Silvia Francia, blvdr
                                                                                                                                                             Impression : SRO Kundig
                                                                                                                                                                                                      la province de Rome. Sa bicomanie a abouti à une œuvre qui relève
                                                         « Contact : du danseur avec la scène, de la danse avec son public.
                                                                                                                                                             Tirage : 8’500 exemplaires
                                                                                                                                                             Septembre 2011
                                                                                                                                                                                                      de l’exploit. Tout comme sa collection de scarabées, devenue un océan
                                                         Le plein air a ses contraintes. Il a aussi sa liberté. J’aime ce                                    Prochaine parution :
                                                         plain-pied avec le geste chorégraphique, cette coulisse à vue qui                                   Janvier 2012
                                                                                                                                                                                                      de carapaces qui a englouti la voûte du Palais Royal de Bruxelles.
                                                                                                                                                             Ce journal est réalisé
                                                         appartient à tous. Tourner autour du plateau. La fête de la musique
                                                         est pour moi d’abord celle de la danse. Auberge espagnole,                                          sur du papier recyclé.
                                                                                                                                                                                                         Jan Fabre se répète, comme tout maniaque obsédé par son art.
                                                         mélange des genres. Faire des images qui montrent cela, en                                          Photo de couverture :                    Certains diront jusqu’à l’enflure. Pourtant, indéniablement, il formule
                                                         s’affranchissant du cadre, en allant à son tour, librement, au                                      Diffraction de Cindy van Acker.
                                                         contact de la séquence dansée, de ces mains qui touchent et se                                      Photo : Christian Lutz                   des visions claires et perspicaces et crée, en un clin d’œil, un monde
                                                         touchent. Contact : j’affectionne ce mot à deux syllabes
                                                         énergiques qui ramène à mon métier. La danse me le rappelle
                                                                                                                                                             L’ADC bénéficie du soutien de la Ville
                                                                                                                                                             de Genève, de la République et canton    qui porte sa signature. Au fil des ans, il a bâti une œuvre colossale.
                                                         à chaque instant. » Magali Girardin                                                                 de Genève et de la Loterie Romande.
                                                                                                                                                                                                      Nous vous invitons à vous immerger dans cet univers. Les specta-
                                                                                                                                                                                                      cles, films, installation, conférence et documentaires qui sont pré-
                                                                                                                                                                                                      sentés cet automne et pendant deux semaines, entre Genève et Lau-
                                                                                                                                                                                                      sanne, sont autant de propositions qui cernent l’œuvre polymorphe
                                                                                                                                                                                                      d’un artiste épris d’intensité poétique. Anne Davier
55 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève
4 / A l’affiche / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011                                                                                                                                                                                                                 A l’affiche / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011 /       5

                                             A l’affiche

                                             De septembre
                                             à décembre,
                                             les spectacles
                                             présentés
                                                                                                                                                                                                                 Atelier du regard

                                                                                                                                                                                                                 Animé par Philippe Guisgand
                                                                                                                                                                                                                 le jeudi 3 novembre autour du

                                             par l’adc
                                                                                                                                                                                                                 spectacle de Cindy Van Acker,
                                                                                                                                                                                                                 Diffraction (voir page 31)

                                                                                                               Diffraction de Cindy Van Acker. Photo : Christian Lutz

                                              Diffraction − du 26 octobre au 6 novembre
                                                                                                                                                                        Repères biographiques                    Diffraction (création 2011)
                                                                                                                                                                        Cindy Van Acker crée le solo Corps       Chorégraphie : Cindy Van Acker
                                                                                                                                                                        00 : 00 en 2002, puis deux autres soli   Interprètes : Tamara Bacci,

                                              Cindy Van Acker emmène six interprètes dans les
                                                                                                                                                                        en 2003, Fractie et Balk 00 : 49.        Carole Garriga, Anne-Lise Brevers,
                                                                                                                                                                        En 2005, elle est choisie par le         Luca Nava, Rudi van der Merwe,
                                                                                                                                                                        metteur en scène italien Romeo           Cindy Van Acker

                                              vertiges de sa nouvelle création, où le mouvement
                                                                                                                                                                        Castellucci pour représenter la          Musique : Mika Vainio
                                                                                                                                                                        Suisse à la Biennale de Venise.          Lumière : Luc Gendroz, Victor Roy,
                                                                                                                                                                        Ce dernier l’invite à créer la partie    Cindy Van Acker

                                              est un fluide qui circule de l’un à l’autre.                                                                              chorégraphique de sa pièce Inferno
                                                                                                                                                                        en 2008 pour le Festival d’Avignon,
                                                                                                                                                                        puis en 2011 pour le Parsifal qu’il
                                                                                                                                                                                                                 Réalisation scénographie : Victor Roy
                                                                                                                                                                                                                 Costume : VRAC

