The system - FIAN Belgium
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the system PB- PP B-7 BELGIE(N) - BELGIQUE Le magazine des luttes pour la souveraineté alimentaire RÉENCHANTER LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE Face aux nouvelles menaces de l’agrobusiness, réinventer la lutte INTRODUCTION LES NOUVELLES MENACES RÉINVENTER LA LUTTE
QUI EST FIAN BELGIUM? FIAN International est l’organisation internationale des qui consacre son travail à la lutte pour la réalisation du droit à l’alimentation. FIAN Belgium soutient cette lutte tant au niveau international, en partenariat avec les autres sections de FIAN, qu’ici en Belgique, où elle travaille avec les mouvements paysans, les associations d’aide aux démunis et tous les mouvements sociaux réclamant une transition vers des systèmes alimentaires durables respectueux du droit à l’alimentation. FIAN Belgium développe son action pour la réalisation du droit à l’alimentation à travers 4 axes d’action principaux : le plaidoyer - éducation et mobilisation citoyenne - soutien aux luttes des communautés - renforcement et appui à la participation des mouvements sociaux Envie d’en savoir plus? De soutenir notre action? De rejoindre un de nos groupes d’actions? www.fian.be " Beet the system! , le magazine des luttes pour la souveraineté alimentaire" est une publication annuelle de FIAN Belgium visant à offrir un espace d’expression aux voix multiples qui animent ce mouvement depuis 25 ans: fianistas, agriculteur·rice·s, expert·e·s, militant·e·s de la société civile, etc. Beet the system! a été lancé en 2017 afin de stimuler les échanges, les réflexions et de renforcer les rencontres entre acteur·rice·s des luttes pour des systèmes agroalimentaires alternatifs. Découvrez les éditions précédentes téléchargeables gratuitement sur notre site internet: www.fian.be
INTRODUCTION > Manuel Eggen > 04 PARTIE 1 : LES NOUVELLES MENACES 1. Comment les entreprises s’emparent-elles du Sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires ? Dévoiler les mécanismes du pouvoir des entreprises sur la gouvernance alimentaire mondiale > Almudena Garcia i Sastre > 08 2. Capitalisme dévoyé et financiarisation des terres et de la nature > Résumé du rapport publié par FIAN International, Transnational Institute et Focus on the Global South > 14 3. Neutralité carbone : greenwashing et fausses solutions liées aux terres > Brigitte Gloire > 22 4. Les machines intelligentes nous volent la terre. Digitalisation et smart farming > Coécrit par les membres de Fabriek Paysanne, coordonné par Olivier Vermeulen > 30 5. Feu vert pour de nouveaux OGM ? > Friends of the Earth Europe, rédigé par Helen Burley, Paul Hallows and Mute Schimpf > 38 6. Agriculteur·rice·s et populisme d’extrême droite: de faux amis > Hélène Seynaeve > 46 PARTIE 2 : RÉINVENTER LA LUTTE 7. Technologie, « care » et espoir de convivialité > Barbara Van Dyck et Saurabh Arora > 52 8. 25 ans de lutte pour la souveraineté alimentaire : ce n’est qu’un début ! > Sabine Renteux > 58 9. Comment, pourquoi et pour quoi penser l’alimentation comme commun ? > Jean-Marc Louvin > 64 10. Décoloniser et réenchanter les droits humains > Manuel Eggen > 70 the system Le magazine des luttes pour la souveraineté alimentaire
Introduction Par Manuel Eggen, chargé de recherche et plaidoyer chez FIAN Belgique En 2021, le mouvement pour la sou L’année 2021 a également été choisie alimentation est estimé cha que veraineté alimentaire célèbre ses par le Secrétaire général des Nations année à plus de 11 millions de 25 ans. C’est en effet en 1996, lors du unies, António Guterres, pour tenir un personnes (Lancet 2019). Cela Sommet Mondial de l’Alimentation, Sommet des Nations Unies sur les représente quatre fois plus que que le concept a été énoncé pour la systèmes alimentaires. Reconnais le nombre de personnes mortes première fois par des militant·e·s sant les défis actuels, le Sommet est des suites du Covid-19 en 2020. du jeune mouvement paysan inter censé aboutir à des solutions visant national « la Via Campesina ». Avec à « transformer les systèmes alimen- • Le système alimentaire globalisé la souveraineté alimentaire, la Via taires mondiaux ». est responsable de 21 à 37 % des Campesina entendait questionner le émissions de gaz à effet de serre concept technocrate de « sécurité ali En effet, le système alimentaire in (GIEC 2019). mentaire » utilisé dans les négocia dustriel mondialisé est en pleine tions internationales. Et surtout, elle déroute : • Et le système alimentaire in entendait dénoncer les impacts des dustriel est le principal facteur tructeurs des politiques néolibérales • Malgré les engagements de la de l’effondrement de la biodi et du modèle agro-industriel mon communauté internationale versité (IPBES 2019) et favorise dialisé. d’éradiquer la faim pour 2030, le l’émergence et la diffusion des nombre de personnes souffrant maladies zoonotiques comme le Au fils des ans, la lutte pour la sou de la faim et de la malnutrition Covid-19 (PNUE 2020). veraineté alimentaire a servi de ca est en hausse depuis 2015 : en talyseur pour un formidable mouve 2021, 811 millions de personnes Face à ces constats alarmants, et à la ment social inspirant et rassembleur. sont sous-alimentées et 2,3 milliards mobilisation croissante de la société Le mouvement pour la souveraineté de personnes sont en situation civile et des citoyen·ne·s, un consen alimentaire a joué un rôle clé pour d’insécurité alimentaire grave ou sus international émerge enfin sur créer un rapport de force face aux ac modérée (SOFI 2021). la nécessité de transformer en pro teur·rice·s dominants de l’agrobusi fondeur les systèmes alimentaires. ness mondial et pour développer des • Le nombre de personnes en sur Même parmi les acteurs dominants alternatives au système alimentaire poids et les maladies chroniques de l’agrobusiness, peu d’acteurs os industriel, telles que : l’agroécologie, liées à une mauvaise alimentation ent encore remettre en question cette l’agriculture soutenue par la commu ne cessent d’augmenter. Le nom évidence. nauté, les circuits-courts, etc. bre de décès liés à une mauvaise the system 6
