Les animaux ont-ils des droits ? - Nature & société

 
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Les animaux ont-ils des droits ? - Nature & société
N° 292 ❙ 3e trimestre 2011

          Nature & société

Les animaux ont-ils des droits ?
Cet article est tiré d’une communication orale de l’auteur, prononcée
à l’Académie des Sciences morales et politiques lors de la séance du 23 mai 2011.                                    Renaud Denoix
                                                                                                                     de Saint Marc
                                                                                                                     De l’Institut,
                                                                                                                     Président du Conseil
                                                                                                                     d’administration de l’ONC puis
                                                                                                                     de l’ONCFS de 1999 à 2004

                                                           © D. Maillard/ONCFS.                                                                      © A. Charlez/ONCFS.

La morale et la loi réprouvent aujourd’hui                                                              Une thèse récente née
les mauvais traitements aux animaux. Pour autant,                                                       en Angleterre
consciemment ou non, le sens commun, tout au moins
                                                                                                            La thèse selon laquelle les animaux
dans nos sociétés occidentales, établit une nette frontière                                             disposeraient ou devraient disposer de
entre l’homme et l’animal et admet que l’homme règne                                                    droits est récente. Elle prolonge un mou-
sur le monde végétal et animal. Au demeurant, notre                                                     vement d’opinion beaucoup plus ancien,
                                                                                                        fondé sur la nécessité de protéger les
charte de l’environnement conserve cet aspect humaniste :
                                                                                                        animaux. Ce sont des considérations
l’environnement est considéré comme « le patrimoine                                                     morales qui sont à l’origine du mouve-
commun des êtres humains ». Un mouvement d’idées,                                                       ment de protection des animaux. Ce
très minoritaire encore que très militant, conteste                                                     mouvement est né en Angleterre au
                                                                                                        début du XIXe siècle. Heurtés par le spec-
cependant cette conception du monde,                                                                    tacle de l’abattage des animaux de bou-
non sans une certaine influence…                                                                        cherie en public, les mauvais traitements
                                                                                                        infligés aux animaux de trait, le comporte-

 D
                ans notre droit, les animaux        titre gratuit ou onéreux. Une exception :           ment des spectateurs de certains divertis-
                sont des choses. L’animal           les animaux attachés à un fonds immobi-             sements populaires, comme les combats
                libre, sauvage, est res nullius ;   lier sont immeubles par destination : il            de coqs et le bull fighting, des sociétés
                il n’appartient à personne.         s’agit des animaux attachés à la culture, les       protectrices des animaux sont instituées à
Sa capture ou sa mise à mort en fait une            lapins de garenne, les pigeons des colom-           Londres et se développent. Leur objet
chose appropriée ; des restrictions                 biers et les poissons des eaux closes.              tend surtout à élever l’âme du peuple, à
existent toutefois à la capture ou à la mise            Voilà l’essentiel du droit positif. Il existe   lutter contre ses mauvais penchants, la
à mort des animaux de certaines espèces,            cependant des théories qui tendent à                protection des animaux publiquement
protégées en raison de leur rareté ou de            reconnaître des droits soit à l’animal en           maltraités étant donc plus un moyen
leur fragilité.                                     général, soit aux animaux de certaines              qu’une fin.
  L’appropriation d’un animal vivant n’est          espèces. Ces théories ne nous paraissent                Ce mouvement touche le continent et
pas sans effet sur sa descendance éven-             pas fondées. Ce qui n’empêche pas que               la France à partir du milieu du XIXe siècle.
tuelle. Les petits des animaux appropriés           l’homme ait des devoirs à l’égard des               Il trouve le relais des milieux de l’aristocra-
sont également appropriés. L’animal                 animaux ou de certains d’entre eux.                 tie qui professent les mêmes soucis d’édu-
approprié est un bien meuble qui est                                                                    cation populaire, ainsi que de la sensibilité
dans le commerce ; il peut être cédé, à                                                                 romantique.

