Verbe et syntaxe du breton, perspective énonciative et interlocutive - Sorbonne Université

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                 Didier Bottineau, ICAR / séminaire CELISO, 8 février 2019

     Verbe et syntaxe du breton, perspective énonciative et interlocutive
Introduction
    - Perspective théorique : la linguistique énactive ; le langage humain comme éthologie
       et activité ; la parole comme performance vocale (et autre) permettant de faire advenir
       le sens linguistique comme acte de représentation mentale intra- et inersubjectif ; la
       langue comme « discipline » et technique de conceptualisation partagée
    - Objectif : donner un aperçu de quelques éléments saillants de cette technique dans le
       cas du breton
    - Faits de langue : (i) syntaxe et (ii) système verbo-temporel
    - Cible : importance de faits liés à l’énonciation et à l’interlocution (au sens de la TRI,
       Douay/Roulland

1 - STRUCTURE PROPOSITIONNELLE

Faits typologiquement pertinents :
- langue de type V2 (verbe en 2e position comme en allemand) ;
- libre placement des SN mais pas de marques casuelles

ALLEMAND VS BRETON

Allemand :
V1 = délégation allocutive / distribution interlocutive = interaction dialogale
- interrogation : Kommst du mit ? « Viens-tu avec ? »
- injonction émise (impératif) : Komm ! « Viens ! » (stimulus visant une réponse)
- injonction reçue (obtempération) : Mach ich ! « Je (le) fais ! » = OK ! (réponse au stimulus
antérieur)
V final : distribution énonciative dialogique
- périphrases verbales (aspect, modalité) : ich möchte mitkommen « je voudrais venir aussi »
- subordination : ich weiss nicht ob ich mitkommen kann « je ne sais pas si je peux venir »
V2 : neutralisation (ni délégation allocutive dialogale, ni délégation énonciative dialogique)
prise en charge élocutive (par le locuteur) et validation de la relation prédicative
      Distribution de la place des verbes dans la syntaxe de l’allemand :
         V1 = TOI contrôles la VRP (validation de la relation prédicative)
         V2 = MOI contrôle la VRP
         Vf (final) = Enonciateur (ni TOI ni MOI) contrôle la VRP
         = modèle syntaxique en « balance Roberval » à 2 plateaux (dialogal et dialogique) et
         un pivot (élocutif)
      BILAN : « allemand = V2 » ne fait sens que dans le contexte de cette distribution
      Breton = V2 : exact mais rien à voir, le système est tout autre

Breton :
    V1 = stimulus linguistique (question) ou pragmatique (injonction) ; sinon, V2 (VRP
      élocutive)
    V2 = Aux ou V à un temps simple (Pr, PS, Imp, Fut, Cond 1 Pot, Cond 2 Irr) ; temps
      composés (parfait) et surcomposés (surparfait)
    Phr = [x V2 y z] où X = élément focalisé librement choisi (S, O, Attr, Adv, V, Aux,
      Préd, de forme lexicale (pronom), syntagmatique (SN…), propositionnelle
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« Je mange du pain »
Me a zebr bara alies.         Moi que mange pain souvent.
Bara a zebran alies.          Pain que je mange souvent.
Alies e tebran bara.          Souvent que je mange du pain.
Debriñ a ran bara alies.      Manger que je fais pain souvent
Debriñ bara a ran             Manger du pain que je fais
Bez e tebran bara             être que je mange du pain = do emphatique anglais

    1- FOC             2- PART             3- V              4- Ct               5- ADV
Me                 a                   zebr           ø   bara               alies
Bara               a                   zebran                                alies
Alies              e                   tebran             bara
Debriñ             a                   ran                bara               alies
Bez                e                   tebran             bara               alies

    Chronosyntaxe du breton :
     1- Focale : convocation, ne reçoit aucune fonction en T1
     2- Particule préverbale : A fait inclure Foc à la valence de V, E l’en exclut (signe
     d’appartenance positive ou négative de ce qui précède à ce qui suit)
     3- Verbe : si + Flex Pers (S) alors Foc ≠ S
     4- et 5- Autres (S inversé, O, Adv)
      la Foc ne reçoit pas de fonction à l’instant où elle est énoncée. Elle est incluse à ou
     exclue de la valence verbale par A ou E. Elle est éventuellement exclue du rôle de
     sujet par la flexion personnelle du verbe.
    On ne peut jamais avoir à la fois un sujet Foc (initial) et Flex (verbal, non focal). Les
     grammaires bretonnes parlent de « conjugaisons personnelle vs impersonnelle ». Je
     préfère parler de prédication conjointe ou disjointe (par focalisation). Cette alternance
     conjonction / disjonction implique qu’il n’y a jamais accord morphosyntaxique entre
     un sujet pronominal / lexical et le verbe, sauf si ce sujet est non focal, donc après le
     verbe.

