Thyrotoxicose Thyrotoxicosis - Mise au point - SRLF
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Réanimation 15 (2006) 497–505 http://france.elsevier.com/direct/REAURG/ Mise au point Thyrotoxicose Thyrotoxicosis M. Thiriona,b,*, S. Percherona, J.-P. Miraa,b a Service de réanimation médicale, CHU Cochin–Saint-Vincent-de-Paul–La-Roche-Guyon, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France b Faculté de médecine René-Descartes–Paris-V, 12, rue de l’École-de-Médecine, 75270 Paris cedex 06, France Disponible sur internet le 11 octobre 2006 Résumé La thyrotoxicose peut se compliquer d’un « orage thyroïdien » mettant en jeu le pronostic vital. Les causes sont nombreuses avec en premier lieu la maladie de Basedow, le goitre toxique et la prise d’amiodarone. Cette revue décrit par ailleurs certaines formes particulières : paralysie périodique hypokaliémique et thyrotoxicose au cours de la grossesse. La cardiothyréose, atteinte cardiaque de la thyrotoxicose, fait toute la gravité de la présentation clinique, car elle peut se compliquer d’insuffisance cardiaque hyperkinétique. L’arsenal thérapeutique comporte, outre les traitements spécifiques tels que les antithyroïdiens de synthèse, iode radioactive et chirurgie, les traitements symptomatiques : β- bloquants en première ligne, digitaliques, cardioversion électrique, voire assistance hémodynamique. © 2006 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Thyrotoxic storm can complicate thyrotoxicosis, involving vital prognostic. Multiple aetiologies can be diagnosed, the most frequent being Graves’ disease, multinodular goitre and amiodarone treatment. This review also describes peculiar forms of hyperthyroidism such as thyrotoxic periodic paralysis, thyrotoxicosis associated with pregnancy and hyperkinetic cardiac dysfunction, which is associated with an increased mortality rate and treatment difficulties. Therapeutic means lay on specific treatments such as antithyroid drugs, radioactive iodine and surgery. Beta- blocking and digitalic agents are usual symptomatic therapies that may be completed in a few cases by electric cardioversion and circulatory assistance. © 2006 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Thyrotoxicose ; Orage thyroïdien ; Crise thyrotoxique ; Soins intensifs ; Réanimation Keywords: Thyrotoxicosis; Thyrotoxic storm; Thyrotoxic crisis; Critical illness; Intensive care; Critical care 1. Définitions ● la thyrotoxicose est aussi un syndrome lié à l’excès d’hormones thyroïdiennes mais regroupe toutes les causes Sur le plan de la sémantique, certains séparent « hyperthy- entraînant un excès d’hormones circulantes, y compris roïdie » de « thyrotoxicose » [1] : celles liées à la destruction glandulaire (thyroïdite) ou à un apport exogène. ● l’hyperthyroïdie est le terme alors réservé au syndrome lié à l’excès d’hormones thyroïdiennes d’origine naturelle, dû à Cette séparation reste cependant strictement lexicologique et une surproduction d’hormones par la glande ; ne concerne ni la présentation clinique, ni la gravité, ni l’évolu- tion de la maladie. * Auteurcorrespondant. La forme de thyrotoxicose mettant en jeu le pronostic vital Adresse e-mail : marina.thirion@cch.aphp.fr (M. Thirion). est souvent qualifiée d’« orage thyroïdien » ou « crise thyroto- 1624-0693/$ - see front matter © 2006 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2006.10.002
498 M. Thirion et al. / Réanimation 15 (2006) 497–505 xique ». Son diagnostic peut être difficile dans l’urgence, mais ovariens contenant du tissu thyroïdien ; hyperthyroïdie il est crucial de le rechercher [2] car son traitement nécessite médiée par la human choriogonadotrophin (HCG), forme une prise en charge spécialisée, urgente [3] en raison du risque clinique visible au cours de la grossesse ou bien chez les de défaillance d’un ou de plusieurs organes [4]. patients atteints d’un choriocarcinome ; hyperthyroïdie liée à l’iode ; carcinome thyroïdien folliculaire métastatique ; 2. Épidémiologie thyrotoxicose médicamenteuse. L’hyperthyroïdie touche cliniquement 0,5 % de la popula- 5. Présentations cliniques particulières tion. Cependant, 1 à 2 % de la population générale ont les cri- tères biologiques de sa définition, et cette proportion atteint 5.1. Hyperthyroïdie au cours de la grossesse 3 % chez les plus de 80 ans [5]. L’incidence de l’hyperthyroïdie et ses causes varient en La prévalence de l’hyperthyroïdie au cours de la