Un précurseur oublié de la T.S.F., Camille Tissot (1868-1917)
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Un précurseur oublié de la T.S.F., Camille Tissot (1868-1917) Camille Tissot est né le 15 octobre 1868 à Brest. Il entre à l’école navale en 1884 à l’âge de 16 ans. Devenu lieutenant de vaisseau et plus intéressé par les sciences que par la navigation, il est très heureux d’être nommé en 1891 professeur de physique et chimie à l'école navale. Il enseignera pendant 21 ans sur le Borda tout en poursuivant, malgré les faibles crédits octroyés, ses travaux de recherche et son cursus universitaire. Le 16 décembre 1905, suite à la présentation d'une thèse sur "l'étude de la résonance des systèmes d'antenne", Camille Tissot est admis au grade de docteur es Sciences Physiques avec la mention "très honorable". Cette thèse fait alors référence dans le monde de la T.S.F. Entre 1906 et 1912, il contribue à créer l’émission des signaux horaires de la tour Eiffel. Officier de la Légion d’honneur en 1909, le commandant Tissot n'a pas les coudées aussi franches qu'il le souhaite, concernant la communication devant les instances scientifiques. En effet, même si les officiers des états-majors ont du mal à comprendre tout l'intérêt des travaux des scientifiques militaires, ils sentent bien qu'il vaut mieux que tout cela reste secret. Il débarque de l'école navale le 31 juillet 1912 et malgré ses souhaits, mais conformément à ceux de sa hiérarchie, il est promu chef du laboratoire central de la Marine, à Paris avec le grade de capitaine de frégate, promotion inespérée pour un officier n’ayant pas fait carrière à la mer. Durant la guerre, et bien que déjà malade, il fait plusieurs séjours à Bizerte, pour équiper en radio des cargos charbonniers utilisés par l'armée. Il travaille en parallèle sur l'écoute des bruits microphoniques rayonnés dans la mer, parvenant à écouter et tracer avec une grande précision les routes et les évolutions des sous marins dans la rade de Bandol. Rongé par la tuberculose, il meurt à Arcachon le 2 octobre 1917 et reçoit la mention « mort pour la France ». Une technologie nouvelle : la radio C'est donc en qualité d'officier professeur sur le "Borda" qu'il s'est principalement consacré à l'étude des oscillations électriques et de leur application dans le domaine maritime, faisant participer ses élèves à ses travaux. Tissot reprend les travaux de Hertz et de Popov, ainsi que ceux de Branly et débute ses travaux sur la T.S.F. menant des recherches parallèles et indépendantes de celles de Lodge et Marconi. D’abord, il construit lui-même son matériel avec l’aide d’Edouard Branly et réalise fin 1898, après de nombreux essais, une liaison par T.S.F. entre le sémaphore du Parc au Duc, à l'entrée de la Penfeld et le vaisseau école "Borda" mouillé à un Le navire école "Borda" mille de là. Tissot renouvelle son expérience devant le ministre de la Marine Lockroy, en visite à Brest le 11 avril 1899, qui, enthousiaste, ordonne aux services du port de lui donner des moyens financiers. Il entame alors une collaboration avec l’industriel Ducretet dont il devient le conseiller technique et son nom figure désormais au catalogue de cette maison. Brest : le sémaphore du Parc au Duc
Premiers essais en rade de Brest (1898 – 1899) La Marine sait alors que les Anglais expérimentent avec un certain succès les communications à grande distance entre les navires, au moyen du télégraphe sans fil de Marconi. Dès l’été 1899, Tissot se lance dans une série d’expérimentations en rade de Brest à partir du clocher de l’église Saint Martin. Cette installation, sacrilège, défraie la chronique locale et Charles Millot, élève de Tissot sur le Borda, amusé par son audace, réalise une superbe lithographie humoristique en clin d’œil à ces expériences. En légende du dessin, il écrit : " … Mr T…, le distingué professeur d’électricité au Borda, vient d’entreprendre une suite d’expériences inédites de télégraphie sans fils. Nous apprenons de source certaine qu’il doit entrer en pourparlers à ce sujet avec les autorités de la paroisse Saint-Martin, et solliciter la permission d’installer au sommet du clocher quelques uns de ses appareils…". Fort de ces premiers succès, Tissot poursuit sa campagne d’essais sur le littoral. En septembre 1899, il fait communiquer Ouessant (le Stiff) et Brest sur 22 km. Comme l’explique Ducretet dans un article de La Dépêche de Brest : "Les belles expériences du Lt de vaisseau Tissot réalisées avec mes appareils entre la côte bretonne et l'île d'Ouessant ont une réelle importance par suite de l'utilisation, par M. Tissot, comme supports des conducteurs « radio-collecteurs » (*) des phares de Trezien et du Stiff. Très habilement, M. Tissot a ainsi démontré qu'il était possible d'établir économiquement et rapidement deux postes de TSF sur les côtes pour leur communication entre elles, avec les îles et avec les navires au large, cela par tous les temps et à toutes les heures. Cette distance de 22 Km n'est pas à beaucoup près à sa limite, elle sera considérablement augmentée". (*) On appelle alors "radio collecteurs" les antennes. Ce sont de longs fils qui pendent le long des édifices. Un mois plus tard, c’est l’Ile Vierge, sur la côte nord du Finistère, qui est reliée par T.S.F. au Stiff, soit 42 km.
