Sur la poésie romantique de Lamartine - Dr Ali KILIÇ
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Dr Ali KILIÇ Genève le 02-02-2010 Dédıé à Soraya Sur la poésie romantique de Lamartine Né à Mâcon le 21 octobre 1790 Alphonse de Lamartine passe une enfance heureuse au contact de la nature dans une famille de petite noblesse sans grande fortune à Milly près de Mâcon. Il reçoit une éducation soignée chez les jésuites à Belley (1803-1807). Revenu à Milly il se passionne pour la lecture. Au cours d'un voyage en Italie (1811-1812), il fait la connaissance d'une jeune napolitaine qu'il évoquera sous le nom de Graziella. Il fait un bref passage dans l'armée comme garde du corps de Louis XVIII sous la première restauration. Ses goûts le portent davantage vers la littérature que vers les honneurs de la cour, il se met à fréquenter les salons, s'essaye à quelques tragédies, Saül (1818) et compose ses premières élégies. En 1815, pendant les Cent-Jours, il se réfugia en Savoie. En septembre 1816, il se rend à Aix-les-Bains pour une cure thermale et fait la connaissance sur les bords du lac du Bourget de celle qui devint l'Elvire du Lac, Julie Charles, une femme mariée avec qui il vécut une idylle intense mais brève, puisque la jeune femme mourut de phtisie l'année suivante. Il l'attend vainement à Aix l'année suivante. L'idylle 1
tragiquement interrompue fournit à la sensibilité du poète un thème privilégié d'inspiration. Son premier recueil les Méditations parait en 1820. Les plus émouvantes de ces pièces, le lac et l'immortalité (1817), l'isolement (1818), Le soir, le Souvenir, le vallon, L'automne (1819) retracent les principales étapes de son aventure sentimentale. Les méditations venaient à leur heure, la génération de 1820 lassée ou sevrée d'héroïsme classique attendait le poète qui saurait exprimer les tendances profondes de sa sensibilité. Lamartine semble s'acheminer vers la maturité, il épouse une jeune anglaise Elisabeth Birch et part pour l'Italie. Il publie les Nouvelles Méditations (1823) sans retrouver le succès car elles n'ont pas l'attrait de la nouveauté. La ferveur spirituelle de Lamartine s'est fortifiée. Dans la Mort de Socrate (1823) et le Dernier Chant du pèlerinage de Childe Harold (1825), qui est un hommage à Byron, il apparaît hanté par l'immortalité. A partir de 1826 devant les paysages italiens, il célèbre sa foi chrétienne et publie en 1830 une symphonie à la gloire de Dieu, Harmonies poétiques et religieuses. Il est élu à l'Académie française en 1830 et son engagement politique dans La révolution de juillet 1830 donne un tour nouveau à sa carrière. Par conviction légitimiste, Lamartine abandonne la carrière diplomatique pour se lancer dans la politique. Il est battu en 1831 aux élections législatives. Sa production poétique de cette période A Némésis porte la marque de ses préoccupations politiques, il se flatte de défendre la vraie liberté. Au cours d'un voyage en Orient en 1835, il perd sa fille unique, Julia. Son deuil lui inspire Gethsémani. À son retour, il est élu député et refuse d'être rattaché à un parti. Jusqu'en 1848, il défend à la Chambre des idées libérales et progressistes. Son activité littéraire, moins intense, se concentre alors dans le projet d'une vaste épopée qui devait raconter l'histoire de l'âme humaine. Rédigés dans cette perspective, Jocelyn (1836), la Chute d'un ange (1838), et plus tard Recueillements poétiques (1839), firent de lui le chantre d'un «christianisme libéral et social». L'œuvre est pleine de souvenirs personnels. Après Jocelyn Lamartine publie un recueil de 11000 vers, La chute d'un ange que le public accueilli froidement. Mais les exigences de la vie publique empêchent Lamartine de mener à bien son entreprise, il trouve le temps cependant de publier Les recueillements poétiques. Sous le ministère Guizot Lamartine passe à l'opposition. Il publie, en 1847, une Histoire des Girondins, qu'ils considère comme des modèles de