Une approche pratique des allergies médicamenteuses et de la désensibilisation pour l'interniste

La page est créée Robert Evrard
 
CONTINUER À LIRE
Une approche pratique des allergies médicamenteuses et de la désensibilisation pour l'interniste
Société canadienne de médecine interne
                  Congrès annuel 2016

Une approche pratique des allergies médicamenteuses et
        de la désensibilisation pour l’interniste

                  Matthieu Picard, MD FRCPC
                Professeur adjoint de clinique
               Allergie et immunologie clinique
               Hôpital Maisonneuve-Rosemont
                    Université de Montréal
Une approche pratique des allergies médicamenteuses et de la désensibilisation pour l'interniste
Conflits d’intérêts
• Algorithme Pharma: consultant
• Sanofi: rémunération pour une présentation
  sur les allergies à la chimiothérapie
• Nestlé: rémunération pour une présentation
  sur les allergies alimentaires
Une approche pratique des allergies médicamenteuses et de la désensibilisation pour l'interniste
Plan
• Présentation des différents types de réactions
  d’hypersensibilité aux médicaments
  – Présentation clinique
  – Physiopathologie
  – Évaluation et prise en charge incluant test de
    provocation et désensibilisation
• Allergie aux beta-lactams
  – Réactivité croisée
• Angioedème aux IECA
• Allergie à l’aspirine
Une approche pratique des allergies médicamenteuses et de la désensibilisation pour l'interniste
Deux grands types de réaction
           d’hypersensibilité
• Immédiate
  – ≤ 1 heure après la dose
  – Représente la minorité des réactions (5%)

• Non-immédiate (retardée)
  – Généralement quelques jours après le début du
    traitement
  – Représente la majorité des réactions (95%)
Une approche pratique des allergies médicamenteuses et de la désensibilisation pour l'interniste
Cas clinique: réaction immédiate
• Patient admis aux soins intensifs suite à un arrêt
  cardio-respiratoire
• Dans la minute suivant une irrigation d’une voie
  veineuse avec une seringue de salin
   – Flushing, malaise généralisé, syncope, arrêt cardio-
     respiratoire
• Retour rapide du pouls et de l’état de conscience
• Forte suspicion clinique d’anaphylaxie
   – Quel test permettrait de le confirmer?
   – Quel est l’agent causal?
Une approche pratique des allergies médicamenteuses et de la désensibilisation pour l'interniste
Réaction IgE-médiée (immédiate)

                                          Histamine
                                       Prostaglandines
  Y

                 Y

                                        Leucotriènes
                                           Tryptase

                    Un contact préalable avec le médicament
     Mastocyte      n’est pas toujours évident cliniquement

  Réaction d’hypersensibilité de type I:
  IgE-médié
  Immédiate (
Une approche pratique des allergies médicamenteuses et de la désensibilisation pour l'interniste
Cas clinique: réaction immédiate
• Anaphylaxie confirmée:
   – Tryptase mesurée à 95 (normale inférieure à 13.5ng/ml)
     dans l’heure suivant la réaction
• Quel est l’agent causal?
   – Le patient rapporte un prurit cutané depuis quelques mois
     lorsqu’on le désinfecte avec des tampons de chlorhexidine
     et alcool
   – Sa voie veineuse a très probablement été désinfectée avec
     un tampon de chlorhexidine/alcool avant d’être irriguée
   – Test cutané par scarification positif à la chlorhexidine
   – Évitement strict de la chlorhexidine recommandé +
     bracelet medic-alert
Une approche pratique des allergies médicamenteuses et de la désensibilisation pour l'interniste
Évaluation d’une réaction IgE-médiée

       Scarification                          Intradermique

    Pleine concentration

                                        Dilution 1/10 dans salin

                       Lecture à 15 minutes
Une approche pratique des allergies médicamenteuses et de la désensibilisation pour l'interniste
Évaluation d’une réaction IgE-médiée

Test de provocation

          1/10e                Pleine dose

                                             1 heure d’observation

                  30 minutes
Une approche pratique des allergies médicamenteuses et de la désensibilisation pour l'interniste
Quel est le rôle de la désensibilisation
  dans les allergies IgE-médiées?
• Indiquée seulement en l’absence
  d’alternatives acceptables
  – Chimiothérapie (platines, taxanes. etc)
  – Anticorps monoclonaux (infliximab, rituximab, etc)
  – Antibiotique (pénicilline G et syphilis)
• Procédure à risque d’induire une anaphylaxie
  – Surveillance étroite requise
• Phénomène temporaire (le patient demeure
  allergique au médicament)
Désensibilisation rapide

