Vivre ensemble : le sport joue-t-il fair-play ?

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Vivre ensemble : le sport joue-t-il fair-play ?
© Benoît Debuisser
                                                                                                                                                                                                  dOssier

                     Vivre ensemble :
                     le sport joue-t-il fair-play ?
           U
                              ne nouvelle loi cadre pour le sport devrait être soumise au Parlement en 2014. La priorité affichée est la modernisation, et au vu
                              des quelques éléments publiés ici ou là, on comprend que le projet de loi portera principalement sur deux domaines : régulation                  dans ce dossier
                              et moralisation des flux financiers, d’une part ; simplification administrative, d’autre part, notamment des procédures et une re-
                     définition des missions de l’État, des compétences des collectivités territoriales et du rôle du mouvement sportif fédéral.                              ●●L’Ufolep développe désormais un secteur
                          Ce sont là des sujets importants, mais on peut regretter qu’à ce stade rien ou presque n’ait filtré qui laisse espérer de centrer le pro-           « sport et société »
                     pos sur l’éducation, l’encadrement des pratiques, ou encore l’activité professionnelle des éducateurs sportifs. En un mot, sur le sens so-
                     cial que peuvent revêtir des pratiques qui concernent près de 30 millions de personnes en France, dont un peu plus de 15 millions de                     ●●Les pratiques sportives des seniors
                     licenciés.                                                                                                                                               restent en marge du cadre associatif
                          Car dans une société qui doute, le sport est assurément un des liens qui nous relient les uns aux autres. Sous de multiples formes :
                     qu’il s’agisse de communier dans le soutien aux champions, d’appartenir à un club ou une association, ou tout simplement de retrouver                    ●●Mythes et réalités de l’intégration par le
                     des copains pour taper dans un ballon. Même l’affrontement y est encadré et neutralisé par le respect des règles et celui de l’adversaire.               sport
                     Ce sens social du sport, chacun le perçoit intuitivement, et il fait aussi l’objet d’un discours public. Mais précisément, et c’est là que la
                     représentation nationale gagnerait à s’emparer du sujet, il est si évident qu’on finit presque par ne plus l’interroger.                                 ●●Les instances associatives doivent s’ouvrir
                          Or on demande au sport à la fois trop et pas assez. Trop, parce que quelles que soient les valeurs qu’il porte en bannière, il serait vain          à davantage de mixité
                     d’imaginer qu’il puisse échapper aux tensions qui travaillent la société contemporaine. La violence et les discriminations, le règne de
                     l’argent, l’imaginaire du casino comme modèle de réussite traversent un univers longtemps représenté à travers les vertus qu’il défend :                 ●●Nombreux sont les exclus du sport :
                     le mérite, l’effort, le respect des règles. Pas assez, parce qu’on ne peut sous-estimer les avantages d’un monde organisé professionnelle-               l’Ufolep de la Somme vient à leur rencontre
                     ment, structuré, dynamisé par des politiques publiques : dans un tel monde il n’y a pas de fatalité sociale, il y a des décisions, une ins-
                     truction des questions et une capacité à peser sur le réel.                                                                                              ●●L’Usep travaille à l’inclusion des enfants en
                          Un exemple peut aider à saisir cet enjeu. On sait que les sportifs issus de l’immigration ou de l’outre-mer sont nombreux, notam-                   situation de handicap par le sport
                     ment dans le haut niveau, mais un décrochage s’opère dès qu’on passe à la représentation politique ou aux carrières professionnelles.
                     Est-ce une fatalité ? Pas du tout. Car la composition des instances et les politiques de construction des parcours professionnels offrent                Rédacteurs en chef du dossier :
                     des possibilités remarquables pour peu qu’on essaie de se pencher sur le sujet. C’est une question de volonté politique ; ou – si l’on veut              Stéphanie Barzasi et Richard Robert
                     employer le vocabulaire des pères fondateurs du sport moderne – c’est une question d’exemplarité.
                          Plutôt que de déplorer ce qui pourrait apparaître comme un dévoiement et n’est autre qu’une rémanence, il faut en saisir les atouts.
                     Oui, le sport contemporain porte en lui l’héritage de différents mondes qui ne sont pas tous exemplaires. Oui, il s’est laissé absorber
                     dans la société du spectacle, dans le monde des marques et des idoles, des joueurs stars qui ont perdu tout contact avec le monde réel.
                          Mais ce miroir déformant de notre société, aux élites parfois grotesques, est aussi l’un des univers les plus régulés qui soient. Et il est animé
                     par des organisations et des acteurs porteurs d’une vision du monde beaucoup plus structurante. C’est une chance à ne pas laisser passer.

                     ●●Richard Robert

                                                                                              Les idées en mouvement              le mensuel de la Ligue de l’enseignement                   n° 212     octobre 2013 9.
Vivre ensemble : le sport joue-t-il fair-play ?
dOssier

 enjeux

« L’Ufolep s’adresse naturellement
aux exclus du sport »
En dépit de sa massification, la pratique sportive compte de nombreux exclus. Philippe Machu,
président de l’Ufolep, décrit comment sa fédération, en se réorganisant, souhaite mieux toucher tous
les types de publics. Pour faire du sport un véritable levier de cohésion sociale.