Mais l’enjeu se situe maintenant au Mais après 25 ans de lutte, il nous • Le troisième article de Brigitte niveau des orientations qui devront semble aussi important pour les ac Gloire dénonce le nouveau green- guider cette transformation et des teurs du mouvement, dont FIAN se washing des entreprises au nom solutions à mettre en œuvre pour revendique, de prendre un peu de re du climat. L’interprétation mal répondre au triple défi de la faim, de cul et de perspective afin d’analyser honnête du concept de « neutra la malnutrition et des crises envi les nouveaux enjeux et d’imaginer lité carbone » par les entreprises ronnementale et climatique. des pistes pour redynamiser et ré et certains gouvernements an inventer la lutte. C’est l’objectif de ce nonce une nouvelle ruée sur les Dans un contexte qui lui est peu fa nouveau numéro du Beet the system ! terres mondiales aux dépens des vorable, l’agrobusiness mondialisé populations rurales. est passé à l’offensive. Alors qu’elles *** sont les principales responsables de • Le collectif Fabriek paysanne nous la situation actuelle, les grandes en Dans la première partie, nous avons alerte ensuite sur les dangers de treprises de l’agroalimentaire tentent voulu mettre en évidence quelques la digitalisation et du smart far aujourd’hui de montrer patte blanche. exemples des nouveaux enjeux et des ming. Les nouvelles technologies, Elles communiquent en grande nouvelles menaces qui pèsent sur présentées comme la nouvelle pompe sur leurs engagements de les systèmes alimentaires et sur le panacée par l’agrobusiness, ris « neutralité en carbone » et avan monde paysan : quent bien de devenir les nou cent leurs solutions pour réformer veaux outils de l’asservissement et verdir les systèmes alimentaires : • Le premier article d’Almudena du monde paysan. La Fabriek (climate) smart agriculture, digita Garcia analyse les stratégies de paysanne nous invite à recon lisation, biotechnologies, compensa l’agrobusiness pour renforcer quérir notre souveraineté tech tion carbone, nourriture enrichie en son influence sur la gouvernance nologique. nutriments, etc. des systèmes alimentaires. L’arti cle explique comment les acteurs • Le cinquième article est une Loin de viser une transformation de l’agrobusiness ont réussi à in synthèse d’un rapport des Amis radicale des systèmes alimentaires, filtrer l’organisation du Sommet de la terre Europe. Il expose l’in ces fausses solutions visent surtout des Nations unies sur les sys tense lobby que les acteurs de à maintenir et renforcer le contrôle tèmes alimentaire et à imposer l’agrobusiness et des biotech de l’agrobusiness sur l’ensemble des leur narratif et leurs solutions. nologies effectue auprès de l’UE maillons de la chaîne alimentaire et pour changer la réglementation sur les profits juteux des marchés ali • Le deuxième article, synthèse OGM. L’objectif de ce lobby est de mentaires. d’un rapport de FIAN interna sortir les nouveaux OGM (notam tional, détaille les dangers de ce ment les techniques d’édition du Face à cet écran de fumée, le concept qu’on appelle la « financiarisa génome) du cadre réglementaire de souveraineté alimentaire, et les tion » des terres et des ressour actuel, jugé trop contraignant. concepts interconnectés d’agroécolo ces naturelles. Plusieurs exem gie, de droit à l’alimentation ou de bien ples y illustrent en quoi nous • Enfin dans le dernier article de commun sont plus pertinents que ja pouvons désormais qualifier le cette première partie, Hélène mais pour engager une réelle transfor capitalisme « dévoyé ». Seynaeve analyse la menace que mation des systèmes alimentaires. représente la montée du popu the system 8
lisme d’extrême droite en milieu de domination (de l’humain sur la • Enfin, Manuel Eggen explore le rural. Face à la marginalisation et nature et de l’humain sur les au rôle des droits humains dans la à la précarisation du monde pay tres humains), elles nous invitent transformation des systèmes san dans le contexte de la mon à explorer une autre vision basée alimentaires. La réalisation des dialisation néolibérale, de plus sur les concepts du radical care droits humains doit être au coeur en plus d’agriculteur·rice·s se (prendre soin) et de la convivialité. des politiques alimentaires mon laissent séduire par les discours diales. Mais afin d’être un vérita nationalistes et populistes. Une • Le deuxième article de Sabine ble outil d’émancipation sociale, il voie qui est pourtant sans issue Renteux, militante au Mouve invite les activistes des droits hu pour les paysan∙ne∙s car elle ne ment d’Action Paysanne (MAP), mains à faire évoluer le cadre ac s’attaque pas aux causes struc célèbre les 25 ans de la souver tuel pour l’affranchir de son héri turelles des dysfonctionnements aineté alimentaire et effectue un tage colonial, occidentalo-centré des systèmes alimentaires. Les rapide bilan de la lutte. Elle en et déconnecté de la nature. mouvements d’extrême droi courage ensuite les acteur·rice·s te ne proposent finalement du mouvement à se rassembler, Avec ce nouveau numéro du Beet the que la continuité des politiques au-delà des initiatives individuelles system ! nous espérons, humblement, néolibérales, les habillant sim et locales, pour changer le ca contribuer à explorer de nouveaux plement d’un discours nationa dre des politiques néolibérales. horizons et imaginaires afin que le liste et nativiste. mouvement pour la souveraineté ali • Jean-Marc Louvin analyse le cad