1/100 dose totale         1/10 dose totale    Dose totale

       ❶                        ❷                ❸

  Vitesse (ml/h)           Vitesse (ml/h)    Vitesse (ml/h)
   2.5 x 15min               5 x 15min        10 x 15min
    5 x 15min                10 x 15min       20 x 15min
   10 x 15min                20 x 15min       40 x 15min
   20 x 15min                40 x 15min        80 x 2.9h
Cas clinique: réaction non-immédiate
• Un homme de 60 ans diabétique débute un
  traitement de pipéracilline-tazobactam pour une
  cellulite du membre inférieur
• Après 5 jours de traitement, il développe une
  éruption maculo-papuleuse prurigineuse surtout
  tronculaire
• Au bilan sanguin,
  – Éosinophilie à 1.2
  – CRP à 40
• L’antibiotique est changé pour de l’imipenem et
  l’éruption se résout sans desquamation en 7 jours
Réactions retardées
• Très large spectre
• Type IV (médié par les lymphocytes T)
  – Éruption maculopapulaire de sévérité variable
  – Fixed drug eruption
  – DRESS / SJS – TEN / AGEP
• Type II (médié par des anticorps cytotoxiques)
  – Anémie hémolytique
• Type III (médié par des complexes immuns)
  – Maladie sérique
  – Vasculite cutanée (purpura)
Réactions médicamenteuse de type IV
• Représentent plus de 90% des
  réactions aux médicaments

•   Pénicillines: 1-8%
•   Sulfas: 2-4%
•   Céphalos: 1%
•   Fluoroquinolones: 1-2%
•   Gentamicine: 1%
•   Macrolides:
Allergie médiée par les lymphocytes T
         (type IV ou tardives)

         Éosinophiles

                        1 à 10 jours
CD4

CD8

                                       UpToDate
Une éruption cutanée n’est pas
       nécessairement allergique
• Évaluation d’une centaine de patients avec
  réaction retardée bénigne aux céphalosporines
• Taux de positivité: 4.7%
• Durée de résolution du rash corrèle avec la
  probabilité d’être vraiment allergique
   – 3.3 jours pour les non-allergiques vs 10 jours pour les
     allergiques
• Explications potentielles:
   – Exanthème viral
   – Résolution rapide de l’allergie

                                            Romano J Allergy Clin Immunol 2012
Une éosinophilie d’origine
médicamenteuse est souvent bénigne
• Chez patients avec ATB IV sur une longue durée (en
  médiane: 41 jours)
• 25% développe une éosinophilie
   –   Atteinte cutanée: 15% (vs 6%)
   –   Atteinte rénale: 15% (vs 10%)
   –   Atteinte hépatique: 6% (vs 7%)
   –   Au moins une atteinte: 30% (vs 21%)
   –   DRESS possible: 3% (vs 0%)
• La majorité des patients avec éosinophilie sous ATB IV
  ne développent pas de réaction allergique
• En présence d’éosinophilie, une surveillance accrue est
  conseillée

                                             Blumenthal J Allergy Clin Immunol 2016
Évaluation d’une réaction T-médié

         Patch test                               Intradermique

   Dilution 30% dans vaseline                Dilution 1/10 dans salin

                         Lecture à 48-72 heures
Évaluation d’une réaction T-médié

Test de provocation

          1/10e               Pleine dose

                                            48-72 heures d’observation

                  1 semaine
Cas clinique: réaction tardive
•   Évaluation en allergie une fois
    l’éruption résolue et
    l’antibiothérapie cessée
•   Test intradermiques avec:
     –   Pénicillines
     –   Céphalosporines
     –   Carbapenems
     –   Seule la pipéracilline-tazobactam
         est positive à 48H
•   Donc, allergie sélective à la
    pipéracilline-tazobactam et
    pourrait recevoir
    céphalosporines, carbapenems et
    même d’autres pénicillines (ex:
    amoxicilline)
Cas clinique: réaction sévère
   Femme de 45 ans. Connue VIH +
A pris trimethoprim-sulfamethoxazole
  pendant 5 jours pour « bronchite »
 Asthénie, myalgies, fièvre et atteinte
      cutanée depuis 72 heures.
  Cytolyse hépatique (8x la normale)
           Pas d’éosinophilie.

