TRANSPORTS Quinquennat Macron : le grand décryptage - Institut Montaigne
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Quinquennat Macron : le grand décryptage TRANSPORTS 1. L’essentiel Auteur : • Le contexte économique et sanitaire a particulièrement pesé sur la politique des transports. Ce quinquennat a nourri de grandes Patrick Jeantet, ancien ambitions, contrariées par un certain nombre de “chocs” : la hausse président du directoire du prix du pétrole entre 2017 et 2018 (+ 40 % en un an) qui a alimenté de Keolis la crise des gilets jaune et conduit à un gel de la fiscalité carbone ; la remise en cause de l’Accord de Paris par les États-Unis en 2017 et ses conséquences sur la dynamique de l’action climatique ; et, depuis le printemps 2020, la crise sanitaire. • Les années 2017-2021 ont permis des réformes sociales et de gouvernance importantes dans le secteur ferroviaire, mais des efforts supplémentaires auraient pu être portés en matière de programmation des investissements pour mieux relier les territoires et favoriser la transition écologique du secteur. • La loi pour un nouveau pacte ferroviaire de juin 2018 a porté une réforme qui peut paraître paradoxale, ouvrant le secteur à la concurrence, mais réunifiant dans le même temps le gestionnaire de l’infrastructure et l’opérateur de voyages au sein du même groupe SNCF. La loi a permis de moderniser la gestion de la SNCF par trois mesures principales : la transformation de sa gouvernance en faisant passer les établissements publics au statut de sociétés anonymes, la réforme de la gestion de sa dette avec l’instauration d’une règle d’or pour garantir son équilibre économique, enfin la mise en extinction du statut de cheminot, devenu obsolète. La loi adapte par ailleurs plusieurs règles de fonctionnement de la SNCF et du système ferroviaire pour préparer l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire national de voyageurs, échelonnée entre 2019 et 2023 (puis 2025, 2033 et 2038 pour les RER de la région parisienne). • La loi d’orientation des mobilités (LOM) de novembre 2019 donne des orientations pour les collectivités et crée des incitations pour les employeurs afin d’engager une politique de transports en faveur de l’environnement et des nouvelles mobilités. Mais elle ne porte pas la programmation pluriannuelle d’investissements promise par Emmanuel Macron. Ce défaut de programmation est particulièrement dommageable pour les infrastructures dont l’entretien et le renouvellement devient critique, comme le réseau ferré national (RFN) ainsi que le réseau routier national non concédé. La portée de la loi dépendra ainsi beaucoup de l’implication des collectivités, en particulier pour la décentralisation des petites lignes. 1 Août 2021
• Lors de la crise sanitaire, l’intervention de l’État en matière de transports a été soutenue, à la fois pour garantir la continuité du service public, et pour soutenir les secteurs les plus fragilisés, en particulier le transport aérien et le transport routier ; le plan de relance a également permis un soutien réaffirmé au ferroviaire. L’aide au groupe Air France-KLM a été l’occasion de donner une inflexion importante à la politique de transports, en conditionnant le soutien financier à des engagements environnementaux du groupe, mais sans contrepartie en matière de productivité. • S’agissant des grands travaux, ces quatre dernières années ont été le théâtre d’une superposition de décisions éparses, et non d’une vraie stratégie cohérente d’aménagement du territoire : le gouvernement, sans choisir de scénario parmi ceux proposés par le Conseil d’orientation des investissements pour définir son niveau d’investissement pour les prochaines années, a cependant validé le CDG Express, suspendu le projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes, entériné le projet du canal Seine-Nord, et poursuivi quelques projets de lignes à grande vitesse (Bordeaux-Toulouse, ligne nouvelle Provence-Côte-d’Azur). • Alors qu’elle a fait l’objet d’une crise d’une gravité sans précédent - les “gilets jaunes” - et qu’elle est l’un des leviers principaux en matière de décarbonation, la route est restée l’un des parents pauvres de ce quinquennat alors même qu’elle représente 85 % des flux de transports et que plus de 75 % des actifs utilisent leur voiture pour se rendre sur leur lieu de travail. Son électrification est un enjeu clé, pour lequel la France a dédié 100M€ de son plan de relance, contre 2,5Mds€ pour l’Allemagne. S’agissant du déplacement automobile en général, la loi LOM porte essentiellement des mesures en faveur du covoiturage