Sur la poésie romantique de Lamartine - Dr Ali KILIÇ

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Sur la poésie romantique de Lamartine - Dr Ali KILIÇ
Dr Ali KILIÇ
                                Genève le 02-02-2010

                                                       Dédıé à Soraya

       Sur la poésie romantique de Lamartine
       Né à Mâcon le 21 octobre 1790 Alphonse de Lamartine passe une enfance
heureuse au contact de la nature dans une famille de petite noblesse sans grande
fortune à Milly près de Mâcon. Il reçoit une éducation soignée chez les jésuites à
Belley (1803-1807). Revenu à Milly il se passionne pour la lecture. Au cours
d'un voyage en Italie (1811-1812), il fait la connaissance d'une jeune napolitaine
qu'il évoquera sous le nom de Graziella.

    Il fait un bref passage dans l'armée comme garde du corps de Louis XVIII
sous la première restauration. Ses goûts le portent davantage vers la littérature
que vers les honneurs de la cour, il se met à fréquenter les salons, s'essaye à
quelques tragédies, Saül (1818) et compose ses premières élégies. En 1815,
pendant les Cent-Jours, il se réfugia en Savoie. En septembre 1816, il se rend à
Aix-les-Bains pour une cure thermale et fait la connaissance sur les bords du lac
du Bourget de celle qui devint l'Elvire du Lac, Julie Charles, une femme mariée
avec qui il vécut une idylle intense mais brève, puisque la jeune femme mourut
de phtisie l'année suivante. Il l'attend vainement à Aix l'année suivante. L'idylle

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tragiquement interrompue fournit à la sensibilité du poète un thème privilégié
d'inspiration. Son premier recueil les Méditations parait en 1820. Les plus
émouvantes de ces pièces, le lac et l'immortalité (1817), l'isolement (1818), Le
soir, le Souvenir, le vallon, L'automne (1819) retracent les principales étapes de
son aventure sentimentale. Les méditations venaient à leur heure, la génération
de 1820 lassée ou sevrée d'héroïsme classique attendait le poète qui saurait
exprimer les tendances profondes de sa sensibilité. Lamartine semble
s'acheminer vers la maturité, il épouse une jeune anglaise Elisabeth Birch et part
pour l'Italie. Il publie les Nouvelles Méditations (1823) sans retrouver le succès
car elles n'ont pas l'attrait de la nouveauté. La ferveur spirituelle de Lamartine
s'est fortifiée. Dans la Mort de Socrate (1823) et le Dernier Chant du pèlerinage
de Childe Harold (1825), qui est un hommage à Byron, il apparaît hanté par
l'immortalité. A partir de 1826 devant les paysages italiens, il célèbre sa foi
chrétienne et publie en 1830 une symphonie à la gloire de Dieu, Harmonies
poétiques et religieuses. Il est élu à l'Académie française en 1830 et son
engagement politique dans La révolution de juillet 1830 donne un tour nouveau
à sa carrière. Par conviction légitimiste, Lamartine abandonne la carrière
diplomatique pour se lancer dans la politique. Il est battu en 1831 aux élections
législatives. Sa production poétique de cette période A Némésis porte la marque
de ses préoccupations politiques, il se flatte de défendre la vraie liberté. Au
cours d'un voyage en Orient en 1835, il perd sa fille unique, Julia. Son deuil lui
inspire Gethsémani. À son retour, il est élu député et refuse d'être rattaché à un
parti. Jusqu'en 1848, il défend à la Chambre des idées libérales et progressistes.
Son activité littéraire, moins intense, se concentre alors dans le projet d'une vaste
épopée qui devait raconter l'histoire de l'âme humaine. Rédigés dans cette
perspective, Jocelyn (1836), la Chute d'un ange (1838), et plus tard
Recueillements poétiques (1839), firent de lui le chantre d'un «christianisme
libéral et social». L'œuvre est pleine de souvenirs personnels. Après Jocelyn
Lamartine publie un recueil de 11000 vers, La chute d'un ange que le public
accueilli froidement. Mais les exigences de la vie publique empêchent
Lamartine de mener à bien son entreprise, il trouve le temps cependant de
publier Les recueillements poétiques. Sous le ministère Guizot Lamartine passe
à l'opposition. Il publie, en 1847, une Histoire des Girondins, qu'ils considère
comme des modèles de sagesse. L'œuvre est destinée à donner au peuple «une
haute leçon de moralité révolutionnaire, propre à l'instruire et à le contenir à la
veille d'une révolution». L'intérêt de l'ouvrage lui valut, en février 1848, d'être
Ministre des affaires étrangères du nouveau gouvernement républicain.
Toutefois, son échec face à Louis Napoléon Bonaparte à l'élection présidentielle,
puis le coup d'État de 1851 mirent un point final à sa carrière politique. Alors
commence les années de misère. Pour payer des dettes criardes, Lamartine est
condamné à travailler sans répit. Il publie à cette époque des récits qui sont
autant d'épisodes autobiographiques idéalisés, Confidences (1849), contenant
l'épisode célèbre de Graziella (1849), Raphaël (1849), ses amours avec Elvire,

