Traitement antidiabétique et insuffisance cardiaque

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Sécurité cardiovasculaire
des antidiabétiques

                                                  dossier                            thématique

Traitement antidiabétique
et insuffisance cardiaque
Antidiabetic drugs and heart failure
R. Roussel*

L
        es liens entre insuffisance cardiaque et diabète
        de type 2 sont étroits et réciproques. Le risque
        d’insuffisance cardiaque chez les patients diabé-                 »»L’insuffisance cardiaque est fréquente chez les diabétiques, et,
tiques n’est pas complètement expliqué par les facteurs                      réciproquement, le diabète constitue un facteur pronostique
de risque connus d’insuffisance cardiaque.                                   péjoratif chez les insuffisants cardiaques.
Le diabète, par l’hyperglycémie chronique et sans doute                   »»Les glitazones multiplient par un facteur de 1,5 à 2 le risque
aussi par d’autres facteurs qui lui sont intimement liés                     d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque, mais, selon les données
– comme les anomalies lipidiques caractéristiques du                         disponibles, pas la mortalité cardiovasculaire.

                                                                                                                                                               P o i nt s f o rt s
diabète de type 2 –, induit des transformations struc-
turales et fonctionnelles, notamment énergétiques,                        »»Cet effet secondaire est lié à une rétention hydrosodée sensible
qui peuvent favoriser le développement d’une insuf-                          aux diurétiques de type amiloride ; il n’y a pas d’argument en faveur
fisance cardiaque. Plusieurs études ont rapporté que                         d’une toxicité myocardique directe.
les traitements antidiabétiques eux-mêmes pouvaient
avoir un impact sur les événements liés à l’insuffisance
                                                                          »»La metformine est le seul antidiabétique associé à une réduction du
cardiaque : on pense, en particulier mais pas exclu-
                                                                             risque d’insuffisance cardiaque, et, en cas d’antécédent d’insuffisance
sivement, aux glitazones contre-indiquées chez les                           cardiaque, elle est associée à un meilleur pronostic vital.
patients à tous les stades de la classification de la NYHA.               »»Ces observations sont essentiellement épidémiologiques, et
D’autres molécules, en particulier l’insuline, ont éga-                      nécessitent une confirmation dans des essais randomisés contrôlés.
lement été associées à un surrisque. Ainsi, au cours de
la Framingham Heart Study, l’excès de risque d’insuffi-                   Mots-clés : Insuffisance cardiaque – Diabète – Traitement antidiabé-
sance cardiaque chez les diabétiques a été confiné aux                    tique – Effet secondaire – Metformine.
patients traités par insuline.                                            Keywords: Heart failure – Diabetes – Anti-diabetic drug – Side-effect –
La suspicion concernant l’insuline est cependant loin                     Metformin.
d’être systématiquement évoquée : elle a même été
associée (après administration aiguë) à une amélioration
de la tolérance à l’effort (1).

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Épidémiologie                                                       élevé (+ 2,5 kg/­m²) augmente le risque d’insuffisance
                                                                    cardiaque de 12 % (5). Les autres facteurs de risque indé-
La prévalence de l’insuffisance cardiaque dans la popu-             pendants sont l’âge, les antécédents de complications
lation générale est de l’ordre de 1 à 4 % pour les tranches         micro-angiopathiques (rétinopathie et néphropathie
d’âge les plus élevées. Elle est d’environ 12 % chez les            en particulier, qui s’accompagnent de protéinurie, voire
diabétiques, une proportion atteignant 22 % chez les                d’insuffisance rénale), macro-angiopathiques (antécé-
sujets âgés de plus de 65 ans (2, 3). Malheureusement,              dents coronariens) et des caractéristiques du diabète
ces patients sont souvent exclus des grands essais cli-             lui-même : une longue durée d’évolution du diabète           © La Lettre
niques. Réciproquement, la prévalence du diabète dans               et la nécessité d’un recours à l’insuline, 2 aspects très    du Cardiologue-Risque
la population générale est de l’ordre de 4 à 10 %, et               liés, sont également des facteurs de risque d’insuffi-       Cardiovasculaire
                                                                                                                                 n° 438 - octobre 2010
elle atteint, selon les études, 10 à 38 % des insuffisants          sance cardiaque chez le diabétique. L’hypertension est
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cardiaques symptomatiques (4). Les patients diabé-                  également un de ces facteurs de risque indépendants.         diabétologie nutrition,
tiques sont d’autant plus à risque de développer une                Elle est très fréquente chez le diabétique de type 2. Le     groupe hospitalier Bichat-
insuffisance cardiaque qu’ils cumulent les facteurs de              développement d’une insuffisance cardiaque est un            Claude-Bernard, Paris.