                                                                                                                                                                        monte à la Monnaie. La première          Salle des Eaux-Vives
                                                                                                                                                                        pièce de groupe de la chorégraphe,       Du 26 octobre au 6 novembre
                                                                                                                                                                        Pneuma, est créée en 2005. En 2007,      à 20h30
Il y a presque dix ans, Cindy Van             qui est exprimé et ce qui est ressen-   qu’il rencontre ; ce qui se donne à danse ne pointe plus un lieu ou une           elle collabore pour son trio Kernel      Samedi à 19h, dimanche à 18h,
Acker créait Corps 00 : 00. Le titre          ti ou ce que l’on est au moment de      voir est moins un corps ou un autre image ; elle n’indique rien d’autre           avec le Finlandais Mika Vainio, du       Relâches lundi et mardi
                                                                                                                                                                        groupe Pan Sonic, également              Rencontre avec l’équipe artistique
annonçait les premiers temps d’une            la danse. La chorégraphie dévoilait     que ce qui circule entre eux ou de que ce qu’elle est en train de faire           complice des trois solos produits        à l’issue de la représentation
œuvre qui allait avancer pas à pas,           là son discret secret ou fondement,     par eux. C’est bien la suite : après — « confluence entre le mouvement,           entre 2008 et 2009 : Lanx, Nixe et       du 27 octobre
                                                                                                                                                                        Obtus. Obvie, Antre et Nodal             Réservations 022 320 06 06
par étapes. Cette danse s’inventait,          un projet qui dépasse le seul geste     l’exploration des possibles de son la forme, l’expression et l’état » ; et        complètent cette série de six soli qui   et www.adc-geneve.ch
et elle commençait avec les élé-              chorégraphique.                         propre corps, après l’étude de ses aussi pour soi, spectateur. Elle pé-           sont la source d’autant de créations
                                                                                                                                                                        cinématographiques réalisées par
ments les plus simples : la chorégra-             Pneuma 02 : 05, pièce de groupe     propres gestes diffractés par leur nètre dans le plus pur présent, un             Orsola Valenti. En 2010, elle crée
phe expérimentait la danse à partir           créée en 2006, partait de l’applica-    transmission à d’autres, il est temps instant de plus en plus infime entre        le solo Monoloog.
de son propre corps, explorant ce             tion à un groupe de danseurs de ces     de regarder des corps faire circuler le passé et le futur, sur la ligne acé-
que chorégraphie pouvait signifier,           principes découverts et expérimen-      un élément commun, faire varier un rée, glacée et fuyante, mais toujours
et d’abord pour elle. Elle partait de         tés seule. Puis, dans la même logi-     même mouvement.                         ténue, tenue, du présent en devenir,
zéro : son corps et ce qu’il pouvait          que, CVA créa six soli pour six in-         Ainsi pensée, la danse devient du mouvement en train d’avoir lieu,
faire, en cherchant ce qu’il ne faisait       terprètes, Lanx, Obvie, Antre, Nodal,   un problème de rencontre, de rap- du corps concentré, attentif et livré
pas spontanément — une danse.                 Nixe et Obtus : six rencontres entre    port. De rapport entre le mouve- au mouvement qui est aussi l’explo-
     La danse était le nom d’une              des principes chorégraphiques —         ment et chaque corps, entre le mou- ration de ses possibles. Profondeur
découverte, d’une exploration. De             ou plutôt une façon d’appréhender       vement et soi, mais également de sans cesse plus infime du présent,
ces premiers temps, il ressortit              la danse — et six personnalités. Les    rapport entre soi et soi, dans l’infime écart toujours plus minimal entre
trois énoncés au moins : d’abord              arguments de la chorégraphe ré-         écart qu’ouvre le mouvement en soi, le corps et le mouvement qu’il ren-
un corps peut infiniment plus que             sonnaient à travers chaque inter-       car soi devient autre chose que soi contre, entre le corps et ce qu’il peut,
ce que la convention et les langa-            prète, en fonction des qualités et      par le mouvement ; une légère mais entre soi et soi.
ges en font ; ensuite un corps a la           des savoirs de chacun.                  saisissante différence, pour qui y                                                Ce qui apparaît est à la fois très                 la plastique inouïes, ce rythme inat-    lence jusqu’à la dissoudre. Celui qui      danse. Cela ne veut pas dire que
capacité de surprendre autant les                                                     prête attention. Alors la danse est Archaïsme contemporain                        nouveau — on pourrait même dire                    tendu, ce temps paradoxal. Pour          arrive là parvient au-delà de tout ce      c’est une danse abstraite, formelle
logiques que les imaginaires ; enfin          Sereine et méthodique                   ce qu’il se passe entre un mouve- Pourtant cette danse commence                   très contemporain, singulièrement                  moi, ils contiennent une violence        qui oblige ou contraint. Le contraire      ou expérimentale, ou alors dans
il existe des liens entre corps, espa-        Diffraction, la prochaine création de   ment et un corps, et un espace, un toujours par nous rendre les corps             inscrit dans l’existence actuelle, l’in-           sans âge. Derrière eux grondent          d’une nouvelle idée ou d’un délire :       le sens le plus fort de ces termes,
ces et musiques (ou technologies)             Cindy Van Acker et ses danseurs et      lieu, un son aussi bien.                des danseurs étranges et incertains,      verse radical de sa frénésie en quel-              terreurs, oppressions, inconscien-       un exercice spirituel, peut-être.          dans la confiance donnée à la forme,
d’une complexité — d’une compli-              compagnons, s’inscrit dans cette            Par son approche systématique et elle avance toujours dans le noir            que sorte — et en même temps très                  ces, frénésies, cynismes, empor-                                                    à l’abstrait ou à l’expérimentation
cité — discrète et toute organique,           continuité sereine et méthodique.       et concrète, elle ressort du savoir ou la pénombre. Les séries de mou-            ancien, archaïque ou atemporel : la                tements, je ne sais pas nommer ce            C’est ainsi une danse simple,          comme moyen d’approcher quel-
au-delà des analogies de formes,              Elle se compose à partir d’un prin-     pratique ou empirique du corps qui vements ou les phrases chorégra-               nuit des temps, au fond du présent.                cauchemar de l’histoire. Ici retenus,    comme on dit un corps simple, qui          que chose que la danse, pas plus
de rythmes ou de puissances. Et               cipe physique simple — ici la dif-      se livre au mouvement, elle est por- phiques qui reviennent suspendent                C’est que cette danse, contraire-              contenus, déjoués. La maîtrise des       renouvelle l’ancienne forme de             que le langage, ne peut dire ou re-
un quatrième, en apparence moins              fraction, la variation d’une onde au    tée par les rapports entre le corps et bientôt le sens du temps et les re-        ment aux apparences, n’est pas for-                danseurs, qui composent avec leurs       l’étude. Une œuvre chorégraphique          présenter.
technique : la danse rend possible            contact d’un corps. On entend alors     l’espace, la lumière et le son, mais pères logiques. Ainsi, par le corps et       melle, au sens où elle ne construit                corps des variations infinies, qui re-   qui avance à pas lents et sereins.         Eric Vautrin*, juin 2011
un rapprochement entre « le mou-              deux choses : le mouvement est          aussi encore une fois entre soi et soi, le temps pris en soi et non comme         pas une composition valant pour                    tiennent le temps avec une science       Une danse qui n’annonce rien, ne
vement, la forme, l’expression et             un fluide ou une onde qui n’appar-      dans la concentration nécessaire à valeurs signifiant autre chose, cette          elle-même, comme une figure abs-                   indéfinissable et pourtant très sim-     proclame rien d’autre que ce qu’el-       *Eric Vautrin est maître de conférences
                                                                                                                                                                                                                                                                                                               en arts du spectacle à l’Université de Caen,
l’état », une réconciliation entre ce         tient pas au corps mais qui circule     l’exécution du mouvement, et seu- danse révèle des postures, des                  traite. Il faut les entendre plus que              ple, faite d’attention et de patience,   le expérimente pour elle-même à            membre du LASLAR et chercheur associé
qui est dansé, ce qui est montré, ce          de l’un à l’autre, marqué par ceux      lement de celui-ci, absolument. La tensions, des impressions inédites.            les voir, ces corps à l’élasticité et à            crée une forme qui retient la vio-       partir de ce qui la constitue comme        au laboratoire du CNRS l’ARIAS.
55 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève
6 / A l’affiche / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011                                                                                                                                                            A l’affiche / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011 /   7

Repères biographiques                     Island of no memories (2011)
Kaori Ito étudie les techniques           Chorégraphie et mise en scène :
de Graham, Cunningham, Limon              Kaori Ito
et Horton à New York. Elle danse          Interprètes : Kaori Ito, Thomas
pour Decouflé, le Ballet Preljocaj,       Bentin, Mirka Prokesová
Sidi Larbi Cherkaoui, Alain Platel.       Dramaturgie : Satoshi Kudo
Elle est aussi l’interprète d’Au Revoir   Régie lumière : Thomas Veyssiere
Parapluie de James Thierrée.              Régie son Louise : Gibaud
En tant que chorégraphe, Kaori Ito        Musique originale : Guillaume Perret
crée Noctiluque en 2008.
Elle obtient le premier prix du
concours (Re)connaissance
pour sa chorégraphie Island of
no memories, créé en 2011.