et du véhicule électrique, et permet finalement de déroger localement à la règle des 80 km/h instaurée en juillet 2018. Ces éléments interrogent quant à la stratégie de l’État s’agissant de la route, sa décarbonation de ses usages étant pourtant indispensable pour atteindre nos objectifs en matière climatique. • Pour l’avenir, et dès les prochains mois, il est nécessaire d’engager plus clairement l’État en faveur de la décarbonation des transports (y compris la route), de l’accroissement de la part modale du ferroviaire électrique et d’une politique de fret décarbonée, le fret et le transport maritime étant restés les parents pauvres de la politique de transports, comme lors des quinquennats précédents. • Toutes ces questions d’investissements dans les infrastructures de transport se posent dans un contexte où la problématique des finances publiques est plus complexe que jamais, du fait de l’impact de la crise du Covid-19 (dette et déficit en forte hausse en 2020 et 2021). 2
Chiffres clés – parts modales de transport intérieur de voyageurs et de marchandises Le transport intérieur de voyageurs est La part du transport aérien dans le transport largement dominé par le transport individuel intérieur reste faible (1,7 %). en véhicules particuliers (80,6 % des voyageurs- Concernant le transport intérieur de kilomètres). Les transports ferrés (ferroviaires marchandises, la part de la route représente et métros) représentent 11,5 % des voyageurs- désormais 89,1 % du transport terrestre hors kilomètres, davantage que les transports oléoducs, celle du transport ferroviaire 9,0 % et collectifs routiers, y compris tramways (6,2 %). celle du transport fluvial 1,9 %. (Source : Ministère de la Transition écologique) 2 . Les engagements pris 1. Engagements du candidat En 2017, à l’occasion de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron portait deux principaux engagements en matière de transports : • la création d’un grand plan d’investissement de 50 Mds€ : “Nous lancerons un grand Plan d’investissement de 50 milliards d’euros. Ce plan sur cinq ans sera mis au service des qualifications de tous les citoyens, de la transition écologique, de la révolution numérique, de la modernisation des services publics et de la rénovation urbaine” ; • la réforme de la politique de transports pour assurer un aménagement du territoire plus équilibré et efficace : “Nous réformerons radicalement notre politique des transports. Car l’enjeu n’est plus de construire partout des autoroutes, des aéroports et des lignes de TGV. C’est, grâce à notre Plan d’investissement, de moderniser les réseaux existants et de développer de nouveaux services pour que tous les territoires soient raccordés efficacement aux lieux de travail, d’éducation, de culture ou de soins”. 2. Engagements en cours de mandat Emmanuel Macron a précisé son engagement sur la politique des transports dans un discours à Rennes le 1er juillet 2017, à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle ligne TGV Paris-Rennes, donnant la priorité aux mobilités du quotidien (“le combat que je souhaite engager pour les années à venir, c’est celui des transports du quotidien”) et annonçant l’adoption d’une loi 3
d’orientation de mobilités “dès le premier semestre 2018“, qui “offrira une programmation précise, année par année, financée sur cinq ans”. Lors de son entretien du 14 juillet 2020, Emmanuel Macron s’est par ailleurs engagé à “redévelopper massivement” le fret ferroviaire, les trains de nuit et les petites lignes de train (“On va redévelopper le fret ferroviaire massivement. On va redévelopper les trains de nuit. Là aussi, on va redévelopper les petites lignes de trains parce que tout ça, ça permet de faire des économies et ça permet de réduire nos émissions de polluants”). 3. Les réalisations au cours du quinquennat 1. Calendrier des réformes (liste et dates) Réformes législatives : • juin 2018 : adoption de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire ; • novembre 2019 : adoption de la loi d’orientation des mobilités, à la suite d’une phase de concertation approfondie, les “assises de la mobilité” lancées en septembre 2017 et axées sur les mobilités du quotidien. Grands travaux : • 17 janvier 2018 : abandon du projet Notre-Dame-des-Landes ; • 22 novembre 2019 : engagement de 1,1 Md€ pour le chantier du Canal Seine-Nord ; • février 2019 : signature du contrat de service public pour l’exploitation du CDG Express ; • avril 2021 : engagement de l’État de financer la LGV Bordeaux-Toulouse à parité avec les collectivités territoriales. 4