sagesse. L'œuvre est destinée à donner au peuple «une haute leçon de moralité révolutionnaire, propre à l'instruire et à le contenir à la veille d'une révolution». L'intérêt de l'ouvrage lui valut, en février 1848, d'être Ministre des affaires étrangères du nouveau gouvernement républicain. Toutefois, son échec face à Louis Napoléon Bonaparte à l'élection présidentielle, puis le coup d'État de 1851 mirent un point final à sa carrière politique. Alors commence les années de misère. Pour payer des dettes criardes, Lamartine est condamné à travailler sans répit. Il publie à cette époque des récits qui sont autant d'épisodes autobiographiques idéalisés, Confidences (1849), contenant l'épisode célèbre de Graziella (1849), Raphaël (1849), ses amours avec Elvire, 2
Geneviève (1851) le destin d'une humble servante, Le tailleur de pierre de Saint- Point celle d'un Jocelyn laïque.Lamartine publie aussi de nombreuses compilations historiques, Histoire de la Restauration (1851), Histoire des Constituants, (1853), Histoire de la Turquie (1853-1854),La martine par des Kurdes et de nombreuses résistances. Histoire de la Russie (1855), des sommes littéraires, Cours familier de littérature (1856-1869) et s'occupe surtout de la réédition de ses œuvres complètes, Œuvres complètes en 41 volumes (1849- 1850). On trouve çà et là quelques poèmes inspirés, «le Désert», «la Vigne et la Maison», des romans intéressants qui montrent un Lamartine romancier des humbles, Geneviève, l'histoire d'une servante et le Tailleur de pierres de Saint- Point (1851), mais dans l'ensemble, le souffle de ses débuts manque à ces textes, dont l'écriture est motivée davantage par le besoin d'argent que par l'inspiration. Alphonse de Lamartine meurt le 28 février 1869, dans un oubli presque total et après avoir vendu peu à peu tous ses biens. Les Méditations poétiques restent le chef-d'œuvre de Lamartine. Acte de naissance du romantisme en France, l'ouvrage reste assez conventionnel par sa forme. La versification, régulière, et le lexique,d'un registre élevé, restaient ceux du siècle précédent. Lamartine sait conférer à ses poèmes une musicalité particulière, une harmonie fortement évocatoire, qui est considérée, aujourd'hui encore, comme l'une des principales qualités de son œuvre. C'est davantage dans la teneur de ses poèmes que dans leur forme que Lamartine ouvre une nouvelle ère poétique. C'est un mince recueil de 24 poèmes dont le succès s'explique par leur adéquation à leur époque, à l'émergence d'une sensibilité nouvelle, liée aux bouleversements de l'histoire, aux incertitudes de l'avenir et à une nouvelle vision de l'individu, perçu comme être sensible, complexe et comme centre de la représentation. Les Méditations se présentent comme une sorte de rêverie mélancolique sur le thème de la foi et celui de l'amour. Le poète, qui parle à la première personne, évoque le souvenir de son amante perdue, qu'il appelle Elvire, et dans laquelle on s'accorde le plus souvent à reconnaître Julie Charles. L'un des poèmes les plus célèbres des Méditations est une élégie, «le Lac», qui fut directement inspiré par la rencontre avec Julie Charles sur les bords du lac du Bourget. Lamartine est obsédé par la pensée de la mort et par delà il rêve à la vie éternelle. Le thème dominant est la hantise du temps qui passe et qui corrompt tout. Dans un style très affectif, le poète et sa bien-aimée, à laquelle il prête sa voix, supplient le temps, la forêt, les grottes, le lac lui-même, la nature tout entière enfin, de préserver à jamais les instants de bonheur qu'ils sont en train de partager. Mme Charles (Elvire) est malade à Paris. Le poète se promène seul sur le lac du Bourget, se souvient avec mélancolie d'une autre promenade qu'il a 3