Kaori Ito est soutenue                    Salle des Eaux-Vives
par Modul dance                           du 16 au 20 novembre à 20h30
                                          samedi à 19h, dimanche à 18h                                Atelier cuisine
                                          Rencontre avec l’équipe artistique
                                          à l’issue de la représentation                              Animé par Claude Ratzé
                                          du 17 novembre                                              le jeudi 17 novembre avant
                                          Réservations 022 320 06 06                                  et après le spectacle de Kaori Ito,
                                          et www.adc-geneve.ch                                        Island of no memories
                                                                                                      (voir page 31)
                                                                                                                                                                  C’est l’histoire d’un homme qui veut       régraphe du Japon » à dix-huit ans et       Souvenirs et répétitions
                                                                                                                                                                  oublier la routine de sa vie. Il perd la   atterrit en France, la tête la première     « La mémoire, reprend Kaori Ito, est
                                                                                                                                                                  mémoire, y prend goût, mais ne se          et le corps à l’envers, dans la com-        un sujet passionnant pour qui s’inté-
                                                                                                                                                                  souvient plus du visage de sa pro-         pagnie de Philippe Decouflé. Trois          resse à la danse et pour tous ceux
                                                                                                                                                                  pre femme. Ni pourquoi il pleurait         ans durant, entre 2003 et 2005, elle        dont le travail repose sur le souvenir
                                                                                                                                                                  ou comment il souriait. Island of no       incarne le premier rôle d’Iris, et la       de gestes inlassablement répétés.
                                                                                                                                                                  memories est une pièce sur l’oubli         France découvre alors la présence           Mais je m’amuse aussi dans la pièce
                                                                                                                                                                  et ses délices. « J’ai grandi à Tokyo,     frappante d’un petit gabarit au cha-        à évoquer tout ce qui peut encom-
                                                                                                                                                                  raconte Kaori Ito. Là bas, il n’est pas    risme à la fois gracile et teigneux.        brer notre cerveau. » Cet organe est
                                                                                                                                                                  rare de voir des hommes d’affaires         Corps de liane et caractère de feu,         symbolisé sur scène par une multi-
                                                                                 Kaori Ito dans Island of no memories. Photos : Antoine Conjard
                                                                                                                                                                  ivres qui titubent, tombent et dor-        Kaori Ito entre dans la légende de          tude de cordes entremêlées comme
                                                                                                                                                                  ment dans la rue. Ils sont tellement       celles qui désormais veulent et             autant de ficelles auxquelles on
                                                                                                                                                                  dépassés par leur vie profession-          peuvent tout faire. Intégrer le Ballet      tente de se raccrocher comme à ses
                                                                                                                                                                  nelle que ces moments-là leur de-          Preljocaj, assister James Thierrée,         souvenirs. Dans Island of no memo-
                                                                                                                                                                  viennent nécessaires pour oublier          Sidi Larbi Cherkaoui ou Alain Platel        ries, ils ne tiennent en effet qu’à un fil.
                                                                                                                                                                  leurs trop fortes responsabilités de       et danser pour eux, jouer Hyde face         Sakiko Leblanc
                                                                                                                                                                  la journée. » C’est au Danois Thomas       à Denis « Jekyll » Podalydès, choré-
                                                                                                                                                                  Bertin qu’elle a confié le rôle du bu-     graphier pour des acteurs comme
                                                                                                                                                                  sinessman stressé, « pour jouer sur        Clémence Poésy au cinéma et rem-
                                                                                                                                                                  le contraste entre sa puissance bien       porter des prix pour ses propres
                                                                                                                                                                  réelle et sa fragilité supposée ». Elle-   chorégraphies. « J’apprends beau-
                                                                                                                                                                  même incarne l’épouse du protago-          coup des autres, reconnaît Kaori Ito,
                                                                                                                                                                  niste, tandis que la Tchèque Mirka         trente et un ans aujourd’hui, mais j’ai
                                                                                                                                                                  Prokesova, avec « son énergie féline       aussi besoin de maîtriser ce que je
                                                                                                                                                                  et sa prodigieuse souplesse », est         veux exprimer. » Parler de soi et du
                                                                                                                                                                  son exacte opposé.                         monde avec sa propre sensibilité,
                                                                                                                                                                       Kaori Ito débute la danse clas-       comme dans Island of no memories,
                                                                                                                                                                  sique à cinq ans, est reconnue             sa troisième pièce et, à ce jour, son
                                                                                                                                                                  «  meilleure jeune danseuse et cho-        travail le plus abouti.

                                                                                                                                                                                                                                                            Kaori Ito dans Island of no memories © DR

                                                                                                                                                  Island of no memories — du 16 au 20 novembre
                                                                                                                                                  La mémoire, ses trous et ses encombrements, sont au cœur
                                                                                                                                                  de la dernière création de Kaori Ito, couronnée au concours
                                                                                                                                                  (Re)connaissance.
55 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève
8 / A l’affiche / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011                                                                                A l’affiche / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011 /   9

                                                                       DileXion − du 7 au 18 décembre
                                                                       Sébastien Boucher, l’as de la house, rencontre
                                                                       Walid Boumhani, le roi du popping. Duel ou duo,
                                                                       hip-hop classieux à la Salle des Eaux-Vives.
Dilexion (création 2011)
Chorégraphie et interprétation :
Sébastien Boucher
et Walid Boumhani
Musicien percussionniste :
Alexandre Dai Casting

Salle des Eaux-Vives
du 7 au 18 décembre à 20h30,
samedi à 19h, dimanche à 18h,
relâches lundi et mardi
Rencontre avec l’équipe artistique
à l’issue de la représentation
du 8 décembre
Réservations 022 320 06 06
et www.adc-geneve.ch

                                                                                       En 2010, dans le cadre de la Fête de       Contaminations                                  Duo ou duel ? C’est le propos,
                                                                                       la musique, l’adc offrait la scène des     « Quand on passe de la rue à la             sur scène comme à la ville, où il est
                                                                                       Casemates à Sébastien Boucher et           scène, il n’y a plus le crew qui vous       question d’attachement à la famille,
                                                                                       Walid Boumhani pour une improvi-           porte. On est seul à gérer l’espa-          au sein du groupe ou du couple.
Repères biographiques
Sébastien Boucher débute avec                                                          sation hip-hop en duo. En montant          ce », fait remarquer Walid, comme           S’attacher, est-ce se fondre, se dis-
le style « hype » au début des années                                                  sur scène, ni le pionnier de la stree-     si l’absence du groupe autour de            tinguer ou se confronter ? Le par-
90. En 2000, il rejoint Paris pour
apprendre tous les styles de hip-hop.                                                  dance ni le virtuose de popping ne         lui le coupait des codes nourriciers        cours respectif des deux danseurs
Il vit actuellement en Suisse,                                                         savaient ce que l’autre ferait en ré-      du hip-hop qui lui dictent les beaux        dont les corps gardent le hip-hop
enseigne et chorégraphie pour des
événements ou des shows. Afflux,                                                       ponse à ses propositions dansées.          mouvements ou saluent l’énergie             en mémoire leur permet des écarts
sa première création hip-hop pour                                                      Le dialogue a pris. Un an après, Di-       la mieux placée. Comme si être en           aux codes, à la rue et au groupe.
un plateau de théâtre, a été présenté
en 2008 à la Salle des Eaux-Vives.
                                                                                       leXion prend forme. Une première           face et non dans le public le met-          Depuis longtemps, ils ne sont plus
                                                                                       pièce qui pourrait être le début           tait à nu, distendant les liens et lui      dans l’imitation ou la confrontation
Walid Boumhani remporte en 1999
le Poppin’Contest de Stuttgart et
                                                                                       d’une collaboration au long cours,         consentant une liberté nouvelle. Et         qui leur garantissaient une place et
en 2000 le Funk Styles de Los                                                          la naissance d’une compagnie faite         c’est bien de ça que parle DileXion,        une reconnaissance. Aujourd’hui, ils
Angeles. Il collabore avec le groupe                                                   d’affinités électives.                     de lien et de distance, de tout ce qui      se mettent à nu, dans ce qu’ils ont
O Possee dans les années 90 puis
est soliste de la compagnie Montalvo                                                        « Dilection » signifie le choix que   fait l’attachement. Comment vont-           de plus neuf à offrir à la scène hip-
Hervieu pour les créations                                                             l’on fait de s’attacher à quelqu’un        ils le donner à voir sachant que sur        hop et dans une bouleversante et
Paradis et Le Jardin.
                                                                                       ou quelque chose avec lequel on se         scène, Sébastien Boucher et Walid           puissante sincérité.
                                                                                       reconnaît des parentés ou des affi-        Boumhani se distinguent par leur            Hélène Mariéthoz
                                                                                       nités. « DileXion » avec un X, c’est       technique : une gestuelle convulsive
                                                                                       l’attrait avec inconnue, c’est l’atta-     et saccadée propre au popping pour
                                                                                       chement marqué du signe de re-             Walid, à qui la construction très géo-
                                                                                       connaissance hip-hop. Sébastien            métrique des mouvements sur de la
                                                                                       comme Walid ont grandi dans cette          musique funk a valu de représenter
                                                                                       famille, suivant un parcours analo-        la France aux USA. Et pour Sébas-
                                                                                       gue, se rencontrant dans les battles       tien, des mouvements plus souples
                                                                                       ou les jurys de Juste Debout quand         et arrondis sur une musique et dans
                                                                                       ils n’ont pas foulé le même plateau        un style house.
                                                                                       de télévision. Et puis, l’un et l’autre
                                                                                       ont passé à la scène, Sébastien                Avec les arrangements musi-
                                                                                       Boucher avec différentes compa-            caux d’Alexandre Dai Casting qui
                                                                                       gnies en France et dans les vidéo-         mélangent textures acoustiques et
                                                                                       clips de Mis-Teeq ou Willy Denzey          rythmiques électroniques, ils s’as-
                                                                                       avant de chorégraphier son très re-        surent le lien entre les techniques
                                                                                       marqué Afflux à la Salle des Eaux-         et les genres. Les danseurs se ma-
                                                                                       Vives en 2008. Walid danse pour la         nipulent et s’entendent, tantôt duo
                                                                                       Cie française Montalvo-Hervieu dès         tantôt battle, distincts et contaminés
                                                                                       1997 et réalise plusieurs solos à          par l’autre, avec une même énergie,
                                                                                       Urban Peace au Stade de France.            partageant une émotion commune.
Sébastien Boucher et Walid Boumhani. Photo : Magali Girardin
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10 / Pavillon de la danse / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011                                                                                                                                                               Pavillon de la danse / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011 / 11