Me a zo skuizh.               Il y a moi qui suis fatigué.
Skuizh on.                    Fatigué suis-je.
*Me on skuizh.                *Moi suis-je fatigué.
Met petra a lavaran-me ?      Mais qu’est-ce que je dis, moi ?

    Problème de la 3e personne sing. (Ø) qui peut générer des énoncés réversibles et
     ambigus : « Pierre voit François » / « François voit Pierre »

   FOC                 PART                 V                 Ct
Per                a                  wel         ø       Fañch
Fañch              a                  wel         ø       Per

    Pragmatique des focalisations :

Foc = ce qui motive la prise de parole chez LOC et focalise l’attention de ALL prioritairement
sur ce motif = opérateur de conjonction attentionnelle (attention conjointe, joint attention).
NB : si soliloque ou parole intérieure, alors ALL = LOC : adressage réflexif
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1- An aotrounez-mañ a veajo ganimp. (EXOPHASIE)
   Les messieurs-ci que voyagera- avec-nous.
   Ces messieurs vont faire le voyage avec nous. (Il y a ces messieurs qui…)
2- Traoù iskis a c’hoarvez amañ ! (ENDOPHASIE)
   Choses louches que (se) passe ici !
   Il se passe ici quelque chose de louche ! (Il y a des choses bizarres qui…)
3- Unan eus ar bolised a bouezas war an nozelenn gant an niverenn 1, hag ar gael
   gentañ a risklas d’ar c’hostez. Bihan-kenañ e oa ar gellig.
   « L’un des policiers appuya sur le bouton numéro un et la première grille glissa de
   côté. La cellule était toute petite. »

 Apprenants francophones du breton langue seconde, Ecoles Diwan : tendent à
  commencer toutes les phrases par un sujet thématique. Double erreur :
  - syntaxique : ne pas faire varier le constituant initial focalisé
  - pragmatique dans le dialogue : ne pas faire jouer au constituant le rôle de conjoncteur
  attentionnel, de coordinateur intersubjectif (erreur de chaîne informationnelle)
 Grammaires pédagogiques du breton : la phrase commence par le « chef de phrase » =
  le mot ou groupe de mots qui répond à la question que se pose l’autre
 Expérience de la brittophonie par ses locuteurs (phénoménologie en première
  personne, Petitmengin) : parler breton suppose un couplage intersubjectif serré (vs le
  français, plus lâche)
 Ethnopsychiatrie (Denez, Carrer) : la perte de l’expérience de ce couplage fait partie
  intégrante du traumatisme collectif causé par l’éradication de la langue bretonne à
  l’école et au sein des familles (« symbole » ; stigmates de la collaboration)

 SUBORDINATION
   pour les complétives et les relatives « incolores » (que, qui), il suffit de « rebooter »
  la chronosyntaxe en réitérant la particule A d’inclusion (= relative % antécédent) ou E
  d’exclusion (= conjonctive, % verbe recteur). La réitération du mécanisme de
  poursuite par introduction de verbes avec inclusion ou exclusion de ce qui précède à sa
  valence suppose une gymnastique de l’esprit très simple dans sa morphologie mais
  déconcertante dans son exécution pour un francophone habitué à une
  TOPOSYNTAXE aux segments réifiés et figés dans une catégorie univoque. En
  breton, tout segment se voit attribuer une fonction qui peut être retravaillée ensuite.