mentaire continue à jouer un rôle de Dans la deuxième partie, nous par re conceptuel « des biens com critique radicale et à être un acteur tageons quelques réflexions pour muns ». Après nous avoir rappelé pour mettre en place des systèmes réenchanter le mouvement pour la le cadre conceptuel et politique alimentaires répondant aux aspira souveraineté alimentaire. Prenant des biens communs, il propose tions des peuples. acte des nouveaux enjeux et des des pistes pour l’appliquer aux nouvelles menaces, nous explorons politiques alimentaires comme Bonne lecture ! quelques pistes pour redynamiser changement de paradigme des et réinventer la lutte. Au-delà de systèmes alimentaires mondia propositions techniques et politiques lisés. c’est plutôt à une réflexion intros pective à laquelle nous nous livrons et à laquelle nous invitons nos lec teur∙rice∙s. • Le premier article de Barbara Van Dijck et Saurabh Arora nous inter rogent sur les concepts de tech nologie, innovation et progrès. Plutôt qu’une vision de la moder nité et du progrès (technologique) fondée sur l’idée de contrôle et 9 Le magazine des luttes pour la souveraineté alimentaire
PARTIE 1 : LES NOUVELLES MENACES 1. Comment les entreprises s’emparent-elles du Sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires ? Dévoiler les mécanismes du pouvoir des entreprises sur la gouvernance alimentaire mondiale Par Almudena Garcia i Sastre, chargée de plaidoyer européen chez FIAN Belgium Alors que le Sommet des Nations privé. Un cadre analytique tridimen David Navarro ou le professeur Joachim Unies sur les systèmes alimentaires sionnel1 – instrumental, structurel et von Braum. s’est tenu le 23 septembre 2021, se discursif – pour aborder le pouvoir des rapproche grandement, la phase entreprises nous aide à décortiquer Dr Agnes Kalibata a été nommée En préparatoire a révélé le rôle poli- les mécanismes qui permettent le voyée spéciale pour diriger le Som tique croissant du secteur privé dans rôle politique croissant des entreprises met. Ancienne présidente de l’Alliance l’ensemble du processus. L’analyse dans l’élaboration des règles interna pour une révolution verte en Afrique de ces stratégies met en lumière tionales qui régissent l’alimentation (AGRA), Dr Kalibata est dès lors ar les nouveaux équilibres de pouvoir dans le monde. rivée avec l’idée de transformer les qui restructurent la gouvernance systèmes alimentaires, à l’image alimentaire mondiale. Le Sommet 1.1.LE POUVOIR INSTRUMENTAL : de la promesse d’AGRA de sauver devient un véritable « laboratoire LE CONTRÔLE DIRECT DES l’Afrique de la faim et de la pauvreté vivant » dans lequel le contrôle des ENTREPRISES grâce à un modèle de production entreprises revêt différentes formes alimentaire à forte intensité d’in pour exercer un pouvoir politique. Premièrement, la dimension instru trants, axée sur la technologie. mentale du pouvoir des entrepri– Le Sommet des Nations unies sur ses met en évidence une causalité L’organisation de M. Navarro, 4SD, les systèmes alimentaires (UNFSS), fonctionnelle et linéaire de l’influence. est chargée de développer et de organisé par le Secrétaire général L’agroindustrie s’est assuré une place soutenir les dialogues du Sommet, de l’ONU en 2021, est motivé par le de choix depuis les travaux prépara qui comprennent des Dialogues du besoin urgent de transformer les toires du Sommet grâce à la nomina Sommet mondial, des Dialogues des systèmes alimentaires, avec pour ob tion d’associé·e·s clé·e·s occupant des États membres et des Dialogues jectif la « faim zéro » et l’intégration rôles stratégiques dans la prise de indépendants. Ses liens avec les de la durabilité. Toutefois, le dévelop décision, comme Dr Agnes Kalibata, coalitions d’entreprises, dont AGRA pement et l’architecture de l’UNFSS est un co-partenaire, et son rôle de remettent en question la vision d’une conseiller auprès du World Business gouvernance mondiale publique et 1 Fuchs, D. and Clapp, J., 2009. Corporate Council for Sustainable Development power and global agrifood governance: Lessons laisse place au contrôle du secteur learned. Corporate Power in Global Agrifood confèrent une influence croissante au Governance. MIT Press, Cambridge. the system 10
secteur privé dans les propositions mises sur la table lors des dialogues. • ENCADRÉ • Joachim von Braun2, nommé pré– sident du groupe scientifique de AGRA ET SES FAUSSES PROMESSES l’UNFSS, est également membre du conseil d’administration d’AGRA et L’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA)1, a été ancien directeur de l’Institut interna lancée en 2006 sous la forme d'une organisation au capital d’un tional de recherche sur les politiques milliard de dollars US, financés par la Fondation Bill et Melinda alimentaires (IFPRI), qui reçoit des Gates et la Fondation Rockefeller. Elle promouvait des mesures fonds de la Fondation Bill et Melinda visant à révolutionner l'agriculture africaine sous la forme de Gates. En tant que scientifique en chef programmes de subvention des intrants (FISP). Elle présentait de l’UNFSS, il prône avec détermina alors l'objectif ambitieux de doubler les revenus et les rende- tion la réforme de la gouvernance ments de 30 millions de petit·e·s exploitant·e·s agricoles d'ici à alimentaire en apportant une nou 2020, mais peu de preuves attestent de sa concrétisation. velle approche scientifique dite efficace. Une étude indépendante2 menée dans les treize pays bénéfi La désignation de ces trois person ciaires d'AGRA a révélé que loin d'améliorer la sécurité alimen- nalités ayant des liens étroits avec le taire dans la région, AGRA l'a aggravée au détriment des pro secteur privé, et en particulier avec fits tirés de la faim. Elle indique que le nombre de personnes AGRA, ont été le premier signal d’une souffrant de la faim a augmenté