grossesse fonction de l’origine géographique des patients (en rapport est estimée à 0,2 % [14]. La maladie de Basedow complique la avec leur apport iodé moyen alimentaire), de leur âge et de grossesse de 1/1500 femmes. L’hyperthyroïdie doit être diffé- leur sexe. Ainsi, la maladie de Basedow représente 80 % des renciée de la diminution modérée et isolée de la TSH au cours hyperthyroïdies en Islande où l’apport iodé quotidien est nor- du premier trimestre de la grossesse, secondaire à l’effet mal (300 μg/j) alors que le goitre toxique est la cause de plus « TSH-like » de l’HCG. de 50 % des cas au Danemark où l’apport iodé est faible (40– L’hyperthyroïdie maternelle non traitée entraîne des risques 70 μg/j) [6]. Au sein d’une population âgée présentant une maternels (toxémie gravidique, décompensation cardiaque glo- fibrillation auriculaire de découverte récente, on estime à bale) et fœtaux (retard de croissance, menace d’accouchement 15 % (9–22 %) l’incidence des patients présentant une hyper- prématuré, mort fœtale in utero). Par ailleurs, un traitement thyroïdie. Dans cette classe d’âge, 3 % des patients traités par antithyroïdien mal conduit peut également induire des compli- amiodarone développent une hyperthyroïdie [7]. cations fœtales et maternelles et doit donc être institué dans un Enfin, en dehors de l’hyperthyroïdie induite par l’amioda- service spécialisé. rone, cette endocrinopathie est dix fois plus fréquente chez la femme que chez l’homme [8,9]. En termes de gravité, la crise thyrotoxique est rare, et atteint 5.2. Hyperthyroïdie et amiodarone 1 % des patients hospitalisés pour hyperthyroïdie [8]. L’amiodarone est un antiarythmique de classe III très puis- 3. Mortalité sant et largement employé du fait de la polyvalence de ses effets. Cependant, son utilisation n’est pas dénuée d’effets secondaires, notamment sur la cornée, le poumon, le foie, la La mortalité de l’hyperthyroïdie non traitée est évaluée à peau et la thyroïde. L’amiodarone est un dérivé du benzofurane 20–30 % [10]. La mortalité de la crise thyrotoxique a été esti- contenant deux noyaux d’iode organique. De ce fait, l’inges- mée à 15 % mais elle est difficilement estimable en raison de tion quotidienne d’un comprimé de 200 mg apporte 75 mg l’absence de critère diagnostique formel [11]. d’iode organique qui sont transformés en 6 mg d’iode libre, soit 20 à 40 fois l’apport iodé quotidien moyen nécessaire. 4. Étiologies Par ailleurs, sa longue demi-vie (100 jours) explique la persis- tance de ses effets toxiques à distance de l’arrêt du traitement. L’hyperthyroïdie a de multiples causes [12]. Par ordre de Même si la majorité des patients euthyroïdiens recevant le fréquence, on trouve : médicament gardent une fonction thyroïdienne normale, ses effets indésirables sur la thyroïde de sujets normaux peuvent ● la Maladie de Basedow, liée à la stimulation de la glande être séparés en deux types distincts dans leur chronologie et thyroïdienne par des autoanticorps dirigés contre le récep- leur physiopathologie [9,13] : teur de la TSH. ● le nodule thyroïdien autonome (isolé ou multiple) produi- ● effets directs du médicament : le plus souvent précoces sant de grandes quantités d’hormones (nodule toxique) ; (≤ 3 mois), ils consistent initialement en une hypothyroïdie ● plusieurs formes de thyroïdite, où l’inflammation de la biologique : en effet, l’amiodarone diminue le transport glande thyroïdienne va entraîner la lyse de follicules et le intracellulaire de la T4 et antagonise la fixation de la T3 relargage des hormones thyroïdiennes contenues dans ces sur son récepteur nucléaire hypophysaire. La TSH augmente derniers, sont rarement responsables d’hyperthyroïdie. alors rapidement et reste élevée environ 10 jours après une Leurs étiologies sont, soit auto-immunes, soit injection intraveineuse d’amiodarone. Le taux des hormones médicamenteuses : amiodarone, lithium au long cours, inter- thyroïdiennes, diminué initialement, augmente alors signifi- féron α ou interleukine 2 [13] ; cativement à partir du cinquième jour. ● enfin les causes rares sont nombreuses : tumeurs hypophy- Ce médicament peut également induire une thyrotoxicose saires responsables d’une surproduction de TSH ; tératomes toxique (thyrotoxicose induite par l’amiodarone : TIA) dite