Les Idées en mouvement : L’Ufolep a                 représentent, par exemple, qu’un tiers du           au service du citoyen, de son éducation, de
récemment voté des changements de                   total des pratiquants. Les jeunes non diplô-        son bien-être…
statuts. Pourquoi ?                                 més sont deux fois moins nombreux à pra-
     Philippe Machu : Lors de sa dernière           tiquer un sport couramment que les diplô-           Comment l’Ufolep prend-elle en compte
assemblée générale, les 19, 20 et 21 avril          més de l’enseignement supérieur. Et dans            ces nouvelles tendances ?
derniers, l’Ufolep a en effet voté le principe      les quartiers prioritaires, les jeunes sont             Nous nous adaptons aux nouvelles pra-
de nouvelles possibilités d’affiliation et          encore beaucoup moins nombreux à s’ins-             tiques. En nombre de participants, l’Ufolep
pourra désormais accueillir éventuellement          crire en clubs. Les jeunes filles tout parti-       est par exemple le premier organisateur de
d’autres associations ou toute personne             culièrement. Moins du tiers des collégiens          raids nature. Nous nous intéressons beau-
morale. Nous avons également voté une               sont inscrits à l’association sportive de leur      coup au sport-santé également, en travail-
réorganisation de la fédération afin de déve-       collège. Parallèlement, les plus de 50 ans          lant à la qualification des animateurs pour
lopper, à côté des activités traditionnelles,       sont trois fois moins nombreux à s’inscrire         qu’ils puissent accueillir des publics de
un secteur « sport et société » pour mieux          dans une association sportive que les 15-29         toute condition physique ou souffrant no-
toucher tous les publics, en particulier ceux       ans. Quant aux personnes handicapées,               tamment de maladies chroniques. L’Ufolep
qui sont les plus éloignés de la pratique           elles sont encore en trop petit nombre sur          a d’ailleurs passé une convention avec

                                                                                                                                                                                                                       © Ligue de l’enseignement
sportive. Ces évolutions ne changeront pas          les espaces sportifs.                               l’Imaps, l’institut mutualiste qui fait valoir
pour autant l’existant : le secteur « sport et                                                          les effets d’une activité physique ou spor-
éducation » restera centré sur les loisirs                                                              tive (APS) régulière sur la santé. Au niveau

                                                     “
sportifs et consolidera l’aspect éducatif du                                                            européen, nous participons aux réflexions
sport, porté par les associations tradition-              Donner une autre                              de l’International sport and culture associa-
nelles de l’Ufolep. En France, seule la com-         dimension au sport pour tous                       tion (Isca) sur le développement du sport
pétition est survalorisée. L’organisation très       et rendre perméables tous les                      pour tous les publics, ainsi qu’à l’organisa-
cloisonnée des activités sportives est très                                                             tion de la Move Week, semaine européenne                   sons de quartier, les missions locales, nous

                                                                             ”
peu tournée vers la rencontre sociale et ex-         cloisonnements.                                    de promotion du sport-santé. Quant aux                     formons aussi des jeunes des quartiers
clut énormément de personnes. Nous de-                                                                  seniors, dont la proportion va croître dans                prioritaires au Certificat de qualification
vons donc nous préoccuper de mettre en                                                                  les années à venir, l’activité physique repré-             professionnelle animateur de loisir sportif
œuvre de nouvelles pratiques au sein de la          La démocratisation du sport n’aurait                sente un réel enjeu pour qu’ils vieillissent               (CQP ALS).
fédération, tant physiques que culturelles,         donc pas eu lieu ?                                  en bonne santé. L’Ufolep est aujourd’hui en                    Grâce à ce secteur « sport et société »,
pour aller vers ces publics, en proposant                Depuis les années 1960, avec le pro-           mesure de former un réseau de référents                    nous pourrons aller plus loin : profession-
des activités suffisamment diversifiées et          gramme de développement du sport lancé              sur cette problématique, et vise autant le                 nalisation spécifique, en fonction des pu-
adaptées pour les rendre attractives à tous.        par de Gaulle, qui a décidé de l’organisation       bien-être physique des personnes que le                    blics et des problématiques, mais aussi
L’Ufolep s’adresse à tous les publics et, na-       du sport par l’État via les fédérations spor-       maintien du lien social. S’agissant de la pra-             nouveaux partenariats et coopérations ter-
turellement aux exclus du sport : elle prend        tives délégataires et affinitaires, nous            tique sportive des femmes, l’Ufolep travaille              ritoriales, avec d’autres associations spor-
en compte les problématiques de santé, de           sommes passés de 2 millions de licenciés à          actuellement avec l’université Paris-Des-                  tives proches de nos valeurs, ou avec les
bien-être, d’éducation, d’insertion, de déve-       16 millions. Il y a donc bien eu massifica-         cartes sur une étude auprès d’une centaine                 collectivités locales, les maisons de retraite,
loppement durable, ou de lutte contre les           tion, mais d’un sport très codifié, discipli-       de jeunes femmes de quartiers prioritaires,                les centres sociaux, etc. Il s’agit de donner
discriminations sur tous les territoires. Le        naire, avec des instances pyramidales.              menée en partenariat avec des maisons de                   une autre dimension au sport pour tous en
haut niveau de compétition ou la culture du         Nombreux sont ceux qui en restent exclus.           quartier, le ministère délégué à la Ville, le              France et en Europe et de rendre per-
résultat ne nous concernent pas. Pour nous,         Du reste, les pratiques ont fortement évolué        ministère des Sports et celui des Droits des               méables tous les cloisonnements.
le sport est un levier pour faire société, dans     ces 25 dernières années. Plus que ce sport          femmes. Nous développons aussi les pra-
le respect de nos trois piliers fondateurs : laï-   traditionnel, ce sont les sports nature, les        tiques handi-valides par le biais notamment                ●●Propos recueillis par
cité, solidarité et citoyenneté.                    sports émotion, voire à risque, qui sont en         d’un partenariat avec la Fédération fran-                  Stéphanie Barzasi
                                                    plein essor, ou encore les pratiques ur-            çaise du sport adapté (FFSA). Avec les mai-
Quelle est l’ampleur de la pratique                 baines comme le roller, le skate, etc. Des
sportive en France ?                                sports plutôt individuels, qui ne s’accom-
     Au-delà des 7 200 clubs sportifs de haut       pagnent pas forcément de licence sportive.
                                                                                                         À SAvoir

