L'ART DE PILOTER UN PROJET - Examen d'une pratique d'expertise dans l'espace européen de l'enseignement supérieur : l'exemple de la Macédoine du ...
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UNE PUBLICATION DU CENTRE INTERNATIONAL D’ÉTUDES PÉDAGOGIQUES
EN COLLABORATION AVEC L’ÉQUIPE ÉDUCATION, ÉTHIQUE, SANTÉ DE L’UNIVERSITÉ DE TOURS
N ° 5 , F É V R I E R 2 0 1 9
L’ART DE PILOTER UN PROJET
Examen d’une pratique d’expertise dans l’espace européen
de l’enseignement supérieur : l’exemple de la Macédoine du Nord
Éditorial
Pierre-François Mourier, directeur du CIEP
L
a collection des Carnets de l’expertise est un particulièrement difficile à résoudre, pour apporter une
projet ambitieux, courageux… voire téméraire. Il solution. C’est là sa caractéristique principale.
s’agit, à partir d’une étude de cas, de proposer à Ce cinquième numéro des Carnets de l’expertise est
des experts de développer une posture réflexive consacré, pour la première fois, à la question européenne,
sur leurs pratiques professionnelles, en colla- ici observée au travers du prisme des jumelages institu-
boration avec des chercheurs de l’Université de Tours. tionnels. Le projet étudié se révèle particulièrement intéres-
Mais qu’est-ce qu’un expert ? Quelle est sa légitimité ? sant, en ce qu’il s’agit à la fois de l’Europe et du voisinage
Ce n’est ni un élu, ni le représentant d’une corporation. européen, de pays qui ont vocation à entrer dans l’Union
On ne s’institue pas soi-même expert – pour paraphraser européenne et qui en éprouvent le besoin (teinté parfois
une phrase célèbre, on ne naît pas expert, on le devient : d’une certaine méfiance) mais qui, pour des raisons di-
on est légitimé par un savoir, une science, une expé- verses, ne sont pas jugés encore prêts à rejoindre l’UE.
rience particulière qui justifie que l’on fasse appel à vous, J’ai moi-même été en poste dans le Sud-Est européen,
pour sortir de situations complexes. L’expert n’a besoin en Slovénie, un pays qui connaît très bien la Macédoine du
d’intervenir que lorsqu’un problème de gestion s’avère Nord. Ce pays de l’Union européenne se présente souvent,vis-à-vis des « vieilles nations » de l’Union, comme un pont pratique, d’une technique très précise, qui s’apparente à
entre l’UE et les Balkans. Et en effet, quand on est dans une maïeutique. L’expert arrive dans un environnement
les Balkans, en Serbie, en Macédoine du Nord, au Ko- complexe et aide l’ensemble des acteurs présents sur le
sovo, on n’a aucune hésitation sur le fait qu’on se trouve terrain à formuler des conclusions qui sont en fait déjà
bien en Europe. En même temps, ces pays peuvent nous présentes, mais qui nécessitent des processus pour être
apparaître comme profondément exotiques. Les projets de véritablement assumées, comprises. Ainsi, l’expert, par
jumelage interrogent donc nos certitudes d’Européens de petites touches, fait bouger les lignes. Il permet aux ac-
l’Ouest par rapport à des cultures qui sont certes proches teurs de terrain de faire des pas de côté pour que le sys-
de nous par l’histoire, les croyances, les habitudes, mais tème sur lequel on veut agir, en l’occurrence le système
qui sont très décalées par certains aspects, avec en outre d’enseignement supérieur de la République de Macé-
un niveau de vie largement inférieur à celui du cœur de doine du Nord, puisse engager un parcours différent de
l’Union européenne. D’où l’intérêt politique d’avoir abordé, celui qu’il pratiquait jusque-là.
dans ce cinquième Carnet, la problématique européenne L’ensemble des textes produits pour ce Carnet, qu’il
par la méthode – au sens grec du terme, methodos, c’est- s’agisse de l’apport des chercheurs, avec la thématisation
à-dire le détour, celui des jumelages entre les pays du et l’analyse de l’entretien avec Bruno Curvale par Hervé
cœur de l’Europe et les pays du voisinage. Breton, la réflexion conduite par Laurence Cornu, ou des
La seconde réflexion que m’inspire ce numéro porte contributions proposées par des acteurs du projet – Ka-
sur la posture de l’expert ici mise en évidence : on voit liopa Stilinovic, Conor Brady et Lisa Bydanova – permet
bien que l’expert est légitime à la mesure de son humilité. de comprendre en quoi les systèmes d’enseignement
L’expert s’attire le respect des personnes pour lesquelles il actuels, complexes, ressemblent à un grand navire, qui
travaille en se plaçant justement, non pas en position d’ex- court sur son erre et qu’on a du mal à piloter. Laurence
pert, mais en position d’écoute, de découverte, et sans Cornu propose en effet une analogie entre l’art de piloter
avoir peur – Bruno Curvale le dit très bien dans son en- un projet, au sens expert du terme, et la technique du
tretien avec le chercheur Hervé Breton – de dire que sur pilote des ports maritimes. Cette comparaison est particu-
certains sujets, nous, Français ou citoyens d’autres pays lièrement fondée, car dans ces grands bateaux, le pilote
de l’Union européenne, nous avons connu des problèmes prend les commandes en totale osmose avec le capitaine
que nous n’avons pas toujours su résoudre de manière et ses officiers, pour que le navire arrive à bon port ou le
pleinement satisfaisante. C’est cette position à la fois de quitte en toute sécurité. Son expertise particulière porte
légitimité professionnelle, que seule l’expérience peut ap- sur un terrain précis, qui est l’entrée ou la sortie de son
porter, et d’humilité qui consiste à ne pas arriver en posi- port, et là s’arrête son travail. Il ne s’agit pas pour lui d’ap-
tion surplombante mais plutôt à essayer de comprendre prendre au commandant à piloter son navire, mais de lui
les enjeux, qui fait le succès ou l’échec d’une expertise. montrer simplement, dans un moment particulier, com-
Ce point extrêmement important vaut non seulement pour ment faire pour ne pas s’échouer. C’est un travail à la fois
les pays de l’Union européenne, mais aussi pour tous les humble, modeste et indispensable.
