Un regard personnel sur sa propre culture - Norient

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Un regard personnel sur sa propre culture - Norient
Un regard personnel sur sa propre culture | norient.com                      7 Oct 2021 13:49:14

    Un regard personnel sur sa
    propre culture
    by Thomas Burkhalter

    Le CD Wameed de Kamilya Jubran et Werner Hasler montre
    qu’une musique dite «moderne» peut très bien avoir une
    identité «orientale» forte.

    Ghareeba

    Etrangère dans ce monde, dans ce monde étrangère
    Dans cet exil une solitude cruelle, une désolation pénible
    Qui me fais toujours penser à une patrie féerique qui m’ est
    inconnue
    Et qui peuple mes nuits de songes d’une lointaine contrée
    jamais aperçue
    Etrangère dans ce monde
    J’ai voyagé de part l’orient et l’occident
    Sans trouver ma patrie
    Ou quelque personne qui me reconnaisse
    Ou qui ait entendu parler de moi

    Gibran Khalil Gibran
    Wameedd est un album aux facettes musicales et sonores multiples. Onze
    poèmes de langue arabe auxquels l’on a attribué par un long travail créatif, le
    ton juste, l’émotion appropriée. La voix de Kamilya Jubran en est le centre,
    elle fait renaître les poèmes dans toute leurs dimensions poétiques, leur
    donne corps et âme, tout en gardant un lien profond avec leur caractère

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    historique. Dans le respect de la tradition du chant arabe, Kamilya Jubran joue
    avec les mots et les syllabes, ralentit, accélère et modifie les sons, luttant
    ainsi pour l’indépendance et l’autonomie de chaque note, loin de tout
    orientalisme simplificateur.

    Werner Hasler quant à lui enveloppe chaque chanson de Kamilya Jubran de
    nouveaux sons, sans jamais vouloir se mettre au premier plan. Ces sons
    proviennent d’un synthétiseur analogue KORG ms2000r et d’échantillons
    sonores enregistrés. Les bruits et fréquences qu’il produit vont dans tous les
    sens, passent d’un haut-parleur à l’autre, ralentissant parfois le rythme et se
    jouant du chant de façon polyrythmique. Hasler, le trompettiste, sait
    parfaitement comment soutenir la voix. De temps en temps, il l’attaque, la fait
    brièvement passer à l’arrière-plan, alors qu’à d’autres moments, il semblerait
    presque vouloir se rapprocher de la musique pour «dancefloor». Il crée ainsi
    une tension pour ensuite reprendre sa place derrière la voix, dans une entière
    confiance en la voix de Kamilya et en la force de cette évocation musicale
    minimaliste et intime. Werner Hasler joue ainsi un rôle de fin coloriste sur
    l’ensemble de l’album. L’oud, le luth arabe, est utilisé avec parcimonie. Ce
    n’est que dans des compositions plus récentes comme «al-mawjatu taa’ti» ou
    «Ankamishu» que Kamilya Jubran met son instrument un peu plus en avant.

    Ainsi naît une musique forte et autonome, dynamique, précise et floue à la
    fois. Discrète sur le fond, ludique dans le détail et les sons intermédiaires. Une
    musique minimaliste et pourtant riche, toujours centrée sur le texte.

    Wameedd illustre bien à quel point les musiciens ne sont pas enfermés dans
    leur propre culture, mais qu’ils subissent seulement plus ou moins son
    influence. Ils recherchent l’inspiration et des partenaires musicaux tant dans
    leur environnement proche que sur un plan plus global pour pouvoir créer une
    musique très proche du monde et aussi très proche d’eux-mêmes.