niveau, selon les chiffres du Centre national       La tendance générale est au refus de la                         Le sport santé, préoccupation ministérielle
pour le développement du sport (CNDS),              contrainte, du cadre associatif traditionnel                    L’accessibilité de tous à la pratique sportive et le développement du sport santé font partie
il existe autour de 170 000 clubs ou sec-           et donc des formes collectives de vie so-                       des priorités annoncées par Valérie Fourneyron, ministre des Sports, de la Jeunesse, de
tions de clubs, affiliés à une ou plusieurs         ciale. Organisé en outre autour de la com-                      l’Éducation populaire et de la Vie associative. Cette volonté s’est déjà traduite par la mise
des 118 fédérations françaises (dont 30             pétition, le sport renforce parfois les diffé-                  en place, le 3 juillet dernier, avec Michèle Delaunay, ministre déléguée aux Personnes
olympiques). Cela représente plus de                rences entre citoyens. L’ampleur qu’ont pris                    âgées et à l’Autonomie, d’un groupe de travail dédié aux « activités physiques et sportives
16 millions de personnes licenciées de tous         dans le sport et le reste de la société le culte                pour les seniors » qui s’appuiera notamment sur l’expertise du Pôle ressources Sport
âges. Presque autant de personnes ont par           de la performance, le business, le spectacle                    santé tout juste mis en place au sein du ministère des Sports. Un premier rapport doit être
ailleurs une pratique sportive régulière hors       sont des vecteurs supplémentaires de dis-                       remis aux deux ministres dans le courant du dernier trimestre 2013. Un Conseil national
club. Reste donc pratiquement la moitié de          crimination. C’est pourquoi, nous nous po-                      du sport (CNS) a par ailleurs été installé le 5 juillet dernier à l’Insep et doit notamment être
la population qui ne pratique pas de sport.         sitionnons en alternative à ces tendances :                     le creuset de l’élaboration de la future loi de modernisation du sport dont le projet devrait
Selon les statistiques du ministère chargé          nous ne considérons pas le sport comme                          être présenté dans le courant de l’année prochaine.
des Sports (Stat-info 2008), les femmes ne          une fin en soi, mais bien comme un outil

.10 Les idées en mouvement                le mensuel de la Ligue de l’enseignement                     n° 212       octobre 2013
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dOssier

 analyse

Les seniors : du sport en liberté
à l’engagement associatif
Sportifs, les seniors ? Oui, car l’arrivée à la retraite va souvent de pair avec le développement de nouvelles activités, ne serait-ce que
pour se maintenir en forme. Mais la plupart pratiquent à leur manière, en marge des clubs et des associations. Une rencontre est
pourtant possible entre ces électrons libres et le monde associatif, qui a tout à gagner à leur faire une place. C’est en tout cas le point
de vue défendu par Serge Guérin, sociologue et marathonien 1.

L
        es pratiques sportives sont sociale-       gories, que la sociologie ne peut ignorer.
        ment discriminées, et varient selon        Ces différences ne concernent pas seule-
        les catégories sociales. Ce phéno-         ment les milieux socioprofessionnels, mais
mène pourrait se renforcer chez les seniors,       recouvrent aussi d’autres lignes de partage.
mais il n’en est rien : d’une manière géné-        Prenons un exemple. L’arrivée à la soixan-
rale, la tendance est plutôt à une diminu-         taine va de pair avec un plus grand intérêt
tion des différences.                              pour le corps, la santé, l’état physique. Se
     L’âge est un égalisateur : chacun, d’une      maintenir en forme apparaît comme un
manière ou d’une autre, finit par se dire          désir largement partagé. Il y a dans ce désir
qu’il est important de prendre soin de son         des enjeux sociaux : il ne s’agit pas simple-
corps, de faire un peu d’exercice. Certaines       ment de se sentir en forme, mais d’en faire
tendances affectant telle ou telle catégorie       la démonstration – de prouver, de se prou-
sociale ont ainsi tendance à se fondre dans        ver qu’on est toujours dans le coup. Dans
la masse. Prenons un exemple. Pour de              une société qui valorise énormément l’acti-
multiples raisons, les milieux populaires          vité et la jeunesse, ce n’est pas une surprise.

                                                                                                                                                                                                         © Gary Houlder/AFP
ont généralement plus de mal à se projeter         Mais au sein de ce mouvement général, on
dans l’avenir. Or ce trait tend à se résorber      perçoit des différences sensibles entre les
avec l’arrivée à la retraite – soit que le temps   sexes. Les femmes ont souvent effectué leur
libre et la perspective de revenus assurés         prise de conscience plus tôt et l’arrivée à la
leur permettent de reprendre un peu de             retraite n’infléchit pas beaucoup leurs pra-
champ, soit que, en entrant dans cette nou-        tiques, alors que chez les hommes c’est sou-
velle phase de la vie, les possibilités soient     vent un déclencheur. Par ailleurs, les en-        niors n’ont pas une folle envie de s’encarter,        C’est une question posée au monde as-
moins nombreuses et la projection plus fa-         jeux sont perçus et formulés d’une façon          et par rapport aux scolaires, ils ont les         sociatif : quelle place faire à ces électrons
cile. En tout état de cause la différence avec     différente : les hommes sont souvent mobi-        moyens de s’affranchir de l’inscription dans      libres, qui n’ont pas forcément envie ni
les autres catégories sociales s’atténue sen-      lisés par la performance, les femmes prati-       un cadre associatif : ils n’ont pas besoin        d’être encadrés, ni d’être encartés, mais ont
siblement sur ce point.                            queront davantage une activité physique           d’un moniteur pour les surveiller, ni d’une       envie de partager une partie de leur temps
     Un autre aspect à peu près universel          adaptée (aquagym, marche nordique…),              assurance spécifique… La Fédération fran-         pour pratiquer ou transmettre les valeurs
associé à l’entrée en retraite est le besoin de    qui s’inscrit à la fois dans l’idée qu’elles se   çaise d’athlétisme avait essayé de récupérer      ou les techniques d’un sport.
lien social. La pratique d’un sport apparaît       font du bien-vivre et dans l’objectif d’avoir     les joggeurs du dimanche, en leur propo-              Il s’agit de reconnaître, dans les associa-
alors comme une bonne solution, qui prend          un corps capable de répondre à des enjeux         sant une adhésion minimale, peu onéreuse,         tions, que les seniors ont quelque chose à
en quelque sorte le relais de la vie profes-       sociaux. La pratique sportive répond ainsi        mais cela n’a pas marché : la plupart des         apporter et qu’il y a du sens à leur faire une
sionnelle : il s’agit non pas seulement d’être     à des enjeux de genre, à la construction so-      gens n’ont pas envie d’entrer dans une lo-        place. L’équation, au fond, est assez simple :
ensemble, mais de faire quelque chose en-          ciale et biologique d’une identité masculine      gique de clubs.                                   du côté du monde associatif il y a des be-
semble. Là encore, tout le monde est peu           ou féminine. Ces enjeux contribuent à dé-                                                           soins, et en face il y a des bonnes volontés.
ou prou concerné. Mais quand on observe            terminer des choix, à orienter les pratiques,     Faire une place aux seniors                       Mais on ne saurait ignorer les spécificités
le détail des pratiques, on retombe sur des        l’investissement qu’on y met, le cadre dans           Pour autant, une frange significative de      de cet engagement : en gros, la plupart des
différences sociologiques. Dans les milieux        lequel on s’inscrit, la position qu’on occupe     cette population pourrait trouver place           personnes concernées sont désireuses de
populaires se développent surtout des pra-         dans ce cadre : membre d’un groupe                dans le monde associatif. Mais je crois qu’il     faire quelque chose, mais pas de participer
tiques collectives informelles, comme cou-         d’amis, client, membre d’une association…         faut distinguer ici deux types de vocations :     à des réunions ! Elles ont simplement envie
rir à deux ou trois, ou encore faire du vélo                                                         les vocations militantes sont motivées par        de se sentir utiles. La question devient
à cinq ou six. Les plus diplômés se retrou-                                                          la recherche d’un statut, d’une reconnais-        donc : comment valoriser cet engagement

