VIAN, TOUJOURS VIVANT - DOSSIER D'ACCOMPAGNEMENT - Labo des histoires
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À propos « L’histoire est entièrement vraie, puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre. » Boris Vian, L’Écume des jours Selon ses notes personnelles, Boris Vian commence à écrire à l’âge de 23 ans. Romancier, poète, dramaturge, traducteur, nouvelliste, chroniqueur, scénariste amateur, journaliste jazz... Pour Boris Vian, c'est toujours écrire. Boris Vian reste inclassable et comme le disait son ami Raymond Queneau en 1953 : « Tout ceci n'est rien encore car Boris Vian va devenir Boris Vian ! » Ses vies parallèles lui permettent de tout tenter et de tout espérer. Il noircit des milliers de pages sans rencontrer le succès et aujourd'hui 33 titres sont publiés. Beau pied de nez à la mort qui l'a fauché à 39 ans. Boris Vian est né le 10 mars 1920 à Ville d’Avray. A l’occasion du centenaire de sa naissance, le Labo des histoires propose, avec l’aide précieuse de la Cohérie Boris Vian1, de la Bibliothèque Nationale de France et du Livre de Poche, un dossier d’accompagnement afin d’encourager les projets d’écriture inspirés par l’éclectisme de l’œuvre de l’auteur. Les enfants, adolescents et jeunes adultes de moins de 25 ans sont ainsi invités à découvrir ou redécouvrir l’œuvre de Boris Vian et à s’inspirer des univers qui la caractérisent. Ce dossier d’accompagnement s’adresse en priorité aux enseignants, éducateurs et animateurs qui, sur le temps scolaire, périscolaire ou hors temps scolaire, souhaitent proposer des activités éducatives en lien avec l’écriture. Ils trouveront notamment dans les pages qui suivent une tentative de biographie de Boris Vian, des extraits de textes, des chansons, des éléments de la vie de Boris Vian plus confidentiels, l’ensemble toujours associé à des activités d’écriture. La majorité des biographes s’accordent à dire qu’il est extrêmement complexe de résumer la vie et l’œuvre de Boris Vian tant sa courte vie fut riche et multiple. Nous avons donc fait le choix et pris la liberté de faire l’impasse sur plusieurs aspects de sa vie : son métier d’ingénieur et sa carrière professionnelle, sa famille et ses très nombreuses correspondances, entre autres. Une adresse mail dédiée – borisvian@labodeshistoires.com – est mise en place afin de pouvoir faciliter l’utilisation de ce dossier. Vous pouvez y adresser vos questions, solliciter un accompagnement pour organiser une sortie scolaire ou un atelier d’écriture ou tout simplement partager votre expérience de l’utilisation du dossier. 1 Source : Cohérie Boris Vian : www.borisvian.org 2
Sommaire Vian, centenaire ! ................................................................................ 4 Cohérie Boris Vian .............................................................................. 5 Quelques repères biographiques ....................................................... 10-11 Écrire, toujours écrire ......................................................................... 12-17 Jazz ! ...................................................................................................... 18-22 Un « langage-univers » ....................................................................... 23-26 Bison Ravi, Vernon Sullivan et les autres ........................................ 27-29 Cité Véron ............................................................................................ 30-32 ‘Pataphysique ....................................................................................... 33-36 Pour aller plus loin : le Tournoi des mots ........................................ 37-41 Bibliographie ........................................................................................ 42-43 Fiche pratique « Plan Mercredi » ...................................................... 45 Contact ................................................................................................. 46 3
