Vieilles forêts et Coléoptères saproxyliques Le rapprochement des respon-VIEILLESFORETS.COM

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Vieilles forêts et Coléoptères saproxyliques Le rapprochement des respon-VIEILLESFORETS.COM
Arbre tombé au sol et envahi par la végétation dans une vieille forêt de Roumanie - Cliché Laurent Larrieu
                  Ci-contre, vieux chêne à cavité en zone pastorale du Pays basque - Cliché Cyrille Van Meer

Par Hervé Brustel et Jean Marie Savoie

Vieilles forêts
et Coléoptères saproxyliques

L
      e rapprochement des respon-                 sur le terrain. Il implique de lais-                un statut de réserve et la France est
      sables des politiques publi-                ser vieillir des arbres et pourrir du               loin derrière les autres pays d’Euro-
      ques, des gestionnaires fores-              bois, pratique qui se heurte aux                    pe comparables sur le plan forestier.
tiers et des entomologistes pour la               pressions actuelles de nos gouver-
conservation des vieux bois et des                nants pour le bois énergie et les                   Ces « vieilles forêts » se rangent,
Coléoptères saproxyliques a été                   matières premières renouvelables.                   selon les auteurs, sous des concepts
déclenché par le rapport écrit par                                                                    reflétant des interprétations contras-
Martin Speight (ci-contre) pour le                ■ LES VIEILLES FORÊTS                               tées : forêts anciennes, semi-na-
Conseil de l’Europe en 1989. Après                La forêt française est en expansion                 turelles, sauvages, primitives...
plus de deux décennies de recher-                 mais c’est essentiellement une forêt                Très souvent, le « repos » récent
                 ches et d’actions,               jeune, souvent gagnée sur des ter-                  – l’absence d’activités humaines –
                  l’enjeu de conser-              rains agricoles en déprise. On esti-                permet une cicatrisation, au moins
                   vation des orga-               me qu’en 1830, elle n’occupait que                  dans l’aspect des peuplements.
                   nismes qui vi-                 la moitié de sa surface actuelle. Les               Pour autant, la maturation ne suf-
                    vent aux dépens               forêts où l’influence humaine est                   fit pas à restaurer toutes les carac-
                    des vieux ar-                 restée négligeable (forêts ancien-                  téristiques d’une forêt naturelle,
                     bres et du bois              nes matures ou « vieilles forêts »)                 en particulier en matière de diver-
                     mort est lar-                ne représenteraient que 0,2% de la                  sité biologique, même si son fonc-
                      gement com-                 surface forestière. Très morcelées,                 tionnement devient comparable.
                       pris et relayé             la moitié seulement a aujourd’hui                   Elle atteint un état proche de la na-

                                                I NSECTES        15      n°162 - 2011 (3)
Vieilles forêts et Coléoptères saproxyliques Le rapprochement des respon-VIEILLESFORETS.COM
L’indigénat des essences3 d’arbres
                                                                                                    et des flores liées aux ambiances
                                                                                                    forestières peut en premier lieu dé-
                                                                                                    terminer des ensembles d’espèces
                                                                                                    particuliers, depuis des phytopha-
                                                                                                    ges – comme par exemple le cha-
                                                                                                    rançon Rutidosoma fallax (Curcu-
                                                                                                    lionidé) vivant sur l’oxalis petite
                                                                                                    oseille Oxalis acetosella – jusqu’à
                                                                                                    l’ensemble des saproxylophages
                                                                                                    du chêne, du hêtre ou du sapin, es-
                                                                                                    sences caractéristiques de forêts au
                                                                                                    terme de leur évolution écologique.