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Geneviève (1851) le destin d'une humble servante, Le tailleur de pierre de Saint-
Point celle d'un Jocelyn laïque.Lamartine publie aussi de nombreuses
compilations historiques, Histoire de la Restauration (1851), Histoire des
Constituants, (1853), Histoire de la Turquie (1853-1854),La martine par des
Kurdes et de nombreuses résistances. Histoire de la Russie (1855), des sommes
littéraires, Cours familier de littérature (1856-1869) et s'occupe surtout de la
réédition de ses œuvres complètes, Œuvres complètes en 41 volumes (1849-
1850). On trouve çà et là quelques poèmes inspirés, «le Désert», «la Vigne et la
Maison», des romans intéressants qui montrent un Lamartine romancier des
humbles, Geneviève, l'histoire d'une servante et le Tailleur de pierres de Saint-
Point (1851), mais dans l'ensemble, le souffle de ses débuts manque à ces textes,
dont l'écriture est motivée davantage par le besoin d'argent que par l'inspiration.
Alphonse de Lamartine meurt le 28 février 1869, dans un oubli presque total et
après avoir vendu peu à peu tous ses biens. Les Méditations poétiques restent le
chef-d'œuvre de Lamartine. Acte de naissance du romantisme en France,
l'ouvrage reste assez conventionnel par sa forme. La versification, régulière, et le
lexique,d'un registre élevé, restaient ceux du siècle précédent. Lamartine sait
conférer à ses poèmes une musicalité particulière, une harmonie fortement
évocatoire, qui est considérée, aujourd'hui encore, comme l'une des principales
qualités de son œuvre. C'est davantage dans la teneur de ses poèmes que dans
leur forme que Lamartine ouvre une nouvelle ère poétique.

       C'est un mince recueil de 24 poèmes dont le succès s'explique par leur
adéquation à leur époque, à l'émergence d'une sensibilité nouvelle, liée aux
bouleversements de l'histoire, aux incertitudes de l'avenir et à une nouvelle
vision de l'individu, perçu comme être sensible, complexe et comme centre de la
représentation. Les Méditations se présentent comme une sorte de rêverie
mélancolique sur le thème de la foi et celui de l'amour. Le poète, qui parle à la
première personne, évoque le souvenir de son amante perdue, qu'il appelle
Elvire, et dans laquelle on s'accorde le plus souvent à reconnaître Julie Charles.
L'un des poèmes les plus célèbres des Méditations est une élégie, «le Lac», qui
fut directement inspiré par la rencontre avec Julie Charles sur les bords du lac du
Bourget. Lamartine est obsédé par la pensée de la mort et par delà il rêve à la
vie éternelle. Le thème dominant est la hantise du temps qui passe et qui
corrompt tout. Dans un style très affectif, le poète et sa bien-aimée, à laquelle il
prête sa voix, supplient le temps, la forêt, les grottes, le lac lui-même, la nature
tout entière enfin, de préserver à jamais les instants de bonheur qu'ils sont en
train de partager.

