SAINT-HUBERT DE LORRAINE ET DU BARROIS (1416-1852)

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SAINT-HUBERT DE LORRAINE ET DU BARROIS (1416-1852)
        Histoire du seul Ordre lorrain de chevalerie

           par M. Patrick de VILLEPIN, membre correspondant

      Reçu en 1991 membre correspondant de votre A c a d é m i e pour avoir
publié une biographie de Victor Margueritte - Lorrain plus controversé
qu'illustre - , j ' a i eu le plaisir d'intégrer cette compagnie cent quarante
cinq ans après mon trisaïeul et à peu près au m ê m e âge que lui. Avocat à la
cour Royale de Paris, François-Xavier de Villepin (1814-1885) n'ignorait
pas q u ' u n compatriote éloigné de sa «petite patrie» n ' e n est que plus
attaché à sa communauté d'origine :

           « Au moment de quitter la ville à laquelle me rattachent ma naissance,
ma vie de collège, les plus douces impressions de mon enfance et les plus
tristes aussi (il y a perdu sa mère à l'âge de deux ans et à trente et un ans sa
grand-mère, seconde mère à laquelle il était indéfectiblement attaché),
j ' é p r o u v e le vif désir d'ajouter un lien de plus à tous les liens qui m ' u n i s -
 sent déjà à la cité messine. Je serais heureux que les travaux assidus
auxquels j e me suis consacré depuis dix ans puissent me valoir l'honneur
d'être admis au nombre des non résidants de l ' A c a d é m i e de Metz», écrit-il
dans sa lettre de candidature.

         Le j e u n e Lorrain émigré est élu m e m b r e correspondant le 15 janvier
1846, à la suite d'un rapport élogieux d'Alfred Malherbe, vice-président de
l ' A c a d é m i e , qui s'intéresse n o t a m m e n t à un «ouvrage r e m a r q u a b l e »
publié en 1844 par cet « h o m m e instruit et consciencieux» qui s'est acquit-
té avec bonheur de la tâche d'éclairer ses concitoyens. Cet ouvrage au
commentaire serré et abondant n ' e s t rien d'autre q u ' u n «Nouveau code des
chasses».

      A quelques décennies de distance, de près ou de loin, c'est encore de
chasse dont il sera question dans cette communication. Entre chevalerie,
vénerie et philanthropie, l'Ordre de Saint-Hubert - tout modeste q u ' i l ait
été - se trouve au cœur de l'histoire de la Lorraine et du Barrois.
INTRODUCTION : UN ANCIEN ORDRE DE CHEVALERIE

      E n c e n s é au siècle dernier avec une emphase aussi exagérée que
contestable par un érudit lorrain qui ose le qualifier « d ' u n des plus anciens
de la chrétienté», l'Ordre de Saint-Hubert de Lorraine et du Barrois a été,
depuis, injustement dévalué au rang d ' o b s c u r e association de petits
notables locaux, rayée des cadres sous la Restauration après avoir davanta-
                                 e             e
ge végété que vécu du X V I au X V I I I siècle.

     A n ' e n pas douter, cet Ordre ne mérite ni les louanges excessives, ni le
déshonneur dans lequel il a été plongé à la suite des usurpations et détour-
nements successifs dont il a été victime depuis son interdiction.

Un ordre de cour :

      Bien éloignée des Ordres religieux, hospitaliers et militaires qui se
développent deux siècles plus tôt au temps des Croisades (Saint-Jean de
Jérusalem, Saint-Sépulcre, chevaliers t e u t o n i q u e s . . . ) , la C o m p a g n i e du
Lévrier blanc, qui deviendra plus tard l'Ordre de Saint-Hubert du Barrois,
est un Ordre de Cour. Au service du duc de Bar, elle s'assimile bien davan-
tage à une confraternité courtoise et laïque q u ' à un Ordre religieux. Moins
illustre et prestigieux que la Jarretière (1348) en Angleterre, l'Etoile (1351)
en France ou la Toison d'or (1430) en Bourgogne, elle partage avec ces
institutions paraétatiques une c o m m u n e préoccupation, elle rallie des
personnalités influentes à la politique de son souverain. L'appartenance à un
tel Ordre vise à renforcer le lien vassalique en déclin.

Le seul Ordre barrois et lorrain de chevalerie :

      Seul Ordre de chevalerie authentiquement barrois, et m ê m e lorrain,
l'Ordre de Saint-Hubert constitue à ce titre une des plus anciennes institu-
tions lorraines. Ephémères ou étrangères à ce duché, les autres tentatives
furent vouées à l'échec :
      - La confrérie des chevaliers aux blanches manches que Jean 1er
        (+1390), duc de Lorraine, tente d'organiser vers 1380, n ' e u t q u ' u n e
        durée et une portée limitées ;
      - L ' O r d r e du Croissant, créé le 11 août 1448, exista à peine trente
        ans : fondé par un petit-neveu du cardinal-duc de Lorraine, René
        d'Anjou, depuis la Provence et en l ' h o n n e u r de saint Maurice,
        patron d ' A n g e r s , où devaient avoir lieu les réunions, il n ' e u t jamais
        aucun rapport avec la Lorraine ;
      - Les chevaliers de la Mère de Dieu ou de Saint-Nicolas, imaginés plus
        tard par Henri II (+1624), duc de Lorraine et de Bar, ne furent jamais
        désignés.
Le plus ancien des Ordres de Saint-Hubert :

      Né en 1416, confirmé en 1422 sous son nom actuel, l ' O r d r e barrois,
puis lorrain et enfin français de Saint-Hubert n'est pas aussi illustre que son
homologue bavarois, fondé en 1444 par Gérard V, duc de Juliers-Berg. Au
fil des siècles, les deux Ordres ne semblent guère avoir entretenu de liens.
Le lorrain est plus ancien d ' u n e trentaine d ' a n n é e s que son alter ego
bavarois, seul subsistant. Et sa longévité reste incontestablement plus
grande que le Saint-Hubert de Wurtemberg (1702-1818).

Une longévité remarquable :

      L'Ordre s'étend aux extrêmes sur plus de quatre siècles j u s q u ' à son
interdiction par Louis XVIII en 1824, et m ê m e au-delà, au moins j u s q u ' e n
1852 à la suite de son repli à Saint-Hubert en Belgique. D ' o r i g i n e étrangè-
re, devait-il allégeance ou simple protection au roi de France, c o m m e il
avait pu s'en contenter au fil des siècles de la part des ducs de Lorraine et
de Bar ?