                                                                                                    Cette typicité végétale ne suffit pas
                                                                                                    pour parler de « naturalité » fores-
                                                                                                    tière car on la retrouve dans des fo-
 Champignons Hericium sur bois mort de hêtre dans une vieille forêt des Pyrénées dans la
 réserve naturelle nationale de la Massane - Cliché Joseph Garrigue
                                                                                                    rêts très intensément exploitées par
                                                                                                    l’homme, sans gros et vieux bois,
turalité originelle qui est en particu-            pour améliorer la connaissance du                forêts qui ne peuvent héberger que
lier caractérisé par le retour de pro-             fonctionnement des écosystèmes                   des faunes restreintes aux taxons
cessus sylvigénétiques1 originaux,                 forestiers. Elles assurent la conser-            thermophiles4 peu exigeants.
rares en forêt exploitée : apparition              vation des ressources génétiques,
dans le couvert de phases de dé-                   servent de réservoir de biodiversité             Des essences diversifiées, dont
gradation (ou d’effondrement) et                   et maintiennent les possibilités de              celles peu prisées des exploitants
de phases d’innovation2 qui génè-                  séquestration du carbone. Ces res-               forestiers, comme par exemple le
rent de grandes proportions de bois                sources sont indispensables pour                 tilleul, le tremble, le charme ou
morts. Il en résulte une mosaïque                  nos paysages forestiers de plus en               certaines espèces pionnières (sau-
instable et complexe de stades fo-                 plus fragmentés par les activités                les, bouleaux…) sont très riches
restiers (clairières, fourrés, jeunes              humaines et soumis à des risques                 en Coléoptères saproxyliques spé-
peuplements, grands arbres, etc.)                  de changements climatiques rapi-                 cifiques : Bupreste du tilleul (Lam-
variés permettant d’assurer l’exis-                des et d’arrivée de nouveaux ra-
tence de très nombreuses espèces                   vageurs et maladies. Ces vieilles                 Quelques caractéristiques fonda-
                                                                                                     mentales des forêts anciennes
animales et végétales, quelles que                 forêts doivent donc être une préoc-               matures :
soient leurs exigences écologi-                    cupation au cœur des politiques pu-
                                                                                                     ■ un âge des plus vieux arbres (qui
ques. Parmi les groupes taxino-                    bliques issues des lois du Grenelle                 donne une idée de l’âge minimum de
miques les plus favorisés, on peut                 de l’environnement : « Trame verte                  la couverture forestière) proche de
                                                                                                       leur longévité naturelle ;
citer notamment les oiseaux, les                   et bleue » et « Stratégie de création             ■ une structure caractérisée par une
insectes (en particulier les Colé-                 des aires protégées ».                              stratification importante du couvert ;
                                                                                                     ■ une diversité des essences ligneuses
optères saproxyliques), les cham-                                                                      plus importante qu’en forêt exploitée,
pignons, les chiroptères et autres                 ■ INSECTES SAPROXYLIQUES LIÉS AUX                   car intégrant des espèces « non
petits mammifères. Parmi tous les                  VIEILLES FORÊTS
                                                                                                       marchandes » ;
                                                                                                     ■ un volume sur pied très important, de
milieux naturels, c’est dans les                   Les « vieilles forêts » offrent des                 600 à 1000 m3/ha en station riche, là
vieilles forêts que la diversité bio-              conditions de vie indispensables                    où une forêt gérée économiquement
                                                                                                       n’en comporte tout au plus que quel-
logique est la plus importante, per-               à certains organismes saproxy-                      ques centaines dans les peuplements
mettant de les considérer comme                    liques, Coléoptères et champi-                      les plus âgés ;
                                                                                                     ■ une quantité notable de bois mort,
des écosystèmes exceptionnels.                     gnons en particuliers, et, en retour,               dans des états variés de décomposi-
                                                   ces organismes aux exigences et                     tion, généralement comprise entre 10
                                                                                                       et 200 m3/ha, contre un peu plus de
Les vieilles forêts constituent les                sensibilités variées, peuvent de-                   2 m3/ha en moyenne dans les forêts
témoins du fonctionnement ori-                     venir des indicateurs utiles à la                   exploitées ;
                                                                                                     ■ un nombre important de troncs morts,
ginel des forêts et représentent                   lecture de la qualité biologique                    en particulier des tiges de gros
donc le modèle le plus pertinent                   des forêts et de leur naturalité.                   diamètre ;
                                                                                                     ■ une fréquence très importante de
1. Ensemble des phases évolutives d’une forêt, de l’installation (stades pionniers) à la maturité      défauts sur les arbres : cavités,
2. Régénération par semis avec présence d’essences pionnières comme les saules, les bouleaux...        fentes… qui peuvent devenir autant
3. Essences indigènes : qui ont naturellement toujours été présentes sur le site.                      de microhabitats particuliers pour la
4. Qualifie les milieux chauds ouverts par opposition à sciaphile, de l’ombre, des ambiances           faune saproxylique.
   forestières plus fraîches