       Quel est le diagnostic?
Stevens-Johnson Syndrome (SJS) et toxic
      epidermal necrolysis (TEN)
 Atteinte des muqueuses     • Commence 5 à 28 jours
                              après début Rx causal
                            • Fièvre et IVRS-like
                            • Traitement
                               – Priorité aux soins cutanés
                                 et des muqueuses
Détachement épidermique        – Transfert unité de grands
                                 brûlés
                               – Bénéfice incertain: IVIG,
                                 corticostéroïdes et
                                 cyclosporine
                            • Tests d’allergie peu fiables

  SJS: < 10%   TEN: > 30%
                                            Creamer British J Dermatol 2016
Cas clinique: réaction sévère
• Femme de 50 ans traitée par pipéracilline-tazobactam pour
  une ostéite du sacrum
• Après 2 semaines de traitement:
   – Fièvre récidive
   – Éruption cutanée maculo-papuleuse nouvelle sans vésicule,
     pustule ou atteinte des muqueuses
• Antibiotique changé pour imipenem
• Amélioration transitoire puis 5 jours plus tard:
   –   Récidive de la fièvre et recrudescence de l’éruption cutanée
   –   Insuffisance rénale aigüe nécessitant hémodialyse
   –   Éosinophilie
   –   Lymphocytose avec lymphocytes atypiques
• Quel est le diagnostic?
DRESS (drug reaction with eosinophilia
      and systemic symptoms)
•   Exposition souvent prolongée au médicament: 1-6 semaines
•   Fièvre et baisse de l’état général
•   Éruption cutanée variable (le plus souvent maculopapulaire)
    s’accompagnant souvent d’un œdème facial et d’un purpura aux membre
    inférieurs
•   Adénopathies
•   Lymphopénie suivie par lymphocytose (avec lymphocytes atypiques)
•   Éosinophilie
•   Atteinte hépatique (cytolyse +/- choléstase)
•   Atteinte rénale (néphrite interstitielle)
•   Atteinte pulmonaire (pneumonite interstitielle)
•   Atteinte d’autres organes (cardiaque, cérébrale)
•   Évolution et résolution lente sur plusieurs semaines/mois

•   Mortalité associée: 2 à 10%

                                                      Kardaun. British J Dermatol. 2013
DRESS: traitement
• Arrêt du médicament en cause et de tout
  suspect potentiel
• Éviter d’introduire de nouveaux médicaments
  – À risque accru de développer une nouvelle
    réaction d’hypersensibilité
• Corticothérapie avec sevrage graduel sur 8 à
  12 semaines
  – Risque de rechute si sevrage trop rapide
DRESS: identification de l’agent causal
Critères de sévérité: réaction type IV

Clinique:                       Bilan paraclinique
• Atteinte de l’état général    • Lymphopénie qui fait place
• Fièvre                          à une lymphocytose
• Œdème facial diffus           • Cytolyse hépatique
• Vésicules, bulles, pustules   • Insuffisance rénale aigüe
• Décollement cutané            • Éosinophiles urinaires
   complet (ulcère)             • Élévation importante de la
• Desquamation                    CRP (> 100) ou de la
• Atteinte des muqueuses          ferritine (> 500)
• Adénopathies
Histoire d’allergie à la pénicilline
• Histoire d’allergie à la pénicilline:
   – Environ 10% de la population adulte1
• Allergie confirmée à la pénicilline (test cutané +/-
  provocation):
   – Entre 1 et 10% de la population adulte avec histoire2
   – L’allergie à la pénicilline se résout avec le temps chez
     la majorité des gens
      • Seulement 43% des patients allergiques à la pénicilline
        l’étaient toujours 5 ans plus tard3
      • Seulement 32% des patients allergiques aux céphalosporines
        l’étaient toujours 5 ans plus tard4

                                  1. Picard. JACI: In Practice 2013   3. Blanca. JACI 1999
                                  2. Macy. JACI: In Practice 2013     4. Romano. Allergy. 2014
Utilisation d’antibiotiques alternatifs

                              Coût additionnel de
                              326.50$ par patient

                                Picard. JACI: In Practice 2013
Utilisation d’antibiotiques alternatifs

               +23.4%

               +14.1%

               +30.1%

Bénéfice additionnel à établir si le patient est réellement allergique à la pénicilline

                                                                                Macy. JACI 2014
Qui référer en allergie pour
                 évaluation?
• Idéalement, tout patient avec une histoire
  d’allergie à la pénicilline
   – Il est préférable d’évaluer le patient lorsqu’il est en
     bonne santé et qu’il n’a pas besoin d’antibiotique
• Il est surtout important de référer les patients
  avec:
   – Multiples histoires d’allergie aux antibiotiques
   – Besoin fréquent d’antibiotiques
   – Besoin probable d’antibiotiques dans un futur
     rapproché
Quel est le risque de réaction croisée
       entre les beta-lactams?
• Patient avec allergie confirmée à la pénicilline
• Carbapenems ≤ 1%
• Céphalosporines
   – 3e génération: environ 1%
   – 2e génération: variable
      • Cefuroxime (IV): environ 1%
      • Cefprozil (po): entre 10-20%
      • Cefoxitin (po et IV): risque indéterminé
   – 1ère génération: variable
      • Cefazolin (IV): environ 1-2%
      • Cefadroxil (po): entre 10-20%
      • Cephalexine (po): entre 10-20%
                                                    Céphalosporines à risque