     Cette longévité n ' e n demeure pas moins exceptionnelle (373 ans sous
l'Ancien Régime, une vingtaine d'années en émigration, une dizaine sous la
Restauration et une trentaine en terre belge) en dépit d ' u n e parenthèse de la
                                                 e        e
mémoire de plus d ' u n siècle et demi aux X V et X V I siècles.

Une survivance aux désordres des guerres et des successions :

      A n ' e n pas douter, les chevaliers de Saint-Hubert ont su s'adapter à la
mouvance des temps avec discernement, pragmatisme et diplomatie et non
sans un brin d'opportunisme. Ils se sont ainsi attirés les bonnes grâces du
cardinal-duc de Bar (1416-1430), des ducs de Lorraine et de Bar (1430-
1766) et des rois de France (1766-1789 et 1816-1824) j u s q u ' à la sanction
finale qui ne les visait pas directement.

U n Ordre indépendant de ses protecteurs :

      L'originalité de l ' O r d r e de Saint-Hubert est sans doute une raison
supplémentaire de son étonnante permanence : il se recrute essentiellement
par cooptation de ses membres. Si, à ses débuts, Louis de Bar contrôle et
verrouille strictement le choix des chevaliers, ces liens de soumission ne lui
survivent pas. Si l'institution fonctionne au fil du temps sur un mode plus
démocratique - l'élection - , elle hésite longtemps entre élitisme et merito-
cratic, cooptation ou sélection de ses membres.
I. H I S T O I R E D ' U N O R D R E D E C H E V A L E R I E :

1. - Naissance : la Compagnie du Lévrier blanc (1416-1422)

      Lorsque Robert, comte puis duc de Bar, meurt en 1411, la succession
du Barrois semble assurée. De son mariage avec Marie de France, fille du
roi Jean II le Bon, il laisse dix enfants : six descendants mâles et quatre
filles suffisent à assurer la transmission du pouvoir à sa lignée.

      Edouard succède à son père sous le nom d ' E d o u a r d III. Mais la
malédiction s'acharne sur cette glorieuse dynastie et lui assure un triste
destin : peu après ses frères Charles, Philippe et Henri, Edouard III connaît
une fin tragique, le 25 octobre 1415 à Azincourt, tout comme son frère Jean,
sire de Puisaye et tant d'illustres princes.

      Dès lors, la succession tombe sur l'avant-dernier fils et ultime survi-
vant de Robert de Bar : Louis (1380-1430), destiné très jeune à l'état ecclé-
siastique, alors cardinal et évêque de Châlons-sur-Marne. Trop âgé pour
renoncer à sa vocation, il n ' e n accepte pas moins la couronne ducale.

     Ses quatre sœurs ne l'entendent pas ainsi ; notamment l'aînée, Yolan-
de, reine douairière d'Aragon, qui met en avant (à juste titre) son droit
d'aînesse. La coutume de Bar n'ignore-t-elle pas la loi salique en matière
successorale ?

    Elle ne dissimule pas son projet de disputer âprement à Louis un
pouvoir dont son caractère sacerdotal semble d ' e m b l é e l'exclure.

      Son âge, son état et sans doute aussi son caractère éloignent le cardi-
nal de Bar des habitudes guerrières. En la circonstance, il ne peut mécon-
naître combien lui seraient indispensables, pour la défense de ses préten-
tions, la tranquillité sur ses frontières et l'harmonie à l'intérieur de ses
Etats. Tous ses efforts se tournent vers cette double réalisation et il ne
tarde pas - six mois après la bataille d ' A z i n c o u r t - à obtenir l ' u n e et
l'autre :
      - Un traité, signé le 4 décembre 1415 entre le duc-évêque et le duc
Charles II, scelle la réconciliation entre la Lorraine et le Barrois. L'amitié
avec son voisin de l'Est assurée et la paix recouvrée en dehors de ses Etats,
le cardinal de Bar s'occupe désormais à rétablir le calme au dedans.
      - La Compagnie du Lévrier blanc (ou Ordre de la Fidélité), créée le
31 mai 1416 à Bar, est un Ordre équestre à vocation militaire destiné à
préserver le duché de Bar de toute invasion extérieure mais aussi de la
guerre de succession qui le secoue. Sa grande force consiste à sceller, en
temps de guerre, un pacte de fidélité, de solidarité et de secours mutuel
entre le duc et les gentilshommes de son pays.
L'institution pour cinq ans de ladite Compagnie offre au cardinal une
période de paix suffisante pour rétablir la paix familiale sans avoir simul-
tanément à combattre d'autres ennemis de l'intérieur.

       Le 31 mai 1416, l'élite de la noblesse barroise renonce donc solen-
nellement à ses dissensions. La création de cet Ordre a pour objet essentiel
de rétablir la paix et la sécurité publique dans le Barrois, c'est-à-dire de
                                                                             e
prévenir les voies de fait et les désordres si c o m m u n s aux X I V et
   e
X V s i è c l e s . Les compagnons s'imposent deux obligations principales :

Un devoir de fraternité     par l'arbitrage   de la justice   ducale :

       Les signataires s'engagent à s'aimer et à se secourir mutuellement, à
défendre celui d'entre eux dont ils entendraient dire du mal et à l'en avertir,
de n'en venir en aucun cas à la force contre leurs associés. Ils promettent en
outre de recourir à l'autorité ducale pour la solution des différends qui
pourraient s'élever entre-eux. En dernier ressort, la sentence arbitrale du
prince permet de régler les conflits entre les contractants selon les règles du
droit.

     En cas d ' é c h e c , une procédure codifiée d'intervention doit permettre
de marcher au secours du plaignant avec un nombre d ' h o m m e s proportion-
nel à la fortune ou au rang du chevalier, à savoir : le banneret avec trois
hommes d ' a r m e s , le simple chevalier avec deux, l'écuyer avec un.

Un devoir de fidélité     des vassaux à l'égard    de leur suzerain      :

     La bienveillance et l'arbitrage du prince dans le règlement pacifique
des conflits entendent être payés en retour. Le lien de vassalité et de
soumission des gentilshommes vis-à-vis de leur seigneur t é m o i g n e du
maintien de relations féodales fondées sur l'autorité et la domination du
duc, «très Révérend Père en Dieu, Nostre très redouté Seigneur Monsei-
gneur le Cardinal Duc de Bar, marquis de Pont, Seigneur de Cassel».

      Il est vrai que Louis de Bar tient cette attribution «redoutable» de son
double pouvoir, temporel et spirituel, qui force le respect, l'obéissance et la
piété de ses plus grands gentilshommes. Deux clauses résument ce devoir de
fidélité des «loyaux sujets» à l'égard du «bon Seigneur» :
      - un engagement de soutien inconditionnel ;
      - toute contravention ou défection à cet engagement serait forfaiture.