                                                   I NSECTES       16       n°162 - 2011 (3)
Vieilles forêts et Coléoptères saproxyliques Le rapprochement des respon-VIEILLESFORETS.COM
plement. Une ripisylve (ensemble          morts mais qui n’est pas regardant
                                               d’arbres le long d’un cours d’eau)        sur l’essence et est très endurant
                                               peut être mature avant 80 ans alors       à la marche. Certains charançons
                                               qu’un pin à crochet (en haute mon-        des genres Acalles et proches, liés
                                               tagne) sera naturellement peu sus-        aux branches mortes, peu mobiles,
                                               ceptible d’accueillir des cortèges        peuvent survivre sur des brindilles
                                               saproxyliques diversifiés avant           de bruyère dans des landes secon-
                                               plusieurs siècles. Les phases de sé-      daires ayant remplacé leurs forêts
 Stenostola dubia dont les larves se
 développent sur tilleul                       nescence des arbres, survenant dans       d’origine. Par contre, d’autres espè-
 Cliché DR
                                               le dernier tiers de leur propre cycle     ces (A. camelus, A. echinatus ou A.
                                               sylvigénétique, sont tronquées dans       fallax et Ruteria hypocrita) font fi-
                                               la majorité des forêts exploitées ;       gure de « fantômes du passé » dans
                                               on les observe parfois relative-          les sites anciens où ils restent pré-
                                               ment plus fréquemment dans des            sents. Quand ces Coléoptères sont
                                               parcs artificiels ou sur des arbres et    à la fois exigeants et peu mobiles,
                                               haies champêtres. L’entomofaune           leurs populations sont en danger ;
                                               saproxylique répond toujours très         c’est le cas de quelques genres sa-
                                               favorablement à la maturité des ar-       proxyliques riches en endémiques
                                               bres mais cela ne suffit pas et il faut   comme par exemple les Colydiidés
                                               des réservoirs d’espèces, permet-         du genre Tarphius, ça et là signalés
                                               tant d’ensemencer ces nouveaux            du sud-ouest du Bassin méditerra-
                                               sites favorables dans le paysage          néen et particulièrement diversifiés
                                               environnant (de l’ordre de quel-          dans les îles Atlantiques au sein
                                               ques centaines de mètres). Des ha-        des laurisylves, formations fores-
                                               bitats fugaces dans l’espace et dans      tières héritées de l’aire tertiaire.
                                               le temps, comme par exemple des
                                               pleurotes ou des foliotes croissant
                                               sur des bois morts, sont détectés de
                                               loin par certaines espèces (Triplax
                                               spp Col. Erotylidé, Mycetopha-
 Triplax sp. se nourrissant de pleurotes en    gus spp Col. Mycétophagidé) et se
 forêt de Fontainebleau
 Cliché Vincent Lefebvre                       trouvent colonisés rapidement et
                                               massivement. Les habitats durables
pra rutilans, (Buprestidé), Saperda            et relativement stables comme les
octopunctata, Oplosia fennica et               cavités hébergent à l’inverse des es-
Stenostola spp. (Cérambycidés),                pèces moins mobiles et moins pro-
Isorhipis marmottani (Eucnemidé).              lifiques (comme le Pique-prune Os-
Au même titre que les phytophages              moderma eremita Col. Cétoniidé).
primaires (qui attaquent les arbres
sains), ces espèces liées à des essen-         L’ancienneté et la continuité du
                                                                                          Morime rugueux sur sol forestier
ces toujours inégalement distribuées           couvert forestier : toutes les espèces     Cliché Nicolas Gouix
semblent relativement mobiles et               ne sont pas mobiles par le vol et cer-
capables de réagir favorablement à             taines ne supportent pas de quitter
l’offre massive de ressources suite            une ambiance forestière fraîche et
à une trouée liée à une tempête par            ombragée pour coloniser une nou-
exemple, à condition bien entendu              velle entité boisée distante et isolée
que des zones refuges existent aux             par des milieux hostiles (cultures,
environs (à quelques kilomètres).              zones construites, voire forêt arti-
                                               ficielle d’essences exotiques dans
La maturité des arbres : c’est un              certains cas). Les Coléoptères sa-
point déterminant pour l’offre des             proxyliques aptères sont rares et
différents microhabitats, tant pour            comprennent quelques espèces très
les champignons que pour l’ento-               rustiques, longévives, peu spéciali-
mofaune saproxylique. Cette ca-                sées… comme le Morime rugueux
ractéristique s’apprécie différem-             Morimus asper (Cérambycidé) qui
                                                                                          Le charançon Ruteria hypocrita en forêt de
ment pour chaque essence ou peu-               exige tout de même des gros bois           Fontainebleau - Cliché Vincent Lefebvre