                                   Méta-analyse. INESSS. Manuscrit en préparation
Réaction croisée entre
   céphalosporines et pénicillines
Pénicilline
   Amoxicilline

1ère génération
   Cefadroxil

2e génération
    Cefprozil

                           Sastre. Allergy 1996
                           Miranda J Allergy Clin Immunol 1996
Réaction croisée entre
    céphalosporines et pénicillines
Pénicilline
   Ampicilline

1ère génération
   Cephalexine

2e génération
    Cefaclor
En urgence, est-ce que je peux prescrire un beta-lactam
    à un patient avec un histoire d’allergie à la pénicilline?
   Histoire peu                Réaction               Anaphylaxie sans   Anaphylaxieavec
  convaincante              cutanée isolée                 choc ou             choc ou
                                                         intubation          intubation
                                                       Maladie sérique        Réaction
                                                           Allergie       retardée sévère
                        ≥10 ans
Cas clinique: angioedème
• Homme de 50 ans
  – Consulte à l’urgence pour angiœdème labial et
    lingual progressif depuis 4 heures
  – Pas d’urticaire, pas de prurit
  – Pas de difficulté respiratoire
  – Premier épisode du genre
  – Prend ramipril depuis 3 ans
• Quel sont les diagnostics possibles?
Diagnostic différentiel
• Angioedème aux IECA
• Angioedème idiopathique
  – Histaminergique (activation mastocytaire)
  – Bradykinergique
• Angioedème secondaire à un déficit en C1
  inhibiteur acquis
• Ce n’est pas une réaction allergique
Cascade des kinines
                  Facteur XIIa
                  C1 INH

Pré-kallikréine                  Kallikréine
                                 C1 INH

                   Kininogène                  Bradykinine
                                                 ACE DPPIV

                                               Récepteur B2
                                          (endothélium vasculaire)
Quel traitement donné?
• Antihistaminique (anti-H1)
• Corticostéroïdes
• Si l’angioedème est histaminergique,
  amélioration/résolution en 1 à 2 jours
• Si l’angioedème est bradykinergique, aucun
  effet et dure généralement 2-5 jours au total
Quel traitement donné?
• Si forte suspicion d’angioedème aux IECA et
  symptômes graves:
• Concentré de C1 inhibiteur (Berinert)
   – Diminue synthèse de bradykinine
   – 20 unités/kg intraveineux
   – Efficacité incertaine/utilisation hors indication
• Icatibant (firazyr)
   – Bloqueur du récepteur B2
   – 30mg sous-cutané
   – Efficacité montrée dans étude randomisée contrôlée
       • Résolution en 8 vs 27 heures (Bas. NEJM 2015)
   – Utilisation hors indication
Quoi faire ensuite?
• Éviter tout IECA
• Risque de récidive dans les semaines/mois
  suivant l’arrêt
• Si récidive, éliminer un déficit acquis en C1
  inhibiteur en dosant C4 (per-crise), C1 inh
  antigénique et C1 inh fonction
• ARA généralement sécuritaire
  – Risque de récidive d’angioedème ≤10%
Cas clinique
• Homme de 50 ans
  – Admis pour syndrome coronarien aigue
  – Vient du subir angioplastie avec mise en place
    d’un « stent » médicamenté
  – Le patient rapporte une histoire d’allergie à
    l’aspirine
• Que faire?
Quel est le type d’allergie à l’aspirine?
• Plusieurs types:
• « Pseudo-allergie » (effet pharmacologique secondaire
  à l’inhibition de COX-1)
   – Urticaire/angioedème avec tous les AINS
   – Urticaire/angioedème avec tous les AINS chez un patient
     avec urticaire/angioedème chronique spontané
   – Maladie respiratoire exacerbée par l’aspirine (AERD):
     polypose nasale, asthme et réaction « allergique » aux
     AINS

   – Allergie sélective à un AINS (potentiellement IgE-médié);
     presque jamais l’ASA
Approche clinique
          AERD*                         Autre type de réaction

    Prémédication avec:
        Montelukast                      Pas de prémédication
Corticostéroïdes systémiques
   Combinaison CSI/BALA

                  90 minutes entre chaque étape:
 *Évaluer le      1. 40.5mg
bénéfice d’un     2. 40.5mg
traitement à
                  3. 81mg
 haute doses
  650mg bid
                  4. 121.5mg
                  5. 202.5mg
                  6. 325mg
                                       Adapté de : Cook Curr Allergy Asthma Rep 2016
Questions?
Vous pouvez aussi lire