     Mme Charles (Elvire) est malade à Paris. Le poète se promène seul sur le
lac du Bourget, se souvient avec mélancolie d'une autre promenade qu'il a

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accomplie l'année précédente avec son amie et demande au lac de conserver
dans son éternité la trace éphémère de leur extase.

 Elvire est morte depuis huit mois. le poète, retiré à Milly, se déclare désormais
indifférent aux beautés de la nature. Après avoir exhalé sa détresse, il appelle de
ses vœux la mort libératrice.

Un an s'est écoulé encore et la vie reprend ses droits. Le poète évoque avec
discrétion l'image d'une autre femme qui, après l'amertume d'une passion
malheureuse, va lui apporter les joies calmes et pures de l'existence conjugale.

 A la fin de 1819, le poète s'adresse à Lord Byron, lui reproche son scepticisme,
son orgueil, affirme que l'homme doit accepter la volonté divine et rappelle au
grand révolté la loi chrétienne d'humilité et d'amour. Pour Lamartine ces
vibrations intimes sont inséparables du sentiment de la nature amie, confidente
et consolatrice qu'il associe à ses joies et à ses peines. Les plus célèbres de ces
méditations : Le lac, L'immortalité, Le désespoir, L'isolement, Le soir, le
vallon, L'automne nous livrent les émotions d'une sensibilité blessée :
souvenirs et regrets, espérances et désespoirs, élans épicuriens devant la fuite du
temps, apaisement passager, inquiétude de la destinée, hantise de la mort,
aspiration à l'éternité. Au thème de l'amour blessé se lie étroitement le thème de
l'inquiétude religieuse. Certaines méditations sont plus particulièrement
consacres à la philosophie morale et aux grands problèmes métaphysiques :
L'homme, l'immortalité, Le Désespoir, La providence à l'homme, La Prière.

Hymne au matin.

A l'aube, les vagues de la mer, les forêts, les fleurs, les vents, les oiseaux, le
poète lui-même, rendent un hommage à Dieu. Toutes les créatures mêlent leurs
accents dans cet hymne d'amour qui monte avec allégresse vers le ciel.

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Conçues pour la plupart en Italie de 1826 à 1828 quand Lamartine était attaché
d'ambassade à Florence, ce recueil de 48 poèmes est le chef d'oeuvre lyrique de
Lamartine. La ferveur spirituelle de Lamartine s'est fortifiée. Tous les poèmes
des harmonies sans liaison et sans suite sont une symphonie à la gloire de Dieu.
Malgré l'accent souvent douloureux et amer, l'ensemble exprime la sécurité
d'une âme qui croit à la providence et se confie à elle. Ces hymnes à la bonté et à
la puissance du créateur sont inspirés à l'auteur par sa joie de vivre heureux en
Toscane. Pourtant à la brillante Italie, il préfère son humble village et souhaite
finir ses jours à Milly.
Le poète médite sur un chêne séculaire qu'il a vu aux bains de Casciano ; il dit
son humble naissance, sa vitalité, sa puissance, évoque les créatures qui vivent
sous son ombre, puis, rappelant l'humilité de son origine, loue Dieu, explication
du mystère et source de toute existence.
Le poète chante sa petite patrie. D'autres paysages, alpestres ou méditerranéens,
possèdent sans doute plus de majesté ; mais son cœur est à Milly. Le domaine
lui rappelle tous les souvenirs de son enfance ; il rêve d'y vieillir et d'y mourir.
Le poète, dans un moment de dépression, jette un regard sur la vie qui s'enfuit,
rappelle ses déceptions sentimentales et intellectuelles, songe à la mort qui
menace ; mais sa conscience lui fait entrevoir un Dieu consolateur, dont l'image
chasse l'inquiétude du présent et éclaire le souvenir du passé.
Le Lac est une des plus célèbres poésies de Lamartine, dans les Méditations
poétiques. Le poème commence par ces fameux vers :

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Sur la poésie romantique de Lamartine - Dr Ali KILIÇ
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
      Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
      Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
      Jeter l'ancre un seul jour ?