                                              I NSECTES    17     n°162 - 2011 (3)
Vieilles forêts et Coléoptères saproxyliques Le rapprochement des respon-VIEILLESFORETS.COM
tégorie particulière parmi les forêts                 Le Groupe d’études des vieilles fo-
                                                     anciennes : les forêts refuges d’es-                  rêts pyrénéennes (GEVFP) mène
                                                     pèces en situation précaire. Elles ont                une étude pluridisciplinaire – dont
                                                     souvent été retenues comme habitats                   en entomologie – qui a mis ainsi
                                                     d’espèces pour constituer des sites                   en évidence quelques vielles fo-
                                                     Natura 2000 et leur connaissance,                     rêts peu connues comme le massif
                                                     sans être complète, est déjà avan-                    du Burat et le Bois-Neuf (Haute-
                                                     cée, au moins pour les sites les plus                 Garonne) et la sapinière du Bar-
                                                     étendus et les plus remarquables.                     rada (Hautes-Pyrénées). Le WWF
                                                                                                           procède de même dans le Sud-Est,
                                                     Aujourd’hui, les forêts présentant                    depuis les montagnes de l’Aude,
                                                     un fort degré de naturalité doivent                   jusqu’aux Hautes-Alpes et en Corse.
                                                     être recherchées dans les zones
                                                     d’altitude, surtout aux étages mon-                   ■      SITUATIONS       CONTRASTÉES         DANS
                                                     tagnard et subalpin, beaucoup plus                    L’OUEST PALÉARCTIQUE
                                                     rarement à l’étage collinéen du fait                  Hors de nos frontières, des situa-
                                                     des plus forts impacts des activités                  tions comparables à la France ou
                                                     humaines à basse altitude. La pré-                    singulières commencent à être do-
                                                     sence d’accidents topographiques,                     cumentées pour les Coléoptères sa-
                                                     comme par exemple les gorges et                       proxyliques. Dans les Carpates, de
 Vieille forêt des Pyrénées
                                                     falaises dans le Verdon (Var) ou le                   grandes forêts matures roumaines,
 Cliché Michel Bartoli                               plateau de Sault (Aude), peut être                    slovaques, ukrainiennes ou polonai-
                                                     aussi garante de la conservation de                   ses, comme par exemple Bialowie-
■ VIEILLES FORÊTS DE FRANCE,                         lambeaux forestiers restés long-                      za, bien qu’ayant toujours connu
REFUGES D’ESPÈCES                                    temps en libre évolution.                             des activités humaines, présentent,
En France, des massifs forestiers                    Les enquêtes auprès des gestionnai-                   en plus de cortèges saproxyliques
comme ceux de Fontainebleau (Sei-                    res de terrain permettent d’identifier                extrêmement riches, une dimension
ne-et-Marne), Compiègne (Oise),                      des sites n’ayant fait l’objet d’aucu-                unique dans les forêts de plaine
Grésigne (Tarn), de Sare (Pyrénées-                  ne opération sylvicole depuis au                      ouest-paléarctiques : la grande fau-
Atlantiques), de la Sainte-Baume                     moins 50 ans, mais cette approche                     ne de vertébrés aimant les refuges
(Bouches-du-Rhône), de la Mas-                       ne tient pas compte de l’âge réel                     sylvestres les plus riches, avec les
sane (Pyrénées-Orientales) sont les                  des boisements concernés. Pour en                     lynx, ours, élan, bison…
hauts-lieux reconnus de la biodi-                    isoler les forêts vraiment anciennes,
versité entomologique. Mais c’est                    à forte naturalité, des accrus sur                    En Scandinavie, et en Finlande
davantage aux particularités de leur                 d’anciens terrains agricoles aban-                    en particulier, la continuité spa-
gestion passée et à leur ancienneté                  donnés dans la première moitié du                     tio-temporelle de la couverture
qu’à leur naturalité qu’elles le doi-                XXe siècle, le recours aux cartes                     boisée est la plus forte d’Europe ;
vent, ces sites ayant toujours fait                  anciennes et aux archives reste in-                   cependant, la forte pression de la
l’objet jusqu’aujourd’hui d’une in-                  dispensable. La présence de cer-                      sylviculture a considérablement ra-
tense utilisation par l’homme : cou-                 taines espèces rares et exigeantes                    jeuni les peuplements qui peinent
pe de bois, charbonnage, pâturage.                   joue un double rôle d’alerte et de                    à offrir les niches écologiques des
Ces forêts constituent donc une ca-                  validation dans ce type d’approche.                   Coléoptères saproxyliques les plus

