SAINT-HUBERT DE LORRAINE ET DU BARROIS (1416-1852)
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SAINT-HUBERT DE LORRAINE ET DU BARROIS (1416-1852) Histoire du seul Ordre lorrain de chevalerie par M. Patrick de VILLEPIN, membre correspondant Reçu en 1991 membre correspondant de votre A c a d é m i e pour avoir publié une biographie de Victor Margueritte - Lorrain plus controversé qu'illustre - , j ' a i eu le plaisir d'intégrer cette compagnie cent quarante cinq ans après mon trisaïeul et à peu près au m ê m e âge que lui. Avocat à la cour Royale de Paris, François-Xavier de Villepin (1814-1885) n'ignorait pas q u ' u n compatriote éloigné de sa «petite patrie» n ' e n est que plus attaché à sa communauté d'origine : « Au moment de quitter la ville à laquelle me rattachent ma naissance, ma vie de collège, les plus douces impressions de mon enfance et les plus tristes aussi (il y a perdu sa mère à l'âge de deux ans et à trente et un ans sa grand-mère, seconde mère à laquelle il était indéfectiblement attaché), j ' é p r o u v e le vif désir d'ajouter un lien de plus à tous les liens qui m ' u n i s - sent déjà à la cité messine. Je serais heureux que les travaux assidus auxquels j e me suis consacré depuis dix ans puissent me valoir l'honneur d'être admis au nombre des non résidants de l ' A c a d é m i e de Metz», écrit-il dans sa lettre de candidature. Le j e u n e Lorrain émigré est élu m e m b r e correspondant le 15 janvier 1846, à la suite d'un rapport élogieux d'Alfred Malherbe, vice-président de l ' A c a d é m i e , qui s'intéresse n o t a m m e n t à un «ouvrage r e m a r q u a b l e » publié en 1844 par cet « h o m m e instruit et consciencieux» qui s'est acquit- té avec bonheur de la tâche d'éclairer ses concitoyens. Cet ouvrage au commentaire serré et abondant n ' e s t rien d'autre q u ' u n «Nouveau code des chasses». A quelques décennies de distance, de près ou de loin, c'est encore de chasse dont il sera question dans cette communication. Entre chevalerie, vénerie et philanthropie, l'Ordre de Saint-Hubert - tout modeste q u ' i l ait été - se trouve au cœur de l'histoire de la Lorraine et du Barrois.
INTRODUCTION : UN ANCIEN ORDRE DE CHEVALERIE E n c e n s é au siècle dernier avec une emphase aussi exagérée que contestable par un érudit lorrain qui ose le qualifier « d ' u n des plus anciens de la chrétienté», l'Ordre de Saint-Hubert de Lorraine et du Barrois a été, depuis, injustement dévalué au rang d ' o b s c u r e association de petits notables locaux, rayée des cadres sous la Restauration après avoir davanta- e e ge végété que vécu du X V I au X V I I I siècle. A n ' e n pas douter, cet Ordre ne mérite ni les louanges excessives, ni le déshonneur dans lequel il a été plongé à la suite des usurpations et détour- nements successifs dont il a été victime depuis son interdiction. Un ordre de cour : Bien éloignée des Ordres religieux, hospitaliers et militaires qui se développent deux siècles plus tôt au temps des Croisades (Saint-Jean de Jérusalem, Saint-Sépulcre, chevaliers t e u t o n i q u e s . . . ) , la C o m p a g n i e du Lévrier blanc, qui deviendra plus tard l'Ordre de Saint-Hubert du Barrois, est un Ordre de Cour. Au service du duc de Bar, elle s'assimile bien davan- tage à une confraternité courtoise et laïque q u ' à un Ordre religieux. Moins illustre et prestigieux que la Jarretière (1348) en Angleterre, l'Etoile (1351) en France ou la Toison d'or (1430) en Bourgogne, elle partage avec ces institutions paraétatiques une c o m m u n e préoccupation, elle rallie des personnalités influentes à la politique de son souverain. L'appartenance à un tel Ordre vise à renforcer le lien vassalique en déclin. Le seul Ordre barrois et lorrain de chevalerie : Seul Ordre de chevalerie authentiquement barrois, et m ê m e lorrain, l'Ordre de Saint-Hubert constitue à ce titre une des plus anciennes institu- tions lorraines. Ephémères ou étrangères à ce duché, les autres tentatives furent vouées à l'échec : - La confrérie des chevaliers aux blanches manches que Jean 1er (+1390), duc de Lorraine, tente d'organiser vers 1380, n ' e u t q u ' u n e durée et une portée limitées ; - L ' O r d r e du Croissant, créé le 11 août 1448, exista à peine trente ans : fondé par un petit-neveu du cardinal-duc de Lorraine, René d'Anjou, depuis la Provence et en l ' h o n n e u r de saint Maurice, patron d ' A n g e r s , où devaient avoir lieu les réunions, il n ' e u t jamais aucun rapport avec la Lorraine ; - Les chevaliers de la Mère de Dieu ou de Saint-Nicolas, imaginés plus tard par Henri II (+1624), duc de Lorraine et de Bar, ne furent jamais désignés.
Le plus ancien des Ordres de Saint-Hubert : Né en 1416, confirmé en 1422 sous son nom actuel, l ' O r d r e barrois, puis lorrain et enfin français de Saint-Hubert n'est pas aussi illustre que son homologue bavarois, fondé en 1444 par Gérard V, duc de Juliers-Berg. Au fil des siècles, les deux Ordres ne semblent guère avoir entretenu de liens. Le lorrain est plus ancien d ' u n e trentaine d ' a n n é e s que son alter ego bavarois, seul subsistant. Et sa longévité reste incontestablement plus grande que le Saint-Hubert de Wurtemberg (1702-1818). Une longévité remarquable : L'Ordre s'étend aux extrêmes sur plus de quatre siècles j u s q u ' à son interdiction par Louis XVIII en 1824, et m ê m e au-delà, au moins j u s q u ' e n 1852 à la suite de son repli à Saint-Hubert en Belgique. D ' o r i g i n e étrangè- re, devait-il allégeance ou simple protection au roi de France, c o m m e il avait pu s'en contenter au fil des siècles de la part des ducs de Lorraine et de Bar ? Cette longévité n ' e n demeure pas moins exceptionnelle (373 ans sous l'Ancien Régime, une vingtaine d'années en émigration, une dizaine sous la Restauration et une trentaine en terre belge) en dépit d ' u n e parenthèse de la e e mémoire de plus d ' u n siècle et demi aux X V et X V I siècles. Une survivance aux désordres des guerres et des successions : A n ' e n pas douter, les chevaliers de Saint-Hubert ont su s'adapter à la mouvance des temps avec discernement, pragmatisme et diplomatie et non sans un brin d'opportunisme. Ils se sont ainsi attirés les bonnes grâces du cardinal-duc de Bar (1416-1430), des ducs de Lorraine et de Bar (1430- 1766) et des rois de France (1766-1789 et 1816-1824) j u s q u ' à la sanction finale qui ne les visait pas directement. U n Ordre indépendant de ses protecteurs : L'originalité de l ' O r d r e de Saint-Hubert est sans doute une raison supplémentaire de son étonnante permanence : il se recrute essentiellement par cooptation de ses membres. Si, à ses débuts, Louis de Bar contrôle et verrouille strictement le choix des chevaliers, ces liens de soumission ne lui survivent pas. Si l'institution fonctionne au fil du temps sur un mode plus démocratique - l'élection - , elle hésite longtemps entre élitisme et merito- cratic, cooptation ou sélection de ses membres.
