TOURNANT DECISIF Quel futur pour les populations et les ressources forestières au sein du nouvel ordre mondial ? - Rights and Resources Initiative

 
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Droits et Ressources
                                 2011–2012

TOURNANT DECISIF
Quel futur pour les populations et les
ressources forestières au sein du nouvel
ordre mondial ?
Initiative des Droits et Ressources

          L’Initiative des Droits et Ressources (RRI) est une coalition stratégique
composée d’organisations internationales, régionales et communautaires engagées
dans le développement, la recherche et la conservation afin de promouvoir des
réformes de la tenure, des politiques et des marchés forestiers au niveau mondial.
          La mission de l’Initiative pour les Droits et Ressources est de soutenir la
lutte des communautés locales et des peuples autochtones contre la pauvreté et la
marginalisation, en encourageant une vaste mobilisation et des actions à l’échelle
mondiale en faveur de réformes politiques, juridiques et des marchés qui garantissent
aux populations le droit de posséder, de contrôler et de tirer profit des ressources
naturelles, en particulier la terre et les forêts. RRI est coordonnée par le Groupe pour
les Droits et Ressources, une organisation à but non lucratif basée à Washington,
D.C. Pour plus d’informations, veuillez consultez www.rightsandresources.org.

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   Les opinions exprimées ici sont celles de leurs auteurs et ne sont pas nécessairement
   partagées par les organismes qui ont généreusement soutenu ce travail ou l’ensemble
                              des partenaires de la coalition.
En bref :

 DROITS ET RESSOURCES 2011-2012

        Dans le monde, l’utilisation et la gestion des ressources naturelles, les systèmes d’échange et les
 régimes de gouvernance connaissent tous des mutations importantes depuis plusieurs années. Pourtant,
 il se peut que l’on se souvienne de 2011 comme d’un tournant décisif, caractérisé notamment par le
 transfert avéré du pouvoir politique et économique en direction des économies émergentes, l’acceptation
– de la part des économies dominantes « classiques » – de la pénurie croissante des ressources
 naturelles, et la réalisation qu’il est nécessaire de respecter les populations locales et leurs ressources
 pour garantir une meilleure pratique du développement au niveau national comme mondial.
        L’année 2011 a été caractérisée par une aggravation de la crise économique. Les économistes
 prédisent une longue récession, voire même une « décennie perdue ». Les gouvernements occidentaux
 et les institutions multilatérales voient leur suprématie reculer dans tous les domaines – du commerce
 international aux négociations sur le changement climatique. De nouveaux acteurs du monde en
 développement s’arrogent leur place, leur ascendance se trouvant accélérée par le déclin de l’Occident.
 Si la population mondiale a atteint sept milliards en 2011, presque partout les perspectives démographiques
 révèlent l’existence de familles moins nombreuses et la progressive stabilisation de la population mondiale.
 Sur le long terme, la véritable menace qui pèse sur les ressources n’est pas tant celle de la population
 que celle d’une consommation en hausse, entraînée par les demandes des classes moyennes urbaines
 en plein essor dans l’ensemble du monde en développement.
        L’émergence d’un nouvel ordre mondial engendre de nouvelles menaces sur les ressources naturelles,
 les forêts et leurs « gardiens » traditionnels. La forte progression des investissements dans les secteurs
 des infrastructures et de l’exploitation minière en Asie et en Amérique latine gagne maintenant l’Afrique,
 avec le risque d’enfermer la région dans un processus de développement non renouvelable pendant des
 décennies. Les nouveaux promoteurs se sentent souvent libérés de toute contraintes environnementales
 et sociales, celles là-même qui ont récemment gêné leurs homologues occidentaux.
        Mais il y a des raisons d’espérer – et cet espoir provient largement des communautés locales et
 d’acteurs privés progressistes. Il devient difficile d’ignorer ceux qui assurent localement la conservation
 des ressources naturelles mondiales restantes. La reconnaissance, en 2011, de l’importance des
 communautés forestières dans le maintien de puits de carbone forestier indispensables n’en est qu’un
 exemple. La progression de mouvements populaires revendiquant un contrôle plus important sur les
 ressources locales défie le statu quo et mène à des changements politiques à l’échelon local – changements
 qui, à leur retour, exercent une influence au niveau international.
        La résistance des communautés locales observée en 2010 a conduit à des victoires notables en
 2011. Le nouvel ordre mondial reconnaîtra-t-il et respectera-t-il les droits des communautés ? Soutiendra-
 t-il une utilisation durable de leurs ressources ? Y aura-t-il à l’échelle mondiale un changement de cap
 en faveur d’une gouvernance plus inclusive ? Ou nous faudra-t-il encore être les témoins de la même
 domination des populations locales et du même gaspillage des ressources naturelles – mais par des
 maîtres différents ? Les évolutions futures sont largement tributaires du respect des droits des populations
 rurales et forestières dans le monde en développement et de leur capacité à s’organiser et à gérer les
 ressources naturelles essentielles à la survie et à la prospérité de l’humanité.

                                                     1
Remerciements :

Ce rapport a été préparé par Fred Pearce et l’équipe de l’Initiative des Droits
et Ressources (RRI) avec des contributions des Partenaires et Affiliés de RRI.
Les auteurs remercient Alastair Sarre pour son aide précieuse à la rédaction.