     Les membres fondateurs de la Compagnie du Lévrier blanc sont au
nombre de 47 (20 chevaliers et 27 écuyers) groupés autour du cardinal de
Bar et de leur «roi», Thiébaut de Blâmont, véritable chef de l ' O r d r e . Les
noms s'égrènent de ces glorieux fondateurs (de Bauffremont, du Châtelet,
d ' A p r e m o n t , des Armoises, de Lavaulx, de Sampigny), souvent issus des
plus illustres familles féodales barroises lorsqu'il ne s'agit pas d'indivi-
dualités remuantes (François de Sorbey, Robert de Sarrebruck) que le duc
cherche à s'attacher à tout prix.

2. - Transformation : la fondation de l'Ordre de Saint-Hubert

      Des incidents nous montrent que la Compagnie du Lévrier blanc ne
s'est pas maintenue sans tiraillements. On n'abandonne pas si facilement les
anciens errements. De vieux ferments travaillent encore ces seigneurs
braves et ombrageux, faciles au défi, non moins prompts à la riposte.

      De sérieuses infractions au pacte initial sont donc à déplorer. Son
principal instigateur, Robert de Sarrebruck, n'entre pas sans arrière-pensée
belliqueuse dans la pacifique alliance. Dès P â q u e s l 4 1 7 , le turbulent guerrier
renouvelle ses exploits passés. Rencontrant près de Toul Erard du Châtelet, un
des nobles coassociés, le «damoiseau de Commercy» s'empare du chevalier
et de son escorte, tandis que les gens du duc de Bar, surgissant d'aventure,
assaillent à leur tour l'agresseur et l'emmènent prisonnier à Foug.

      Le regret du coupable et le pardon de l'offensé cimentent une récon-
ciliation temporaire. Mais le triste sire de Commercy continuera durant
des années à défier toute la contrée par ses outrages et ses outrances,
n'hésitant pas à prendre la tête de bandes de pillards, écorcheurs et autres
routiers.

      A n ' e n pas douter, l'attitude de Robert de Sarrebruck compromet
l'idéal initial des chevaliers du Lévrier blanc à une époque où l'attitude
conciliante du cardinal-duc de Bar apporte au contraire une paix relative à
la région.

     L'adoption de son petit-neveu - René d'Anjou, âgé de dix ans - et la
promesse de lui abandonner son duché n'est pas le seul succès de Louis de
Bar : il fait du choix du jeune duc non seulement un acte de paix familiale
mais aussi un acte de haute portée politique. Il demande en effet et obtient
pour René la main d'Isabelle, fille unique et héritière de Charles II de
Lorraine : le traité de Foug (20 mars 1419) réglemente l'installation de
René d'Anjou à la tête du duché de Bar et son mariage avec Isabelle, fille
aînée et héritière du duc.

     Le 3 août 1420, le cardinal de Bar transmet à René le duché de Bar et
la marquisat de Pont. Le 24 août, le mariage entre Isabelle de Lorraine et
René d'Anjou est célébré à Nancy. Il consomme la réunion de deux Etats
trop longtemps rivaux, détournent le duc de Lorraine du parti anglo-
bourguignon où le retenaient d'anciennes amitiés. La voie est désormais
libre pour une politique d'alliance avec la France qui contribuera pour une
bonne part au règlement de la guerre de Cent Ans.

     De toute évidence, la donation du duché de Bar à René d'Anjou, futur
comte de Provence et roi de Sicile, son mariage avec Isabelle de Lorraine
réduisent l'objet et la portée du pacte de fidélité contracté par l'assemblée
des 47 compagnons du Lévrier blanc.

      Pour autant, la Compagnie ne sera pas dissoute le 31 mai 1422, au
terme des cinq ans après sa création. Les multiples avantages qui en résul-
tent tant pour le souverain que pour ses sujets déterminent les chevaliers -
surtout le cardinal-duc de Bar et protecteur de l'ordre - à le maintenir à
perpétuité, le 23 avril 1422. C o m m e au printemps 1416, Louis de Bar
préside cette journée devant 13 des 47 membres fondateurs (dont Robert de
Sarrebrtick et François de Sorbey !) de l ' O r d r e du Lévrier blanc.

      Au cours de cette assemblée chevaleresque, les m e m b r e s présents
choisissent pour patron saint Hubert, évêque de Liège, sous l'invocation
duquel ils placent l'institution. Les compagnons du Lévrier blanc devien-
nent ainsi les chevaliers de l'apôtre des Ardennes : saint légendaire auquel
le miracle du crucifié, image éblouissante du Christ en croix, était apparu
entre les bois d ' u n cerf le jour du Vendredi Saint de l'an 676.

      Désormais, les réunions annuelles de l ' O r d r e se tiendront tous les
3 novembre, date de la canonisation de saint Hubert. Une chasse au lévrier
est même instituée la veille et le jour de cet anniversaire. De la C o m p a g n i e
du Lévrier blanc à l ' O r d r e de Saint-Hubert, des modifications substan-
tielles sont introduites :

      - La symbolique religieuse se mue en ferveur : à l'emblème profane de
la Fidélité doublé d ' u n e référence plus religieuse au Lévrier blanc se
substitue l ' i m a g e pieuse de saint Hubert, invitation à la conversion et à la
prière. Cette image participe de la divulgation d ' u n e légende, le récit du
miracle du cerf crucifère, introduit en Lorraine et en Europe dans la
                          e
première moitié du X V siècle (auparavant, ce miracle était attaché à saint
Eustache). La création de l'Ordre de Saint-Hubert du Barrois en 1422 (et,
symétriquement, la fondation de l ' O r d r e bavarois en 1444) participe du
renouveau de ferveur qui entoure le patron des chasseurs. Le cardinal-duc
de Bar n ' i g n o r e pas q u ' i l est issu de Charlemagne (canonisé en 1165) aussi
bien par son père que par sa mère et q u ' à ce titre il est sans doute un petit
neveu de saint Hubert lui-même. Anciens comtes d ' A r d e n n e , les premiers
ducs de Bar portent un cerf à leur armure et peuvent se réclamer de Louis le
Bègue par l'intermédiaire des Wigerici. Par Marie de France, sa mère,
Louis de Bar revendique également une ascendance carolingienne.
Aussi le voit-on avec ses chevaliers chasser dans la forêt ardennaise et
fréquenter avec assiduité l'abbaye de Saint-Hubert. Le nouveau symbolis-
me attaché à cet Ordre entend, à travers sa personne, renforcer, s'il en était
besoin, son inspiration divine.