I. H I S T O I R E D ' U N O R D R E D E C H E V A L E R I E : 1. - Naissance : la Compagnie du Lévrier blanc (1416-1422) Lorsque Robert, comte puis duc de Bar, meurt en 1411, la succession du Barrois semble assurée. De son mariage avec Marie de France, fille du roi Jean II le Bon, il laisse dix enfants : six descendants mâles et quatre filles suffisent à assurer la transmission du pouvoir à sa lignée. Edouard succède à son père sous le nom d ' E d o u a r d III. Mais la malédiction s'acharne sur cette glorieuse dynastie et lui assure un triste destin : peu après ses frères Charles, Philippe et Henri, Edouard III connaît une fin tragique, le 25 octobre 1415 à Azincourt, tout comme son frère Jean, sire de Puisaye et tant d'illustres princes. Dès lors, la succession tombe sur l'avant-dernier fils et ultime survi- vant de Robert de Bar : Louis (1380-1430), destiné très jeune à l'état ecclé- siastique, alors cardinal et évêque de Châlons-sur-Marne. Trop âgé pour renoncer à sa vocation, il n ' e n accepte pas moins la couronne ducale. Ses quatre sœurs ne l'entendent pas ainsi ; notamment l'aînée, Yolan- de, reine douairière d'Aragon, qui met en avant (à juste titre) son droit d'aînesse. La coutume de Bar n'ignore-t-elle pas la loi salique en matière successorale ? Elle ne dissimule pas son projet de disputer âprement à Louis un pouvoir dont son caractère sacerdotal semble d ' e m b l é e l'exclure. Son âge, son état et sans doute aussi son caractère éloignent le cardi- nal de Bar des habitudes guerrières. En la circonstance, il ne peut mécon- naître combien lui seraient indispensables, pour la défense de ses préten- tions, la tranquillité sur ses frontières et l'harmonie à l'intérieur de ses Etats. Tous ses efforts se tournent vers cette double réalisation et il ne tarde pas - six mois après la bataille d ' A z i n c o u r t - à obtenir l ' u n e et l'autre : - Un traité, signé le 4 décembre 1415 entre le duc-évêque et le duc Charles II, scelle la réconciliation entre la Lorraine et le Barrois. L'amitié avec son voisin de l'Est assurée et la paix recouvrée en dehors de ses Etats, le cardinal de Bar s'occupe désormais à rétablir le calme au dedans. - La Compagnie du Lévrier blanc (ou Ordre de la Fidélité), créée le 31 mai 1416 à Bar, est un Ordre équestre à vocation militaire destiné à préserver le duché de Bar de toute invasion extérieure mais aussi de la guerre de succession qui le secoue. Sa grande force consiste à sceller, en temps de guerre, un pacte de fidélité, de solidarité et de secours mutuel entre le duc et les gentilshommes de son pays.
L'institution pour cinq ans de ladite Compagnie offre au cardinal une période de paix suffisante pour rétablir la paix familiale sans avoir simul- tanément à combattre d'autres ennemis de l'intérieur. Le 31 mai 1416, l'élite de la noblesse barroise renonce donc solen- nellement à ses dissensions. La création de cet Ordre a pour objet essentiel de rétablir la paix et la sécurité publique dans le Barrois, c'est-à-dire de e prévenir les voies de fait et les désordres si c o m m u n s aux X I V et e X V s i è c l e s . Les compagnons s'imposent deux obligations principales : Un devoir de fraternité par l'arbitrage de la justice ducale : Les signataires s'engagent à s'aimer et à se secourir mutuellement, à défendre celui d'entre eux dont ils entendraient dire du mal et à l'en avertir, de n'en venir en aucun cas à la force contre leurs associés. Ils promettent en outre de recourir à l'autorité ducale pour la solution des différends qui pourraient s'élever entre-eux. En dernier ressort, la sentence arbitrale du prince permet de régler les conflits entre les contractants selon les règles du droit. En cas d ' é c h e c , une procédure codifiée d'intervention doit permettre de marcher au secours du plaignant avec un nombre d ' h o m m e s proportion- nel à la fortune ou au rang du chevalier, à savoir : le banneret avec trois hommes d ' a r m e s , le simple chevalier avec deux, l'écuyer avec un. Un devoir de fidélité des vassaux à l'égard de leur suzerain : La bienveillance et l'arbitrage du prince dans le règlement pacifique des conflits entendent être payés en retour. Le lien de vassalité et de soumission des gentilshommes vis-à-vis de leur seigneur t é m o i g n e du maintien de relations féodales fondées sur l'autorité et la domination du duc, «très Révérend Père en Dieu, Nostre très redouté Seigneur Monsei- gneur le Cardinal Duc de Bar, marquis de Pont, Seigneur de Cassel». Il est vrai que Louis de Bar tient cette attribution «redoutable» de son double pouvoir, temporel et spirituel, qui force le respect, l'obéissance et la piété de ses plus grands gentilshommes. Deux clauses résument ce devoir de fidélité des «loyaux sujets» à l'égard du «bon Seigneur» : - un engagement de soutien inconditionnel ; - toute contravention ou défection à cet engagement serait forfaiture. Les membres fondateurs de la Compagnie du Lévrier blanc sont au nombre de 47 (20 chevaliers et 27 écuyers) groupés autour du cardinal de Bar et de leur «roi», Thiébaut de Blâmont, véritable chef de l ' O r d r e . Les noms s'égrènent de ces glorieux fondateurs (de Bauffremont, du Châtelet,