autres, et plus encore peut-être pour les pays du Sud, aux- En tant que directeur du CIEP, je considère les Car-
quels nous lie une histoire longue, riche et compliquée. nets de l’expertise et la Journée de l’expertise, organisée
« L’art de piloter un projet », le titre choisi pour ce Car- chaque année par l’établissement, comme une maïeu-
net n° 5, à partir du texte de Laurence Cornu, conseillère tique de la maïeutique. En mettant en lumière les ressorts
scientifique de la collection, évoque dans nos esprits le de l’expertise et la façon dont cet accouchement se fait sur
titre d’un traité de philosophie chinoise : il s’agit effective- le terrain, les Carnets souhaitent engager un débat vivant,
ment d’une ars, au sens latin du terme, c’est-à-dire d’une qui participe du débat public sur l’éducation, et au-delà.
Pierre-François Mourier
Directeur du Centre international d’études pédagogiques
2 LES CARNETS DE L’EXPERTISE – N°5 – FÉVRIER 2019Sommaire
Éditorial de Pierre-François Mourier
SOMMAIRE 16 Piloter et intervenir : examen
d’une pratique d’expertise
dans l’espace européen
de l’enseignement supérieur
ACTION Analyse et synthèse
de l’entretien
Hervé Breton, Université de Tours
4 Rapprocher le secteur
universitaire macédonien 18 L’art de piloter un projet
Laurence Cornu, Université de Tours
des besoins du marché
de l’emploi
Lisa Bydanova, CIEP
REGARDS
VOIX 21 Parvenir à inscrire le projet
et ses acquis dans la durée :
8 Récit d’expérience : un enjeu majeur
Kaliopa Stilinovic,
un entretien de l’expert Université Saint-Clément d’Ohrid-Bitola,
Bruno Curvale avec Macédoine du Nord
le chercheur Hervé Breton
10 Connaître et comprendre 23 Reconnaître les différences,
les enjeux des programmes un aspect fondamental
européens pour intervenir du travail de l’expert
Conor Brady, Ministère de l’économie,
12 Élaboration d’un cadre
Irlande du Nord
d’intervention
14 Intervenir dans les contextes
de la politique européenne :
trois niveaux de résultats LECTURES
15 Parcours professionnel
27 Sélection de ressources
documentaires
Bernadette Plumelle, CIEP
LES CARNETS DE L’EXPERTISE – N° 5 – FÉVRIER 2019 3RUBRIQUE
ACTION
RAPPROCHER LE SECTEUR
UNIVERSITAIRE MACÉDONIEN DES BESOINS
DU MARCHÉ DE L’EMPLOI
Lisa Bydanova
Chargée de programme, département Coopération en éducation, CIEP
D
ésireux de poursuivre la moderni- difficultés d’insertion des jeunes diplômés
sation de son système d’enseigne- sont réelles, et supérieures à celles des di-
ment supérieur, dans la continuité plômés de la formation professionnelle1.
des réformes engagées depuis une Dans le cadre de sa stratégie de rappro- Titulaire d’un doctorat obtenu
quinzaine d’années, le ministère de chement avec l’Union européenne, le gou- à l’Institut de recherche
en économie et sociologie de
l’éducation et de la recherche macédonien a vernement macédonien a mis en place,
l’éducation (IREDU) de l’Université
sollicité l’appui de l’Union européenne (UE) dans les années 2000, une série de réformes de Bourgogne, Lisa Bydanova
à la fin de l’année 2015 pour accompagner dans divers secteurs. En ce qui concerne est, depuis 2008, chargée
la professionnalisation de son enseignement l’enseignement supérieur, le pays participe de programmes au département
supérieur. activement au processus de Bologne depuis de coopération en éducation (DCE)
du CIEP. Elle est en charge des
Dans ce pays des Balkans, à la suite de 2003 et a mis en œuvre les réformes qu’il projets concernant l’enseignement
l’éclatement du bloc yougoslave et des res- implique, notamment : supérieur des pays de l’Europe
tructurations économiques qui s’en sont ■■ la Loi sur l’enseignement supérieur (2008) de l’Est et de l’ex-URSS. Lisa
suivies, les diplômés de l’enseignement et un centre ENIC/NARIC pour faciliter la Bydanova conduit également
des activités de recherche et publie
supérieur rencontrent, depuis plusieurs reconnaissance des diplômes ;
des articles dans des revues
années déjà, des difficultés pour s’insérer ■■ l’adoption du Cadre national pour les qua- françaises et internationales sur
dans la vie active. Ils sont amenés à quitter lifications ; l’analyse des politiques éducatives
le pays, faute d’emploi correspondant à leur ■■ la mise en place de l’approche par com- dans les pays post-soviétiques.
