Une analyse des taux marginaux effectifs d'imposition au Québec

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L'Actualité économique

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Une analyse des taux marginaux effectifs d’imposition au
Québec
Jean-Yves Duclos, Bernard Fortin and Andrée-Anne Fournier

Volume 84, Number 1, mars 2008                                                Article abstract
                                                                              This article draws up a portrait of effective marginal tax rates (EMTRs) on
URI: https://id.erudit.org/iderudit/019973ar                                  labour income in Quebec. It aims in part to provide a better understanding of
DOI: https://doi.org/10.7202/019973ar                                         the impact of tax policy on the labour market and saving behavior of agents.
                                                                              Using an accounting micro-simulation model that incorporates the system of
See table of contents                                                         taxes and transfers in 2002 Quebec, we measure the EMTRs that result from the
                                                                              interaction of the mechanisms of income taxation and redistribution.
                                                                              Moreover, we evaluate the distribution of EMTRs in the population. The
                                                                              analysis of EMTRs shows, inter alia, that family policy, whose assistance is
Publisher(s)
                                                                              targeted towards low to medium income families, generates high levels of
HEC Montréal                                                                  EMTRs ascribable to the generally rapid reduction of transfers as income
                                                                              increases. More than a quarter of the heads of single-parent households face an
ISSN                                                                          EMTR that can reach, and even exceed, 80%. As for the two-parent families,
                                                                              they mostly face EMTRs of around 50%. We finally show the importance of
0001-771X (print)                                                             accounting for EMTR heterogeneity, both with respect to family types and
1710-3991 (digital)                                                           income levels, in order to assess properly the variability of EMTRs in the
                                                                              population.
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Cite this article
Duclos, J.-Y., Fortin, B. & Fournier, A.-A. (2008). Une analyse des taux
marginaux effectifs d’imposition au Québec. L'Actualité économique, 84(1),
5–46. https://doi.org/10.7202/019973ar

Tous droits réservés © HEC Montréal, 2009                                    This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
                                                                             (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
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                                                                             This article is disseminated and preserved by Érudit.
                                                                             Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,
                                                                             Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                             promote and disseminate research.
                                                                             https://www.erudit.org/en/
L’Actualité économique, Revue d’analyse économique, vol. 84, no 1, mars 2008

                           Une analyse des taux marginaux
                           effectifs d’imposition au Québec*

                 Jean-Yves DUCLOS
                 Département d’économique
                 Université Laval
                 CIRPÉE
                 Bernard FORTIN
                 Département d’économique
                 Université Laval
                 CIRPÉE
                 CIRANO
                 Chaire du Canada en économie des politiques sociales
                 et des ressources humaines
                 Andrée-Anne FOURNIER
                 Groupe d’analyse ltée

                 Résumé – Cet article dresse un portrait de la situation des taux marginaux effectifs d’imposition
                 (TMEI) sur le revenu de travail au Québec. Il vise à permettre une meilleure compréhension
                 de l’impact des politiques gouvernementales sur le comportement des agents économiques sur
                 le marché de la main-d’oeuvre. À l’aide d’un modèle de microsimulation comptable reprodui-
                 sant les systèmes d’impôts et de transferts au Québec pour 2002, nous mesurons les TMEI qui
                 résultent de l’interaction des mécanismes de perception et de redistribution. En outre, nous en
                 évaluons la répartition au sein de la population. L’analyse de ces taux démontre, entre autres,
                 que la politique familiale du gouvernement, dont l’aide est ciblée vers les familles à faible
                 revenu, engendre des TMEI élevés attribuables à la réduction généralement rapide des trans-
                 ferts avec le revenu de travail Ainsi, plus du quart des chefs de famille monoparentale ont un
                 TMEI pouvant atteindre, et même excéder, 80 %. Quant aux familles biparentales, elles font
                 majoritairement face à un TMEI qui approche 50 %. Nous montrons l’importance de tenir
                 compte de l’hétérogénéité, à la fois selon les types de familles et selon les niveaux de revenu,
                 de manière à bien évaluer la variabilité des TMEI à travers la population.
                 ___________
                 *	Ce travail a pu voir le jour grâce à la collaboration du ministère de l’Emploi, de la Solidarité
                 sociale et de la Famille du Québec où a été développé le modèle de microsimulation qui a permis de
                 démarrer ce projet sur la situation des taux marginaux effectifs d’imposition au Québec. Nous tenons
                 à remercier de façon particulière Messieurs Marco de Nicolini et François Godin pour leur soutien,
                 ainsi que le CRSH et le FQRSC pour leur appui financier. Nous sommes aussi reconnaissants envers
                 deux rapporteurs anonymes pour leurs commentaires judicieux.

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	l’actualité économique

                 Abstract – This article draws up a portrait of effective marginal tax rates (EMTRs) on
                 labour income in Quebec. It aims in part to provide a better understanding of the impact of
                 tax policy on the labour market and saving behavior of agents. Using an accounting micro-
                 simulation model that incorporates the system of taxes and transfers in 2002 Quebec, we
                 measure the EMTRs that result from the interaction of the mechanisms of income taxation
                 and redistribution. Moreover, we evaluate the distribution of EMTRs in the population.
                 The analysis of EMTRs shows, inter alia, that family policy, whose assistance is targeted
                 towards low to medium income families, generates high levels of EMTRs ascribable to
                 the generally rapid reduction of transfers as income increases. More than a quarter of the
                 heads of single-parent households face an EMTR that can reach, and even exceed, 80%. As
                 for the two-parent families, they mostly face EMTRs of around 50%. We finally show the
                 importance of accounting for EMTR heterogeneity, both with respect to family types and
                 income levels, in order to assess properly the variability of EMTRs in the population.