M. Thirion et al. / Réanimation 15 (2006) 497–505 499 « TIA de type 2 ». Le mécanisme de cette hyperthyroïdie est absolue du taux d’hormones thyroïdiennes circulantes, ce lié à la destruction de la glande par une thyroïdite toxique qui permet d’expliquer les thyrotoxicoses consécutives à provoquée par l’amiodarone elle-même et son métabolite, la une chirurgie thyroïdienne, à l’administration d’iode radio- déséthylamiodarone (DEA). Les patients atteints n’ont habi- active, ou à l’arrêt des traitements antithyroïdiens ; tuellement pas de pathologie thyroïdienne sous-jacente et la ● hyperactivité du système nerveux sympathique : le système thyroïdite peut être suivie par une période d’hypothyroïdie nerveux sympathique a été impliqué dans la genèse de la transitoire qui peut perdurer chez les patients porteurs d’une crise thyrotoxique en raison de la symptomatologie similaire dysthyroïdie auto-immune (anticorps antithyroperoxydase : entre la thyrotoxicose et la crise catécholaminergique et de anti-TPO) ; l’effet bénéfique de l’administration de β-bloquants dans ces ● effets indirects liés à l’iode : après trois mois de traitement, deux pathologies. Le mécanisme de cette altération met en un état stable est obtenu, la TSH étant revenue à son taux cause la modulation de l’expression du récepteur adréner- normal après 12 semaines de traitement : gique et des modifications de la signalisation cellulaire en ○ à cette époque, une hypothyroïdie peut être induite par aval de ce récepteur par les hormones thyroïdiennes l’amiodarone surtout dans les zones d’apports iodés nor- elles-mêmes ; maux, chez les femmes, chez les sujets porteurs d’anti- ● amplification de la réponse cellulaire aux hormones corps antithyroïdiens et lorsque la TSH préthérapeutique thyroïdiennes : ce mécanisme a été principalement évoqué est élevée ; au cours de situations pathologiques, telles que le sepsis, ○ à l’inverse, une TIA de type 1 est fréquente dans les l’hypoxie, l’hypovolémie et l’acidose métabolique. zones d’apports iodés faibles : il s’agit d’une hyperthy- roïdie induite par l’iode, liée à l’augmentation de la syn- thèse et la sécrétion d’hormones thyroïdiennes et qui se 6.2. Atteinte cardiovasculaire : Fig. 1 développe généralement chez des patients ayant une pathologie thyroïdienne sous-jacente. Au cours des hyperthyroïdies infracliniques, des études échocardiographiques ont mis en évidence [17] : Les deux formes de TIA ne diffèrent pas cliniquement ou biologiquement, mais une échographie-doppler thyroïdienne permet de séparer la TIA de type 1 (thyroïde nodulaire, hyper- ● une augmentation de la fréquence cardiaque (FC) au repos hémique) de la TIA de type 2 (tissu thyroïdien hypovascula- et à l’effort ; risé) et donc de diriger l’attitude thérapeutique, car ce dernier ● une augmentation de la masse musculaire du ventricule gau- type d’hyperthyroïdie semble associé à une surmortalité par che (VG) ; rapport aux autres causes plus fréquentes (maladie de Basedow ● une dysfonction diastolique du VG avec augmentation du et goitre multinodulaire toxique), d’autant plus que coexiste temps de relaxation isovolémique et diminution du ratio une insuffisance ventriculaire gauche [15]. des vélocités de pointe précoces sur tardives du flux transmitral ; 6. Physiopathologie ● diminution de la fraction d’éjection du VG à l’exercice. 6.1. Crise thyrotoxique Toutes ces anomalies régressent sous β-bloquants. Les raisons pour lesquelles certaines circonstances déclen- chent une crise thyrotoxique chez des patients hyperthyroïdiens sont mal connues. Plusieurs facteurs semblent être en cause, plus ou moins simultanément : ● taux circulants élevés d’hormones thyroïdiennes : bien que cela puisse paraître une lapalissade, le taux d’hormones thy- roïdiennes circulantes n’est pas beaucoup plus élevé au cours de la crise thyrotoxique que chez les patients hyper- thyroïdiens à l’état stable. Une seule étude a rapporté des taux plus élevés de thyronine libre chez les patients au cours d’une crise thyrotoxique en comparaison à des patients hyperthyroïdiens non compliqués [16]. À noter cependant que les taux de thyronine totale sont étonnam- ment similaires dans les deux groupes ; Fig. 1. Physiopathologie de l’atteinte cardiaque dans la thyrotoxicose [18,21, ● augmentation rapide et brutale du taux d’hormones 20]. thyroïdiennes : il s’agirait du facteur primordial dans la sur- RAA : Rénine–angiotensine–aldostérone ; EPO : érythropoïétine ; FC : fré- venue de la crise, beaucoup plus significatif que la valeur quence cardiaque ; FEVG : fraction d’éjection du ventricule gauche.