4- An den a glaskit (a) zo marv
   ‘le homme que cherchez que est mort’
   « L’homme que vous cherchez est mort »
5- Pa sonjan e vez tud a veaj evit ar blijadur !
   ‘Quand pensé-je que est gens que voyag_ pour le plaisir !’
   « Quand je pense qu’il y a des gens qui voyagent pour le plaisir ! »
6- Gouzout a ouiemp e oac’h ur pezh fall, Aotrou Rastapopoulos. Bremañ e ouzomp ivez
   ez eus eur lous pezh ac’hanoc’h !
   Savoir que savions que étiez une canaille, MR. Maintenant savons aussi (que) est un
   malotru à/de vous ! (a/eus MR)
   Nous savions déjà que vous étiez une canaille, Monsieur Rastapopoulos ; il nous
   restait aussi à apprendre que vous étiez un malotru !
7- [Kerc’heiz a lez pesk bihan] a zebr melfedenn d’he c’hoan.
   [Héron qui dédaigne petit poisson] mange escargot à son souper.
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  8- [Ur brav a gastell hoc’h eus savet aze, merc’hedigoù,] a lâras Sammy. (Youenn
     Gwernig)
     C’est un beau château que vous avez construit là, petites filles, dit Sammy.
  9- Ho tigarez, ne welan ket avat peseurt fent a c’haller kaout o klevet emeur en un nijerez
     a zo o koll hec’h askell p’emañ war he nij ?
     ‘Excusez-moi, mais je ne vois pas ce qu’il y a de si désopilant à se trouver dans un
     avion qui perd ses ailes en plein vol ?’
     Un nijerez a zo o koll hec’h askell !
     « Un avion perd ses ailes ! » (= « il y a un avion qui perd une de ses ailes »)

   Ce principe de la renégociation des constituants par la chronosyntaxe est typique du
    breton et il affecte d’autres systèmes grammaticaux :
    - pré-détermination grammaticale et post-détermination lexicale du N :
    an ti « la maison »
    ti an amezeg ‘maison le voisin’ = « la maison du voisin »
    ti amezeg ar skol-mestr, ‘maison voisin l’instituteur’ = la maison du voisin de
    l’instituteur »
    dor ti amezeg merc’h ar skol-mestr « la porte de la maison du voisin de la fille de
    l’instituteur »
    - les énoncé à « sujet disloqué » :
    Per a zo brav e ti ‘Pierre est beau sa maison’ « Pierre a une belle maison »
   Le breton illustre tous les principes de la chronosyntaxe (Macchi, Valin < Guillaume)
    et de la online syntax (Auer). Apprendre à parler breton, c’est apprendre à enchaîner
    des marqueurs et gabarits syntaxiques qui à chaque instant de la progression
    énonciative produisent des effets de proaction et rétroaction qui planifient et rectifient
    les constituants en temps réel.
   Ce principe n’est pas que mécanique et intralinguistique ou systémique, il est aussi
    sémantique, pragmatique et surtout psychologique : il régule la coordination de
    l’intersubjectivité et « manage » la cogestion des attentes, présupposés, implicatures,
    conjonctions attentionnelles, effets gestaltiques de distinctions de fonds et saillances,
    etc., et ce en prise forte avec les modalisations dans leur dimension multicanal
    (intonations, gestualités, regards).

2 - TEMPS VERBAUX

   Le breton possède une série de temps simples comparables à ceux de l’indicatif
    français : Pr, PS, Imp, Fut, Cond1, Cond2
   On s’intéresse à trois particularités de ce système :
    - l’existence d’un mode dit fréquentatif
    - l’existence de deux conditionnels simples
   Le fréquentatif du verbe bezañ « être »
    - action qui se répètent et/ou dont la formulation verbale est répétée par la
    communauté
    - même si l’action est répétée, un locuteur qui s’en présente comme témoin subjectif
    n’emploie pas le mode fréquentatif, qui lie la référence à l’énonciation
     Le choix du fréquentatif ne concerne pas que l’aspect du procès mais aussi celui de
    l’énonciation : le locuteur se présente comme répétant un propos qui a été dit par
    autrui ou a pu l’être
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         BEZAÑ          Forme           Forme
                        simple          habituelle
         Imparfait          oa               veze
         Passé              voe               Ø
         simple
         Présent              zo              vez
         Futur                vo             vezo

        KAOUT          Forme          Forme
                       simple         habituelle
        Imparfait         en doa        en deveze
        Passé            en devoe           Ø
        simple
        Présent          en deus          en devez
        Futur           en do / en      (en devezo)
                          devo