 Ci-dessus, vieille forêt en Roumanie - Cliché Laurent Larrieu. À droite, bison surpris en forêt primaire de la Bialowieza (Pologne) - Cliché domaine public

                                                     I NSECTES        18       n°162 - 2011 (3)
Vieilles forêts et Coléoptères saproxyliques Le rapprochement des respon-VIEILLESFORETS.COM
Quelques Coléoptères saproxyliques emblématiques et
leurs rapports aux vieilles forêts
Environ 2 500 espèces de Coléoptères saproxyliques existent                 prune vit dans de grosses cavités de feuillus surmatures divers
en France ; parmi elles, 10 espèces seulement bénéficient d’un              (châtaigniers d’anciens vergers, saules têtards, chênes émondés
statut légal au niveau national (protection, annexe de la direc-            et têtards des bocages, ensembles d’arbres champêtres sous les-
tive habitat), elles représentent ainsi des outils de conserva-             quels paît le bétail, très vieux hêtres ou chênes forestiers…). Le
tion en lien avec leurs ressources vitales liées au bois. Pour              Grand Capricorne colonise les parties aériennes bien exposées
autant, ces 10 espèces ne sont pas toujours dans de vieilles                des vieux chênes dépérissants. Le Taupin violacé mène une vie
forêts et certaines de ces formations n’hébergent pas d’es-                 cryptique dans les cavités basses très évidées et évoluées des
pèces caractéristiques à statut qui permettraient d’aider à les             feuillus forestiers ou champêtres. Le Lucane cerf-volant se déve-
conserver.                                                                  loppe dans les parties volumineuses mortes sous terre de tous les
De ces 10 espèces, la moitié est peu utilisable pour la                     feuillus (souches, racines, parties d’arbres vivants ou restes d’ar-
conservation : 3 d’entres elles sont extrêmement localisées                 bres morts). Les recherches récentes ont montré des capacités
et méconnues (les Bostrichidés Stephanopachys linearis et                   de dispersion de ces espèces supérieures à ce qui était jusque-là
S. substriatus, le Carabidé Rhysodes sulcatus) et la présence               mesuré ou supposé, de l’ordre de 1 km pour le Pique-prune en un
actuelle en France est sujette à caution pour Phryganophilus                seul vol, et au moins 2 km pour le Lucane. On vient en outre de
ruficollis (Mélandryidé) et Cucujus cinnaberinus (Cucujidé).                mettre en évidence le caractère « d’espèce ingénieur des écosys-

  Rosalie des Alpes - Cliché Peter Krimbacher , licence Creative             Pique-prune - Cliché Lionel Valladares
  Commons 3.0