                                                    «
veront plus facilement, pour leur part, dans              Les seniors n’ont pas envie                sance, ou tout simplement d’une activité          concret sans l’alourdir administrativement ?
des sports plus formalisés, comme le ten-                                                            administrative qui prenne le relais de l’acti-    C’est aujourd’hui un vrai enjeu, et il invite
nis, et plus généralement dans des activités        de s’encarter et, contrairement                  vité salariée et mobilise des compétences         à s’interroger sur ce qui constitue au-
sportives pratiquées dans un club. Ou, à            aux scolaires, ils ont les moyens                qu’on n’a pas envie de laisser dormir. Ces        jourd’hui le cœur du monde associatif :
l’inverse, à faire en solo du sport en inté-        de s’affranchir de l’inscription                 vocations sont minoritaires, mais elles ne        s’agit-il de la colonne vertébrale institution-
rieur, par exemple du vélo d’appartement.                                                            sont pas menacées de disparaître. On ob-          nelle, la partie formalisée, ou de cette péri-

                                                                                       »
L’argent n’est pas le seul déterminant sur ces      dans un cadre associatif.                        servera au passage qu’elles concernent sur-       phérie bénévole ? On peut parfaitement
questions : il y a aussi des manières diffé-                                                         tout les hommes. Parmi les motivations            considérer que l’essentiel, la part la plus
rentes de s’inscrire dans un groupe – ou de                                                          invoquées, il y a aussi l’idée de rendre          vivante en tout cas, se joue aujourd’hui à la
ne pas s’y inscrire.                                   Cela nous amène naturellement à un            quelque chose au club qui vous a formé.           périphérie. Toute la question est d’ap-
                                                   point qui intéresse plus directement les              Plus intéressantes, et moins aisées à inté-   prendre à en tenir compte, et de lui faire
Toujours dans le coup                              membres de la Ligue de l’enseignement.            grer dans les cadres institutionnels existants,   une place.
    Je parle ici, bien sûr, de simples ten-        Ces pratiques plus ou moins formalisées           sont les multiples « envies de faire » : du bé-
dances : la réalité est bien sûr plus fine et      peuvent-elles s’inscrire dans un engage-          névolat, souvent associé à des enjeux très        ●●Serge Guérin
plus complexe, et chaque individu vivra les        ment associatif, et comment ?                     concrets, et qui n’implique pas forcément une
choses à sa façon. Mais il existe de discrètes         Autant le dire d’emblée, la rencontre ne      envie d’adhérer formellement ou de prendre        1. Auteur de La Nouvelle société des seniors
lignes de clivage, des différences entre caté-     va pas de soi. D’une façon générale, les se-      place officiellement dans une organisation.       (Michalon, 2011).

                                                                       Les idées en mouvement             le mensuel de la Ligue de l’enseignement                    n° 212     octobre 2013 11.
Vivre ensemble : le sport joue-t-il fair-play ?
dOssier

 point de vue

Mythes et réalités
de l’intégration
par le sport
Le sport échappe-t-il aux tensions et aux interrogations qui
traversent la société ? Disons qu’il les déplace : dans certaines
conditions, il peut être un vecteur d’intégration, mais ne fait
disparaître ni le racisme, ni les tentations communautaristes.