                                                                                                                                               Nature & société > 37
Les animaux ont-ils des droits ? - Nature & société
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                  Ce mouvement d’idées s’intéresse sur-            Enfin, un sentiment d’attendrissement       spécisme ». Le spécisme, c’est, selon lui,
               tout aux animaux proches de l’homme et           général se diffuse dans la population à        l’attitude qui consiste à établir une barrière
               professe la valeur éducative des bons            l’égard de la faune, favorisé par la photo-    entre cet animal qu’est l’homme et les
               soins prodigués aux animaux.                     graphie et le cinéma : Walt Disney et          animaux non humains. Le mot a été pro-
                  Il s’est ensuite diversifié et amplifié. Un   Bambi ; Cousteau et Le monde du silence ;      posé par analogie avec les termes
               nouvel objet s’offre à son action : la vivi-     Brigitte Bardot et les « bébés-phoques » ;     « racisme » et « sexisme ». Le racisme et le
               section. En Grande-Bretagne, nettement           la radio et la télévision : Nos amis les       sexisme ont été dénoncés et combattus ;
               plus qu’en France, des ligues se sont            bêtes du docteur-vétérinaire Méry. De          l’heure est venue de combattre le
               constituées pour demander que la vivi-           cette tendance profiteront bien des inté-      « spécisme ».
               section soit interdite. Elles demeureront        rêts commerciaux.                                  Richard Ryder se joint à un groupe de
               très actives pendant longtemps. En outre,           Marginalement, des groupuscules se          jeunes chercheurs en philosophie à
               la volonté de protéger les animaux s’étend       manifestent de façon violente contre les       Oxford et le « groupe d’Oxford » publie
               aux espèces sauvages. Prenant conscience         entreprises de production d’animaux de         en 1972 un ensemble d’études sous le
               de la disparition de certaines d’entre elles,    laboratoire, le commerce de la fourrure, la    titre Animaux, hommes et morale : une
               des sociétés zoologiques se constituent.         chasse et notamment la vénerie. Ce phé-        enquête sur la maltraitance des non-
               Ainsi en France, la Société zoologique           nomène a été constaté surtout en               humains. Un autre auteur, australien celui-
               d’acclimatation est créée à la fin du            Grande-Bretagne, mais il n’a pas épargné       là, Peter Singer, publie en 1975 un ouvrage
               XIXe siècle, dont sera issue ensuite la Ligue    la France.                                     intitulé La libération des animaux. En 1976,
               pour la protection des oiseaux, encore très                                                     un auteur américain, Tom Regan, se joint
               active de nos jours.                             De la réflexion philosophique                  à Peter Singer, pour publier un autre
                  L’apparition et le développement de           à celle sur le Droit                           ouvrage important pour la thèse des
               l’élevage industriel attirent également l’at-                                                   droits de l’animal Droits des animaux et
               tention des défenseurs des animaux. Cette           À côté de ces mouvements d’opinion,         obligations de l’homme.
               préoccupation est encore très vivante de         inspirés plus par le sentiment que par la          Nous l’avons dit, ce mouvement d’idées
               nos jours, même en France. Elle est à            raison, une réflexion théorique s’est déve-    part du constat de la souffrance qui est un
               l’origine du mouvement végétarien, végé-         loppée en faveur de la reconnaissance de       critère pertinent de considération morale.
               talien ou véganiste1. Le militantisme végé-      droits au profit des animaux.                  La souffrance est partagée entre l’homme
               talien est à la mode. Le livre d’un auteur          Elle est partie du constat de la douleur    et l’animal non-humain. Il faut donc don-
               américain, Jonathan Safran Foer, vient           subie par les animaux, regardée comme          ner à l’animal un statut moral et lui recon-
               d’être traduit en français sous le titre Faut-   équivalente à la souffrance de l’homme. Il     naître des droits.
               il manger les animaux ? Il justifie la prohi-    y a donc une nécessité, sur le plan moral,
               bition de l’alimentation carnée par le           à accorder à la douleur une égale consi-
               traitement infligé aux animaux dans les          dération, qu’elle affecte l’homme ou tous
               élevages industriels. La publication de la       les êtres sensibles, quelle que soit leur
               traduction en français de cet ouvrage            espèce. C’est à un britannique, Richard        1
                                                                                                                 Personne qui renonce à l’usage de tout produit d’origine
               rencontre l’écho de la presse.                   Ryder, qu’on doit cette théorie de « l’anti-   animale.