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Sécurité cardiovasculaire
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      dossier                        thématique

      tournant très péjoratif dans l’évolution de la maladie :        Impact de la prise en charge thérapeutique
      dans l’étude DIABHYCAR (The non-insulin-dependent               du diabète sur les insuffisances cardiaques
      DIABetes, HYpertension, microalbuminuria or proteinuria,
      CARdiovascular events, and ramipril), qui portait sur des       Quel effet du contrôle glycémique ?
      diabétiques de type 2 micro- ou macro-albuminuriques,           Sur le plan épidémiologique, les patients diabétiques
      le développement d’une insuffisance cardiaque était             déséquilibrés ont un risque plus important de dévelop-
      associé à une mortalité multipliée par 12 au cours du           per une insuffisance cardiaque : + 10 à 15 % par point
      suivi (36 % versus 3 % chez les diabétiques ne dévelop-         d’HbA1c supplémentaire. Cette relation épidémiolo-
      pant pas d’insuffisance cardiaque) [6]. Dans une étude          gique n’a pas pour l’instant trouvé de prolongement
      américaine épidémiologique portant sur des patients             à l’occasion des grands essais d’intensification du
      diabétiques âgés, la survie à 5 ans après le diagnostic         traitement antidiabétique : au cours de l’étude UKPDS
      d’insuffisance cardiaque était inférieure à 15 % alors          (UK Prospective Diabetes Study), le risque d’insuffisance
      qu’elle s’élevait à 80 % chez les sujets ne présentant pas      cardiaque n’a pas été réduit chez les diabétiques sou-
      d’insuffisance cardiaque et appariés par l’âge.                 mis à un contrôle intensif (7 % d’HbA1c moyenne) par
      Pourquoi les diabétiques développent-ils fré­quemment           rapport aux sujets sous traitement conventionnel (7,9 %
      une insuffisance cardiaque ?                                    d’HbA1c moyenne) [10]. Il s’agissait, il est vrai, de diabé-
      Plusieurs mécanismes ont été proposés :                         tiques plutôt jeunes, un peu plus de 50 ans à l’inclusion,
      ✓✓ De façon générale, les facteurs de risque d’insuffi-         dont le diagnostic de diabète était récent. Dans les
      sance cardiaque sont fréquemment observés chez les              essais publiés ces 2 dernières années (ACCORD, VADT
      diabétiques, comme l’hypertension, les pathologies              et ADVANCE), le taux d’insuffisance cardiaque n’était
      ischémiques, l’obésité, etc.                                    pas non plus affecté par le contrôle glycémique chez
      ✓✓ L’hyperglycémie chronique, mais également les                des sujets plus âgés (62 ans dans ACCORD et VADT et
      autres anomalies métaboliques associées à l’hyperglycé-         66 ans dans ADVANCE) dont le diabète évoluait depuis
      mie (hypertriglycéridémie en particulier postprandiale,         environ 8 à 10 ans.
      élévation des acides gras libres, baisse de la leptine,
      etc.) ont probablement un effet direct sur le myocarde.         Autres interventions thérapeutiques
      ✓✓ Le diabète est associé à des anomalies des systèmes          chez les diabétiques
      hormonaux vaso-actifs (activation de la noradrénaline           Bien que cet aspect sorte du cadre de cette mise au
      et de l’endothéline-1), mais aussi à une activation de          point, il est clair que l’efficacité de l’intensification du
      cytokines pro-inflammatoires, dont l’IL-6 ou le TNFα.           contrôle tensionnel chez les diabétiques est acquise :
      L’insuffisance cardiaque présente également ces anoma-          les sujets soumis au contrôle intensif dans UKPDS pré-
      lies, avec cependant une élévation des concentrations           sentaient un risque diminué de 56 % de développer
      circulantes de ces marqueurs à des niveaux bien supé-           une insuffisance cardiaque. De plus, dans l’escalade
      rieurs, corrélées au pronostic (7). Or, l’insuline possède      thérapeutique, la généralisation du recours précoce aux
      des propriétés anti-inflammatoires (peut-être émoussées         bloqueurs du système rénine-angiotensine, inhibiteurs
      dans les situations d’insulinorésistance) ; cette observa-      de l’enzyme de conversion et surtout sartans, en parti-
      tion concorde avec un bénéfice démontré de l’insuline           culier chez les patients présentant une néphropathie
      dans certaines situations de dysfonction cardiaque (1, 8).      diabétique plus ou moins évoluée, a probablement
      Certains traitements antidiabétiques exercent une               contribué, récemment, à limiter l’incidence de l’insuf-
      toxicité sur le myocarde. Cependant, dans une étude             fisance cardiaque chez les diabétiques.
      britannique rétrospective publiée en 2005 (ne portant
      que sur les sulfamides, la metformine et l’insuline, et
      excluant donc les glitazones), le risque d’insuffisance         Traitements pharmacologiques
      cardiaque était élevé chez les diabétiques commen-              antidiabétiques
      çant un traitement (sans différence entre les différentes
      classes) seulement la première année, ce qui suggère            Insuline
      que la durée du diabète et la sévérité de la maladie            L’insulinothérapie a été associée à un risque accru de
      métabolique étaient les vrais facteurs en cause, plus           décès chez les insuffisants cardiaques de plusieurs
      que l’aspect thérapeutique lui-même (9).                        études observationnelles. Au sein de l’essai SAVE
      Enfin, rarement, le diabète et la myocardiopathie sont          (Survival And Ventricular Enlargement), les sujets traités
      deux conséquences d’une même maladie systémique,                par insuline après un infarctus du myocarde compliqué
      comme l’hémochromatose.                                         d’une fraction d’éjection abaissée avaient un moins