          - De guerrier, l ' O r d r e devient pacifique, à vocation cynégétique :
l ' i m a g e du lévrier s'introduit dans une représentation qui n ' e s t plus
mystique mais cynégétique. Les armes à feu n ' o n t plus voacation à servir
que deux fois par an, le j o u r des chasses annuelles, pour le plus grand
plaisir et la convivialité des chevaliers ;

      - La dépendance à l'égard du souverain se mue en protection : l'acte de
1422 ne dit rien du devenir de l'Ordre sous l'autorité de René d'Anjou,
futur duc de Lorraine et de Bar, et n ' e n perpétue pas moins son existence
«à jamais». De fait, une telle contradiction annonce l'autonomie de l'Ordre
à l'égard du pouvoir temporel.

3. - Long silence (1436-1597)

     L'Ordre ne s'éteint pas avec Louis de Bar, son premier bienfaiteur. Au
milieu des troubles liés au sort de la couronne de Lorraine et de Bar, les
chevaliers de Saint-Hubert se distinguent, au contraire, brillamment.

     Le 15 janvier 1431, Charles II de Lorraine disparaît six mois après
Louis de Bar. Son gendre, René d'Anjou, devient de fait duc de Lorraine et
de Bar.

     Mais cette succession ne plaît pas au cousin germain de Charles II,
déshérité par ce dernier le 13 janvier 1425 : Antoine, comte de Vaudémont,
refuse de rendre h o m m a g e au nouveau souverain et fait alliance avec les
Bourguignons pour s'emparer du duché.

      A cette occasion, les chevaliers de Saint-Hubert se font remarquer par
leur dévouement à la cause légitime de René et d'Isabelle de Lorraine et de
Bar. Car la guerre qui éclate entre les deux prétendants est terrible : leurs
troupes s'affrontent à la bataille de Bulgnéville le 2 juillet 1431.

    Sévèrement battu et fait prisonnier par les armées du duc de
Bourgogne, René d'Anjou est enfermé dans une tour du château de Dijon.

      La princesse Isabelle obtient une trêve et n o m m e six chevaliers de
Saint-Hubert pour gouverner ses Etats en l ' a b s e n c e de son époux. La
contestation qui divise René et le comte de Vaudémont est portée devant le
concile de Bâle et l'empereur Sigismond se prononce en faveur du duc
légitime. Sur ces entrefaites, ledit René succède à son frère Louis, roi de
Naples, de Sicile et de Jérusalem. Mais cette fortune ne sert q u ' à prolonger
sa captivité et devient un nouveau prétexte à augmenter sa rançon.

      En 1436, une grande assemblée de tous les seigneurs de Lorraine est
placée sous le signe du souvenir des chevaliers du Lévrier blanc de 1416.
Les membres présents décident de prodiguer de nouveau tous leurs biens et
toutes leurs richesses à la cause de la libération de leur prince. Les subsides
levés en Lorraine depuis un an pour financer la rançon de René sont insuf-
fisants ? Eh bien, les chevaliers décident de se cotiser pour réunir la somme
exigée. L'un d'eux, Erard du Châtelet engage m ê m e toutes ses terres et
donne la s o m m e de 18000 saluées d'or.

     René obtient finalement sa liberté moyennant une importante rançon
dont la majeure partie aura été procurée par les chevaliers de l ' O r d r e ,
Thibaut de Blâmont en tête.

      L'Ordre de Saint-Hubert ne semble pas survivre à ce geste d ' h o n n e u r
et de solidarité. Les archives ne fournissent aucune indication sur l'exis-
                                                                  e
tence de la Compagnie dans la deuxième moitié du X V et au cours du
    e
X V I siècle.

     Et pourtant, sous l'Ancien Régime, le n o m des chevaliers se trouve
associé à l'histoire de la rage en Lorraine et en Barrois.

      Patron des chasseurs, saint Hubert devient tout naturellement le
protecteur des personnes menacées de la rage. Dès le M o y e n Age, la tradi-
tion lui attribue le pouvoir de guérir ce terrible mal propagé par la morsure
des chiens, des loups et autres animaux. En 1479, le duc René II de Lorrai-
ne envoie un messager à l'abbaye de Saint-Hubert, dans les Ardennes, aux
fins de d e m a n d e r «les abstinences q u ' i l faut faire qui serait mors d ' u n
chien enragé». Les religieux répondent au noble prince que le voyage au
tombeau du Saint dans les quarante jours est la condition essentielle à toute
guérison.

      Cette ancienne abbaye bénédictine fondée au V I P siècle est devenue
un haut lieu de pèlerinage depuis que les reliques de saint Hubert y ont été
                    e
transférées au I X siècle (825). Centrée sur le grand thaumaturge des
Ardennes, la lutte antirabique comporte en effet deux opérations curatives :
la taille et le répit.

     La taille : une des particularités du culte de saint Hubert vient du fait
que les reliques proprement dites du saint n ' y j o u e n t aucun rôle. La
dévotion provient de l'Etole miraculeuse apportée par un ange, émissaire de
la Sainte Vierge, chargé de convaincre ledit Hubert d'accepter la crosse
épiscopale de Liège. La seule imposition de l'Etole sur le visage du possé-
dé force le démon de la rage à sortir de son corps malheureux.
La taille consiste en une incision de deux centimètres perpendicu-
laires au front du pénitent. Elle s ' a c c o m p a g n e de l'introduction d ' u n e
infime parcelle de filament de la Sainte Etole. La pénétration de cette
relique dans le corps constitue donc un acte de thérapie religieuse.

      La personne taillée dispose elle-même du pouvoir de donner répit (ou
délai de quarante jours) à toute personne blessée ou mordue à sang.

     Le répit : il existe plusieurs types de répit qui forment autant de sursis
dans le développement du mal (répit à vie, répit à terme, d ' u n e durée de
quinze à trente ans, répit de quarante jours).

     Pouvoir éphémère, cette dernière faculté de donner répit de quarante
jours constitue un authentique miracle, eu égard à la présence d ' u n
fragment de la Sainte Etole au front des bénéficiaires. D ' a p r è s divers
auteurs, les chevaliers de Saint-Hubert ont disposé de ce pouvoir de répit de
quarante j o u r s , en l'absence m ê m e de toute présence sainte sur eux, ce qui
est exceptionnel.

          Fourier de B a c o u r t raconte l ' h i s t o i r e de H y a c i n t h e - E t i e n n e de La
M o r r e (futur chevalier de S a i n t - H u b e r t ) , m o r d u par un lévrier au cours
d ' u n e c h a s s e , qui sollicite et obtient de C l a u d e de Maillet ( 1 7 0 8 - 1 7 8 8 ) ,
chevalier et secrétaire de l ' O r d r e de Saint-Hubert, un répit de quarante
j o u r s qui ne le d i s p e n s e pas d ' a c c o m p l i r un p è l e r i n a g e au lieu saint ; ou
de cette petite fille de C h â l o n s - s u r - M a r n e qui reçoit d ' u n chevalier de
S a i n t - H u b e r t un répit à vie, sans être obligée de faire un q u e l c o n q u e
pèlerinage !