               La vénerie est l’un des chevaux de bataille des « éco-guerriers ».
               © A. Guillem/ONCFS.

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                                                                                                               En octobre 2009,
                                                                                                               un élevage de visons
                                                                                                               d’Amérique était saccagé
                                                                                                               en Dordogne par un
                                                                                                               commando anti-fourrure.
                                                                                                               Les agents du Service
                                                                                                               départemental de l’ONCFS
                                                                                                               étaient intervenus
                                                                                                               pour aider à la recapture
                                                                                                               d’un maximum d’animaux
                                                                                                               parmi les 4 200
                                                                                                               sauvagement lâchés
                                                                                                               dans la nature.
                                                                                                               © P. Audouin/ONCFS, SD 54.

Deux questions se posent                          En résumant cette opinion, il soutient que      même contre son propriétaire éventuel, et
alors : quels droits                              cette reconnaissance est nécessaire pour        n’est donc plus un bien ; que les infrac-
et à quels animaux ?                              rendre effective la défense des animaux et      tions réprimant les mauvais traitements
                                                  que cette reconnaissance est acquise en         aux animaux ne figurent plus, au sein du
   À qui ? Les théories les plus extrêmes         droit français. Il en veut pour preuve que      code pénal, dans le livre consacré aux
répondent : à tous les animaux ; les plus         les sévices infligés aux animaux sont           infractions contre les biens.
timides soutiennent « aux grands singes »         aujourd’hui réprimés en tant que tels, et          Dès lors, l’animal est une personne
(tant pis pour les petits singes !).              non plus seulement lorsqu’ils sont infligés     juridique protégée pour elle-même ; le
   Quels droits ? Au moins les plus fonda-        publiquement, comme en disposait à              droit dont il est titulaire étant mis en
mentaux, ceux qui sont pertinents en rai-         l’origine la loi Gramont ; que la loi de 1976   œuvre soit par son propriétaire, soit par
son de leurs caractéristiques. Ces droits         a énoncé que l’animal est un « être sen-        les associations de défense des droits des
seraient, au minimum, le « droit au bien-         sible » et est ainsi protégé pour lui-même,     animaux.
être », le « droit au respect », le droit de ne
pas être traité comme un moyen pour les
fins d’un autre. Dès lors que l’animal non-               Pour certains, l’animal serait
humain a des droits, il a intérêt à les
défendre. Il doit acquérir la personnalité          une personne juridique protégée pour
juridique.
   À considérer cette doctrine, on ne peut             elle-même et disposant d’un droit
s’empêcher de penser qu’elle a, quelque
peu, le caractère d’un jeu intellectuel.                    devant être mis en œuvre
Leurs inspirateurs sont des spéculateurs
intellectuels qui veulent enrichir la pensée      par son propriétaire ou par les associations
éthique en lui ouvrant des perspectives
nouvelles, en faisant de l’animal l’objet de          de défense des droits des animaux.
leur réflexion.
   Pourtant, certains, passant de la morale
au droit, soutiennent que l’animal est un
sujet de droit . Ainsi, en France, le
professeur Jean-Pierre Marguénaud a
soutenu cette thèse chez Dalloz en 1998.

L’article 521-1 de notre code pénal précise
  qu’« un acte de cruauté envers un animal
     domestique, ou apprivoisé, ou tenu en
              captivité, est puni de deux ans
     d’emprisonnement et de 30 000 euros
    d’amende ». Ce motif a notamment été
       retenu pour condamner le particulier
        qui détenait illégalement ce sanglier
                  mutilé à une patte arrière.
                               © ONCFS/SD 44.

