Sites de rencontre : dating 2.0 Tour d'horizon d'un marché qui surfe sur la crise
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Publié le : 21 Février 2013 Ecrit par : Julien TARBY Sites de rencontre : dating 2.0 Tour d’horizon d’un marché qui surfe sur la crise L’époque où le flirt en ligne revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin est révolue. La kyrielle de sites hyper-segmentés désormais à leur disposition, toujours plus pratiques, ergonomiques et pourvoyeurs de services, y contribue grandement. Pourtant certains célibataires, divorcés, voire mariés hésitent encore à franchir le pas, les raisons essentiellement psychologiques ne manquant pas pour cela. “Simon, 22 ans, j’aime m’éclater et je suis un peu coquin ; –) mon cœur est à prendre”, écrit cet utilisateur décomplexé d’AdopteUnMec.com. Sylvia, dont l’attention est attirée par ce style sans fioriture, peut consulter les commentaires des autres filles. Ce grand brun ténébreux peut s’enorgueillir d’une note honorable de 4/5 grâce à ses “fonctions” de cuisinier et de masseur, ainsi qu’à ses “accessoires” : scooter et cochon d’Inde. Seulement si Sylvia clique sur l’onglet “rivales” elle peut aussi apprendre que 4 autres célibataires ont déjà échangé avec lui. Deux possibilités dans ce cas : vite “réserver” pour 24 heures ce romantique des temps modernes afin de leur griller la politesse, ou bien jeter piteusement l’éponge pour se rendre au rayon des “nouveaux produits” afin de passer en revue les profils des derniers mâles inscrits. Ainsi se nouent les romances modernes sur ce site décalé fondé en 2007 par Florent Steiner et Manuel Conejo, qui n’ont pas hésité à détourner les codes de la grande distribution. Bien loin des “inepties passionnelles” de Roméo et Juliette, le “supermarché de l’amour”, qui donne le pouvoir aux femmes de lier ou non contact avec “l’homme produit”, rencontre un vif succès auprès des 18-30 ans, comptant chaque jour en moyenne 7 200 nouveaux inscrits… dont la moitié sont des hommes. Grâce à ce concept marketing unique, la plateforme a fait une percée fulgurante sur un marché bien exploité par Be2, Parship, eDarling,…. mais surtout par le pionnier et géant Meetic, récemment racheté par l’Américain Match. Née en 2002, la société de Marc Simoncini est maintenant leader en Europe, présente dans 16 pays en utilisant 7 langues différentes.
“Nous totalisons 767 000 abonnés payants, pour un CA de 178 millions d’euros en 2011”, révèle Jessica Delpirou, directrice France de Meetic. Le business de l’amour en ligne semble se jouer de la crise. 2 000 sites de rencontre sont d’ores et déjà recensés dans l’Hexagone, où “il existe un véritable savoir-faire, au niveau de la technique, de la communication et du graphisme”, observe Thomas Pawlowski, directeur marketing et communication d’AdopteUnMec.com. Chaque semaine, un petit nouveau se crée et le nombre total d’abonnés croît. Trois millions ont déjà cédé au chant des sirènes numériques. Mais la France compte 18 millions de célibataires. Les perspectives sont encore colossales. Époque bénie pour le flirt online Que l’on dénigre ou que l’on salue ces nouveaux outils, leur horizon reste dégagé parce qu’ils s’inscrivent dans une société qui valorise le plaisir immédiat et jetable, la nouveauté, le zapping… autant de valeurs hédonistes plébiscitées. “Les utilisateurs de sites de rencontre veulent gagner du temps, éviter la première étape que beaucoup de gens n’aiment pas, à savoir les premières questions pour se connaître : qu’est ce que tu fais ? quel est ton âge ?”, note Vincent Dutot, enseignant chercheur à l’ESG Management school en digital business. Ils veulent aussi avoir l’embarras du choix, en ayant la possibilité de filtrer le public à rencontrer, tous les champs préremplis permettant de cibler au plus près ce partenaire idéal tant fantasmé. Le narcissisme qui caractérise l’époque actuelle est aussi à l’honneur sur ces portails. “Sur un écran, on projette ce que l’on veut, avec la complicité de quelqu’un qui, de l’autre côté, lui aussi projette ce qu’il veut, […] chacun rêvant la vie avant de la vivre”, déplore la psychanalyste Catherine Siguret dans L’amour au coin de l’écran de Pascal Couderc. Pour se fondre parfaitement dans l’époque Facebook, les fiches d’inscription se sont étoffées, recouvrant beaucoup plus d’informations que le simple nom-prénom-âge. “Nous savons quasiment tout avant la première rencontre”, note ce consultant en marketing, grand utilisateur de ce genre de sites. Enfin la France a bénéficié du travail de défrichage et de pédagogie de Meetic, qui a laissé émerger dans son sillage nombre de petits nouveaux. Une myriade de niches L’offre a su devenir multiple pour encourager la banalisation des rencontres en ligne. Une myriade de sites de niches liés à une appartenance religieuse, politique, à un centre d’intérêt (animaux, sport…), à des envies adultères ou encore à un défaut physique (surpoids) sont nés. Les agriculteurs espèrent trouver une femme fleur bleue sur Rencontre agriculteur, tandis que