500 M. Thirion et al. / Réanimation 15 (2006) 497–505 Au cours de l’hyperthyroïdie clinique, la tachycardie, précharge, qui peut encore s’aggraver en cas de fibrillation l’éréthisme vasculaire, l’augmentation de la pression pulsée auriculaire ; sont fréquents, voire constants. La physiopathologie de l’état ● la vasodilatation artérielle par diminution des résistances cardiocirculatoire hyperdynamique reste cependant incertaine vasculaires périphériques, avec l’augmentation du volume [18,19]. sanguin et l’augmentation du retour veineux qui en découle Deux hypothèses ont cours : peuvent dépasser des capacités cardiaques altérées et entraî- ner une défaillance cardiaque ; ● hypothèse vasculaire : les hormones thyroïdiennes majorent ● l’administration des traitements, notamment les β-bloquants, la relaxation du muscle lisse, et de ce fait, diminuent les peut déclencher une insuffisance cardiaque. résistances vasculaires et donc la postcharge. Cela entraîne- rait une redistribution du sang du secteur artériel vers le 7. Présentation clinique secteur veineux, conduisant à un « désamorçage » de l’arbre vasculaire artériel. Avec l’augmentation conjointe du ● Signes d’hyperthyroïdie : volume sanguin total (cf. infra), le retour veineux augmente, ○ asthénie, perte de poids ; entraînant l’augmentation du débit cardiaque ; ○ nervosité, anxiété, tremblement fin ; ● hypothèse myocardique : les hormones thyroïdiennes sont ○ diarrhée motrice. L’anorexie, associée à des nausées et chronotropes et bathmotropes positives. L’augmentation de vomissements est plus rare ; la FC entraîne une augmentation du travail d’éjection quelle ○ palpitations, tachycardie, voire fibrillation auriculaire, que soit la précharge (augmentation de la contractilité myo- HTA ; cardique, relation force–fréquence). La relaxation myocar- ○ infertilité, diminution de la libido, aménorrhée ; dique est elle aussi augmentée, induisant ainsi une majora- ○ moiteur de la peau, intolérance à la chaleur ; tion du remplissage précoce (effet lusitropique). Cependant, ○ troubles des phanères : ongles mous, cheveux fins et la tachycardie n’augmente pas la performance cardiaque si cassants ; la précharge n’augmente pas elle aussi ou au moins reste ● présentations particulières : constante, car la tachycardie diminue le temps de remplis- ○ ophtalmopathie et myxœdème de la maladie de sage diastolique, majorant la dépendance à la systole auri- Basedow : l’ophtalmopathie est présente chez 50 % des culaire. patients atteints de la maladie. Elle est liée à un œdème et une inflammation des muscles périorbitaires. Elle Lors de la thyrotoxicose, la précharge est fréquemment aug- associe exophtalmie, rétraction de la paupière, proptosis mentée grâce à la stimulation du système rénine–angiotensine– et œdème périorbitaire. Elle peut persister malgré un aldostérone et la régulation positive de la sécrétion d’érythro- traitement efficace de l’hyperthyroïdie et peut se compli- poïétine, sans que cette variation soit significativement remar- quer d’une atteinte cornéenne et d’une névrite optique quable. Néanmoins, elle permet de maintenir un volume san- compressive. guin en rapport avec la tachycardie et induit ainsi une L’atteinte cutanée (myxœdème chronique) est plus rare : augmentation du débit cardiaque. L’augmentation de la elle touche 1 à 2 % des patients. Il s’agit d’un œdème contractilité myocardique reste quant à elle controversée. Elle prétibial ne prenant pas le godet, contenant un infiltrat serait liée à une modification de la synthèse de la chaîne lourde lymphocytaire ; de la myosine, à une augmentation de la transcription du gène ○ paralysie périodique thyrotoxique hypokaliémique : il codant pour l’ATPase et à l’augmentation de l’utilisation du s’agit d’une complication potentiellement létale de glucose et du calcium entraînant une « cardiomyopathie » l’hyperthyroïdie, caractérisée par une paralysie muscu- réversible [20]. laire et une hypokaliémie parfois profonde secondaire à La réalité consiste probablement en une synthèse de ces un transfert massif de potassium vers le secteur intracel- deux hypothèses. Elles expliquent l’augmentation de la lulaire [22]. Habituellement retrouvée chez les sujets FEVG et du débit cardiaque qui peut atteindre une