                                                                                                                                       Nature & société > 39
Les animaux ont-ils des droits ? - Nature & société
N° 292 ❙ 3e trimestre 2011

               Des thèses fragiles…

                   D’abord, nous contestons la thèse expri-
               mée en termes juridiques. Elle est hasar-
               deuse en ce qu’elle conçoit la personna-
               lité des animaux à travers une fiction
               juridique (le support de ses intérêts) ana-
               logue à la personnalité morale. Certes, la
               personnalité morale est une fiction juri-
               dique, mais qui a fait la preuve de sa
               nécessité et de sa vitalité pour être le
               support d’un patrimoine, d’initiatives et de
               projets. C’est l’utilité économique et sociale
               qui justifie la personnalité morale. On dis-
               cerne mal des intérêts aussi cruciaux dans
               l’individualité de chaque animal.
                   En outre et surtout, cette théorie est
               inutile, car il n’est pas nécessaire de recon-
               naître des droits aux animaux pour affir-
               mer que l’homme a des devoirs à leur             Le droit à ne pas être traité comme un moyen pour les fins d’un autre est impossible
               égard. Les droits ne sont pas la contrepar-      à observer. Cette affirmation ignore la prédation, loi naturelle intangible…
               tie nécessaire des devoirs.                      © R. Rouxel/ONCFS.
                   Par exemple, les propriétaires de monu-
               ments historiques ont des devoirs, notam-
               ment de conservation et d’entretien que              Quant à la place dans le code pénal          animaux nous disent : enfoncer le cou-
               la loi leur impose ; ces monuments n’ont         des dispositions réprimant les mauvais           teau dans la cuisse du porc ou dans celle
               aucun droit. La même observation vaut à          traitements aux animaux insérées dans un         de l’homme produit le même effet. C’est
               l’égard de la forêt : depuis les ordon-          titre résiduel, c’est prêter au codificateur     probable : l’effet immédiat, mécanique, est
               nances de Colbert jusqu’au code forestier        des intentions profondes qu’il n’avait sans      sans doute le même. Mais l’homme, à la
               actuel, en passant par celui de la Restau-       doute pas. Enfin, comme certains l’ont           différence probable du porc, s’interroge
               ration, les propriétaires de forêts, per-        soutenu, en particulier Jean Carbonnier,         sur la douleur, sa cause, sa signification, sa
               sonnes publiques ou personnes privées,           on peut s’interroger sur le point de savoir      durée, la façon de la faire disparaître, la
               ont des devoirs à l’égard de la conserva-        si cette thèse n’est pas contreproductive :      part de responsabilité qui lui incombe et
               tion de la forêt ; leur droit de propriété est   le corps social ne risque-t-il pas de se         celle qui revient à autrui, la vengeance ou
               limité en considération d’objectifs de           rebeller contre cette assimilation, même         le pardon, l’abandon ou la révolte, etc. En
               protection des sols (lutte contre l’érosion      très partielle, très imparfaite, de l’animal à   outre, rien ne permet de penser qu’à côté
               par exemple) et de préservation de la            l’homme ?                                        de la douleur physique, l’animal, même le
               ressource en bois. Mais les arbres n’ont             Quant à la thèse morale, elle n’est pas      mammifère évolué, connaisse la douleur
               pas reçu de droits en contrepartie. Bref,        exempte de critiques dont certaines              morale, le préjudice d’affection, la peur du