                                                                                                                                                                                                              © Anne-Christine Poujoulat/AFP
Pour mesurer la portée et les limites de son pouvoir intégrateur,
il peut être utile de se confronter aux faits, mais aussi
d’interroger les représentations. Entretien avec William
Gasparini, sociologue et professeur en STAPS à l’université de
Strasbourg 1.
Les Idées en mouvement : On présente             de l’immigration en difficulté d’insertion        gymnique du travail dans les années 1960.           faites. Parler de communautarisme est abu-
souvent le sport comme un vecteur                socioprofessionnelle. Il faut donc prendre        Tous ont contribué à promouvoir et conso­           sif, car il ne faut pas confondre communau-
d’intégration. Qu’en est-il dans les faits ?     garde à la dimension mythique de la repré-        lider la vision du sport (de compétition)           tés et communautarisme. Ce dernier im-
     William Gasparini : Les exem­ples de        sentation du sport intégrateur : elle amène       intrinsèquement vertueux et édu­catif. La           plique bien une fermeture du groupe qui
Michel Platini, Luis Fernandez ou Zinedine       par ailleurs à sous-estimer les logiques de       droite républicaine et les communistes se           impose à ses membres une identité fermée,
Zidane nous suggèrent que le sport, mieux        ségrégation, d’entre-soi, de ghettoïsation        retrouvent pour reconnaître et promouvoir           repliée sur elle-même. On n’en est pas là. Il
que l’économie ou la politique, peut fonc-       qui sont aussi présents dans le monde du          l’aspect socialisant du sport.                      existe bien une forme de repli, communau-
tionner comme un ascenseur social pour           sport.                                                À partir des années 1980, dans un               taire ou tout simplement sur le quartier.
des jeunes adultes issus de l’immigration.                                                         contexte marqué par des tensions poli-              Cela peut s’expliquer par les discrimina-
Que le sport permette à des jeunes défavo-       Comment s’est construit ce mythe ?                tiques et sociales sur le modèle de l’intégra-      tions dans l’accès aux loisirs, par le racisme
risés socialement de trouver une reconnais-           Il vient en droite ligne de ce que l’on      tion, cette vision est réactivée et trouve une      quotidien dont sont victimes de nombreux
sance est une réalité. Pour certains jeunes      pourrait nommer l’« idéo­logie sportive »,        nouvelle formulation. On voit émerger des           immigrants ou Français issus de l’immigra-
dotés d’aptitudes physiques, c’est dans le       promue par les pères fondateurs du sport          discours sur la participation du sport à la         tion, mais aussi (et plus simplement) par le
sport qu’ils trouvent une promotion sociale      moderne. Très tôt, dans l’Angleterre des          lutte contre la « crise du lien social » (no-       jeu des concentrations géographiques. On
de substitution. Moins riches en ressources      années 1830, on a reconnu et valorisé ses         tamment dans les quartiers populaires). Le          ne peut attendre du sport qu’il réponde à
économiques et culturelles, possédant de         vertus morales et éducatives. Norbert             sport est convoqué, plus souvent qu’à son           lui seul à ces puissantes logiques sociales.
surcroît un capital symbolique « négatif »       Elias 2 y voit un élément du processus de la      tour, pour lutter contre les nouvelles exclu-            La victoire de l’équipe de France de foot-
lié à la stigmatisation, ils trouvent dans le    « civilisation des mœurs », contribuant à         sions sociales. Il devient « social » et les dis-   ball lors de la coupe du monde de 1998
sport de haut niveau un espace qui recon-        maîtriser la violence en lui substituant des      positifs sont désormais « sociosportifs ».          vient donner corps à une représentation qui
naît leur compétence et qui tire profit de       affrontements symboliques et pacifiques.          Cela fait apparaître de nouveaux acteurs.           illustre et justifie les politiques dont nous
dispositions, qualités et savoirs pratiques      Dans un registre plus critique, Pierre Bour-      En effet, dès la fin des années 1980, un            avons parlé, avec l’idée que la France aurait,
valorisés dans les milieux populaires. Un        dieu note que l’affrontement réglé des            nouvel espace politico-professionnel se             tout au long du XXe siècle, et notamment
moment-clé de leur itinéraire est alors l’en-    sports modernes permet l’expression de            structure autour de la question de l’intégra-       grâce au sport, naturellement intégré des
trée en formation, qui constitue à la fois       valeurs bourgeoises comme le fair-play et le      tion sociale par le sport sous le double effet      hommes issus des différentes vagues d’im-
une promotion sportive sélective, marquée        self government.                                  des politiques publiques et des stratégies          migration. Or, des événements comme l’in-
par un rapprochement avec l’espace stric-             Mais on interroge peu, en définitive, le     d’institutions et d’agents dont les carrières       terruption du match France-Algérie en
tement professionnel, et une rupture, plus       consensus autour des fonctions sociales           sont en partie liées à la transformation de cet     2001 viennent rappeler que tout n’est pas
ou moins nette, avec le cadre de la pratique     d’un sport « naturellement » intégrateur.         espace. Face à la concurrence des politiques        si simple, et qu’il n’y a au fond guère de rai-
et la façon de jouer antérieurs. En tant que     Cela peut s’expliquer. On notera ainsi que        de la Ville et des nouvelles politiques spor-       son pour que le sport passe à travers les
« rite d’institution », pour reprendre une       le schéma des vertus sociales et éducatives       tives des collectivités territoriales (depuis la    tensions qui parcourent la société française.
formule de Bourdieu, le recrutement au           du sport est suffisamment vague pour em-          décentralisation), le ministère de la Jeunesse      On a eu tendance, historiquement, à voir
centre de formation des apprentis footbal-       porter une adhésion peu critique : de la          et des Sports trouve ainsi dans « l’insertion »     dans le sport une réponse aux tensions so-
leurs participe à la construction de la voca-    pacification des banlieues à la sociabilité et    puis « l’intégration par le sport » une nou-        ciales, ou du moins un espace qui y échap-
tion, c’est-à-dire la croyance dans le fait      la réalisation de soi, chacun peut s’y retrou-    velle compétence susceptible de perpétuer           pait : nous apprenons aujourd’hui à repérer
« d’être fait pour ça ».                         ver. Et cette doxa est relayée par un « cercle    son existence. Des équipements sportifs de          en quoi il est lui aussi touché par ces ques-
     Il existe donc des parcours, une recon-     de croyants » bien plus large que les seuls       proximité et des animations sportives de            tions et tensions.
naissance, de la réussite. Mais il ne faut pas   représentants du mouvement sportif. Parmi         quartiers voient progressivement le jour. Des
oublier que le racisme reste présent dans        ceux-ci, on peut repérer les industriels          éducateurs, des animateurs « sociosportifs »        ●●Propos recueillis par Richard Robert
les stades et sur les terrains, et que des       paternalistes de la première moitié du            mais aussi des policiers font vivre cette lo-
joueurs d’origine étrangère peuvent très fré-    XXe siècle, attentifs à prévenir les tensions     gique. Sur un mode social, c’est bien l’idée
quemment être renvoyés à leur différence.        sociales, mais aussi les acteurs de l’édu­        d’une pacification déjà avancée par Norbert
Par ailleurs, la réussite des quelques foot-     cation. Je pense par exemple aux                  Elias que l’on retrouve ici.
balleurs sélectionnés dans l’équipe de           enseignants-promoteurs de la « République
France de football, si elle contribue au         des Sports » des années 1960, et à l’alliance     On parle en effet désormais de                      1. Il a notamment publié Le Sport dans les quartiers
mythe du « salut social » par le sport, fait     formée entre les minis­tres gaullistes de la      communautarisme, en s’en inquiétant…                avec Gilles Vieille-Marchiset (PUF, 2008).
                                                                                                                                                       2. Écrivain et sociologue allemand, auteur d’un
aussi écran à la réalité de l’impasse dans la-   Jeunesse et des Sports et les militants               Oui… et là encore le risque existe de se        ouvrage majeur de sociologie historique : Sur le
quelle se trouvent nombre de jeunes issus        commu­nistes de la Fédération sportive et         laisser enfermer dans des catégories toutes         processus de civilisation.