les végétariens recherchent l’âme sœur sur Amours bio. Les femmes dépressives peuvent se consoler avec Hommepansemement.com, tandis que celles qui sont attirées par la jeunesse peuvent s’épanouir sur Allocougar ou Cougarrencontre. Les ambitieuses cherchent un homme riche sur Suggardaddyrencontre. De leur côté, les célibataires déjà parents se connectent à Solofamily pour vivre les joies d’une famille recomposée. Les sportifs partagent des moments musclés sur Sportifrencontre. Les diplômés des grandes écoles s’inscrivent sur HappyFewConcept. Les seniors aussi sont dans le collimateur, car “ils ont de l’argent et du temps, le nombre de leurs amis diminue et celui de leurs divorces augmente, car nombre d’entre eux sont restés ensemble pour les enfants, qui ont maintenant quitté le foyer. Ils se tournent donc logiquement vers le relationnel sentimental”, précise Vincent Dutot. Qui se ressemble s’assemble Les sites communautaires ont en outre poussé la logique du “qui se ressemble s’assemble” à son paroxysme. Ainsi Droite rencontre et Gauche rencontre ont fait leur apparition, puis Gay droite rencontre et Gay gauche rencontre. AmourMaghreb revendique 500 000 inscrits, concurrencé par Mektoube.fr, InchAllah.com, Mon-bled.com… E-Mazal s’adresse aux célibataires qui recherchent leur partenaire idéal pour fonder un foyer juif. Les chrétiens se retrouvent sur Theotokos, le site leader, mais aussi sur Iktoos, son challenger. Très fin et ultra- ciblé, ce maillage n’est cependant productif qu’à la condition de lever les réticences naturelles des utilisateurs potentiels. La barrière de l’hésitation En effet, le marché actuel avoisinerait seulement les 150 millions d’euros selon Thomas Pawlowski ; un montant encore modeste qui pourrait vite toucher les sommets, à condition pour les acteurs de l’offre de vaincre l’appréhension des non convertis. Car le plus grand frein au développement des portails de rencontre n’est pas la réglementation ou la concurrence d’un autre secteur, mais bien la psychologie des utilisateurs potentiels. Vaincre leurs hésitations, voire leurs craintes… une gageure d’après une étude empirique (*) menée par Régis Chenavaz, économiste à Euromed Management, et Corina Paraschiv de l’université Paris Descartes et d’HEC. Le risque global perçu par les utilisateurs dépendrait de plusieurs composantes : risque de performance (peur de l’échec), risque de temps (peur de le perdre), risque physique (peur des agressions, MST…), risque financier (peur d’engloutir un budget), risque social (peur d’une mauvaise perception par l’entourage) et risque psychologique (peur d’une mauvaise
perception de soi-même). Les sources de blocage sont donc pléthoriques et ces travaux montrent clairement que les risques perçus lors de la rencontre online sont supérieurs à ceux perçus lors de l’approche traditionnelle. Fâcheux pour les entremetteurs en ligne, qui doivent décrypter avec finesse des pierres d’achoppement différentes d’une catégorie de population à l’autre. “Les femmes et les hommes n’ont pas la même appréhension : pour la gente féminine, les risques de performance et de temps sont suivis par les risques physiques. Pour les hommes, les deux premiers sont semblables, quand ce troisième est négligeable. Eux redoutent plutôt le risque financier. Pour les personnes en couple, le risque personnel est beaucoup plus élevé, puisqu’elles ont l’impression de tromper leur conjoint. Pour les jeunes de moins de 25 ans, le risque social est le plus élevé, car passer par ces sites peut signifier qu’ils n’y parviennent pas dans la vie réelle”, nuance Régis Chenavaz. Business model Ces subtilités rendent les évolutions futures du secteur incertaines. On aurait pu croire dans un premier temps que le modèle Meetic de machine de guerre prédominerait. “Pour faire des annonces, de la modération, il faut du cash. C’est un secteur de recrutement, il importe d’alimenter en permanence la base en nouveaux célibataires, ce qui génère aussi de grosses dépenses