                 Introduction
                     La mise en place de politiques gouvernementales redistributives donne généra-
                 lement lieu au traditionnel arbitrage entre efficacité et équité. On dit d’un système
                 fiscal qu’il est efficace lorsqu’il minimise les distorsions dans le comportement
                 des agents économiques à chaque niveau donné de recettes fiscales. Or, les taux
                 d’imposition que génère ce système fiscal – quoique nécessaires pour financer
                 des programmes de redistribution de la richesse qui visent une plus grande équité
                 – peuvent entraîner des coûts d’inefficacité non négligeables en modifiant l’envi-
                 ronnement dans lequel les individus prennent leurs décisions. En outre, le système
                 de transferts sociaux introduit des taux d’imposition (implicites cependant) dans
                 la mesure où le montant de ces transferts diminue avec la hausse du revenu de
                 l’individu. Dans un tel contexte, la conception de politiques gouvernementales
                 efficaces ainsi que l’analyse de leur impact requièrent une bonne compréhension
                 de l’interaction des systèmes de taxation et de transferts qui se combinent et s’en-
                 trecoupent.
                      C’est dans ce cadre conceptuel que s’inscrit cet article. Notre principale contri-
                 bution consiste à mettre en œuvre un modèle de simulation reproduisant le sys-
                 tème d’impôts et de transferts au Québec de façon à mieux comprendre l’impact
                 des mécanismes fiscaux et des programmes de soutien du revenu sur les incita-
                 tions au travail. Notre modèle permet en effet d’effectuer une analyse descriptive
                 détaillée des taux marginaux effectifs d’imposition (TMEI) sur le revenu de tra-
                 vail des individus et des ménages qui résultent de l’interaction des mécanismes
                 de perception et de redistribution. Ces taux dépendent de façon complexe et non
                 linéaire des caractéristiques des individus et des ménages ainsi que de leur revenu.
                 À l’aide de notre modèle, nous estimons ces TMEI et en décrivons la répartition
                 et la composition au sein de la population québécoise. Nous caractérisons les
                 ménages dont la structure familiale et la composition du revenu sont telles que
                 l’incitation financière au travail est à la marge très faible, parfois même nulle ou
                 négative. Nous accordons dans le cadre de cet exercice une attention particulière à
                 la situation des familles avec enfants puisque ce sont ces familles qui sont a priori

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Une analyse des taux marginaux effectifs d’imposition au Québec                            

                 les plus touchées par la complexité des mécanismes québécois de perception et de
                 redistribution du revenu.
                     Une publication récente de l’OCDE où il est abondamment question des
                 TMEI souligne l’importance d’une compréhension approfondie des mécanismes
                 fiscaux, comme celle que permet notre analyse dans le cas du Québec :
                      The analysis of how benefits and taxes depend on work status and earnings levels does
                      not, by itself, tell us how changes in tax-benefit policy will actually influence labour
                      supply or how many individuals live in income poverty and why. It does, however,
                      contribute to a thorough understanding of the mechanics of tax-benefit systems. This
                      understanding of how different tax-benefit instruments interact with each other, as well
                      as with people’s particular labour market and household situations, is an essential
                      pre-requisite for identifying tax-benefit reform priorities (OCDE, 2004).
                      L’originalité de notre travail réside donc dans l’analyse de la répartition des
                 TMEI dans la population québécoise. À notre connaissance, une seule étude cana-
                 dienne, celle de Macnaughton et al. (1998), a permis d’estimer les taux effectifs
                 et leur répartition à travers la population. Par contre, cette étude n’inclut pas tous
                 les programmes de transferts que nous retrouvons au Québec, notamment l’aide
                 sociale (ou l’assistance-emploi). Cet article permet donc de dresser un portrait
                 riche et original de la distribution des taux marginaux au Québec.
                      Cet article est organisé comme suit. La première section définit la notion de
                 TMEI et discute de ses implications dans le calcul du coût marginal des fonds
                 publics. Elle présente aussi une analyse qualitative de l’impact sur les TMEI de la
                 politique familiale telle que celle qui a été mise en place récemment au Canada et
                 au Québec. La deuxième section est consacrée à la présentation du modèle et des
                 données utilisées. Les sections 3 et 4 discutent de l’ensemble des résultats obte-
                 nus. On y présente différentes mesures de la distribution jointe des TMEI et des
                 revenus, et des caractéristiques des ménages. On y effectue aussi une décomposi-
                 tion des taux moyens pour mieux comprendre l’impact des différentes mesures de
                 la fiscalité et des transferts. La dernière section conclut l’article.

                 1. Les taux marginaux effectifs d’imposition

                 1.1 Définition
                     Les taux marginaux effectifs d’imposition (TMEI) résultent de la double
                 action du gouvernement qui perçoit d’une part des impôts tout en maintenant
                 d’autre part une politique de soutien au revenu. Dans un document publié par la
                 Commission parlementaire sur la réduction de l’impôt des particuliers1 en 1999,

                 ___________
                       1. La Commission parlementaire sur la réduction de l’impôt des particuliers n’est pas la seule
                 à s’être intéressée à la question des TMEI. En effet, elle fait suite à plusieurs autres commissions et
                 études québécoises qui ont étudié ce phénomène, comme le Livre blanc sur la fiscalité des particuliers
                 (1984), la Commission sur la réforme de la sécurité du revenu (1996) et la Commission sur la fiscalité
                 et le financement des services publics (1996).

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	l’actualité économique

                 les TMEI2 d’imposition sont en effet décrits comme un phénomène qui émane de
                 deux mécanismes, soit le régime d’imposition des particuliers et les programmes
                 de transferts. À ces deux éléments, nous ajoutons les taxes sur la masse salariale3.
                 Le régime d’imposition définit un prélèvement effectué sur une partie du revenu
                 et déterminé en fonction de l’importance de ce revenu et des caractéristiques des
                 ménages. À l’inverse, les programmes de transferts sont mis en place afin de
                 verser un revenu complémentaire à certains citoyens. Ils peuvent prendre la forme
                 de transferts sociaux directs ou encore de dispositions fiscales qui réduisent l’im-
                 pôt à payer (ou engendrent un remboursement). La progressivité de notre régime
                 fiscal et la sélectivité caractérisant en général les programmes de transferts font en
                 sorte que lorsque le revenu d’un ménage s’accroît, celui-ci doit souvent faire face
                 à la fois à une réduction des transferts dont il bénéficie et à une hausse de l’impôt
                 et des cotisations qu’il doit payer.
                    Supposons, pour simplifier, un ménage composé d’un individu adulte.
                 Mathématiquement, le TMEI se définit de la façon suivante. Soit l’identité sui-
                 vante définissant son revenu disponible :
                      YD = YT + YA – T + TR,                                                                       (1)
                      où YD = revenu disponible;
                      YT = revenu de travail;
                      YA = revenus privés autres que le revenu de travail;
                      T = impôts et taxes (incluant les cotisations sociales);
                      TR = transferts sociaux;
                      avec T = T (YT, YA, Z) et TR = TR (YT, YA, Z)
                      où Z est un vecteur de caractéristiques de l’individu.
                      Nous avons donc :
                      YD = YT + YA – T (YT, YA, Z) + TR (YT, YA, Z).                                               (2)
                     En différentiant par rapport à YT (nous supposons que T(·) et TR(·) sont diffé-
                 rentiables en YT pour simplifier), nous obtenons :