niveau de qualification et à leur domaine de pétences dans les programmes universi- Actuellement, elle est conseillère
résidente du projet de jumelage
spécialité. taires ; institutionnel « Soutien au système
Même si le chômage des diplômés de ■■ la définition de nouvelles procédures d’enseignement supérieur
l’enseignement supérieur s’élève à 21,4 % d’accréditation des établissements d’en- en Azerbaïdjan, 2018-2021 ».
contre 54 % pour les 15-25 ans, les seignement supérieur, etc. bydanova@ciep.fr
1. Le taux de chômage des diplômés de la formation professionnelle s’élève à 18,1 %.
4 LES CARNETS DE L’EXPERTISE – N°5 – FÉVRIER 2019ACTION
La loi de 2008, amendée en 2013, a créé
plusieurs dispositifs visant à améliorer la per-
tinence économique des formations univer-
sitaires, en renforçant le lien entre le monde Le jumelage, un instrument
universitaire et le secteur de l’emploi. Chaque de coopération institutionnelle
université doit dorénavant se doter d’un Career entre les États membres de l’UE
Center [centre d’information sur les carrières Le jumelage est un instrument de
et l’emploi], afin d’accompagner les étudiants coopération institutionnelle entre
dans leur transition vers la vie professionnelle administrations publiques. Les projets de
et de renforcer le lien entre l’université et le jumelage rassemblent l’expertise du secteur
monde du travail, ainsi que de Boards for trust public des États membres de l’UE et des
and cooperation [conseils de confiance et de pays bénéficiaires ou partenaires de l’Union
coopération avec le public] dans chaque fa- européenne, dans le but de parvenir à des
culté, afin de permettre un dialogue régulier résultats opérationnels concrets et
entre le personnel académique et les repré- obligatoires, grâce à des activités
sentants du marché de travail. d’échange de pratiques entre pairs. Pour en
Bien qu’il soit évident que le chômage des savoir plus : [https://bit.ly/2oglfS6]
jeunes résulte en bonne partie de la faiblesse
de l’économie locale, dont le développement
ne dépend pas des politiques éducatives, il
s’avère également être le résultat d’une cer-
taine inadéquation entre l’offre de formation du Premier ministre, et de l’ambassade de
et les besoins des entreprises locales qui France en République de Macédoine du
devrait pouvoir être corrigée par l’action du Nord, le CIEP a monté une proposition fran-
gouvernement. Cette inadéquation se mani- çaise de réponse à l’appel d’offre de l’UE,
feste d’un point de vue structurel (les filières dans le cadre d’un programme de jumelage
et le niveau des diplômes proposés par les institutionnel. Le dossier de candidature s’est
universités ne correspondent pas aux filières appuyé sur l’expérience française en matière
et au niveau de qualifications demandées par de professionnalisation de l’enseignement
les entreprises), ainsi que du point de vue supérieur, dont les premiers dispositifs et
de la qualité de formations (les compétences politiques ciblés ont été mis en place dès les
requises par les employeurs ne sont pas dé- années 1960-19702.
veloppées ou développées de manière insuffi- Afin de renforcer la candidature française
sante dans les cursus universitaires). face à une éventuelle concurrence d’autres
Héritier d’un système centralisé, avec un pays membres de l’UE, un partenariat a été
ancrage théorique fort au détriment d’un monté avec le Département de l’économie
enseignement plus pratique, le secteur uni- (équivalent du ministère de l’économie) de
versitaire macédonien continue de fonction- l’Irlande du Nord. L’expérience britannique,
ner en partie selon le modèle de la période ancrée sur un modèle de gouvernance dé-
historique précédente. Le nouveau contexte centralisée et un lien historiquement fort
économique et social dans lequel s’inscrit do- entre universités et entreprises, s’inscrit
rénavant le pays nécessite pourtant des chan- en complémentarité du modèle français.
gements en profondeur, que ce soit au niveau Après la présentation orale du projet à Skop-
du pilotage de l’offre de formation ou à celui je en mars 2016, la proposition conjointe
de la modernisation des contenus enseignés. France – Royaume Uni a été retenue. La
proposition concurrente portée par le minis-
tère de l’éducation de la Slovaquie avait été
LA CANDIDATURE FRANÇAISE déclinée par le jury de sélection, composé des
À l’invitation du Secrétariat général aux af- membres de la Délégation de l’UE à Skopje et
faires européennes, placé sous l’autorité du ministère de l’éducation macédonien.
2. D’après le Dossier de veille de l’IFÉ, n° 91, mars 2014, « De l’université à la vie active », les premières initiatives
dans le domaine de la professionnalisation de l’enseignement supérieur datent des années 1960.