      Ce pouvoir spirituel d'invocation du grand thaumaturge et d ' a c c o m -
plissement de miracles par délégation renforce du même coup le mystère
attaché à cet Ordre de chevalerie.

4. - Renaissance (1597) :

      De 1436 à 1597, un siècle et demi durant, la m é m o i r e de l ' O r d r e
s'interrompt. A la suite de cette longue période de silence, l'institution
renaît de ses cendres.

     L'ancienne chevalerie barroise est alors éteinte ou attachée au service
de ses ducs, non plus à Bar mais à Nancy ou Saint-Mihiel. Aucune des
familles ayant pris part à la création de l'Ordre en 1416 et 1422 n ' y compte
encore le moindre membre en 1597.

    Renouvelés et bien différents de leurs illustres prédécesseurs , les
nouveaux compagnons de Saint-Hubert sont des notables du pays et leur
engagement apparaît à la mesure d ' u n nouveau péril : les guerres de
religion qui font rage entre catholiques et protestants. A nouveau, ils se
trouvent en position de remplir les conditions imposées par les statuts de
1416 pour la répression des voies de fait.

      Très attaché au catholicisme, Charles III, duc de Lorraine et de Bar
(1545-1608) n ' a p p r o u v e guère l'attitude du roi de France à l'égard des
protestants : il réunit à Nancy plusieurs assemblées de la Ligue et soutient
l'action de son cousin, le duc de Guise, en France.

     Charles III s'affronte directement au roi de Navarre, le futur Henri IV.
Mais la conversion de ce dernier eu catholicisme (juillet 1593) annonce une
trêve avec le nouveau roi de France, concrétisée par le traité de paix de
Folembray, près de Laon (décembre 1595).

     Deux ans plus tard, les activités de l'Ordre très catholique de Saint
Hubert peuvent réapparaître et se redéployer sans crainte avec la totale
bénédiction de Charles III : le 3 novembre 1597, dans la chapelle de Saint-
Hubert de l'église collégiale de Saint-Maxe.

     Mais très vite, s'estompent les guerres de religion. La paix revient.
L'Ordre en profite pour évoluer : ce n ' e s t plus une coalition pour le
maintien de la paix intérieure, la répression des voies de fait, le service du
cardinal-duc de Bar ; ni m ê m e une ligue pour la défense de la religion
catholique contre le péril protestant, au service du duc de Lorraine et de
Bar.

     La chevaleresque association fait place, peu à peu, à un Ordre noble
dont le prince ne saurait trop attendre. La principale préoccupation des
modernes chevaliers est de se livrer en commun, lors de la fête de leur saint
patron, à de pieux exercices suivis du plaisir de la chasse.

      Qualifié jadis de «roi», le chef de l'Ordre s'intitule désormais «Grand
Veneur», chargé notamment de l'organisation des chasses avant de prendre
le titre de «Grand-Maître» en 1619, à la suite d ' u n nouvel avenant des
statuts.

      Les vingt-et-un chevaliers existant en 1597 appartiennent à quatorze
familles originaires du Barrois - nobles pour la plupart - , dont la moitié
installeront de nouveaux membres à des époques ultérieures. Le Tableau de
l'Ordre en 1597 met en évidence les prétentions limitées des refondateurs
de cette ancienne chevalerie : notables locaux qui entendent rebâtir un
réseau de solidarité pour défendre les intérêts corporatistes et favoriser des
alliances au sein de la Confrérie. Le souffle chevaleresque et épique des
premiers membres apparaît bien éloigné de cet Ordre chasseur et charitable.
5. - Evolution (1597-1789)

     - Un Ordre de vénerie :

      Dès 1422, une chasse aux lévriers est instituée la veille et le jour de la
fête de Saint-Hubert. J u s q u ' à la Révolution, elle ne cesse de se renouveler
annuellement.

        Les chevaliers se trouvent ainsi statutairement contraints sous peine
d ' a m e n d e de se présenter à la chasse annuelle et m ê m e de nourrir un ou
plusieurs lévriers.

     Une chasse de cette nature n'aurait pu se dérouler, sous les yeux du
souverain, sans avoir été autorisée, soit par sa présence, soit par une
concession expresse.

                                      e
     Et pourtant, à la fin du X V I siècle, le titre constitutif ou approbatif
de ce p r i v i l è g e c y n é g é t i q u e a disparu avec les archives anciennes de
l'Ordre.

      A cette époque là, le privilège de chasse constitue le plus beau témoi-
gnage de la faveur d ' u n prince. Présent à Bar le 3 novembre 1605, le duc
Charles III autorise les membres de l'Ordre à chasser le lévrier la veille et
le jour de Saint-Hubert, à charge pour eux de respecter les lieux réservés
pour son plaisir.

     Ses successeurs confirmeront à diverses reprises un tel privilège : le
duc Charles IV, de séjour à Bar en 1661, confirme la décision de son père
Charles III par décret expédié le 27 octobre en son Conseil. Accompagné
des princes de Vaudémont et de L'Islebonne, son fils et son gendre, il assis-
te pour la dernière fois en 1668 à la messe solennelle célébrée le jour de la
Saint-Hubert. Il se rend à l'offrande et, après la cérémonie, déjeune avec les
chevaliers qui ont ensuite l'honneur de le suivre à la chasse.

      Ultérieurement, les Grands Veneurs des ducs Léopold et Stanislas
apporteront un semblable apaisement aux différentes générations de cheva-
liers de Saint-Hubert.

      On ignore presque tout de la chasse annuelle au lévrier à laquelle
s'adonnent les chevaliers de Saint-Hubert. Privilège des rois et apanage de
la noblesse sous l ' A n c i e n Régime, une telle chasse a été depuis lors inter-
dite par la loi du 3 mai 1844. Sans nul doute, les chevaliers de Saint-Hubert
ne se sont pas contentés d ' u n e chasse au lièvre. Le loup n'était-il pas
plutôt l'objet de leur inlassable quête cynégétique ? Dotés du pouvoir de
répit de quarante j o u r s , ne se devaient-ils pas, en fidèles disciples du
grand thaumaturge de la rage, de participer à l'éradication de ce terrible
                                                                        e
fléau ? Le vaccin de Pasteur ne date que de 1885. J u s q u ' a u X I X siècle,
seul ou en meute, le loup pullule dans de nombreux pays d ' E u r o p e . Rien
q u ' e n France, on en compte plus de cinq mille à la veille de la Révolution.
De longue date, la chasse au lévrier se focalise sur la destruction des
loups. M a g i q u e et maléfique, le loup reste ainsi, de siècle en siècle, au
cœur des préoccupations des chevaliers de Saint-Hubert mais aussi d ' u n
grand n o m b r e de confréries, également vouées au culte du patron des
chasseurs.