                 ___________
                      2. Le gouvernement du Québec utilise le qualificatif « implicites » plutôt qu’« effectifs ». Il
                 nous semble préférable d’attribuer l’expression « taux implicites » aux programmes de transferts, et
                 d’associer celle de « taux effectifs » à la prise en compte de l’impôt et des transferts. C’est donc le
                 terme « effectif » que nous utilisons principalement dans le texte.
                      3.	On supposera dans l’analyse que les cotisations sociales payées par l’employé sont perçues
                 comme des taxes et non comme une source de revenu futur (par exemple cotisations à la RRQ) ou
                 comme une prime d’assurance pour la protection d’un risque social comme la perte d’emploi (par
                 exemple cotisations à l’assurance-emploi).

Book 84-1 mars 08.indb 8                                                                                                 1/20/09 10:15:59 aM
Une analyse des taux marginaux effectifs d’imposition au Québec              

                       dYD       ∂T (⋅) ∂TR(⋅) 
                           = 1−        −         .                                                   (3)
                       dYT       ∂YT     ∂YT 

                     À partir de l’équation (3), on définit le TMEI sur le revenu du travail de la
                 façon suivante :
                                    dYD ∂T (⋅) ∂TR(⋅)                                                 (4)
                       TMEI = 1 −       =     −       .
                                    dYT   ∂YT   ∂YT

                     L’expression de droite de l’équation (2.4) montre que le TMEI est le résul-
                 tat de la hausse des impôts et des taxes, conjuguée, le cas échéant, à la baisse
                 des transferts suite à un accroissement marginal de YT. Le TMEI comprend ainsi
                 une composante explicite et une composante « implicite ». Cette dernière (qu’on
                 appelle aussi le taux de récupération ou de réduction des programmes d’aide) se
                 définit par la proportion du montant reçu en transferts qui est perdue à la suite
                 d’une hausse marginale du revenu de travail.

                 1.2 Distorsions et coût marginal des fonds publics
                      Les TMEI à l’étude engendrent un écart à la marge entre la rentabilité sociale
                 et la rentabilité privée des comportements individuels sur le marché du travail. Ils
                 sont ainsi à la source de distorsions dans de nombreuses décisions telles que la
                 participation au travail et les heures travaillées, l’effort au travail, l’investissement
                 en capital humain (éducation, formation professionnelle, etc.), la mobilité géogra-
                 phique de la main-d’œuvre, les choix occupationnels et le travail au noir.
                     La présence de TMEI modifie aussi le calcul du « coût marginal des fonds
                 publics » (CMFP), c’est-à-dire le coût pour la société d’une hausse additionnelle
                 de 1 $ de recette fiscale servant à financer des dépenses publiques. Ce coût sup-
                 plémentaire doit en principe être incorporé dans toute analyse des programmes
                 gouvernementaux. Browning (1976) a observé que le coût social du financement
                 d’un dollar marginal de dépenses publiques est la somme de ce dollar, qui ne peut
                 plus être utilisé pour un usage privé, et du changement dans le coût total en bien-
                 être social causé par les distorsions sur les choix individuels que crée la hausse des
                 TMEI requise pour générer ce dollar. La somme donne le CMFP, qui prend donc
                 en compte le fardeau direct de la taxe ainsi que la charge excédentaire.
                     Le calcul précis du CMFP dépend de la distribution jointe et complète des
                 élasticités des différents types de comportement et des TMEI à travers la popu-
                 lation. Ce calcul précis peut donc être assez complexe et variable. Dans le cadre
                 relativement simple d’une économie d’individus identiques où le seul choix indi-
                 viduel est entre le loisir et la consommation d’un bien privé, où l’impôt provient
                 d’une taxe proportionnelle (à un taux τ) sur le revenu, et où le bien public est sépa-
                 rable dans la fonction d’utilité de l’individu, on montre (voir Fortin et Lacroix,
                 1994) que :

Book 84-1 mars 08.indb 9                                                                                    1/20/09 10:16:00 aM
10	l’actualité économique

                                      1
                       CMFP =               ,
                                       τ                                                                            (5)
                                  1−      h
                                     1− τ

                 où h est l’élasticité non compensée de l’offre de travail par rapport au taux de
                 salaire net.
                     L’équation (5) indique que le CMFP est croissant avec le TMEI, du moins
                 lorsque l’élasticité d’offre de travail non compensée est positive. Une raison intui-
                 tive est qu’une réduction de l’offre de travail générée par une augmentation du
                 TMEI est plus coûteuse en termes budgétaires pour le gouvernement lorsque le
                 TMEI est initialement à un niveau élevé, et ce, parce que l’impact budgétaire
                 d’une chute de l’offre de travail est proportionnel au TMEI de départ. Ainsi, lors-
                 que h = 0,3 et τ = 0, le CMFP est de 1 $, alors qu’il atteint 1,43 $ lorsque τ = 0,5.
                 Dans ce dernier cas, il en coûtera donc 1,43 $ à la marge, soit 0,43 $ de plus à la
                 société, pour financer 1 $ supplémentaire de fonds publics en raison de la distor-
                 sion marginale plus élevée sur les heures de travail qui en découle.
                      Plus généralement, les distorsions au niveau des heures de travail offertes,
                 telles que mesurées par le CMFP, dépendent d’une combinaison de trois facteurs :
                 le niveau des taux effectifs d’imposition sur le revenu de travail, la répartition des
                 individus (ou des ménages) selon ces taux, ainsi que la sensibilité des compor-
                 tements d’offre de travail individuels4. Dans cet article, c’est la répartition des
                 valeurs de τ qui nous intéresse de façon plus particulière. Comme nous venons de
                 le voir, le CMFP croît avec τ (en supposant η > 0), ce qui indique que le coût de
                 financement des dépenses publiques croît avec le niveau agrégé du financement
                 de ces dépenses. Mais ce n’est pas seulement le niveau des τ auxquels font face
                 en moyenne les individus qui importe. Il est en effet possible de démontrer que
                 le CMFP est convexe dans les τ. Ainsi, pour une moyenne de τ donnée, plus sa
                 variabilité à travers les individus autour de cette moyenne est importante, plus
                 le CMFP de la société est élevé. Nous nous attarderons donc dans cet article à
                 décrire à la fois les TMEI moyens et leur répartition à travers les individus5.