               notre droit accepte que le droit de pro-         doivent être très vives. L’anti-spécisme         lendemain.
               priété soit limité en considération de l’in-     serait-il un progrès, après l’antiracisme et
               térêt qui s’attache à la chose possédée. De      l’anti-sexisme ? L’assimilation de ces mou-      Les droits minimaux
               même, s’il est exact que les mauvais trai-       vements d’idées est, au moins, sujet à           qu’il faudrait reconnaître
               tements aux animaux sont réprimés                controverse. Les deux premiers courants          aux animaux sont-ils vraiment
               même s’ils ne sont pas infligés en public,       d’idées concernent l’être humain, le troi-       nécessaires ?
               cette modification de la loi ne signifie pas     sième, l’animal, sauf à considérer soit que
               que les animaux ont été personnalisés.           les êtres non blancs, puis les femmes ne            Le bien-être est une notion à la fois
               Tout simplement, la conscience collective        sont pas des êtres humains ou, à l’inverse,      subjective et légèrement teintée d’anthro-
               considère que ces agissements sont               que les animaux sont assimilables à              pomorphisme : ne suffit-il pas de parler
               contraires à l’ordre social, même s’ils sont     l’homme. Mais, bien sûr, la première pro-        d’un bon traitement pour obtenir
               perpétrés à l’abri du regard d’autrui.           position doit être écartée et la seconde         l’acquiescement de chacun ?
                   En revanche, il est bien difficile de        aussi, car même les anti-spécistes les plus         Le respect : en français tout au moins,
               concevoir, en droit, l’existence d’une per-      convaincus conviennent qu’entre les              il y a dans ce mot une nuance de consi-
               sonnalité à laquelle ne seraient attachés        hommes et les animaux non-humains il y           dération admirative qui n’est pas néces-
               que des droits mal définis, mais en tout cas     a une distinction à faire. En outre et sur-      saire pour qu’on s’accorde sur l’intérêt qui
               étroitement délimités, sans que des obli-        tout, la biologie ne peut, à elle seule,         s’attache à la préservation des espèces
               gations lui soient en contrepartie imparties.    déterminer ce qu’est l’homme. Ni l’âme ni        animales et à ce qu’on dénomme la
               Car en droit, il n’existe pas de personnes       la raison ne sont visibles au microscope.        « biodiversité ». L’idée de protection suffit.
               qui ne répondent jamais de leurs actes.              Comme nous l’avons indiqué plus haut,           Le droit à ne pas être traité comme un
               L’homme atteint de troubles mentaux              les théories des droits des animaux              moyen pour les fins d’un autre est, pour
               répond civilement de ses fautes et, parfois,     partent toutes de leur sensibilité à la dou-     sa part, impossible à observer. Cette affir-
               de ses agissements délictueux. Si l’enfant       leur. Ce point de vue peut être contesté         mation ignore la prédation. L’agneau sera
               en bas âge est irresponsable pénalement,         pour ce qui est de certains animaux qui          toujours considéré par le loup comme un
               il est responsable civilement des actes faits    ne sont pas dotés d’un système nerveux.          moyen d’assouvir sa faim. Le droit
               en son nom. Faut-il en revenir aux procès        Mais admettons son bien-fondé, par pos-          qu’on veut ici reconnaître est bien
               faits aux animaux au Moyen Âge ?                 tulat. Les théoriciens des droits des            problématique.