d ' A p r e m o n t , des Armoises, de Lavaulx, de Sampigny), souvent issus des plus illustres familles féodales barroises lorsqu'il ne s'agit pas d'indivi- dualités remuantes (François de Sorbey, Robert de Sarrebruck) que le duc cherche à s'attacher à tout prix. 2. - Transformation : la fondation de l'Ordre de Saint-Hubert Des incidents nous montrent que la Compagnie du Lévrier blanc ne s'est pas maintenue sans tiraillements. On n'abandonne pas si facilement les anciens errements. De vieux ferments travaillent encore ces seigneurs braves et ombrageux, faciles au défi, non moins prompts à la riposte. De sérieuses infractions au pacte initial sont donc à déplorer. Son principal instigateur, Robert de Sarrebruck, n'entre pas sans arrière-pensée belliqueuse dans la pacifique alliance. Dès P â q u e s l 4 1 7 , le turbulent guerrier renouvelle ses exploits passés. Rencontrant près de Toul Erard du Châtelet, un des nobles coassociés, le «damoiseau de Commercy» s'empare du chevalier et de son escorte, tandis que les gens du duc de Bar, surgissant d'aventure, assaillent à leur tour l'agresseur et l'emmènent prisonnier à Foug. Le regret du coupable et le pardon de l'offensé cimentent une récon- ciliation temporaire. Mais le triste sire de Commercy continuera durant des années à défier toute la contrée par ses outrages et ses outrances, n'hésitant pas à prendre la tête de bandes de pillards, écorcheurs et autres routiers. A n ' e n pas douter, l'attitude de Robert de Sarrebruck compromet l'idéal initial des chevaliers du Lévrier blanc à une époque où l'attitude conciliante du cardinal-duc de Bar apporte au contraire une paix relative à la région. L'adoption de son petit-neveu - René d'Anjou, âgé de dix ans - et la promesse de lui abandonner son duché n'est pas le seul succès de Louis de Bar : il fait du choix du jeune duc non seulement un acte de paix familiale mais aussi un acte de haute portée politique. Il demande en effet et obtient pour René la main d'Isabelle, fille unique et héritière de Charles II de Lorraine : le traité de Foug (20 mars 1419) réglemente l'installation de René d'Anjou à la tête du duché de Bar et son mariage avec Isabelle, fille aînée et héritière du duc. Le 3 août 1420, le cardinal de Bar transmet à René le duché de Bar et la marquisat de Pont. Le 24 août, le mariage entre Isabelle de Lorraine et René d'Anjou est célébré à Nancy. Il consomme la réunion de deux Etats trop longtemps rivaux, détournent le duc de Lorraine du parti anglo-
bourguignon où le retenaient d'anciennes amitiés. La voie est désormais libre pour une politique d'alliance avec la France qui contribuera pour une bonne part au règlement de la guerre de Cent Ans. De toute évidence, la donation du duché de Bar à René d'Anjou, futur comte de Provence et roi de Sicile, son mariage avec Isabelle de Lorraine réduisent l'objet et la portée du pacte de fidélité contracté par l'assemblée des 47 compagnons du Lévrier blanc. Pour autant, la Compagnie ne sera pas dissoute le 31 mai 1422, au terme des cinq ans après sa création. Les multiples avantages qui en résul- tent tant pour le souverain que pour ses sujets déterminent les chevaliers - surtout le cardinal-duc de Bar et protecteur de l'ordre - à le maintenir à perpétuité, le 23 avril 1422. C o m m e au printemps 1416, Louis de Bar préside cette journée devant 13 des 47 membres fondateurs (dont Robert de Sarrebrtick et François de Sorbey !) de l ' O r d r e du Lévrier blanc. Au cours de cette assemblée chevaleresque, les m e m b r e s présents choisissent pour patron saint Hubert, évêque de Liège, sous l'invocation duquel ils placent l'institution. Les compagnons du Lévrier blanc devien- nent ainsi les chevaliers de l'apôtre des Ardennes : saint légendaire auquel le miracle du crucifié, image éblouissante du Christ en croix, était apparu entre les bois d ' u n cerf le jour du Vendredi Saint de l'an 676. Désormais, les réunions annuelles de l ' O r d r e se tiendront tous les 3 novembre, date de la canonisation de saint Hubert. Une chasse au lévrier est même instituée la veille et le jour de cet anniversaire. De la C o m p a g n i e du Lévrier blanc à l ' O r d r e de Saint-Hubert, des modifications substan- tielles sont introduites : - La symbolique religieuse se mue en ferveur : à l'emblème profane de la Fidélité doublé d ' u n e référence plus religieuse au Lévrier blanc se substitue l ' i m a g e pieuse de saint Hubert, invitation à la conversion et à la prière. Cette image participe de la divulgation d ' u n e légende, le récit du miracle du cerf crucifère, introduit en Lorraine et en Europe dans la e première moitié du X V siècle (auparavant, ce miracle était attaché à saint Eustache). La création de l'Ordre de Saint-Hubert du Barrois en 1422 (et, symétriquement, la fondation de l ' O r d r e bavarois en 1444) participe du renouveau de ferveur qui entoure le patron des chasseurs. Le cardinal-duc de Bar n ' i g n o r e pas q u ' i l est issu de Charlemagne (canonisé en 1165) aussi bien par son père que par sa mère et q u ' à ce titre il est sans doute un petit neveu de saint Hubert lui-même. Anciens comtes d ' A r d e n n e , les premiers ducs de Bar portent un cerf à leur armure et peuvent se réclamer de Louis le Bègue par l'intermédiaire des Wigerici. Par Marie de France, sa mère, Louis de Bar revendique également une ascendance carolingienne.