Initiative des Droits et Ressources (RRI)
Washington, D.C.
Copyright © 2012 Rights and Resources Initiative
Reproduction permise avec autorisation
ISBN 978-0-9833674-3-7

Conception graphique et mise en page par
Lomangino Studio (www.lomangino.com)

Impression sur du papier certifié par le Forest Stewardship Council (FSC)

                                         2
Sommaire
                                              En Bref : Droits et Ressources 2011-2012         1

                                                     Première Partie : Tournant Décisif        5
                                         Les ressources au cœur du nouvel ordre mondial        5
	                          Tenures forestières et lacunes dans leur mise en application :     9
                                       Les lois existent en théorie, mais pas sur le terrain

                                              Deuxième Partie : L’Année 2011 en Bref           11
                                             REDD vacille, la tenure gagne de la vitesse       11
         Boom des investissements dans les infrastructures et recrudescence des conflits       16
                                              Le scandale de l’accaparement des terres         18
                                      Sept milliards et le compteur continue de tourner :      21
                La consommation devance la population et devient une menace majeure
                            Indignation et occupation : Exaspération face aux inégalités       23

                           Troisième Partie : Questions pour 2012                              27
          L’année 2012 marquera-t-elle la fin des actions mondiales                            27
                            efficaces sur le changement climatique ?
     	REDD sera-t-il réformé ou suspendu ?                                                     27
              Où la réforme de la tenure conduira-t-elle l’Indonésie ?                         27
     	Rio va-t-il se concrétiser ?                                                             28
      Le respect des droits locaux sera-t-il la particularité de 2012 ?                        28

                                                                    EncadrÉs
                     La décennie perdue de Durban : Les plus pauvres engagés 12
                                                   dans un climat d’incertitude
Les marchés mondiaux du carbone forestier fonctionneront-ils vraiment un jour ? 13
                            Indonésie : Un engagement historique en faveur de 14
                                la réforme de la tenure dans un pays en conflit
	République centrafricaine /Nigéria : La cartographie de 15
                                  la tenure communautaire prend de l’ampleur
        Sud-Soudan : Des signaux d’alarme dans la plus jeune nation du monde 17
	Chine/Canada : L’insécurité de la tenure coûte 5 milliards 20
                                          de dollars à une entreprise forestière

                                                                            Illustrations
                                                        1 . La tenure forestière par région 7
                                     2. Un regard régional sur les acquisitions foncières 18
                     3. Les classes moyennes à l’échelle mondiale, estimation pour 2030 21

                                                3
Acronymes

ACOFOP     Association des Communautés Forestières de Petén
AIE        Agence Internationale de l’Énergie
BBC        British Broadcasting Corporation
BRIC       Brésil, Russie, Inde et Chine
CIFOR 	Centre international de recherche en foresterie
CIVETS 	Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie et Afrique du Sud
COGMET	République du Congo, Ghana, Mozambique, Éthiopie et Tanzanie
OSC        Organisation de la Société Civile
FMI	Fonds Monétaire International
FPP        Programme pour les populations forestières
ONG        Organisation non gouvernementale
PNUE       Programme des Nations Unies pour l’Environnement
RDC 	République Démocratique du Congo
REDD 	Réduction des émissions issues de la déforestation
       et de la dégradation des forêts
IEA        International Energy Agency
RRI        L’Initiative des Droits et Ressources
RSPO	Table ronde pour une huile de palme durable
TIPNIS 	Territoire autochtone et Parc national Isiboro Sécure

                                               4
Première Partie :

Tournant Décisif
                                                                         1
Les ressources au cœur du nouvel ordre mondial
      Le monde a changé. La perte, par l’Occident, de sa prédominance politique
et économique a fait de l’année 2011 un tournant décisif. La crise de la dette
souveraine qui sévit en Europe freine les économies occidentales, leurs marchés et
leur influence politique. En janvier 2011, le Fonds Monétaire International (FMI)
prévoyait une croissance annuelle allant jusqu’à 3%, mais tous s’attendaient à une
récession une fois l’année écoulée. Au mois de novembre, la directrice du FMI,
Christine Lagarde, mettait en garde contre l’imminence d’une « décennie perdue »
en Occident1, alors que les gouvernements limitaient leurs dépenses pour faire face
à la dette.
      De nombreux pays en développement, eux, ont à
                                                               Rien n’illustre
peine senti les effets de la crise en 2011. La Chine a          mieux le transfert
terminé l’année comme elle l’avait commencée, avec des          historique du
prévisions de croissance économique supérieures à 9%.           pouvoir économique
L’Inde a progressé en force avec une croissance supérieure      au cours de l’année
à 8%. Si la croissance du Brésil a fléchi en 2011, il est      2011 que l’Union
prévu qu’elle accélère à nouveau en 2012. Selon le FMI,         Européenne se
les économies de l’Afrique subsaharienne devraient              rendant en Chine,
connaître une croissance de presque 6% en 2012 et,              la queue entre
d’après la Banque Mondiale, « l’Afrique pourrait être           les jambes, pour
sur le point de connaître un décollage économique » .   2       demander   un
                                                                sauvetage financier.
      Rien n’illustre mieux le transfert historique du
pouvoir économique au cours de l’année 2011 que
l’Union Européenne se rendant en Chine, la queue entre les jambes, pour demander
un sauvetage financier.
      Des bouleversements majeurs ont également affecté la gouvernance et les
systèmes politiques, sapant les vieilles certitudes et suppositions. Le Printemps arabe
a ouvert la voie à de nouveaux gouvernements en Afrique du Nord et a inspiré des
manifestations à travers le monde. En Afrique subsaharienne, deux pays sur trois
organisent maintenant des élections régulières. Fin 2011, le Libéria et la République
Démocratique du Congo (RDC) – deux pays auparavant en proie à la guerre – ont
réélu leurs dirigeants3. Inversement, selon l’indice de démocratie du journal The
Economist, l’année 2011 a été une année difficile pour la démocratie – une année