de 30 % dans les pays ciblés. influence directe du pouvoir des en treprises sur le processus politique Et la sécurité alimentaire s'est même détériorée en raison du dans lequel s’inscrit le Sommet. déclin des cultures nutritives et résistantes, de l'acidification des sols par la monoculture et de l'endettement des petit·e·s producteur·rice·s alimentaires participant·e·s. 1 Alliance for a Green Revolution in Africa 2 Wise, T. (2021). AGRA Update: Withheld Internal Documents Reveal No Progress for Africa’s Farmers. Washington, DC: Institute for Agriculture & Trade Policy. https://www.iatp.org/blog/202102/agra-update-withheld-internal-documents-re- veal-no-progress-africas-farmers 2 Von Braun, J. and Kalkuhl , M. (2015). International Science and Policy Interaction for Improved Food and Nutrition Security: towardan International Panel on Food and Nutrition (IPFN). ZEF Working Paper 142. Center for Development Research, Bonn. https://www.zef.de/uploads/ tx_zefportal/Publications/WP142_final.pdf 11 Le magazine des luttes pour la souveraineté alimentaire
Source : Koen Dekeyser / Flickr Malgré ses échecs visibles (voir Le partenariat entre l’ONU et le future des systèmes alimentaires, et Encadré), AGRA est présentée com Forum économique mondial, ainsi affaiblit dangereusement le rôle des me un exemple pour transposer les que l’accord de la FAO avec CropLife États dans la sauvegarde du droit à partenariats public-privé à l’échelle International3 en 2019, accordent un l’alimentation. mondiale et étendre les tentacules accès préférentiel aux multinatio de la Fondation Gates dans la gouver nales aux organes des Nations unies, 1.2. POUVOIR STRUCTUREL : nance des systèmes alimentaires. La au détriment des acteurs d’intérêt LE CONTRÔLE TACITE DES Fondation Gates sponsorise des solu public. La manière dont ces ingéren ENTREPRISES FAIT BASCULER tions technologiques propriétaires ces vont opérer, que ce soit par le LES STRUCTURES DE (non libres) en tant que solutions gag biais de dons ou sous la forme de GOUVERNANCE LÉGITIMES nant-gagnant et promeut leur trans conseils d’experts, reste encore in fert du Nord au Sud via des change certaine. Ce qui est certain, c’est que Au fur et à mesure que la mondia ments de politiques nationales. Ces les collaborations entre les Nations lisation se consolide, les acteurs du changements nécessitent l’appro unies et les entreprises révèlent secteur privé viennent régulièrement bation de subventions publiques et comment une approche privée axée suppléer les acteurs traditionnels la protection des droits de propriété sur le profit imprègne ouvertement tels que les États et les organisations intellectuelle. Cependant, l’incur les décisions sur la transformation internationales dans les structures sion d’AGRA dans l’UNFSS n’est pas économiques et institutionnelles, le seul canal de contrôle direct des pour prendre eux-mêmes les déci 3 International Network for Economic, Social entreprises dans la gouvernance & Cultural Rights. Background Document - sions de gouvernance. Les entrepri alimentaire mondiale. Corporate capture of the United Nations, Février ses ont pris un rôle clé qui va au-delà 2021. https://www.escr-net.org/news/2021/ d’un accès direct aux décideur·euse·s, background-document-corporate-capture-unit- ed-nations qui leur permet de fixer l’agenda. Ils the system 12
ont progressivement gagné un siège conçu avec une structure multipartite participer à ces initiatives et quel rôle autour de la table des négociations à d’organes consultatifs politiques et chacun·e peut jouer dans la prise de laquelle sont rédigées les règles af scientifiques, combinée à des dis décision. Cela nécessite des critères fectant leurs propres activités. Cette cussions thématiques sur les cinq définis démocratiquement. Cepen forme de pouvoir est structurelle car voies d’action (accès, consommation, dant, les MSI conçues par le proces elle influe sur la partie « input » du production, moyens de subsistance sus de l’UNFSS fonctionnent sur base processus politique, permettant ain équitables et résilience). Néanmoins, volontaire et la participation dépend si aux entreprises d’augmenter leur la forme sous laquelle tous les résul des ressources dont chacun·e dis contrôle sur la détermination de la tats de ces dialogues alimenteront pose pour y prendre part, ce qui se portée des cadres réglementant leurs la feuille de route finale du sommet révèle être un espace d’exclusion activités, ainsi que sur leur contenu. n’a pas encore été détaillée dans les pour celles·eux qui ont moins de res documents de référence ni dans les sources humaines et financières. Dans ce contexte, l’UNFSS promeut derniers rapports de synthèse pu de nouvelles plateformes multipar bliés en juillet. Si l’on ne donne pas la priorité aux tites4, dans le but de se démarquer voix des détenteur·rice·s de droits de l’actuel Comité des Nations unies La sélection des dirigeant·e·s, des touché·e·s par l’insécurité alimen sur la sécurité alimentaire mondiale expert·e·s et des participant·e·s a été taire et si l’on ne garantit pas leur (CSA). Il ne tient pas compte des ef faite de manière arbitraire et leurs participation aux décisions qui les forts internationaux déjà réalisés rôles ne sont pas clairs, ce qui ne concernent, les participant·e·s les pour encadrer les systèmes alimen répond pas aux normes de transpa plus puissant·e·s et les mieux doté·e·s taires et définir des pistes de solu rence et aux mécanismes de respon en ressources risquent de dominer le tions, et ce, à trois égards. Première sabilité envers les personnes les plus débat sur la transformation des sys ment, l’annonce de ce sommet n’a touchées par l’insécurité alimentaire. tèmes alimentaires. pas réellement émané de l’Assem blée générale des Nations unies ou Troisièmement, ce manque récur