augmenta- masculins, entre 20 et 40 ans, d’origine asiatique, elle tion de 50 à 300 % par rapport à des sujets normaux [21]. concerne 1,8 et 1,9 % des hommes hyperthyroïdiens chi- Par ailleurs, les hormones thyroïdiennes modifient l’excita- nois et japonais respectivement. Son incidence augmente bilité myocardique, ce qui explique les arythmies observées. dans les pays développés du fait de l’immigration [23– Enfin, la défaillance cardiaque observée dans l’hyperthyroï- 25]. Cliniquement, il s’agit d’épisodes transitoires, die a souvent plusieurs mécanismes : récurrents de déficits musculaires d’intensité variable pouvant conduire à une paralysie flasque prédominant ● impossibilité d’augmenter le débit cardiaque et de diminuer en proximal sur les membres, parfois asymétrique et les résistances vasculaires périphériques, notamment lors de qui est corrélée à la profondeur de l’hypokaliémie. Les l’exercice, entraînant une inadéquation entre le débit car- épisodes sont souvent déclenchés par une ingestion mas- diaque et l’augmentation de la demande périphérique ; sive de glucides, d’alcool ou après un exercice physique ● l’hypertrophie ventriculaire, la diminution du temps de rem- intense. La présentation clinique peut mimer un syn- plissage diastolique peuvent conduire à une diminution de la drome de Guillain-Barré, mais les muscles respiratoires
M. Thirion et al. / Réanimation 15 (2006) 497–505 501 et le bulbe sont rarement atteints [26]. Cette pathologie 29 mmHg après traitement) [28]. Les hypothèses pour en concomitante d’une hyperthyroïdie serait due à une expliquer le mécanisme sont l’augmentation du débit mutation de la pompe Na/K ATPase musculaire, bien cardiaque et/ou celle des résistances vasculaires ; que des résultats contradictoires aient été trouvés dans ○ atteinte du SNC : agitation, psychose, coma ; les études génétiques d’association [27]. En effet, la thy- ○ atteinte digestive : les vomissements, diarrhées, occlu- rotoxicose entraîne une augmentation de l’activité des sion intestinale sont fréquents et aggravent la déshydra- pompes Na/K ATPase chez des patients qui ont cette tion secondaire à l’hyperthermie, et les troubles du prédisposition génétique, qui est responsable d’une acti- rythme supraventriculaire en raison des perturbations vation préalable de ces canaux. Cela conduit au transfert métaboliques qu’elles entraînent. L’ictère, d’origine intracellulaire de potassium et à l’hypokaliémie. La nor- inconnue, serait un signe pronostique péjoratif. malisation des taux d’hormones thyroïdiennes permet la disparition de la symptomatologie ; Lors des crises sévères, il est habituel de retrouver un fac- ● formes cliniques, potentiellement létales. teur déclenchant : infection, chirurgie, acidocétose diabétique, La thyrotoxicose peut mettre en jeu le pronostic vital par insuffisance cardiaque congestive, embolie pulmonaire, acci- plusieurs mécanismes : dent vasculaire cérébral, ischémie mésentérique, traumatisme ○ hyperthermie : elle est fréquente, associée à des sueurs récent [36], hypoglycémie, toxémie gravidique, péri- ou post- profuses et à une déshydratation, elle peut parfois attein- partum, stress émotionnel important, accès maniaque, traite- dre des valeurs extrêmes et doit être traitée rapidement ; ment par iode radioactive, administration de produit de ○ atteinte cardiaque : la tachycardie sinusale supérieure à contraste iodé, retrait du traitement antithyroïdien, traitement 140/min est fréquente. La fibrillation auriculaire est une par l’amiodarone… complication non rare et semble plus fréquemment asso- Malgré cette richesse sémiologique, le diagnostic de la ciée à une insuffisance mitrale, qui est souvent liée à un « crise thyrotoxique » reste controversé car aucun critère cli- prolapsus valvulaire (43 %) [28]. nique ou biologique ne semble suffisamment spécifique. Pour La cardiothyréose est la forme grave de l’atteinte car- éviter une hétérogénéité de ce diagnostic, une échelle clinique diaque [29] : il s’agit d’un syndrome hyperkinétique prédictive a été développée, mais elle reste d’une utilisation (cf. 6). Son mécanisme est médié par les hormones peu répandue (Tableau 1). thyroïdiennes : augmentation de la densité des récepteurs β-adrénergiques et de la transcription du gène