2. Analyse par mesure, comprenant a. la loi Nouveau Pacte Ferroviaire et les engagements accompagnant cette loi La loi a permis de réaliser quatre réformes d’ampleur dans le secteur ferroviaire : i. l a tr ansformation des 3 établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) en Sociétés Anonymes avec une holding et des filiales Efficacité de la mesure : • immédiate : la SNCF a changé de structure juridique au 1er janvier 2020 ; • elle permet une affirmation accrue de la rationalité économique des choix des sociétés, comme en témoigne par exemple la façon dont SNCF Voyageurs a adapté son offre à la suite des conséquences de la crise Covid sur la demande ; • elle permet de diminuer fortement la tendance d’imposer à SNCF Réseau de réaliser des projets déficitaires qui obèrent l’équilibre économique de celle-ci ; • elle conduit à clarifier, en principe, les rôles de l’État : en tant qu’aménageur du territoire, en tant qu’actionnaire et en tant qu’autorité organisatrice concernant les lignes de trains d’équilibre du territoire ; • la filialisation et le rattachement de Gares & Connexions SA au Gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau renforce également la cohérence de la gestion des gares et du réseau au sein du groupe. En revanche, l’incorporation des quais et voies en gare à Gares & Connexions rend la gestion opérationnelle plus complexe, car deux organisations s’occupent de la partie ferroviaire, et fait perdre de la valeur à Gares & Connexions ; • le fait que SNCF Réseau et de SNCF Voyageurs soient des filiales à 100 % de SNCF SA, peut apparaître en contradiction avec l’ouverture à la concurrence de services en open access. Le signe envoyé au marché est négatif. Analyse coût-bénéfice : Avec la structure en Société Anonyme, l’État renforce l’interdiction pour SNCF Réseau de développer et financer des projets qui ne créent pas de valeur 5
pour la société. Le CA de SNCF Réseau sera très attentif à ce sujet car il en va de la responsabilité pénale des administrateurs. ii. l a reprise de 35 Mds€ de det te de sncf rése au et l’élaboration d’un nouveau business plan de la sncf visant à rétablir l’équilibre économique de celle-ci La loi définit une nouvelle règle d’or pour SNCF Réseau : à partir du 1er janvier 2027, le ratio entre sa dette financière nette et sa marge opérationnelle ne peut dépasser un plafond, fixé dans ses statuts à six. À partir de cette date, les règles de financement des investissements de SNCF Réseau “sont établies en vue de lui permettre de maîtriser sa dette”. Jusqu’au 31 décembre 2026, la loi prévoit une période de convergence pour atteindre ce ratio en encadrant notamment les investissements de renouvellement ou de modernisation à la demande de l’État, des collectivités territoriales et de tout autre tiers. Efficacité de la mesure : • efficacité à long terme, à l’horizon 2027 si la trajectoire de retour à un endettement soutenable est respectée. Analyse coût-bénéfice : • assainissement des relations entre SNCF Réseau et l’État : la dette était très souvent jusqu’ici dissociée, et SNCF Réseau devait engager le financement de projets publics mais dont la dette ne se consolidait pas dans la dette de l’État ; • le risque de cette règle d’or réside dans la baisse des investissements de renouvellement que celle-ci pourrait entraîner si le ratio était dépassé. Ce risque de non-respect de la trajectoire financière existait déjà avant la crise sanitaire et est renforcé après celle-ci du fait de la perte de recettes subie par la SNCF. Il l’est d’autant plus que l’État fait comme si l’inflation ferroviaire pouvait être diminuée alors que les surcoûts liés à des causes externes s’envolent (lois environnementales, passages à niveaux et sécurité ferroviaire). La France est un des seuls pays en Europe, et à la différence notable de l’Allemagne, où le renouvellement de l’infrastructure n’est pas subventionné par l’État mais doit être autofinancé par SNCF Réseau. Pour ces raisons, le déséquilibre financier de SNCF Réseau va se reproduire dans un futur proche ; • avec la réforme ferroviaire, l’État consolide dans ses comptes l’endettement et le déficit de SNCF Réseau. C’était sans doute inévitable vue la position d’Eurostat sur le sujet, mais cela fait peser le risque sur SNCF Réseau de décisions budgétaires de l’État totalement étrangères aux problématiques ferroviaires. Cette situation, qui n’est pas directement liée à la réforme 6