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Traitement antidiabétique et insuffisance cardiaque

bon pronostic (risque ajusté de décès + 38 %) que les               de grande taille conduite en Grande-Bretagne a conclu
patients recevant d’autres antidiabétiques (11). Ce                 que les patients en monothérapie, comparativement
résultat a été retrouvé dans d’autres études, métho-                à la metformine, avaient un risque de mortalité signi-
dologiquement médiocres (sous-groupes, absence                      ficativement augmenté sous sulfamides de première
d’ajustement). En revanche, aucune augmentation                     ou seconde génération (de + 24 à + 61 %), et un risque
du risque de décès associée au recours à l’insuline n’a             d’insuffisance cardiaque congestive augmenté d’environ
été retrouvée dans la très vaste analyse des données                25 % sous sulfamide de seconde génération (15). En
de patients de Medicare (12). On peut donc conclure                 France, la quasi-totalité des patients sous sulfamides
que l’insuline n’est pas associée à un bénéfice chez les            reçoit une molécule dite de seconde génération. Sans
insuffisants cardiaques mais qu’elle n’aggrave pas non              distinction de génération, chez des patients canadiens
plus le risque de mortalité. On sait aussi qu’elle est sou-         sous antidiabétique en monothérapie, les sulfamides à
vent un choix par élimination et/ou échec des autres                fortes doses étaient associés à un risque d’insuffisance
options, et que l’absence de traitement n’est pas une               cardiaque supérieur à celui des patients sous faibles
alternative raisonnable.                                            doses de sulfamides, et à celui des patients sous met-
                                                                    formine. On peut évoquer un biais de confusion dans ce
Sulfamides                                                          type d’étude rétrospective, où la forte dose peut être le
Le recours aux sulfamides est très fréquent chez les                reflet de l’ancienneté et de la sévérité du diabète, mais
diabétiques présentant une insuffisance cardiaque :                 aucun effet n’était associé à la metformine à forte dose,
chez 1 833 diabétiques canadiens souffrant aussi d’in-              comparativement à la faible dose de metformine (16).
suffisance cardiaque, 42 % étaient traités par sulfamide            Globalement, les arguments sont faibles pour affir-
en monothérapie et 47 % par une association sulfamide/              mer un effet délétère des sulfamides vis-à-vis du risque
metformine (13). Les sulfamides hypoglycémiants se                  d’insuffisance cardiaque, mais la comparaison avec la
lient à un récepteur situé sur la membrane des cellules             metformine semble favorable à cette dernière.
bêta du pancréas, SUR, couplé à un canal potassique,
Kir6.2, et induisent une insulinosécrétion : ils favorisent         Glitazones
donc l’hyperinsulinisme d’origine endogène, efficace                Les glitazones, ou thiazolidinediones, sont des ligands
pour réduire la glycémie dans un contexte d’insulino-               de PPAR-γ (Peroxisome Proliferator-Activated Receptor
résistance. Ils présentent l’inconvénient d’induire des             gamma), un facteur de transcription exprimé dans le
hypoglycémies, l’insulinosécrétion survenant quelle                 tissu adipeux, mais aussi au niveau de l’endothélium,
que soit la glycémie après liaison du sulfamide à son               des cellules bêta du pancréas et des macrophages. En
récepteur. La grande fréquence de leur utilisation                  ce qui concerne l’effet métabolique recherché, leur cible
reflète probablement la réticence vis-à-vis du recours              moléculaire est située essentiellement au niveau des
à d’autres hypoglycémiants chez ces patients fragiles               adipocytes dont ils stimulent la croissance en modi-
et présentant potentiellement des contre-indications                fiant le phénotype dans un sens métaboliquement plus
à d’autres classes, glitazones et biguanides. Chez les              favorable : les adipocytes, dont les dépôts augmentent
diabétiques récemment diagnostiqués d’UKPDS, les                    en situation sous-cutanée et régressent modérément
sujets du bras de traitement initial par sulfamide, après           dans leur localisation abdominale, sont en moyenne de
échec des mesures hygiénodiététiques, ne présentaient               plus petite taille et ont un profil sécrétoire d’adipocyto-
pas une incidence supérieure des nouveaux cas d’in-                 kines, telle l’adiponectine, plus favorable. Ils sont plus
suffisance cardiaque. Dans une analyse rétrospective                sensibles à l’action de l’insuline, et, par l’intermédiaire
américaine, les sulfamides étaient au contraire associés            des adipocytokines, d’autres tissus périphériques amé-
à une incidence inférieure d’insuffisance cardiaque, en             liorent leur sensibilité à l’insuline : le muscle et le foie.
comparaison à l’insuline (− 36 %) [14]. La similitude entre         Ces traitements sont donc associés par nature à une
les canaux potassiques des cellules bêta pancréatiques              prise de poids, un élément a priori défavorable chez les
(les sulfamides hypoglycémiants les activent, induisant             insuffisants cardiaques. Cette prise de poids est liée à
une dépolarisation) et les canaux potassiques myocar-               la croissance adipeuse, mais aussi à la rétention hydro-
diques a fait craindre, en particulier avec les sulfamides          sodée. La prise de poids moyenne la première année
les plus anciens (chlorpropamide, glibenclamide), un                est de l’ordre de 4 kg, répartis de façon équivalente
risque accru de troubles du rythme et de mort subite.               entre l’augmentation de la masse grasse et la rétention
Cependant, aucune association avec la mortalité n’a                 hydrosodée. Elle se poursuit au cours des années de
été observée dans différentes études rétrospectives                 traitement ultérieur à un rythme moins soutenu. Ces
de cohortes (12). Enfin, une autre étude rétrospective              observations sont similaires pour les 2 représentants de

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                           dossier                        thématique