LES CARNETS DE L’EXPERTISE – N° 5 – FÉVRIER 2019 5ACTION
UN DIFFICILE PROCESSUS
DE CHANGEMENT DE PRATIQUES
DES ACTEURS
Le principal bénéficiaire du projet a été le mi-
nistère de l’éducation et des sciences. Cinq
universités publiques et trois universités pri- Plus de 80 % des livrables
vées y ont également participé. Les actions obligatoires réalisés
du projet s’articulaient autour de 3 axes Le projet a permis de tester la
principaux : méthodologie d’évaluation des programmes
1) élaboration d’une méthodologie d’éva- sur une quarantaine de maquettes de
luation des programmes universitaires en pre- formation dans huit universités participant
nant en compte leur adéquation aux besoins au projet et 250 membres du personnel
du marché de l’emploi ; académique de ces universités ont suivi
2) renforcement des capacités des Centres une formation à son utilisation ; 16 centres
d’information sur les carrières et l’emploi au d’information sur les carrières et
sein des universités ; 66 membres de leur personnel ont suivi
3) renforcement des capacités, au niveau des sessions de partage d’expérience avec
des facultés, des Conseils de confiance et de leurs homologues venant des universités
coopération avec le public. françaises et britanniques. Enfin,
Les actions du projet ont permis de révé- 22 conseils de confiance et de coopération
ler plusieurs contraintes qui continuent de avec le public et 74 membres
rendre le dialogue entre le monde universi- de leur personnel ont participé à des
taire et le monde économique malaisé, en dé- échanges de bonnes pratiques dans le
pit des efforts du gouvernement et de l’appui cadre des ateliers de travail avec des
des experts européens : experts européens.
■■ Une faible structuration du marché de tra-
vail local. Dominé en grande partie par des
petites ou moyennes entreprises, le secteur
économique est peu organisé dans son dia-
logue avec les universités. Les associations
d’employeurs n’existent pas dans toutes les
branches professionnelles et les petits em- dimensionné par rapport aux qualifications
ployeurs manquent de visibilité suffisante à demandées dans l’économie actuelle du
long terme, leur demande de compétences pays ; cette dernière nécessite surtout de
à court terme s’avérant souvent trop ré- basses qualifications ou des qualifications
ductrice pour concevoir des formations au de niveau intermédiaire3. L’offre de forma-
niveau universitaire. Les chambres consu- tion est dépendante des profils des ensei-
laires, bien que nombreuses, mettent en gnants universitaires, dont une grande par-
place des formations de courte durée mais tie a été formée dans le cadre de l’ancien
n’agissent pas au niveau des formations système.
universitaires. ■■ Bien qu’une série de mesures ait déjà été
■■ Un problème structurel entre la taille du mise en place pour renforcer le dialogue
système d’enseignement supérieur et les université/marché du travail, les universi-
besoins de l’économie locale, en termes tés manquent de ressources financières
de niveau ou de profil des qualifications. et matérielles pour remplir la nouvelle mis-
Le secteur de l’enseignement supérieur, sion que le gouvernement leur confie do-
conçu à l’époque yougoslave, s’avère sur- rénavant. Comme le veut la tradition dans
3. D’après un récent rapport, un tiers des diplômés de l’enseignement supérieur sont recrutés sans aucun rapport
avec leur discipline, un tiers sont en situation de surqualification, le niveau de diplôme étant trop élevé par rapport
à la qualification demandée. Cette situation touche particulièrement les diplômés en sciences humaines et sociales,
en droit et administration publique, dans les secteurs du commerce ou des sciences d’ingénieur. Environ 20 % sont
cependant en situation de sous-qualification, le niveau de diplôme étant plus faible que le niveau de la qualification
demandée.
6 LES CARNETS DE L’EXPERTISE – N°5 – FÉVRIER 2019ACTION
beaucoup d’universités, les universitaires actuels et futurs n’existe, la coopération
voient toujours leur travail s’articuler au- entre les différents ministères à cet égard
tour des missions habituelles de recherche étant également très limitée. Cela prive des
et d’enseignement. Le suivi de l’insertion universités et le ministère d’informations
professionnelle des diplômés et la mise importantes permettant de piloter l’offre
en place de mesures permettant de ren- de formation tant au niveau national qu’à
forcer leur employabilité leur apparaissent celui de l’établissement. Certaines univer-
comme des prérogatives nouvelles, qui sités se sont dotées, à titre individuel, de
demandent de revoir leur mode de mana- dispositifs de suivi de l’insertion de leurs
gement et d’organisation en interne. Ce diplômés, mais ces initiatives restent de
processus de changement est lent et inter- l’ordre de l’exception. Aucun dispositif na-
roge d’autres insuffisances présentes dans tional n’existe au niveau du ministère de
le système. l’éducation, le contrôle de la véracité des
■■ Pratiquement aucun système de veille statistiques provenant des universités pou-
sur les besoins économiques nationaux vant s’avérer complexe et délicat.