du pacte ferroviaire mais s’inscrit dans une évolution historique plus large, crée un risque nouveau pour SNCF Réseau, l’État pouvant inciter l’entreprise à réduire son déficit par une réduction ou un report des investissements de renouvellement ; • alors que le rapport Spinetta posait clairement le problème des petites lignes, la politique du gouvernement a été de continuer la politique de “non choix”. Il n’y a, à ce jour, pas de stratégie claire de l’État sur les petites lignes. La seule décision a été de réincorporer 14 petites lignes dans le réseau structurant que finance SNCF Réseau, ce qui fait peser sur celui-ci une contrainte supplémentaire. iii. fin du recrutement des cheminots au statut Efficacité de la mesure : • le statut du cheminot a été institué pour attirer de la main d’œuvre à l’époque de la construction du système ferroviaire français au début du XXème siècle. Du fait de sa rigidité et des surcoûts importants qu’il pouvait entraîner, sa suppression permet de bâtir un nouveau cadre de l’emploi salarié dans le ferroviaire ; • efficacité à court terme, par la fin des recrutements sous ce statut ; • efficacité financière à très long terme, avec les départs progressifs des salariés bénéficiant du statut ; • efficacité qui dépend également de la finalisation de la convention collective de la profession à travers l’UTP. L’État y joue un rôle prédominant à travers la SNCF contrôlée à 100 % par celui-ci et par son pouvoir réglementaire. Le risque serait que la convention collective soit plus pénalisante pour le secteur que ne l’était le statut. Analyse coût-bénéfice : • la mesure est bienvenue car elle va permettre de développer la polyvalence et de diminuer les rigidités du statut. Néanmoins l’impact financier et économique sera long à obtenir, car seuls les nouveaux recrutements se feront avec des contrats de droit privé, les cheminots actuels garderont leur statut. iv. l’ouverture à la concurrence Le nouveau pacte ferroviaire adapte plusieurs règles de fonctionnement de la SNCF et du système ferroviaire français pour permettre l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire national de voyageurs, depuis : 7
• décembre 2019, de manière facultative, pour les services conventionnés (services subventionnés : TER, Transilien, RER, TET) ; • décembre 2020 pour les services librement organisés ; • décembre 2023, de manière obligatoire, pour les services conventionnés : mise en concurrence de tout renouvellement de contrat/convention qui vient à échéance à partir de cette date ; • exception pour les RER de la région parisienne dont la mise en concurrence sera progressive : 2025 pour le RER E puis entre 2033 et 2038 pour les RER A,B,C,D. Efficacité de la mesure : • horizon progressif selon le calendrier d’ouverture ; • la réunification dans un même groupe de SNCF Réseau et de SNCF Voyageur lance un signal mitigé au marché pour l’ouverture à la concurrence de l’open access. Le rôle du régulateur sera donc fondamental. Analyse coût-bénéfice : • l’ouverture à la concurrence du conventionné va permettre une baisse substantielle des coûts et une croissance de l’offre dans les territoires. Elle répond donc bien à l’engagement du candidat Emmanuel Macron sur les territoires. Aux régions de définir les conditions de cette mise en concurrence qui seront la clef de la réussite ou de l’échec de l’ouverture à la concurrence. À l’État et à l’Autorité de Régulation des Transports (ART) de peser sur la SNCF pour que celle-ci joue le jeu (notamment sur l’accès à l’information). b. la loi d’orientation des mobilités La loi d’orientation des mobilités, adoptée en novembre 2019, porte l’ambition de faire entrer les transports dans le XXIème siècle : territoires, environnement et nouvelles mobilités. La crise des gilets jaunes a marqué les débats et de nombreuses mesures prévues dans le projet de loi ont disparu lors des arbitrages finaux. Concernant les investissements de l’État dans les transports, la loi acte un montant de 13,4 Mds€ de crédits sur cinq ans (2018-2022), effort en augmentation de 40 % par rapport à la période précédente (2013-2017). Ce montant est à 75 % à destination du ferroviaire. Cette somme se décompose en quatre ensembles principaux : 8