accomplie l'année précédente avec son amie et demande au lac de conserver dans son éternité la trace éphémère de leur extase. Elvire est morte depuis huit mois. le poète, retiré à Milly, se déclare désormais indifférent aux beautés de la nature. Après avoir exhalé sa détresse, il appelle de ses vœux la mort libératrice. Un an s'est écoulé encore et la vie reprend ses droits. Le poète évoque avec discrétion l'image d'une autre femme qui, après l'amertume d'une passion malheureuse, va lui apporter les joies calmes et pures de l'existence conjugale. A la fin de 1819, le poète s'adresse à Lord Byron, lui reproche son scepticisme, son orgueil, affirme que l'homme doit accepter la volonté divine et rappelle au grand révolté la loi chrétienne d'humilité et d'amour. Pour Lamartine ces vibrations intimes sont inséparables du sentiment de la nature amie, confidente et consolatrice qu'il associe à ses joies et à ses peines. Les plus célèbres de ces méditations : Le lac, L'immortalité, Le désespoir, L'isolement, Le soir, le vallon, L'automne nous livrent les émotions d'une sensibilité blessée : souvenirs et regrets, espérances et désespoirs, élans épicuriens devant la fuite du temps, apaisement passager, inquiétude de la destinée, hantise de la mort, aspiration à l'éternité. Au thème de l'amour blessé se lie étroitement le thème de l'inquiétude religieuse. Certaines méditations sont plus particulièrement consacres à la philosophie morale et aux grands problèmes métaphysiques : L'homme, l'immortalité, Le Désespoir, La providence à l'homme, La Prière. Hymne au matin. A l'aube, les vagues de la mer, les forêts, les fleurs, les vents, les oiseaux, le poète lui-même, rendent un hommage à Dieu. Toutes les créatures mêlent leurs accents dans cet hymne d'amour qui monte avec allégresse vers le ciel. 4
Conçues pour la plupart en Italie de 1826 à 1828 quand Lamartine était attaché d'ambassade à Florence, ce recueil de 48 poèmes est le chef d'oeuvre lyrique de Lamartine. La ferveur spirituelle de Lamartine s'est fortifiée. Tous les poèmes des harmonies sans liaison et sans suite sont une symphonie à la gloire de Dieu. Malgré l'accent souvent douloureux et amer, l'ensemble exprime la sécurité d'une âme qui croit à la providence et se confie à elle. Ces hymnes à la bonté et à la puissance du créateur sont inspirés à l'auteur par sa joie de vivre heureux en Toscane. Pourtant à la brillante Italie, il préfère son humble village et souhaite finir ses jours à Milly. Le poète médite sur un chêne séculaire qu'il a vu aux bains de Casciano ; il dit son humble naissance, sa vitalité, sa puissance, évoque les créatures qui vivent sous son ombre, puis, rappelant l'humilité de son origine, loue Dieu, explication du mystère et source de toute existence. Le poète chante sa petite patrie. D'autres paysages, alpestres ou méditerranéens, possèdent sans doute plus de majesté ; mais son cœur est à Milly. Le domaine lui rappelle tous les souvenirs de son enfance ; il rêve d'y vieillir et d'y mourir. Le poète, dans un moment de dépression, jette un regard sur la vie qui s'enfuit, rappelle ses déceptions sentimentales et intellectuelles, songe à la mort qui menace ; mais sa conscience lui fait entrevoir un Dieu consolateur, dont l'image chasse l'inquiétude du présent et éclaire le souvenir du passé. Le Lac est une des plus célèbres poésies de Lamartine, dans les Méditations poétiques. Le poème commence par ces fameux vers : 5
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ? Le Lac du Bourget Julie Charles (l'épouse du célèbre physicien Jacques Charles) était une personne que Lamartine admirait. Le "modèle" du poète, n'avait pas pu se rendre en août 1817 au Lac du Bourget (lieux de maintes rencontres) où elle devait revoir le poète. Phtisique, elle mourut en effet peu après. Lamartine revient seul revoir les lieux qu'il a visités autrefois avec elle. Surpris de trouver la nature toujours semblable à elle-même et indifférente, il souhaite qu'elle garde au moins le souvenir de leur bonheur passé. La douceur mélodieuse des vers exprime heureusement le calme voluptueux d'une nuit d'été, et la fuite rapide des heures. 6