                                           5
au cours de laquelle les dirigeants de Moscou, de Kiev et de Budapest ont usurpé
les pouvoirs d’institutions indépendantes telles que les tribunaux, les médias et
le pouvoir juridique. Dans les pays rongés par la dette comme la Grèce et l’Italie,
des gouvernements élus démocratiquement ont cédé la place à des cabinets de
technocrates non-élus.
      Depuis plusieurs années, les économies des pays en développement connaissent
une croissance supérieure à celle qu’affichent les économies occidentales. Fait
nouveau en 2011, ces économies ont continué à avancer en tête, alors que
l’Occident s’est enlisé. Certes, celles-ci pourraient souffrir dans le futur d’une baisse
de la demande des pays développés ; toutefois, on assiste à l’émergence d’une
tendance capitale : alors que les pays en cours d’industrialisation (tels que la Chine)
se consacraient auparavant à approvisionner l’Occident, ils doivent aujourd’hui
répondre à la demande croissante de leurs propres classes moyennes. En 2011, la
Banque africaine de développement a signalé que les classes moyennes africaines
avaient augmenté de 60% entre 2000 et 2010.4
                                        Au rythme actuel, la taille des économies de
                                  la plupart des autres pays du monde aura doublé
    Les communautés
                                  lorsque s’achèvera la décennie perdue de l’Occident
    forestières seront-
    elles en mesure de             – ce qui multipliera par deux leur utilisation des
    promouvoir elles-             ressources naturelles et leurs contributions au
    mêmes un nouveau              changement    climatique et à la pollution mondiale.
    modèle économique             Pour la première fois en 2011, les consommateurs
    qui apprécie à                chinois ont généré, par l’intermédiaire de leurs
    leur juste valeur             achats, plus d’émissions de dioxyde de carbone
    les ressources                que les consommateurs américains.5 Leurs émissions
    naturelles et les             par habitant demeurent, bien sûr, très inférieures,
    droits de ceux qui           mais cela illustre clairement le renversement du
    les protègent ?              pouvoir économique.
                                        L’émergence de ce nouvel ordre mondial
soulève une question majeure, à savoir : les nouveaux maîtres à Shanghai, Mumbai,
São Paulo et ailleurs seront-ils meilleurs que les anciens maîtres à New York,
Londres et Tokyo ? Certes, les communautés forestières et d’autres sont plus proches
des nouveaux grands patrons de la planète ; mais cette proximité aura-t-elle un
effet positif sur l’agenda de la tenure forestière pour la simple raison que ces
problèmes ont lieu dans leurs propres pays ? Leurs gouvernements se montreront-ils
plus concernés maintenant que la vie et les moyens d’existence de leurs propres
concitoyens seront affectés ? Et, si ce n’était pas le cas, les communautés forestières
seront-elles en mesure de promouvoir elles-mêmes un nouveau modèle économique
qui apprécie à leur juste valeur les ressources naturelles et les droits de ceux qui
les protègent ?
      Ouvrant la voie à ce nouvel ordre mondial figurent les BRIC – le Brésil,
la Russie, l’Inde et la Chine. La Chine est déjà « l’atelier du monde » et la
superpuissance dominante en Asie de l’Est. L’économie en pleine expansion de
l’Inde est dopée par une classe moyenne nombreuse et instruite. Le Brésil est le
nouveau colosse agricole de la planète, dominant l’Amérique du Sud. La Russie
contrôle une richesse minérale et pétrochimique immense.

                                            6
Illustration 1 : La tenure forestière par région

           Afrique                                                   Asie                                           Amérique latine

   Administrées par le gouvernement                                         Sources : Sunderlin et al. 2008 ; OIBT/RRI 2009. Inclus les plus récentes
   Détenues par les communautés et les peuples autochtones                  données (jusqu’en décembre 2011) des 36 pays ayant les plus importants
   Affectées aux usages des communautés et des peuples autochtones          couverts forestiers du monde, et représentent 85% des forets mondiales.6

   Propriété des particuliers et des entreprises

      D’autres pays se sont engagés sur la « voie rapide » en 2011, notamment les
CIVETS – c.à.d. la Colombie, l’Indonésie, le Vietnam, l’Égypte, la Turquie et
l’Afrique du Sud. D’autres pays les rejoindront – tels que la République du Congo,
le Ghana, le Mozambique, l’Éthiopie et la Tanzanie (ou COGMET en anglais).
D’après le FMI, ces pays devraient connaître une croissance de plus de 7% par an
entre 2011 et 2015.7
      Tous les pays ne connaîtront pas une croissance aussi rapide. En 2011, de
nombreux pays pauvres ont vu les investissements des agences occidentales officielles
d’aide au développement être remplacés par de nouveaux investissements, tels que
les fonds souverains d’investissement du Golfe Persique, la banque chinoise Ex-Im
Bank et la Banque nationale de développement économique et social du Brésil. Ce
nouveau profil de l’aide à l’investissement peut ébranler les progrès accomplis en
matière environnementale et sociale au sein des projets de développement. En 2011,
des conflits ont éclaté au sujet de certains projets promus par la Chine, le Brésil et
d’autres. Cette situation illustre le revers de la médaille de ce nouvel ordre mondial.
      L’invasion des forêts africaines par les géants de l’huile de palme de l’Asie du
Sud-Est s’est nettement accrue en 2011. Le Ministre des marchandises de la Malaisie,
Bernard Dompok, a visité le continent en décembre à la recherche de nouveaux
accords pour l’huile de palme au Nigéria, en Afrique du Sud et au Maroc.8, 9 Cette
visite fait partie intégrante des profondes mutations affectant le pouvoir en Afrique –
mutations qui voient les anciennes puissances coloniales européennes perdre leur
influence économique.
      En août, le Mozambique a offert aux agriculteurs brésiliens près de six millions
d’hectares de terres « vides » pour cultiver du soja qui sera ensuite vendu à la
Chine.10 Les compagnies sucrières chinoises et sud-africaines achètent des droits
sur la terre et l’eau qui pourraient drainer le delta intérieur du Niger au Mali.11