marketing. Une place de marché ne peut fonctionner que si elle atteint une taille critique”, résume Jessica Delpirou, pour qui le modèle payant est le seul qui soit vraiment pérenne. Meetic occupe l’espace public en termes de publicité. “L’effet réseau, qui veut que plus un site à de membres, plus il est intéressant, marche à plein”, précise Régis Chenavaz. En outre, le public demande toujours plus de services. L’abonné de Meetic a accès à tous les outils de communication en ligne, à l’application mobile, aux recommandations quotidiennes “daily six” basées sur un algorithme, au mag conseil, et maintenant aux soirées Meetic (55 soirées, 35 villes tous les mois). Les invités – sélectionnés par la géographie et la tranche d’âge – peuvent amener avec eux trois célibataires. Mais certains sites parviennent aussi à tirer leur épingle du jeu par une approche originale, comme AttractiveWorld avec son dating haut de gamme, e-darling avec ses rapprochements basés sur les profils psychologiques, TiilT de M6, T2LMedia avec ses marques blanches Easyflirt et edenflirt. Et si autant d’hommes acceptent de payer 30 euros en moyenne à AdopteUnMec.com, c’est parce qu’ils adhèrent à ce concept décalé les transformant en produit de grande distribution. “Le fait de proposer aux utilisatrices d’‘adopter un ours’ plaît aux adulescents”, résume Thomas Pawlowski. Si des challengers parviennent à s’extirper de la masse, c’est parce qu’ils ont finement analysé les composantes du risque perçu. En effet, comme ils sont devant un marché biface
déséquilibré entre hommes et femmes, nombre de sites ont adopté le modèle “boîte de nuit” en faisant payer plus cher les hommes. Mais plusieurs d’entre eux, pour répondre à cette appréhension financière de la gente masculine, ont simplifié leurs tarifs à l’extrême. “Beaucoup d’utilisateurs avaient la fâcheuse impression de se faire avoir, s’apercevant qu’ils ne pouvaient voir tous les profils, ou qu’ils ne pouvaient pas envoyer des messages à tout le monde”, affirme Régis Chenavaz. En outre, le facteur de succès principal reste le fait de rassurer les femmes, garantes de la fréquentation. Ainsi fait-on payer pour augmenter la qualité des visiteurs. “Cécile Moulard, directrice Europe marketing de Meetic, était surprise de constater que le nombre d’abonnés augmentait lorsque les prix étaient haussés”, illustre Régis Chenavaz. En Roumanie par exemple, ce genre de sites est gratuit, ce qui n’est plus concevable en France. Meetic a aussi axé ses efforts sur le service de modération. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la société n’a jamais externalisé ce département. “Nous avons mis en place une police interne pour éviter les faux profils ou les arnaques à l’amour, en refusant la géolocalisation comme certains de nos concurrents pour privilégier la sécurité des femmes”, ajoute Jessica Delpirou. Tout est fait sur AdopteUnMec pour que la gente féminine, invitée à chercher le prince charmant parmi les “produits régionaux” ou dans l’espace promos avec par exemple “un déstockage massif de tous les roux”, soit rassurée. Pour indiquer le type de relation souhaitée, les demoiselles ont le choix entre un “CDI” (longue durée), un “CDD” (amitié câline) ou un “intérim” (one shot). Dans une autre direction mais dans une même volonté, Attractive World travaille sur la réputation en instaurant la cooptation. Régis Chenavaz évoque aussi des sites américains qui permettent aux femmes de noter les hommes et de mettre leurs commentaires. Ce système de réputation, directement emprunté à eBay, qui discipline les hommes et fait une sélection des plus fréquentables d’entre eux, pourrait bien se développer dans l’Hexagone. La concurrence des réseaux sociaux La pertinence des recommandations et le taux de réussite passent par des bases de données toujours plus enrichies. Or qui possède le plus d’informations sur les gens ? Les réseaux sociaux. “Nos véritables concurrents sont Twitter et Facebook. Et dans une moindre mesure Badoo et Zousk, des réseaux sociaux de rencontre”, déclare Thomas Pawlowski, qui développe avec AdopteUnMec un agenda, un blog pour les filles et toute une partie affinitaire. “Certains naviguent sur cette plateforme non pas pour rencontrer mais pour communiquer”, insiste-t-il, conscient que la course aux bases de données a commencé. Les gens divulguent plus d’informations en communiquant avec leurs pairs qu’en remplissant des champs obligatoires. À quand le “social dating”, qui combine réseau social classique et site de rencontre ?