■ La Rosalie des alpes Rosalia alpina (Cérambycidé) est surtout             tèmes boisés » du Grand Capricorne, dont les forages profonds
dépendante des hêtres morts sur pied ; elle peut aussi se déve-             et larges dans le bois dur de chênes morts ou mourants créent de
lopper dans de l’aulne ou du frêne morts, en ripisylves. Actuelle-          nombreux micro-habitats aux trajectoires de maturation différentes
ment répartie en aire discontinue, elle est présente en populations         sous l’action et la colonisation d’autres organismes (champignons,
éparses dans les Pyrénées, les Alpes, en Provence, dans le Mas-             insectes, chiroptères…).
sif central, le Val-de-Loire, sur la façade atlantique et en Corse.
Sa réponse rapide à l’offre d’habitat en fait un bon indicateur de          Ces éléments auxquels s’ajoute la relative facilité de leur détection
maturité et de restauration des milieux boisés là où elle est pré-          directe ou indirecte (trous de Grand Capricorne, crottes du Pique-
      sente. Cette espèce
                      p     ne suffit p
                                      pas p
                                          pour caractériser et aider à      prune) permettent d’utiliser ces espèces ensemble pour mettre en
                la conservation de toutes les vieilles forêts
                                                       fo     mixtes et     évidence la qualité de la forêt de plaine telle qu’elle est ou ses
                        résineuses de montagne car elle  e n’est pas        besoins de restauration. Par contre, la protection stricte du Grand
                                            présente dans
                                                        d     tous nos      Capricorne est malheureusement inadaptée : c’est un insecte
                                               massifs montagneux           commun et localement abondant au sud de la France et il faut
                                                nationaux.
                                                nationau                    considérer bien d’autres espèces de Coléoptères que celles pré-
                                                                            sentes dans les listes d’espèces protégées pour repérer, en vue de
                                                 Le Lucane
                                                      Luc       cerf-vo-                                                        ■
                                                                            leur conservation, tous les types de vieilles forêts.
                                                lant Lucanus
                                                       Luc       cervus
                                                (Lucanidé),
                                                (Lucanid      le Grand
                                                Capricorne
                                                Capricor Cerambyx
                                               cerdo (C  (Cérambycidé),
                                              Le Taupin violacé Li-
                                              moniscus        violaceus
                                             (Élatéridé) et le Pique-
                                             prune Osmoderma
                                                     Osm            ere-
                                             mita (Cét
                                                     (Cétoniidé) sont
                                              de bonnes espèces in-
                                               dicatrices de la qualité
                                                du réseau
                                                     rése     boisé de
                                                  plaine (continuum
                                                   d’arbres,
                                                   d’arb          cham-
                                                     pêtres
                                                     pêtr     ou fores-
                                                     tiers,
                                                     tiers dont arbres
                                                      sur-matures
                                                      sur-             à
                                                      cavités
                                                      cav        hautes
                                                       ou basses). Sur
                         Lucane cerf-volant mâle        le plan biologi-
                         Aquarelle de Xavier Houard que, qu le Pique-        Grand Capricorne - Cliché Robert Minetti

                                                I NSECTES          19      n°162 - 2011 (3)
Vieilles forêts et Coléoptères saproxyliques Le rapprochement des respon-VIEILLESFORETS.COM
Cucujus cinnaberinus - © Nicolas Gouix et Hervé Brustel                                      Grande Cétoine bleue - Cliché Pierre Zagatti