     - U n Ordre philanthropique :

     L'Ordre qui subsiste tant que les duchés de Lorraine et de Bar restent
souverains et indépendants, ne perd rien de son éclat lorsque ces princi-
pautés reviennent à la France par héritage.

          Pourtant, la C o m p a g n i e perd peu à peu son caractère cynégétique
pour devenir un cercle de gentilshommes distingués et philanthropes,
chargé, c o m m e l ' i n d i q u e Alexis de Crolbois dans son Historique     de
l ' O r d r e , «de soulager le pauvre, de soutenir l'orphelin, de défendre la
religion».

     Après la mort de Stanislas en 1766, Louis X V confirme les privilèges
des deux duchés. L'Ordre de Saint-Hubert se trouve bien entendu compris
dans cette confirmation.

       En qualité de ducs de Lorraine et de Bar, Louis XV et Louis XVI s'éri-
gent en chefs suprêmes et protecteurs de l'Ordre. A partir de 1782, ils s'y
font représenter par le gouverneur de la province, le duc de Choiseul-Stain-
ville.

        Bien que l'Ordre n ' a i t d'autres ressources que celles qui proviennent
de l'exécution de ses règlements et de sommes données par ses membres, il
n ' e n parvient pas moins à suffire à ses dépenses et m ê m e à réaliser
quelques bénéfices qui lui permettent de consacrer l'institution à des
œuvres de bienfaisance.

          En septembre 1781, le Grand-Maître et les chevaliers décident de
donner 1500 F qu'ils ont alors en caisse - somme qui sera portée à 3000 F
- à l'hôpital de Bar pour le soutien à vie d'un pauvre de la ville. Louis XVI,
par arrêt rendu en conseil d ' E t a t à Versailles (19 juillet 1782) autorise
l ' O r d r e à exécuter son projet et le confirme par de nouvelles lettres
patentes en janvier 1786, lettres qui témoignent de l ' e s t i m e portée à
l'Ordre par ce monarque.
Cette pratique des fondations hospitalières n ' a rien d'original à la fin
de l'Ancien Régime. On la retrouve fréquemment à Paris dans les testa-
ments des riches parlementaires ou des fermiers généraux.

     A l ' i m a g e des autres Ordres de chevalerie, Saint-Hubert évolue donc
en association d'entraide et de bienfaisance.

      Imposée par les statuts dès l'origine, la fidélité à la religion catholique
inspire constamment l'action des chevaliers : ils reçoivent la médaille de
l'Ordre au pied de l'autel, avant la messe, le jour de la Saint-Hubert. A leur
réception, à genoux entre les mains du Grand-Maître, ils prêtent serment de
vivre et de mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine. Au
besoin, ils sont tenus de prendre les armes pour la défense de leur Foi. Dès
l'origine, il est d ' u s a g e de faire chanter une messe le j o u r de la Saint-
Hubert. Tous les membres sont tenus d'y assister sous peine d ' a m e n d e .
Depuis toujours également, l'Ordre possède un aumônier qui veille à l'épa-
nouissement de la ferveur religieuse au sein de cette Compagnie.

6. - Emigration (1790-1814)

      Les dernières informations relatives à l'Ordre datent d'avril 1789. A la
suite des mouvements révolutionnaires de l'été, les assemblées annuelles
des 2 et 3 novembre n ' a u r o n t j a m a i s lieu. L'abolition des privilèges et du
Second Ordre balaie les restes de l'ancien temps.

      En 1790, l'Ordre de Saint-Hubert prépare son repli sur Sarrebruck puis
Francfort. Alexis de Crolbois, chevalier depuis 1783 et commissaire aux
preuves j u s q u ' à la Révolution, devient administrateur général plénipoten-
tiaire de l'Ordre en émigration sous la protection du prince de Nassau-
Sarrebruck, ancien chevalier d ' h o n n e u r j u s q u ' à sa mort en 1794. Sous
l'Empire, Alexis de Crolbois procède à l'élection de nouveaux membres
dont quatre, installés de 1805 à 1807, seront intégrés dans l'Ordre restauré.

7. - Restauration (1815-1824)

     En 1815, un Ordre de Saint-Hubert se réorganise en France à l'insti-
gation du comte de La Morre et du comte de Saint-Ange, artisans de sa
restauration :

      - Chevalier de Saint-Hubert de l'ancien temps dont la famille a fourni un
Grand-Maître et plusieurs dignitaires, le vicomte français, comte romain et
prince du Saint-Empire, Jean-Baptiste-Marie-Bercaire de La Morre (1763-
1835) joue un rôle essentiel dans la restauration de l'Ordre : nommé adminis-
trateur général plénipotentiaire à l ' a s s e m b l é e chapitrale du 6 mai 1814,
il est élu Grand-Maître par intérim le 21 novembre 1815. De mai 1814 à mai
1819, il effectue treize voyages à Paris pour imposer ses convictions.

     Dès le 12 septembre 1815, les pourparlers avec la Cour de Louis XVIII
associent le comte Garden de Saint-Ange, nouveau secrétaire perpétuel.

        - Ange-Guillaume-Laurent, comte de Garden (1796-1872) est le fils
d ' u n diplomate accrédité à la Cour de France par le prince de Nassau -
Sarrebruck. Il se fait connaître en août 1819 par la publication d ' u n Code
des Ordres de Chevalerie, récemment réédité.

     Chambellan du roi de Bavière, il est accrédité auprès de la Cour de
France c o m m e ministre plénipotentiaire du duc d'Anhalt.

      En mars 1816, Louis XVIII daigne accueillir l'adresse présentée par
La Morre et Garden de Saint-Ange. Sur le rapport particulier du comte de
Vaublanc (futur chevalier de l'Ordre), alors ministre de l'intérieur, l ' O r d r e
est enfin reconnu par le roi. En avril, Louis-Marie-Céleste, duc d ' A u m o n t
(1762-1831), pair de France et premier gentilhomme de la C h a m b r e du roi,
est élu Grand-Maître.