Conséquences de ces expérimentations : Tissot est chargé dès l’automne 1899 d’écrire le premier manuel de T.S.F. à l’usage des militaires. Il sera complété au fur et à mesure des découvertes et réédité régulièrement. En janvier 1900, la Marine signe un marché avec Ducretet pour la fourniture aux ports de Brest et de Toulon de matériel de T.S.F., alors que beaucoup, dans les états-majors, préfèrent le matériel "des Anglais", c’est à dire celui de Marconi. En 1901, Tissot devient chevalier de la Légion d’honneur. La T.S.F. entre dans l'histoire maritime. Les performances ne cessent de s’améliorer, chaque état essaye de devancer les états rivaux ou les ennemis potentiels et les premiers intéressés par ce nouveau mode de communication sont les militaires. Ils comprennent les avantages qu'ils peuvent en retirer : rapidité, souplesse de transmission et surtout une certaine sécurité, car les lignes et les câbles sont bien vulnérables en temps de guerre. Le journal Le Finistère s’en fait l’écho le 12 janvier 1901 : "des essais de télégraphie ont eu lieu entre des bâtiments de l’escadre de la Méditerranée, c’est une révolution dans la transmission des ordres, la portée est de 18 à 20 milles". Deux mois plus tard, l’escadre de l’Atlantique effectue des exercices semblables. On peut lire dans Le Yacht du 6 juillet 1901 : "L’emploi de la télégraphie sans fil dans la Marine. Tous les bâtiments amiraux des deux escadres et plusieurs croiseurs ont reçu les installations voulues pour ce mode de communication. Ils ont commencé des exercices avec les postes installés sur le littoral d’où ils s’éloignaient : Fort Saint-Louis à Toulon, Ouessant et Saint-Mathieu près de Brest". En 1901, la liaison entre le Stiff à Ouessant et la préfecture maritime devient permanente. Tissot crée une autre station à la pointe du Raz. La radio une paternité collective. Trois éléments sont nécessaires pour réaliser une liaison radio : un émetteur, un détecteur et une antenne. Ce sont les travaux de nombreux chercheurs sur l’un ou l’autre de ces éléments qui permettent un développement rapide et international de cette nouvelle technologie. La station radio d’Ouessant La Marine cède aux P.T.T. le contrôle de la station expérimentale d'Ouessant en 1904. Au début son rôle n'est pas très bien défini, une circulaire précise simplement ceci : "jusqu'à ce que de nouvelles dispositions soient prises, la station radiotélégraphique d'Ouessant assurera exclusivement l'échange des télégrammes officiels émanant de la Marine et prendra part, sur la demande des autorités maritimes aux expériences que les navires de guerre ou les autres postes terrestres de la Marine pourront avoir l’intention d’effectuer avec le poste d’Ouessant” Les navires français semblent bouder la station mais les P.T.T. signent à partir de 1906 des contrats avec des compagnies maritimes allemandes. Progressivement quelques navires français s’équipent. L’administration des Postes et Télégraphes juge au début des années 1910 que l’avenir du service commercial est assuré puisqu’elle met en construction à Ouessant un bâtiment d’exploitation "moderne" opérationnel en 1911 près du village de Lampaul.