.12 Les idées en mouvement              le mensuel de la Ligue de l’enseignement                  n° 212    octobre 2013
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 point de vue

Mixité sociale : et si on regardait du côté
des instances ?
Alors que les minorités dites visibles sont bien représentées dans les équipes nationales et le sport de haut niveau en général, les
instances des différentes fédérations semblent plutôt monochromes. Comment progresser ? Des éléments de réponses avec Patrick
Mignon, responsable du Laboratoire de sociologie du sport de l’Insep 1.

Les Idées en mouvement :                                                                                                                                        important de préserver la vitalité
Comment expliquer la sous-                                                                                                                                      militante ainsi que l’ouverture qui
représentation des personnes                                                                                                                                    lui est associée et qui fait la ri-
issues de l’immigration dans les                                                                                                                                chesse du monde associatif.
hiérarchies professionnelles et                                                                                                                                     En outre, en entrant dans une
politiques du monde du sport ?                                                                                                                                  logique de professionnalisation,
     Patrick Mignon : Ce qu’il                                                                                                                                  on retrouve les mêmes méca-
faut souligner, c’est qu’on n’est                                                                                                                               nismes d’éviction – réseaux, ac-
pas ici dans le cadre classique des                                                                                                                             cointances, familiarités, confiance
difficultés d’accès aux responsabi-                                                                                                                             associée à la similitude – auxquels
lités en entreprise ou dans la fonc-                                                                                                                            s’en ajoutent d’autres, spécifiques
tion publique. Avec le sport, on a                                                                                                                              au monde professionnel : posses-
un univers où les minorités vi-                                                                                                                                 sion d’un diplôme, accès aux
sibles sont présentes, un monde                                                                                                                                 bonnes filières, réussite scolaire…
que les jeunes investissent et où                                                                                                                                    On pourrait poser la question
des carrières de haut niveau sont                                                                                                                               en termes de reconversion : com-
possibles, pour ne pas dire fré-                                                                                                                                ment faire en sorte que des sportifs
quentes. On aurait du mal à le              Deuxième phénomène, il exis­te       plus difficile la prise de conscience   bon nombre de femmes), etc. La         de haut niveau accèdent aux res-
quantifier faute d’outils adéquats,    au sein des instances des cycles dé-      des discriminations.                    différence étant sans doute que les    ponsabilités une fois leur « car-
mais on le voit nettement. De la       mographiques qui font du temps                “On est bien dans des logiques      cadres supérieurs ont davantage        rière » terminée ? C’est un vrai
même façon qu’est spécialement         institutionnel un temps long. Un          de notabilité. Nulle mauvaise vo-       conscience de jouer un « jeu tru-      enjeu, et sur ce point on a quelques
visible la faible représentation des   mandat dure quatre ans. Combien           lonté, mais l’effet produit est bien    qué », alors que dans le monde         outils : on sait par exemple qu’une
personnes issues de l’immigration      de temps faut-il pour grimper les         celui d’une fermeture.”                 des représentants, il y a une forme    personne qui réussit sa reconver-
ou des DOM-COM dans les bu-            échelons et parvenir au sommet                                                    de bonne foi, qui peut se révéler      sion y a réfléchi avant d’arrêter de
reaux et assemblées des fédéra-        d’une fédération ? Douze, vingt ans.                                              désarmante. Mais, on est bien          faire du sport. Dans ces conditions,
tions, à la direction des clubs ou
dans les rangs des entraîneurs.
     Quand on étudie les parcours
                                       Les institutions prennent ainsi du
                                       retard par rapport à la société et à
                                       ses évolutions.
                                                                                  “    On est bien dans des
                                                                                  logiques de notabilité.
                                                                                  Nulle mauvaise volonté,
                                                                                                                         dans des logiques de notabilité
                                                                                                                         qui font qu’on se connaît, donc
                                                                                                                         qu’on se reconnaît, et donc qu’on
                                                                                                                                                                il peut être utile de l’aider à y pen-
                                                                                                                                                                ser, de construire des politiques à
                                                                                                                                                                l’échelle des fédérations, d’inciter à
des sportifs ayant accédé à des             Cette question n’est pas absente                                             se fait confiance. Nulle mauvaise      la formation. Il peut y avoir aussi
responsabilités, on s’aperçoit qu’il   de la réflexion des fédérations, mais      mais l’effet produit                   volonté, nulle volonté de fermer       un repérage.
existe des logiques de discrimina-     elle a été imposée par l’État. On          est bien celui d’une                   le champ ; mais l’effet produit est        Les mondes militants gagne-
tion, discrètes mais persistantes.     peut regretter qu’elle soit arrivée de                                            bien celui d’une fermeture.            raient certainement à élargir et à