L'œuvre, composée de seize quatrains, rencontre un grand succès et propulse son auteur au premier rang de la poésie romantique et du lyrisme. Les Méditations poétiques sont un recueil poétique publié en 1820 regroupant 24 poèmes. Le lac est le 10ème poème du recueil, qui dans une première édition portait le titre d'Ode au lac de Bautrement dit le lac du Bourget à Aix-les-Bains en Savoie. La poétique de ce poème comme de l'ensemble du recueil des méditations est classique, des quatrains d'alexandrins coupés à l'hémistiche donnant une harmonie, un équilibre lent propice à la description des sentiments de l'auteur. Lamartine l'année précédente sauva de la noyade de ce lac une femme plus âgée dont il tomba amoureux, d'un amour teinté de tendresse maternelle, et à qui il écrivit des élégies amoureuses sous le nom d'Elvire, une napolitaine. Le poète qui revient seul l'année suivante demande au lac de lui restituer le souvenir des merveilleux moments passés ensemble dont il a du garder la trace. Notre poète se rend compte que revenant sur l'itinéraire emprunté avec son amie, l'abbaye de Hautecombe, la fontaine intermittente, le souvenir du passé revient avec force et ne semble pas avoir été altéré par le temps qui fuit. Ce poème fut en partie écrit sur place sur la colline de Tresserve qui domine le lac. Le "lac" de Lamartine est devenu le poème immortel de l'inquiétude devant le destin, de l'élan vers le bonheur et de l'amour éphémère qui aspire à L'Éternité. Alphonse de Lamartine a laissé une trace indélébile de son séjour au bord du Lac du Bourget. Il est alors âgé de 26 ans et vient en Savoie soigner des troubles 7
hépatiques. Il passe le mois d'octobre 1816 à Aix-les-Bains , où il rencontre Julie Charles, en convalescence pour tuberculose. Les deux jeunes gens se plaisent à flâner ensemble au bord du lac du Bourget. L'été suivant, Julie, trop souffrante, ne peut rejoindre le poète, qui, désespéré, écrivit plusieurs poèmes, dont Le Lac, un de ses plus grands chefs d'œuvre. Honoré de Balzac a donné une description romantique et précise du lac du Bourget dans son roman La peau de chagrin en 1831. « Le lac du Bourget est une vaste coupe de montagnes tout ébréchée où brille, à sept ou huit cents pieds au−dessus de la Méditerranée, une goutte d'eau bleue comme ne l'est aucune eau dans le monde. Vu du haut de la Dent−du−Chat, ce lac est là comme une turquoise égarée. Cette jolie goutte d'eau à neuf lieues de contour, et dans certains endroits près de cinq cents pieds de profondeur. Être là dans une barque au milieu de cette nappe par un beau ciel, n'entendre que le bruit des rames, ne voir à l'horizon que des montagnes nuageuses, admirer les neiges étincelantes de la Maurienne française, passer tour à tour des blocs de granit vêtus de velours par des fougères ou par des arbustes nains, à de riantes collines ; d'un côté le désert de l'autre une riche nature ; un pauvre assistant au dîner d'un riche ; ces harmonies et ces discordances composent un spectacle où tout est grand, où tout est petit. L'aspect des montagnes change les conditions de l'optique et de la perspective : un sapin de cent pieds vous semble un roseau, de larges vallées vous apparaissent étroites autant que des sentiers. Ce lac est le seul où l'on puisse faire une confidence de cœur à cœur. 8
On y pense et on y aime. En aucun endroit vous ne rencontreriez une plus belle entente entre l'eau, le ciel, les montagnes et la terre. Il s'y trouve des baumes pour toutes les crises de la vie. Ce lieu garde le secret des douleurs, il les console les amoindrit, et jette dans l'amour je ne sais quoi de grave, de recueilli, qui rend la passion plus profonde, plus pure. Un baiser s'y agrandit. Mais c'est surtout le lac des souvenirs ; il les favorise en leur donnant la teinte de ses ondes, miroir où tout vient se réfléchir. Raphaël ne supportait son fardeau qu'au milieu de ce beau paysage, il y pouvait rester indolent, songeur, et sans désirs. Après la visite du docteur, il