• 4,0 Mds€ de crédits pour financer les contrats de projet État-régions (CPER) ; • 3,4 Mds€ de crédits pour financer des grands projets déjà engagés, voire déjà en service (par exemple les quatre lignes à grande vitesse mises en service en 2016 et en 2017) ; • 3,1 Mds€ de crédits pour le renouvellement et l’entretien des réseaux existants ; • 1,7 Md€ de crédits pour le renouvellement du matériel roulant des trains d’équilibre du territoire (TET). La LOM est une loi plus incitative que prescriptive, qui facilite et encourage mais attend des réalisations, largement à la main des collectivités locales, par exemple en leur permettant de proposer des solutions alternatives à la voiture individuelle (cofinancement de projets de mobilité de covoiturage, de transport à la demande, de navettes autonomes, entre autres). La LOM propose également une implication plus forte des employeurs dans la transformation des modes de transports, avec l’instauration d’un forfait mobilité durable pouvant aller jusqu’à 400 € par an pour effectuer le trajet domicile-travail en covoiturage ou en vélo (forfait exonéré d’impôts et de cotisations sociales). Efficacité de la mesure : • à long terme, les effets de la loi, plus incitative que prescriptive, dépendent fortement de l’implication des collectivités et des employeurs dans l’utilisation des leviers mis à leur disposition ; • la responsabilité de la mise en œuvre est en particulier renforcée du côté des collectivités locales s’agissant des investissements visant à mieux relier les territoires, en particulier la décentralisation des petites lignes ; la LOM n’inclut en revanche aucune “programmation précise, année après année, financée sur 5 ans” des investissements dans le domaine des transports à l’inverse de ce qui avait été annoncé lors du discours de Rennes. Publiée fin décembre 2019, sa trajectoire financière porte sur la période 2018-2022, soit un horizon de deux ans tout au plus de programmation budgétaire à compter de son entrée en vigueur. 9
4. Focus sur la gestion de la crise sanitaire 1. Mesures prises dans ce cadre Le maintien des services publics de transport pendant la crise sanitaire a permis à de nombreux travailleurs d’accomplir des tâches indispensables. Pendant la crise, le gouvernement a pris des mesures de restriction de l’offre de transport, de protection sanitaire des agents et des voyageurs et d’assouplissement pour le transport routier de marchandises. Le décret du 23 mars 2020 a prévu des mesures de restriction de l’offre de transport, en particulier le transport maritime (navires de croisière) et aérien ; et a rendu obligatoire l’observation de mesures d’hygiène et de distanciation sociale pour les opérateurs de transport public collectif routier, guidé ou ferroviaire de voyageurs, ainsi que pour le transport maritime et fluvial de voyageurs. Le décret du 11 mai 2020 a prolongé certaines de ces mesures, notamment d’hygiène et de distanciation sociale, pour accompagner le déconfinement. Une offre minimale de transports a pu être mise en place pendant le confinement : le trafic à la SNCF était de 6 % pour les TGV, de 8 % pour les Intercités, de 15 % pour les TER et de 26 % pour le Transilien. À la RATP, il était de 30 % pour les bus, de 40 % pour les tramways et de 30 % pour les métros. En région, l’offre de transports urbains oscillait entre 10 et 30 % de la normale. Le groupe SNCF a ainsi été touché de plein fouet par la crise sanitaire avec un impact économique certain sur les comptes du groupe, notamment sur les activités de transport de voyageurs, mais également sur SNCF réseau. Cela a notamment justifié que 4,7 Mds du Plan de relance soit dédiés au soutien du secteur ferroviaire. Le gouvernement a par ailleurs soutenu le transport routier par des mesures de trésorerie spécifiques pour 390 M€ (accélération du remboursement de la TICPE, report de trois mois de l’échéance de la taxe sur les véhicules routiers). Si le secteur du fret a été moins affecté que le transport de voyageurs et a assuré la continuité d’approvisionnement du pays lors du premier confinement, il a été fortement réduit, avec plus de 50 % des véhicules à l’arrêt. Concernant le transport aérien, l’intervention majeure de l’État a été de soutenir le groupe Air France-KLM, qui a enregistré une perte de 7,1 Mds€ en 2020. L’État a d’abord apporté un soutien de 7 Mds€ en mai 2020, sous forme d’un prêt garanti par l’État de 4 Mds€ et d’une avance en compte courant d’actionnaire de l’État de 3 Mds€. En avril 2021, une nouvelle aide de l’État a été autorisée par la Commission européenne, comportant : 10