En ouvrant la porte aux acteurs du du CSA, mais de l’initiative unilatérale rent de transparence et l’érosion secteur privé pour qu’ils participent du Secrétaire général des Nations de la responsabilité sont ancrés à la définition des normes visant unies. Compte tenu de la structure de dans l’approche multipartite que le à défendre le droit à l’alimentation gouvernance du CSA, beaucoup s’at Sommet soutient en matière de gou et la santé de la planète, l’UNFSS tendaient à ce que celui-ci soit le fo vernance alimentaire par le biais de ignore les asymétries de pouvoir et rum le mieux placé pour accueillir le ses dialogues multidimensionnels. les conflits d’intérêts. Les débats prochain UNFSS 2021. Au cours des deux dernières décen s’orienteront vers des propositions nies, les initiatives multipartites (MSI) qui éviteront de porter atteinte à la Deuxièmement, la structure du Som se sont multipliées, avec pour objectif rentabilité privée et d’aborder les met semble avoir été conçue pour d’aborder des questions complexes questions politiques contestées res imiter celle du CSA et tenter de le de politique mondiale, soulevant de ponsables de la faim et de la pauvreté. remplacer en tant qu’organe mondial multiples préoccupations en matière reconnu pour guider l’élaboration des de droits humains5. Qui est invité à politiques alimentaires. L’UNFSS a été 5 voir ce briefing sur les initiatives multipar tites préparé par FIAN International : note-on-multi-stakeholder-initiatives-msi-2507 4 En anglais : multi-stakeholder https://fian.org/en/publication/article/briefing- 13 Le magazine des luttes pour la souveraineté alimentaire
1.3. POUVOIR DISCURSIF : conception des systèmes alimen Le groupe d’universitaires participant LES ENTREPRISES S’EMPARENT taires qui privilégie un type de con au suivi de l’UNFSS9 a proposé une DES NARRATIFS ET CONTRÔLENT naissance, principalement la science analyse de la manière dont le narratif LA SCIENCE expérimentale, et un type de poli du Sommet s’appuie sur une logique tique, qui s’appuie sur des solutions de manque de nourriture et de con Une troisième approche du pouvoir reposant sur les lois du marché6. naissances. Il crée un imaginaire de explore la dimension discursive du lacunes (lacunes factuelles, lacunes processus politique. Cette perspec Cette inquiétude a été soulevée politiques, lacunes technologiques) tive analytique montre comment les non seulement par la Réponse Au devant être comblées par des ex décisions politiques peuvent répon tonome des Peuples à l’UNFSS7 pert·e·s scientifiques, en collabora dre à des disputes narratives sur le mais aussi par trois rapporteurs tion avec des entreprises. Ces col cadrage des problèmes et des solu spéciaux des Nations unies. Ceux laborations sont ancrées dans un tions selon certaines normes et va ci ont ouvertement critiqué8 le discours qui soutient les innovations leurs. Sommet pour ne pas avoir placé le technologiques axées sur le marché droit à l’alimentation au centre du au détriment des connaissances tra Le processus de l’UNFSS révèle débat et pour avoir omis l’agroéco ditionnelles acquises au fil des siècles l’influence croissante du secteur logie en tant que changement de pa pour nourrir la population mondiale. privé sur la perception publique radigme permettant de réformer les des problèmes liés à l’alimentation systèmes alimentaires en vue d’une Parallèlement, de nouveaux concepts et propose des solutions qui pri justice sociale et écologique. Michel sont créés, tels que les « nature-based vilégient les chaînes de valeur mon Fakhri, actuel rapporteur spécial des solutions » (solutions fondées sur diales, l’innovation technologique et Nations unies pour le droit à l’ali la nature) et la « climate-smart le profit au détriment des systèmes mentation, dans son rapport pour la agriculture » (l’agriculture intelli agroécologiques locaux, des droits 46 ème session du Conseil des droits gente face au climat). Ces nouveaux humains et de l’intérêt public. humains, a déploré que : cadres de pensée prônent des change ments majeurs dans la valorisation Si le concept de système alimentaire « Les premiers documents de prépa- de la nature pour offrir des solutions offre une grille d’analyse permettant ration du Sommet reflètent le lan- gagnant-gagnant et pour lesquelles de révéler les différents éléments gage et le cadre du projet du Forum une approche mécaniste de la science qui le composent, de la production économique mondial sur la transfor- est nécessaire pour relever le double à la consommation en passant par mation des systèmes alimentaires. » défi du changement climatique et de la distribution, il ne fournit pas d’in la sécurité alimentaire. À l’inverse, dications sur ce qui est nécessaire l’agroécologie est attaquée pour son pour qu’un changement se produise. (soi-disant) caractère idéologique et Le narratif des principales voix du non scientifique. Sommet sur la transformation du sys 6 Right to food: Report of the Special tème alimentaire en une voie durable Rapporteur on the right to food, Michael Fakhri (A/HRC/46/33). https://undocs.org/A/HRC/46/33 ne s’appuie pas sur une approche 9 Montenegro et al (2021). UN Food System 7 Voir https://www.csm4cfs.org/letter-csm-co- fondée sur le droit dans toutes ses ordination-committee-cfs-chair/) Summit Plants Corporate Solutions and Plows phases préparatoires. Au lieu de cela, Under People’s Knowledge. A brief prepared by 8 Voir https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/ academics following the UN Food Systems Sum le discours promu au sein du Som Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=27505&Lan- mitand committed to critical analysis and public met se positionne en faveur d’une gID=E education. agroecologyresearchaction.org the system 14