alla se promener et se fit débarquer à la pointe déserte d'une jolie colline sur laquelle est situé le village de Saint−Innocent. De cette espèce de promontoire, la vue embrasse les monts de Bugey, au pied desquels coule le Rhône, et le fond du lac ; mais de là Raphaël aimait à contempler, sur la rive opposée, l'abbaye mélancolique de Haute−Combe, sépulture des rois de Sardaigne prosternés devant les montagnes comme des pèlerins arrivés au terme de leur voyage. » LE LAC Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ? Ô lac ! L’année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu’elle devait revoir, Regarde ! Je viens seul m’asseoir sur cette pierre Où tu la vis s’asseoir ! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés, Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. 9
Un soir, t’en souvient-il ? Nous voguions en silence, On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux. Tout à coup des accents inconnus à la terre Du rivage charmé frappa les échos ; Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère Laissa tomber ces mots : "Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours ! "Assez de malheureux ici-bas vous implorent, Coulez, coulez pour eux ; Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ; Oubliez les heureux. "Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m’échappe et fuit ; Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore Va dissiper la nuit. "Aimons donc, aimons donc ! De l’heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons ! 10
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ; Il coule, et nous passons !" Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse, Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur, S’envolent loin de nous de la même vitesse Que les jours de malheur ? Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ? Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus ! Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les rendra plus ! Éternité, néant, passé, sombres abîmes, Que faites-vous des jours que vous engloutissez ? Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez ? Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure ! 11
Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir ! Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages, Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux, Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pendent sur tes eaux. Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe, Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés, Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface De ses molles clartés. Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire, Que les parfums légers de ton air embaumé, Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire, Tout dise : Ils ont aimé ! Alexandre Dumas père vint séjourner à Aix-les-Bains, en 1832. Il quitta durant cet été Paris où il faillit être victime du choléra. En quelques lignes, il écrira son impression que lui firent les lacs de Savoie et tout particulièrement le Lac du Bourget. 12
« Dix minutes après, nous étions au lac du Bourget[…]C'est vraiment une merveille que les lacs de Savoie avec leurs eaux bleues et transparentes qui laissent voir le fond à quatre-vingts pieds de profondeur. Il faut être arrivé sur leurs bords, encore tout pollués des bains de notre Seine bourbeuse, pour se faire une idée de la volupté avec laquelle nous nous précipitâmes dans le lac du Bourget[…]J'errais cet été sur un chemin savoyard qui domine la rive droite du lac du Bourget, et le regard flottant sur cette masse d'eau miroitante et bleue d'un bleu unique pâle, enduit de lueurs glissantes par le soleil déclinant, je sentais en mon cœur remuer cette tendresse que j'ai depuis l'enfance pour la surface des lacs, des fleuves et de la mer]. » En 1826, longtemps après le décès de son grand amour, Julie, il évoque dans Le Retour, une épître en vers à la gloire de Xavier de Maistre, cette terre de Savoie qu'il porte désormais dans son cœur et où le souvenir de celle qu'il a tant aimée rend éclatant le paysage : 13