Aussi le voit-on avec ses chevaliers chasser dans la forêt ardennaise et fréquenter avec assiduité l'abbaye de Saint-Hubert. Le nouveau symbolis- me attaché à cet Ordre entend, à travers sa personne, renforcer, s'il en était besoin, son inspiration divine. - De guerrier, l ' O r d r e devient pacifique, à vocation cynégétique : l ' i m a g e du lévrier s'introduit dans une représentation qui n ' e s t plus mystique mais cynégétique. Les armes à feu n ' o n t plus voacation à servir que deux fois par an, le j o u r des chasses annuelles, pour le plus grand plaisir et la convivialité des chevaliers ; - La dépendance à l'égard du souverain se mue en protection : l'acte de 1422 ne dit rien du devenir de l'Ordre sous l'autorité de René d'Anjou, futur duc de Lorraine et de Bar, et n ' e n perpétue pas moins son existence «à jamais». De fait, une telle contradiction annonce l'autonomie de l'Ordre à l'égard du pouvoir temporel. 3. - Long silence (1436-1597) L'Ordre ne s'éteint pas avec Louis de Bar, son premier bienfaiteur. Au milieu des troubles liés au sort de la couronne de Lorraine et de Bar, les chevaliers de Saint-Hubert se distinguent, au contraire, brillamment. Le 15 janvier 1431, Charles II de Lorraine disparaît six mois après Louis de Bar. Son gendre, René d'Anjou, devient de fait duc de Lorraine et de Bar. Mais cette succession ne plaît pas au cousin germain de Charles II, déshérité par ce dernier le 13 janvier 1425 : Antoine, comte de Vaudémont, refuse de rendre h o m m a g e au nouveau souverain et fait alliance avec les Bourguignons pour s'emparer du duché. A cette occasion, les chevaliers de Saint-Hubert se font remarquer par leur dévouement à la cause légitime de René et d'Isabelle de Lorraine et de Bar. Car la guerre qui éclate entre les deux prétendants est terrible : leurs troupes s'affrontent à la bataille de Bulgnéville le 2 juillet 1431. Sévèrement battu et fait prisonnier par les armées du duc de Bourgogne, René d'Anjou est enfermé dans une tour du château de Dijon. La princesse Isabelle obtient une trêve et n o m m e six chevaliers de Saint-Hubert pour gouverner ses Etats en l ' a b s e n c e de son époux. La contestation qui divise René et le comte de Vaudémont est portée devant le concile de Bâle et l'empereur Sigismond se prononce en faveur du duc légitime. Sur ces entrefaites, ledit René succède à son frère Louis, roi de
Naples, de Sicile et de Jérusalem. Mais cette fortune ne sert q u ' à prolonger sa captivité et devient un nouveau prétexte à augmenter sa rançon. En 1436, une grande assemblée de tous les seigneurs de Lorraine est placée sous le signe du souvenir des chevaliers du Lévrier blanc de 1416. Les membres présents décident de prodiguer de nouveau tous leurs biens et toutes leurs richesses à la cause de la libération de leur prince. Les subsides levés en Lorraine depuis un an pour financer la rançon de René sont insuf- fisants ? Eh bien, les chevaliers décident de se cotiser pour réunir la somme exigée. L'un d'eux, Erard du Châtelet engage m ê m e toutes ses terres et donne la s o m m e de 18000 saluées d'or. René obtient finalement sa liberté moyennant une importante rançon dont la majeure partie aura été procurée par les chevaliers de l ' O r d r e , Thibaut de Blâmont en tête. L'Ordre de Saint-Hubert ne semble pas survivre à ce geste d ' h o n n e u r et de solidarité. Les archives ne fournissent aucune indication sur l'exis- e tence de la Compagnie dans la deuxième moitié du X V et au cours du e X V I siècle. Et pourtant, sous l'Ancien Régime, le n o m des chevaliers se trouve associé à l'histoire de la rage en Lorraine et en Barrois. Patron des chasseurs, saint Hubert devient tout naturellement le protecteur des personnes menacées de la rage. Dès le M o y e n Age, la tradi- tion lui attribue le pouvoir de guérir ce terrible mal propagé par la morsure des chiens, des loups et autres animaux. En 1479, le duc René II de Lorrai- ne envoie un messager à l'abbaye de Saint-Hubert, dans les Ardennes, aux fins de d e m a n d e r «les abstinences q u ' i l faut faire qui serait mors d ' u n chien enragé». Les religieux répondent au noble prince que le voyage au tombeau du Saint dans les quarante jours est la condition essentielle à toute guérison. Cette ancienne abbaye bénédictine fondée au V I P siècle est devenue un haut lieu de pèlerinage depuis que les reliques de saint Hubert y ont été e transférées au I X siècle (825). Centrée sur le grand thaumaturge des Ardennes, la lutte antirabique comporte en effet deux opérations curatives : la taille et le répit. La taille : une des particularités du culte de saint Hubert vient du fait que les reliques proprement dites du saint n ' y j o u e n t aucun rôle. La dévotion provient de l'Etole miraculeuse apportée par un ange, émissaire de la Sainte Vierge, chargé de convaincre ledit Hubert d'accepter la crosse épiscopale de Liège. La seule imposition de l'Etole sur le visage du possé- dé force le démon de la rage à sortir de son corps malheureux.