                 1.3 Le rôle de la politique familiale
                     La politique familiale, surtout lorsqu’elle est ciblée vers les ménages à faible
                 et à moyen revenu, a une incidence particulièrement importante sur le niveau et
                 la variabilité des TMEI. Cette politique est constituée d’un ensemble de mesures

                 ___________
                      4. Dahlby (1998) a dérivé une expression pour le CMFP associée à une augmentation du taux
                 de taxation sous un système d’imposition progressif en tenant compte de la répartition des individus et
                 des différents taux auxquels ils font face. Il s’agit essentiellement de capter les changements dans les
                 revenus du gouvernement provenant de chaque tranche d’imposition à la suite d’une modification du
                 taux marginal de l’une des tranches, ce qui pourrait être fait grâce à notre modèle.
                       5.	On trouvera une analyse plus détaillée de la variabilité des TMEI selon le statut familial et
                 entre les différents types de ménage dans Duclos, Fortin et Fournier (2006).

Book 84-1 mars 08.indb 10                                                                                                 1/20/09 10:16:01 aM
Une analyse des taux marginaux effectifs d’imposition au Québec                           11

                 fiscales et de programmes de transferts qui visent à apporter un soutien au revenu
                 des familles. Au Québec, elle implique la participation des deux paliers de gou-
                 vernement, provincial et fédéral. Nous nous contenterons ici de décrire briève-
                 ment les principales modifications à la politique familiale qui ont été effectuées
                 depuis une quinzaine d’années (jusqu’en 2002)6 et ses implications attendues sur
                 les TMEI. Nous discutons dans la conclusion de certains des changements appor-
                 tés depuis 2002 dans la fiscalité des particuliers au Québec, et traitons brièvement
                 de leur impact possible sur la répartition des TMEI.
                     En 1993, le gouvernement fédéral a aboli deux mesures d’aide universelle,
                 soit les allocations familiales et le crédit d’impôt pour enfants à charge7, dans le
                 but de concentrer son soutien financier sur les familles à faible revenu8. Il a alors
                 créé la prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE) qui comprend, en plus
                 d’un transfert de base, un supplément au revenu de travail pour les familles à
                 faible revenu. À ces dernières, le gouvernement fédéral a également choisi d’ac-
                 corder un crédit pour la taxe sur les produits et services (TPS), une mesure qui,
                 comme la PFCE, a pour but de fournir un incitatif fiscal à travailler. En 1997,
                 le gouvernement du Québec a lui aussi effectué une réforme majeure de l’aide
                 accordée aux familles. La vocation de l’allocation familiale a alors été revue. Par
                 le passé, il s’agissait d’une aide universelle dont le montant augmentait avec le
                 nombre d’enfants. Avec la réforme, l’allocation familiale est devenue une aide
                 financière versée uniquement aux familles à faible ou moyen revenu. En outre,
                 la portion enfants des barèmes de l’aide sociale (appelée maintenant assistance-
                 emploi) est devenue une composante de l’allocation familiale. Finalement, un ser-
                 vice de garde « universel » à 5 $ par jour a été mis en place.
                     Au niveau de l’imposition provinciale, un crédit d’impôt non remboursable
                 est octroyé au contribuable qui a des enfants à sa charge. Un supplément s’ajoute
                 au montant de base dans le cas d’une famille monoparentale ainsi qu’aux parents
                 dont les enfants poursuivent des études postsecondaires. Dès qu’il a un enfant à sa
                 charge, un contribuable est également admissible à la réduction d’impôt à l’égard
                 de la famille9. Finalement, le gouvernement provincial offre toujours une aide
                 financière à la garde des enfants via le crédit d’impôt remboursable pour frais de

                 ___________
                      6. Un portrait complet de l’historique de la participation de l’État à l’aide aux familles se
                 retrouve dans Rose (2001) et Vincent et Woolley (2001).
                      7. Le gouvernement fédéral offre toujours un crédit d’impôt non remboursable pour le premier
                 enfant d’une famille monoparentale.
                      8.	Ce soutien accorde généralement un montant d’aide (sous forme de prestation, d’allocation,
                 de crédit, etc.) qui atteint son maximum pour les ménages dont le revenu familial varie approximati-
                 vement entre 20 000 $ et 30 000 $. À partir d’un certain seuil situé entre ces deux bornes, l’aide finan-
                 cière versée est graduellement réduite et devient nulle pour les familles de revenu moyen à élevé.
                      9. La réduction d’impôt joue un rôle différent de celui joué par le crédit d’impôt non rembour-
                 sable. Le crédit d’impôt non remboursable est une mesure fiscale qui bénéficie à toutes les familles,
                 c’est-à-dire qu’il est non conditionnel au revenu. Le crédit correspond à 20 % d’un montant qui varie
                 en fonction du nombre d’enfants. Le principe d’universalité ne tient plus dans le cas de la réduction
                 d’impôt à l’égard de la famille, puisque cette mesure profite davantage aux familles à faible revenu. En
                 effet, la déduction fiscale permise est réduite de 3 % du montant du revenu familial excédant 26 700 $.

