Silsila Le voyage des regards - Institut des Cultures ...

La page est créée Emmanuel Jacquot
 
CONTINUER À LIRE
Silsila Le voyage des regards - Institut des Cultures ...
31 mars               31 juillet 2022

Silsila       Le voyage des regards

Artistes
Himat M. Ali, M’barka Amor, Ouassila ­Arras,
Sabrina Belouaar, Yasmina Benabderrahmane,
Rachid Boukharta, Dalila Dalléas Bouzar,
Ymane Fakhir, Randa Maroufi, Katâyoun Rouhi,
Maya-Inès Touam, Rayan Yasmineh, Haythem Zakaria

Commissaire et directrice artistique
Bérénice Saliou

Directrice générale
Stéphanie Chazalon

1
Cyrus et l’odeur du lys © Rayan Yasmineh

                                           2
Introduction

3
Alors que prospèrent les tentatives de rigidification
de la pensée, l’exposition Silsila, le voyage des regards,
présentée du 31 mars au 31 juillet 2022 par l’Institut
des Cultures d’Islam, interroge tout en nuances les
notions de transmission et de ­représentation à
travers les œuvres d’artistes qui vivent en France
et dont l’histoire personnelle ou familiale s’inscrit
dans un parcours migratoire.
Silsila (« la chaîne » en arabe) évoque les liens de
­filiation qui unissent les êtres ou les événements,
 suite de maillons singuliers mais indissociables,
 comme ­autant de destinées entrelacées.
Tissant délicatement les fils de leurs origines, les
­artistes alternent les médiums et les ­registres, la
 ­figuration et l’abstraction, pour convoquer des
  ­imaginaires renvoyant à l’intime et aux souvenirs,
   aux symboles et aux rituels. Ils explorent l’histoire
   de l’art et la poésie, mêlent traditions et modernité,
   analysent l’héritage au sens propre comme au figuré
   tout en y cherchant la part des femmes. Entre passé
   et ­présent, ici et là-bas, leurs œuvres invitent à un
   voyage des regards.

                                                             4
Poétique de l’exil

5
L’écriture poétique est le sujet central des œuvres
présentées ici. La série Où est la maison de mon ami
de Katâyoun Rouhi emprunte son titre au texte éponyme
de Sohrâb Sepehri, grand poète et peintre iranien du
XXe siècle dont s’est également inspiré Abbas Kiarostami
pour le film qui le rendit célèbre. Comme chez le
cinéaste, la figure de l’enfant est omniprésente dans
ces peintures mystérieuses. Des petites filles et petits
garçons solitaires, parfois dissimulés sous des masques
d’animaux surréalistes, cristallisent les premières années
de l’artiste en Iran puis de sa fille en France. Les larges
espaces laissés en réserve accueillent des écrits intimes
finement calligraphiés à l’envers. Ils forment des arbres-
poèmes témoignant pudiquement d’une vie tracée
dans l’exil, à l’instar de la série Dialogues de Himat
M. Ali qui happe le regard et l’abîme dans un univers
abstrait et vibratoire de strates colorées. Tandis que
chacune des couches d’encre se distingue tout en
formant un ensemble indivisible, les vers partiellement
lisibles du grand poète arabe contemporain Adonis,
tirés majoritairement de l’ouvrage Chants de Mihyar
le Damascène, murmurent en arrière-plan le perpétuel
voyage des déracinés.

Katâyoun Rouhi            Katâyoun Rouhi           Katâyoun Rouhi              Himat M. Ali avec des
Où est la maison de mon   Deus sive Natura, 2020   Sui Generis, Shiraz, 2021   poèmes d’Adonis,
ami ?, 2020               © Katâyoun Rouhi,        © Katâyoun Rouhi,           Dialogues, 2020-2021
© Katâyoun Rouhi,         ADAGP, Paris, 2022       ADAGP, Paris, 2022          © Himat M. Ali
ADAGP, Paris, 2022

                                                                                                       6
Réinterprétations
symboliques

7
Les artistes puisent dans les matières, les gestes et les
symboles de leur culture d’origine tout en s’affranchissant
de leur contexte traditionnel. Rachid Boukharta fait
dériver les formes géométriques d’un tapis amazigh
vers un univers organique et sensuel tandis que
Haythem Zakaria décline la figure du carré magique
dans une série cabalistique inspirée du livre Talisman -
Shams Al Ma’arif de Ibn Ahmad Al-bûnî, alchimiste
soufi algérien du XIIIe siècle, entre dessin industriel
et langage ésotérique.
Autre rituel protecteur, l’application du henné devient
chez Sabrina Belouaar matière à monochrome : en
détournant cette substance utilisée par les femmes
du Maghreb lors de fêtes religieuses et de cérémonies
familiales, l’artiste bouscule les conventions en même
temps qu’un genre associé à l’art moderne et contem-
porain occidental. Elle se rapproche en cela de Dalila
Dalléas Bouzar qui introduit une rupture dans la pratique
de l’autoportrait à l’huile pour en faire l’expression
critique des rapports de domination, du patriarcat
au colonialisme, en représentant son visage et son
corps couverts de peintures guerrières. Enfin, les
images saccadées d’une scène de maquillage au henné,
de la ferveur d’une prière ou du tissage d’un tapis
apparaissent et s’évanouissent dans l’installation vidéo
de Yasmina Benabderrahmane ; fragments juxtaposés
d’une vie familiale entre le Maroc et la France.