Vian, centenaire ! Sous le parrainage du ministère de la Culture et celui de la Ville de Paris, le centième anniversaire de la naissance de Boris Vian sera célébré tout au long de l’année 2020 à travers une multitude d’événements qui se tiendront partout en France mais aussi en Belgique, en Suisse, au Canada et aux États-Unis. Le Centenaire de la naissance de Boris Vian est sélectionné parmi les anniversaires qui seront célébrés au titre de commémorations nationales en 2020. Edito de Patrick Vian et de Nicole Bertolt pour le programme du centenaire Boris Vian « Lorsqu’il y a quelque mois, nous avons annoncé que Boris aurait eu 100 ans en 2020, un formidable enthousiasme est né. De là, ce programme conçu et construit avec l’élan de tous : les amis de toujours, bien sûr, fervents de la première heure de l’œuvre littéraire de Boris Vian qu’ils ont fait découvrir et redécouvrir, ses premiers éditeurs, le collège de ‘Pataphysique ; et tous ceux qui relaient, depuis des décennies, le travail de la cohérie Boris Vian, créée par Ursula Kübler- Vian, sa veuve, en 1959, pour faire vivre l’œuvre et la mémoire, facétieuse et poétique, de son auteur. Qu’ils en soient ici tous remerciés. D’autres les ont rejoints. Autour de la Cité Véron, qui conserve l’empreinte de Boris Vian, s’est constituée au fil des ans une confrérie complice où figurent désormais de jeunes Borissiens revendiquant un même esprit. Metteurs en scène de théâtre, comédiens, musiciens ou documentaristes, leur enthousiasme a contribué à faire du programme de ce Centenaire un vrai feu d’artifice. Et ce clin d’œil de la jeune génération à un homme qu’on savait en avance sur son temps nous réjouit tout particulièrement. Vous retrouverez dans cet hommage tout Boris Vian : l’écrivain, l’auteur-interprète, le trompettiste, le Création graphique : Kévin Faroux scénariste, l’acteur, le peintre, le critique, l’ingénieur, le « Prince » du jazz, de Saint-Germain-des-Prés, et de l’anagramme… Faut-il tout redire ? Nous vous laissons y piocher à votre guise, sachant que bien d’autres initiatives personnelles ou collectives viendront enrichir ce programme officiel. Enfin, nous sommes heureux d’annoncer que Mathias Malzieu, chanteur du groupe Dionysos, nous fait l’amitié de parrainer cet hommage-anniversaire. Que ce frère de cœur (et de sa mécanique), lui aussi artiste aux multiples talents, prenne la tête de ce Centenaire au moment même où lui échoit la direction artistique du théâtre des Trois Baudets, la mythique salle de Jacques Canetti à Montmartre où Boris Vian a fait ses débuts de chanteur, n’est-ce pas un signe ? » Patrick Vian, fils de Boris Vian, et Nicole Bertolt, mandataire pour l’œuvre de Boris Vian. 4
Cohérie Boris Vian Faire vivre une œuvre, c’est être uni dans la longévité car il s’agit d’accompagner durant 70 ans la vie et la diffusion des écrits de l’auteur. Pour Boris Vian, peu de choses sont publiées et diffusées de son vivant, un immense travail reste à faire autant en termes d’édition que d’image. Au décès de Boris Vian, en 1959, Ursula Kü̈bler-Vian, sa deuxième épouse, n’a pas d’enfant. De son union avec Michelle Léglise, la première femme de Boris, sont nés Patrick, en 1942, et Carole, en 1948. Boris Vian laisse donc trois ayants-droit, dont deux enfants mineurs. Ursula est nommée usufruitière et mandataire. Un ami proche propose l’appellation « cohérie », peu usitée à l’époque, pour l’appliquer aux membres de la famille, appelés à gérer la succession. Ursula Vian n’appréciait pas le terme d’héritier et souhaitait être présentée d’une autre manière. Jusqu’en 1998, au décès prématuré de Carole, la cohérie a fonctionné avec les enfants mineurs puis majeurs, dans un esprit de cohérence, comme l’indique le mot choisi à dessein de « cohérie », pour promouvoir l’œuvre de Boris Vian et sa diffusion. À la disparition d’Ursula Vian, en janvier 2010, Nicole Bertolt, qui travaille pour et avec la famille depuis 1980, a été nommée mandataire à son tour, comme l’a alors souhaité Patrick Vian, le fils de Michelle et Boris. Une partie de l’œuvre de Boris Vian sera dans le domaine public en 2029 en vertu du droit français. La cohérie continuera d'exercer un droit patrimonial sur l’œuvre publiée après le décès de l'auteur tandis que le droit moral est inaliénable et imprescriptible. ©Youri Zakovitch 5