• une augmentation de capital d’un montant maximum de 1 Md€ ; • la conversion du prêt direct de l’État français de 3 Mds€ tiré en instrument obligataire hybride perpétuel. L’objectif de ces mesures est de renforcer la situation des fonds propres du groupe et de réduire son ratio dette nette/EBITD à environ 2,0 d’ici 2023. 2. Évaluation Les aides au groupe Air France-KLM sont assorties de conditionnalités environnementales, en particulier d’engagements du groupe de réduire ses émissions et de présenter un plan de transformation et de transition écologique. En particulier, le gouvernement a pour projet d’interdire les vols intérieurs de moins de 2h30 pour lesquels il existe une alternative en train, dans le cadre du projet de loi climat. Si certaines contreparties de l’aide concernent les créneaux horaires opérés dans les aéroports et peuvent avoir des effets sur l’emploi, les engagements pris par Air France ne portent pas sur les équilibres sociaux qui peuvent brider son développement en Europe et au-delà. 3. Analyse Dans le court terme, ce support permet à AF-KLM d’éviter la faillite. À moyen terme, est-ce que ce soutien permettra à AF-KLM d’être compétitif sur le marché des transports aériens post-crise ? La montée de l’État à 30 % ne sera-t-elle pas un frein aux réformes structurelles nécessaires pour assurer la compétitivité d’AF-KLM et en particulier d’AF ? 5. Les difficultés rencontrées au cours du quinquennat 1. Les grands travaux : une stratégie et une programmation insuffisantes Le Conseil d’Orientation des Investissements a remis un rapport au gouvernement le 1er février 2018 qui propose 3 scénarios pour l’évolution des dépenses de transport de l’État, en mettant l’accent sur mobilités du quotidien : • un scénario 1, sans affectation de ressources supplémentaires significatives au secteur des transports, et qui prolonge la trajectoire 11
financière actée par le gouvernement pour les années 2018-2020, soit un montant annuel de dépenses de 2,4 Mds€ par an. Dans ce scénario, les priorités indispensables de restauration du patrimoine ne sont que partiellement satisfaites et le gouvernement dispose de peu de marges de manœuvre pour répondre aux enjeux de décongestion de nœuds ferroviaires. Les grands projets sont en pause, pour une période d’au moins cinq à dix ans, et repousse donc leur achèvement à l’horizon 2050 ; • un scénario 2, qui permet de satisfaire les priorités fixées par le Président de la République et nécessite d’affecter au secteur des transports des moyens supplémentaires significatifs. Il représente une dépense annuelle de 3 Mds€ par an, et représente un effort accru et soutenu dans la durée. Il privilégie la restauration et la modernisation du patrimoine et permet d’avancer les premières phases des grands projets ; • un scénario 3, qui correspond à un scénario 2 accéléré, pour un budget annuel de 3,5 Mds€ par an d’ici 2022, puis de 4,4 Mds€ par an pendant dix ans et de 4 Mds€ par an ensuite. Ce scénario permet la réalisation au plus tôt des grands projets, mais sa faisabilité budgétaire est limitée, selon le Conseil, par les contraintes qui pèsent sur les dépenses de l’État et des collectivités appelées à cofinancer les projets. À ce jour, le gouvernement n’a retenu aucun des scénarios, se limitant à des annonces circonstancielles sans véritable stratégie d’ensemble. Il manque clairement une instance et un processus stratégique dans l’organisation gouvernementale. L’absence de stratégie et de programmation pluriannuelle des investissements de l’État dans les transports est particulièrement critique pour certaines infrastructures, comme le réseau ferré national (RFN) (voir rapport Puttalaz de 2018 qui fait suite au rapport Rivier de 2005 et préconise un investissement annuel pour le renouvellement de l’infrastructure du réseau principal de 3,5Mds€ alors que seulement 2,7Mds€ sont consacré annuellement à ce renouvellement et ce après des décennies de sous-investissement) et comme le réseau routier national, dont l’entretien et la maintenance sont régulièrement jugés insuffisants au regard des besoins (17 % des chaussées du réseau routier national non concédé sont considérées comme “gravement endommagées”, et 36 % des chaussées comme “moyennement endommagées”). Un rapport du Sénat de 2019 mettait également en avant le défaut d’entretien des ponts et ouvrages, indiquant qu’au moins “25 000 ponts sont en mauvais état structurel et posent des problèmes de sécurité et de disponibilité pour les usagers”. Parmi ces annonces, on peut citer quelques décisions : 12