                           la classe, la pioglitazone et la rosiglitazone. La traduc-       lisateurs (ni glitazone ni metformine) étaient associées
                           tion clinique de cette rétention hydrosodée comprend             à un profil cardiovasculaire en demi-teinte : si le risque
                           également des œdèmes périphériques fréquents (de                 de décès dans l’année était diminué de 13 % significati-
                           l’ordre de 20 %) et une élévation des peptides natriu-           vement, le risque de réadmission hospitalière était, lui,
                           rétiques (17). Les mécanismes à l’origine des œdèmes             augmenté (12). D’autres études, également observa-
                           ne sont pas parfaitement clairs : une interaction des            tionnelles, chez des vétérans américains ne relevaient ni
                           glitazones avec les transporteurs de sodium au niveau            ce bénéfice sur la mortalité ni cette association avec de
                           des tubules et des canaux collecteurs est probable,              nouvelles hospitalisations pour insuffisance cardiaque.
                           peut-être également une augmentation du transport                Qu’en est-il lorsque l’insuffisance cardiaque est déjà
                           hydroélectrique au niveau de la muqueuse intestinale.            connue ? Dans la plupart des essais randomisés, elle
                           Sur cette base, et d’après des essais de courte durée, la        constituait un critère d’exclusion. Une étude, déjà
                           rétention hydrosodée associée aux glitazones pourrait            mentionnée ci-dessus, a comparé la rosiglitazone à
                           être limitée de façon importante par une coprescription          un placebo pendant 1 an chez 224 patients au stade I
                           de diurétiques de type amiloride.                                ou II de la NYHA. Hormis les œdèmes, aucun événement
                           Les grands essais cliniques qui ont évalué l’une ou l’autre      clinique n’était affecté par la rosiglitazone sur cette
                           des glitazones par rapport à un placebo, de même que             période relativement brève. Dans l’étude PROactive,
                           plusieurs études observationnelles de grande taille ont          où la pioglitazone était comparée à un placebo chez
                           indiqué que le risque de décompensation congestive               plus de 5 000 diabétiques à haut risque cardiovasculaire,
                           à l’insuffisance cardiaque (ayant conduit à une hospi-           le nombre de patients traités pour une insuffisance
                           talisation avec le diagnostic d’insuffisance cardiaque           cardiaque à l’inclusion n’était pas précisé (les sujets des
                           congestive) était presque doublé de façon similaire              classes II à IV de la NYHA étaient exclus). Cependant,
                           par l’une ou l’autre glitazone. Ce risque est-il simple-         près de la moitié des patients avaient un antécédent
                           ment lié à une décompensation d’une insuffisance                 d’infarctus du myocarde. L’incidence des hospitalisations
                           cardiaque connue ou latente via la rétention hydroso-            pour insuffisance cardiaque a été de 6 % sous pioglita-
                           dée, ou les glitazones ont-elles un effet délétère sur la        zone, contre 4 % sous placebo (p = 0,007). La mortalité
                           structure et la fonction myocardique ? Les arguments             par insuffisance cardiaque était en revanche similaire.