Book 84-1 mars 08.indb 11                                                                                                1/20/09 10:16:01 aM
12	l’actualité économique

                 garde encourus dans le cas des familles qui ne bénéficient pas du service de garde à
                 5 $ par jour. De son côté, le gouvernement fédéral a plutôt opté pour une déduction
                 des frais de garde d’enfants, considérant qu’ils constituent un coût encouru pour
                 gagner un revenu et qu’ils réduisent la capacité des parents à payer des impôts10.
                     De façon globale, les deux paliers de gouvernement ont opté pour la redistri-
                 bution verticale. Cette approche vise à faire financer par les familles plus riches
                 une aide accrue aux familles démunies (Baril et al., 1997). L’aide universelle aux
                 familles a par conséquent presque complètement disparu, des TMEI plus élevés à
                 la sortie des programmes de soutien au revenu et plus variables pour l’ensemble
                 des familles étant alors la contrepartie de la politique très ciblée choisie par les
                 gouvernements fédéral et provincial au cours des dernières années.

                 2. Le modèle et les données utilisées

                 2.1 Structure et hypothèses du modèle
                     Le type de modèle que nous avons construit pour l’étude de la distribution
                 des TMEI au Québec simule l’imposition des particuliers et les programmes de
                 transferts des gouvernements pour un échantillon d’individus, de ménages ou de
                 familles obtenu à partir d’une enquête ou de données administratives (voir Gupta
                 et Kapur, 2000 pour une présentation générale de ces modèles). Le modèle que
                 nous employons a été créé au départ au ministère de l’Emploi, de la Solidarité
                 sociale et de la Famille du Québec (MESSF). Nous l’avons adapté pour les fins de
                 ce travail. Il s’agit d’un modèle statique qui effectue des calculs comptables pour
                 reproduire la fiscalité et les transferts de l’année 2002. À partir des informations
                 contenues dans la base de données, le simulateur crée une réplique de la déclara-
                 tion de revenus de chaque ménage faisant partie de l’échantillon en tenant compte
                 des différents programmes de transferts auxquels il a droit. Une description com-
                 plète des mesures appliquées par le gouvernement du Québec et le gouvernement
                 fédéral qui ont été incluses dans notre modèle est fournie dans Duclos, Fortin et
                 Fournier (2006). Un résumé de ces mesures apparaît en annexe.
                     Plusieurs hypothèses sont nécessaires pour effectuer une simulation complète
                 de l’imposition et des programmes de transferts.
                     • À titre d’exemple, aucune information concernant le montant des frais de
                 garde encouru par les ménages avec enfants n’est comprise dans la base de don-
                 nées. Cette dépense doit donc être estimée. Nous considérons ainsi que toutes les
                 familles bénéficient du service de garde à 5 $ par jour11. En réalité, tous les parents
                 ne profitent pas de ce programme gouvernemental pour de multiples raisons.

                 ___________
                       10. Vincent et Woolley (2001) effectuent une comparaison entre les deux paliers de gouverne-
                 ment en ce qui concerne le traitement fiscal des frais de garde qui est particulier à chacun d’eux.
                       11.	Il est également possible de faire toutes les simulations avec des frais de garde réguliers. Le
                 traitement fiscal effectué est alors celui qui avait cours avant l’introduction du service de garde à 5 $.

Book 84-1 mars 08.indb 12                                                                                                 1/20/09 10:16:02 aM
Une analyse des taux marginaux effectifs d’imposition au Québec        13

                     • En outre, nous posons l’hypothèse que seulement 50 % des familles qui
                 répondent aux critères d’admissibilité du programme d’aide aux parents pour leurs
                 revenus de travail (APPORT) profitent de cette aide gouvernementale. Il ne serait
                 pas réaliste de toutes les inclure puisque seules les familles qui en font la demande
                 peuvent obtenir ce soutien au revenu. Selon le rapport annuel de gestion du MESSF,
                 environ 47 % des familles admissibles ont profité du programme en 2002.
                    Une description complète des différentes hypothèses que nous avons posées
                 pour chacun des trois ménages représentatifs est fournie en annexe.

                 2.2 Statistiques descriptives
                     Dans la littérature, l’analyse descriptive des TMEI repose sur deux approches
                 différentes. La plupart des auteurs ont recours à des profils fiscaux représentatifs
                 (aussi appelés des « cas-types ») pour comparer l’imposition effective de diffé-
                 rentes catégories de ménages. Cette méthode est largement utilisée puisqu’elle
                 est relativement simple à réaliser. La deuxième approche consiste à déterminer la
                 répartition des TMEI à travers la population. Elle permet une analyse beaucoup
                 plus complète, mais nécessite l’utilisation d’une base représentative de données
                 sur les ménages. Le modèle que nous utilisons possède l’avantage de permettre la
                 présentation des résultats de chacune de ces deux approches.
                     Un exemple d’un profil fiscal représentatif est celui fourni par le graphique 1
                 pour une famille biparentale avec un revenu, deux enfants de 3 et 5 ans et parti-
                 cipant au programme APPORT pour l’année d’imposition 2002. Dans les calculs
                 portant sur les TMEI, on suppose un seul revenu de travail ainsi que des incré-
                 ments successifs de 10 $ de revenu salarial. Dans le graphique 1 par exemple,
                 les TMEI sont obtenus comme 1 moins le rapport de l’augmentation du revenu
                 disponible de la famille parentale suite à une augmentation de 10 $ du salaire du
                 chef de famille sur 10 $. Le graphique 1 permet d’observer l’évolution des taux
                 en fonction du revenu de travail de la famille et de distinguer les zones où les
                 taux sont les plus élevés. Le ministère des Finances du Québec possède égale-
                 ment son propre modèle de revenu disponible qui a permis de générer les taux
                 marginaux implicites publiés dans le document de la Commission sur la réduc-
                 tion des impôts des particulier (1999) et qui est également à l’origine des résul-
                 tats présentés dans Ouellet (1998). L’analyse de profils fiscaux représentatifs est
                 également utilisée par Bernier et Lévesque (1995) et Laferrière (2001), dont les
                 travaux portent sur les programmes des gouvernements fédéral et provincial, ainsi
                 que par Davies (1998), dont l’étude se limite aux mesures fiscales et de transferts
                 fédérales. Récemment, une étude de l’OCDE (2004) a également fait appel à cette
                 technique, étude qui se distingue par la présentation des contraintes budgétaires
                 de différents types de ménages et ce, pour une vingtaine de pays membres et non-
                 membres de l’OCDE12.