exigeants en vieux bois. Les Co-                  de conservation des cortèges sa-           (pillés, ébranchés, mutilés). La fau-
léoptères répondent très bien aux                 proxyliques : les déhésas ibériques.       ne xylophage en tire encore profit ;
opérations récentes de restauration               Sous les chênes lièges exploités et        les endémiques saproxyliques terri-
(bois brûlés, coupes abandonnées                  autres chênes caducifoliés ou sem-         coles sont par contre introuvables,
ça et là, ilôts non exploités, cou-               pervirents, souvent taillés, creux et      disparus peut-être avant d’avoir été
pes en souches hautes) et à un ré-                surmatures, paissent sur d’immen-          décrits dans certains lieux. ■
seau lâche mais largement réparti                 ses étendues dépourvues de vieilles
                                                                                             Les auteurs
de vieilles forêts en réserve. Des                forêts (sud, centre-ouest et ouest
espèces très rares considérées au                 de la péninsule ibérique) cochons          Université de Toulouse
                                                                                             UMR INP Dynafor
bord de l’extinction (Cucujus cin-                et bovins. Taupin violacé, Grande          École d’ingénieurs de Purpan
naberinus, Tragosoma depsarium,                   Cétoine bleue Eupotosia mirifica et        75 voie du TOEC
Stephanopachys spp., etc.) recolo-                bien d’autres Coléoptères exigeants        31075 Toulouse cedex 3
                                                                                             Contact : herve.brustel@purpan.fr
nisent massivement ces espaces.                   y trouvent refuge.
En zone méditerranéenne, on doit                                                             Bibliographie
au vin, à la corrida et au jambon                 La Macaronésie est intéressante à          ■ Barthod C., 1997. La protection des
de belota une situation originale                 plus d’un titre, en particulier pour ses     forêts dans la politique forestière fran-
                                                                                               çaise. Cas particulier des réserves inté-
                                                  cortèges endémiques de Coléoptères           grales. Communication orale, colloque
                                                  saproxyliques terricoles fidèles aux         Naturalité et forêts d’Europe, Conseil de
                                                  forêts où ils ont coévolué depuis des        l’Europe, Strasbourg.
                                                                                             ■ Bergeron J.F., Bouchard R., Villeneuve
                                                  millénaires. Aux Canaries, les mi-           N., 1997. Les écosystèmes forestiers
                                                  lieux boisés sont isolés. Maintenant         exceptionnels du Québec, éléments-
                                                                                               clés de la biodiversité. L’Aubelle, 117,
                                                  protégés (donc stables en surface et         8-11
                                                  soumis à la restauration et la matu-       ■ Brustel, H., 2004. Coléoptères saproxy-
                                                                                               liques et valeur biologique des forêts
                                                  ration), ils révèlent facilement leurs       françaises. Les dossiers forestiers de
                                                  richesses. À Madère, plus humide             l’ONF, 297 p.
                                                                                             ■ Buse, J., 2011. “Ghosts of the past“:
                                                  et moins anciennement peuplée par            flightless saproxylic weevils (Coleoptera,
                                                  l’homme – le minimum forestier re-           Curculionidae) are relict species in
                                                                                               ancient woodlands. J Insect Conserv.
                                                  monte vraisemblablement à un siè-            pp. 1-5.
                                                  cle – la faune y est très riche mais       ■ Schnitzler A., Génot J.-C., Wintz M.,
                                                  introuvable car les lambeaux an-             2008. Espaces protégés : de la gestion
                                                                                               conservatoire vers la non-intervention.
                                                  ciens sont isolés dans une immense           Le Courrier de l'environnement de l'IN-
                                                  forêt de reconquête. Au Maroc enfin,         RA, n°56, pp. 29-43. En ligne à www.
                                                  nous observons actuellement un mi-           inra.fr/dpenv/pdf/schnitlzerc56.pdf
                                                                                             ■ Schnitzler-Lenoble A., 2002. Ecologie
                                                  nimum forestier, les gens ne pouvant         des forêts naturelles d’Europe. Biodi-
                                                  plus piller davantage le milieu et y         versité, sylvigenèse, valeur patrimoniale
                                                                                               des forêts primaires. Tec&Doc, 271 p.
                                                  survivre. Les derniers lambeaux fo-        ■ Speight M.C.D., 1989. Les invertébrés
                                                  restiers anciens et matures sont com-        saproxyliques et leur protection. Conseil
                                                                                               de l’Europe, coll. sauvegarde de la na-
                                                  plètement déstructurés par le surpâ-         ture, 42 : 1-78. Version anglaise en ligne
                                                  turage qui exerce une pression sur les       à : http://entomology.lsu.edu/lsam/intro/
 Ripisylves à têtards de frênes en Espagne                                                     speight1989c.pdf
 Cliché Hervé Brustel                             sols (décapés) et sur les peuplements

                                                  I NSECTES    20      n°162 - 2011 (3)
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