    Les musiciens

              «Le fait que je suis européen et que Kamilya Jubran vient
              du monde arabe a certes son importance dans Wameedd,
              mais au fond, il s’agit de rester soi-même. Nous avons
              tous deux une façon très personnelle et peu compatible
              avec le goût des masses de voir nos cultures et origines
              respectives. A travers les chansons de Kamilya, je
              cherche mon propre chemin musical et elle, le sien. Nous
              recréons ainsi à chaque fois de nouvelles situations
              musicales passionnantes. Certaines ont un fond culturel,
              d’autres se basent plutôt sur nos préférences
              personnelles. Nous sommes mus par le même esprit de

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              recherche. Il n’existe pas de modèle quant aux rôles à
              jouer sur ce chemin, il se crée en fonction d’une réflexion
              intense et critique.» Werner Hasler

              «Bien que Werner Hasler fasse de la musique
              électronique, il est avant tout un musicien de jazz. En tant
              que trompettiste, il est très proche du chant. En même
              temps, il reste très critique face à ses propres créations
              électroniques. Le fait qu’il connaissait peu la musique
              arabe avant notre rencontre et n’avait donc pas d’idée
              préconçue à son sujet est un avantage à mes yeux. En
              effet, si je veux remettre en question et explorer le son et
              la structure du chant arabe, je dois pouvoir travailler
              librement et de façon indépendante, ce qui est possible
              avec Werner. Nous faisons preuve d’esprit critique envers
              notre travail et apprenons l’un de l’autre. Avec Wameedd,
              nous abordons un terrain musical sans références ni
              modèles. Nous cherchons un nouvel espace musical
              commun, dans lequel nous pouvons évoluer sans
              craintes». Kamilya Jubran

    Wameedd est sorti chez UNIT Records, le label du musicien zurichois Harald
    Härter, guitariste de jazz de renommée internationale et sera distribué en
    France par «Abeille». Cette musique laisse entrevoir la possibilité d’un
    échange culturel égalitaire, tout en montrant qu’une musique dite «moderne»
    peut très bien avoir une identité «orientale» forte.

    Ankamishu

    je me serre
    contre mon géminé invisible
    détrônant mes rêves
    dénudant de la certitude mes pensées
    abandonnant les détails des désirs et tentations
    renonçant à mes obsessions

    je me mets à nu
    dénudée de la peau, de la chair, des os
    d’un nom, d’une appartenance
    de mes lignée et filiation

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    je quitte les débris des cellules
    le contour de l’ombre
    embrassant le diamant de l’éclipse
    où loup et proie se confondent.

    Aicha Arnaout

    Il est vrai qu’aujourd’hui, l’accélération de la globalisation culturelle suscite un
    intérêt croissant pour les musiques issues de cultures différentes, ce qui
    entraîne une augmentation du nombre d’échanges interculturels. Le
    répertoire n’est cependant pas étendu, mais plutôt standardisé. Il faut que ce
    soit vendable, raison pour laquelle on met sur le marché des musiques
    traditionnelles et passe-partout, des projets qui ne risquent pas de froisser le
    monde politique et des rythmes électroniques adaptés aux pistes de danse ou
    bars dans le style «ambient-lounge» avec juste ce qu’il faut d’exotisme. Cette
    évolution a malheureusement lieu, plus que jamais, au détriment des
    véritables musiques traditionnelles, profondes et dérangeantes,
    compréhensibles du seul connaisseur, et des projets musicaux d’avant-garde.
    C’est pourquoi, Wameedd, le premier CD de Kamilya Jubran et de Werner
    Hasler est une véritable lueur d’espoir, et ce à bien des égards.

    Al-shaatté al-akhar

    Nous peuple de l’autre rive
    Défions le destin avec notre sang
    Nulle main ne peut nous oblitérer
    Tout ce qui enivre l’âme et la porte à l’extase
    Est enfanté par nos mouvements
    Nous peuple de l’autre rive
    Prisonniers de notre labyrinthe
    Le sable du temps se perd entre nos doigts
    Nous avons refusé d’être prisonniers de nos rêves
    Bien que nos coeurs en soient pétris