                           expérimentaux, mais surtout les résultats de 2 essais            Des analyses exploratoires ultérieures ont rapporté que
                           sur 52 semaines, comparant l’un la rosiglitazone à un            le risque de mortalité ou de présenter un événement
                           sulfamide, le glibenclamide, l’autre la rosiglitazone à          cardiovasculaire majeur après une première poussée
                           un placebo chez des patients avec une insuffisance               d’insuffisance cardiaque était inférieur sous pioglita-
                           cardiaque de stade NYHA I ou II, ont indiqué de façon            zone. Ces poussées seraient donc plus fréquentes mais
                           concordante que les glitazones n’étaient pas associées           “moins graves” sous pioglitazone, un argument indirect
                           à une altération de la fraction d’éjection du ventricule         pour soutenir un simple effet de rétention (21).
                           gauche ou à d’autres marqueurs fonctionnels (18, 19).            Les arguments sont-ils définitifs pour contre-indiquer
                           Dans ces études, le traitement de l’insuffisance car-            les glitazones chez les insuffisants cardiaques ? Cette
                           diaque, en particulier le recours aux diurétiques, était         thérapeutique est associée à un effet antidiabétique
                           plus intense dans les groupes sous glitazone. Un petit           modéré avec une baisse de l’ordre de 1 à 1,5 % de
                           essai comparant le glimépiride, un sulfamide, à la rosi-         l’HbA1c à 6 mois. Les autres bénéfices sont relative-
                           glitazone pendant 16 semaines chez 12 patients sous              ment peu consistants : on sait que la rosiglitazone
                           meformine a même suggéré une amélioration de la                  a été suspendue en Europe en raison d’un possible
                           fonction diastolique sous glitazone (20). Une récente            risque d’augmentation de l’incidence des infarctus
                           analyse a porté sur plus de 20 000 patients traités par          du myocarde – bien que non définitivement avéré –,
                           pioglitazone ou rosiglitazone dans 7 essais randomisés.          alors que la pioglitazone a été associée en revanche à
                           Elle montrait que, comparativement aux témoins, les              un possible bénéfice au regard de la coronaropathie,
Annoncez                   sujets sous glitazone avaient un risque augmenté de              mais là aussi non avéré puisqu’il ne s’agissait que d’un
  vous !                   72 % de décompensation d’insuffisance cardiaque, une             critère de jugement secondaire (22). La balance n’est
                           augmentation cependant qui n’était pas associée à une            donc pas favorable à l’utilisation de ces traitements
Contactez Valérie Glatin   élévation du risque de mortalité cardiovasculaire (− 7 %,        chez les insuffisants cardiaques. Toutefois, il est à noter
   au 01 46 67 62 77
                           non significatif). Lors d’une analyse rétrospective d’un         qu’aucune augmentation de la mortalité totale ou car-
   ou faites parvenir
votre annonce par mail     registre américain portant sur plus de 16 000 patients           diovasculaire n’a été observée sur l’ensemble des études
à vglatin@edimark.fr       diabétiques, avec insuffisance cardiaque, les glitazones,        ou des méta-analyses. En ce qui concerne la rétention
                           comparées à d’autres traitements non insulinosensibi-            hydrosodée, les études observationnelles ont montré