                                            Pavillon                               Trois soirées d’informations
                                                                                   publiques sur le projet
                                            de                                     du Pavillon de la danse
                                                                                   suivies du spectacle
                                            la danse                               de Gilles Jobin, A+B = X
                                            Salle des Eaux-Vives                   L’adc, toujours en quête d’un lieu            Ce projet prend depuis le prin-
                                            les 6, 7 et 8 octobre                  pour la danse, a imaginé avec la Vil-     temps dernier la forme d’une pro-
                                                                                   le de Genève le projet d’un Pavillon.     position du Conseil Administratif
                                            Informations Pavillon à 19h            Après différentes études de faisa-        au Conseil Municipal (la PR-873),
                                            Spectacle de Gilles Jobin              bilités sur plusieurs parcelles ap-       en vue de l’ouverture d’un crédit
                                            A+B=X à 20h30                          partenant à la Ville de Genève, la        destiné au concours et à l’étude
                                            Réservations :                         place Sturm présente les caracté-         d’un Pavillon sur ce lieu.
                                            022 320 06 06                          ristiques les plus favorables pour            Il nous apparaît opportun de le
                                                                                   ce projet et a donc été retenue.          présenter aujourd’hui sous toutes
                                            www.adc-geneve.ch
                                                                                        Le Pavillon de la danse, dont les    ses coutures et d’en souligner les
                                                                                   dimensions au sol sont au mini-           enjeux essentiels.
                                                                                   mum de 20 mètre sur 40, s’implan-             Parce qu’il s’agit de danse avant
                                                                                   terait à la place de l’actuelle voirie,   tout, l’adc associe à cette présenta-
                                                                                   côté boulevard des Tranchées, en-         tion la reprise d’une pièce de réper-
                                                                                   tre les deux rangées d’arbres. La         toire de Gilles Jobin, A+B=X, créée
                                                                                   place Sturm, un site urbain, acces-       en 1997, année des premiers pas de
                                                                                   sible en transports publics, est si-      notre projet d’un lieu pour la danse !
                                                                                   tuée dans un périmètre qui offre
                                                                                   des synergies intéressantes avec
                                                                                   les trois studios de danse gérés par
                                                                                   l’adc à la Maison des Arts du Grütli.

                                                                                                                                                                                                                Le Pavillon de la danse s’implanterait à la place de l’actuelle voirie côté boulevard des Tranchées. Photo : Steve Iuncker

                                            Francis Cossu : En revoyant            nous pouvons nous détacher, un               Dans A+B=X, j’ai très vite attri-
A+ B = X,                                   A+B=X aujourd’hui, je me suis          corps évident, et de l’autre un corps     bué à la musique une fonction
Pièce fondatrice du                         dit, c’est frappant, ta danse était    qui porte un esprit, une pensée exis-     dramaturgique. Le son a des res-
chorégraphe Gilles Jobin,                   là, déjà. Ce corps quasi organi-       tentielle séparée de la matière du        ponsabilités au niveau des ten-
est remontée treize ans                     que qui émerge sous nos yeux,          corps. Très vite, on réalise qu’il y a    sions de la pièce. Il y a d’ailleurs
après sa création.                          d’abord indéfini, qui s’identifie      conflit entre cette pensée que l’on       une véritable consistance dans la
                                            pas à pas, singulièrement en se        ne peut qu’imaginer éternelle et ce       musique, une épaisseur presque
Organicité des corps, complexité            sexualisant, ou formant de nou-        corps dont nous savons pertinem-          physique, aqueuse. Il était très im-
de l’écriture chorégraphique, le            velles chaînes, de nouvelles for-      ment qu’il a une fin.                     portant qu’elle soit organique, créée
chorégraphe pose en 1997 ses                mes d’état de corps.                                                             en osmose avec la danse, qu’elle
jalons dans l’abstraction figurative            Gilles Jobin : En tout cas, un     Avec A+B=X, tu commences un               plonge le spectateur dans un état                                                                                     La place Sturm s’allonge entre la rue Charles Sturm derrière l’église russe et la
et crée la surprise par sa façon            corps global, holistique. A+B=X        travail important de collabora-           contemplatif.                                                                                                         rue Ferdinand-Hodler, en contre-bas. Photo : Archigraphie
d’aborder le corps nu en scène.             joue beaucoup avec les frontières      tion avec des compositeurs de             Propos recueillis par Francis Cossu (extraits)
Le trio connaît un succès immédiat          de la perception, englobe tous les     musique électronique, ici Franz
et tourne pendant deux années sur           sens. C’est pour cela qu’il y a deux   Treichler et The Young Gods,
les scènes prestigieuses euro-              danseuses et un danseur. J’ai volon-   aujourd’hui Cristian Vogel.                         A+B=X (2011)
péennes.                                                                                                                               Création le 4 décembre 1997
                                            tairement minoré le masculin pour          Dans mes premiers soli, j’utili-                à L’Arsenic, Lausanne
    « Remonter cette première piè-          accroître une sensation d’ambiguïté    sais déjà des morceaux des Young                    Reprise au Centre culturel suisse
ce, explique le chorégraphe, c’était        des genres. La musique et la lumiè-    Gods. Mais je les avais remixés, tri-               à Paris les 10 et 11 décembre 2010
                                                                                                                                       Chorégraphie : Gilles Jobin
comme enfiler un vieux jean et se           re ont ces mêmes fonctions, elles      turés, ralentis, bref, recomposés                   Musique : Franz Treichler
rappeler les sensations du corps            conditionnent le regard pour l’ame-    pour les besoins de la pièce. Franz                 et The Young Gods

au moment où on le portait. »               ner à percevoir des zones moins dé-    Treichler a vu mes solos et je lui ai               Danseurs création 1997 :
    Gilles Jobin s’entretient avec          finies que le corps seul.              proposé de travailler avec moi. Je                  Ana Pons, Carrera, Gilles Jobin,
                                                                                                                                       Nuria de Ulibarri
Francis Cossu.                                  A+B=X, c’est un énoncé assez       crois que ça lui a plu car collaborer               Danseurs 2010 : Susana Panadés
                                            simple, mais dont on sait très vite    avec un chorégraphe lui permettait                  Díaz, Isabelle Rigat,
                                                                                                                                       Louis Clément da Costa
                                            que le sens est difficile à percer.    de développer d’autres types d’ex-                  Apparition dans le film : Franko B     Photos A+B=X : Isabelle Meister
                                            D’un côté, nous avons un corps dont    périences musicales.                                Lumière : Daniel Demont
55 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève
12 / Dossier / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011                                                                                                                                                                           Dossier / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011 / 13