LES CARNETS DE L’EXPERTISE – N° 5 – FÉVRIER 2019 7ACTION
Le projet en bref
8en Universités
Macédoine du Nord SERBIE
KOSOVO
SKOPJE
Université de Saint-Cyrille et Méthode
Collègue universitaire américain à Skopje
Tetovo Université internationale des Balkans BULGARIE
Université publique de Tetovo
Štip
Va
Université de l’Europe du Sud-Est
n
ALBANIE
da
r
Université Goce Delcev
Lac
Université St Paul l’Apôtre en ingénierie Dojran
Lac et technologie de l’information
d’Ohrid
Université de
Ohrid St Clément d’Ohrid 0 20 km
Bitola
Lac
de Prespa
GRÈCE
Les experts du projet avaient pour attache
les institutions suivantes :
En France
• Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines
Partenaires du jumelage institutionnel • Université de Grenoble II-Pierre Mendès France
• Ministère de l’éducation et des sciences • Université d’Avignon et des pays de Vaucluse
de République de Macédoine du nord • Université Lumière Lyon 2
(bénéficiaire principal) • Université Clermont-Ferrand
• Ministère de l’enseignement supérieur, • Université de Reims
de la recherche et de l’innovation (MESRI) français • Université Bretagne Sud
• Département de l’économie de l’Irlande du Nord • Université de Lorraine
• Courroie (Conférence universitaire en réseau
Organismes mandatés pour la mise en œuvre des responsables de l’orientation et de l’insertion
du plan d’action [par les ministères professionnelle)
des Etats membres de l’Union européenne] : • RéseauSup (Le réseau des services universitaires
• Centre international d’études pédagogiques de pédagogie est une association qui a pour objectif
CIEP - (chef de file) de soutenir et accompagner le développement des structures
• Northern Ireland Co-operation Overseas d’appui dédiées à la pédagogie dans l’enseignement supérieur)
Ni-Co
Au Royaume-Uni
• Département de l’économie de l’Irlande du Nord
• Université Queen de Belfast
• Université d’Ulster
8 LES CARNETS DE L’EXPERTISE – N°5 – FÉVRIER 2019RUBRIQUE
VOIX
La rubrique VOIX repose sur le récit d’expérience produit par un(e) expert(e) lors d’entretiens
conduits par le chercheur Hervé Breton, de l’Université de Tours. Ces entretiens s’inspirent de la méthode
de l’entretien d’explicitation. Les questions et relances du chercheur visent la description détaillée
par l’expert des pratiques d’expertise dans des situations concrètes, puis la recherche de régularités
dans les procédés mis en œuvre au cours de sa mission.
Un à deux entretiens sont nécessaires pour chaque numéro. Ils sont transcrits puis transmis
à l’expert(e) interviewé(e). Des corrections sont possibles, pour corriger des erreurs factuelles
ou apporter une précision jugée indispensable.
Vient ensuite la phase d’analyse, conduite par le chercheur, en dialogue avec l’expert(e).
L’analyse comporte deux parties : 1) une thématisation, qui s’appuie sur une sélection d’extraits de l’entretien,
2) l’analyse elle-même, qui explicite la thématisation proposée des procédés mis en œuvre par l’expert.
La révision du texte en vue de la publication vise à fluidifier la lecture, sans pour autant modifier la teneur
ni le ton des propos. Le texte est validé par l’expert(e) et par l’équipe de recherche, avant publication.
Un deuxième niveau d’analyse est ensuite proposé par Laurence Cornu, conseillère scientifique des Carnets,
afin de proposer à la réflexion quelques concepts dégagés à partir du récit de pratique et de sa thématisation.
RÉCIT D’EXPÉRIENCE : UN ENTRETIEN
DE BRUNO CURVALE AVEC HERVÉ BRETON
Ce récit d’expérience est ici proposé sous forme d’extraits,
sélectionnés et regroupés en quatre thèmes par Hervé Breton.
1 Connaître et comprendre les enjeux des programmes européens
pour intervenir
2 Élaboration d’un cadre d’intervention
3 Intervenir dans les contextes de la politique européenne :
trois niveaux de résultats
4 Parcours professionnel
LES CARNETS DE L’EXPERTISE – N° 5 – FÉVRIER 2019 9VOIX
1 Connaître et comprendre
les enjeux des programmes européens
pour intervenir
Quels types de savoirs, de ressources et de compétences ont été
nécessaires à l’expert pour mener ce projet complexe ? Au cours
de l’entretien avec le chercheur Hervé Breton, Bruno Curvale, expert en
matière d’évaluation de l’enseignement supérieur et impliqué de longue
date dans des réseaux européens, revient sur le montage du projet.
Europe de la formation, intéressante, dans l’enseignement
Bruno Curvale est ingénieur acquis communautaire supérieur, il n’y a pas d’acquis
de recherche hors classe et politique de voisinage communautaire parce qu’il n’y a pas
de l’éducation nationale.
de politique de l’Union européenne
De 1987 à 2009, il a participé
au développement des pratiques Les jumelages institutionnels sont dans ce domaine. Mais malgré
d’évaluation dans les des programmes de coopération tout, on utilise l’outil pour porter les
enseignements supérieurs entre ministères. Ce sont des acquis du processus de Bologne,
au sein des agences françaises programmes européens qui ont été qui tiennent lieu, d’une certaine
d’évaluation et d’ENQA (The
European Association for Quality
conçus pour aider les pays candidats manière, de politique européenne de
Assurance in Higher Education). Il à l’adhésion à l’Union européenne l’enseignement supérieur.
préside le Comité d’évaluation des à acquérir les compétences
brevets de techniciens supérieurs nécessaires à l’adoption et la mise
et le groupe de conseil pour
Réception de la commande
en œuvre du droit de l’Union. Ce
l’accréditation des formations
étrangères et privées du Grand- sont des programmes d’État à État, Processus de veille
Duché du Luxembourg. En France, de ministère à ministère pour porter et pratiques d’engagement
il est responsable adjoint du de l’acquis communautaire. C’est-à- C’est un « projet » de jumelage
département de coopération dire que l’Union européenne existait qui donne lieu à un programme
en éducation et responsable
de l’unité enseignement supérieur
déjà depuis un certain temps, avait d’action. Comment en arrive-t-on à
du Centre international d’études produit beaucoup de règlements, de se lancer dans la conception d’un
pédagogiques (CIEP). Bruno directives, dans un certain nombre programme d’action ? Il y a plusieurs
Curvale est officier dans l’Ordre de domaines et, pour les nouveaux déterminants. Il y a d’abord, à
des Palmes académiques.
venus, il y a eu cette politique de un moment donné, la demande
curvale@ciep.fr jumelage pour permettre à un d’un pays pour être accompagné.