 288                                                        Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010
Traitement antidiabétique et insuffisance cardiaque

que les prescripteurs, maintenant très bien avertis de              était encore plus marquée chez les sujets ayant, en
ce risque, le géraient en intensifiant les traitements              plus d’un antécédent athérothrombotique, un anté-
cardioprotecteurs, en particulier en recourant facile-              cédent d’insuffisance cardiaque, ce qui suggère que
ment aux diurétiques. Les recommandations sont de                   si l’on ne peut exclure que le risque d’acidose lactique
ne pas utiliser cette classe dès que le patient est en              sous metformine existe dans cette population, il est
stade I de la NYHA.                                                 très probablement largement contrebalancé par des
                                                                    bénéfices associés à la metformine sur la mortalité
Metformine                                                          à d’autres titres (figure 1) [23]. Cette observation est
La metformine est un traitement antidiabétique effi-                concordante avec le travail de F.A. Masoudi et al. chez
cace (baisse de l’HbA1c de 1 à 2 %) de la classe des                des patients diabétiques âgés et hospitalisés pour
biguanides, dont elle est le seul représentant. La phen-            insuffisance cardiaque, dont le pronostic vital à 1 an
formine a été utilisée jusque dans les années 1970 et               était meilleur lorsque les sujets recevaient à la sortie
son retrait a été précipité par son implication dans                de l’hôpital de la metformine, comparativement aux
plusieurs centaines de cas d’acidose lactique, une                  sujets non traités par un insulino-sensibilisateur (12,
situation dramatique, puisque la mortalité de cette                 13, 14, 24). Il est intéressant de relever que, dans ce
pathologie est de l’ordre de 50 %. La metformine a                  dernier travail et dans une méta-analyse plus récente,
hérité de l’aura sulfureuse de la phenformine, bien                 non seulement la mortalité à 1 an mais également la
qu’elle en diffère sur de nombreux points : elle ne                 réadmission hospitalière, toutes causes confondues ou
connaît pas de métabolisme hépatique et est excrétée                pour décompensation d’insuffisance cardiaque, étaient
intacte par le rein. Augmente-t-elle le risque d’aci-               moins fréquentes pour les patients sous metformine
dose lactique ? Cela a été admis comme une évidence                 (figure 2). À l’évidence, les limites de ces études aux
jusqu’à très récemment. Les mentalités commencent                   résultats provocants et faisant potentiellement de
à évoluer en raison de plusieurs observations. Elle a               l’insuffisance cardiaque non plus une contre-indication
été, en raison du passé de la phenformine, interdite                mais une indication de la metformine, doivent être
sur le marché américain jusqu’en 1996. Elle a alors été             soutenues par des essais randomisés contrôlés spéci-
réintroduite avec une pharmacovigilance très active.
Cela a fourni l’occasion d’observer si l’incidence des
acidoses lactiques chez les diabétiques augmentait
après l’introduction de la metformine : ni cette étude                                                                                       Metformine
américaine de pharmacovigilance ni 2 autres cohortes
                                                                                                                                      n/N                  n/N
rétrospectives américaine et canadienne n’ont mis en                                                                                                                  HR ajusté           p
                                                                         Antécédent                                                   Yes                  No
évidence un surrisque associé à la metformine. Un                        d’insuffisance cardiaque
facteur de confusion vient notamment du fait que le
                                                                                     non                                          221/6,002             488/9,120         0,80      p = 0,034
diabète, de par sa nature et également des comor-
                                                                                     oui                                          116/1,220             419/2,790         0,69      p = 0,006
bidités qui lui sont fréquemment associées, est un
facteur de risque d’acidose lactique. Par exemple, dans
l’étude américaine, 2,6 % des patients diabétiques
non traités par metformine ont présenté une acidose
lactique, un taux nettement supérieur à celui d’une
population non diabétique. En revanche, la proportion                                               0,5             1,0                1,5                  2,0
pour les patients diabétiques traités par metformine                                                 En faveur de
n’était que de 2,3 %, et donc non significativement                                                 la metformine
différente. Aucune étude ne nous fournit de données                                                                                                      P d’interaction : p = 0,39
spécifiquement chez les patients présentant un dia-                                                                 n/N : nombre de décès sur 2 ans/nombre total de patients dans le groupe.
bète et une insuffisance cardiaque, une condition
qui suffit à augmenter considérablement le risque                       Figure 1. Risque de mortalité associée à la metformine dans le registre REACH pour les patients
d’acidose lactique. Cependant, nous avons récem-                        diabétiques en prévention secondaire (le taux de mortalité des patients sous metformine est
ment présenté les résultats d’un registre mettant en                    comparé à celui des patients non traités par la metformine, avec ajustement sur de multiples
évidence une réduction de la mortalité de 24 % chez                     facteurs de risque cardiovasculaire et un score de propension lié à la prescription de metformine,
                                                                        afin de limiter le biais d’indication). La metformine est globalement associée à une réduction
les sujets diabétiques du registre REACH (REduction of
                                                                        (ajustée) de la mortalité de 24 %, un effet similaire qu’il y ait ou non un antécédent d’insuffisance
Atherothrombosis for Continued Health) en prévention                    cardiaque.
secondaire associée à la metformine : cette réduction