La taille consiste en une incision de deux centimètres perpendicu- laires au front du pénitent. Elle s ' a c c o m p a g n e de l'introduction d ' u n e infime parcelle de filament de la Sainte Etole. La pénétration de cette relique dans le corps constitue donc un acte de thérapie religieuse. La personne taillée dispose elle-même du pouvoir de donner répit (ou délai de quarante jours) à toute personne blessée ou mordue à sang. Le répit : il existe plusieurs types de répit qui forment autant de sursis dans le développement du mal (répit à vie, répit à terme, d ' u n e durée de quinze à trente ans, répit de quarante jours). Pouvoir éphémère, cette dernière faculté de donner répit de quarante jours constitue un authentique miracle, eu égard à la présence d ' u n fragment de la Sainte Etole au front des bénéficiaires. D ' a p r è s divers auteurs, les chevaliers de Saint-Hubert ont disposé de ce pouvoir de répit de quarante j o u r s , en l'absence m ê m e de toute présence sainte sur eux, ce qui est exceptionnel. Fourier de B a c o u r t raconte l ' h i s t o i r e de H y a c i n t h e - E t i e n n e de La M o r r e (futur chevalier de S a i n t - H u b e r t ) , m o r d u par un lévrier au cours d ' u n e c h a s s e , qui sollicite et obtient de C l a u d e de Maillet ( 1 7 0 8 - 1 7 8 8 ) , chevalier et secrétaire de l ' O r d r e de Saint-Hubert, un répit de quarante j o u r s qui ne le d i s p e n s e pas d ' a c c o m p l i r un p è l e r i n a g e au lieu saint ; ou de cette petite fille de C h â l o n s - s u r - M a r n e qui reçoit d ' u n chevalier de S a i n t - H u b e r t un répit à vie, sans être obligée de faire un q u e l c o n q u e pèlerinage ! Ce pouvoir spirituel d'invocation du grand thaumaturge et d ' a c c o m - plissement de miracles par délégation renforce du même coup le mystère attaché à cet Ordre de chevalerie. 4. - Renaissance (1597) : De 1436 à 1597, un siècle et demi durant, la m é m o i r e de l ' O r d r e s'interrompt. A la suite de cette longue période de silence, l'institution renaît de ses cendres. L'ancienne chevalerie barroise est alors éteinte ou attachée au service de ses ducs, non plus à Bar mais à Nancy ou Saint-Mihiel. Aucune des familles ayant pris part à la création de l'Ordre en 1416 et 1422 n ' y compte encore le moindre membre en 1597. Renouvelés et bien différents de leurs illustres prédécesseurs , les nouveaux compagnons de Saint-Hubert sont des notables du pays et leur
engagement apparaît à la mesure d ' u n nouveau péril : les guerres de religion qui font rage entre catholiques et protestants. A nouveau, ils se trouvent en position de remplir les conditions imposées par les statuts de 1416 pour la répression des voies de fait. Très attaché au catholicisme, Charles III, duc de Lorraine et de Bar (1545-1608) n ' a p p r o u v e guère l'attitude du roi de France à l'égard des protestants : il réunit à Nancy plusieurs assemblées de la Ligue et soutient l'action de son cousin, le duc de Guise, en France. Charles III s'affronte directement au roi de Navarre, le futur Henri IV. Mais la conversion de ce dernier eu catholicisme (juillet 1593) annonce une trêve avec le nouveau roi de France, concrétisée par le traité de paix de Folembray, près de Laon (décembre 1595). Deux ans plus tard, les activités de l'Ordre très catholique de Saint Hubert peuvent réapparaître et se redéployer sans crainte avec la totale bénédiction de Charles III : le 3 novembre 1597, dans la chapelle de Saint- Hubert de l'église collégiale de Saint-Maxe. Mais très vite, s'estompent les guerres de religion. La paix revient. L'Ordre en profite pour évoluer : ce n ' e s t plus une coalition pour le maintien de la paix intérieure, la répression des voies de fait, le service du cardinal-duc de Bar ; ni m ê m e une ligue pour la défense de la religion catholique contre le péril protestant, au service du duc de Lorraine et de Bar. La chevaleresque association fait place, peu à peu, à un Ordre noble dont le prince ne saurait trop attendre. La principale préoccupation des modernes chevaliers est de se livrer en commun, lors de la fête de leur saint patron, à de pieux exercices suivis du plaisir de la chasse. Qualifié jadis de «roi», le chef de l'Ordre s'intitule désormais «Grand Veneur», chargé notamment de l'organisation des chasses avant de prendre le titre de «Grand-Maître» en 1619, à la suite d ' u n nouvel avenant des statuts. Les vingt-et-un chevaliers existant en 1597 appartiennent à quatorze familles originaires du Barrois - nobles pour la plupart - , dont la moitié installeront de nouveaux membres à des époques ultérieures. Le Tableau de l'Ordre en 1597 met en évidence les prétentions limitées des refondateurs de cette ancienne chevalerie : notables locaux qui entendent rebâtir un réseau de solidarité pour défendre les intérêts corporatistes et favoriser des alliances au sein de la Confrérie. Le souffle chevaleresque et épique des premiers membres apparaît bien éloigné de cet Ordre chasseur et charitable.
5. - Evolution (1597-1789) - Un Ordre de vénerie : Dès 1422, une chasse aux lévriers est instituée la veille et le jour de la fête de Saint-Hubert. J u s q u ' à la Révolution, elle ne cesse de se renouveler annuellement. Les chevaliers se trouvent ainsi statutairement contraints sous peine d ' a m e n d e de se présenter à la chasse annuelle et m ê m e de nourrir un ou plusieurs lévriers. Une chasse de cette nature n'aurait pu se dérouler, sous les yeux du souverain, sans avoir été autorisée, soit par sa présence, soit par une concession expresse. e Et pourtant, à la fin du X V I siècle, le titre constitutif ou approbatif de ce p r i v i l è g e c y n é g é t i q u e a disparu avec les archives anciennes de l'Ordre. A cette époque là, le privilège de chasse constitue le plus beau témoi- gnage de la faveur d ' u n prince. Présent à Bar le 3 novembre 1605, le duc Charles III autorise les membres de l'Ordre à chasser le lévrier la veille et le jour de Saint-Hubert, à charge pour eux de respecter les lieux réservés pour son plaisir. Ses successeurs confirmeront à diverses reprises un tel privilège : le duc Charles IV, de séjour à Bar en 1661, confirme la décision de son père Charles III par décret expédié le 27 octobre en son Conseil. Accompagné des princes de Vaudémont et de L'Islebonne, son fils et son gendre, il assis- te pour la dernière fois en 1668 à la messe solennelle célébrée le jour de la Saint-Hubert. Il se rend à l'offrande et, après la cérémonie, déjeune avec les chevaliers qui ont ensuite l'honneur de le suivre à la chasse. Ultérieurement, les Grands Veneurs des ducs Léopold et Stanislas apporteront un semblable apaisement aux différentes générations de cheva- liers de Saint-Hubert. On ignore presque tout de la chasse annuelle au lévrier à laquelle s'adonnent les chevaliers de Saint-Hubert. Privilège des rois et apanage de la noblesse sous l ' A n c i e n Régime, une telle chasse a été depuis lors inter- dite par la loi du 3 mai 1844. Sans nul doute, les chevaliers de Saint-Hubert ne se sont pas contentés d ' u n e chasse au lièvre. Le loup n'était-il pas plutôt l'objet de leur inlassable quête cynégétique ? Dotés du pouvoir de répit de quarante j o u r s , ne se devaient-ils pas, en fidèles disciples du