Dans cette optique, l’UNFSS encou CONCLUSION venir que de la Réponse autonome des rage une conception étriquée de la peuples à l’UNFSS, en tant que déten science et ouvre la voie à la création La phase préparatoire a témoigné du teur·rice·s légitimes de droits, qui d’une nouvelle Interface science-poli rôle politique croissant des entrepri exigent de l’Etat qu’il reprenne son tique (ISP) destinée à remplacer ses dans l’ensemble du processus. rôle de seul responsable de la mise l’actuel Groupe d’experts de haut en œuvre du droit à l’alimentation. niveau (HLPE)10 du CSA. Une nou Les mécanismes employés ne se velle ISP11 est envisagée pour mieux limitent plus au lobbying tradition Toute contre-stratégie doit donc s’aligner sur une compréhension nel qui permet de s’assurer d’avoir faire obstacle simultanément aux unidimensionnelle des systèmes ali des allié·e·s proches aux postes trois facettes du pouvoir des entre mentaires et pour traiter l’alimenta stratégiques du Sommet. La nou prises qui progressent via l’UNFSS tion comme une marchandise plutôt veauté vient ici de l’institutionnalisa pour s’emparer de la gouvernance que comme un droit humain. tion du pouvoir des entreprises par alimentaire mondiale. Sur le plan du le biais du multipartisme et pouvoir instrumental, les garde-fous de la mainmise des narrat en matière de conflits d’intérêts et ifs de « transformation des les mécanismes de transparence systèmes alimentaires », doivent être appliqués. Au niveau du in fluençant en amont le pouvoir structurel, les plateformes processus politique. multipartites ne peuvent pas rem Source : Koen Dekeyser / Flickr placer les espaces multilatéraux Les structures démocra dotés de procédures claires concer tiques de gouvernance mon nant les asymétries de pouvoir et la diale en matière de sécurité définition des rôles et des obligations alimentaire et de nutrition en fonction des droits. Enfin, et sur – le CSA et le HLPE – sont tout, sur le terrain de la connaissance menacées et, avec elles, le et de la science, il est nécessaire de savoir-faire des autochtones, construire des contre-narratifs qui des expérimentateur·rice·s, délégitimisent les fausses solutions des agriculteur·rice·s et des profitant à quelques-uns dans le pro femmes, qui sont pourtant plus que cessus de transformation des sys 10 Le HLPE a un mandat clair, ancré dans jamais nécessaires pour faire face à tèmes alimentaires et qui défendent le droit à l’alimentation, et est basé sur une approche consultative qui compile les contribu l’incertitude et cocréer des systèmes l’intérêt public et les droits humains tions de multiples parties prenantes. Il s’agit de alimentaires justes et durables. plutôt que le profit. l’organe consultatif scientifique le plus reconnu et le plus respecté au niveau international, qui Il est urgent d’apporter une réponse fournit une évaluation des preuves de la recherche guidant les politiques liées au efficace à la consolidation accrue du système alimentaire. pouvoir du secteur privé en matière 11 Clapp et al. (2021). AN ‘IPCC FOR FOOD’? de systèmes alimentaires, et de ses How the UN Food Systems Summit is being used répercussions insidieuses sur la to advance a problematic new science-policy agenda. Briefing note 1 on the Governance of sécurité alimentaire et la santé de Food Systems, Juillet 2021. http://www.ipes-food. la planète. Cette réponse ne peut org/_img/upload/files/GovBrief.pdf 15 Le magazine des luttes pour la souveraineté alimentaire
2. Capitalisme dévoyé et financiarisation des terres et de la nature Résumé du rapporta publié par FIAN International, Transnational Institute et Focus on the Global South en septembre 2020 adapté par Margot Vermeylen, journaliste Aux quatre coins de la planète, les difie fondamentalement la manière activement à dissimuler leurs opéra communautés rurales sont con- dont la valeur financière est créée tions, nous proposons de parler de frontées à une augmentation spec- et dont les profits sont générés : capitalisme dévoyé, c’est-à-dire un taculaire de la dépossession et de la la richesse n’est plus créée par les capitalisme tellement poussé dans destruction de leurs terres, rivières, revenus des secteurs réels – produc ses limites qu’il outrepasse ses pro pâturages, forêts, océans et maisons, tifs – de l’économie (comme par exem pres règles. alors même qu’ils constituent le fon- ple les secteurs industriel, agricole dement de nos communautés et de et des services), mais dans la sphère COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ? notre tissu social. En cause : le capi- « virtuelle » des opérations financières, talisme dévoyé1 . Cet article propose notamment grâce à la spéculation. En La domination croissante de la fi une description de ce phénomène et tant que telle, elle constitue une nou nance mondiale sur nos vies ne surgit de son évolution, ainsi qu’une série velle manière d’organiser l’extraction pas de nulle part ; elle est le résultat d’exemples pour mieux le compren- capitaliste de la richesse. La finan des politiques qui ont été élaborées dre. ciarisation croissante de l’économie lors des dernières décennies. C’est a pour conséquence, notamment, la déréglementation des marchés Pourquoi parlons-nous de capita que l’alimentation et la terre sont de financiers, avant et après la crise lisme dévoyé, et qu’entendons-nous plus en plus considérées comme des financière mondiale de 2007-2008, par cela ? D’abord, il convient de actifs financiers, et non comme des qui a ouvert la voie pour donner au comprendre le phénomène de finan- biens communs et des droits hu capital financier mondial le pouvoir ciarisation, qui peut être globalement mains [pour en savoir plus, voir arti qu’il détient aujourd’hui. entendu comme la croissance du cle n°9 sur les biens communs]. pouvoir et de l’influence de la finance Tout (re)commence dans les années mondiale. La financiarisation mo FINANCIARISATION 70, qui marquent la fin du système = CAPITALISME DÉVOYÉ monétaire de Bretton Woods. Ce sys tème avait été mis en place après a Le rapport complet peut être consulté En raison de l’illégitimité des acca le krach boursier de Wall Street, en sur le site de FIAN Belgique http://www.fian. parements auxquels la finance mon 1929, qui fut suivi d’une crise bancaire be/Le-capitalisme-devoye-et-la-financiarisa- tion-des-terres-et-de-la-nature?lang=fr diale soumet nos territoires et de ses majeure et de la Grande Dépression. conséquences destructrices sur nos Il empêchait notamment les banques 1 Définition selon le Larousse : qui est sans communautés, et en raison du fait d’utiliser de l’argent public ou privé moralité, perverti. Définition selon le Robert : Qui est sorti du droit chemin, s’est dévoyé. que les acteurs impliqués cherchent (à savoir les économies des gens) the system 16
« Après des discussions avec des organisations de petits producteurs firent faillite lorsque la bulle éclata et alimentaires et des mouvements sociaux, nous sommes arrivés à la que les prix de l’immobilier s’effon conclusion que ce que l’on appelle souvent la "financiarisation" devrait drèrent. Cependant, contrairement à plutôt être appelé "capitalisme dévoyé" parce que l’accaparement des ce que l’on pourrait penser, ceci ne territoires par la finance mondiale est illégitime et destructeur, et que poussa pas les États à prendre les problèmes sous-jacents à bras le les acteurs impliqués cherchent activement à dissimuler corps, mais augmenta le pouvoir du leurs opérations. » capital financier. Tout d’abord, car plusieurs États se mirent à renflouer Philip Seufert, FIAN International des banques et d’autres acteurs fi nanciers – et leurs actionnaires – pour réaliser des investissements Plusieurs nouvelles lois suivirent, qui afin de stopper la contagion sur les spéculatifs et ne les y autorisaient à abrogèrent la séparation des ban marchés financiers. Ensuite, la chute le faire qu’avec leur propre argent. ques commerciales et des banques des prix de l’immobilier survenue à la Pour faire simple, interdiction donc, d’investissement, et ouvrirent la voie suite de la crise poussa les acteurs pour les banques commerciales de à de nouvelles possibilités de spécu financiers à rechercher de nouveaux « jouer » avec l’argent sur les comp lation financière. Ce fût également le domaines où investir et spéculer, tes de leurs clients. Et, toute per début de la privatisation des retraites comme les terres agricoles (voir sonne, ou entité, qui désirait utiliser aux Etats-Unis et en Europe, créant exemples plus loin). son capital à des fins spéculatives ainsi une nouvelle réserve impor devait s’adresser à des banques dites tante de capitaux d’investissement, C’est ainsi que l’idéologie économique d’investissement. Ce système donna qui doivent être investis quelque ayant provoqué la crise demeure in- lieu à une période de relative stabilité part. Ce pool croissant de capi tal- tacte et incontestée. Aujourd’hui, la financière. investissement s’élève aujourd’hui à finance mondiale a fait son grand re 47 000 milliards de dollars. tour : les bénéfices, les dividendes, les rémunérations et les primes propres au monde de la finance ont regagné 2007-2008 : CONSÉQUENCE PUIS les niveaux observés par le passé. CAUSE DE LA FINANCIARISATION Les marchés financiers ont atteint de CROISSANTE nouveaux sommets record et la prise de risque a de nouveau augmenté. La crise financière de 2007-2008, Dans un même temps, les projets qui généra une importante crise de nouvelle règlementation de la économique mondiale, fut le résultat finance se sont retrouvés enlisés du processus de financiarisation et dans des négociations politiques sans contribua à l’exacerber. Déclenchée fin. Ce regain de la financiarisation de Mais, afin de permettre aux acteurs par la spéculation sur les marchés l’économie s’est accompagné d’une commerciaux d’engranger de plus du logement et de l’immobilier aux augmentation de l’exploitation et de grands bénéfices, les États-Unis, sui États-Unis et en Europe, plusieurs la dépossession des communautés et vis de près par le Royaume-Uni, com banques et autres acteurs financiers des individus. mencèrent à démanteler ce système. ayant pris part à cette spéculation 17 Le magazine des luttes pour la souveraineté alimentaire
(85 %) et la DEG, une branche financière de la coopération au déve- loppement (15 %). PANORAMA DES DIFFÉRENTES FORMES QUE PREND LE CAPITALISME DÉVOYÉ Le capitalisme dévoyé se manifeste sous diverses formes dans les ter roirs des communautés et des popu lations. 1. LES TERRES ET L’AGROINDUSTRIE L’implication d’importantes sommes d’argent dans l’agriculture n’a rien de nouveau. Les grands propriétaires fonciers sont les principaux acteurs encourageant l’expansion de l’agro industrie et des plantations en mono culture ; ils sont aussi les premiers à en bénéficier. La nécessité con stante de recourir à des machines et à des intrants onéreux (engrais, produits agrochimiques, semences Infographie 1 • Déforestation et expansion de l’agriculture industrielle commerciales et OGM, entre autres), à grande échelle dansflaigure: régionDéforestation paraguayenne et expansion de l’agriculture du Gran Chaco, 2006-2016 in- dustrielle à grande échelle dans la région para- Source : FIAN International, Transnational Institute, Focus on the Global South couplée à la ruée vers une produc 11 “Le capitalisme dévoyé etguayenne du Gran Chaco, la financiarisation 2006-2016 des terres et de la nature”, tion toujours plus importante de RAPPORT | SEPTEMBRE 2020 matières premières agricoles, a forcé les entreprises de l’agroindustrie à considérées par la finance mondiale restation et de l’expansion de