                               Le Lac du Bourget

Julie Charles (l'épouse du célèbre physicien Jacques Charles) était une personne
que Lamartine admirait. Le "modèle" du poète, n'avait pas pu se rendre en août
1817 au Lac du Bourget (lieux de maintes rencontres) où elle devait revoir le
poète. Phtisique, elle mourut en effet peu après. Lamartine revient seul revoir les
lieux qu'il a visités autrefois avec elle. Surpris de trouver la nature toujours
semblable à elle-même et indifférente, il souhaite qu'elle garde au moins le
souvenir de leur bonheur passé. La douceur mélodieuse des vers exprime
heureusement le calme voluptueux d'une nuit d'été, et la fuite rapide des heures.

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Sur la poésie romantique de Lamartine - Dr Ali KILIÇ
L'œuvre, composée de seize quatrains, rencontre un grand succès et propulse son
auteur au premier rang de la poésie romantique et du lyrisme.

Les Méditations poétiques sont un recueil poétique publié en 1820 regroupant
24 poèmes. Le lac est le 10ème poème du recueil, qui dans une première édition
portait le titre d'Ode au lac de Bautrement dit le lac du Bourget à Aix-les-Bains
en Savoie. La poétique de ce poème comme de l'ensemble du recueil des
méditations est classique, des quatrains d'alexandrins coupés à l'hémistiche
donnant une harmonie, un équilibre lent propice à la description des sentiments
de l'auteur. Lamartine l'année précédente sauva de la noyade de ce lac une
femme plus âgée dont il tomba amoureux, d'un amour teinté de tendresse
maternelle, et à qui il écrivit des élégies amoureuses sous le nom d'Elvire, une
napolitaine. Le poète qui revient seul l'année suivante demande au lac de lui
restituer le souvenir des merveilleux moments passés ensemble dont il a du
garder la trace. Notre poète se rend compte que revenant sur l'itinéraire
emprunté avec son amie, l'abbaye de Hautecombe, la fontaine intermittente, le
souvenir du passé revient avec force et ne semble pas avoir été altéré par le
temps qui fuit. Ce poème fut en partie écrit sur place sur la colline de Tresserve
qui domine le lac. Le "lac" de Lamartine est devenu le poème immortel de
l'inquiétude devant le destin, de l'élan vers le bonheur et de l'amour éphémère
qui aspire à L'Éternité.

Alphonse de Lamartine a laissé une trace indélébile de son séjour au bord du
Lac du Bourget. Il est alors âgé de 26 ans et vient en Savoie soigner des troubles

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Sur la poésie romantique de Lamartine - Dr Ali KILIÇ
hépatiques. Il passe le mois d'octobre 1816 à Aix-les-Bains , où il rencontre Julie
Charles, en convalescence pour tuberculose. Les deux jeunes gens se plaisent à
flâner ensemble au bord du lac du Bourget. L'été suivant, Julie, trop souffrante,
ne peut rejoindre le poète, qui, désespéré, écrivit plusieurs poèmes, dont Le Lac,
un de ses plus grands chefs d'œuvre.

Honoré de Balzac a donné une description romantique et précise du lac du
Bourget dans son roman La peau de chagrin en 1831.

« Le lac du Bourget est une vaste coupe de montagnes tout ébréchée où brille, à
sept ou huit cents pieds au−dessus de la Méditerranée, une goutte d'eau bleue
comme ne l'est aucune eau dans le monde. Vu du haut de la Dent−du−Chat, ce
lac est là comme une turquoise égarée. Cette jolie goutte d'eau à neuf lieues de
contour, et dans certains endroits près de cinq cents pieds de profondeur. Être là
dans une barque au milieu de cette nappe par un beau ciel, n'entendre que le
bruit des rames, ne voir à l'horizon que des montagnes nuageuses, admirer les
neiges étincelantes de la Maurienne française, passer tour à tour des blocs de
granit vêtus de velours par des fougères ou par des arbustes nains, à de riantes
collines ; d'un côté le désert de l'autre une riche nature ; un pauvre assistant au
dîner d'un riche ; ces harmonies et ces discordances composent un spectacle où
tout est grand, où tout est petit. L'aspect des montagnes change les conditions de
l'optique et de la perspective : un sapin de cent pieds vous semble un roseau, de
larges vallées vous apparaissent étroites autant que des sentiers. Ce lac est le
seul où l'on puisse faire une confidence de cœur à cœur.