grand thaumaturge de la rage, de participer à l'éradication de ce terrible e fléau ? Le vaccin de Pasteur ne date que de 1885. J u s q u ' a u X I X siècle, seul ou en meute, le loup pullule dans de nombreux pays d ' E u r o p e . Rien q u ' e n France, on en compte plus de cinq mille à la veille de la Révolution. De longue date, la chasse au lévrier se focalise sur la destruction des loups. M a g i q u e et maléfique, le loup reste ainsi, de siècle en siècle, au cœur des préoccupations des chevaliers de Saint-Hubert mais aussi d ' u n grand n o m b r e de confréries, également vouées au culte du patron des chasseurs. - U n Ordre philanthropique : L'Ordre qui subsiste tant que les duchés de Lorraine et de Bar restent souverains et indépendants, ne perd rien de son éclat lorsque ces princi- pautés reviennent à la France par héritage. Pourtant, la C o m p a g n i e perd peu à peu son caractère cynégétique pour devenir un cercle de gentilshommes distingués et philanthropes, chargé, c o m m e l ' i n d i q u e Alexis de Crolbois dans son Historique de l ' O r d r e , «de soulager le pauvre, de soutenir l'orphelin, de défendre la religion». Après la mort de Stanislas en 1766, Louis X V confirme les privilèges des deux duchés. L'Ordre de Saint-Hubert se trouve bien entendu compris dans cette confirmation. En qualité de ducs de Lorraine et de Bar, Louis XV et Louis XVI s'éri- gent en chefs suprêmes et protecteurs de l'Ordre. A partir de 1782, ils s'y font représenter par le gouverneur de la province, le duc de Choiseul-Stain- ville. Bien que l'Ordre n ' a i t d'autres ressources que celles qui proviennent de l'exécution de ses règlements et de sommes données par ses membres, il n ' e n parvient pas moins à suffire à ses dépenses et m ê m e à réaliser quelques bénéfices qui lui permettent de consacrer l'institution à des œuvres de bienfaisance. En septembre 1781, le Grand-Maître et les chevaliers décident de donner 1500 F qu'ils ont alors en caisse - somme qui sera portée à 3000 F - à l'hôpital de Bar pour le soutien à vie d'un pauvre de la ville. Louis XVI, par arrêt rendu en conseil d ' E t a t à Versailles (19 juillet 1782) autorise l ' O r d r e à exécuter son projet et le confirme par de nouvelles lettres patentes en janvier 1786, lettres qui témoignent de l ' e s t i m e portée à l'Ordre par ce monarque.
Cette pratique des fondations hospitalières n ' a rien d'original à la fin de l'Ancien Régime. On la retrouve fréquemment à Paris dans les testa- ments des riches parlementaires ou des fermiers généraux. A l ' i m a g e des autres Ordres de chevalerie, Saint-Hubert évolue donc en association d'entraide et de bienfaisance. Imposée par les statuts dès l'origine, la fidélité à la religion catholique inspire constamment l'action des chevaliers : ils reçoivent la médaille de l'Ordre au pied de l'autel, avant la messe, le jour de la Saint-Hubert. A leur réception, à genoux entre les mains du Grand-Maître, ils prêtent serment de vivre et de mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine. Au besoin, ils sont tenus de prendre les armes pour la défense de leur Foi. Dès l'origine, il est d ' u s a g e de faire chanter une messe le j o u r de la Saint- Hubert. Tous les membres sont tenus d'y assister sous peine d ' a m e n d e . Depuis toujours également, l'Ordre possède un aumônier qui veille à l'épa- nouissement de la ferveur religieuse au sein de cette Compagnie. 6. - Emigration (1790-1814) Les dernières informations relatives à l'Ordre datent d'avril 1789. A la suite des mouvements révolutionnaires de l'été, les assemblées annuelles des 2 et 3 novembre n ' a u r o n t j a m a i s lieu. L'abolition des privilèges et du Second Ordre balaie les restes de l'ancien temps. En 1790, l'Ordre de Saint-Hubert prépare son repli sur Sarrebruck puis Francfort. Alexis de Crolbois, chevalier depuis 1783 et commissaire aux preuves j u s q u ' à la Révolution, devient administrateur général plénipoten- tiaire de l'Ordre en émigration sous la protection du prince de Nassau- Sarrebruck, ancien chevalier d ' h o n n e u r j u s q u ' à sa mort en 1794. Sous l'Empire, Alexis de Crolbois procède à l'élection de nouveaux membres dont quatre, installés de 1805 à 1807, seront intégrés dans l'Ordre restauré. 7. - Restauration (1815-1824) En 1815, un Ordre de Saint-Hubert se réorganise en France à l'insti- gation du comte de La Morre et du comte de Saint-Ange, artisans de sa restauration : - Chevalier de Saint-Hubert de l'ancien temps dont la famille a fourni un Grand-Maître et plusieurs dignitaires, le vicomte français, comte romain et prince du Saint-Empire, Jean-Baptiste-Marie-Bercaire de La Morre (1763- 1835) joue un rôle essentiel dans la restauration de l'Ordre : nommé adminis- trateur général plénipotentiaire à l ' a s s e m b l é e chapitrale du 6 mai 1814,