10- Pa vez brav an amzer ez an da bourmen.
    ‘quand est beau le temps que vais à promener’ « Quand il fait beau, je vais me
    promener. »
11- Pa vezer klanv, e halver ar midisin
    ‘quand est-on malade, et demande-on le médecin’
    « Quand on est malade, on appelle le médecin. »
12- Koskoriad an heol e vez graet eus ar c’hoskoriad planedennoù a vevomp ennañ.
    ‘Clan le soleil est fait de le clan planètes que vivons dans-lui’
    « On appelle système solaire le cortège de planètes dans lequel nous vivons. »
13- Ne veze ket gwelet kement a girri-nij en amzer-se
    ‘N’était pas vu autant de chars-vol en temps-ce’
    « On ne voyait pas beaucoup d’avions en ce temps-là »
14- Hag ar eontred ivez, a veze o fumiñ o butun
    ‘Et les oncles aussi, que était à fumer leur tabac’ « Et les oncles aussi fumaient leur
    tabac »
15- Gwechall ne oa ket a c’harlantezioù. Graet e veze ur c’hraoù gant loened e patatez
    .Ne cheñche ket kalz-tra Nedeleg nemet ez ae ar vugale da gousket diwezhatoc’h ha
    kontet e veze istorioù dezho. Ma oa bet fur ar vugale e veze roet un aval-orañjez
    dezho. Debret e veze kig ha fars pe krampouezh. Ne oa ket eus an tad Nedeleg met ar
    mabig jezus eo a oa pouezus tre. Me a lavar un dra : Nedeleg a vremañ a zo kalz
    gwelloc’h!!!!
    « Autrefois il n’y avait pas de guirlandes. On faisait une étable (= crèche) avec des
    animaux et des patates. Noël ne changeait pas grand-chose sauf (=si ce n’est) que les
    enfants allaient se coucher plus tard et on leur racontait des histoires. Si les enfants
    avaient été sages on leur donnait (‘était donné’) une pomme-orange. On mangeait
    (‘était mangé) du kig-ha-fars ou des crêpes. Il n’y avait pas de Père Noël mais c’est
    L’enfant-Jésus qui importait. Moi, je vais vous dire une chose : Noël, aujourd’hui,
    c’est beaucoup mieux !!! »

 Les deux conditionnels
  - français : Cond = INF + IMP chanterait
  - italien : Cond = INF + PS canterebbe « chantereut »
  - breton : Cond.1 potentiel en –fe (subj + imparfait) et cond.2 irréel en –je
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      Emplois
       - Cond.1 : hypothèse subjective = assumée par le locuteur, dont la réalisation n’est pas
       exclue : Mat e vefe « ce serait bien » (et moi j’y crois)
       - Cond.2 : hypothèse interlocutive ou collective = décentrée du locuteur et présentée
       comme partagée ; idée d’un consensus sur l’hypothèse et son irréalité
       Mat e vije « ce serait bien » (et nul n’y croit)
C1
     16- Me garfe ma ne vo ket troet "guerre d'édition" gant "brezel embannerezh"
         ‘moi aimerait que ne soit pas traduit ‘guerre d’édition’ par ‘brezel embannerezh’
         « J’aimerais qu’on ne traduise pas ‘guerre d’édition’ par ‘brezel embannerezh’ »

C2
     17- Tennañ a rajec’h un olifant en un trepas!
         Vous tireriez un éléphant dans un couloir ! (Cd2 IRR = vous le rateriez)
     18- Evit kaout ur soñj eus ment Koskoriad an Heol e-keñver hini ar c’halaksienn,
         empennomp e vije hor galaksienn a-vent gant Frañs, da lavaret eo he dije 1000 km
         treuzkiz. Neuze e vije Koskoriad en Heol a-vent gant ur pezh ur santim euro. Gant ar
         binvioù modernañ zo ganimp evit beajiñ en egor, e vije ezhomm eus 15 vloaz d’un
         astraer da vont eus an Douar (kreiz hor pezh 1 santim euro) betek Ploudon (lezenn ar
         pezh). Evit tizhout ar steredenn dostañ d’an Heol (Alpha Centauri) war-hed 43 metr,
         ez istimer e vije ezhomm eus ur veaj 100000 bloaz., hag evit treuriñ ar c’halaksienn e
         vije ezhomm eus un hebeud miliardoù a vloavezhioù.
         « Pour nous faire une idée de la taille du système solaire par rapport à celle de la
         galaxie, imaginons que notre galaxie soit de la taille de la France, c'est-à-dire qu’elle
         aurait 1000 km de diamètre. Alors notre Système Solaire serait de la taille d’une pièce
         d’un euro. Avec les moyens les plus modernes dont nous disposons pour voyager dans
         l’espace, il faudrait plus de 15 ans pour qu’un astronaute se rende de la Terre (le centre
         de notre pièce) à Pluton (le bord de la pièce). Pour atteindre l’étoile la plus proche du
         Soleil (Alpha Centauri) distante de 43 mètres, on estime qu’il faudrait un voyage de
         100000 ans, et pour traverser la galaxie il faudrait plusieurs milliards d’années. »