« Où l'amour disparu dans l'ombre du trépas Laisse partout pour moi l'empreinte de ses pas Et colore à mes yeux vos flots et vos collines Ou d'un deuil secret, ou de splendeurs divines. (Alphonse de Lamartine, "Le Retour".) » S'adressant à Xavier de Maistre il dit encore : « J'habitai plus que toi ces fortunés rivages, J'adorai, j'aime encore ces monts coiffés d'orages, Où la simplicité des âmes et des mœurs Garde aux vieilles vertus l'asile de vos cœurs. (Alphonse de Lamartine, "Le Retour".) » 1820 regroupant 24 poèmes. Le lac est le 10ème poème du recueil, qui dans une première édition portait le titre d'Ode au lac de B...autrement dit le lac du Bourget à Aix-les-Bains en Savoie. La poétique de ce poème comme de l'ensemble du recueil des méditations est classique, des quatrains d'alexandrins coupés à l'hémistiche donnant une harmonie, un équilibre lent propice à la description des sentiments de l'auteur. Lamartine l'année précédente sauva de la noyade de ce lac une femme plus âgée dont il tomba amoureux, d'un amour teinté de tendresse maternelle, et a qui il écrivit des élégies amoureuses sous le nom d'Elvire, une napolitaine. Le poète qui revient seul l'année suivante demande au lac de lui restituer le souvenirs des merveilleux moments passés ensemble dont il a du garder la trace. Notre poète se rend compte que revenant sur l'itinéraire emprunté avec son amie, l'abbaye de Hautecombe, la fontaine intermittente, le souvenir du passé revient avec force et ne semble pas avoir été altéré par le temps qui fuit. Ce poème fut en partie écrit sur place sur la colline de Tresserve qui domine le lac. Le "lac" de Lamartine est devenu le poème immortel de l'inquiétude devant le destin, de l'élan vers le bonheur et de l'amour éphémère qui aspire à L'Éternité. Lamartine ne fut pas le premier poète à s'attaquer au thème du souvenir, avant lui Jean Jacques Rousseau dans la Nouvelle Héloise dont on retrouve ici de nombreux emprunts ou Byron l'avaient précédé. Le retour sur les lieux des premiers amours peut être de nature à restituer le souvenir de merveilleux moments comme à faire jaillir des regrets et des remords. Le présent fait naître le souvenir mais l'homme seul, par la pensée, ne parvient pas à arrêter le temps sur un moment de bonheur, à ancrer son existence dans le mouvement inéluctable du temps, dans l'océan des âges. L'homme comme un navigateur sur l'océan, traverse la vie, toujours poussé de façon involontaire par cette fuite du 14
temps. Et ce temps est capricieux, il efface certain souvenirs mais en garde aussi intact certains. Comment faire revivre le souvenir du bonheur passé que le temps a estompé et le pérenniserà jamais ? C'est au lac que le poète s'adresse non seulement pour lui faire revivre son amour mais pour le prolonger. Il prend le lac à témoin dans une sorte de familiarité avec le tutoiement "regarde", tu me vois et tu dois te rappeler ta visiteuse de l'an passé pour me la restituer. C'est un thème cher aux romantiques d'une nature bienveillante à qui l'on peut confier les secrets et à qui on peut tout demander. On demandera donc au lac, et à tout ce qui l'entoure, végétation, grottes, vent, de ne dire qu'une seule chose "Ils ont aimé", alors que l'on s'attendait à "ils se sont aimés" comme un témoignage d'amours réciproques, mais ce n'est pas cette acception que retient Lamartine mais "Ils ont aimé" pour immortaliser ce moment d'intimité qui donne à ce lieu comme une prise de possession pour L'Éternitéde la présence des deux personnages avec une évocation très discrète de l'héroïne Elvire. L'allégorie temps-oiseau prend ici une importance particulière. "O temps suspends ton vol", est un impératif adressé au temps comme à un oiseau pour suspendre son vol et se reposer. Les heures propices, les heures de bonheur réclamées par notre poète donne un