      Les statuts du 17 avril témoignent d ' u n e sérieuse reprise en main d ' u n
Ordre qui est inondé de demandes d ' a d m i s s i o n . Depuis 1816, bien des
élections jugées irrégulières sont d'ailleurs annulées. La vocation cynégé-
tique de l'Ordre est supprimée. Seuls sont rappelés l'exercice de la bienfai-
sance et la pratique des vertus sociales. La référence à la fête de Saint-
Hubert du 3 n o v e m b r e est tout simplement g o m m é e . L ' a s s e m b l é e du
Chapitre général est désormais fixée au 15 décembre et une messe est dite
le 30 mai, j o u r anniversaire de la mort de saint Hubert, bien moins connue
que la date de sa canonisation !

     L'Ordre est désormais placé sous le patronage spécial du souverain qui
prend le titre de chef suprême et protecteur. Fort de ses nombreux membres
- environ 129 si l'on collationne l ' e n s e m b l e des sources - il réunit des
représentants souvent illustres de la noblesse d ' A n c i e n Régime et de la
noblesse d ' E m p i r e , mêlés dans un bel u n a n i m i s m e qui témoigne d ' u n e
France réconciliée dans la course aux honneurs. Les familles barroises
apparaissent définitivement diluées (19%) dans ce nouvel ensemble.

8. - Interdiction (1824)

    Le choix du duc d ' A u m o n t , proche collaborateur de Louis XVIII,
semble constituer la meilleure des garanties de pérennité de l'institution.
Malheureusement, les comtes de La Morre et de Saint-Ange devront vite
déchanter un beau matin d'avril 1824 : tout leur édifice, patiemment et
laborieusement construit, s'écroule brutalement.

     En effet, l ' o r d o n n a n c e royale du 16 avril 1824 stipule que toutes
décorations ou Ordres «qui n'auraient pas été conférés par Nous ou par les
Souverains étrangers, sont déclarés illégalement ou abusivement obtenus».

          En quoi Saint-Hubert serait-il concerné par de telles dispositions ?
N ' a t - i l pas été reconnu et confirmé par le roi en personne en 1816 ?

      Pourtant, quelques semaines plus tard, l'instruction du Grand Chance-
lier de la Légion d'honneur, Mac Donald, porte le coup de grâce à Saint-
Hubert et aux autres ordres provinciaux d'origine étrangère (Saint-Georges
de Franche Comté et Saint Sépulcre de Jérusalem), sacrifiés sur l'autel des
turpitudes des usurpateurs de décorations ou des professionnels du snobis-
me illégitime . Désormais, l'épouvantail de l'article 259 du Code pénal se
dresse devant les contrevenants.

          L'interdiction d ' O r d r e s locaux ou secondaires marque le point
d ' o r g u e d ' u n processus de centralisation et d'épuration des Ordres du
                             e
royaume. Depuis le X V I I siècle, les Ordres de chevalerie n'étaient en
France déjà plus que des institutions de fondation royale lorsqu'elles
n'étaient pas d'origine religieuse, placés sous le contrôle attentif et vigilant
des souverains (Saint-Michel, Saint-Esprit, Saint-Louis, pour les Ordres du
roi, Saint-Lazare de Jérusalem, du Mont-Carmel ou Malte pour les Ordres
hospitaliers).

     Bien que Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin, généalogiste de l'Ordre
de Saint-Hubert, fût également généalogiste des Ordres du roi, il apparaît
évident que l'existence de Saint-Hubert au sein du royaume de France de
1766 à 1790 (vingt cinq ans) et de 1816 à 1824 (neuf ans) n ' e s t due q u ' à
une tolérance exceptionnelle : Ordre d'origine étrangère échappant (au
moins partiellement) à la nomination et au contrôle de nos rois, il apparaît
bien éloigné des Ordres de chevalerie français.

        D ' a i l l e u r s , ni Saint-Hubert, ni Saint-Georges de Franche Comté -
province réunie à la France sous Louis XIV - ne seront j a m a i s complète-
ment intégrés aux Ordres français. En dépit de tentatives répétées, le comte
Garden de Saint-Ange ne parvient pas à insérer la moindre notice dans
YAlmanach royal. Le 5 novembre 1817, le comte de Malitourne, ministre de
la Maison du roi, lui oppose un ultime refus au motif que cette Compagnie,
tolérée autrefois sans être officialisée, ne fait pas partie des Ordres du roi et
n ' a jamais été inscrite c o m m e tel sous l'Ancien Régime.

      Ainsi, l'interdiction de l'Ordre de Saint-Hubert en 1824, tout c o m m e
celle des Ordres mineurs de renommée locale ou régionale, apparaît-elle
dans la logique des temps nouveaux qui font tomber en désuétude ces
manifestations anachroniques de solidarité. Elle traduit le refus - très
français - des particularismes locaux et régionaux : en cela, le j a c o b i n i s m e
révolutionnaire (et plus récemment encore, le décret mitterandien du 4
décembre 1981, véritable acte de nationalisation des distinctions honori-
fiques) n ' a fait q u ' a c h e v e r le processus de centralisation et d'assimilation
royale et se place dans la continuité d ' u n étatisme destructeur des pouvoirs
et des cultures mineures et concurrentes. La différence est g o m m é e . Par
héritage ou par la force, malgré les velléités de reconnaissance des
«coutumes locales», les régions agglomérées à la France doivent être
soumises aux règlements nationaux sans la moindre possibilité d'y déroger.

9. - Derniers avatars :

         En dépit de l'interdiction de Louis XVIII, l'Ordre lorrain ne disparaît
pas totalement en 1824. En Belgique, l'institution se perpétue en toute
                                                      e
légalité durant la première moitié du X I X siècle. Deux «Tableaux» de
chevaliers, de soixante-et-un noms chacun, ont été conservés dans les
archives de l'aumônier de Saint-Hubert. Mais le pouvoir spirituel des curés
successifs de cette petite ville du Luxembourg belge ne parvient guère à
compenser la désorganisation croissante d ' u n pouvoir temporel que des
Grands-Maîtres d'apparat (les princes de Rohan-Rochefort, mort en 1843,
et de Rheina-Wolbeck sont les derniers chefs connus de l ' O r d r e interdit)
semblent de plus en plus incapables à canaliser. Dévalué en vague confré-
rie de gentilshommes chasseurs, l ' O r d r e moribond se maintient ainsi
j u s q u ' e n 1852, dernière année de publication de ses statuts. L'absence de
grand dessein paralyse l'institution qui tombe rapidement en quenouille et
ne fait plus guère parler d'elle.