                                                                                                  ”
L’une de ces logiques consiste à       l’extérieur, ce qui n’est pas le meil-     fermeture.                                                                    interroger leurs critères de recrute-
doter spontanément les gens de         leur moyen d’en faire une priorité.                                               Comment sortir des logiques de         ment et à reconnaître que les cri-
qualités associées à leurs origines.   Mais c’est tout l’avantage d’un sys-                                              cooptation ?                           tères de la bonne volonté militante
Ou à leur sexe, car la question se     tème où les fédérations ont une                Il existe un deuxième trait qui        Une possibilité serait de chan-    sont insuffisants et peuvent parti-
pose également pour les femmes :       mission de service public, que de         a le même effet, c’est l’importance     ger d’optique et d’accepter de         ciper de mécanismes d’éviction. Il
l’organisation sexuée du sport ex-     pouvoir être soumis à certaines           du bénévolat : c’est une instance       considérer les parcours d’accès        faut cependant admettre que l’ap-
plique en partie cette situation,      contraintes, à pouvoir faire l’objet      de légitimation très puissante          aux responsabilités comme de vé-       partenance à des réseaux militants
mais on pourrait retourner l’argu-     de politiques spécifiques.                dans le monde du sport, et qui          ritables recrutements. Après tout,     peut aussi aider à faire émerger des
ment en soulignant que précisé-                                                  conduit à ignorer certains pro-         on « recrute » les sportifs : on       talents : dans les « quartiers », la
ment cela devrait conduire à da-       Ce relatif désintérêt ne tient-il         blèmes. Comment interroger la           cherche à les attirer dans un club,    vie associative et le militantisme
vantage de parité, puisque le          pas paradoxalement à ce que le            légitimité de ceux qui « donnent »      on mène des démarches actives          politique peuvent offrir des débou-
genre contribue à structurer ce        sport est un milieu où chacun a           de leur temps. Comment mettre           pour les faire venir. Mais dans un     chés et propulser des outsiders
monde et qu’on ne peut donc pas        sa chance ?                               en cause leur capacité à représen-      système de bénévolat, on ne re-        dans le cercle des insiders, ceux
l’ignorer… Or, on ne compte pas            Le discours du sport est celui        ter ? Or, il existe une sociologie du   crute pas : on s’en remet aux effets   qu’on croise régulièrement dans
plus de 10 % de femmes parmi les       du mérite : que le meilleur gagne !       bénévolat, qui va conduire à sur-       spontanés, aussi bien dans la          des réunions, qu’on connaît et
dirigeants ou les élus des fédéra-     Et il y a dans ce discours l’idée         représenter des catégories et à         venue au bénévolat que plus tard       qu’on finira par coopter « naturel-
tions. Il ne s’agit pas d’incriminer   d’une vérité du jeu : sur un terrain      promouvoir des effets de réseaux,       dans la prise de responsabilités. Il   lement » comme dirigeants de
le machisme ou le racisme des in-      la couleur de peau ne compte pas,         d’homogénéité, de reconnaissance        me semble qu’en donnant un ca-         clubs ou par recruter au service
siders, mais plutôt de repérer la      seules les performances compte-           mutuelle… presque de la même            ractère plus formel à ces recrute-     des sports de la commune. À
façon dont des représentations         raient. Cet imaginaire du mérite          façon que chez les cadres supé-         ments qui s’ignorent, on contri-       l’échelle locale les choses bou­gent.
perdurent sans être interrogées.       correspond à une réalité dans les         rieurs dans les grandes entre-          buerait à désaveugler le champ.        C’est au niveau des instances fédé-
Les qualités d’autorité ne sont pas    clubs, chez les sportifs ; mais le pro-   prises, qui trouvent une partie de          Des recrutements sur compé-        rales qu’un effort est nécessaire.
spontanément attribuées aux            blème est qu’on le retrouve, intact,      leurs ressources de carrière dans       tences et des procédures plus for-
femmes, et les compétences tech-       dans les niveaux hiérarchiques où         l’appartenance à un milieu, à des       melles aideraient certainement à       ●●Propos recueillis par
niques ne sont pas spontanément        cela fonctionne autrement. L’imagi-       réseaux, à la « bonne volonté » de      ouvrir le jeu. Mais il faut prendre    Richard Robert
attribuées aux personnes issues de     naire du mérite contribue en som­         ceux qui peuvent se rendre à des        garde aux effets pervers de la pro-    1. Il a notamment publié La Passion du
l’immigration ou des DOM-COM.          me à aveugler le champ, à rendre          réunions tardives (ce qui exclut        fessionnalisation : il me semble       football (Odile Jacob, 1998).

                                                                       Les idées en mouvement             le mensuel de la Ligue de l’enseignement                 n° 212      octobre 2013 13.
Vivre ensemble : le sport joue-t-il fair-play ?
dOssier

 Initiatives
                                                                                                     taine, après la région Nord-Pas-de-Calais.         mental de la Somme à mettre en place des

Vers les publics                                                                                     Les maladies cardiovasculaires, le surpoids,       actions d’insertion. Dans le cadre des for-
                                                                                                     voire l’obésité en sont les principales            mations départementales dites « 5 bis, 6 »,
                                                                                                     causes. Outre les habitudes alimentaires,          qui s’adressent aux personnes sans diplôme

les plus éloignés                                                                                    l’Insee met en cause un déficit d’activité         et en grande difficulté sociale, un module
                                                                                                     physique des Picards : seuls 34,3 % dé-            sport a été intégré. « Avant de travailler sur
                                                                                                     clarent en pratiquer une régulièrement             un parcours d’insertion professionnelle, il

du sport                                                                                             contre 43,2% des Français. « Nous sommes           faut déjà avoir fait un travail sur soi, phy-
                                                                                                     sur un enjeu de santé publique important,          sique et psychique, précise Stéphane Lecos-
                                                                                                     souligne Stéphane Lecossois. Nous avons            sois. Le sport est là un outil formidable. »
                                                                                                     notamment un projet Sport et femmes,               Dans une logique proche, un projet de re-
                                                                                                     poursuit le délégué. En partenariat avec           mobilisation pour les jeunes sortis du sys-
Depuis 7 ans, l’Ufolep de la Somme a mis en place un service                                         plusieurs associations de femmes sur les           tème scolaire a également été mis sur pied,
de développement territorial qui se consacre à des actions                                           territoires Cucs (Contrats urbains de cohé-        qui doit leur permettre par ailleurs de dé-
                                                                                                     sion sociale), nous avons développé en             couvrir les organismes qui peuvent les sou-
d’insertion par le sport et de prévention santé. Une réponse aux                                     complément des activités physiques pour            tenir, comme les missions locales. Autre
besoins identifiés sur le territoire.                                                                lutter contre les maladies cardiovasculaires.      projet important, la médiation sociale, sur
                                                                                                     De même, avec plusieurs épiceries sociales         le territoire d’Amiens-Nord, sous contrat