    Dimitri T Analis

    Biographies

    Kamilya Jubran est née en 1963 à Saint-Jean-d’Acre en tant que Palestinienne
    avec un passeport israélien. Son père, Elias Jubran, est fabricant
    d’instruments traditionnels et professeur de musique. Il l’initie à la musique
    égyptienne à travers Oum Kalthoum, Sayyed Darwich et Mohammed Abdel
    Wahab, ainsi qu’à la musique de la grande Syrie et à la musique populaire de

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    son propre environnement social. C’est surtout Sayyed Darwich qui
    influencera Kamilya, lui qui, au début du XXe siècle déjà, a mêlé les harmonies
    occidentales aux formes musicales arabes et a décrit dans ses poèmes la vie
    quotidienne du peuple égyptien par des mots et des métaphores différenciés.

    En 1982, Kamilya Jubran rejoint le groupe palestinien «Sabreen» comme
    chanteuse et joueuse d’oud et de qanoun. Pendant vingt ans, ils se produiront
    dans de nombreuses villes et villages palestiniens, ainsi que dans d’autres
    villes et métropoles dans le monde. Avec «Sabreen», elle produit quatre
    albums et quelques-unes des chansons les plus originales de la musique
    arabe contemporaine. Le questionnement de Kamilya Jubran sur les
    composantes, l’atmosphère et le rôle de ses chansons évolue et s’intensifie.
    Sur invitation de Pro Helvetia, la fondation Suisse pour la culture, elle se rend
    en Suisse au printemps 2002 et plus précisément à Berne: d’une province
    arabe à une province européenne pourrait-on dire….

    Là, elle rencontre Werner Hasler, un trompettiste formé à la Swiss Jazz
    School de Berne, mais qui lorgne depuis toujours au- delà des frontières du
    jazz. Werner Hasler est né en 1969 au Liechtenstein. Il participe aux tournées
    de groupes et musiciens de renommée internationale comme The Nits,
    William Bell et Eddy Floyd. À Berne, il intègre le groupe «Tonus» de Don Li, où
    il expérimente des mesures impaires, polymériques et polyrythmiques. En
    1997, il fonde son propre groupe «Manufactur» avec les musiciens suisses Oli
    Kuster (electronics), Urban Lienert (basse) et Dominik Burkhalter
    (percussions). «Manufactur» mélange les formes, mêle musique électronique
    et jazz contemporain en glanant au passage des bribes de différents styles de
    musique populaire. Le groupe créé ainsi une architecture sonore qui oscille
    entre composition et improvisation. En 2005, Werner Hasler produit, en
    collaboration avec Sunao Inami, musicien et designer sonore japonais, l’album
    interactif «Transmit» (Label manufactured audio) et à l’automne 2005, il
    publiera le troisième album de «Manufactur» intitulé Rong Dob (Label rent a
    dog, rad 2008-2, AL! VE (D), Musikvertrieb (CH)). Werner Hasler est un
    observateur critique et précis des développements politiques, sociaux et
    culturels. Sa rencontre avec Kamilya Jubran lui permet d’aborder la culture du
    Moyen-Orient sans parti pris. Dans l’intervalle et pendant un séjour au Caire,
    Werner Hasler a travaillé avec des musiciens et artistes égyptiens. n

    Ayna tantahi ?

    où fini la vague
    où commence l’océan?
    où se limite le corps
    où s’entame l’ombre?
    où s’estompent les ténèbres
    où s’esquisse la lumière?

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    les mots respirent au-delà de leurs contours
    les sens se replient, se déplient
    un cercle
    dont le centre est nulle part.

    Aicha Arnaout
    Kamilya Jubran et Werner Hasler se rencontrent pour la première fois à Berne
    en 2002. Leur intérêt réciproque pour l’approche musicale de l’autre les
    pousse assez vite à collaborer. Tous deux s’intéressent aux détails dans la
    musique. Tous deux aiment une musique réduite à l’essentiel, mais qui
    véhicule néanmoins des émotions et des sentiments profonds. Werner Hasler
    est fasciné par la profondeur et la diversité de la voix de Kamilya Jubran, par
    son ambition artistique et son caractère exigeant. Elle est à la recherche
    d’une nouvelle expression musicale et veut placer sa voix et les poèmes
    d’auteurs arabes tels que Khalil Gibran, Paul Shaoul, Fadel al-Azzawi, Aicha
    Arnaout et Dimitri T Analis dans un nouveau contexte musical. En Werner
    Hasler, elle a trouvé son partenaire musical idéal.