codant 8. Données paracliniques et moyens diagnostiques pour la Ca2+-ATPase [19,21] ; et est soutenu par la syn- thèse appropriée d’ATP, de créatine et créatinine- ● Signes biologiques associés, non spécifiques : phosphate [30]. Secondairement, sous l’effet d’une ○ l’hypercalcémie est présente dans 10 % des cas ; hypersensibilité aux catécholamines, leur synthèse dimi- ○ l’hyperglycémie modérée ou une déstabilisation d’un nue entraînant la défaillance cardiaque. Celle-ci fait toute diabète préexistant ; la gravité de la cardiothyréose et est associée à une sur- ○ diminution du cholestérol total et LDL [37] ; mortalité [15]. ○ l’hypokaliémie, parfois associée à une hypophospho- L’ECG peut mimer une atteinte coronaire et l’étude du rémie et à une hypomagnésémie et une augmentation tissu cardiaque en microscopique électronique met en des CPK est évocatrice de paralysie périodique évidence une lyse des myofibrilles, une myofibrose et hypokaliémique ; un aspect de « mitochondriopathie ». L’ischémie myo- ● signes biologiques spécifiques : méthodes diagnostiques : cardique peut être présente du fait de l’augmentation de ○ Profil biologique typique : la demande du myocarde. Un spasme coronarien pourrait – augmentation de la thyroxine (T4) circulante et de la être associé en l’absence d’athérosclérose [20]. tri-iodothyronine (T3) libre ; La gravité de l’atteinte cardiaque augmente avec l’âge et – diminution de la TSH ; la présence d’une cardiopathie sous-jacente. Les signes ○ 1 % des patients a des valeurs normales de thyroxine, cardiaques peuvent être au premier plan, notamment voire de T3 totale ; chez les patients âgés, et masquer les autres signes ○ lorsque l’augmentation des hormones thyroïdiennes d’hyperthyroïdie [31,32]. Une cardiomyopathie dilatée s’accompagne d’une valeur de TSH normale, la possibi- peut être présente que d’aucuns attribuent à l’hyperthy- lité d’une sécrétion inappropriée de TSH doit être évo- roïdie [33]. À une phase tardive, des troubles du rythme quée, dans le cadre d’une tumeur pituitaire ou d’un syn- ventriculaire, voire un arrêt cardiaque ont été décrits drome de résistance aux hormones thyroïdiennes ; [34]. ○ maladie de Basedow : on recherchera les anticorps spé- L’hypertension artérielle pulmonaire ne semble pas rare cifiques, dirigés contre le récepteur de la TSH ; dans la maladie de Basedow [35]. Une étude prospective ● diagnostics différentiels devant une TSH basse : semble montrer qu’elle est associée à l’hyperthyroïdie et ○ « Euthyroid sick syndrome » : il s’agit d’une pathologie régresse après le traitement de celle-ci (PAPs 38 mmHg décrite chez les patients de réanimation, où la diminution en moyenne versus 27 mmHg chez les sujets témoins et de la TSH ne traduit pas une hyperthyroïdie mais un
502 M. Thirion et al. / Réanimation 15 (2006) 497–505 Tableau 1 9.1. Traitement spécifique visant à diminuer le taux Échelle prédictive de la crise thyrotoxique [58] d’hormones circulantes Paramètre Score Dysfonction de la thermorégulation (T° C) L’histoire naturelle de l’hyperthyroïdie infraclinique reste 37,2–37,7 5 37,8–38,3 10 peu claire, et en l’absence de signe clinique, la surveillance 38,4–38,8 15 seule est la règle bien qu’il n’existe pas de consensus [39]. 38,9–39,3 20 Dans ce cas particulier, les traitements mentionnés ci-dessous 39,4–39,9 25 restent sujets à discussion [40,41]. > 40 30 Troubles neurologiques Absence 0 9.1.1. Substances antithyroïdiennes de synthèse (ATS) : propyl- Minimes (agitation) 10 thiouracile (PTU), benzyl-thiouracile, carbimazole [42] Modérés (délire, psychose, léthargie extrème) 20 Ces médicaments bloquent l’organification de l’iode au sein Sévères (convulsions, coma) 30 de la thyroïde et sont de ce fait les substances de premier Troubles digestifs choix. Le PTU est préféré aux autres car il bloquerait de sur- Absence 0 Modérés (diarrhée, nausées, vomissements, 10 croît la conversion périphérique de T4 en T3. Ils ne sont admi- douleur abdominale) nistrés que par voie orale, bien que la voie rectale puisse être Sévères (ictère) 20 utilisable dans des cas exceptionnels [43]. Les doses recom- Tachycardie (/min) mandées sont : PTU 200–250 mg toutes les six heures ; carbi- 99–109 5 mazole 20 mg toutes les six heures. 