                 ___________
                     12. Le Canada ne fait pas partie de cette étude.

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14	l’actualité économique

                                                         GRAPHIQUE 1
                   Revenu disponible et taux marginal effectif d’imposition d’une famille bipa-
                             rentale « type », selon le salaire total de la famille*

                      Revenu                                                                           Taux marginal
                     disponible                                                                            effectif
                         ($)                                                                            d’imposition
                     35 000                                                                                200 %
                                                                                                           180 %
                     30 000                                                                                160 %
                                                                                                           140 %
                     25 000                                                                                120 %
                                                                                                           100 %
                     20 000                                                                                  80 %
                                                                                                             60 %
                     15 000                                                                                  40 %
                     10 000                                                                                  20 %
                                                                                                              0%
                      5 000                                                                                 -20 %
                                                                                                            -40 %
                            0                                                                               -60 %
                                0      5 000       10 000        15 000         20 000    25 000       30 000

                                                            Salaire total ($)

                                            Revenu disponible             Taux marginal d’imposition

                    NOTE : * Les TMEI sont obtenus en ajoutant 10 $ au salaire du membre de la famille ayant
                             le salaire le plus élevé.
                    SOURCE : Direction de l’analyse économique et des projets gouvernementaux, MESSF

                     Trois éléments importants distinguent en général les différentes études qui ont
                 été effectuées à l’aide de cas-types : le nombre de catégories distinctes de ména-
                 ges retenu, l’intervalle de revenu considéré ainsi que l’ensemble des mesures fis-
                 cales et de transferts intégrés à l’étude. Par ailleurs, un constat important émerge
                 de la plupart des études de cas-types. C’est dans la zone de revenu où les ménages
                 sont bénéficiaires nets de l’État que les TMEI sont généralement les plus élevés
                 (Gouvernement du Québec, 1999). Précisons que c’est un ensemble plus large
                 encore de ménages, ceux à faibles revenus, qui sont les plus durement imposés
                 (de façon effective) à la marge (Bernier et Lévesque, 1995; Ouellet, 1998; Davies,
                 1998 et Laferrière, 2001). Ce résultat n’est pas étonnant lorsque nous nous attar-
                 dons à la structure des politiques gouvernementales de transferts. Dans le but de
                 diriger l’aide vers les familles les plus pauvres et de limiter les coûts des program-
                 mes gouvernementaux, les mesures de transferts s’accompagnent en effet de taux
                 de récupération qui sont souvent très élevés (c’est-à-dire que le montant d’aide
                 financière diminue rapidement à mesure que le revenu familial est en hausse),
                 augmentant ainsi le TMEI.
                     Les conclusions qui peuvent être tirées d’une analyse de cas-types demeu-
                 rent toutefois plutôt limitées. La démonstration qu’une famille qui possède des

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Une analyse des taux marginaux effectifs d’imposition au Québec                        15

                 c­ aractéristiques bien précises aura un TMEI particulièrement élevé dans certai-
                  nes tranches de revenu ne fournit aucune indication en ce qui a trait au nombre
                  de familles qui se retrouvent dans cette situation. C’est ainsi que Davies (1998)
                  pousse l’analyse un peu plus loin en calculant le taux marginal effectif moyen
                  auquel font face les Canadiens (51 % en 1994). Par contre, ce résultat est basé sur
                  des données agrégées, ce qui limite le raffinement de son analyse. Des études plus
                  fines ont été menées dans le but de déterminer la répartition des TMEI à travers la
                  population et de décrire les caractéristiques des individus qui font face aux plus
                  hauts taux. Une caractéristique commune les unit, soit la méthodologie qui a été
                  utilisée pour générer les TMEI, qui est d’ailleurs celle que nous emploierons.
                      En 1998, l’étude américaine produite par le Joint Committee on Taxation a
                 effectué une comparaison entre les taux statutaires (qui reflètent le mécanisme
                 d’imposition seulement) et les TMEI pour l’ensemble des ménages du pays.
                 L’étude a permis de mettre en relief que 25 % des payeurs de taxes américains
                 ont un TMEI qui diffère du taux d’imposition officiel. Au Canada, ce pourcentage
                 s’élevait à 56 %13 pour la même année fiscale (Macnaughton et al., 1998). Les
                 travaux de Macnaughton et al. (1998) ont également permis de confirmer que les
                 TMEI élevés se retrouvent surtout parmi les contribuables qui sont dans la tran-
                 che d’imposition de 17 %, c’est-à-dire ceux qui ont les revenus les plus faibles.
                 Alors que seulement 2 % des individus dont le revenu se situe dans la plus haute
                 tranche d’imposition ont un TMEI différent de celui prévu explicitement par la
                 loi, 89 % de ceux dont le revenu est imposé à 17 % sont dans cette situation. Les
                 auteurs mentionnent aussi qu’outre le revenu, les caractéristiques familiales ont
                 un impact sur l’ampleur du TMEI. Mentionnons, entre autres, que le TMEI aug-
                 mente par 2 ou 3 unités de pourcentage par enfant, cet effet n’étant cependant plus
                 présent pour les familles dont le revenu se situe dans la tranche d’imposition la
                 plus élevée. De l’étude du système fiscal et de transferts de la France par Laroque
                 et Salanié (1999) se dégagent des résultats similaires à ceux obtenus à partir des
                 simulations canadienne et américaine.