40 > Nature & société
Les animaux ont-ils des droits ? - Nature & société
N° 292 ❙ 3e trimestre 2011

    Les défenseurs des droits des animaux        charge juridiquement, socialement et, le        protection des milieux et des espèces et,
soutiennent enfin une position périlleuse.       plus souvent, affectivement par une autre       depuis une trentaine d’années, notre droit
C’est le cas non seulement des maxima-           personne qui représente ses droits et ses       interne s’est considérablement enrichi en
listes, mais aussi de ceux que nous avons        intérêts. On ne peut pas vouloir humani-        ce domaine.
qualifiés plus haut de « timides », c’est-à-     ser les animaux en rétrogradant certains            Dans le respect de ces impératifs, il
dire ceux qui ne revendiquent des droits         hommes.                                         n’est pas interdit à l’homme de se servir
que pour les grands singes. Cette dernière                                                       des animaux. La chasse, par exemple, n’est
théorie est l’œuvre de Peter Singer et de        Une vaine tentative…                            ni illicite, ni immorale, même s’il ne s’agit
Madame Cavalieri ; elle est fondée sur des                                                       plus, chez nous, que d’une activité récréa-
travaux de génétique, d’éthologie et de             Les animaux quels qu’ils soient, des         tive. Sans doute doit-elle être condition-
cognition animale établissant la proximité       grands mammifères aux insectes ou aux           née par une bonne connaissance du
entre ces animaux et l’être humain, et           minuscules bestioles marines, n’ont pas de      milieu et de la dynamique des popula-
justifiant l’assimilation des premiers au        droits, au moins selon nous.                    tions des différentes espèces de gibier, et
second. Madame Cavalieri soutient qu’on             Cela ne veut pas dire que l’homme n’ait      par l’usage de modes de capture qui ne
« justifie d’ordinaire le traitement différen-   pas de devoirs à leur égard.                    soient pas inutilement cruels. Son exercice
cié des êtres humains et des non-humains            À l’égard des animaux domestiques, les       permet de suppléer, dans certains cas, à
par une correspondance entre le fait d’ap-       familiers du foyer, et des animaux dits « de    l’insuffisance de la prédation naturelle :
partenir à l’espèce homo sapiens et celui        rente », ceux qu’il exploite, l’homme a         c’est le cas, aujourd’hui en France, à l’égard
de posséder les caractéristiques morale-         incontestablement des devoirs que la            des grands mammifères. L’exercice de la
ment pertinentes. Inversement, être non-         morale reconnaît dans toutes les civilisa-      chasse contribue à la préservation de
humain, c’est être dépourvu de ces mêmes         tions contemporaines. C’est aussi son           milieux naturels extrêmement riches mais
caractéristiques ». Mais, continue-t-elle,       intérêt : l’éleveur tirera un meilleur profit   qui auraient disparu sous la pression des
d’une part, nous savons que nous parta-          d’animaux convenablement nourris et             agriculteurs : tel est le cas des marais.
geons avec les autres animaux nombre de          bien traités. Ce devoir moral est sanc-         Enfin, la chasse préserve des espèces
nos gènes et une histoire évolutive com-         tionné par la loi. La notion de bien-être de    vouées à la disparition par l’effet du pro-
mune. D’autre part, et c’est là que le           l’animal a cependant pénétré notre droit        grès de l’agriculture : à l’égard de la perdrix
raisonnement devient dangereux et cho-           par l’intermédiaire de directives euro-         grise, l’intérêt du chasseur rejoint celui de
quant, elle soutient que l’espèce humaine        péennes relatives au transport des ani-         l’ornithologue. La chasse est un excellent
comprend des individus « irrévocablement         maux, à l’élevage des veaux, des porcs et       moyen d’accéder aux sciences de la
dépourvus de caractéristiques jugées typi-       des poules pondeuses.                           nature, à la compréhension des interac-
quement humaines : les handicapés men-              Ce devoir s’étend aujourd’hui à l’en-        tions entre l’animal sauvage et le milieu
taux, les demeurés et les séniles ».             semble des espèces animales et végétales        dans lequel il vit. Et, en disant cela, nous
    On retrouve cet argument chez d’autres       qui constituent son environnement,              ne soutenons pas une thèse paradoxale.
théoriciens, comme Peter Singer qui              reconnu comme « le patrimoine commun                Au nom de la conservation de la nature,
affirme que « certains enfants gravement         des êtres humains ». Il doit veiller au main-   la société jette aujourd’hui un œil nou-
atteints ne pourront jamais atteindre le         tien des équilibres biologiques et écolo-       veau sur les animaux et les milieux dans
niveau d’intelligence d’un chien ». Dès lors,    giques, lutter contre l’appauvrissement de      lesquels ils vivent. Mais la tentative de leur
invoquer l’appartenance de ces enfants à         la biodiversité dont l’ampleur est d’ailleurs   reconnaître ou de leur attribuer des droits
l’espèce humaine comme base pour                 aujourd’hui contestée. À ce titre, il est       demeure vaine. D’abord, le droit aurait
accorder un droit à la vie à l’enfant sans       légitime qu’il intervienne localement           bien du mal à appréhender l’animal, tant
en accorder aux autres animaux « consti-         contre les espèces invasives, introduites       les espèces sont nombreuses et diffé-
tue du spécisme à l’état pur ». Ces argu-        accidentellement dans un milieu qui             rentes, et tant le regard que pose l’homme
ments doivent être rejetés avec la plus          n’était pas le leur (ibis sacré, bernache du    sur ces différentes espèces est lui-même
grande fermeté. L’enfant est un être             Canada…) ou qu’il limite l’expansion d’es-      différent. En second lieu, parce que le
conscient et raisonnable en devenir. La          pèces protégées trop prolifiques (cormo-        droit est conçu pour les personnes.
personne atteinte de débilité mentale,           ran). De nombreuses conventions interna-        L’homme est, à la fois, le sujet et l’objet
même de naissance, est toujours prise en         tionales ont été signées sur le thème de la     premier de l’ordre juridique. n

    L’homme doit veiller à la préservation de la biodiversité.
    À ce titre, il est légitime qu’il intervienne localement
    contre les espèces invasives, comme l’ibis sacré.
    © R. Rouxel/ONCFS.

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