                                                                        7
Des études datant de 2011 prévoient que les pays
en développement dépenseront plus de mille milliards           Si les nouveaux
de dollars par an, au cours des deux prochaines                maîtres se
décennies, pour construire des infrastructures de              comportent comme
transport, d’énergie et autres.12 Ces investissements          les anciens, les
affecteront d’immenses zones, y compris les forêts.            inégalités sociales
Et, selon la façon dont ces investissements sont               et la pénurie
dépensés, ils empêcheront, ou non, la mise en place            des ressources
de processus durables et équitables.                           poursuivront leur
      Les dépenses massives prévues dans le secteur            progression sans fin.
des infrastructures expliquent pourquoi l’Agence
Internationale pour l’Énergie (AIE), dans ses
« perspectives énergétiques mondiales pour 2011 », met en garde contre le fait que
la planète dispose, tout au plus, de six ans, pour passer à une énergie à faible teneur
en carbone ou affronter des changements climatiques irréversibles : « Si nous ne
changeons pas de cap maintenant, la porte se refermera à tout jamais », a déclaré
Faith Birol, l’économiste en chef de l’AIE.13 Pourtant, il semble que l’on tourne à
plein régime : en 2011, on prévoyait que la part de l’énergie primaire mondiale
issue du charbon (le combustible le plus polluant) s’élèverait à 30% – au lieu de
25% en 2006. Si l’on veut éviter une catastrophe environnementale, il faut que
le tournant géopolitique qui vient de se produire soit rapidement suivi d’un des
priorités environnementales.
      Toutefois, les modèles de développement actuels génèrent des transformations
sociales régressives. Le « progrès » économique s’accompagne d’une hausse des
inégalités à l’échelle mondiale. En 2011, l’Organisation de coopération et de
développement économiques a signalé que les écarts de salaire s’étaient creusés dans
presque tous les pays développés14 et que les inégalités étaient encore plus grandes
dans les pays en développement.15 En Inde, par exemple, les inégalités de revenus
ont doublé au cours des 20 dernières années.16 On rapporte que cinquante cinq
milliardaires détiennent des biens équivalant à un septième du produit national brut
du pays,17 alors que la moitié des enfants indiens sont mal nourris et que les trois
quarts de la population vit avec moins de 0,50 dollar par jour.
      Si les nouveaux maîtres se comportent comme les anciens, les inégalités sociales
et la pénurie des ressources poursuivront leur progression sans fin. Ces problèmes
produiront un mélange toxique capable de déstabiliser même les économies affichant
les croissances les plus rapides et de mettre en danger des ressources mondiales
cruciales, notamment la terre, la forêt et l’eau. La bonne nouvelle est qu’un tel
scénario peut être évité : l’économie du Brésil a crû rapidement pendant une décennie,
mais les inégalités de revenus se sont resserrées (et la destruction apparemment
inévitable des forêts tropicales a été énormément ralentie).18 L’année qui s’est écoulée
a également vu l’émergence du mouvement Occupy dans les capitales occidentales,
expression de la colère grandissante à l’égard des inégalités. Allié au militantisme
des pays en développement, ce mouvement des indignés peut défier les modèles
conventionnels de développement économique.19

                                           8
Tenures forestières et lacunes dans leur mise
en application : Les lois existent en théorie,
mais pas sur le terrain
       Mesurer les progrès de la réforme de la tenure à l’échelle mondiale est une tâche difficile. Les
statistiques sur la propriété des forêts nationales ne sont pas fréquemment mises à jour et souffrent de
définitions changeantes et d’informations contestées. L’année dernière, nous avions signalé la stagnation
des processus de dévolution des droits de tenure forestière aux communautés, tandis que l’octroi à court
terme de terres à des investisseurs connaissait une forte progression. Bien que la communauté internationale
ait prêté plus attention à ce problème, la tendance se poursuit en 2011.
	En dépit de la récession mondiale, on observe quelques avancées notables. Au Laos, par exemple,
le gouvernement a annoncé l’émission de 1,5 million de titres de propriété (y compris des titres fonciers
communautaires), dans le cadre d’un programme de cinq ans en vigueur jusqu’en 2015. Le gouvernement
a récemment émis son premier titre foncier communautaire dans le District de Songthong, au sein de la
préfecture de Vientiane. Celui-ci comprend quatre villages (Ban Xor, Ban Kouay, Ban Wang mar et Ban Na
Po) et couvre 24.889 hectares de terres.
	En 2011, RRI a analysé les régimes de tenure forestière de 30 des pays les plus boisés du monde
(représentant approximativement la moitié des forêts mondiales) 20. L’analyse a étudié 61 régimes de tenure
communautaire statutaires et le « paquet des droits » à la disposition des communautés. Ces droits
incluent l’accès aux ressources forestières ; la prise de décision concernant la gestion forestière ; la capacité
à exploiter le bois et les autres produits forestiers à des fins commerciales ; et la capacité à exclure les
étrangers. RRI a également cherché à savoir si les régimes de tenure autorisent à louer, vendre ou mettre
les forêts en gage, et s’ils garantissent aux communautés un jugement en bonne et due forme et une
indemnisation juste dans l’éventualité où l’État révoquerait ces droits. Quatre-vingt cinq pour cent des
régimes analysés ont été mis en place après 1992, l’année de l’historique Sommet de la Terre de Rio.
       Grâce à ces régimes, les droits des communautés et des peuples autochtones sur les ressources
forestières sont de plus en plus reconnus par les gouvernements au sein des législations nationales. Mais
la vaste majorité des régimes (58 sur 61) restreignent les droits communautaires en ne reconnaissant pas
un ou plusieurs droits du « paquet », ou en limitant leur exercice. Les droits les plus fréquemment absents
des législations sont le droit d’exclusion des étrangers et celui de location des terres. L’Amérique latine
possède le système de régimes de tenure forestière communautaire le plus large et le plus complexe : 24
régimes ont été identifiés dans huit pays. En Afrique, 35% des régimes ne peuvent être mis en œuvre car
les réglementations d’application exigées par la loi n’ont pas été adoptées.
       Les données concernant la superficie forestière relevant de chacun de ces régimes sont disponibles
pour 42 des 61 régimes analysés. Ces données reflètent les informations officielles sur les zones allouées à
chaque régime et s’expriment en pourcentage de la superficie totale des forêts de chaque pays. Elles montrent
les différentes façons dont les lois relatives à la tenure communautaire sont mises en pratique en Asie, en
Amérique latine et en Afrique. Dans les huit pays asiatiques pour lesquels des données sont disponibles, 35%
des forêts relèvent de régimes de tenure communautaire (principalement grâce à la Chine). Dans les six pays
latino-américains pour lesquels des données sont disponibles, 28% des forêts relèvent de régimes de tenure
communautaire (principalement grâce au Brésil). Tandis que dans les huit pays africains pour lesquels des
données sont disponibles, seulement 5% des forêts relèvent de régimes de tenure communautaire 21.
       De sérieux efforts doivent être faits en 2012, aussi bien pour mettre en application les législations
en faveur de la tenure communautaire que pour défendre les droits existants. De bonnes lois inscrites sur
le papier n’aideront en rien les populations sur le terrain – et le reste du monde qui dépend de ces ressources
– si elles ne sont pas mises en application.