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Sur la poésie romantique de Lamartine - Dr Ali KILIÇ
On y pense et on y aime. En aucun endroit vous ne rencontreriez une plus belle
entente entre l'eau, le ciel, les montagnes et la terre. Il s'y trouve des baumes
pour toutes les crises de la vie. Ce lieu garde le secret des douleurs, il les console
les amoindrit, et jette dans l'amour je ne sais quoi de grave, de recueilli, qui rend
la passion plus profonde, plus pure. Un baiser s'y agrandit. Mais c'est surtout le
lac des souvenirs ; il les favorise en leur donnant la teinte de ses ondes, miroir
où tout vient se réfléchir. Raphaël ne supportait son fardeau qu'au milieu de ce
beau paysage, il y pouvait rester indolent, songeur, et sans désirs. Après la visite
du docteur, il alla se promener et se fit débarquer à la pointe déserte d'une jolie
colline sur laquelle est situé le village de Saint−Innocent. De cette espèce de
promontoire, la vue embrasse les monts de Bugey, au pied desquels coule le
Rhône, et le fond du lac ; mais de là Raphaël aimait à contempler, sur la rive
opposée, l'abbaye mélancolique de Haute−Combe, sépulture des rois de
Sardaigne prosternés devant les montagnes comme des pèlerins arrivés au terme
de leur voyage. »
                                  LE LAC
      Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
      Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
      Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
      Jeter l'ancre un seul jour ?
      Ô lac ! L’année à peine a fini sa carrière,
      Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,
      Regarde ! Je viens seul m’asseoir sur cette pierre
      Où tu la vis s’asseoir !

      Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
      Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
      Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
      Sur ses pieds adorés.

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Sur la poésie romantique de Lamartine - Dr Ali KILIÇ
Un soir, t’en souvient-il ? Nous voguions en silence,
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappa les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :
"Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
"Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
"Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m’échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore
Va dissiper la nuit.
"Aimons donc, aimons donc ! De l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !

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L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule, et nous passons !"
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !

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Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
      Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
      Au moins le souvenir !
      Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
      Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
      Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
      Qui pendent sur tes eaux.
      Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
      Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
      Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
      De ses molles clartés.
      Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
      Que les parfums légers de ton air embaumé,
      Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,
       Tout dise : Ils ont aimé !
Alexandre Dumas père vint séjourner à Aix-les-Bains, en 1832. Il quitta durant
cet été Paris où il faillit être victime du choléra. En quelques lignes, il écrira son
impression que lui firent les lacs de Savoie et tout particulièrement le Lac du
Bourget.

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« Dix minutes après, nous étions au lac du Bourget[…]C'est vraiment une
merveille que les lacs de Savoie avec leurs eaux bleues et transparentes qui
laissent voir le fond à quatre-vingts pieds de profondeur. Il faut être arrivé sur
leurs bords, encore tout pollués des bains de notre Seine bourbeuse, pour se faire
une idée de la volupté avec laquelle nous nous précipitâmes dans le lac du
Bourget[…]J'errais cet été sur un chemin savoyard qui domine la rive droite du
lac du Bourget, et le regard flottant sur cette masse d'eau miroitante et bleue d'un
bleu unique pâle, enduit de lueurs glissantes par le soleil déclinant, je sentais en
mon cœur remuer cette tendresse que j'ai depuis l'enfance pour la surface des
lacs, des fleuves et de la mer]. »

En 1826, longtemps après le décès de son grand amour, Julie, il évoque dans Le
Retour, une épître en vers à la gloire de Xavier de Maistre, cette terre de Savoie
qu'il porte désormais dans son cœur et où le souvenir de celle qu'il a tant aimée
rend éclatant le paysage :

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« Où l'amour disparu dans l'ombre du trépas
Laisse partout pour moi l'empreinte de ses pas
Et colore à mes yeux vos flots et vos collines
Ou d'un deuil secret, ou de splendeurs divines.
(Alphonse de Lamartine, "Le Retour".) »

S'adressant à Xavier de Maistre il dit encore :

« J'habitai plus que toi ces fortunés rivages,

J'adorai, j'aime encore ces monts coiffés d'orages,
Où la simplicité des âmes et des mœurs
Garde aux vieilles vertus l'asile de vos cœurs.