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010                                                                                               289
Sécurité cardiovasculaire
                                                                                                                                                                                                          des antidiabétiques

                                                                         dossier                                       thématique

                                                                                                                                                               fiques. Quoi qu’il en soit, il est à noter que l’American
                                          100                                                                                                                  Diabetes Association (ADA) a récemment modifié sa
                                                                                                                                                               recommandation : l’insuffisance cardiaque traitée n’est
                                                                                              Groupe témoin                                                    plus une contre-indication, et la “metformine peut être
                                                                                                                                                               utilisée chez les patients atteints d’une insuffisance
                                           90                                                 Groupe metformine                                                cardiaque stable, si leur fonction rénale est normale.
                                                                                                                                                               Elle doit néanmoins être évitée chez les patients avec
 Proportion des patients survivants (%)

                                                                                                                                                               ­insuffisance cardiaque instable ou hospitalisés”.
                                           80

                                                                                                                                                               Conclusion
                                           70
                                                                                                                                                               Le problème du traitement antidiabétique chez les
                                                                                                                                                               patients insuffisants cardiaques ou à fort risque de l’être
                                                                                                                                                               est très courant, et son importance va encore grandir
                                           60                                                                                                                  dans les années à venir. Deux conclusions s’imposent :
                                                    Réduction de la mortalité : – 14 % (IC95 : 3 %-22 %)
                                                                                                                                                               les glitazones sont associées à un risque de décom-
                                                                                                                                                               pensation de l’insuffisance cardiaque, par rétention
                                           50                                                                                                                  hydrosodée, sans effet myocardique direct, et, résultat
                                                0           50          100           150          200          250           300           350                plus inattendu, la metformine se distingue par un profil
                                                                                                                                                               favorable de façon homogène : moins de risque de
                                                                              Délai depuis l’hospitalisation (jours)
                                                                                                                                                               décompensation qu’avec les autres antidiabétiques
                                                                                                                                                               mais aussi un meilleur pronostic vital. Cependant, la
Figure 2. Courbes de survie de patients diabétiques âgés après une hospitalisation pour pous-
sée d’insuffisance cardiaque, selon qu’ils recevaient à la sortie d’hospitalisation un traitement                                                              nature essentiellement observationnelle des études
comprenant de la metformine ou un traitement antidiabétique sans insulino-sensibilisateur                                                                      revues limite leur portée, et les évolutions ultérieures
(c’est-à-dire ni metformine ni glitazone : groupe témoin). D’après (12).                                                                                       des recommandations ne pourront survenir que sur la
                                                                                                                                                               base d’essais randomisés.                               ■