110–119 10 120–129 15 Ce traitement permet habituellement de contrôler l’hyper- 130–139 20 thyroïdie chez 90 % des patients en quelques semaines. >140 25 Les effets secondaires sont rares mais notables : agranulocy- Insuffisance cardiaque congestive tose (0,1–0,5 %), hépatotoxicité (0,1 à 1 %), polyarthrite Absence 0 (1–2 %), vascularite induite [44]. Minime (OMI) 5 Modérée (crépitants bilatéraux) 10 Il est recommandé d’y associer de l’iode non-radioactive Sévère (OAP) 15 afin d’éviter un relargage d’hormones thyroïdiennes : solution Fibrillation auriculaire lugol dix gouttes trois fois par jour. Absente 0 Présente 10 9.1.2. Iode radioactive Facteur déclenchant Absent 0 Il s’agit d’un traitement efficace chez les patients atteints de Présent 10 la maladie de Basedow ou d’un goitre multinodulaire toxique, Un score total supérieur ou égal à 45 est hautement suggestif de crise permettant de contrôler l’hyperthyroïdie chez 80–90 % des thyrotoxique ; inférieur à 25 la rend improbable. OMI : œdèmes des membres patients en huit semaines [12]. Il peut en revanche aggraver inférieurs ; OAP : œdème aigu du poumon. l’ophtalmopathie. Cet effet secondaire peut être diminué par l’administration concomitante de glucocorticoïdes. freinage primitif de la sécrétion de TSH dans le cadre Il existe une contre-indication relative à ce traitement chez d’une éventuelle défaillance multiviscérale et de troubles l’enfant et l’adolescent, et absolue chez la femme enceinte ou endocriniens complexes [38] ; allaitant. ○ causes iatrogènes : certains médicaments, tels que les L’association de lithium (900 mg/j, six jours de suite dès glucocorticoïdes et la dopamine peuvent entraîner une l’administration de l’iode) permet de contrôler plus rapidement suppression de la sécrétion de TSH ; l’hyperthyroïdie. ○ hypothyroïdie d’origine centrale : l’hypothyroïdie d’origine centrale ou l’insuffisance antéhypophysaire 9.1.3. Chirurgie sont responsables d’une diminution de la TSH, qui Une thyroïdectomie totale ou subtotale peut être parfois s’accompagne cette fois d’une diminution des hormones nécessaire. C’est le traitement de choix de la thyrotoxicose thyroïdiennes associée à des signes d’hypothyroïdie. liée au goitre toxique qui reste habituellement réfractaire au traitement médical combinant ATS et β-bloquants [11]. Il 9. Traitement et prévention s’agit d’une chirurgie à haut risque chez les patients âgés, pré- sentant des comorbidités notamment cardiovasculaires, mais une étude a montré des résultats favorables chez des patients Le traitement de la crise thyrotoxique ne se conçoit que âgés [11]. Par ailleurs, cette procédure comporte des risques dans un service de soins intensifs et a plusieurs objectifs : d’hypoparathyroïdie et de lésions récurrentielles dans 1 à 2 % des cas. ● diminuer le taux circulant d’hormones thyroïdiennes ; ● antagoniser leur action périphérique ; 9.1.4. Plasmaphérèse et hémoperfusion ● traiter les défaillances systémiques ; La plasmaphérèse et l’hémoperfusion ont été proposées ● rechercher et éliminer le facteur déclenchant. comme traitements d’exception dans la prise en charge de la
M. Thirion et al. / Réanimation 15 (2006) 497–505 503 thyrotoxicose : le rationnel sous-tendant ce traitement repose l’indication sur le fait que la tachycardie participe à l’insuffi- sur l’épuration des hormones thyroïdiennes. Ces techniques sance cardiaque (cf. 6) [56]. n’ont cependant été décrites que dans des cas cliniques anciens [45–49], avec un doute, autant sur leur indication que sur leur 9.2.2. Inhibiteurs calciques bradycardisants efficacité réelle [50,51]. Par ailleurs, ces techniques comportent Vérapamil : il peut être utilisé en cas de diminution de la un risque pour le patient, en termes d’accès veineux et d’immu- sensibilité au propanolol, notamment chez le sujet âgé [29]. nodépression induite, et ne devraient être réalisées dans cette indication précise que dans le cadre d’un protocole thérapeu- 9.2.3. Digitaliques tique [52]. Bien que la fibrillation auriculaire de la thyrotoxicose soit classiquement résistante aux digitaliques, leur utilisation, en 9.1.5. Cas particuliers association aux β-bloquants, est parfois nécessaire pour la contrôler [53]. ● TIA de type 1 : l’arrêt de l’amiodarone est recommandé. Le traitement repose sur les