(Alphonse de Lamartine, "Le Retour".) »

1820 regroupant 24 poèmes. Le lac est le 10ème poème du recueil, qui dans une
première édition portait le titre d'Ode au lac de B...autrement dit le lac du
Bourget à Aix-les-Bains en Savoie. La poétique de ce poème comme de
l'ensemble du recueil des méditations est classique, des quatrains d'alexandrins
coupés à l'hémistiche donnant une harmonie, un équilibre lent propice à la
description des sentiments de l'auteur. Lamartine l'année précédente sauva de la
noyade de ce lac une femme plus âgée dont il tomba amoureux, d'un amour
teinté de tendresse maternelle, et a qui il écrivit des élégies amoureuses sous le
nom d'Elvire, une napolitaine. Le poète qui revient seul l'année suivante
demande au lac de lui restituer le souvenirs des merveilleux moments passés
ensemble dont il a du garder la trace. Notre poète se rend compte que revenant
sur l'itinéraire emprunté avec son amie, l'abbaye de Hautecombe, la fontaine
intermittente, le souvenir du passé revient avec force et ne semble pas avoir été
altéré par le temps qui fuit. Ce poème fut en partie écrit sur place sur la colline
de Tresserve qui domine le lac. Le "lac" de Lamartine est devenu le poème
immortel de l'inquiétude devant le destin, de l'élan vers le bonheur et de l'amour
éphémère qui aspire à L'Éternité.

        Lamartine ne fut pas le premier poète à s'attaquer au thème du souvenir,
avant lui Jean Jacques Rousseau dans la Nouvelle Héloise dont on retrouve ici
de nombreux emprunts ou Byron l'avaient précédé. Le retour sur les lieux des
premiers amours peut être de nature à restituer le souvenir de merveilleux
moments comme à faire jaillir des regrets et des remords. Le présent fait naître
le souvenir mais l'homme seul, par la pensée, ne parvient pas à arrêter le temps
sur un moment de bonheur, à ancrer son existence dans le mouvement
inéluctable du temps, dans l'océan des âges. L'homme comme un navigateur sur
l'océan, traverse la vie, toujours poussé de façon involontaire par cette fuite du

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temps. Et ce temps est capricieux, il efface certain souvenirs mais en garde aussi
intact certains. Comment faire revivre le souvenir du bonheur passé que le temps
a estompé et le pérenniserà jamais ? C'est au lac que le poète s'adresse non
seulement pour lui faire revivre son amour mais pour le prolonger. Il prend le
lac à témoin dans une sorte de familiarité avec le tutoiement "regarde", tu me
vois et tu dois te rappeler ta visiteuse de l'an passé pour me la restituer. C'est un
thème cher aux romantiques d'une nature bienveillante à qui l'on peut confier
les secrets et à qui on peut tout demander. On demandera donc au lac, et à tout
ce qui l'entoure, végétation, grottes, vent, de ne dire qu'une seule chose "Ils ont
aimé", alors que l'on s'attendait à "ils se sont aimés" comme un témoignage
d'amours réciproques, mais ce n'est pas cette acception que retient Lamartine
mais "Ils ont aimé" pour immortaliser ce moment d'intimité qui donne à ce lieu
comme une prise de possession pour L'Éternitéde la présence des deux
personnages avec une évocation très discrète de l'héroïne Elvire.