Quelques repères biographiques Cette tentative de biographie est tirée du site internet de la cohérie Boris Vian. 10 mars 1920 : il naît à Ville-d’Avray, il est le second fils d’Yvonne Ravenez et de Paul Vian. La famille vit dans l’opulence, la culture et la convivialité, mais perd presque toute sa fortune lors de la crise de 1929. 1932 : il entre en classe de 3e au lycée Hoche à Versailles, il a une première complication cardiaque. 1935 : il tombe gravement malade et son insuffisance cardiaque l’affaiblit terriblement, mais il se rétablit et quelques mois plus tard, se met à la trompette. 23 avril 1937 : il adhère au Hot Club de France. 3 avril 1939 : il assiste au concert de Duke Ellington au Palais de Chaillot. 31 juillet 1940 : il rencontre sa future épouse Michelle Église à Cap-Breton. Il l’épouse l’été suivant. Automne 1941 : il commence l’écriture d’un recueil de poésies, Cent sonnets. 12 avril 1942 : Patrick, son premier fils, vient au monde. 5 août 1942 : il obtient son diplôme de l’École centrale et, dans la foulée, devient ingénieur à l’Afnor. Été 1942 : il entre dans le groupe de jazz de Claude Abadie ainsi que ses deux frères Alain et Lélio. Mai 1943 : il a terminé son premier roman, Trouble dans les Andains. 22 novembre 1944 : lors d’un cambriolage, le père de Boris Vian est tué. 12 février 1946 : il quitte l’Afnor et entre à l’Office professionnel des industries et commerces du papier et du carton. Mars 1946 : il commence la rédaction de L’Écume des jours, qui paraît en avril 1947 chez Gallimard. 12 mai 1946 : première réunion avec l’équipe de rédaction des Temps modernes où lui seront confiées Les Chroniques du menteur. Août 1946 : il écrit en deux semaines J’irai cracher sur vos tombes à Saint-Jean-de-Monts. Septembre 1946 : il commence à rédiger L’Automne à Pékin, qui sortira en librairie un an plus tard. 26 septembre 1946 : il publie son premier article sur Charles Delaunay dans Combat dont Albert Camus est rédacteur en chef. Octobre 1946 : grâce à ses amis Jean Rostand et Raymond Queneau, il remporte une première grande victoire : il publie son premier roman Vercoquin et le plancton chez Gallimard. 20 novembre 1946 : les premiers exemplaires de J’irai cracher sur vos tombes sont en vente. 11 avril 1947 : il participe à l’inauguration du Tabou, dont il devient le trompette attitré. Le célèbre trio se forme avec Juliette Gréco et Anne-Marie Cazalis. Son Écume des jours ne remporte ni le Prix de la Pléiade, ni le succès. 26 juin 1947 : Boris Vian met un terme à sa carrière d’ingénieur en même temps qu’il quitte l’Office du papier, pour se consacrer à l’écriture. J’irai cracher sur vos tombes fait déjà beaucoup de bruit… Septembre 1947 : L’Automne à Pékin sort en librairie, suivi de Les morts ont tous la même peau. C’est toujours le silence des critiques. 20 février 1948 : il accueille Dizzy Gillespie à la Gare du Nord. Un grand bonheur. Avril 1948 à juillet 1949 : la radio new yorkaise WNEW diffuse 45 émissions écrites par Boris Vian en anglais sur le jazz français des années 1930-1940. 16 avril 1948 : Carole fait son entrée dans la famille Vian. 23 avril 1948 : la pièce tirée de J’irai cracher sur vos tombes est présentée pour la première fois au théâtre Verlaine. 20 juin 1948 : Et on tuera tous les affreux paraît en volume aux éditions du Scorpion après avoir été publié par épisodes dans France Dimanche. Boris Vian ne veut pas « tuer » Vernon Sullivan. Juillet 1948 : Duke Ellington est à Paris, Boris est son guide à Saint-Germain-des-Prés. 18 février 1949 : il signe un contrat d’édition pour un recueil de poèmes, Cantilènes en gelée, qui sera lancé le 14 mai au Club Saint-Germain en présence de Miles Davis. 19 mars 1949 : il rencontre Jacques Canetti, alors directeur artistique chez Polydor. 5 juillet 1949 : son recueil de nouvelles Les Fourmis est édité par les éditions du Scorpion. 6