il est élu Grand-Maître par intérim le 21 novembre 1815. De mai 1814 à mai 1819, il effectue treize voyages à Paris pour imposer ses convictions. Dès le 12 septembre 1815, les pourparlers avec la Cour de Louis XVIII associent le comte Garden de Saint-Ange, nouveau secrétaire perpétuel. - Ange-Guillaume-Laurent, comte de Garden (1796-1872) est le fils d ' u n diplomate accrédité à la Cour de France par le prince de Nassau - Sarrebruck. Il se fait connaître en août 1819 par la publication d ' u n Code des Ordres de Chevalerie, récemment réédité. Chambellan du roi de Bavière, il est accrédité auprès de la Cour de France c o m m e ministre plénipotentiaire du duc d'Anhalt. En mars 1816, Louis XVIII daigne accueillir l'adresse présentée par La Morre et Garden de Saint-Ange. Sur le rapport particulier du comte de Vaublanc (futur chevalier de l'Ordre), alors ministre de l'intérieur, l ' O r d r e est enfin reconnu par le roi. En avril, Louis-Marie-Céleste, duc d ' A u m o n t (1762-1831), pair de France et premier gentilhomme de la C h a m b r e du roi, est élu Grand-Maître. Les statuts du 17 avril témoignent d ' u n e sérieuse reprise en main d ' u n Ordre qui est inondé de demandes d ' a d m i s s i o n . Depuis 1816, bien des élections jugées irrégulières sont d'ailleurs annulées. La vocation cynégé- tique de l'Ordre est supprimée. Seuls sont rappelés l'exercice de la bienfai- sance et la pratique des vertus sociales. La référence à la fête de Saint- Hubert du 3 n o v e m b r e est tout simplement g o m m é e . L ' a s s e m b l é e du Chapitre général est désormais fixée au 15 décembre et une messe est dite le 30 mai, j o u r anniversaire de la mort de saint Hubert, bien moins connue que la date de sa canonisation ! L'Ordre est désormais placé sous le patronage spécial du souverain qui prend le titre de chef suprême et protecteur. Fort de ses nombreux membres - environ 129 si l'on collationne l ' e n s e m b l e des sources - il réunit des représentants souvent illustres de la noblesse d ' A n c i e n Régime et de la noblesse d ' E m p i r e , mêlés dans un bel u n a n i m i s m e qui témoigne d ' u n e France réconciliée dans la course aux honneurs. Les familles barroises apparaissent définitivement diluées (19%) dans ce nouvel ensemble. 8. - Interdiction (1824) Le choix du duc d ' A u m o n t , proche collaborateur de Louis XVIII, semble constituer la meilleure des garanties de pérennité de l'institution. Malheureusement, les comtes de La Morre et de Saint-Ange devront vite
déchanter un beau matin d'avril 1824 : tout leur édifice, patiemment et laborieusement construit, s'écroule brutalement. En effet, l ' o r d o n n a n c e royale du 16 avril 1824 stipule que toutes décorations ou Ordres «qui n'auraient pas été conférés par Nous ou par les Souverains étrangers, sont déclarés illégalement ou abusivement obtenus». En quoi Saint-Hubert serait-il concerné par de telles dispositions ? N ' a t - i l pas été reconnu et confirmé par le roi en personne en 1816 ? Pourtant, quelques semaines plus tard, l'instruction du Grand Chance- lier de la Légion d'honneur, Mac Donald, porte le coup de grâce à Saint- Hubert et aux autres ordres provinciaux d'origine étrangère (Saint-Georges de Franche Comté et Saint Sépulcre de Jérusalem), sacrifiés sur l'autel des turpitudes des usurpateurs de décorations ou des professionnels du snobis- me illégitime . Désormais, l'épouvantail de l'article 259 du Code pénal se dresse devant les contrevenants. L'interdiction d ' O r d r e s locaux ou secondaires marque le point d ' o r g u e d ' u n processus de centralisation et d'épuration des Ordres du e royaume. Depuis le X V I I siècle, les Ordres de chevalerie n'étaient en France déjà plus que des institutions de fondation royale lorsqu'elles n'étaient pas d'origine religieuse, placés sous le contrôle attentif et vigilant des souverains (Saint-Michel, Saint-Esprit, Saint-Louis, pour les Ordres du roi, Saint-Lazare de Jérusalem, du Mont-Carmel ou Malte pour les Ordres hospitaliers). Bien que Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin, généalogiste de l'Ordre de Saint-Hubert, fût également généalogiste des Ordres du roi, il apparaît évident que l'existence de Saint-Hubert au sein du royaume de France de 1766 à 1790 (vingt cinq ans) et de 1816 à 1824 (neuf ans) n ' e s t due q u ' à une tolérance exceptionnelle : Ordre d'origine étrangère échappant (au moins partiellement) à la nomination et au contrôle de nos rois, il apparaît bien éloigné des Ordres de chevalerie français. D ' a i l l e u r s , ni Saint-Hubert, ni Saint-Georges de Franche Comté - province réunie à la France sous Louis XIV - ne seront j a m a i s complète- ment intégrés aux Ordres français. En dépit de tentatives répétées, le comte Garden de Saint-Ange ne parvient pas à insérer la moindre notice dans YAlmanach royal. Le 5 novembre 1817, le comte de Malitourne, ministre de la Maison du roi, lui oppose un ultime refus au motif que cette Compagnie, tolérée autrefois sans être officialisée, ne fait pas partie des Ordres du roi et n ' a jamais été inscrite c o m m e tel sous l'Ancien Régime. Ainsi, l'interdiction de l'Ordre de Saint-Hubert en 1824, tout c o m m e celle des Ordres mineurs de renommée locale ou régionale, apparaît-elle
dans la logique des temps nouveaux qui font tomber en désuétude ces manifestations anachroniques de solidarité. Elle traduit le refus - très français - des particularismes locaux et régionaux : en cela, le j a c o b i n i s m e révolutionnaire (et plus récemment encore, le décret mitterandien du 4 décembre 1981, véritable acte de nationalisation des distinctions honori- fiques) n ' a fait q u ' a c h e v e r le processus de centralisation et d'assimilation royale et se place dans la continuité d ' u n étatisme destructeur des pouvoirs et des cultures mineures et concurrentes. La différence est g o m m é e . Par héritage ou par la force, malgré les velléités de reconnaissance des «coutumes locales», les régions agglomérées à la France doivent être soumises aux règlements nationaux sans la moindre possibilité d'y déroger. 