Rachid Boukharta          Haythem Zakaria                Sabrina Belouaar      Dalila Dalléas Bouzar
Tapisserie d’un           Talisman du Alif, série La     Henna, 2022           Untitled #8, série ma demeure,
paysage cassé, 2016       Poétique de l’éther II, 2019   © Sabrina Belouaar,   2021 © Dalila Dalléas Bouzar,
© Rachid Boukharta,       © Haythem Zakaria,             ADAGP, Paris, 2022    courtesy Galerie Cécile
courtesy Studio Hermits   courtesy Valérie Delaunay                            Fakhoury, ADAGP, Paris, 2022

                                                                                                           8
Le silence
en héritage

9
L’héritage familial est au cœur de ces trois œuvres qui
évoquent la transmission du patrimoine, des silences et
des tabous. Sous le regard digne d’une veuve, La part
du lion d’Ymane Fakhir souligne la répartition complexe
et inégale des biens selon la législation marocaine, elle-
même inspirée des textes musulmans. À partir de cas
fictifs illustrant différentes configurations, un système
arithmétique de points colorés symbolise de façon quasi
abstraite ce qui revient à chacune et à chacun en fonction
des liens de parenté.
Au sol, l’œuvre Photos de famille est un hommage de
Ouassila Arras à sa mère tisseuse. Avec cet enchevêtrement
de tapis dénoués, l’artiste déroule symboliquement le
fil des histoires tues par ses proches, entre l’Algérie et
la France, et oblige le visiteur à se déplacer comme
elle avec précaution parmi les non-dits. Randa Maroufi
explore un autre récit intime auréolé de mystère dans
l’installation vidéo La grande Safae. En mêlant le vrai et
le faux, elle met en scène les regards sur l’employée de
maison qui travaillait chez sa famille dans les années
1980 et dont le genre était source d’interrogations.

Ymane Fakhir                  Ymane Fakhir                  Ouassila Arras            Randa Maroufi
L’épouse,                     Abdelkader,                   Photos de famille, 2018   La grande Safae, 2014
série La part du lion, 2017   série La part du lion, 2017   © Ouassila Arras          © Le Fresnoy - Randa Maroufi
© Ymane Fakhir,               © Ymane Fakhir,
ADAGP, Paris, 2022            ADAGP, Paris, 2022
Collection du Frac            Collection du Frac
Provence-Alpes-Côte d’Azur    Provence-Alpes-Côte d’Azur                                                      10
Histoire de l’art :
les représentations
en question

11
Les trois artistes réunis ici s’approprient librement les
codes de l’histoire de l’art, entre perpétuation et rupture
des conventions. Avec son Retable - Délices du temps,
Maya-Inès Touam transpose ce format typique de l’art
chrétien du XVe siècle dans le domaine profane pour
retracer un parcours migratoire depuis l’Afrique sub-
saharienne vers la France. Elle en illustre les étapes à
la manière d’une nature morte, regroupant des objets
de différents registres et cultures dans un flou volontaire
entre peinture et photographie.
Cette manifestation d’une identité plurielle s’exprime
dans le travail de Rayan Yasmineh par le détournement
de l’iconographie orientaliste (Le songe de Gilgamesh)
et des miniatures persanes (Cyrus et l’odeur du lys). En
semant des références anachroniques et occidentales
dans la profusion de détails ornementaux ou en utilisant
la peinture à l’huile à la manière des maîtres flamands, il
mixe des techniques et des représentations de mondes
supposément opposés. La même distanciation critique
est introduite par M’barka Amor dans sa série Les
Orientales. Elle prolonge par des coulures colorées
les motifs stylisés extraits de paquets de produits
de consommation comme le henné, la harissa ou
la semoule, et pointe la façon dont ces symboles
continuent à véhiculer aujourd’hui encore l’image
d’un orient exotique.

Maya-Inès Touam          Rayan Yasmineh                M’barka Amor             M’barka Amor
Délices du temps, 2021   Le songe de Gilgamesh, 2021   Les Orientales, 2021     Les Orientales, 2021
© Maya-Inès Touam,       © Rayan Yasmineh              © M’barka Amor,          © M’barka Amor,
courtesy Fondation H,                                  courtesy Regards Suds,   courtesy Regards Suds,
ADAGP, Paris, 2022                                     ADAGP, Paris, 2022       ADAGP, Paris, 2022

                                                                                                         12
Vous pouvez aussi lire