Novembre 1949 : il devient rédacteur en chef de Jazz News dont Eddie Barclay est le bienfaiteur. Décembre 1949 : Gallimard refuse de publier son prochain roman L’Herbe rouge. Mars 1950 : le nom de Boris Vian apparaît pour la première fois sur une pochette de disques : Henri Salvador chante C’est le be-bop sur son 78 tours. 13 mai 1950 : il est condamné à 100 000 F. d’amende pour « complicité d’outrage aux bonnes mœurs par voie du livre » pour J’irai cracher sur vos tombes. 8 juin 1950 : il rencontre Ursula Kübler à un cocktail chez Gallimard, qu’il épousera en février 1954. Juin 1950 : les Éditions Tourain - Le Guide Vert font paraître L’Herbe rouge et L’Équarrissage pour tous, tandis que Elles se rendent pas compte sort aux éditions du Scorpion. Novembre 1951 : il entre au comité de rédaction de Jazz Hot auquel il collabore depuis 1946. Avril 1952 : il crée le spectacle Cinémassacre à la Rose Rouge. 8 juin 1952 : il est nommé « Équarrisseur de Ire classe » par le Collège de Pataphysique. Janvier 1953 : Ursula et Boris s’installent cité Véron (rejoints par Jacques Prévert en 1954), L’Arrache-coeur est édité chez Vrille, avec une préface de Raymond Queneau. C’est son dernier roman, il le sait. Été 1953 : Boris Vian remporte un grand succès avec la pièce théâtrale et musicale Le Chevalier de Neige donnée à Caen. 8 mai 1954 : Mouloudji chante Le Déserteur au théâtre de l’Œuvre avec la fin réécrite par Boris. 23 novembre 1954 : il enregistre pour la première fois une de ses chansons, La Java des chaussettes à clous, avec Jimmy Walter au piano. Novembre 1954 : il rencontre Alain Goraguer, pianiste, arrangeur et compositeur qu’il considère comme un des meilleurs pianistes de jazz. 4 janvier 1955 : il chante en première partie aux Trois Baudets, sous l’impulsion de Jacques Canetti, entre Fernand Raynaud et Pierre Repp. 15 juin 1955 : les paroles de sa chanson La Java des bombes atomiques sont publiées dans Le Canard enchaîné. Octobre 1955 : Jacques Canetti le fait entrer chez Philips où il crée l’illustre collection « Jazz pour tous ». 20 juillet 1956 : il fait une première crise d’œdème pulmonaire. Janvier 1957 : il passe directeur artistique adjoint pour le jazz et les variétés chez Philips. 31 janvier 1957 : c’est l’avant-première dans une forme opéra du Chevalier de Neige à Nancy, dont il a signé le livret et dont Georges Delerue a réécrit la musique. Août 1957 : il écrit sa pièce Les Bâtisseurs d’empire pendant ses vacances à Saint- Tropez. Mai 1958 : il devient directeur artistique du label Fontana chez Philips. 12 mai 1958 : la chanson Faut rigoler, écrite par Boris avec Henri Salvador à la musique, est déposée à la SACEM, c’est la 200 ou 300e sur les 600 chansons environ qu’il a écrites depuis 4 ans. 14 janvier 1959 : il envoie sa lettre de démission à Fontana, il en avait « plein le Q » ! Mars 1959 : il tourne dans Les Liaisons dangereuses de Roger Vadim. Avril 1959 : Eddie Barclay le nomme directeur artistique de sa maison de disques. Boris Vian est fatigué et préfère travailler chez lui à son prochain opéra Le Mercenaire. 11 juin 1959 : champagne-acclamation du Baron Mollet sur la Terrasse des Trois- Satrapes, cité Véron. 20 juin 1959 : il assiste à la projection privée du film tiré de J’irai cracher sur vos Création graphique : tombes, son cœur le lâche… Kévin Faroux 7
Écrire, toujours écrire « J’ai essayé de raconter aux gens des histoires qu’ils n’avaient jamais lues. Connerie pure, double connerie : ils n’aiment que ce qu’ils connaissent déjà ; mais moi j’y prends pas plaisir, à ce que je connais, en littérature. Au fond, je me les racontais les histoires. J’aurais aimé les lire dans les livres d’autres.» Boris Vian, Journal à rebrousse-poil Selon ses notes personnelles, Boris Vian commence à écrire à l’âge de 23 ans, soit en 1943. C’est en 1947 qu’il écrit son premier roman Troubles dans les Andains qui ne le satisfait pas. Il récidive avec Vercoquin et le Plancton et à l’occasion d’une rencontre avec Raymond Queneau, le roman sera publié chez Gallimard la même année. Celui-ci croit en la consécration mais déchante rapidement car certains membres du jury du Prix de la Pléiade de Gallimard ne soutiennent pas son nouveau roman, L’écume des jours, qui paraîtra en avril 1947, alors que J’irai cracher sur vos tombes, son pastiche de roman noir américain, sort en novembre 1946. La production de Boris Vian est phénoménale, il sillonne Saint-Germain-des-Prés la nuit et écrit le jour, ne dormant que très peu. Mais il n’avait pas prévu que les choses tourneraient ainsi : le scandale de J’irai cracher sur vos tombes stigmatise le jeune auteur dans un rôle qui ne lui déplaît pas un court temps