l’agri contracter des prêts et des crédits comme une « catégorie d’actif » et culture industrielle à grande échelle, auprès d’établissements bancaires un négoce à part entière. Les exem- notamment dans la région dénom et d’autres investisseurs financiers. ples suivants font la lumière sur la mée Gran Chaco (la partie occiden Ainsi, l’influence et le pouvoir des manière dont tout ceci a intensifié la tale du pays). Nombre des entre acteurs financiers sur la produc dépossession des personnes vivant prises ayant récemment pénétré la tion agricole industrielle lors des en milieu rural et des communautés région pour y développer l’agriculture dernières décennies s’en sont trou de leurs territoires. industrielle sont des acteurs finan vés consolidés. ciers. L’entreprise luxembourgeoise L’agroindustrie et les acteurs PAYCO S.A., par exemple, détient Néanmoins, plus récemment, l’inten financiers L E C API TAL I SM E prennent leI N Acontrôle DÉVOYÉ ET LA F N C I A R I S AT I O Nde D E Sla T E R R E S144 E T D E L 000 hectares A N AT U R E de terres dans 21le sité, l’échelle, la vitesse et l’ampleur moitié du Paraguay… pays. Ses actionnaires sont EuroAmer de l’implication du capitalisme finan ican Finance S.A., basée au Luxem cier dans l’agroindustrie ont changé Le Paraguay a connu une trans bourg (85 %), et la DEG, une filiale de de façon substantielle et alarman formation complète en l’espace de la banque publique allemande d’inves te. Les terres sont de plus en plus seulement dix ans, victime de défo tissement et de développement (15 %). the system 18
... et alimentent la déforestation en provoqué la déforestation, mais, plus acteurs financiers transnationaux. Amazonie. important encore, elle joue un rôle Ces acteurs, qui financent la produc important dans la transformation de tion de produits de base agricoles par En juillet et août 2019, la destruction l’Amazonie en plantations de mono l’agroindustrie depuis plusieurs an continue de la forêt amazonienne culture. Ce n’est pas un hasard que nées, ont récemment pris les terres s’est transformée en incendies vio la déforestation dans la région autour pour principale cible. C’est ainsi lents et sans précédent qui ont détruit du BR163 ait augmenté chaque an qu’ont émergé de nouvelles compa de vastes parties de cet écosystème née depuis 2004, alors même que la gnies spécialisées dans la spécula crucial, et détruit des moyens de déforestation en Amazonie dans son tion foncière. Le plus grand fonds de subsistance. Il est prouvé que plu ensemble a diminué. pension américain, la TIAA, par exem sieurs incendies ont été déclenchés ple, a lancé deux fonds de terres agri de manière planifiée et coordonnée Ailleurs au Brésil, les communautés coles depuis 20123, pour un montant par des accapareurs de terres et de traditionnelles de l’état brésilien de total de 5 milliards de dollars. Grâce à grands propriétaires terriens aux Piauí sont expulsées de leurs terres, ces fonds, TIAA a acquis et gère près abords de la route BR163, le 10 août de leurs forêts et de leurs rivières de 200 000 hectares de terres au 20192. Cette autoroute a été cons pour faire place à la progression des Brésil, dont la moitié est située dans truite principalement pour permettre monocultures de soja. La déforesta Piauí et les États voisins. La majorité aux entreprises agroalimentaires de tion, la contamination des sols et des des investisseurs dans ces fonds transporter du soja et des céréales eaux par les produits agrochimiques, sont des investisseurs institution vers le terminal maritime de Miritituba, la destruction des moyens d’exis nels, en particulier des fonds de pen situé au plus profond de l’Amazonie tence, les bouleversements au niveau sion des États-Unis, du Canada, de la dans l’État brésilien du Pará, d’où de la communauté, ainsi que l’in Corée, de la Suède, de l’Allemagne, elles sont ensuite expédiées vers des sécurité alimentaire et nutritionnelle du Royaume-Uni, du Luxembourg ports du monde entier. rendent la vie de la population impos et des Pays-Bas. De nombreuses sible. En outre, la violence perpétrée à exploitations agricoles appartenant à Le terminal maritime de Miritituba est l’encontre des communautés par des la TIAA au Brésil ont été achetées par géré par Hidrovias do Brasil, une so groupes armés liés à des entreprises une société appelée Radar Imobiliária ciété qui appartient en grande partie de l’agroindustrie est en hausse. La Agrícola, qui a été créée par une en à Blackstone, l’une des plus grandes population locale est souvent forcée treprise commune entre la TIAA et sociétés financières du monde : celle- à migrer vers les bidonvilles (favelas) la plus grande société sucrière du ci détient directement près de 10 % des grandes villes brésiliennes. Brésil, Cosan. Ces évolutions ont ren des actions de Hidrovias do Brasil, et forcé davantage encore la violence possède aussi indirectement, via sa L’accaparement constant des terres dont sont victimes les communautés filiale Pátria Investimentos, 55,8 % et la destruction permanente des rurales. de Hidrovias do Brasil. Le dével écosystèmes sont rendus possibles oppement de la route elle-même a par les grandes quantités d’argent in jectées par des fonds de pension des 2 Voir, par example, de Freitas Paes, Caio, États-Unis, du Canada et d’Europe. “Matopiba concentra mais da metade das En effet, des entreprises du secteur queimadas no Cerrado.” In: De Olho dos Ruralistas, 16 septembre 2019. https://deolhonosruralis- agroindustriel local et national ont tas.com.br/2019/09/16/matopiba-concen- formé des coentreprises avec des 3 Appelés TIAA-CREF Global Agriculture LLC I tra-mais-da-metade-das-queimadas-no-cerrado/ et II (TCGA I+II) 19 Le magazine des luttes pour la souveraineté alimentaire
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