9. - Derniers avatars : En dépit de l'interdiction de Louis XVIII, l'Ordre lorrain ne disparaît pas totalement en 1824. En Belgique, l'institution se perpétue en toute e légalité durant la première moitié du X I X siècle. Deux «Tableaux» de chevaliers, de soixante-et-un noms chacun, ont été conservés dans les archives de l'aumônier de Saint-Hubert. Mais le pouvoir spirituel des curés successifs de cette petite ville du Luxembourg belge ne parvient guère à compenser la désorganisation croissante d ' u n pouvoir temporel que des Grands-Maîtres d'apparat (les princes de Rohan-Rochefort, mort en 1843, et de Rheina-Wolbeck sont les derniers chefs connus de l ' O r d r e interdit) semblent de plus en plus incapables à canaliser. Dévalué en vague confré- rie de gentilshommes chasseurs, l ' O r d r e moribond se maintient ainsi j u s q u ' e n 1852, dernière année de publication de ses statuts. L'absence de grand dessein paralyse l'institution qui tombe rapidement en quenouille et ne fait plus guère parler d'elle. Plus récemment, un soi-disant «Saint-Hubert» renaît de ses cendres au e X X siècle par l'entremise d' «usurpateurs» étrangers : durant l'entre-deux- guerres, - vraisemblablement dans les années trente -, des trafiquants florentins de faux ordres s'en emparent. L'Annuaire mondial de la cheva- lerie donne les noms des principaux responsables (prince Boris Galitzine et Diomede Caproti) de cet Ordre fantaisiste, «la pia unione d e l l ' O r d i n e di S.Huberto» (la pieuse union de l ' O r d r e de Saint-Hubert) qui se réclame ouvertement de l'Ordre barrois et lorrain. Dans Faux chevaliers vrais gogos, enquête sur les faux Ordres de chevalerie, Patrice Clairoff dit c l a i r e m e n t ce q u ' i l faut p e n s e r de cet Ordre u s u r p é qui n ' a plus aucun rapport avec l ' O r d r e interdit du siècle précédent : «La famille princière Galitzine n ' a , bien évidemment, j a m a i s été liée de près ou de loin aux activités très particulières de cet Ordre, dont le
véritable animateur était un pseudo «prince de L i g n y - L u x e m b o u r g » , qui terminera sa carrière à l ' o m b r e . Il était assisté de Raoul Gairaud c o m m e président et de Louis Guyon c o m m e secrétaire général. Les victimes françaises de cette organisation se chiffrent à 764 avec des «droits d ' a d m i s s i o n » variant entre 750 et 1600 dollars.» Cette affaire d'escroquerie, plus proche du droit c o m m u n que des valeurs religieuses de l'institution originelle, montre assez combien le snobisme et l ' e n v i e peuvent avoir raison de la crédulité et de la bêtise des amateurs de «breloques». Cette «usurpation», épisodique et éphémère, est formellement c o n d a m n é e par le Saint-Siège qui dénonce une «institution privée, de caractère purement laïque et n'ayant jamais prétendu se faire passer pour un ordre religieux» (Osservatore romano, 19 février 1947). Plus r é c e m m e n t encore, un «Ordre chapitrai de Saint-Hubert des Ardennes» tente de renaître au Palais abbatial de Saint-Hubert, à l'insti- gation de M. Roger Simon, citoyen belge. Les projets de statuts, datés du 30 mai 1978, proclament» la défense de la paix et la protection de la nature». Mais le curé de Saint-Hubert, appelé à cautionner la nouvelle association en tant q u ' a u m ô n i e r , refuse de prêter son concours à ce simulacre de reconstitution de style «écolo-pacifiste». Peut-on assurer aujourd'hui qu'il n'existe plus, à travers le monde, de succédané de l ' a n c i e n n e institution lorraine ? A coup sûr, il devrait en subsister un au Québec, où Saint Hubert fait l'objet d ' u n culte de longue date. Cet Ordre du nouveau m o n d e dispose m ê m e d ' u n site internet. II. S O C I O L O G I E D E S CHEVALIERS : L ' E N D O G A M I E A toutes les époques de la vie de l ' O r d r e , l ' e n d o g a m i e règne en maître. Celle-ci s'entend comme la règle obligeant un individu à choisir son conjoint à l'intérieur d ' u n m ê m e groupe social. 1. - Première époque (1416-1422) : lignages et ramages Parmi les quarante sept compagnons du Lévrier blanc, l'examen des réseaux d'alliances révèle dès l'origine l'étendue des pratiques endogames, tantôt denses, tantôt lâches.
N o m b r e de ces premiers chevaliers sont liés par les femmes : Franque de Housse est le fils d'Isabelle de Boulange, tante d ' O u l r y ; Geoffroy d ' O r n e s laisse pour héritière Marguerite de Lavaulx, fille de Wary II, femme d ' A r n o u l de Sampigny et belle-sœur de Jean et Colin ; Philippe de Norroy épouse en premières noces Catherine de Ludres, veuve d ' u n ancien membre, Philibert de Bauffremont, et en secondes noces Yolande d'Autel, parente de Thierry ; frère de Jean, Pierre de Beauffremont de Ruppes épouse en premières noces Béatrice du Châtelet, sœur d'Erard et fille de Renaud ; en deuxièmes noces, il épouse Catherine de Saint-Loup, proche parente de Jean, neveu par alliance du cardinal de Bar, tout c o m m e Thibaud de Blâmont. Par ailleurs, plusieurs mariages des Armoises/Sorbey mettent en évidence les liens croisés entre les familles : Richard des Armoises a Robert de son mariage avec N . . . de Sorbey ; et Jean des Armoises est le fils de Philippe et de Jeanne de Sorbey. Enfin, plusieurs chevaliers recherchent des alliances avec les Grancey : Erard du Châtelet épouse en secondes noces Marguerite de Grancey et Jean de R o d e m a c k se marie avec Mathilde de Grancey. Ces cercles habitués à des pratiques e n d o g a m e s denses, c ' e s t - à - d i r e à des pratiques matrimoniales fondées sur des réenchaînements successifs de filiations et d ' a l l i a n c e s , constituent à n ' e n pas douter les noyaux les plus h o m o g è n e s parmi les c o m p a g n o n s du Lévrier blanc. Les liens du sang forment un ciment fédérateur entre lignages (ensemble d ' i n d i v i d u s issus d ' u n m ê m e ancêtre en ligne m a s c u l i n e ) c o m m e entre r a m a g e s (parenté des d e s c e n d a n t s d ' u n ancêtre c o m m u n en ligne m a s c u l i n e et féminine). A l'inverse, d'autres cercles plus lâches, liés à des pratiques diffuses, manifestement moins mus par un mobile de politique matrimoniale, fonctionnent manifestement en électrons libres : certaines personnalités jouent sans doute un rôle modérateur (Apremont, Bassompierre, Conflans, Doncourt, Nicey ou Sérocourt) ; d'autres chevaliers, plus effacés ou margi- naux, se situent à la périphérie de l'orbite centrale (Epinal, Esnes, Grandpré, Laire, Malberg, Mandres, Mouzay, Nivelein, Noviant de Mandres, Ottange, Villers) ; enfin, des individualités farouches, brutales et bien difficiles à canaliser n'appartiennent apparemment à aucune ramification lignagère : in- maîtrisables, Jean de Rodemack et surtout Robert de Sarrebruck ne rejoi- gnent aucun clan. Vraisemblablement, le cardinal de Bar juge-t-il plus prudent de les avoir avec lui que contre lui. Ils n ' e n constituent pas moins un danger permanent pour l'unité du Barrois et la cohérence de la Compagnie ; cénacle de circonstance ô combien fragile, sans cesse menacé d'effritement, voire d'implosion.
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