                                                                                     Dossier                                                                                  corps, un rayonnement, quelque chose de sexuel ou d’érotique. A partir

                                                                  Le musée
                                                                                                                                                                              de là, il leur demande de devenir anormales, de se déformer, de se trans-
                                                                                                                                                                              former en une personne âgée, un poisson, un monstre. Se transformer au
                                                                                                                                                                              point de s’oublier.

                                                                imaginaire de                                                                                                                          Le labyrinthe des arts
                                                                                                                                                                                  Lorsqu’il hérite du bâtiment anversois en 2004 − un vieux théâtre qui

                                                                  Jan Fabre
                                                                                                                                                                              prend l’eau, recouvert de mousse, partiellement délabré après un mysté-
                                                                                                                                                                              rieux incendie et que la ville néglige − il voit sous le délabrement la beauté
                                                                                                                                                                              du lieu. Il y a un esprit, une histoire, des murs et une scène qui tiennent en-
                                                                                                                                                                              core debout. Ce théâtre que les gens du quartier appellent « le cancer de la
                                                                                                                                                                                                                         ville » est rénové et rattaché par un
                                                                                                                                                                                                                         bâtiment neuf à une ancienne école
                                                   Jan Fabre travaille depuis sept ans dans un bâtiment entiè-                                                                                                           polytechnique qui complète les be-
                                                   rement réaménagé pour lui et sa compagnie.                                                                                                                            soins d’espaces de la compagnie.
                                                        Le Laboratorium compte 2500 m2 en plein                                                                                                                          Jan Fabre a la jouissance de ce lieu
                                                        cœur d’Anvers. Ici, les obsessions de l’artiste                                                                                                                  pour 33 ans. Ensuite, il le remettra
                                                        flamand entrent en résonance avec une cin-                                                                                                                       à la ville. Entre-temps, la larve sera
                                                        quantaine d’œuvres d’art qui se sont petit à                                                                                                                     devenue papillon. Depuis son inau-
                                                        petit greffées dans le lieu.                                                                                                                                     guration en 2007, Jan Fabre a de-
                                                        Pendant deux jours, Jan Fabre nous a ouvert                                                                                                                      mandé à une soixantaine d’amis ar-
                                                        ses portes. Nous l’avons découvert dans son                                                                                                                      tistes de renommée internationale
                                                        espace de travail, une capsule hors du temps
                                                        photographiée pour notre journal par l’An-
                                                        versoise Ilse Liekens.
                                                        Reportage.

                                                                    Perpétuelle métamorphose
                                                   Cela fait cinq jours, depuis le 1er juillet, qu’il est interdit de fu-
                                                   mer dans les lieux publics à Anvers. Au Laboratoire, l’espace
                                                   de travail de Jan Fabre, les danseurs, la femme de ménage,
                                                   les administrateurs, tous ont le paquet de cigarettes à portée
                                                   de main. A commencer par le maître des lieux. Une pause
                                                   pendant les répétitions, une conversation qui se prolonge, un
                                                                          café, chaque moment est bon pour en                          A l’entrée, les poutres bicolores de
                                                                                                                                       Zondertittle, œuvre de Luc Deleu.
                                                                          allumer une.
                                                                                   Le Laboratoire a ses propres lois. Celles de
                                                                          l’artiste flamand sont claires : le temps est compté et
                                                                          chaque seconde semble consacrée à son œuvre. Pas
                                                                          d’ordinateur, pas de téléphone portable, pas d’agen-
                                                                          da, rien qui pourrait circonscrire ou stopper l’homme
                                                                          dans son élan. Car Jan Fabre ne s’arrête jamais : il par-
                                                                          le en marchant, marche en mangeant, mange en fu-
                                                                          mant. Il a trois minutes pour répondre à six questions,
                                                                          qui doivent être précises et concises car tout est déjà
                                                                          dit, dans les nombreux livres qui lui ont été consacrés,
                                                                          dans les magazines et journaux spécialisés, dans sa
                                                                          revue Janus sur l’art qu’il a créée en 2000. Dans ses
                                                                          innombrables œuvres, expositions, mises en scènes,
                                                                          performances, tout ce qu’il pourrait dire sur sa démar-
                                                                          che artistique est là. Alors évitons les questions dont
                                                                          les réponses sont dans les livres, Jan Fabre ne nous le
                                                                          pardonnerait pas.
                                                                                   Le Laboratoire est à côté d’une église, rue Pas-
                                                                          torijstraat, en bordure du Seefhoeck, le quartier popu-
                                                                          laire dans lequel Jan Fabre a grandi. Jeune homme, il
                                                                          installait dans le jardin familial son premier « labora-
                                                                          toire », composé de deux tentes, pour se livrer à des                                                                                                                                               Spirit Cooking, l’œuvre de Marina
                                                                          expériences et recherches sur la vie métamorphosée,                                                 de choisir un endroit pour y installer une œuvre d’art. Une œuvre fixée dans                    Abramovic réalisée avec du sang
                                                                                                                                                                                                                                                                              de porc.
                                                                          en greffant par exemple des ailes de mouche sur des                                                 le lieu, qu’on ne pourra retirer dans 33 ans. Non pas dans l’idée d’en faire un
                                                                          vers de terre. Aujourd’hui, à 52 ans, il est l’un des ar-                                           musée, mais plutôt une « capsule du temps » qui s’inscrit dans un proces-
                                                                          tistes contemporains les plus renommés de la Belgi-                                                 sus créatif et en dialogue avec le lieu.
                                                                          que flamande et n’a, dit-il, qu’un point commun avec                                                     Le résultat est impressionnant. Le bâtiment labyrinthique découvre une
                                                                          l’église : la croyance. Jan Fabre croit en la beauté et en                                          nouvelle surprise dans chaque coin. Une figure fantomatique, au fond d’un
                                                                          la métamorphose perpétuelle de la beauté. Il recherche                                              couloir, créée par Enrique Marty. Des lapis-lazuli incrustés dans un mur en
                                                                          des personnes qu’il trouve belles, qui ont de beaux                                                 briques abîmées, qui sont pour Hans van Houwelingen comme des pierres
Lapis-lazuli incrustés dans les murs en briques.Vera azula, œuvre
de Hans van Houwelingen.
55 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève
14 / Dossier / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011                                                                                                                                      Dossier / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011 / 15