“Le datamining permet de faire des rapprochements, de proposer des profils en fonction des amis. Le ‘social dating’ n’existe pas encore en France, mais il pourrait un jour apparaître”, suppose Vincent Dutot. Signe des temps, Meetic a racheté Twoo, un réseau social basé sur le dating. “Un peu à la manière de Badoo avec un business model freemium (80 % free, 20 % premium)”, résume Jessica Delpirou. Pour l’instant, le secteur poursuit son évolution, mais sans révolution. D’une part parce que le social dating, à l’aune d’une prise de conscience des dangers d’une divulgation totale des données, soulève encore des interrogations. Les utilisateurs sont-ils prêts à mélanger les sphères sites de rencontre et amis ? Rien n’est moins- sûr. D’autre part, les grandes plateformes n’y sont pas prêtes. “Nous pourrions développer nous-mêmes certaines fonctionnalités, mais nous préférons laisser faire les spécialistes”, rassurait Julien Codorniou, directeur des partenariats chez Facebook en juin 2012 dans Le nouvel Économiste. Mais le vent tourne vite dans le numérique. Comme auparavant eBay ou Groupon, AdopteUnMec l’a appris à ses dépens en ayant vu naître “Shopaman” en Allemagne, un “copycat” qui profite de l’absence de brevet dans ce domaine. La rançon succès. Business is business… et les sites de rencontre ne dérogent pas à la règle. Il semble que le romantisme comme la morale ne soient pas toujours de règle dans cet univers guidé par l’immédiateté, le pragmatisme et même le consumérisme. Gleeden, avec son million de membres à travers le monde, en est la parfaite illustration. Le site américain cherche à attirer les personnes mariées en quête d’aventures adultères et ne s’en cache pas. Il pousse le cynisme jusqu’à réaliser des sondages sur les alibis invoqués : celui de l’urgence professionnelle, utilisé par 32 % des personnes interrogées, arrive en tête. Très près derrière se trouve le typique passage à la salle de sport à la sortie du bureau. 61 % des femmes interrogées prétextent une envie de shopping tardive pour voir leur amant. C’est peut-être ce côté politiquement incorrect affiché sans pudeur qui rend le site si “trendy”. Les déclinaisons de plateformes toujours plus spécialisées pour les internautes en mal d’expériences extraconjugales se font d’ailleurs nombreuses. Un exemple ? L’infidélité pour les voyageurs d’affaires par le site canadien AshleyMadison.com, présent dans 25 pays, qui a développé fin janvier 2013 une nouvelle fonctionnalité destinée aux hommes mariés se déplaçant en France ou à l’étranger. “54 % de nos membres qui utilisent TravelingMan se laissent tenter par une aventure uniquement lorsqu’ils partent en déplacement ou voyage d’affaires. Nous avons imaginé une offre spécialement pour eux”, commente le PDG Noel Biderman. Celui (ou celle) qui se déplace envoie un message personnalisé prioritaire à 30 membres de la ville où il se rend, selon ses critères d’affinités. Encore un gadget anecdotique du net ? Le site canadien, créé en 2002, regroupe 17 millions d’utilisateurs… (*) “Processus de rencontre sur Internet : une étude empirique de la perception du risque”, Régis Chenavaz et Corina Paraschiv d, septembre 2010, Paris
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