      L'allégorie temps-oiseau prend ici une importance particulière. "O temps
suspends ton vol", est un impératif adressé au temps comme à un oiseau pour
suspendre son vol et se reposer. Les heures propices, les heures de bonheur
réclamées par notre poète donne un accent épicurien au poème, rappelant le
Carpe Diem d'Horace. Le temps est une notion subjective, les moments
d'attente semblent interminables et ceux de bonheur trop courts. On demande au
temps d'accélérer dans les moments difficiles comme l'oiseau face au danger et
on lui demande de ralentir sa course pour pérenniser les instants de délices.
"Assez de malheureux ici bas vous implore" correspond à cette demande
d'accélérer le temps pour soulager les souffrances que l'on ressent et dont on
attend des lendemains meilleurs. La métaphore du temps assimilé à l'océan des
âges donne en comparaison de la petitesse du lac, une impression d'immensité,
d'infini. Mais l'océan pour les romantiques a une connotation d'aventures, de
dangers, de périls, de tempête qui englouti les hommes quel que soit leur âge.
Le poème est marqué par l'opposition des temps verbaux, le passé qui évoque le
souvenir, l'expérience vécue et le présent qui correspond au temps réellement
vécu, puis l'imparfait que l'on retrouve dans le troisième quatrain "tu mugissais",
"tu brisais", le vent jetait" qui insiste sur la durée, la continuité des actions du
lac devant la fuite du temps. La nature n'a pas la notion du temps que l'homme
peut avoir, elle ne connaît ni présent, ni passé. Le passé simple du quatrième
quatrain "frappèrent", "laissa", reproduit le caractère bref et inattendu des
moments de l'existence, une suite brèves d'actions temporelles. Dans notre texte,
le présent sert à l'observation générale, à la réflexion, à l'enregistrement, pour
faire naître ultérieurement le souvenir. Le présent s'il est le préalable au
souvenir est difficile à saisir car il repose sur la difficulté de fixer un instantané
dans le cours général du temps qui nous échappe et fuit, coule sans cesse. Le
rythme du poème, malgré les alexandrins est vif, surtout dans les deux premières

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strophes, sans points avec peu de coupes, à l'image du temps qui s'écoule trop
vite lorsqu'on souhaiterait qu'il s'écoule lentement pour en fixer le plus
d'instantanés.

      La fragilité de l'homme est mise en valeur et donne une tonalité élégiaque,
lyrique, au poème. Le poème a la forme d'une plainte langoureuse à l'adresse du
temps. Les participes passés, la voix passive soulignent la passivité et
l'impuissance de l'homme face au temps, soumis à son mouvement perpétuel.
Lamartine réfléchit et s'interroge sur sa condition d'homme, sur sa faiblesse face
à la fuite du temps, à l'aide de formules interro-négatives "ne pourrons-nous ?.
S'il s'adresse au temps sous une forme impérative "suspends ton vol", il pense
que sa demande est vaine et sans espoir. Il en appelle alors à la nature, au lac,
pour garder le témoignage de son existence passée. La métaphore du poète avec
un navigateur soumis aux caprices et aux dangers du temps climatique renforce
le sentiment d'impuissance, notre poète est un marin qui navigue sur l'océan des
âges et qui souhaite jeter l'ancre dans quelque port abrité pour arrêter le temps
subjectif. Le poète constate que le temps agit comme par jalousie pour effacer
les meilleurs moments mais simultanément il efface aussi les moments de
désespoirs. On se rappellera la conclusion de "La nouvelle Héloise" qui est un
peu identique, "Ces temps heureux ne sont plus, disparus à jamais, ils ne
reviendront plus et nous vivons", le temps ne garde aucune trace et permet à
l'homme d'oublier les meilleurs moments comme les pires.

Le poème "Le lac" est une réflexion sur le temps en rapport avec un amour qui
semble à jamais fini. Il constate amèrement que le passé, fut-il heureux, est
passé à jamais, que le temps en a effacé la trace et qu'il ne peut être restitué. La
nature qui a été le témoin vivant de la présence du poète a pu garder la trace de

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ce moment et le restituer au poète. C'est le paysage qui conserve le souvenir, et
non l'écriture et qui peut dire "ils ont aimé".

                             Dr Ali KILIÇ
                             Genève le 02-02-2010

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