                 2.3 Les données utilisées
                     Les données que nous utilisons sont extraites du système « Base de données et
                 Modèle de simulation de politiques sociales (BD/MSPS) » conçu par Statistique
                 Canada. Cet outil a été créé pour permettre l’analyse de politiques fiscales, de pro-
                 grammes de transferts ainsi que de taxes de vente et ce, pour l’ensemble du Canada
                 ou pour une province en particulier. Nous tirons nos données de ce modèle de
                 microsimulation et nous effectuons nos propres calculs à l’aide de notre modèle.
                 La raison de cette démarche réside dans le manque de flexibilité du système BD/
                 MSPS. De plus, certaines politiques québécoises, comme le programme APPORT,
                 n’y sont pas intégrées. Toutefois, la base de données du système BD/MSPS est la

                 ___________
                     13.	Il s’agit probablement d’une borne inférieure puisque l’aide sociale, qui est en cause dans le
                 niveau élevé des TMEI, n’a pas été incluse dans la simulation de Macnaughton et al. (1998).

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16	l’actualité économique

                 source d’information que nous considérons être la meilleure pour répondre à nos
                 besoins. Elle a été construite à l’aide d’une combinaison de données administra-
                 tives individuelles obtenues des déclarations de revenus personnelles et des dos-
                 siers historiques des prestataires d’assurance-emploi avec des données d’enquêtes
                 sur les revenus des familles et les régimes de dépenses des familles.
                     Cinq grandes sources de données ont permis de construire la base de données
                 de simulation de politiques sociales (BDSPS).
                      1. La première est l’Enquête sur les finances des consommateurs qui est la
                 principale source d’information dont dispose Statistique Canada concernant la
                 répartition du revenu entre les individus et les familles. Des informations essen-
                 tielles pour les simulations que nous effectuons s’y retrouvent.
                     2. Une deuxième source d’information provient des déclarations d’impôt des
                 particuliers. Elle constitue un complément important aux données d’enquêtes dont
                 la principale lacune est le manque d’information détaillée sur plusieurs éléments
                 de la fiscalité.
                      3. Un échantillon des dossiers historiques des demandes de prestations
                 ­d’assurance-emploi (AE) représente la troisième source de microdonnées.
                      4. La quatrième est l’Enquête sur les dépenses des ménages qui est pério-
                 diquement menée par Statistique Canada. En plus de contenir des données très
                 détaillées sur les revenus des Canadiens et la structure des dépenses des ménages,
                 son principal apport est de fournir de l’information sur les changements nets dans
                 l’actif et le passif des ménages. En cours de simulation, les données concernant
                 l’épargne sont particulièrement utiles pour déterminer, par exemple, l’admissi-
                 bilité d’une famille au programme APPORT (un test d’actifs est effectué pour
                 déterminer si une famille à faible revenu peut bénéficier du transfert).
                     5. Les concepteurs de la BDSPS ont puisé dans une dernière source, soit
                 l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu. Il s’agit d’une enquête lon-
                 gitudinale sur les ménages qui fournit de l’information concernant les revenus et
                 l’expérience sur le marché du travail14.
                     La BDSPS, beaucoup plus riche en information qu’une seule enquête, contient
                 toutes les variables nécessaires aux simulations que nous voulons effectuer.
                     Les données que nous avons extraites de la BDSPS étaient initialement stoc-
                 kées au niveau de l’individu. Nous avons regroupé les individus en fonction d’un
                 niveau plus agrégé de classement, c’est-à-dire la famille de recensement, tout
                 en conservant les informations relatives à chacun des membres (par exemple, le
                 revenu de travail du chef ainsi que celui des autres membres de la famille). La
                 BDSPS définit la famille de recensement comme étant « un chef, un conjoint le
                 ___________
                     14. Pour plus d’information concernant les bases de microdonnées et leur assemblage, on peut
                 consulter le document BD/MSPS Guide de création de la base de données de Statistique Canada.

Book 84-1 mars 08.indb 16                                                                                       1/20/09 10:16:04 aM
Une analyse des taux marginaux effectifs d’imposition au Québec                           17

                 cas échéant, et les enfants de n’importe quel âge qui n’ont jamais été mariés, parta-
                 geant le même logement ». Ainsi, deux individus célibataires vivant sous un même
                 toit constituent deux familles de recensement. Dans le cadre de notre analyse fis-
                 cale, ces deux individus sont donc considérés séparément. Nous avons également
                 fait en sorte que la personne âgée de 18 ans et plus, qui n’est plus aux études et qui
                 possède un revenu imposable, mais qui demeure toujours dans la maison familiale
                 soit traitée comme une personne seule. Le traitement de la base de données initiale
                 a donc permis d’obtenir un échantillon approprié à l’analyse fiscale.

                 3. Analyse des résultats : profils fiscaux représentatifs
                     Les études microéconométriques qui se sont intéressées à l’impact des chan-
                 gements des politiques gouvernementales sur l’offre de travail ont généralement
                 mené à la conclusion que les élasticités d’offre de travail par rapport au taux de
                 salaire net sont relativement faibles pour la population dans son ensemble. Par
                 contre, ces élasticités peuvent être plus importantes pour des groupes particuliers
                 d’individus, tel que les chefs de famille monoparentale. Conséquemment, il est
                 primordial d’aller au-delà de l’impact moyen que peuvent avoir la fiscalité et les
                 transferts en analysant plutôt leur influence dans le cadre de situations familiales
                 particulières et ce, à des niveaux de revenus divers.
                     Notre modèle de microsimulation nous permet d’atteindre cet objectif en
                 mesurant les TMEI pour un échantillon représentatif de la population. En faisant
                 appel à diverses mesures, telles que des profils fiscaux représentatifs et des graphi-
                 ques de densité, nous dressons un portrait de la situation des TMEI au Québec. En
                 effet, nous discutons du niveau des taux, de leur répartition et de leur composition,
                 en plus de faire ressortir les caractéristiques des ménages que nous retrouvons
                 dans les différentes tranches d’imposition effective. Rappelons que, tel que men-
                 tionné à la section 1.2, le CMFP est convexe par rapport aux TMEI. En consé-
                 quence, pour un TMEI moyen donné, le CMFP augmente avec la variabilité des
                 TMEI et il est donc important de tenir compte de cette variabilité.
                     Tel que souligné à la section 2.2, le recours à des profils fiscaux représentatifs
                 est une façon simple de comparer l’imposition effective de différentes catégo-
                 ries de ménages. La présentation que nous effectuons se distingue des cas-types
                 que l’on retrouve généralement dans la littérature puisqu’elle est assortie d’une
                 décomposition du TMEI total qui permet d’illustrer la contribution de chaque
                 élément de la fiscalité (impôts sur le revenu, crédits d’impôt, remboursements,
                 etc.), des transferts sociaux (programmes d’aide à la famille, aux revenus, etc.) et
                 des taxes sur la masse salariale payées par l’employé (RRQ et AE). Trois profils
                 fiscaux feront l’objet d’une courte présentation. Pour chacun d’eux, les TMEI,
                 calculés pour une augmentation de 10 $ de revenu15, sont présentés pour un revenu
                 ___________
                      15. L’augmentation du revenu du ménage provient d’une hausse du revenu de travail de l’individu
                 qui est considéré comme étant le « chef de famille » selon le classement effectué par Statistique Canada.