L
       e sport comme outil d’insertion, de         l’exclusion concerne aussi la pratique spor-      du département, nous développons un pro-           Cucs. « Deux éducateurs sportifs de proxi-
       remobilisation, de regain d’une es-         tive. Nos valeurs nous poussaient à aller à       jet « Bien dans son assiette, bien dans ses        mité à temps plein ont été recrutés sur ce
       time de soi et de capacités physiques       la rencontre des publics qui ne se recon-         baskets » auprès des personnes qui                 projet. Les activités ont lieu tous les jours
favorisant le maintien en bonne santé,             naissent pas dans les pratiques sportives         viennent y faire leurs courses. Avec le ser-       de 15h à 22h. »
l’Ufolep de la Somme le promeut depuis             traditionnelles ou sont très éloignés du          vice endocrinologie du CHU d’Amiens,                   « Tous nos projets s’inscrivent dans la
des années. Dès 2006, le comité départe-           sport pour des raisons sociales ou de             nous avons par ailleurs monté un partena-          durée. C’est indispensable. Chacun néces-
mental a souhaité formaliser ce champ d’in-        santé. »                                          riat pour accompagner les publics souffrant        site un travail spécifique, des compétences
tervention en constituant un service de dé-                                                          d’obésité, de maladies cardiovasculaires ou        pointues et d’installer une relation de
veloppement territorial dont les actions           Enjeu de santé publique                           d’anorexie qui ont été hospitalisés vers la        confiance. Pour chaque projet, un éduca-
sont centrées, aux côtés de celles consa-               Les besoins sanitaires, sociaux et socié-    reprise d’une activité physique. »                 teur permanent est recruté. Pour nous, le
crées aux activités dans et en dehors de           taux du territoire plaident en faveur d’une                                                          sport est véritablement un outil d’éduca-
l’école, sur la santé et l’insertion. « La pra-    telle orientation. Une étude de l’Insee Picar-    Le sport, outil d’insertion                        tion, il n’est pas la finalité. »
tique sportive est loin de concerner tout le       die publiée en mai 2006 révèle les difficul-          Si l’on en croit l’Insee, la Picardie se ca-
monde, pointe Stéphane Lecossois, délégué          tés de la région, notamment en matière de         ractérise aussi par un taux de formation           ●●Stéphanie Barzasi
du comité départemental Ufolep de la               santé : elle enregistre le second taux de         plus faible que la moyenne nationale. Autre
Somme : l’augmentation des inégalités et de        mortalité le plus fort de France métropoli-       spécificité qui a conduit le comité départe-

Un pas de plus vers l’inclusion
Pour l’Usep, la scolarisation des enfants en situation de handicap en milieu ordinaire ne prend tout son sens que s’ils ne sont exclus
d’aucune activité, en particulier de la pratique sportive.

L’
          esprit inclusif de la loi du   gué départemental de l’Usep 42.
          11 février 2005 pour           Et puis, nous initions à la pratique
          l’égalité des droits et des    d’handisports, comme la boccia,
chances, la participation et la ci-      jeu proche de la pétanque, le céci-
toyenneté des personnes handica-         foot avec une balle sonore, ou
pées a ouvert de nouveaux hori-          autres. À la fin, un temps de ré-
zons au sport comme levier du            flexion est toujours prévu pour
« vivre ensemble ». Si le droit pour     que les enfants puissent exprimer
tous les enfants à une scolarisation     leur ressenti et comprendre les
en milieu ordinaire y était notam-       handicaps. »
ment affirmé, leur intégration ne
serait que partielle s’ils ne pou-       Pratique partagée
vaient partager les mêmes activités.         Ce travail de sensibilisation n’a
     Les valeurs de laïcité, de ci-      cependant de sens que prolongé
toyenneté et de solidarité fonda-        d’une pratique effectivement par-
                                                                                                                                                                                                         © Usep de la Loire

trices de l’Usep l’ont portée rapi-      tagée. L’Usep 42 souhaite au-
dement à intégrer cette dimension        jourd’hui renforcer la participation
du handicap dans le sport sco-           des enfants en situation de handi-
laire. Dès 2009, l’association pu-       cap. « Avec le service de l’inspec-
blie et diffuse auprès de tous les       tion académique ASH (Adaptation
comités départementaux sa pre-           scolaire et scolarisation des élèves    modules d’EPS et pensent les            une rencontre avec différentes          « voir des enfants faire de très
mière mallette pédagogique               handicapés) et l’IUFM de Saint-         adaptations nécessaires à la pra-       écoles. »                               gros efforts pour essayer de don-
« sport scolaire et handicap ». Les      Étienne, depuis trois ans, nous éla-    tique sportive de chacun. Et tous           La nouvelle édition à paraître      ner un point à leur équipe, et que,
comités se saisissent vite de l’outil,   borons des rencontres sportives         les ans, à l’occasion d’« Une ville     en 2014 de la mallette pédago-          pour tous, ces efforts ont la même
à l’instar de l’Usep de la Loire.        partagées avec des enfants, handi-      en partage », manifestation initiée     gique Usep fait la part belle à la      valeur que ceux des autres, est
« Nous organisons des rencontres         capés et valides, présente Patrick      par la commune de Saint-Étienne,        participation, pour faire un pas de     quelque chose de très fort ».
de sensibilisation dans les écoles,      Lablanche. Les étudiants en IUFM        le comité Handisport et le comité       plus vers l’inclusion pure et sim­
explique Patrick Lablanche, délé-        accompagnent dans l’année des           Sport adapté, nous co-organisons        ple. Car, pour Patrick Lablanche,       ●●S.B.

.14 Les idées en mouvement               le mensuel de la Ligue de l’enseignement                   n° 212   octobre 2013
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