Le CDG Express • Après des décennies de tergiversations et d’imbroglio politique autour d’une infrastructure essentielle (CDG est le seul aéroport au monde de sa catégorie à ne pas être relié au centre ville par un service de train direct), il est à mettre au crédit de la présidence Macron la relance de ce projet : le contrat est signé en février 2019 et le financement est mis en place et les travaux ont largement démarré. Le tribunal administratif de Montreuil stoppe ces travaux fin 2020 en annulant l’autorisation environnementale accordée en 2019 et en considérant que les circonstances de fait ayant évalué l’intérêt public du projet en 2017 avaient changé, en raison de la forte baisse du trafic aérien, dans le contexte de la crise sanitaire. Le 18 mars 2021, la cour administrative d’appel de Paris a prononcé le sursis à exécution du jugement du tribunal de Montreuil et ainsi permis la reprise des travaux du CDG Express, sans toutefois trancher sur le fond. • Ce projet pose la question de l’inadéquation du droit et des procédures actuelles concernant les projets d’intérêt national. L’aéroport Notre-Dame-des-Landes • Ce projet initié en 1963, soutenu par la très grande majorité des élus locaux, a obtenu sa DUP en 2008, tous les recours ont été rejetés et un référendum local l’approuve à 55 % en 2016. Le Premier ministre annonce pourtant son abandon le 17 janvier 2018. • L’échec de ce projet pose deux questions : comment comprendre la décision finale d’abandon du projet après qu’un référendum ait approuvé sa réalisation ? Comment se fait-il que ce projet d’intérêt essentiellement local soit piloté par l’État ? Le Canal Seine-Nord, avec la signature, le 22 novembre 2019, de la convention de financement du canal Seine Nord-Europe reliant les bassins de la Seine et de l’Oise au réseau européen à grand gabarit. L’État prend en charge l’investissement de 5 Mds€, aux côtés des collectivités (1,1 Md€) et d’un soutien européen du mécanisme pour l’interconnexion en Europe (2 Mds€). Le Grand Paris, dont le projet et la mise en œuvre reviennent pour l’essentiel aux quinquennats précédents (la société du Grand Paris a été créée en 2010), mais qui continue d’accuser un ralentissement des chantiers et un pilotage complexe de ses dépenses, relevé par la Cour des comptes en 2018 (coûts passés de 22,6 Mds€ à l’origine à 35,1 Mds€ à cette période). 13
Les 4,1 Mds€ d’investissement pour la ligne grande vitesse Bordeaux-Toulouse, permettant de rejoindre Toulouse en 3h15, actés par le Premier ministre en avril 2021, après avoir été programmés dans la LOM en 2019. Les travaux devraient ainsi démarrer en 2024. Le Premier ministre a également annoncé que l’enquête publique pour le projet de LGV entre Montpellier et Perpignan serait lancée avant fin 2021. Cette annonce a notamment suivi l’engagement de l’État en faveur de la ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur (LNPCA) à hauteur de 3,5 Mds€, sous réserve d’une participation européenne au financement à hauteur de 20 %. Ces investissements dans les grands projets ferroviaires sont aussi un moyen pour la France de maintenir et de consolider son savoir-faire dans le domaine des trains à grande vitesse. Par ailleurs, le gouvernement a finalement abandonné le projet de privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). Si le référendum d’initiative citoyenne sur cette question n’a finalement pas eu lieu, faute d’un soutien suffisant (1,1 M de signature de la pétition, contre 4,7 M de signatures nécessaires), la cession des parts détenues par l’État dans la société a été écartée pour des raisons liées à la situation dégradée du marché, compte tenu de la crise sanitaire et de l’effondrement du trafic aérien, qui rendaient la valorisation des titres très défavorable à l’État. 2. Le transport maritime et fluvial : un sous-investissement historique qui n’est pas encore rattrapé Dix ans après leur réforme de 2008, les grands ports maritimes (GPM) français font face au défi du maintien de leur compétitivité et de la reconquête de leurs parts de marché, notamment dans le secteur du conteneur, vis-à-vis de leurs concurrents européens (Anvers, Rotterdam, Hambourg en particulier). Bien que la façade maritime française bénéficie d’atouts particulièrement importants, par sa disposition dans les principaux bassins d’échange européens et par la facilité d’accès de certains de ses ports en eaux profondes (La Rochelle, Le Havre, Dunkerque, Marseille/Fos-sur-Mer), les GPM n’ont pas vu leur pilotage et leur contribution au développement économique se développer au cours du quinquennat à la hauteur des ambitions fixées par le gouvernement, en particulier en matière de gouvernance (les ports restant des EPIC, alors qu’un rapport de l’inspection générale des finances proposait une transformation en sociétés anonymes), de politique fiscale et de gestion budgétaire de leurs dépenses de service public (capitainerie, dépenses de dragage). Alors que le développement de l’hinterland est un désavantage des ports français par rapport à leurs concurrents, la stratégie nationale portuaire 14