ministère d’acquérir, d’apprendre Pour ce projet, c’était le ministère
les méthodes, les usages et surtout de l’enseignement supérieur
de porter dans leurs législations macédonien qui souhaitait être
nationales les conséquences des accompagné pour mettre en place
directives de l’UE. Ce mécanisme, un certain nombre de dispositifs
cet outil, est utilisé aussi dans un pour être plus compatible avec le
cadre un peu différent, qui est celui processus de Bologne. Et pour cette
de la politique de voisinage, pour des mission-là, concrètement, c’est le
pays qui n’ont pas vocation à entrer CIEP qui a décidé de proposer au
dans l’UE mais avec lesquels l’UE ministère français de l’enseignement
travaille de manière étroite. L’enjeu supérieur de se lancer dans un
d’un jumelage, c’est de faciliter jumelage. En France, aujourd’hui,
l’accession d’un pays à l’UE. La c’est souvent le CIEP qui signale
Macédoine du Nord a vocation, a une demande de jumelage et qui
priori, en tant qu’État, à intégrer l’UE. s’adresse au ministère pour le lui
C’est un processus d’accession qui signaler et ensuite monter le projet,
dure déjà depuis dix ans et il y a des avec son aval, bien évidemment,
jumelages dans tous les domaines puisque c’est bien le ministère qui va
de l’activité économique. De manière être concerné par ce projet.
10 LES CARNETS DE L’EXPERTISE – N°5 – FÉVRIER 2019VOIX
Examiner les caractéristiques mobiliser pour répondre aux ques- parle de masters, vous savez tout
du dossier tions. Car il y a dans chaque projet de suite que, de toute façon, il n’y a
Le travail, les composantes étaient un certain nombre de thématiques pas de baguette magique et qu’on
assez clairs. Il s’agissait, pour la précises, ce qu’on appelle les ne va pas transformer radicalement
première composante d’évaluer, composantes du projet. Donc on la situation de l’emploi des diplômés
au moyen d’une méthode à conce- vérifie qu’on a des compétences pendant la durée du projet…
voir, des formations en termes françaises pour répondre et on va
d’employabilité – un petit groupe, aussi chercher des partenaires à Prendre en compte
un échantillonnage – avec l’idée l’étranger, parce qu’aujourd’hui, il la configuration macédonienne
de pouvoir ensuite permettre de faut monter des consortiums. En fait, c’était un projet qui était
les transformer pour améliorer destiné à développer des formations,
l’employabilité des diplômés. La Prendre en compte les à aider à ce que l’enseignement
deuxième composante devait caractéristiques du programme supérieur macédonien, qui est très
développer ce que l’on nomme en Un programme de jumelage, c’est traditionnel, encore très marqué par
Macédoine du Nord des Career très normé. Il y a des composantes, le système yougoslave, transforme
centers. On pourrait appeler ça des des objectifs à atteindre. Par ses formations autour de la question
bureaux d’orientation pour aider exemple, pour la partie évaluation, de l’employabilité, pour évidemment
les étudiants à mieux choisir leurs le livrable était une méthode d’au- essayer de faciliter un démarrage
études. Et la troisième composante toévaluation et d’évaluation pour économique dans ce petit pays,
portait sur un objet assez unique, permettre à une équipe académique qui est vraiment en difficulté
qui s’appelle le board for trust and de tester, de vérifier ou d’amé- économique et qui dispose d’un
cooperation with the public, qui liorer son programme au regard de appareil d’enseignement supérieur
est, là encore, une structure interne critères, dont l’employabilité était le assez en décalage avec sa réalité.
aux universités et qui a vocation à centre. Pour ce qui était des Career La Macédoine du Nord, c’est un peu
rapprocher l’université du monde centers, le livrable principal, c’était plus de deux millions d’habitants,
socioéconomique. Donc ces trois au fond des modalités de fonction- comme un gros département
composantes étaient bien liées à nement et de pérennisation d’un français, qui a conservé une
la notion d’employabilité : aider système d’orientation interne aux partie de l’appareil de formation
les étudiants à mieux choisir leurs établissements. Et pour les Boards universitaire d’un grand pays, qui
études, aider les établissements à for trust and cooperation, un peu était la Yougoslavie. Les grandes
mieux les guider, mieux conseiller l’équivalent, un guide qui permette universités Saints-Cyrille-et-Méthode
leurs étudiants ; aider à la prise de de facilement installer ces struc- de Skopje ou de Bitola étaient
conscience que l’on pouvait sans tures, qui étaient nouvelles. intégrées auparavant dans un pays
doute transformer les formations en qui comprenait aussi la Slovénie, la
mettant l’étudiant plus au centre Analyser le contexte Croatie, le Monténégro, la Serbie...