puis lui pèse sérieusement. Il enchaîne sous les deux plumes et presque simultanément l’écriture de L’automne à Pékin, Les morts ont tous la même peau, Et on tuera tous les affreux, Les fourmis, L’herbe rouge, L’équarrissage pour tous, Elles se rendent pas compte et esquisse son futur Arrache-cœur. Il se lance alors à corps perdu dans toutes sortes d’aventures et de collaborations, car il vit pour l’écriture et n’est jamais en mal d’inspiration. Il poursuit notamment un genre qui lui va bien : la nouvelle, dont émergeront Les fourmis, Le loup-garou ou encore Les chiens, le désir et la mort. Il publie également des Chroniques du menteur dans la célèbre revue de Jean- Paul Sartre et Simone de Beauvoir Les temps modernes, ainsi que des dizaines d’articles présentés notamment dans Jazz-Hot et dans le journal Combat, alors dirigé par Albert Camus. Malgré les appuis de Queneau et Sartre, Boris Vian restera sur la touche entre écriture et musique. DR Cohérie Boris Vian Il rencontre une dernière chance avec Jérôme Lindon, des éditions de Minuit, qui souhaite republier L’automne à Pékin et peut-être également L’herbe rouge mais le succès n’est pas au rendez-vous et Boris est passé à autre chose et s’investit notamment dans de riches échanges au sein du Collège de ‘Pataphysique. 8
En 1956 et en 1957, il est victime d’œdèmes pulmonaires dont il ressort chaque fois plus diminué. Alors, couché ou assis, il continue d’écrire chansons, comédies, accepte encore des traductions. Si le monde de la littérature tourne le dos à Boris Vian, le monde musical le plébiscite encore et encore. Pourtant il avoue un soir à Magali Noël combien il a mal de ne pas avoir été reconnu comme un « vrai » écrivain pour son Écume des Jours... Jusqu’à son dernier souffle, en 1959, il noircit carnets et feuilles volantes. Il laisse sur son bureau le 23 juin 1959 une ébauche d’opéra intitulé Le Mercenaire et quelques traductions de chansons américaines sur lesquelles il travaillait. Ursula n’a pas encore découvert les poèmes de Je voudrais pas crever et nombre de nouvelles, chroniques, romans inachevés, arguments de ballets, traductions et chansons sont rangés sur ses étagères en attendant un jour meilleur... Perçu comme incontrôlable, unique en son genre mais sans genre précis, homme sans compromis avec un zeste d’ironie, il continue pourtant sur sa trajectoire, laissant derrière lui une trace indélébile qui est parvenue jusqu’à nous puisque ses écrits sont enseignés dans les livres scolaires. Pour Boris Vian, peu importe le genre pourvu qu’il écrive. S’intéressant à tout, il souhaite, avant tout, rester un amateur éclairé et son œuvre est riche de sujets variés. Pourtant dans toute son œuvre émergent la cruauté et la mort ; il écrit à de nombreuses reprises et sous différentes formes son rejet de la guerre. Il rêve d’une société où l’humain n’aurait qu’à créer et se cultiver pendant que les robots travailleraient pour lui... A ce jour, c’est plus de dix mille pages qui sont éditées, avec une large proportion à titre posthume. Ses livres ne cessent de faire l’objet de traductions sur tous les continents et des centaines d’adaptations scéniques de son œuvre ont été interprétées un peu partout dans le monde. DR Cohérie Boris Vian 9
Activité #1 « – Prendras-tu un apéritif ? demanda Colin. Mon pianocktail est achevé, tu pourrais l’essayer. – Il marche ? demanda Chick. – Parfaitement. J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir, de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant. – Quel est ton principe ? demanda Chick. – A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Selbtz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée DR Cohérie Boris Vian – ce qui donnerait un cocktail trop abondant – mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l’air, on peut, si l’on veut, faire varier la valeur de l’unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d’un réglage latéral. – C’est compliqué, dit Chick. – Le tout est commandé par des contacts électriques et des relais. Je ne te donne pas de détails, tu connais ça. Et d’ailleurs, en plus, le piano fonctionne réellement. – C’est merveilleux ! dit Chick. – Il n’y a qu’une chose gênante, dit Colin, c’est