                                             précieuses posées sur les cicatrices du bâtiment. Marina Abramovic a choi-         crisper », « pensez à votre visage, votre bou-
                                             si la cuisine commune, une pièce qu’elle voit comme étant le cœur spirituel        che, votre langue », « faites-le plus petit, cela
                                             d’une maison, pour peindre avec du sang de porc une recette poétique.              doit venir de l’intérieur », « parlez-vous, ra-
                                             Certains artistes ont préféré des endroits plus humbles, dérobant leurs            contez-vous une histoire, comme c’est dur,
                                                                              œuvres au regard : un lièvre en aluminium         comme je suis vieux, je vais y arriver… ». Pe-
                                                                              sculpté par Henk Visch est posé sous le           tit à petit, à force de répétition, les danseurs
                                                                              toit du théâtre et surveille dans l’obscu-        quittent l’artificialité d’une imitation pour
                                                                              rité la scène. La porte imaginée par Bruna        une transformation physique puissante.
                                                                              Esposito est recouverte de centaines de                Il y a du Frankenstein chez Fabre, tou-
                                                                              petits grelots. Elle ouvre la chambre des         jours en quête d’expériences, de nouvelles
                                                                              archives, où des milliers de disques en vi-       formes d’expressions de la vie, de nouvel-
                                                                              nyle du père de Jan Fabre, passionné de           les métamorphoses. Le corps, le sien com-
                                                                              jazz, sont rangés. Chaque ouverture et            me celui de ses interprètes, s’envisage
                                                                              fermeture de porte s’accompagne d’un              comme la scène d’un conflit tragique.
                                                                              bruissement qui rappelle celui des cric-
                                                                              kets, ces insectes dont le chant marque la                 Guerrier et Minotaure
                                                                              transition entre la nuit et le jour − le passé    En avril dernier, déjà, nous nous immer-
                                                                              et le présent, la réalité et l’imagination.       gions dans l’univers de Fabre, à Lubjana,
                                                                                                                                pendant le festival des arts contemporains
                                                                                     Science et performance                     et performatifs Exodos. Jan Fabre était
                                                                                  Toutes ces œuvres d’art entrent en dia-       alors le curateur de cette édition 2011 et
                                                                                  logue avec le travail de Jan Fabre. Lui est   ses choix de programmations établissaient
                                                                                  plutôt taiseux. C’est en l’observant tra-     un relevé fidèle du théâtre qui l’anime.
                                                                                  vailler dans son Laboratoire pendant une      L’érotisme cérémonial de Lisbeth Gruwetz
                                                                                  journée que l’on en apprend le plus. En       (également danseuse de Fabre), le carnavalesque Abattoir Fermé, la poé-
                                                                                  partageant le pain avec lui dans la cuisine   sie baroque de Rodrigo García, la corporalité de Coraline Lamaison… Jan
                                             commune. En l’écoutant sans le comprendre s’entretenir en flamand sur la           Fabre ? « Un théâtre radical », lit-on souvent. « Verbalement exorbitant »,
                                             terrasse avec Luk Van Den Dries1, professeur et chercheur qui suit de près         « une provocation à la mode », « une œuvre d’une constance et d’une lo-
                                             depuis plusieurs années l’œuvre théâtrale de Fabre. Les mots se chahu-             gique admirable ». Les mots convergent tous vers une forme d’excès. On
                                             tent, les mains s’envolent, l’œil s’allume : Jan Fabre parle de travail, de ce     aime, ou pas. Le soir de l’ouverture du Festival Exodos, on avait senti chez
                                             travail qui le poursuit le jour dans son Laboratoire et la nuit dans ses rêves.    Jan Fabre une adéquation entre la personne et l’œuvre. Les regards avaient
                                                 Aujourd’hui, il a convoqué trois de ses danseurs sur le plateau du théâ-
                                             tre pour une série d’exercices pro-
                                             grammés dans l’après-midi. Luk
                                             Van Den Dries est là, avec son ca-
                                             lepin de notes, pour suivre pas à
                                             pas la progression de cette étude
                                             commencée en septembre 2010
                                             et appelée le Labo 21. En collabo-
                                             ration avec l’Université d’Anvers
                                             et les villes de Stockholm et Za-
                                             greb, le Labo 21 combine la scien-
                                             ce et la performance et cherche à
                                             définir quelles sont les qualités
                                             dont ont besoin les performers
                                             d’aujourd’hui. La session anversoi-
                                             se se déroule pendant deux après-
                                             midi. Les trois danseurs ont sous
                                             leur t-shirt tout un appareillage de
                                             mesures (respiration, fréquence
                                             cardiaque…) relié à l’ordinateur
                                             portable d’un scientifique, assis
                                             dans les gradins.
                                                 Jan Fabre a préparé vingt exer-
                                             cices différents. Pendant les deux
                                             jours de cette session estivale, il
                                             demande à ses danseurs de ré-
                                             péter inlassablement deux exerci-
                                             ces. Le premier est celui de la panique, soit une marche lente interrompue
                                             brutalement par une sensation de panique, comme s’il y avait des braises
                                             sous les pieds des danseurs, puis après deux ou trois minutes une brusque
                                             reprise de la marche lente. Le second exercice est celui du vieil homme:
                                             les danseurs doivent avancer de dix mètres en quinze minutes en trouvant
                                             l’état corporel d’un homme centenaire. Pendant ces deux exercices, Jan
                                             Fabre ne cesse de donner de nouvelles directives, de guider l’improvisa-
                                             tion ; il parle fort, vite, scrute ses danseurs, ne les lâche pas une minute.      Ab Ovo, la poule génétique de Koen Vanmechelen et sur la porte, Klopper de Wim Delvoye.
                                             « Le changement doit être immédiat, cela doit envahir votre corps et vous
55 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève
16 / Dossier / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011                                                                                                                                                            Dossier / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011 / 17

                                             convergé vers lui lorsqu’il était entré dans la salle, accompagné de ses très
                                             belles danseuses. Manteau gris fatigué, cheveux argentés jetés en arriè-                                                      Trois endroits d’Anvers,
                                             re, cigarette au coin des lèvres, regard souterrain, embarrassé de l’atten-
                                             tion suscitée. Une peinture, un cliché, une installation en soi ? Ou alors un                                              « les animaux, l’art, la mort »
                                             « Guerrier de la beauté », comme ceux qui peuplent ses œuvres ?
                                                                                                                                                                L’artiste est né à Anvers, dans le quartier populaire du See-
Les photos de ce dossier ont                     A Anvers, cette image un peu facile et guerrière de Jan Fabre nous                                             fhoeck. S’il fait le tour du monde pour présenter son œuvre,
été commandées à Ilse Liekens,
photographe d’art et                         revient lorsque l’on s’approche de la porte d’entrée de son lieu de travail,                                       Anvers reste son port d’attache. Jan Fabre nous a indiqué
d’architecture à Anvers.                     le Laboratoire. La porte semble si                                                                                 trois lieux de sa ville qu’il aime et qui l’inspirent.
Réalisation le 5 juillet 2011
au Laboratorium de Jan Fabre
                                             commune, l’entrée si petite, la rue
Cie Troubleyn.                               si tranquille qu’on pense s’être                                                                                                                       Le zoo :
                                             trompé d’adresse. Il faut pourtant                                                                                                   « Parce que je pense que nous pouvons
                                             pousser cette porte. Derrière elle,                                                                                                     tout apprendre du monde animal. »
                                             le guerrier se fait Minotaure d’un                                                                                 Jan Fabre allait souvent au zoo avec son père. Fasciné par les animaux, il a
                                             labyrinthe qui recèle mille et un                                                                                  commencé à les dessiner à six ans. Plus tard, l’artiste hérite des livres, des
                                             trésors.                                                                                                           manuscrits et des centaines de boîtes contenant des milliers de scarabées de
                                             Anne Davier                                                                                                                                  Jean-Henri Fabre, entomologiste français surnommé
                                                                                                                                                                                          « le poète des insectes ». La passion de Jan Fabre
                                                                                                                                                                                          pour les animaux est une source d’inspiration pour
                                                                                                                                                                                          son œuvre plastique mais aussi théâtrale : le compor-
                                                                                                                                                                                          tement et le mouvement d’insectes comme les four-
                                                                                                                                                                                          mis et les araignées lui inspirent souvent le matériau
                                                                                                                                                                                          gestuel pour ses acteurs et danseurs. La présence
                                                                                                                                                                                          d’animaux vivants sur la scène
                                             1
                                              Luk Van Den Dries donne une conférence à                                                                                                    (hibou, tortue, papillons…) ap-
                                             Genève autour de l'œuvre théâtrale de Jan
                                             Fabre (voir agenda p. 20).
                                                                                                                                                                                          paraît à maintes reprises.