    En collaboration avec l’artiste visuel bernois Michael Spahr et la bassiste
    parisienne Sarah Murcia, avec qui Kamilya Jubran avait déjà travaillé à
    l’époque de «Sabreen», un premier projet intitulé «Mahattaat» (Stations)
    prend forme. En quatuor, Kamilya Jubran et Werner Hasler peuvent tester en
    public leurs premières compositions communes: «Ghareeba», «Amshi»,
    «Nafad al-Ahwal 2» et «al-shaatté al-akhar». Hormis ces nouvelles
    compositions, le groupe interprète surtout des chansons de «Sabreen» et de
    Kamilya Jubran. La première de «Mahattaat» a lieu au théâtre Schlachthaus
    de Berne en automne 2002. Lors de la tournée en Égypte où ils se produisent
    au Caire, à Alexandrie et à Minya, les réactions sont mitigées. Une partie du
    public égyptien est gênée par l’électronique, les images vidéo et la manière
    moderne dont Kamilya Jubran interprète les textes et la musique de
    musiciens égyptiens de légende tels que Sayyed Darwich ou Oum Kalthoum.
    Une autre partie du public en revanche, principalement les jeunes artistes de
    l’avant-garde, est enthousiaste car ils reconnaissent enfin une musique à la
    fois très moderne et très arabe. En règle générale, dans les projets qui
    associent musique électronique et musique arabe, l’on constate exactement
    le contraire: les rythmes électroniques dominent et on les saupoudre de
    mélodies orientales douceâtres et simplistes dans le style «Buddha Bar».
    Après l’Égypte et la Suisse, les quatre musiciens se produisent également à
    Berlin, Hambourg, Göteborg, Ljubljana, Tunis et Paris. Werner Hasler et
    Kamilya Jubran décident alors de poursuivre leur collaboration et d’affiner
    leur recherche tout en continuant à rechercher l’essence de leur vision
    musicale encore mal définie.

    Al-hubb Assa’b

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    J’ai un mal de tête terrible
    Et je sens mon œil aussi lourd qu’un roc.
    Je ne perçois plus bien
    Et j’ai perdu le goût du manger
    Ma soupe pèse autant qu’un éléphant

    La vérité est oppressante
    Peut-on cacher le soleil avec un tamis
    On m’a tuée, oui on m’a tuée
    Je fus sacrifiée
    J’attendais mon tour
    Je me désintégrais toute entière
    Oui On m’a tuée
    La guerre est moins rude que l’amour

    sawsan darwaza

    * tous les poèmes cités sont chantés par Kamilya Jubran sur le CD Wameedd

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    → Published on March 08, 2010

    → Last updated on October 13, 2019

    Thomas Burkhalter is an ethnomusicologist (PhD), interdisciplinary artist, and
    music journalist from Bern (Switzerland). He is the founder and director of Norient,
    the Norient Space (Norient.com), and the Norient Film Festival (NFF). He co-
    directed documentary films (e.g. “Contradict”, Berner Filmpreis 2020 + Al-Jazeera
    Witness) and AV/theatre/dance performances, is the author and co-editor of
    several books, teaches regularly at universities, and runs workshops for arts
    institutions. His experimental radio feature, “Gqom Edits – A Durban Visit”, was
    nominated for Prix Europa in 2017. Currently, Burkhalter is working on a new music
    project, and on the experimental podcast series “South Asian Sound Stories” with
    musicians from the UK, Bangladesh, India, and Pakistan.

    → Topic

                Encounter
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    → Special
    Sonic Traces: From
    Switzerland

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