ATS. De fortes doses peuvent être 9.2.4. Support hémodynamique nécessaires ; Il est parfois nécessaire en cas de défaillance cardiaque ● TIA de type 2 : le traitement repose sur la corticothérapie. sévère [56]. Le recours aux amines pressives s’avère parfois L’abstention thérapeutique est la règle lorsque l’atteinte est inefficace, et, dans des situations d’exception, l’indication modérée. L’arrêt de l’amiodarone n’est pas nécessaire ; d’un support hémodynamique par ballon de contre-pulsion ● paralysie périodique hypokaliémique : la supplémentation intra-aortique [57] ou même assistance circulatoire externe potassique pendant la crise fait partie intégrante du traite- peut être discuté dans des centres spécialisés. ment. 9.3. Traitement préventif 9.2. Traitement symptomatique 9.3.1. Au cours de la grossesse En dehors des traitements habituels des défaillances d’orga- Chez une femme hyperthyroïdienne traitée par l’iode radio- nes, propres à la réanimation, certains médicaments ont un rôle actif, la grossesse est contre-indiquée dans les six mois suivant spécifique dans la prise en charge de la thyrotoxicose. le traitement du fait des risques tératogènes. En cas de traite- ment par les antithyroïdiens de synthèse (ATS), on conseille de poursuivre le traitement pour une durée totale de 18 mois à 9.2.1. β-bloquants deux ans et d’attendre six mois après l’arrêt avant d’initier la Propanolol, aténolol, par voie orale ou intraveineuse per- grossesse. Si la grossesse survient en cours de traitement, les mettent de bloquer les effets périphériques des hormones thy- ATS doivent être remplacés par le propyl-thiouracile (PTU) à roïdiennes. Le propanolol à hautes doses inhibe par ailleurs la dose minimale efficace du fait de son moindre passage trans- conversion périphérique de T4 en T3, mais cette action n’est placentaire, diminuant ainsi le risque d’hypothyroïdie et de goi- pas immédiate (une semaine). Il ne s’agit donc pas de l’effet tre fœtal. recherché. Le propanolol a par ailleurs des effets bénéfiques sur les signes cliniques tels que fièvre, sueurs, agitation et 9.3.2. Au cours du traitement par amiodarone signes digestifs. Actuellement, cependant, de nombreux β- Il n’existe pas de recommandations formelles concernant la bloquants ont été utilisés avec une efficacité qui semble iden- surveillance thyroïdienne des patients traités par amiodarone. tique à celle du propanolol [53]. Ils permettent d’améliorer cer- Un bilan thyroïdien avant l’instauration du traitement est tains signes cliniques : tremblement, nervosité, myopathie et justifié : dosage de TSH, T3 et T4 libres, ainsi que recherche fatigabilité musculaire, ainsi que la paralysie chez les patients d’anticorps anti-TPO. Ce dernier examen permettra, non seule- atteints de paralysie périodique hypokaliémique. Le propanolol ment de diagnostiquer les patients atteints de thyroïdite auto- est classiquement recommandé avant la thyroïdectomie [54]. immune paucisymptomatiques, mais aussi d’identifier les Les β-bloquants ont un intérêt dans la cardiothyréose en patients à risque de développer une TIA de type 2. diminuant la tachycardie, sans altérer l’inotropisme positif lié Le bilan thyroïdien devrait être répété à trois mois de traite- aux hormones thyroïdiennes. L’insuffisance cardiaque de la ment, puis, en cas de normalité, tous les six mois. cardiothyréose n’est donc pas une contre-indication aux β- bloquants. Ils peuvent cependant aggraver l’insuffisance car- diaque chez le patient hyperthyroïdien traité dans certaines cir- 10. Conclusion constances telles que la chirurgie thyroïdienne [55] ou entraîner un collapsus lors des crises thyrotoxiques [56]. La thyrotoxicose est une pathologie fréquente, dont les com- De ce fait, chez les patients hospitalisés pour cardiothy- plications peuvent mettre en jeu le pronostic vital, y compris réose, l’utilisation des β-bloquants au cours de l’insuffisance chez des patients jeunes et sans comorbidité. Les complications cardiaque doit être prudente, avec une préférence pour les cardiaques sont au premier plan, avec une atteinte cardiaque médicaments de durée d’action courte (esmolol), et en fondant initialement hyperkinétique, qui peut décompenser et rend
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