                                                                                                                                                                                   La Maison de Rubens :
                                                                                                                                                                     « Pour ce que représente la peinture flamande
                                                                                                                                                                             et l’histoire de l’art en général. »
                                                                                                                                                                En 2008, le Musée du Louvre donne une carte blanche à
                                                                                                                                                                l’artiste qui monte L’Ange de la métamorphose dans les
                                                                                                                                                                salles consacrées aux peintures des écoles du Nord. Les
                                                                                                                                                                chefs d’œuvres de peintres tels que Rubens sont mis en
                                                                                                                                                                perspectives avec les installations de Fabre, tandis que
                                                                                                                                                                celles-ci entrent en dialogue et résonance avec l’histoire
                                                                                                                                                                de l’art (voir les dates de la projection du documentaire
                                                                                                                                                                Jan Fabre au Louvre, agenda page 20.)

                                                                                                                                                                                                   Le cimetière :
                                                                                                                                                                           « Parce que la vie n’est qu’un temps emprunté à la mort.»
                                                                                                                                                                Le cimetière d’Anvers, à l’extérieur de la ville, est spectaculaire ; une mer de
                                                                                                                                                                pierres en pleine nature. La mort règne dans toutes les sculptures et les œu-
                                                                                                                                                                vres théâtrales de Fabre. « La seule chose que l’on peut faire en tant qu’artiste,
                                                                                                                                                                dit-il, est se donner la mort. Toute mon œuvre est une est une préparation à
                                                                                                                                                                cette disparition1. » Pour Fabre, les artistes sont des magiciens qui parviennent
                                                                                                                                                                « à transformer le spectateur en un porc sauvage ou un agneau innocent, à le
                                                                                                                                                                guérir ou le rendre ma-
                                                                                                                                                                lade au moment oppor-
                                                                                                                                                                tun, de sorte qu’il se ren-
                                                                                                                                                                de compte qu’il a encore
                                                                                                                                                                un corps et un cœur 2 .»

                                                                                                                                                                1
                                                                                                                                                                  Jan Fabre, For intérieur, Jérôme
                                                                                                                                                                Saas, Actes Sud / Festival
                                                                                                                                                                d’Avignon, 2005.
                                                                                                                                                                2
                                                                                                                                                                  Jan Fabre, Le Guerrier de la
                                                                                                                                                                beauté, entretiens avec Hugo
                                                                                                                                                                de Greef et Jan Hoet, Editions
                                                                                                                                                                L’Arche, 1993.

                                             Jan Fabre et les danseurs de la session de juillet du Labo 21, Gilles Pollet, Anne Pajuren, Kasper Vandenberghe.
55 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève
18 / A l’affiche / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011                                                                                                                                              Dossier / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011 / 19

                                                                                                                                                                 Prometheus Lanscape II. Photos : Wonge Bergmann

                                             Prometheus Landscape II
                                             — les 28 et 29 septembre au BFM
                                             Des briquets, des fumigènes, un vent furieux et
                                             voilà que la tempête se lève et qu’un incendie
                                             dévaste le plateau. Avec odeurs de poils grillés à
                                             gogo évidemment ! Concert rock qui dégénère ?
                                             Spectacle du chorégraphe, metteur en scène
                                             et plasticien Jan Fabre.

   Roi des fauteurs de trouble, le Fla-          double face pour faire basculer à la              nos pères, autant que nos maîtres,
   mand continue de prendre pour                 seconde la moindre situation de la                plus que nos maîtres ».
   cible la société d’aujourd’hui, ses           gravité au grotesque. Le « plus » qui             La figure de Prométhée est incar-
   soi-disant bonnes mœurs, sa mise              fait grimper la température : un com-             née par un acteur en slip blanc at-
   au pilori de toute singularité et ima-        mando de dix acteurs-danseurs hy-                 taché et écartelé pendant toute la
   gination avec un cynisme souriant.            pertalentueux et remontés à blocs.                durée du spectacle sur une croix
   Présenté le 8 avril, au Théâtre de                                                              plantée au centre de la scène. Un
   la Ville, à Paris, Prometheus Land-                L’histoire de Prométhée a de                 exploit en soi tant la tension du
   scape II s’inscrit dans la lignée des         quoi emporter l’imagination de Jan                corps est palpable. Autour de lui,
   spectacles uppercuts du Flamand,              Fabre. Celui qui créa les hommes                  une horde de personnages se lâche
   tels As long as the world needs a             à partir d’eau et de terre, puis vola             dans des situations parfois limites
   warrior’ s soul (2000), The Crying            le feu pour leur donner la vie, fut               pour prouver qu’ils sont encore en
   Body (2004) ou Orgie de la toléran-           condamné à être enchaîné nu sur                   vie dans une société aseptisée. Tout
   ce (2009). Toujours audacieux, plus           les montagnes du Caucase et à se                  désir et sexe dehors, ils se mastur-
   excessif que jamais, libre avant tout,        faire dévorer le foie chaque jour et              bent, s’imbriquent les uns dans les
   il s’empare du mythe grec de Pro-             pour l’éternité par un aigle. Sachant             autres avec une délirante férocité.
   méthée pour allumer un feu dévas-             que son foie se recomposait régu-                 Et c’est drôle, comme souvent chez
   tateur. Mixant texte (écrit en anglais        lièrement… Ce héros, téméraire,                   Jan Fabre, pour ceux qui apprécient
   par ses soins avec la complicité de           magnifique, exacerbe la passion de                le grand Guignol, l’humour cru et la
   Jeroen Plyslaegers) et danse d’ac-            la découverte chère à Jan Fabre qui               dérision. Et c’est terriblement vivant
   tions, cette pièce plus théâtrale que         fait sans doute sienne la vision du               surtout, humain et régénérant. Le
   chorégraphique exploite le filon qui          philosophe Gaston Bachelard, s’ap-                feu aux fesses fait courir plus vite
   fait la signature Fabre : attaque en          propriant le mythe de Prométhée                   que son ombre.
   règle des poncifs en tous genres,             comme « le complexe de toutes les                 Rosita Boisseau
   outrance esthétique, intelligen-              tendances qui nous poussent à sa-
   ce dramaturgique et le scotch                 voir autant que nos pères, plus que