                                                       9
Deuxième Partie :

L’Année 2011 en Bref
                                                                         2
REDD vacille, la tenure gagne de la vitesse
      Le cadre institutionnel mondial pour la gouvernance et le développement
économiques est en train de tomber en panne. La Banque Mondiale et les agences
occidentales officielles d’aide au développement voient leur influence décliner.
Les espoirs soulevés en 1992 par le Sommet de la Terre de Rio, les objectifs de lutte
contre la pauvreté définis en 2002 lors du Sommet de la Terre de Johannesburg, et
les promesses visant à empêcher un changement climatique alarmant comprises dans
la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques sonnent
désormais tous creux.22
      S’il existe de bonnes nouvelles dans ce domaine, c’est parce que les pays,
les communautés et le secteur privé commencent à agir de façon unilatérale.
Par exemple, fin 2011, lors de la Conférence de Durban sur les changements
climatiques, la Chine, le Brésil, l’Indonésie et 80 autres pays ont approuvé des
objectifs volontaires d’émissions de carbone (Encadré
de la p.12).23 Ces objectifs pourraient ne pas être
                                                              Il est possible que
suffisants, mais ils sont mis en œuvre. Un rapport             l’un des aspects les
de RRI datant de 201124 montre que plusieurs pays              plus marquants
tropicaux qui pratiquaient la déforestation font              concernant le destin
désormais partie des pays qui reboisent – le Brésil,          de REDD en 2011
la Chine (bien qu’elle exploite les forêts d’autres pays),    soit le manque de
le Costa Rica, l’Inde, la Corée du Sud et le Vietnam.         confiance croissant
Dans la plupart des cas, cette mutation est intimement        dans le marché
liée au fait que la réforme de la tenure foncière profite      mondial du carbone
aux populations forestières en situation de pauvreté.          forestier.
      Avons-nous atteint un tournant décisif dans la
protection des forêts tropicales ? Une question essentielle pour le reste de la
décennie est de savoir si le mécanisme proposé par les Nations Unies et connu
sous le nom de REDD (Réduction des émissions issues de la déforestation et
de la dégradation forestière) peut mettre à profit ces quelques bonnes nouvelles
en fixant un prix mondial pour la teneur en carbone des forêts. Dans ce cas, les
gouvernements et, potentiellement, les entreprises privées pourront compenser
de larges quantités d’émissions de carbone en investissant dans la conservation

                                         11
LA DÉCENNIE PERDUE DE DURBAN : LES PLUS PAUVRES
ENGAGÉS DANS UN CLIMAT D’INCERTITUDE
	En décembre 2011, à Durban, la Conférence des Nations Unies sur le
changement climatique a convenu – pour la première fois – que la plupart des
pays en développement devraient se soumettre au même régime juridique
d’émissions de gaz à effet de serre que les pays développés. Cependant, à l’exception
d’une poignée de pays industrialisés qui appartiennent toujours au Protocole de Kyoto, aucun pays n’adoptera
d’objectifs contraignants avant 2020. Bien qu’il représente une avancée diplomatique, l’accord n’a offert
aucun espoir que soit entendue l’annonce des scientifiques selon laquelle les émissions mondiales devraient
culminer avant 2020. Par conséquent, il y a peu de chances d’empêcher un réchauffement climatique
mondial d’au moins 2°C,25 en dépit du niveau record de catastrophes naturelles atteint en 2011.26
	En l’absence d’objectifs sérieux d’émissions pour les pays n’appartenant pas au Protocole de Kyoto,
les efforts visant à créer un vaste marché du carbone semblent également condamnés. Il y a peu de
chances que REDD joue un rôle substantiel avant 2020 sans un apport substantiel de nouveaux financements,
ce qui semble fort peu probable. Bien que la conférence de Durban ait finalement établi un Fonds vert pour
le climat (afin d’aider les pays en développement à s’adapter au changement climatique et à adopter une
énergie à faible teneur en carbone27), fin 2011, les pays riches se sont seulement engagés à verser 5
milliards de dollars – un montant bien inférieur aux 100 milliards de dollars annuels prévus.
	En l’absence de promesses de financement sûres, les pays en développement se sont montrés peu
disposés lors de la Conférence à céder la supervision de leurs activités REDD. Par conséquent, les pourparlers
concernant la création de garanties internationales pour protéger les intérêts des communautés forestières
ont fait peu de progrès. Les gouvernements qui pourraient accueillir des projets REDD ont accepté de
fournir un récapitulatif des garanties, mais ont refusé les règles concernant la collecte des données ou
d’autres éléments spécifiques qui permettraient de rendre des comptes. « En l’absence de telles règles »,
a déclaré Louis Verchot, chercheur principal au CIFOR présent aux pourparlers, « nous ne pouvons pas
parler de durabilité du REDD ».28
	Face à ces engagements peu convaincants, aux incertitudes sur les financements et à la probabilité
grandissante d’une planète plus chaude, à quoi peuvent s’attendre les pays les plus pauvres ? Qui souffrira
le plus ? Et quelles seront les implications pour les politiques nationales et régionales ?