du processus, en l’accompagnant, Il existait des documents publics,
afin de renforcer son employabilité que nous avons lus évidemment. Appréhender les caractéristiques
et ses capacités à s’insérer dans Il y avait beaucoup de documen- et l’histoire des institutions
l’économie ; et puis évidemment tation disponible, donc on savait à académiques macédoniennes
essayer de mieux organiser la rela- peu près ce qu’on allait trouver. On Les responsables macédoniens ont
tion entre l’université et son contexte savait que c’était un enseignement un double problème, du fait d’avoir
socioéconomique. C’étaient les trois supérieur en cours de réorganisa- un appareil académique sans aucun
composantes centrales. tion et sans doute dans l’un des doute surdimensionné dans certains
contextes les plus difficiles qu’on secteurs, par rapport aux besoins
Structuration de la réponse puisse imaginer, c’est-à-dire une réels, et du fait également qu’au
économie peu développée. Le salaire sein de la Yougoslavie, il y avait de
Évaluer les ressources disponibles moyen à l’époque, je crois, était de très importants transferts d’argent
Un peu en simultané, on vérifie 300 euros pour ceux qui étaient entre les différents pays – c’est
que le ministère sera d’accord dans le système économique visible, une des explications de la fin de la
pour signer à un moment donné, sachant qu’une très large partie de la Yougoslavie – et que la Macédoine
pour s’engager sur la réalisation population travaille dans l’économie faisait partie des républiques les
d’un programme de jumelage. En informelle. Donc quand on vous moins riches, plutôt agricoles, avec
parallèle, on cherche à voir quelles parle de transformer les formations peu d’industries, alors qu’ils ont
ressources françaises on pourrait pour l’employabilité, quand on vous dans leurs universités une capacité
LES CARNETS DE L’EXPERTISE – N° 5 – FÉVRIER 2019 11VOIX
à former des ingénieurs, qui allaient States, les pays de l’UE – s’associent intéressante parce qu’elle a eu à
sans doute à l’époque de la Yougos- pour répondre à un jumelage. Donc transformer très profondément son
lavie s’employer en Slovaquie ou en la question, c’était de trouver des économie, grâce d’ailleurs à des
Slovénie, par exemple. Ils ont une partenaires. Nous nous sommes fonds structurels européens. Elle est
problématique de cet ordre-là et une posé la question suivante : nous passée d’une économie basée sur
autre grande problématique, qui est sommes un pays de 66 millions une industrie lourde, les chantiers
de faire évoluer un enseignement qui d’habitants, ça va être difficile de navals, le textile, etc., à un autre
était traditionnellement, j’imagine, travailler avec un pays de deux type d’économie basé plutôt sur la
plutôt sur le modèle soviétique, en millions d’habitants. On n’a pas l’ex- connaissance et les services. Donc
tout cas très différent du modèle de périence, au fond, de la façon dont on s’est rapproché d’eux.
Bologne. se posent les questions dans une
toute petite économie. Donc on s’est Identifier les partenaires pertinents
Constitution d’un consortium dit tout de suite qu’il fallait chercher On s’est rapproché de NI-CO4, qui
un partenaire qui sache ce que c’est joue ici un peu le même rôle que le
Évaluer l’opportunité de constituer que de réorganiser un enseigne- CIEP pour l’Irlande du Nord. Assez
un consortium ment supérieur dans ce contexte vite, ça a accroché. Une fois qu’il
Dans ce contexte, on s’est dit très de petite population. Alors à un y a eu un intérêt de la partie nord-
vite qu’on ne pouvait pas y aller moment donné, on s’est rapproché irlandaise pour participer au projet,
seuls parce qu’aujourd’hui, ça n’est des Irlandais du Nord, parce que le on est entré dans la phase de
pas la norme. L’Europe souhaite que Royaume-Uni est un pays formé de conception du projet, qui a été beau-
plusieurs pays européens membres quatre nations. L’Irlande du Nord coup rédigé chez nous, et ensuite,
– ce qu’on appelle les Member est une nation particulièrement assez vite, en corédaction.
2 Élaboration d’un cadre d’intervention
Dans un contexte compliqué, comment travailler avec les différentes parties prenantes, dans le respect
des valeurs portées par le projet et des réalités locales ? L’entretien met en évidence les écueils rencontrés
et les solutions trouvées pour mener à bien la mission.
Définir un cadre d’intervention méthodes, mais évidemment en je crois que c’est une question de
fournissant une expertise, en accom- confiance. Vous ne racontez pas
Le plus gros problème qu’on a, à pagnant les équipes sur place. À d’histoires. Vous dites simplement :
ce moment-là, c’est de se dire : ce stade, il était important qu’il n’y on a de l’expérience, on peut mobi-
est-ce qu’on va y arriver ? C’est la ait pas d’ambigüité sur la nature de liser beaucoup d’expertise parce
question des experts, de la logique notre apport. qu’on a deux pays qui sont très
de construction. On sait qu’on va disponibles et on est même prêt à
travailler avec des gens sur place Maintenir un cap et tenir le cadre aller chercher, en cas de besoin, de
qu’on ne connaît pas bien et qu’il d’intervention l’expertise ailleurs et simplement,
va falloir les accompagner dans vous pouvez compter sur nous
leur démarche. C’est un jumelage. Savoir dire et souligner là-dessus. Voilà ce qu’on va faire.
L’idée, c’est qu’au final, on ne va pas les paradoxes Mais on est très clair : on ne va pas
apporter clé en main les solutions. On parle franchement. Effective- faire le travail à votre place.