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18	l’actualité économique

                 familial variant entre 0 et 70 000 $16. Nous avons opté pour une hausse de 10 $, à
                 la marge, dans le but d’illustrer plus nettement les coupures associées aux seuils
                 d’entrée et de sortie des différents programmes sociaux. De plus, des analyses de
                 sensibilité effectuées à l’aide d’incréments variant entre 10 $ et 1 000 $ ont révélé
                 que l’évolution du taux marginal dans le cadre d’une analyse de profil fiscal repré-
                 sentatif variait peu en fonction du montant d’augmentation du revenu retenu.

                 3.1 La personne seule
                      Le profil fiscal de la personne seule est illustré au graphique 2. Sa présentation
                 est relativement simple compte tenu du nombre limité de mesures fiscales et de
                 programmes qui affectent ce type de ménage. Notons que le TMEI est d’abord
                 négatif, c’est-à-dire que le montant reçu en paiement de transferts s’accroît suite
                 à la hausse du revenu. Il en est ainsi puisque la prestation d’aide sociale (appelé
                 aussi assistance-emploi) n’est pas affectée par les premiers dollars gagnés par
                 l’individu et puisque le crédit pour la TPS augmente avec le revenu. Dès que le
                 revenu dépasse le seuil permis sans pénalité (1 200 $ lorsque la personne n’a pas
                 de contraintes à l’emploi), la présence de l’aide sociale, accompagnée des cotisa-
                 tions au RRQ et à l’AE, fait grimper le TMEI jusqu’à 100 %. Ce n’est qu’un peu
                 avant que son revenu atteigne 12 000 $ que la personne seule voit le TMEI auquel
                 elle fait face diminuer. Le concept de « piège de la pauvreté » ou de piège à l’inac-
                 tivité17 prend ici tout son sens, puisqu’il nous est possible de constater graphi-
                 quement la présence de la barrière qui freine l’incitation au travail des individus
                 prestataires de l’aide sociale. Soulignons également la présence d’une disconti-
                 nuité du taux lorsque le revenu atteint le seuil de départ de la cotisation au régime
                 d’AE (la cotisation, prélevée au taux de 2,20 %, s’applique sur les 2 000 $ gagnés
                 initialement lorsque ce niveau de revenu d’emploi est atteint). Notons enfin que
                 nous ignorons dans l’analyse les prestations spéciales que certains prestataires de
                 l’aide sociale peuvent obtenir (par exemple assurance-médicaments, soins dentai-
                 res, prestations lors d’un sinistre, etc.) et auxquelles ils n’ont plus droit lorsqu’ils
                 ne sont plus admissibles à ce programme. Dans un tel cas, le TMEI peut excéder
                 100 %.
                    Observons maintenant l’évolution du TMEI après la sortie de l’aide sociale.
                 La combinaison des impôts fédéral et provincial, des cotisations (RRQ, AE et

                 ___________
                      16. Lorsque le revenu familial excède 70 000 $, le taux marginal effectif d’imposition se sta-
                 bilise autour de 45 % (selon les caractéristiques du ménage). À quelques exceptions près, seules les
                 mesures fiscales d’impôt sur le revenu sont alors appliquées au dollar gagné à la marge, les program-
                 mes de transfert n’ayant généralement plus d’effet pour les tranches de revenu supérieures.
                      17. Un rapporteur a fait la remarque judicieuse que le terme de « piège à inactivité » serait sans
                 doute plus adéquat ici que celui de « piège à pauvreté », notre analyse ne portant pas particulièrement
                 sur la question de la pauvreté. Par ailleurs, notre article n’estime pas comment le comportement sur
                 le marché du travail est influencé par ces trappes à inactivité; cela nécessiterait l’estimation d’un
                 modèle d'offre de travail afin de mettre en rapport, d'un côté, la mesure de trappe à inactivité qui peut
                 être construite grâce à notre modèle et, de l'autre, les choix de type et d’intensité d’activités. Pour une
                 recherche récente dans cette direction appliquée au Québec, voir Parisé (2007).

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                                                             Composition du taux marginal effectif d’imposition d’une personne seule « type » selon le niveau de revenu total*

                                                                                                                                                                                                                         Une analyse des taux marginaux effectifs d’imposition au Québec
                                                                     100

                                                                      90

                                                                      80
                               Taux marginal effectif d’imposition

                                                                      70

                                                                      60
                                                                                  Aide
                                                                      50         sociale

                                                                      40

                                                                      30                                                                                          Impôt provincial

                                                                      20

                                                                      10                                                                                           Impôt fédéral

                                                                       0
                                                                           0   5 000   10 000   15 000   20 000   25 000    30 000     35 000      40 000     45 000     50 000      55 000   60 000   65 000   70 000
                                                                     -10
                                                                                                                                   Revenu familial

                                                                                                     RRQ                   Assurance-emploi                 Cotisation d’ass.-méd.

                                                                                                     Crédit TVQ            Remb. d’impôt foncier            Crédit TPS

                            NOTE : * Chacun des polygones montre la contribution d’un élément du système fiscal au TMEI total de la personne seule. Les TMEI sont obtenus en ajoutant
                                     10 $ au revenu familial.

                                                                                                                                                                                                                         19
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