      Plus récemment, un soi-disant «Saint-Hubert» renaît de ses cendres au
    e
X X siècle par l'entremise d' «usurpateurs» étrangers : durant l'entre-deux-
guerres, - vraisemblablement dans les années trente -, des trafiquants
florentins de faux ordres s'en emparent. L'Annuaire mondial de la cheva-
lerie donne les noms des principaux responsables (prince Boris Galitzine et
Diomede Caproti) de cet Ordre fantaisiste, «la pia unione d e l l ' O r d i n e di
S.Huberto» (la pieuse union de l ' O r d r e de Saint-Hubert) qui se réclame
ouvertement de l'Ordre barrois et lorrain.

      Dans Faux chevaliers vrais gogos, enquête sur les faux Ordres de
chevalerie,     Patrice Clairoff dit c l a i r e m e n t ce q u ' i l faut p e n s e r de cet
Ordre u s u r p é qui n ' a plus aucun rapport avec l ' O r d r e interdit du siècle
précédent :

     «La famille princière Galitzine n ' a , bien évidemment, j a m a i s été liée
de près ou de loin aux activités très particulières de cet Ordre, dont le
véritable animateur était un pseudo «prince de L i g n y - L u x e m b o u r g » , qui
terminera sa carrière à l ' o m b r e . Il était assisté de Raoul Gairaud c o m m e
président et de Louis Guyon c o m m e secrétaire général. Les victimes
françaises de cette organisation se chiffrent à 764 avec des «droits
d ' a d m i s s i o n » variant entre 750 et 1600 dollars.»

     Cette affaire d'escroquerie, plus proche du droit c o m m u n que des
valeurs religieuses de l'institution originelle, montre assez combien le
snobisme et l ' e n v i e peuvent avoir raison de la crédulité et de la bêtise des
amateurs de «breloques».

        Cette «usurpation», épisodique et éphémère, est formellement
c o n d a m n é e par le Saint-Siège qui dénonce une «institution privée, de
caractère purement laïque et n'ayant jamais prétendu se faire passer pour un
ordre religieux» (Osservatore romano, 19 février 1947).

     Plus r é c e m m e n t encore, un «Ordre chapitrai de Saint-Hubert des
Ardennes» tente de renaître au Palais abbatial de Saint-Hubert, à l'insti-
gation de M. Roger Simon, citoyen belge. Les projets de statuts, datés du
30 mai 1978, proclament» la défense de la paix et la protection de la
nature». Mais le curé de Saint-Hubert, appelé à cautionner la nouvelle
association en tant q u ' a u m ô n i e r , refuse de prêter son concours à ce
simulacre de reconstitution de style «écolo-pacifiste».

      Peut-on assurer aujourd'hui qu'il n'existe plus, à travers le monde, de
succédané de l ' a n c i e n n e institution lorraine ? A coup sûr, il devrait en
subsister un au Québec, où Saint Hubert fait l'objet d ' u n culte de longue
date. Cet Ordre du nouveau m o n d e dispose m ê m e d ' u n site internet.

II. S O C I O L O G I E D E S CHEVALIERS : L ' E N D O G A M I E

     A toutes les époques de la vie de l ' O r d r e , l ' e n d o g a m i e règne en
maître. Celle-ci s'entend comme la règle obligeant un individu à choisir son
conjoint à l'intérieur d ' u n m ê m e groupe social.

1. - Première époque (1416-1422) : lignages et ramages

      Parmi les quarante sept compagnons du Lévrier blanc, l'examen des
réseaux d'alliances révèle dès l'origine l'étendue des pratiques endogames,
tantôt denses, tantôt lâches.
N o m b r e de ces premiers chevaliers sont liés par les femmes : Franque
de Housse est le fils d'Isabelle de Boulange, tante d ' O u l r y ; Geoffroy
d ' O r n e s laisse pour héritière Marguerite de Lavaulx, fille de Wary II,
femme d ' A r n o u l de Sampigny et belle-sœur de Jean et Colin ; Philippe de
Norroy épouse en premières noces Catherine de Ludres, veuve d ' u n ancien
membre, Philibert de Bauffremont, et en secondes noces Yolande d'Autel,
parente de Thierry ; frère de Jean, Pierre de Beauffremont de Ruppes
épouse en premières noces Béatrice du Châtelet, sœur d'Erard et fille de
Renaud ; en deuxièmes noces, il épouse Catherine de Saint-Loup, proche
parente de Jean, neveu par alliance du cardinal de Bar, tout c o m m e Thibaud
de Blâmont.

     Par ailleurs, plusieurs mariages des Armoises/Sorbey mettent en
évidence les liens croisés entre les familles : Richard des Armoises a
Robert de son mariage avec N . . . de Sorbey ; et Jean des Armoises est le fils
de Philippe et de Jeanne de Sorbey. Enfin, plusieurs chevaliers recherchent
des alliances avec les Grancey : Erard du Châtelet épouse en secondes
noces Marguerite de Grancey et Jean de R o d e m a c k se marie avec Mathilde
de Grancey.

      Ces cercles habitués à des pratiques e n d o g a m e s denses, c ' e s t - à - d i r e
à des pratiques matrimoniales fondées sur des réenchaînements successifs
de filiations et d ' a l l i a n c e s , constituent à n ' e n pas douter les noyaux les
plus h o m o g è n e s parmi les c o m p a g n o n s du Lévrier blanc. Les liens du
sang forment un ciment fédérateur entre lignages (ensemble d ' i n d i v i d u s
issus d ' u n m ê m e ancêtre en ligne m a s c u l i n e ) c o m m e entre r a m a g e s
(parenté des d e s c e n d a n t s d ' u n ancêtre c o m m u n en ligne m a s c u l i n e et
féminine).

      A l'inverse, d'autres cercles plus lâches, liés à des pratiques diffuses,
manifestement moins mus par un mobile de politique matrimoniale,
fonctionnent manifestement en électrons libres : certaines personnalités
jouent sans doute un rôle modérateur (Apremont, Bassompierre, Conflans,
Doncourt, Nicey ou Sérocourt) ; d'autres chevaliers, plus effacés ou margi-
naux, se situent à la périphérie de l'orbite centrale (Epinal, Esnes, Grandpré,
Laire, Malberg, Mandres, Mouzay, Nivelein, Noviant de Mandres, Ottange,
Villers) ; enfin, des individualités farouches, brutales et bien difficiles à
canaliser n'appartiennent apparemment à aucune ramification lignagère : in-
maîtrisables, Jean de Rodemack et surtout Robert de Sarrebruck ne rejoi-
gnent aucun clan. Vraisemblablement, le cardinal de Bar juge-t-il plus
prudent de les avoir avec lui que contre lui. Ils n ' e n constituent pas moins un
danger permanent pour l'unité du Barrois et la cohérence de la Compagnie ;
cénacle de circonstance ô combien fragile, sans cesse menacé d'effritement,
voire d'implosion.
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