D’ailleurs, c’est ce qu’on dit au ment, on n’allait pas apporter des
moment de la défense de la soute- solutions toutes faites, ce n’était pas Prendre en compte le réel
nance. Je tiens beaucoup à être très notre façon de travailler. Par contre, des situations rencontrées
clair à ce sujet : on n’est pas là pour on allait apporter toute l’expérience Nous n’avons pas vu qu’il y
apporter nos solutions ni pour faire déjà acquise chez nous et on a été avait deux problèmes. L’un était
à la place des gens ; on est là pour très francs sur le fait que chez nous, général, c’était l’ampleur du
les aider à développer leurs propres tout ne marchait pas bien. Voilà, problème politique dans le pays à
4. Northern Ireland Co-operation Overseas.
12 LES CARNETS DE L’EXPERTISE – N°5 – FÉVRIER 2019VOIX
ce moment-là. Le jumelage s’est eu des violences, des bagarres au Faire respecter des valeurs
déroulé pendant 14 mois de juillet Parlement, des blessés. Quelles On lui a demandé d’aller sur place
2016 à septembre 2017. Nous étaient les conséquences pour pour discuter avec les universitaires
avons commencé les opérations au nous ? Nous avons découvert un et voir quelle était leur envie, leur
début de l’été 2016. Des élections ministère qui était fortement politisé, vision du changement, du ministère
législatives, retardées pendant particulièrement au niveau des aussi. Nous nous disions que s’il
plusieurs mois à la demande de postes de direction. C’était bien parlait ainsi, cela ne devait pas
l’Union européenne pour garantir entendu le cas du chef de projet et plaire à tout le monde… Donc
leur intégrité, ont eu lieu en malheureusement comme souvent quelle était en fait la capacité de
décembre (initialement les élections la politisation prend ici le pas sur les ce ministère à être écouté par les
devaient avoir lieu en avril). Le parti préoccupations professionnelles universités ? On sait que c’est une
au pouvoir depuis dix ans est arrivé des grandes difficultés partout.
en tête mais n’a pas été capable de Gérer les interlocuteurs défaillants L’autonomie universitaire existe aussi
former un gouvernement. Il voulait On a eu un accident, au départ, qui en Macédoine du Nord. Donc je me
cependant vraiment rester en place a été salvateur, au fond. On s’est suis demandé comment notre projet
et le projet s’est déroulé pendant une rapidement aperçu que le chef serait reçu et je me suis dit que je
crise politique parfois violente. Cette de projet macédonien aurait bien n’avais pas envie que nous, en tant
crise n’a pris fin qu’en juin 2017 aimé être en situation de pouvoir que Français, soyons associés à ce
avec l’investiture d’un gouvernement dire que l’Europe lui disait d’arrêter type de comportements, de discours.
conduit par le leader de l’opposition les formations dans telle et telle Il allait falloir non seulement aider ce
parlementaire. Le rapport de la université. Il avait notamment des ministère, mais en même temps s’en
Commission européenne sur idées très arrêtées sur ce qui était démarquer. Il n’était pas question
l’accession disait que la corruption bien ou non, avec un vocabulaire que l’on soit vu simplement comme
et le trafic d’influence étaient très très rude particulièrement vis-à-vis le bras armé ou comme des gens en
forts en Macédoine du Nord et des sciences humaines et sociales. phase complète avec cela, ce n’était
qu’il n’y aurait pas d’accession à Après, en creusant, on s’est aperçu pas possible.
l’UE tant qu’il n’y aurait pas une que c’était aussi lié à des inimitiés
dépolitisation de l’administration. Ça, politiques. J’ai vu très vite qu’il fallait Mobiliser des tiers
c’était déjà repéré. Mais on ne savait une mission d’un expert français pour faire médiation
pas quel impact cela pouvait avoir qui puisse être écouté par les Dans tous les pays, il y a une
effectivement. universitaires macédoniens, pour délégation de l’Union européenne.
qu’on ait leur vision de ce projet. Notre correspondante là-bas à
S’ajuster aux évolutions du contexte Et donc, on a eu l’accident : la l’époque était une Britannique.
Les élections présidentielles mention par l’expert qu’une partie Et donc je suis allé la voir, un
devaient avoir lieu en juin mais des universitaires qu’il rencontrait peu embarrassé, comme on
les Européens n’ont pas accepté dans sa mission ne souhaitait peut l’être quand il s’agit de
qu’elles se tiennent parce que pas être cités nommément parce parler de personnes, qu’on est
les listes électorales qui avaient qu’ils se méfiaient du ministère a au début d’un projet et qu’on va
été produites étaient bancales, été très mal vécue par le chef de dire qu’on va trouver difficile de
montraient qu’il y avait un grand projet macédonien qui y a vu une le mener à bien. J’ai commencé
danger sur la sincérité possible atteinte inacceptable et injustifiée à m’expliquer et la personne m’a
du vote et cela a duré six mois. à l’honneur de son pays. À partir coupé la parole en disant : « nous
Pendant pratiquement toute la durée de ce moment-là, j’ai commencé à connaissons la situation » . Et on
du projet, la question politique est avoir de grands doutes sur la lecture m’a fait comprendre que si nous
restée en toile de fond. Les élections de la situation macédonienne, n’atteignions pas tous les objectifs,
législatives ont été reculées de six parce que je la connaissais en fait ce ne serait pas grave. Cela m’a
mois et il y a eu une majorité du principalement à travers le chef de rassuré sur le fait que je ne me
parti en place, à un ou deux sièges projet macédonien. C’est lui qui trompais pas complètement sur la
près. La coalition au pouvoir n’a pas m’expliquait son pays, les difficultés nature des difficultés que j’avais en
réussi à former un gouvernement. Il et quand il a commencé à me parler face de moi et m’a renforcé dans
a fallu que le président, qui était de comme ça, je me suis dit qu’il fallait l’idée que ça allait être compliqué de
ce courant, accepte que l’opposition absolument entendre un autre son mener à bien ce projet
propose un gouvernement. Il ne de cloche, des gens qui pensent
l’a pas accepté facilement. Il y a différemment.
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