la pédale forte pour l’œuf battu. J’ai dû mettre un système d’enclenchement spécial, parce que lorsqu’on joue un morceau trop « hot », il tombe des morceaux d’omelettes dans le cocktail, et c’est dur à avaler. Je modifierai ça. Actuellement, il suffit de faire attention. Pour la crème fraîche, c’est le sol grave. – Je vais m’en faire un sur Loveless Love, dit Chick. Ça va être terrible. – Il est encore dans le débarras dont je me suis fait un atelier, dit Colin, parce que les plaques de protection ne sont pas vissées. Viens, on va y aller. Je le règlerai pour deux cocktails de vingt centilitres environ, pour commencer. Boris Vian, L’Écume des jours, Le Livre de Poche, 1963. 10
Activité #1 A la manière de Boris Vian, invente un objet du quotidien sous la forme d’un mot-valise puis décris à l’un de tes amis l’utilité de cet objet et la manière dont il est possible de l’utiliser. Respecte la forme du dialogue. Suggestion : Pour composer ton mot-valise, fais attention à ce qu’on en comprenne le sens en reconnaissant les deux mots. …………………………………………………………………………………………...………… ………………………………………………………………………………………...…………… ……………………………………………………………………………………...……………… …………………………………………………………………………………...………………… ………………………………………………………………………………...…………………… ……………………………………………………………………………...……………………… …………………………………………………………………………...………………………… ………………………………………………………………………...…………………………… ……………………………………………………………………...……………………………… …………………………………………………………………...………………………………… ………………………………………………………………...…………………………………… ……………………………………………………………...……………………………………… …………………………………………………………...………………………………………… ………………………………………………………...…………………………………………… ……………………………………………………...……………………………………………… …………………………………………………...………………………………………………… ………………………………………………...…………………………………………………… ……………………………………………...……………………………………………………… ……………………………………………………………...……………………………………… …………………………………………………………...………………………………………… ………………………………………………………...…………………………………………… ……………………………………………………...……………………………………………… …………………………………………………...………………………………………………… ………………………………...…………………………………………………………………… ……………………………...……………………………………………………………………… …………………………...………………………………………………………………………… ………………………...…………………………………………………………………………… ……………………...……………………………………………………………………………… …………………...………………………………………………………………………………… ………………...…………………………………………………………………………………… ……………...……………………...……………………………………………………………… …………………………………...………………………………………………………………… ………………………………...…………………………………………………………………… ……………………………...……………………………………………………………………… …………………………...………………………………………………………………………… ………………………...…………………………………………………………………………… 11
Activité #2 Je voudrais pas crever La belle que voilà Avant d'avoir connu Mon Ourson, l'Ursula Les chiens noirs du Mexique Je voudrais pas crever Qui dorment sans rêver Avant d'avoir usé Les singes à cul nu Sa bouche avec ma bouche Dévoreurs de tropiques Son corps avec mes mains Les araignées d'argent Le reste avec mes yeux Au nid truffé de bulles J'en dis pas plus faut bien Je voudrais pas crever Rester révérencieux Sans savoir si la lune Je voudrais pas mourir Sous son faux air de thune Sans qu'on ait inventé A un côté pointu Les roses éternelles Si le soleil est froid La journée de deux heures Si les quatre saisons La mer à la montagne Ne sont vraiment que quatre La montagne à la mer Sans avoir essayé La fin de la douleur De porter une robe Les journaux en couleur Sur les grands boulevards Tous les enfants contents Sans avoir regardé Et tant de trucs encore Dans un regard d'égout Qui dorment dans les crânes Sans avoir mis mon zobe Des géniaux ingénieurs Dans des coinstots bizarres Des jardiniers joviaux Je voudrais pas finir Des soucieux socialistes Sans connaître la lèpre Des urbains urbanistes Ou les sept maladies Et des pensifs penseurs Qu'on attrape là-bas Tant de choses à voir Le bon ni le mauvais A voir et à z-entendre Ne me feraient de peine Tant de temps à attendre Si si si je savais A chercher dans le noir Que j'en aurai l'étrenne Et moi je vois la fin Et il y a z aussi Qui grouille et qui s'amène Tout ce que je connais Avec sa gueule moche Tout ce que j'apprécie Et qui m'ouvre ses bras Que je sais qui me plaît De grenouille bancroche Le fond vert de la mer Je voudrais pas crever Où valsent les brins d'algues Non monsieur non madame Sur le sable ondulé Avant d'avoir tâté L'herbe grillée de juin Le gout qui me tourmente La terre qui craquelle Le gout qu'est le plus fort L'odeur des conifères Je voudrais pas crever Et les baisers de celle Avant d'avoir gouté Que ceci que cela La saveur de la mort... Boris Vian, Je voudrais pas crever, Le Livre de Poche, 2013. 12