forestière. Mais il est possible que les aspects les plus marquants du destin de REDD en
2011 soient le manque de confiance croissant dans le marché mondial du carbone
forestier (Encadré de la p.13), la reconnaissance de la nécessité pour REDD de s’intéresser
aux facteurs politiques responsables de la déforestation et le rôle joué par la sécurité de la
tenure tant dans la réduction des émissions que comme fondement de la reforestation.
     Étant donné la lenteur des progrès menant à l’élaboration d’un futur régime
mondial sur le changement climatique pour remplacer le Protocole de Kyoto, de
sérieux doutes ont persisté sur la faisabilité de REDD en 2011. De nombreux
praticiens et bailleurs de fonds influents ont admis l’importance cruciale de la
reconnaissance de la tenure et des droits sur le carbone des populations forestières.
     Des recherches publiées en 2011 démontrent que le contrôle communautaire
constitue la meilleure garantie à long terme pour les forêts.29 Mais intégrer cela dans
un régime international REDD élaboré pour garantir l’intégrité du carbone pourrait
s’avérer difficile.30

                                                     12
En 2011, certains gouvernements se sont montrés plus déterminés à aider les
communautés à bénéficier du REDD. Susilo Bambang Yudhoyono, Président de
l’Indonésie, a placé REDD et la tenure forestière au cœur des nouvelles politiques
destinées à améliorer la durabilité du développement économique national, afin
de soutenir la croissance tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.
      « Trouver des régimes de tenure foncière appropriés est une condition préalable
à un développement et des moyens d’existence durables », a déclaré Kuntoro
Mangkusubroto, président du groupe de travail REDD du gouvernement indonésien
et responsable de l’Unité Spéciale du Président, en juillet 2011.31 Quelques 33.000
villages se trouvent dans les forêts de l’État indonésien. On peut soutenir que cela
les rend illégaux, a-t-il déclaré, et, par conséquent, « des conflits surviennent » ,
rendant les changements nécessaires.
      Kuntoro s’est exprimé peu de temps après que le Président Yudhoyono ait
annoncé un moratoire de deux ans sur la conversion des forêts naturelles et des
tourbières.32 Plus significatif encore, le gouvernement s’est engagé à reconnaître les
droits fonciers locaux et à réviser la tenure forestière.33 « L’administration officielle
pour la sécurité, l’accès et les droits fonciers doit prendre des mesures pour prendre
en compte les pratiques et les droits informels acceptés par les coutumes locales »,

LES MARCHÉS MONDIAUX
DU CARBONE FORESTIER
FONCTIONNERONT-ILS VRAIMENT
UN JOUR ?
      Le système européen d’échange de droits
d’émission de gaz à effet de serre (qui fait partie
du système de l’Union Européenne pour atteindre
les objectifs du Protocole de Kyoto) était sur le point de s’effondrer à la fin de l’année 2011. En raison de
la récession, l’offre de crédits de carbone a excédé la demande, entraînant l’effondrement des prix à 7 la
tonne métrique – c’est-à-dire un prix inférieur au tiers du prix antérieur. Le système souffre également de
problèmes internes, mais il soulève des questions sur les capacités des marchés de carbone à accomplir
ce qu’espèrent leurs partisans : garantir des financements pour des projets de réduction des émissions
de carbone qui fournissent également des bénéfices sociaux et environnementaux plus larges.
      Le Munden Project, spécialiste de premier plan du marché des matières premières, estime qu’il existe
une discordance entre REDD comme mécanisme de marché et REDD comme vecteur de développement et
outil de conservation.34 Il existe des problèmes techniques considérables du côté de l’offre, tels que ceux
associés à la mesure et à la comptabilisation du carbone dans les forêts et à l’estimation de ce qu’auraient
été les émissions sans l’intervention de REDD. Le risque est que, d’une part, une grande partie des fonds
soit absorbée par les mesures, la comptabilité et la distribution de l’information et que, d’autre part, il y
ait trop de vendeurs et pas assez d’acheteurs, causant ainsi un effondrement des prix.
      Le Munden Project estime que les bénéficiaires directs des financements REDD devraient être les
communautés, lesquelles administreraient les projets en fonction de leurs propres priorités. Le Munden
Project et d’autres cherchent des alternatives qui permettent de réduire les émissions de carbone forestier
et de promouvoir le développement des communautés locales.

                                                     13
INDONÉSIE : UN ENGAGEMENT HISTORIQUE
EN FAVEUR DE LA RÉFORME DE LA TENURE
DANS UN PAYS EN CONFLIT
      Kuntoro Mangkusubroto, responsable de l’Unité Spéciale du Président,
a fait part de l’intention de l’Indonésie de mettre en application une législation
qui existe déjà sur le papier depuis dix ans, et qui reconnaît les droits des
communautés forestières. Cet engagement historique, conclu lors de la Conférence internationale sur la
tenure forestière, la gouvernance et l’entreprise qui s’est tenue à Lombok en juillet 2011, constitue la plus
importante promesse du gouvernement de reconnaître les revendications foncières autochtones dans
l’histoire de l’Indonésie.35
      « Il s’agit d’un tournant majeur dans les politiques de l’Indonésie concernant les droits de ceux qui
vivent au sein et à proximité des forêts du pays », a déclaré Iman Santoso, coordinateur d’un groupe
d’experts du gouvernement, de l’université et de la société civile, œuvrant à la résolution des problèmes
de tenure forestière du pays. Après avoir appelé à accélérer la reconnaissance des droits coutumiers adat,
Kuntoro a souligné la nécessité d’une collaboration intersectorielle entre les différentes agences du
gouvernement afin d’intégrer les complexités de la tenure forestière et foncière.
	Une déclaration commune a été faite lors de la conférence, soulignant l’engagement du gouvernement
indonésien à travailler avec les organisations de la société civile (OSC) et les groupes autochtones. Elle
a également été le point de départ de la création d’une plateforme officielle d’OSC destinées à travailler
avec le gouvernement pour élaborer et mettre en œuvre une nouvelle stratégie nationale ou « feuille de
route » pour la réforme de la tenure forestière indonésienne.36
      Les interactions désormais régulières entre la plateforme d’OSC et les dirigeants politiques clés a,
sans aucun doute, aidé les responsables des deux bords à gérer les pressions croissantes induites par les
manifestations qui ont eu lieu à Jakarta, au début de l’année 2012, concernant les droits fonciers.37 Les
représentants de la plateforme d’OSC sont prudemment optimistes, mais des progrès supplémentaires
en Indonésie rendront nécessaire, d’une part, une réponse du gouvernement concernant les injustices du
passé et, d’autre part, une action décisive en consultation avec la plateforme d’OSC pour résoudre les
causes profondes du conflit et pour faire en sorte que la rhétorique devienne une réalité pour les 130
millions d’hectares de forêt que compte l’Indonésie.38