accent épicurien au poème, rappelant le Carpe Diem d'Horace. Le temps est une notion subjective, les moments d'attente semblent interminables et ceux de bonheur trop courts. On demande au temps d'accélérer dans les moments difficiles comme l'oiseau face au danger et on lui demande de ralentir sa course pour pérenniser les instants de délices. "Assez de malheureux ici bas vous implore" correspond à cette demande d'accélérer le temps pour soulager les souffrances que l'on ressent et dont on attend des lendemains meilleurs. La métaphore du temps assimilé à l'océan des âges donne en comparaison de la petitesse du lac, une impression d'immensité, d'infini. Mais l'océan pour les romantiques a une connotation d'aventures, de dangers, de périls, de tempête qui englouti les hommes quel que soit leur âge. Le poème est marqué par l'opposition des temps verbaux, le passé qui évoque le souvenir, l'expérience vécue et le présent qui correspond au temps réellement vécu, puis l'imparfait que l'on retrouve dans le troisième quatrain "tu mugissais", "tu brisais", le vent jetait" qui insiste sur la durée, la continuité des actions du lac devant la fuite du temps. La nature n'a pas la notion du temps que l'homme peut avoir, elle ne connaît ni présent, ni passé. Le passé simple du quatrième quatrain "frappèrent", "laissa", reproduit le caractère bref et inattendu des moments de l'existence, une suite brèves d'actions temporelles. Dans notre texte, le présent sert à l'observation générale, à la réflexion, à l'enregistrement, pour faire naître ultérieurement le souvenir. Le présent s'il est le préalable au souvenir est difficile à saisir car il repose sur la difficulté de fixer un instantané dans le cours général du temps qui nous échappe et fuit, coule sans cesse. Le rythme du poème, malgré les alexandrins est vif, surtout dans les deux premières 15
strophes, sans points avec peu de coupes, à l'image du temps qui s'écoule trop vite lorsqu'on souhaiterait qu'il s'écoule lentement pour en fixer le plus d'instantanés. La fragilité de l'homme est mise en valeur et donne une tonalité élégiaque, lyrique, au poème. Le poème a la forme d'une plainte langoureuse à l'adresse du temps. Les participes passés, la voix passive soulignent la passivité et l'impuissance de l'homme face au temps, soumis à son mouvement perpétuel. Lamartine réfléchit et s'interroge sur sa condition d'homme, sur sa faiblesse face à la fuite du temps, à l'aide de formules interro-négatives "ne pourrons-nous ?. S'il s'adresse au temps sous une forme impérative "suspends ton vol", il pense que sa demande est vaine et sans espoir. Il en appelle alors à la nature, au lac, pour garder le témoignage de son existence passée. La métaphore du poète avec un navigateur soumis aux caprices et aux dangers du temps climatique renforce le sentiment d'impuissance, notre poète est un marin qui navigue sur l'océan des âges et qui souhaite jeter l'ancre dans quelque port abrité pour arrêter le temps subjectif. Le poète constate que le temps agit comme par jalousie pour effacer les meilleurs moments mais simultanément il efface aussi les moments de désespoirs. On se rappellera la conclusion de "La nouvelle Héloise" qui est un peu identique, "Ces temps heureux ne sont plus, disparus à jamais, ils ne reviendront plus et nous vivons", le temps ne garde aucune trace et permet à l'homme d'oublier les meilleurs moments comme les pires. Le poème "Le lac" est une réflexion sur le temps en rapport avec un amour qui semble à jamais fini. Il constate amèrement que le passé, fut-il heureux, est passé à jamais, que le temps en a effacé la trace et qu'il ne peut être restitué. La nature qui a été le témoin vivant de la présence du poète a pu garder la trace de 16
ce moment et le restituer au poète. C'est le paysage qui conserve le souvenir, et non l'écriture et qui peut dire "ils ont aimé". Dr Ali KILIÇ Genève le 02-02-2010 17
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