Activité #2 En prenant pour exemple le poème de Boris Vian « Je voudrais pas crever », écris un texte commençant par « Je voudrais pas crever avant… » et raconte tout ce que tu aimerais voir, connaître, découvrir. Suggestion : Tu peux écrire un texte en vers ou en prose, tu es libre de choisir la forme que tu souhaites. …………………………………………………………………………………………...………… ………………………………………………………………………………………...…………… ……………………………………………………………………………………...……………… …………………………………………………………………………………...………………… ………………………………………………………………………………...…………………… ……………………………………………………………………………...……………………… …………………………………………………………………………...………………………… ………………………………………………………………………...…………………………… ……………………………………………………………………...……………………………… …………………………………………………………………...………………………………… ………………………………………………………………...…………………………………… …………………………………………………………………………………...………………… ………………………………………………………………………………...…………………… ……………………………………………………………………………...……………………… …………………………………………………………………...………………………………… ………………………………………………………………...…………………………………… ……………………………………………………………...……………………………………… …………………………………………………………...………………………………………… ………………………………………………………...…………………………………………… ……………………………………………………...……………………………………………… …………………………………………………...………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………… …...…………………………………………………………………………………………………. ..…………………………………………………………………………………………………... …………………………………………………………………………………………………...… ………………………………………………………………………………………………...…… ……………………………………………………………………………………………...……… …………………………………………………………………………………………...………… ………………………………………………………………………………………...…………… ……………………………………………………………………………………...……………… …………………………………………………………………………………………………...… ………………………………………………………………………………………………...…… ……………………………………………………………………………………………...……… …………………………………………………………………………………………...………… ………………………………………………………………………………………...…………… ……………………………………………………………………………………...……………… …………………………………………………………………………………...………………… 13
Jazz ! « Sans le jazz, la vie serait une erreur. » Boris Vian [citation] Compositeur, interprète, parolier, chanteur, trompettiste, critique musical, directeur artistique, musicien : durant toute sa vie, Boris Vian a baigné dans la musique (sa mère joue de la harpe et du piano) sans pourtant l’avoir vraiment apprise. Ses parents lui choisissent un prénom provenant d’un célèbre opéra : Boris Godounov de Modeste Moussorgski, inspiré d’une pièce de Pouchkine. La musique est un univers essentiel dans la vie de Boris Vian. Dès 1937, il s’inscrit au Hot Club de France, présidé notamment par Louis Armstrong. Avec ses deux frères, il monte un groupe amateur qui rejoindra en 1942 l’orchestre amateur de son ami Claude Abadie. Cet orchestre amateur acquiert une certaine notoriété et animera de nombreuses soirées dont Boris Vian sera l’organisateur, c’est ainsi qu’il sera surnommé le « prince de Saint-Germain-des-Prés ». Après le scandale de J’irai cracher sur vos tombes et malgré ses problèmes cardiaques qui l’obligeront à renoncer à la trompette, Boris Vian se concentre sur son goût pour le swing et le jazz. Il devient directeur artistique chez Philips, écrit des chroniques pour le journal Jazz Hot et continue d’écrire des chansons dont certaines seront plus tard interprétées par Serge Gainsbourg, Juliette Gréco, Serge Reggiani, Henri Salvador ou encore Jeanne Moreau. Il a écrit environ 600 chansons dont certaines deviendront des « tubes »2 mais aussi des livrets d'opéras, des arguments de ballets et des comédies musicales. Du Déserteur à J'suis snob en passant par Le blouse du dentiste ou On est pas là pour se faire engueuler, Boris Vian étonne par la variété de son répertoire. Miles Davis, Michelle et Boris Vian en 1948 - DR Archives Cohérie Boris Vian 2 C’est Boris Vian qui a inventé ce mot pour désigner une chanson à succès. Avant cela, les gens du métier employaient le mot « saucisson ». 14
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