a déclaré Kuntoro. « Il s’agit pour la réforme de la tenure forestière et foncière
d’améliorer le bien-être et le niveau de vie de la population, de réduire la pauvreté
grâce à la création d’emplois, et de vivre en harmonie avec l’environnement ».
     Il est crucial que l’Indonésie, qui compte parmi les principales régions
forestières tropicales et possède l’une des plus importantes populations forestières,
revoie en profondeur sa gouvernance forestière. La volonté de cartographier les
droits et les usages existants constitue une première étape essentielle, et celle-ci
sera d’autant plus effective si menée en étroite collaboration avec les communautés
(voir l’encadré ci-dessus).
     Durant l’année 2011, il a été progressivement reconnu que la révision de la
tenure forestière n’était pas seulement une bonne politique de développement, mais
participait également d’une nécessaire politique climatique. Gregory Barker,
Ministre du changement climatique du gouvernement du Royaume-Uni, a déclaré
avant les négociations sur les changements climatiques de Durban en Décembre :
« Garantir une tenure foncière équitable doit être au cœur de REDD. Pas simplement

                                                     14
pour des raisons éthiques, mais parce que c’est essentiel pour attirer les
investissements du secteur privé. Qu’importe combien de fonds nous collectons et
accordons, ils n’auront aucune efficacité tant que nous ne prendrons pas en compte
les causes sous-jacentes de la déforestation ».39 Le gouvernement du Royaume-Uni
est un bailleur de premier plan des projets pilotes REDD.
     De telles aspirations peuvent-elles se concrétiser ? Les jugements sont mitigés,
et même les réformes qui, au départ, paraissaient bonnes sur le papier ne parviennent
pas à produire des bénéfices sur le long terme. Il existe également de sérieux risques
que les politiques REDD aient des effets pervers. Une analyse des coûts-bénéfices de
REDD, réalisée par McKinsey & Company, a été particulièrement critiquée.40
Celle-ci révèle que les coûts d’opportunité liés au développement des projets REDD
seraient les plus élevés pour les projets industriels d’abattage et d’huile de palme et
les moins élevés pour l’agriculture de subsistance. L’agriculture de subsistance
devrait, par conséquent, être la première activité à faire place aux programmes
REDD car les revenus antérieurs seraient les plus bas. Certains pays, tels que le
Guyana et la RDC, ont adopté ce conseil en formulant leurs politiques REDD.
Cependant, les détracteurs de l’étude ont déclaré qu’il s’agissait là d’une comptabilité
erronée, dans la mesure où une part minime de la production de subsistance pénètre
l’économie de marché et, par conséquent, n’a pas été prise en compte dans l’analyse.
De plus, les coûts associés au relogement des agriculteurs déplacés ont été ignorés.
McKinsey & Company a reconnu que ses résultats créeraient des malentendus, mais
maintient son analyse.41
     Dans la plupart des pays, la principale cause de la déforestation est l’expansion
de la frontière agricole – qu’il s’agisse du palmier à huile en Asie du Sud-Est, des
pâturages bovins en Amérique latine ou des biocarburants en Afrique. Pour réussir,
REDD doit fournir une alternative réaliste et économiquement intéressante au
défrichement des forêts. Mais des recherches effectuées en 2011 révèlent que de

RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE/NIGÉRIA :
LA CARTOGRAPHIE DE LA TENURE COMMUNAUTAIRE
PREND DE L’AMPLEUR
     L’un des moyens pour aider les communautés forestières à promouvoir
leurs droits de tenure et de carbone est la cartographie communautaire. Par
exemple, un projet de cartographie communautaire organisé par la Rainforest
Foundation du Royaume-Uni et la République centrafricaine,42 et qui s’est achevé
en 2011, a non seulement cartographié 200.000 hectares de forêt mais aussi
formé les communautés à utiliser des cartes pour sécuriser leur tenure dans
le cadre de la nouvelle législation forestière nationale.
     La cartographie communautaire peut avoir des effets durables. Dans les années 1990, le gouvernement
du Royaume-Uni avait financé la cartographie de forêts communautaires dans l’État de Cross River, au
Nigéria – un État qui abrite la moitié des forêts du pays.43 Bien que les fonds aient été rapidement retirés,
30 comités de forêts communautaires ont continué. Quinze ans plus tard, armés de leurs cartes, ces
comités ont fait pression sur le gouvernement de l’état pour que celui-ci inscrive le mécanisme REDD dans
l’agenda national et ont exigé que les revenus aillent aux communautés.

                                                    15
nombreux pays enthousiastes à l’idée de générer des revenus grâce à REDD ont des
politiques agricoles qui encouragent les grands projets agro-industriels à la
concentration foncière.44 Si l’on ne trouve pas de solution à ces approches
contradictoires, la protection des forêts dans une zone donnée contribuera
simplement à l’accélération de la disparition des forêts à un autre endroit. Une
réforme de la tenure pourrait jouer un rôle clé dans la prévention de telles pertes.
      En 2011, les tensions ont également perduré entre les habitants de la forêt
et ceux qui veulent utiliser le financement carbone principalement à des fins de
conservation de la nature. En 2010, la Convention sur la diversité biologique a
accepté d’accroître ses objectifs de protection des écosystèmes à 17% des terres
de la planète. L’ONG Conservation International, basée aux États-Unis et qui
participe activement à l’élaboration des projets REDD, a annoncé son nouvel
objectif de « protéger » au moins 25% de la superficie terrestre « afin de préserver
la biodiversité et les services écosystémiques ». Mais cela a été fait sans que soient
reconnus explicitement les droits de tenure des habitants de ces terres. Conservation
International, en collaboration avec la Compagnie Walt Disney, est le principal
promoteur du premier projet pilote REDD dans le Bassin du Congo en Afrique – dans
la province du Nord Kivu en RDC. Mais l’ONG n’a pas résolu le problème des droits
sur le carbone au sein des réserves communautaires présentes dans la zone du projet,
et ce, en dépit de « sérieux conflits relatifs aux droits fonciers et forestiers ».45