Références

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ameliorates exercise ventilatory efficiency and oxygen uptake                                          blood-glucose control with sulphonylureas or insulin com-            rison of the effects of rosiglitazone and glyburide on cardio-
in patients with heart failure-type 2 diabetes comorbidity. J                                          pared with conventional treatment and risk of complica-              vascular function and glycemic control in patients with type
Am Coll Cardiol 2003;42(6):1044-50.                                                                    tions in patients with type 2 diabetes (UKPDS 33). Lancet            2 diabetes. Diabetes Care 2002;25(11):2058-64.
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                                                                                                       betes on mortality in patients with myocardial infarction and left
2005;28(3):612-6.                                                                                      ventricular dysfunction. Arch Intern Med 2004;164(20):2273-9.        echocardiographic function and cardiac status in type 2 diabe-
3. Bertoni AG, Hundley WG, Massing MW, Bonds DE, Burke GL,                                                                                                                  tic patients with New York Heart Association Functional Class
                                                                                                       12. Masoudi FA, Inzucchi SE, Wang Y, Havranek EP, Foody JM,          I or II Heart Failure. J Am Coll Cardiol 2007;49(16):1696-704.
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                                                                                                       13. Eurich DT, Majumdar SR, McAlister FA, Tsuyuki RT, Johnson        improves myocardial diastolic function in association with
                                                                                                       JA. Improved clinical outcomes associated with metformin             reduction in oxidative stress in type 2 diabetic patients without
5. Nichols GA, Gullion CM, Koro CE, Ephross SA, Brown JB.                                              in patients with diabetes and heart failure. Diabetes Care           overt heart disease. Diab Vasc Dis Res 2008;5(4):310-8.
The incidence of congestive heart failure in type 2 diabetes:                                          2005;28(10):2345-51.
an update. Diabetes Care 2004;27(8):1879-84.                                                                                                                                21. Erdmann E, Charbonnel B, Wilcox RG et al.; PROactive
                                                                                                       14. Karter AJ, Ahmed AT, Liu J, Moffet HH, Parker MM.
6. Marre M, Lievre M, Chatellier G, Mann JF, Passa P, Ménard                                           Pioglitazone initiation and subsequent hospitalization for
                                                                                                                                                                            investigators. Pioglitazone use and heart failure in patients
J; DIABHYCAR Study Investigators. Effects of low dose ramipril                                                                                                              with type 2 diabetes and preexisting cardiovascular disease:
                                                                                                       congestive heart failure. Diabet Med 2005;22(8):986-93.
on cardiovascular and renal outcomes in patients with type 2                                                                                                                data from the PROactive study (PROactive 08). Diabetes Care
diabetes and raised excretion of urinary albumin: randomised,                                          15. Tzoulaki I, Molokhia M, Curcin V et al. Risk of cardiovascular   2007;30(11):2773-8.
double blind, placebo controlled trial (the DIABHYCAR study).                                          disease and all cause mortality among patients with type
BMJ 2004;328(7438):495.                                                                                2 diabetes prescribed oral antidiabetes drugs: retrospective         22. Dormandy JA, Charbonnel B, Eckland DJ et al.; PROactive
                                                                                                       cohort study using UK general practice research database.            investigators. Secondary prevention of macrovascular
7. Deswal A, Petersen NJ, Feldman AM, Young JB, White BG,
Mann DL. Cytokines and cytokine receptors in advanced                                                  BMJ 2009;339:b4731.                                                  events in patients with type 2 diabetes in the PROactive
heart failure: an analysis of the cytokine database from the                                           16. McAlister FA, Eurich DT, Majumdar SR, Johnson JA. The risk       Study (PROspective pioglitAzone Clinical Trial In macro-
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                                                                                                                                                                            2005;366(9493):1279-89.
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primary                                                                                                               Correspondances en Métabolismes Hormonesgenesis
                                                                                                       2003;108(23):2941-8.                                          Diabètesandettreatment.
                                                                                                                                                                                    NutritionAnn
                                                                                                                                                                                               - Vol. XIV Med
                                                                                                                                                                                                   Intern - n° 91977;87(5):591-5.
                                                                                                                                                                                                                 - novembre 2010
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