Deux pylônes de 75 mètres écartés de 150 mètres supportent l'antenne, une nappe verticale. Ouessant émet et reçoit toujours sur l'onde de 600 mètres, (500 kc /s). Les émissions se faisant sur une bande très large, on peut les capter selon l'éloignement de la source entre 400/500 et 700/750 mètres de longueur d'onde. Ainsi Ouessant et Land's End radio au Royaume-Uni, ne peuvent travailler ensemble sans se gêner. Heureusement le trafic n'est pas encore très conséquent ce qui limite les conflits d'antenne. Le registre américain Wireless Telegraph Stations in the World, édition de 1912, nous précise que l’indicatif radio de Ouessant (qui fut OSA et deviendra FFU), est à cette époque UOS avec une portée nominale de 375 milles. A partir de 1901, Tissot se détourne de Ducretet à cause du manque de gratitude de l’industriel. Faute de crédits de la Marine, il se fait distancer par Marconi. Il entame une collaboration avec le général Ferrié tout en développant sa thèse sur les ondes hertziennes. A partir de 1907, ses nouvelles recherches sauvent la tour Eiffel promise à la ferraille en 1909 et lui donnent une nouvelle célébrité. En 1909, il est fait officier de la Légion d’honneur. Un émetteur sur la tour Eiffel Tout le monde a en mémoire ce célèbre couplet, qui a France Inter, bonsoir ... Au troisième top, il sera permis de caler montres marines et terrestres avant 20 heures ... Bip - Bip - Biiiip ! l'invention du signal DCF 77, et qui a rythmé nos Il est 20 heures, les informations ... jeunes années. Mais qui sait que ces tops horaires de Radio France, diffusés sur toute la planète via les ondes de R.F.I., étaient en fait la dernière émanation d'une invention qui a tout juste cent ans : les signaux horaires radiotélégraphiques diffusés par la tour Eiffel. Le 23 mai 1910, après quelques mois de retard dus aux crues de la Seine, la tour Eiffel commence donc à émettre ces signaux qui feront que, pour la première fois dans l'histoire, les marins ne se perdront plus en mer. Le but recherché par le commandant Tissot est de pouvoir fournir aux marins, à des horaires fixes et avec des appareils récepteurs simplismes comme le poste à galène, des signaux extrêmement précis leur permettant de caler leurs montres et d'obtenir ainsi un point aussi précis qu'en vue de terre. Au même moment, à l'Académie des Sciences, Henri Poincaré, président du bureau des longitudes, rend hommage au capitaine de frégate Camille Tissot, professeur à l'école navale, initiateur et promoteur inlassable de ces signaux : la première application concrète à l'échelle planétaire de la toute jeune Télégraphie Sans Fils vient de prendre son envol. Aussitôt après, et dans l'enthousiasme, on se met à transmettre, grâce à d'ingénieux systèmes, des longitudes ... Puis ce sont, toujours à cause de ces signaux, d'autres bouleversements : l'entrée de la France dans le système des fuseaux horaires, l'abandon du méridien de Paris, la naissance d'une industrie de la T.S.F. où la France se trouve en pointe grâce au savoir-faire de ses scientifiques ... "La plus belle application de la TSF est certainement celle qui a été faite pour la première fois en France. Nous voulons parler de la transmission de l’heure par la station de la Tour Eiffel aux navires en cours de route, jusqu’à des distances considérables. […] Cette application des ondes électriques si importante pour la sécurité de la navigation, est une œuvre d’utilité publique qui profite à toutes les nations et dont l’initiative revient à la France. C’est, en effet, M. Tissot, capitaine de frégate, qui le premier en a conçu le projet. On voit que l’idée a fait son chemin ...". E. Monnier, La TSF à la portée de tout le monde, 1914
La Tour Eiffel devient une station importante avec 5 kW en 1910 ; elle est dès lors audible de 3 000 km le jour, 5 000 km la nuit. Le procès Marconi Malgré la collaboration incontestablement très active des Français dans le développement de la T.S.F. internationale, Marconi, afin d'asseoir le monopole mondial de sa compagnie, associée au groupe Telefunken, n’hésite pas à attaquer de manière virulente la Compagnie Générale Radiotélégraphique, la Société Française Radioélectrique et la Société Générale de Transports Maritimes à Vapeur au cours du procès qu'il déclenche en 1912 après saisie de matériel. L’état français, qui est exploitant et se sert de la Marconi 1874 – 1937 T.S.F. non seulement pour des relations commerciales mais en fait aussi et avant tout un instrument de défense nationale, ainsi que le Royaume-Uni et surtout l’Allemagne qui se sont déjà inclinées, risque de se trouver tributaire de ces deux pays pour les communications radiotélégraphiques. Outre le préjudice matériel, l’enjeu est aussi politique vu le risque de ruine de l’influence française. Tissot est un des experts mandatés par le gouvernement français pour conseiller ces sociétés dans leur défense. Le procès est perdu en décembre 1912 mais gagné en appel en mars 1914 : le brevet Marconi est déclaré sans valeur par suite de travaux antérieurs d’autres savants. La France et le monde échappent alors au monopole Marconi, les ondes redeviennent libres et disponibles à toutes les expérimentations ! Le déclenchement de la première guerre mondiale enclenche aussitôt l’application de cette nouvelle technologie dans la logistique de guerre. Une reconnaissance tardive mais amplement méritée Depuis le 1er novembre 2008, la photo de Camille Tissot a pris place à Plougonvelin, au cénotaphe de Saint- Mathieu dédié au souvenir des marins morts pour la France et des disparus en mer. Panneau réalisé d’après le site consacré à Camille Tissot par ses arrière-arrière-petits-enfants : http://www.camille-tissot.fr et le blog d’histoire locale de Jean-Pierre Clochon : http://recherches.historiques-leconquet.over-blog.com
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