Boom des investissements dans les infrastructures et recrudescence
des conflits
     Dans de nombreux pays en développement, des investissements massifs dans les
infrastructures sont en train d’être réalisés (jusqu’à mille milliards de dollars chaque
année), et déclenchent des conflits fonciers. Les projets tels que les routes, les voies
ferrées, les aéroports, les barrages hydroélectriques et les mines utilisent de la terre
et désenclavent des zones isolées qui hébergent des populations autochtones, des
personnes pauvres et des minorités ethniques.
     En Bolivie, les populations forestières autochtones ont manifesté pour défendre le
Territoire autochtone et Parc national d’Isiboro Sécure (TIPNIS en espagnol), un territoire
autochtone et parc national de l’Amazonie bolivienne. Le Président Evo Morales a
voulu construire une autoroute de 300 kilomètres de long à travers cette zone, afin
de permettre l’acheminement de produits du Brésil vers la Chine, via les ports de la
façade Pacifique. Les résidents des forêts de basse altitude craignaient que la route
n’ouvre la zone aux colons en provenance des hautes terres boliviennes ainsi qu’aux
mineurs brésiliens, aux prospecteurs pétroliers, aux exploitants de bois et aux
cultivateurs de cacao. En août 2011, une partie des 15.000 personnes autochtones que
compte le territoire ont débuté une marche de 600 kilomètres vers La Paz, la capitale
bolivienne. Les tentatives de la police de leur barrer le passage ont attiré l’attention
internationale. Après deux mois, la marche a atteint la capitale et déclenché des
manifestations supplémentaires. Gêné que sa réputation de défenseur des pauvres
soit entachée, le Président Morales a changé de stratégie et interdit au projet
autoroutier de traverser le territoire autochtone.46 Cette décision a représenté une
victoire majeure pour les activistes locaux et en a inspiré d’autres à travers le monde.

                                            16
SUD-SOUDAN : DES SIGNAUX D’ALARME DANS LA
PLUS JEUNE NATION DU MONDE
      Le Sud-Soudan a obtenu son indépendance en juillet 2011. Peut-il faire
mieux que ses voisins ? Les signes précurseurs ne sont pas encourageants.
La mainmise sur les ressources était au cœur des activités précédant
l’indépendance du gouvernement intérimaire et se poursuit depuis.
      Au moment de l’indépendance, le Sud-Soudan a cédé presque 9% de
son territoire aux investisseurs, y compris un quart de la fertile « ceinture
verte » du pays qui entoure sa capitale, Juba.47 Toutefois, nombre de
transactions ne sont guère plus que des morceaux de papier et il y a peu de signes d’activité économique
sur le terrain.
      La société Jarch Capital, basée à New-York, revendique 400.000 hectares dans l’état de Unity (une
zone riche en pétrole du Sud-Soudan), en raison d’un accord contesté avec un chef militaire local. La
société a promis qu’elle développerait l’agriculture dans cette zone – un jour. La société Nile Trading, basée
au Texas, revendique 600.000 hectares au sein de la ceinture verte pour cultiver le palmier à huile, les
arbres feuillus et le jatropha (utilisé pour la production de biocarburant).48 Le bail a été signé avec un chef
local qui a déclaré à la BBC qu’il avait été « dupé ». De plus, le contrat stipule que l’intégralité des 600.000
hectares est située dans le Comté de Lainya. Or, ce dernier ne compte que 340.000 hectares. Une partie
du Comté de Lainya est également revendiquée par la Central Equatorial Teak, une société forestière fondée
par les gouvernements britannique et finlandais.
      Il est probable que peu de ces accords déboucheront sur quelque chose, mais la supercherie
n’aide guère le développement économique et il se pourrait que le nouvel État soit, dès sa création,
une « kleptocratie ».

      Les projets autoroutiers ont fait la une dans plusieurs autres pays au cours de
l’année 2011. Les projets menés par des étrangers pour leurs propres besoins ont été
particulièrement controversés. Parmi les « points chauds », on peut citer l’exemple du
projet de reconstruction et de revêtement d’une partie de l’autoroute de Karakoram,
dans le Nord du Pakistan, qui connecte l’intérieur de la Chine à l’Océan indien et
au Moyen-Orient. Ce projet, qui emploie des milliers de travailleurs chinois, est
controversé géopolitiquement car il passe par le Gilgit Baltistan, un territoire
disputé dans la région la plus septentrionale du Pakistan. L’Inde revendique le
territoire et voit dans le projet un signe avant-coureur de l’influence grandissante
de la Chine.49 Le projet s’est également attiré les foudres des communautés locales
à prédominance Shia et Sufi, qui exigent leur autonomie par rapport à Islamabad.
Les routes entrainent habituellement la construction d’autres infrastructures
généralement d’autres infrastructures : à proximité de l’autoroute de Karakoram, les
ingénieurs chinois ont commencé la construction d’un barrage hydroélectrique sur la
rivière de l’Indus, qui inondera 100 kilomètres carrés de Gilgit Baltistan et déplacera
35.000 personnes.
      L’autoroute de Karakoram fait partie, à l’échelle de l’Asie, d’un réseau
autoroutier élaboré par le fonds d’infrastructures de l’Association des nations de
l’Asie du Sud-Est et la Banque asiatique de développement. Un autre projet
controversé est la construction d’une autoroute de 1.500 kilomètres à travers

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