                                                 Prometheus Landscape II (2011)          Lumières : Jan Dekeyser              L’ADC
                                                 Concept, mise en scène et               Costumes : Andrea Kränzlin           au Bâtiment des Forces Motrices
                                                 Scénographie : Jan Fabre                Coordination technique tournée :     2, place des Volontaires, Genève
                                                 Textes : I am the all-giver de Jeroen   Arne Lievens                         les 28 et 29 septembre à 20h30
                                                 Olyslaegers (basé sur Aeschylos’        Technicien son et vidéo : Tom Buys   Location Service Culturel Migros
                                                 Prometheus Bound) et We need            Technicien : Bern Van Deun           Genève / Stand Info Balexert /
                                                 heroes now de Jan Fabre                 Chargé de production :               Migros Nyon La-Combe
                                                 Musique : Dag Taeldeman                 Tomas Wendelen                       et www.adc-geneve.ch
                                                 assistance,                             Coach pour l’anglais : Tom Hannes
                                                 Dramaturgie : Miet Martens              Coach de technique vocale :          Théâtre-danse, anglais
                                                 Performers : Katarina Bistrovic-        Lynette Erving (head of voice and    surtitré en français.
                                                 Darvas, Annabelle Chambon,              speech Bristol Old Vic Theatre       Dès 16 ans. Durée : 1h40
                                                 Cédric Charron, Vittoria De Ferrari,    School)
                                                 Lawrence Goldhuber, Ivana Jozic,
                                                 Katarzyna Makuch, Gilles Polet,
                                                 Kasper Vandenberghe,
                                                 Kurt Vandendriessche
20/ Dossier / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011                                                                                                                                                           Dossier / Journal de l’adc n° 55 / septembre — décembre 2011 / 21

                                                                                                                                       Preparatio Mortis — les 1er et 2 octobre
                                                                                                                                       Jan Fabre affectionne les solos pour danseuses sur
                                                                                                                                       des thèmes graves et violents, virtuoses et poétiques.
                                                                                                                                       Voici Preparatio Mortis pour Annabelle Chambon,
                                                                                                                                       animale en diable.

                                                                                                                                                Noir. S’abandonner. Attendre que                femme en sous-vêtements noirs.                        prison est transparente. Ses parois
                                                                                                                                                la scène s’éclaire. Sentir les autres           Commence un véritable « sacre du                      peu à peu se couvrent de buée. Le
                                                                                                                                                spectateurs tournés vers le même                printemps » : corps à corps de chair                  corps remue, palpite, s’asphyxie.
                                                                                                                                                désir, regard prêt, écarquillé sans             et de flore. Duel entre deux partenai-                Les doigts s’évertuent à dessiner
                                                                                                                                                doute. Noir persistant. Une musique,            res de l’éphémère. Fusion furieuse,                   sur les vitres. Après la naissance et
                                                                                                                                                celle de Bernard Foccroulle, s’ins-             physiquement éprouvante. Des po-                      le temps passé à grandir, désormais
                                                                                                                                                talle, emplit l’obscurité, résonne de           ses, des gestes, des déplacements                     la mort. Sans pathos malgré quel-
                                                                                                                                                tous les tuyaux d’un orgue chargé               s’apparentent à un mystérieux rituel                  ques cris. Une fin naturelle, inélucta-
                                                                                                                                                de réminiscence liturgique. Des ima-            de culte secret, de requête à divinité.               ble, ramenée à la position fœtale.
                                                                                                                                                ges s’inventent en chacun durant                Entre performance et danse, l’enga-                       Or l’existence est phases. Nais-
                                                                                                                                                cette longue respiration mélodique              gement corporel d’Annabelle Cham-                     sent des papillons. Symboles de
                                                                                                                                                en expansion. Les yeux frustrés, les            bon est total. Sa lutte découvre un                   ravissement fragile, incarnations
                                                                                                                                                oreilles comblées et, soudain, na-              tombeau gravé d’une date. La vie                      de l’âme, ils battent des ailes. Se
                                                                                                                                                rines décelant une senteur florale.             se confronte à la mort, la vitalité au                posent sur la princesse, la sirène, la
                                                                                                                                                Comme lorsqu’on pénètre chez un                 massacre, l’espérance au désespoir,                   fée, cette Eve qui a très concrète-
                                                                                                                                                fleuriste ou en un salon mortuaire.             la jouissance à la souffrance, la fin                 ment mordu dans une pomme. Noir
                                                                                                                                                Noir encore et toujours.                        au recommencement.                                    final. Jan Fabre, en filiation réelle ou
                                                                                                                                                    Lumière. Une masse végétale                                                                       chimérique avec l’entomologiste
                                                                                                                                                impose ses verts, rouges, jaunes,               Sous l’aile des papillons                             Jean-Henri Fabre, illustre le mou-
                                                                                                                                                mauves, blancs. Fleurs réelles mais                 Noir. L’orgue toujours. Sa façon                  vement cyclique de la vie. Rappelle
                                                                                                                                                coupées, vouées à se faner. Un                  d’habiter l’espace. Plein feu. Un                     que si la perception de la beauté
                                                                                                                                                mouvement léger les anime d’une                 cercueil maintenant de verre. À l’in-                 peut être perpétuelle, celle-ci n’est
                                                                                                                                                palpitation. Une main bourgeonne,               térieur, la danseuse nue. La couleur                  jamais que transitoire.
                                                                                                                                                s’épanouit, précède le bras puis un             de sa peau s’imprègne de lumière.                     Michel Voiturier
                                                                                                                                                corps. Celui, charnel, d’une jeune              Comme dans certains contes, la

                                                                                                                                                Preparatio Mortis (2011)              Repères biographiques
                                                                                                                                                Concept : Jan Fabre                   Né à Anvers en 1958, Jan Fabre             au Festival d’Avignon en 2001,
                                                                                                                                                Chorégraphie : Jan Fabre,             se fait connaître avec ses                 L’Histoire des larmes, créé également
                                                                   Preparatio Mortis. Photos : Achille Le Pera
                                                                                                                                                Annabelle Chambon                     performances et dessins au stylo bic       à Avignon tandis que Jan Fabre est
                                                                                                                                                Interprète : Annabelle Chambon        bleu. Il a 22 ans quand il réalise sa      l’artiste associé du Festival 2005.
                                                                                                                                                Composition musicale et exécution :   première mise en scène de théâtre :        En tant que plasticien, Fabre conçoit
                                                                                                                                                Bernard Foccroulle                    Théâtre écrit avec un K est un matou.      des installations, des sculptures,
                                                                                                                                                Production : Troubleyn/Jan Fabre      A la fin des années septante, il défraie   des dessins, des films et des
                                                                                                                                                (Anvers, BE)                          la chronique avec ses Money                performances. Parmi ses œuvres
                                                                                                                                                                                      performances où il brûle des liasses       les plus célèbres, Tivoli (1990), le
                                                                                                                                                Salle des Eaux-Vives                  de billets de banques donnés par           château entièrement recouvert de
                                                                                                                                                Le 1er octobre à 19h,                 le public pour faire des œuvres avec       stylo bic bleu, ou encore Heaven of
                                                                                                                                                le 2 octobre à 18h                    les cendres. En 1982, il connaît son       Delight (2002), une commande de la
                                                                                                                                                Rencontre avec l’équipe               premier succès public avec une pièce       reine des Belges, Paola, pour la salle
                                                                                                                                                artistique à l’issue                  de théâtre de huit heures, C’est du        des Glaces du Palais royal. En 2008,
                                                                                                                                                de la représentation                  théâtre comme c’était à espérer et         il monte l’exposition Jan Fabre au
                                                                                                                                                du 2 octobre                          à prévoir. Depuis, il compte près de       Louvre – L’Ange de la Métamorphose
                                                                                                                                                Durée : 50 minutes                    cinquante créations pour la scène,         au Musée du Louvre.
                                                                                                                                                                                      dont Elle était et elle est, même…
                                                                                                                                                Réservations 022 320 06 06            en 1991, avec Els Deceukelier, son
                                                                                                                                                et www.adc-geneve.ch                  interprète fétiche, Je suis sang, créé
                                                                                                                 Atelier d’écriture

                                                                                                                 animé par Nathalie Chaix
                                                                                                                 le samedi 1er octobre autour
                                                                                                                 du spectacle de Jan Fabre,
                                                                                                                 Preparatio Mortis
                                                                                                                 Voir page 31
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