      CONCLUSIONS
      En syntaxe le breton présente des phénomènes chronosyntaxiques (proaction et
       rétroaction en chaque moment de la progression linéaire) qui gèrent la coordination
       interlocutive
      En morphologie des temps et modes verbaux le breton présente des microsystème
       gérant conjointement l’ajustement dialogique (énonciation) et dialogal (interlocution)
      Dégager quelques principes de ce genre permet de porter un regard unifié sur la
       cohérence de la créativité globale d’un système (son « génie » au sens étymologique)
      Au plan théorique ça suppose d’invoquer des concepts inhabituels (énaction,
       simplexité)
      Au plan pratique ça ouvre des perspectives intéressantes pour l’apprentissage,
       l’enseignement, l’analyse littéraire, la traductologie, et plus généralement la
       description de l’expérience que l’on vit quand on parle une langue, interagit et pense
       dans cette langue
      Question très générale : que se passe-t-il, que nous arrive-t-il, quand nos corps
       sensibles et agissants, pensants et parlants, sont « recrutés » par une langue en tant que
       « courant collectif » d’interactivité (languaging, energeia) ?

Trugarez deoc’h !
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ANNEXE : MUTATIONS DU BRETON cf. Me a_zebr bara alies / Alies e_tebran bara

Le lexique breton connaît les « mutations » = la consonne initiale du nom ou du verbe est
modifiée par le morphème qui précède (article, préverbe…) sous l’effet d’une connexion
syntaxique. 4 classes de mutations :

- la lénition ou adoucissement = occlusive non voisée > voisée (kalon / ar galon « le
cœur »), ou voisée > spirantisée (bro / ar vro « le pays » ; ar vBidochoned « les
Bidochons ») ; Gast ar c’hast ! « Putain de putain ! » (dans Spirou, An Ankou)

- la spirantisation (en fait, double lénition) : karr-tan > ma c’harr-tan « ma voiture »
(« char-feu »)

- le renforcement ou durcissement (inverse de la lénition) : bro > ho pro « votre pays »

- la mutation mixte = lénition sauf pour D : Bez’ e_c’heller « on peut » (lén. de gellout) vs
Bez’ e_tebrer « on mange » (durc. de debriñ)

        Er ger e_tebrin « Je mangerai à la maison » (V. debriñ « manger », durcissement d>t)
        Er ger e_gouskin « Je dormirai à la maison » (V. kousket « dormir », lénition k>g)
        Er ger e_c’hellin gousket « je pourrai dormir à la maison » (V. gellout « pouvoir »,
lénition g>c’h)

Il faut connaître chaque marqueur sous une forme marqueur_mutation{conditions}
         ar_LEN{fém ; pl. an. H} et connaître

   (i)     La ou les classes de mutations candidates sollicitée par un marqueur donné (ex : a
           + lénition, e + mutation mixte, ho + durcissement, ma + spir. o « leur » + spir. vs o
           part. + mut. mixte), cf. Ma c'hoarezed, souezhet ma oant, a oa o_c'hortoz o_zad.
           « Mes sœurs, toutes surprises, attendaient leur père » (o1 (particule) + mut. mixte =
           lén. g>c’h ; o2 (poss.) + spir. t>z)

   (ii)    éventuellement les conditions d’application (ex : ar + lénition des mots féminins et
           du pluriel des animés humains : tri martolod « trois marins » / ar vartoloded « les
           marins »)

   (iii)   les exceptions (ex : ki > ar c’hi « le chien » ; ce masculin ne devrait pas muter :
           plutôt assimilation que mutation)

   (iv)    les possibilités de réalisation d’une mutation candidate dans le système
           phonologique (ex : ma + spirantisation (bi-lénition) des occlusives non voisées ;
           tad > ma zad « mon père » : s’applique ; breur > ma breur « mon frère » (roman
           de Francis Favereau) : ne s’applique pas) ; dispositif variant notablement selon les
           dialectes (ar mor / ar vor) et diversement transcrit selon les graphies.

Donc : les marqueurs grammaticaux antéposés sollicitent des mutations inconditionnelles ou
conditionnelles et le lexique répond à la sollicitation si les conditions requises sont réunies et
qu’il n’y a pas exception ; le lexique réalise parfois une mutation non sollicitée (cf. ar c’hi :
spirantisation, alors que ar sollicite en principe une lénition).
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Bibliographie

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