(SNP) présentée par le gouvernement ne s’accompagne pas d’un engagement financier suffisant pour remédier au sous-investissement dans les modes massifiés des dernières années, avec 400 M€ sur deux ans pour le portuaire et le maritime, ce qui met en question la faisabilité de ses objectifs, notamment la réalisation d’un accroissement de 30 % de la part des modes massifiés (ferroviaire et fluvial) pour le pré- et post-acheminement d’ici 2030 (80 % étant aujourd’hui assuré par le transport routier). La rationalisation de la gestion de l’axe Seine, avec la fusion des ports de Paris, de Rouen et du Havre dans la structure unique d’HAROPA, peut néanmoins être mise au crédit du gouvernement pour le quinquennat, constituant une avancée importante en faveur du développement du trafic entre ces trois ports et notamment du relais fluvial apporté au trafic en provenance du port du Havre à destination et provenant du bassin d’Île-de- France et de son hinterland. Les investissements dans le transport fluvial ont eu sur le quinquennat une évolution plus favorable, avec une augmentation dans la loi LOM des crédits consacrés à la régénération et à la modernisation des voies navigables (110 M€ par an entre 2019 et 2022 et 130 M€ entre 2023 et 2027). Le plan de relance prévoit par ailleurs une enveloppe de 175 millions d’euros supplémentaires, sur deux ans, pour la régénération du réseau fluvial. 6. Comparaison internationale En comparaison internationale, le plan de relance français poursuit des objectifs similaires mais avec une ambition moindre pour encourager les transports routiers durables (voiture électrique, bornes de recharge, bus électriques). Aux États‑Unis, le président Biden a consacré un volet important de son plan d’investissement dans les infrastructures (le American Jobs Plan, de 2,25 trillions de dollars) au soutien au véhicule électrique, pour un montant de 174 Mds$ sur 8 ans. Il prévoit en particulier 100 Mds$ d’aides individuelles pour encourager les achats de véhicules, 25 Mds€ pour le remplacement de 50 000 véhicules de transport collectif au diesel, 20 Mds€ pour électrifier environ 20 % des bus scolaires en circulation et enfin 15 Mds$ pour créer 500 000 stations de recharge à l’horizon 2030. En Allemagne, un programme de protection du climat 2030 a été adopté dès septembre 2019, avant la crise sanitaire, prévoyant 54 Mds€ de crédits à l’horizon 2023, dont une part importante est consacrée à la décarbonation des transports. En particulier, le plan prévoit 2,5 Mds€ pour développer les 15
stations de recharge électrique - contre seulement 100M€ dans le plan de relance français, voir plus bas -, et 1,2 Mds€ pour moderniser les bus et camions en circulation. Le plan prévoit également une intervention en matière ferroviaire, avec 5 Mds€ de recapitalisation de la Deutsche Bahn, et en matière maritime, avec 1 Md€ pour la modernisation et la maintenance des infrastructures portuaires (berges, écluses, transformation numérique de la gestion des ports). En outre, en 2020, le gouvernement allemand a annoncé que la prime pour l’achat d’un véhicule électrique était portée à 9 000 €. Enfin, l’Allemagne introduit par ailleurs une “taxe carbone” par un mécanisme de tarification sur le marché des combustibles, payée donc par les fournisseurs d’énergie, à partir de 2021 (pour les émissions des produits combustibles non couverts par le système européen d’échange de quotas d’émission). Le plan de relance français comporte 11,5 Mds€ de crédits pour le secteur des transports, mais dont 500 M€ seulement sont consacrés au désenclavement des territoires, avec les mesures suivantes : • 250 M€ pour l’accélération de la réalisation des projets inscrits aux contrats de plan État‑région (déviations, mise à 2x2 voies…) ; • 100 M€ pour la mise en place d’un réseau de bornes de recharge rapide pour les véhicules électriques d’ici fin 2021 ; • 100 M€ pour les ouvrages d’art de l’État et des collectivités locales, pour l’installation de voies réservées sur les axes routiers nationaux (covoiturage, bus…). Près de la moitié des crédits affectés aux transports dans le plan de relance sont prévus pour soutenir le secteur ferroviaire (4,7 Mds€), en compensation des pertes liées à la crise sanitaire et pour permettre la poursuite des investissements. Par ailleurs, 2,7 Mds€ sont consacrés à la poursuite de la conversion du parc automobile, et 1,2 Md€ à l’accélération des investissements pour la mobilité du quotidien (transports en commun en Île‑de‑France et en région, développement de l’usage du vélo). Rejoignez-nous sur : Suivez chaque semaine notre actualité en vous abonnant à notre newsletter sur : www.institutmontaigne.org 16
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